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Commission des affaires économiques

Mardi 10 décembre 2013

Séance de 22 heures

Compte rendu n° 36

Présidence de M. François Brottes Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt et discussion générale sur le projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt (n° 1548) (M. Germinal Peiro, rapporteur)

La commission a auditionné M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt sur le projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt (n° 1548).

M. le président François Brottes. Mes chers collègues, nous recevons ce soir M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt sur le projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt.

S’agissant du projet de loi sur la consommation, dont l’examen a été reporté au lundi 16 décembre, ce qui nous permet de nous réunir ce soir, j’ai écrit au Premier ministre pour lui demander la présence de Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé, au banc des ministres lors de l’examen de ce texte en séance publique.

M. Daniel Fasquelle. Monsieur le président, je regrette que le calendrier parlementaire soit aussi contraint jusqu’au mois de février 2014, avant la fin duquel nous aurons à examiner cinq textes importants et techniques. C’est pourquoi je vous demande de plaider la cause du Parlement auprès de M. Alain Vidalies, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement : le Gouvernement doit se montrer raisonnable en retirant un ou deux des textes prévus afin que nous puissions travailler dans de bonnes conditions.

M. le président François Brottes. Il est vrai que nous sommes dans une séquence de travail intensif.

Quelque 1 500 amendements ont été déposés sur le projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt : plus d’une centaine ont été refusés par la Commission des finances au titre de l’article 40 de la Constitution, s’agissant notamment de l’octroi des aides publiques ou de l’affiliation à la Mutuelle sociale agricole. De plus, comme les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER), qui relèvent du champ d’application de l’article 40, sont également fortement concernées par le texte, un nombre d’amendements plus élevé que d’habitude a été envoyé à l’expertise de la commission des finances. Il convient de préciser que les amendements refusés appartiennent souvent à des familles identiques.

Alors qu’à mes yeux élargir la capacité de recourir au droit de préemption ne saurait être considérée comme une charge nouvelle puisque cette proposition n’engage pas la dépense, la commission des finances m’a répondu que sa jurisprudence prend en considération la potentialité de l’aggravation de la dépense et non seulement l’aggravation effective. Or je me rappelle l’adoption, sur proposition de la Commission des affaires économiques, d’un droit de préemption sur les fonds de commerce : j’évoquerai donc le sujet demain avec le président de la commission des finances, M. Gilles Carrez. Il faut toutefois savoir que les amendements refusés au titre de l’article 40, même discutés en Commission des affaires économiques, seront rayés du texte.

Nos débats sont par ailleurs encadrés par l’article 38 de la Constitution, relatif à l’habilitation du Gouvernement à prendre des mesures législatives par voie d’ordonnance, et par la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui, depuis sa décision du 20 janvier 2005, estime qu’un amendement parlementaire ne peut pas élargir le périmètre de l’habilitation demandée. De ce fait, une quinzaine d’amendements élargissant expressément le champ de l’habilitation prévu aux articles 10 et 24 du projet de loi ont été déclarés irrecevables.

J’ai également déclaré irrecevables deux amendements dont la nature réglementaire était évidente : l’amendement CE472 de Mme Michèle Bonneton, qui vise à modifier le code des marchés publics alors que ce code est exclusivement de nature réglementaire, et l’amendement CE1073 de M. Dominique Potier, qui vise à modifier un arrêté.

Enfin, le titre VI relatif à l’outre-mer – les articles 34 à 37 – sera examiné jeudi 12 décembre au matin, afin de permettre à nos collègues ultramarins, notamment guyanais, d’accueillir le Président de la République.

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt. Je vous remercie, monsieur le président, d’avoir aménagé le temps nécessaire à l’examen de cet important projet de loi.

L’agriculture française traverse à l’heure actuelle, dans toutes ses composantes, une période difficile. La politique agricole commune (PAC) a été renégociée : sa réforme fixe les grands objectifs. Son budget nous permettra d’assurer la pérennité des aides, surtout du second pilier. S’agissant du premier pilier, des objectifs ont été fixés en termes notamment de verdissement et de répartition des aides : le paiement redistributif, qui est une initiative française et permettra de surprimer en France les cinquante-deux premiers hectares, a été adopté par l’Allemagne. Quant aux aides directes liées aux paiements couplés, elles sont particulièrement importantes pour l’approvisionnement de l’élevage en protéines végétales. S’agissant du second pilier, je tiens à souligner le renforcement des indemnités compensatoires de handicaps naturels (ICHN) et toutes les mesures agro-environnementales qui seront mises en œuvre dès 2014.

L’examen de ce projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt doit être l’occasion d’aborder les rapports entre les citoyens d’une part, et l’agriculture et la forêt d’autre part, sans oublier l’alimentation, l’enseignement agricole, qui est un objectif prioritaire, et les outre-mer. Il convient de préciser les relations entre les objectifs économiques de l’agriculture et de la forêt et les attentes de la société. La représentation nationale doit pleinement jouer son rôle en la matière.

J’ai souhaité également que le texte comporte un nombre raisonnable d’articles – ils sont trente-neuf – afin de me conformer aux objectifs de simplification du Président de la République et du Premier ministre – le texte supprime par ailleurs vingt-quatre articles du code rural. Tel est l’esprit de responsabilité législative dans lequel j’ai travaillé en direction des agriculteurs, des forestiers, des consommateurs et des acteurs de l’enseignement agricole.

Le livre préliminaire prévu à l’article 1er permet de définir les grands objectifs de la politique en faveur de l’agriculture, de l’alimentation et de la pêche maritime.

Le titre Ier est dédié à la double performance, économique et environnementale, des filières agricoles et agroalimentaires. La représentation nationale a raison de vouloir y intégrer la dimension sociale. Ce souci est primordial aux yeux non seulement des agriculteurs, mais également de l’ensemble des citoyens. Les agriculteurs considèrent souvent qu’on leur impose des normes toujours plus nombreuses et les citoyens que les agriculteurs ne fournissent pas les efforts attendus. Il convient à la fois d’atteindre l’objectif économique afin de garantir le revenu des agriculteurs et de prendre en compte les grands enjeux écologiques. Quant à la dimension sociale, elle est traitée notamment dans la question de l’installation : l’agriculture de demain doit demeurer celle des chefs d’exploitations – éleveurs et paysans. Je garde cet objectif en tête. Les grands enjeux sont les suivants : fixer et conforter le rôle du Conseil supérieur d’orientation et de coordination de l’économie agricole et alimentaire (CSO) et de FranceAgriMer, qui est un lieu de débat interprofessionnel et de planification stratégique. Un plan stratégique filière par filière est en préparation.

L’article 3 permet de reconnaître les groupements d’intérêt économique et environnemental (GIEE) qui ont pour objectif de conforter la transition de l’agriculture vers des systèmes agro-écologiques : les agriculteurs, pour obtenir des résultats en termes économiques et écologiques, doivent renouveler leur organisation collective.

L’article 4 renforce le droit du bailleur d’inclure dans le bail des clauses dites « environnementales », tandis que l’article 5 clarifie la notion de transparence, dont les groupements agricoles d’exploitation en commun (GAEC) sont la seule forme de société agricole à bénéficier en droit français. Pour la première fois les GAEC sont reconnus à l’échelon européen : c’est un atout supplémentaire pour garantir et la capacité des agriculteurs à se regrouper et la pérennité des chefs d’exploitation.

Le texte vise également à rénover la gouvernance du modèle coopératif, en changeant et en rééquilibrant les clauses contractuelles consécutives à l’adoption de la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche. Le rôle et la place du médiateur, qui a été très utile dans le débat laitier, doivent également être inscrits dans la loi, en vue d’éviter les conflits. Le pluralisme syndical doit être par ailleurs reconnu dans les interprofessions.

Le titre II du projet de loi est consacré à la protection des terres agricoles et au renouvellement des générations. De nombreux amendements ont été déposés sur la question foncière : je le comprends. Il faut toutefois bien prendre en compte le fait que cette question se situe à la frontière, d’un côté, des mesures à prévoir pour assurer le renouvellement et l’installation des exploitations agricoles et, de l’autre, du respect du droit constitutionnel de propriété. Il convient de rester sur cette étroite ligne de crête. Les propriétaires agricoles se sont exprimés sur la question lors de la préparation du texte au CSO. Le texte prévoit le renforcement du champ de compétence de la commission départementale de la consommation des espaces agricoles (CDCEA) et de l’Observatoire national de la consommation des espaces agricoles (ONCEA), ainsi que le renforcement du rôle des SAFER, renforcement que j’ai souhaité alors même que leur suppression avait été envisagée : il faut redonner des objectifs aux SAFER tout en améliorant leur gouvernance et en étendant leur droit de préemption. Le texte renforce également la politique d’installation, via notamment l’installation progressive, et modifie le régime du contrôle des structures tout en prévoyant la consolidation d’exploitations pérennes pour limiter l’agrandissement excessif. Il redéfinit par ailleurs la surface minimum d’installation conformément aux conclusions des Assises de l’installation, en instaurant une activité minimale d’assujettissement qui permettra de prendre en compte toutes les dimensions liées à l’activité agricole et à l’installation du jeune exploitant.

Le titre III est consacré à la politique de l’alimentation et de la performance sanitaire, qui s’inscrit dans le projet de la performance écologique et de l’agro-écologie. J’ai présenté hier les premiers progrès réalisés dans le cadre du plan Écophyto, mis en place à la suite du Grenelle de l’environnement par M. Michel Barnier, alors ministre de l’agriculture : la courbe de l’augmentation de la consommation de phytosanitaires en France a été inversée, puisque celle-ci a baissé de 5,7 %. Le projet de l’agro-écologie visera à amplifier ce processus. Le texte propose des changements importants en matière de politique publique de l’alimentation comme en matière sanitaire. La publication des résultats des contrôles sanitaires permettra de mieux informer les citoyens dans le cadre d’une transparence parfaite. Par ailleurs, le texte prévoit différentes mesures destinées à limiter au strict nécessaire l’utilisation d’antibiotiques en médecine vétérinaire en vue de réduire l’antibiorésistance – c’est une mesure de responsabilité collective. La question a été débattue avec les vétérinaires : nous sommes arrivés à un accord.

Le projet de loi prévoit également un dispositif de suivi post autorisation de mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques afin de garantir une plus grande transparence.

N’oublions pas non plus la création d’un fonds destiné à financer le développement des usages mineurs : il permettra d’apporter en la matière des réponses aux agriculteurs.

Je tiens évidemment à souligner le transfert à l’Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) des missions relatives à la délivrance des autorisations de mise sur le marché (AMM) des produits phytopharmaceutiques et des matières fertilisantes, transfert qui permettra de clarifier la relation entre la direction générale de l’alimentation (DGAL) du ministère de l’agriculture et l’ANSES. Si les grands choix en matière de molécules doivent demeurer sous responsabilité ministérielle, l’utilisation des produits doit être confiée à l’ANSES.

Enfin, la mise en place d’un dispositif expérimental de certificat d’économie de produits phytopharmaceutiques permettra de réduire le recours à de tels produits.

Le titre IV est consacré à l’enseignement agricole, à la recherche et au développement en matière agronomique, forestière et vétérinaire : c’est un engagement fort du Gouvernement. L’enseignement agricole français est exceptionnel. C’est un outil d’excellence que le monde nous envie et qui doit être conforté, des premiers cycles aux cycles supérieurs de formation jusqu’à la recherche. L’enseignement agricole doit accompagner la démarche de double performance économique et écologique. Il convient également de conforter sa dimension d’outil de promotion sociale, cet enseignement permettant l’obtention de diplômes ouvrant sur des emplois. C’est également un outil d’ouverture à l’international. La création de l’Institut agronomique et vétérinaire de France donnera une identité à l’enseignement agricole et assurera sa cohérence tout en lui donnant la possibilité de négocier des contrats à l’international, notamment sur le plan de la recherche vétérinaire et sanitaire.

Le Titre V traite des dispositions relatives à la forêt : la forêt française, qui est la troisième d’Europe, est à la fois très diversifiée sur le plan des essences – feuillus et résineux – et multifonctionnelle. Ses potentialités économiques en font un enjeu essentiel. Le texte prévoit la mise en place d’un programme national de la forêt et du bois (PNFB), qui sera décliné au plan régional, et instaure le fonds stratégique de la forêt et du bois en vue d’assurer le renouvellement de la forêt, qui sera alimenté par les centimes forestiers, la rémunération liée au défrichement et, plus tard, la taxe carbone. Je tiens également à rappeler la création, dans le cadre du projet de loi de finances rectificative, du compte d’investissement forestier et d’assurance, qui permettra de mobiliser la ressource forestière dans un objectif de développement et de mise en valeur de la ressource. Il convient de ne pas oublier le rôle de la forêt dans le respect de la biodiversité.

Le titre VI, enfin, traite des dispositions relatives à l’outre-mer. Il convient de reconquérir les marchés locaux et de diversifier l’agriculture ultramarine. Le comité régional d’orientations stratégiques et de développement (CROSD) assurera une meilleure coordination des objectifs fixés dans chacun des outre-mer. Si nous avons été confrontés à une forme de renoncement outre-mer, il convient désormais d’y relancer l’agriculture et la transformation des produits agricoles. Hier, en remettant les prix d’excellence du Concours général agricole, j’ai pu noter la très grande qualité des produits ultramarins, notamment de la vanille. Outre-mer, l’agriculture a été trop marquée par de grandes productions – banane ou canne à sucre – : il convient d’assurer sa diversification.

Le débat doit fixer un cadre à la mise en place de la réforme de la PAC à partir de 2015, après la phase de transition de 2014, en vue de dynamiser l’agriculture et la forêt françaises. En effet, celles-ci participent pleinement au redressement du pays en termes de compétitivité, de qualité et de développement économique et écologique.

M. Germinal Peiro, rapporteur. Monsieur le ministre, après la réforme de la PAC que vous avez su négocier dans l’intérêt du pays, vous nous présentez un texte que vous qualifiez de loi d’avenir et qui est fondé sur la recherche de la double performance économique et environnementale. C’est le moment.

Chacun sait que l’agriculture est une force pour le pays en termes de balance commerciale – 11 milliards d’euros d’excédents – et d’emplois : des centaines de milliers répartis sur le territoire. Elle participe également de l’aménagement du territoire.

Il ne faut pas toutefois se cacher les faiblesses du secteur agricole, qui sont apparues au cours des dix dernières années, période durant laquelle la France a perdu 26 % de ses exploitations. La France est également passée en Europe de la première à la troisième place, derrière l’Allemagne et les Pays-Bas – et à la cinquième place mondiale, derrière les États-Unis et le Brésil.

Ces reculs doivent être analysés pour améliorer la performance économique de l’agriculture française.

Sur le plan environnemental, il est difficile de mettre un terme aux pollutions agricoles qui sont souvent plus diffuses que les pollutions industrielles ou urbaines.

Enfin, même si la France demeure le pays le plus sûr au monde sur le plan sanitaire grâce aux systèmes de protection les plus performants, trop de résidus de pesticides demeurent présents dans les aliments, y compris pour enfants, sans oublier le problème de l’antibiorésistance.

Le texte permettra tout d’abord de redresser la performance économique, en incitant au travail collectif les agriculteurs, qui souffrent trop souvent de l’isolement – ce sera l’objet des groupements d’intérêt économique et environnemental (GIEE) –, grâce, aussi, à une meilleure structuration des filières et à une meilleure distribution de la valeur ajoutée – la loi consommation va dans le même sens. Nous n’échapperons pas à un débat sur la course effrénée aux prix les plus bas, qui conduit à diminuer la valeur de toute la production agricole.

Le texte permettra également d’améliorer la performance environnementale grâce à une meilleure maîtrise de la production d’azote et du recours aux produits phytosanitaires et aux antibiotiques. Nous devrons également freiner la consommation et le gaspillage des terres agricoles.

Il est par ailleurs urgent de préparer le renouvellement des générations : dans le secteur de l’élevage, la moitié des éleveurs a plus de cinquante ans. Les mesures en faveur de l’installation – installation progressive, adaptation du contrat de génération aux agriculteurs – vont dans ce sens. Une meilleure maîtrise du foncier jouera un rôle primordial en la matière. Au cours des deux ou trois dernières décennies, les terres libérées sont allées, pour leur plus grande part, à l’agrandissement.

Orienter l’agriculture française vers de nouvelles pratiques culturales largement répandues dans les départements implique le recours accru à la technologie, à la science et à l’innovation. C’est pourquoi le texte vise à consolider le pôle formé par la recherche, l’enseignement et la formation.

Le texte reconnaît également le rôle primordial de la forêt en matière de stockage du carbone tout en consolidant la filière de l’amont vers l’aval. Il n’est pas normal qu’un pays couvert à 30 % par la forêt – j’évoque la seule métropole – importe autant de bois d’œuvre pour un déficit de 6 milliards d’euros de la balance commerciale. La forêt doit être considérée comme une ressource renouvelable. Il faut en tirer tout le profit possible en respectant les grands équilibres environnementaux.

Le texte porte enfin une attention toute particulière aux outre-mer, en valorisant notamment les filières locales. Il convient en effet de favoriser la relocalisation des activités agricoles dans ces territoires isolés, qui sont obligés d’importer de la métropole ou du reste du monde encore trop de denrées alimentaires.

C’est la quatrième loi agricole que j’examine, après celles de 1999, de 2006 et  de 2010. J’ai procédé, en tant que rapporteur, à une centaine d’auditions, lesquelles ont pris la suite du travail de concertation que vous avez mené depuis le printemps dernier, monsieur le ministre, et qui a été largement apprécié par les professionnels du secteur. Le travail parlementaire, en commission ou au cours de la séance publique au mois de janvier 2014, enrichira le texte. Tous en effet nous partageons l’objectif de valoriser des agricultures diversifiées – c’est la richesse de la France – et créatrices d’emplois.

M. Jean-Yves Caullet, rapporteur pour avis de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire. Je tiens à remercier M. le rapporteur, ainsi que M. Dominique Potier et Mme Pascale Got avec lesquels j’ai pu, en tant que rapporteur pour avis, travailler de façon coordonnée.

Il est logique de saisir pour avis la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire sur une loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt. En effet, sur le plan de la production, l’agriculture et la forêt sont une magnifique illustration du développement durable et la partie du territoire qu’elles occupent constitue une composante imposante de l’aménagement du territoire.

Notre pays est une grande nation agricole et forestière : la recherche de la double performance, voire de la triple performance – si on ajoute la dimension sociale – en agriculture et la volonté de mettre en valeur la multifonctionnalité de la forêt illustrent bien la volonté de porter ces deux secteurs clés de notre économie au meilleur de leur performance économique, écologique et sociale. C’est cette triple performance qui définit en effet la compétitivité globale de ces deux secteurs dans le contexte européen et international.

Nous avons été sensibles à l’instauration, dans le Titre I, des GIEE, outils permettant d’atteindre la double performance économique et écologique. Nous avons examiné les clauses environnementales dans les baux avec une grande précaution : il faut préserver les relations entre le propriétaire et le preneur – c’est le volet social d’une préoccupation environnementale.

Au titre de l’aménagement du territoire, la commission a porté une attention particulière aux dispositions relatives aux structures. Elle proposera que, dans les différentes procédures concernant les espaces rural, naturel, forestier et urbain, la forêt soit prise en considération à égalité avec l’agriculture dans la lutte contre l’artificialisation des terres.

Le titre III est essentiel au regard des préoccupations de biodiversité, s’agissant notamment de la maîtrise des intrants en agriculture. La biodiversité doit en effet être considérée comme un potentiel et non un simple patrimoine à préserver.

La commission du développement durable ne s’est pas saisie du titre IV, relatif à l’enseignement et la recherche. Je tiens toutefois à souligner l’importance cardinale de ce titre pour l’avenir de l’agriculture et de la forêt.

Enfin, s’agissant du titre V relatif à la forêt, je veux évoquer la création du fonds stratégique, la reconnaissance de la fonctionnalité carbone de la forêt et l’introduction du débat public dans l’adoption des programmes nationaux et régionaux, ce qui permettra à nos concitoyens de mieux connaître les nécessités de la forêt, dont l’échelle de temps dépasse celle du quotidien. Il est nécessaire d’obtenir l’accord de nos concitoyens à la mise en valeur multifonctionnelle de la forêt publique et privée.

La commission du développement durable a adopté des amendements visant à accélérer la mobilisation de ces différentes ressources. Je tiens également à rappeler la création du compte d’investissement forestier et d’assurance dans le cadre du projet de loi de finances rectificative. L’ensemble de ces mesures construit une vraie stratégie pour la forêt.

La commission du développement durable et de l’aménagement du territoire s’est saisie avec passion de ce texte fondateur. Sur les quelque 200 amendements qu’elle a examinés, elle en a retenu soixante-neuf avant de délivrer un avis favorable au projet de loi.

Mme Pascale Got. Ce texte, comme la forêt, est multifonctionnel : il fixe les grandes orientations de la politique agricole, notamment en encourageant l’agro-écologie.

La France reste une grande nation agricole : son ambition en la matière doit se traduire aux plans international, européen et national.

L’ONU a fait de l’année 2014 celle de l’agriculture familiale afin de mettre en valeur son rôle économique et sanitaire – on dénombre 500 millions d’exploitations de par le monde.

Au plan européen, la nouvelle PAC favorisera l’environnement et l’emploi : vous y avez largement contribué, monsieur le ministre.

Quant au plan national, le projet de loi suit une logique similaire dans le cadre de la double performance économique et écologique.

Le livre préliminaire a le mérite d’inscrire dans la loi des objectifs en matière agricole et alimentaire, sans oublier la pêche maritime : dans le cadre du GIEE, vous avez raison de préférer à un système imposé un système ouvert qui encouragera l’initiative des agriculteurs en direction de nouvelles pratiques agricoles. Le groupe socialiste, républicain et citoyen présentera des amendements visant à renforcer davantage encore le rôle des agriculteurs.

Nous défendrons également, au titre II, des amendements relatifs à la protection des terres et au renouvellement des générations. La question foncière est centrale pour conserver aux terres leur usage agricole. À cette fin, il convient de lutter contre l’agrandissement sans fin des exploitations agricoles et de favoriser l’installation des jeunes agriculteurs. Il faut instaurer une véritable régulation du foncier afin de limiter l’emprise des objectifs purement financiers.

La valorisation des terroirs est une préoccupation majeure : l’agriculture française est également reconnue dans le monde entier pour ses spécialités territoriales, dont l’enjeu est primordial en termes d’attractivité économique et touristique, tout en concourant à la préservation de l’emploi. Le groupe SRC a donc souhaité rappeler l’importance des agriculteurs dans le dynamisme des territoires.

Il est vrai que le secteur agroalimentaire, qui est un moteur important de la croissance économique, a traversé une période difficile qui a fragilisé la confiance du consommateur : il faut donc le renforcer, dans le respect de la sécurité sanitaire. À cette fin, il convient de rester intraitable en matière de traçabilité des produits dans les différents réseaux commerciaux tout en encourageant la qualité des pratiques choisies par les agriculteurs.

La recherche de la qualité des produits est fonction de celle de l’enseignement agricole : l’Institut devra chercher à concilier les dimensions économique et écologique. Il devra refléter la transversalité de l’enseignement agricole, que le groupe SRC souhaite encore renforcer – il défendra des amendements en ce sens.

Les mesures du texte relatives à la forêt sont dans la ligne de celles qui ont déjà été adoptées en loi de finances rectificative. Elles confirment le rôle économique et environnemental de la forêt tant publique que privée dans le cadre de sa multifonctionnalité. Le rôle du bois et de la forêt dans la captation du dioxyde du carbone est reconnu d’intérêt général. Il conviendra de maintenir les ressources du fonds stratégique.

Le groupe SRC souhaite réaffirmer que le plan territorial est le plus pertinent et le plus cohérent, notamment outre-mer : les priorités ultramarines sont, comme en métropole, le foncier, l’installation des jeunes agriculteurs et l’approvisionnement local des marchés.

Je tiens à saluer la qualité du rapport d’information de Mme Chantal Berthelot, fait au nom de la délégation aux outre-mer, sur les agricultures des outre-mer : ses préconisations sont utiles. Le groupe SRC défendra des amendements visant à renforcer le titre VI.

M. Antoine Herth. S’agit-il bien d’une loi d’avenir ? La loi d’orientation agricole de 1999 traitait déjà des mêmes sujets que le présent texte. Au CTE correspond le GIEE, le contrôle des structures est abordé sous la même forme ou presque, au droit des conjoints répond aujourd’hui les mesures en faveur de l’installation, et le texte aborde, comme en 1999, la question de la Mutualité sociale agricole, celle de la composition du Conseil supérieur d’orientation ou encore celle de la sécurité des produits alimentaires, sans oublier la forêt, la formation. La seule différence tient dans le livre préliminaire, dont vous conviendrez de la dimension déclamatoire, et dans le titre VI, relatif à l’agriculture des outre-mer, sujet qui mérite à lui seul que nous nous réunissions ce soir, tant l’agriculture outre-mer a besoin d’être soutenue. Bref, exception faite de ce dernier point, en quinze ans le parti socialiste n’a rien imaginé de neuf sur l’agriculture.

Est-ce du reste une loi pour l’agriculture ? Rien n’est moins sûr. Le texte aggrave le poids de la réglementation et des charges alors que les agriculteurs souhaitent un allègement en la matière. À vos yeux, l’agriculture se traite à huis clos et il convient seulement d’assurer la bonne répartition du gâteau agricole. Je regrette d’autant plus cette approche que le texte est muet sur l’exportation, au moment où nos voisins européens regardent vers le grand large pour y prendre des parts de marché. Le texte ne dit rien sur la place de l’agriculture française dans le concert international.

Par ailleurs, où figurent les dispositions sur l’assurance des risques, que vous aviez promises dans le cadre du débat budgétaire sur l’agriculture ? Or le projet de loi ne prévoit de mettre, en la matière, aucun outil nouveau à la disposition du monde agricole.

Enfin, monsieur le président, vous rappelez-vous les propos qu’il vous est arrivé de tenir sur le recours aux ordonnances ? Je reviendrai sur le sujet en séance publique.

Le texte aborde, il est vrai, quelques vrais sujets, notamment en matière de régulation, où des besoins nouveaux se font sentir. C’est le cas de la contractualisation : les dispositions prises par le précédent gouvernement doivent être révisées afin de mettre un terme à certaines dérives ou de pallier les difficultés de mise en application. Nous pourrons nous retrouver sur ce point, comme sur celui du foncier : comme vous, monsieur le ministre, je constate sur le terrain des tensions considérables. Il convient toutefois d’observer que la façon dont vous avez décidé d’appliquer la réforme de la PAC est en partie responsable de ces tensions : la décision de surprimer les cinquante-deux premiers hectares a d’ores et déjà provoqué des mouvements spéculatifs sur le terrain. Attention aux conséquences de vos choix politiques !

Enfin, l’article 14 constitue une vraie rupture : la loi précédente ne valorisait pas autant que le présent texte le rôle de l’État en matière d’installation. Dorénavant, la politique d’installation relèvera de l’État, l’alinéa 4 précisant d’emblée : « L’État détermine le cadre réglementaire national de la politique d’installation et de transmission en agriculture ». Si une place est donnée aux régions, les organisations professionnelles sont dépouillées de leur rôle traditionnel dans l’accompagnement de l’installation. J’attends, monsieur le ministre, des explications sur le sujet.

Telle est la lecture que le groupe UMP fait du texte.

Mme Brigitte Allain. Après de nombreuses heures d’échanges et de travaux, les écologistes entrent à la fois confiants et déterminés dans l’examen de ce texte. Voilà enfin un projet de loi qui associe agriculture, alimentation et forêt et qui remet en perspective l’idée d’un lien entre les habitants d’un territoire, les élus et les agriculteurs, dans une préoccupation commune de l’orientation de l’usage des terres, de leur utilisation et de leur vocation de production alimentaire.

Pour les écologistes, l’ambition est forte et les actes qui seront posés pour renforcer le projet de loi doivent être réels.

Il s’agit d’atteindre, sur un territoire, le niveau de souveraineté
alimentaire. C’est inscrire l’agriculture dans une démarche humaniste. C’est, d’une
certaine façon, reconnaître ce droit à tous les peuples.

L’intégration dans les politiques publiques agricoles de l’agro-écologie réoriente
l’agriculture française vers un objectif de performance en termes de valeur ajoutée, d’emplois créés et de production de qualité.

Le portage collectif de cette dimension par les GIEE peut être un véritable outil de développement rural et permettra, grâce aux avancées notables réalisées en matière d’installation, d’en faire un enjeu de société pour le milieu rural sur tous les territoires, métropolitains, insulaires et ultramarins.

Pour les agriculteurs pionniers en agro-écologie, notamment au sein des organismes nationaux à vocation agricole et rurale (ONVAR), comme pour ceux qui souhaitent entrer dans des démarches de progrès, les GIEE doivent être l’occasion de transmettre et de partager les savoir-faire. Une gouvernance plurielle et une plus grande transparence, notamment dans les SAFER, les chambres d’agriculture et le contrôle des structures, permettront de donner réellement priorité à l’installation plutôt qu’à l’agrandissement et de favoriser les projets durables.

La préservation des terres agricoles est un sujet dont l’importance fait l’unanimité. Toutefois la question de l’accessibilité et de la répartition de ces terres reste entière. Monsieur le ministre, vous avez évoqué le droit de propriété : il ne faut pas l’opposer au droit d’exploiter. Or les outils proposés ne garantissent ni la diversité des projets ni la lutte contre l’agrandissement excessif. Je vous invite au colloque que j’organise le 19 décembre prochain à l’Assemblée et que vous nous ferez l’honneur de conclure : nous réfléchirons aux outils nécessaires et mettrons en valeur les capacités d’innovation des acteurs de terrains, qui préparent la transition des prochaines années.

Il manque à ce texte des cadrages, des objectifs chiffrés et une formulation explicite de la réponse à une demande sociétale. Dans le domaine de l’alimentaire, le groupe écologiste a déposé des amendements sur les circuits courts, la restauration collective et les produits fermiers ; je souhaite également appeler votre attention sur notre amendement
portant création d’un contrat alimentaire territorial. Notre proposition permettra
de concrétiser des dynamiques ascendantes d’acteurs, et de collectivités locales
souhaitant réfléchir collectivement et territorialement à un projet alimentaire en termes, par exemple, d’approvisionnement local, de restauration collective et d’installation d’agriculteurs dans un bassin de vie.

Nous tenterons également de faire évoluer le texte dans ses aspects énergétiques et écologiques afin, à la fois, d’adapter l’agriculture au changement climatique et de lutter contre celui-ci en rendant l’agriculture plus résiliente notamment par l’utilisation des semences de ferme et le recours à l’agriculture biologique. D’autres points seront également abordés, comme l’agro-foresterie, la multifonctionnalité de la forêt, l’encadrement de la méthanisation et le développement des énergies renouvelables, dont le bois énergie.

Le texte manque d’orientations et d’objectifs clairs en matière de diminution de la consommation des intrants chimiques, des carburants, de l’eau, des antibiotiques, des produits pharmaceutiques, des phytosanitaires et de l’azote – notre pays ne respecte toujours pas la directive européenne sur les nitrates de 1991. Ces enjeux sont importants et le projet de loi devrait davantage les prendre en considération.

Notre groupe a mené un travail sérieux et compte voir aboutir nombre de ses propositions.

Monsieur le ministre, au-delà d’une réforme de la formation des jeunes qui se préparent aux métiers de l’agriculture, ne pensez-vous pas qu’une politique ambitieuse, résolument tournée vers un développement durable de l’agriculture et le passage de l’agrochimie à l’agro-écologie, devrait mobiliser des moyens d’accompagnement et de mise en œuvre plus importants ?

M. Thierry Benoit. Ce projet de loi intervient à un moment charnière pour l’agriculture française. Il s’attache essentiellement à redéfinir le rôle imparti à l’agriculture dans les prochaines décennies. Certes, il est nécessaire de concilier la performance économique et la performance environnementale, et d’ouvrir davantage le monde agricole sur la société. Mais le groupe UDI souhaiterait que la notion de production soit rappelée avec davantage de force. En outre, ce texte n’est pas assez opérationnel : il en reste souvent au stade des concepts.

L’article 1er vise à redéfinir les missions dévolues à l’agriculture. Nous déplorons qu’il ne réaffirme pas suffisamment que l’agriculture constitue un secteur stratégique pour notre pays en matière d’emploi, d’équilibre de la balance commerciale et de relance de l’activité.

S’agissant de la réorganisation des filières, l’article 2 replace les régions au cœur de la gestion des crédits du Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER). Cependant, cette décentralisation doit aller de pair avec un maintien de la cohérence entre les politiques agricoles menées dans l’ensemble des régions.

La création des GIEE à l’article 3 est présentée comme la mesure phare de ce projet de loi. L’UDI a toujours soutenu l’idée qui sous-tend cette création : il doit être possible de concilier l’agriculture de production et l’agriculture durable, sans opposer l’une à l’autre. Mais cet article nous pose plusieurs difficultés. D’abord, le projet de loi se contente de poser les grands principes des GIEE, en renvoyant la définition de leur fonctionnement au pouvoir réglementaire. Nous souhaiterions avoir des précisions sur les modalités d’agrément, de reconnaissance et de sélection des projets concernés. Cet article doit donc être largement précisé pour que nous puissions nous prononcer sur son bien-fondé. En outre, nous souhaiterions que la majoration des aides destinées aux GIEE ne vampirise pas l’ensemble des aides qui pourraient être apportées à d’autres projets. Enfin, nous nous opposons à ce que les GIEE soient exemptés de l’obligation de commercialiser les céréales via un organisme stockeur. De l’avis des professionnels que nous avons rencontrés, cette mesure risque de déstabiliser le marché des céréales et pourrait avoir à terme de lourdes conséquences sur la maîtrise de la qualité sanitaire, la garantie de loyauté des transactions et la transparence des marchés.

L’article 4, qui prévoit l’extension des clauses environnementales à tous les baux, nous pose problème car il risque d’être un nid à contentieux entre bailleurs et preneurs.

Les dispositions prévues à l’article 5 en matière de transparence des GAEC vont plutôt dans le bon sens, mais elles ne répondent pas à la situation des autres exploitants associés au sein de sociétés, qui réclament un véritable statut professionnel.

Nous proposons que les coopératives agricoles évoquées à l’article 6 bénéficient du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE).

La réforme des interprofessions envisagée à l’article 8 risque d’avoir des conséquences sur le financement des actions de recherche, d’expérimentation, de promotion et de connaissance des marchés, indispensables pour l’avenir de nos productions et de nos filières. Nous présenterons des amendements qui visent à éviter tout blocage de leur fonctionnement, en prévoyant notamment un assouplissement de la réglementation en cas de refus avéré d’une ou plusieurs organisations syndicales de participer à leur gouvernance.

L’article 11 – qui prévoit une régionalisation de la politique agricole à travers les plans régionaux d’agriculture durable (PRAD) – et l’article 12 – qui vise à préserver les terres agricoles – ne nous posent pas de difficultés particulières.

Il était essentiel de revoir le rôle des SAFER, le contexte agricole actuel n’ayant plus rien à voir avec celui de leur création dans les années 1960. Nous aurions néanmoins pu aller plus loin dans la clarification et l’encadrement des critères de recours au droit de préemption, ainsi que dans l’appui que les SAFER doivent apporter aux projets d’aménagement dans nos territoires.

Le renouvellement de nos exploitations constitue l’enjeu majeur de l’agriculture de demain. À cet égard, l’article 14 contient des avancées positives, mais demeure insuffisant. Il conviendra notamment de garantir à tous les candidats à l’installation un accès équitable aux soutiens publics.

Les dispositions relatives à la performance sanitaire contenues dans le titre III appellent plusieurs remarques. D’abord, il est indispensable de restaurer la confiance entre l’ensemble des acteurs de l’alimentation, du producteur au consommateur. De plus, l’extension de la protection des lanceurs d’alerte aux cas de tromperie et de falsification alimentaire ne doit pas entraver le bon fonctionnement des entreprises. Il serait utile d’encadrer plus précisément ces dispositions. Enfin, il convient de revenir sur l’interdiction faite aux groupements d’éleveurs de délivrer à leurs adhérents les antibiotiques que leur a prescrits leur vétérinaire dans le cadre d’un programme sanitaire d’élevage (PSE). Cette remise en cause des PSE, qui permettent une amélioration constante du statut sanitaire collectif de l’élevage français, nous préoccupe au plus haut point.

Deux articles seulement sont consacrés à l’enseignement agricole. L’article 26 n’en contient pas moins des dispositions intéressantes, telles que la reconnaissance des acquis et des compétences permettant une acquisition progressive des diplômes. De même, il est essentiel d’ouvrir les portes et les fenêtres de l’enseignement agricole. À cet égard, l’élargissement des voies d’accès aux écoles d’agronomie constitue une mesure de bon sens.

Concernant la promotion de l’agro-écologie, nous souhaitons que l’enseignement agricole devienne le laboratoire de l’agriculture durable du XXIe siècle.

S’agissant de la politique forestière, la création d’un fonds stratégique de la forêt et du bois est une bonne chose, mais nous souhaiterions que ses moyens fassent l’objet d’une programmation pluriannuelle, afin qu’il ne soit pas soumis aux aléas budgétaires. Quant à la création des groupements d’intérêt économique et environnemental forestiers (GIEEF), ses modalités méritent là aussi d’être précisées.

En conclusion, l’agro-écologie ne saurait constituer le socle unique de notre politique de développement et de financement de l’agriculture. Du point de vue du groupe UDI, ce texte devra apporter des réponses aux professionnels de l’agriculture sur trois points : la compétitivité des exploitations ; la simplification normative, réglementaire et administrative – cette préoccupation, que vous avez faite vôtre, monsieur le ministre, doit être au cœur de ce projet de loi – ; les distorsions de concurrence en Europe, notamment sur la question des travailleurs détachés et sur l’indication de l’origine des viandes.

M. le ministre. Vous vous interrogez, monsieur Herth, sur l’existence de véritables changements depuis la loi de 1999 et vous avez notamment comparé les contrats territoriaux d’exploitation (CTE) et les GIEE. Les CTE étaient des contrats passés entre l’État et les agriculteurs sur des objectifs précis à atteindre en matière économique et environnementale. Ils étaient liés à l’octroi d’une aide, d’ailleurs supprimée par la majorité suivante avec la mise en place des contrats d’agriculture durable, lesquels n’ont eux-mêmes duré qu’un temps. Nous avons donc perdu tout le bénéfice des CTE. Certes, il y a une continuité logique, que nous assumons : nous pensons possible de combiner les enjeux de production et de compétitivité – qui sont d’ailleurs rappelés dans le préambule et l’article 1er – et les enjeux environnementaux. Mais nous changeons d’échelle et d’approche avec les GIEE : c’est un instrument beaucoup plus souple et ouvert, qui n’est pas directement lié à l’octroi d’une aide pour atteindre des objectifs précis sur une exploitation donnée. Les GIEE reposent sur l’idée que la dynamique collective est le meilleur moyen d’améliorer les performances économiques et environnementales. J’en ai été le témoin lorsque j’ai visité, en Ardèche, le groupement d’intérêt économique (GIE) « Développement de l’agriculture durable »: les cinquante-deux chefs d’exploitation qui le composent définissent leurs priorités en commun et portent un même projet, et c’est cette dynamique collective qui leur permet de rompre l’isolement dont certains d’entre eux peuvent souffrir sur le plateau ardéchois.

La compétitivité revêt plusieurs dimensions : le coût ; l’innovation et la recherche ; l’innovation commerciale, en particulier la segmentation. S’agissant de cette dernière dimension, l’image de la France, la qualité de nos produits, les signes de qualité – appellation d’origine contrôlée (AOC), appellation d’origine protégée (AOP), indication géographique protégée (IGP) – jouent un rôle essentiel. À l’échelle mondiale, nous défendons l’idée d’un lien fort entre le produit agricole et le produit alimentaire, alors que d’autres pays ont davantage une logique de marques commerciales.

L’innovation et la recherche constituent un enjeu majeur. Elles sont au cœur du titre IV du projet de loi. À cet égard, je rejoins M. Benoit : l’enseignement agricole doit devenir un véritable laboratoire. Longtemps, il a seulement montré l’existant, que les exploitants copiaient – ce qui était positif –, mais il doit désormais anticiper sur l’avenir. Les lycées agricoles commencent d’ailleurs à le faire. C’est là aussi un vrai changement.

La compétitivité coût demeure, bien sûr, une dimension importante. S’agissant du coût de la main-d’œuvre, la question de l’instauration d’un SMIC à l’échelle européenne est posée. Pour ce qui est de l’Allemagne, l’accord de coalition entre la CDU et le SPD prévoit explicitement la création d’un SMIC horaire à 8,50 euros, alors que, dans les abattoirs allemands, certains salariés sont payés actuellement entre 3,20 et 3,50 euros de l’heure. C’est une avancée majeure.

D’autre part, les ministres européens du travail et de l’emploi viennent de trouver un accord – je m’en félicite – sur l’exécution de la directive relative au détachement des travailleurs. Les règles auparavant en vigueur permettaient aux abattoirs allemands d’embaucher jusqu’à 90 % de travailleurs détachés. En France, certains secteurs agricoles et industriels, notamment le BTP, avaient également recours à la directive. Désormais, les donneurs d’ordre seront solidairement responsables des conditions dans lesquelles leurs sous-traitants emploient des travailleurs détachés. En outre, chaque État membre sera libre de fixer la liste des documents que doivent fournir les entreprises ayant recours aux travailleurs détachés. C’est là aussi un pas important.

Quant au coût du capital, à la fiscalité et aux exonérations de charges sociales – notamment celles qui sont accordées en cas d’embauche de travailleurs occasionnels demandeurs d’emploi (TO-DE) –, nous en avons déjà débattu. Je rappelle néanmoins que le CICE s’applique à l’agriculture et à l’agroalimentaire, ce qui représente un allègement de 1,3 milliard d’euros pour l’ensemble du secteur. S’agissant des coopératives, la Commission européenne considère qu’elles ne peuvent pas bénéficier du CICE dans la mesure où elles n’acquittent pas d’impôt sur les sociétés : cela constituerait une aide prohibée. Nous devons donc continuer à travailler sur ce point.

Le présent projet de loi ne pouvait pas traiter tous les sujets que je viens d’aborder. Il se concentre sur l’agriculture à proprement parler, l’alimentation, l’enseignement agricole, la forêt et sur chacun de ces domaines dans les outre-mer. En revanche, les questions relatives à la production, à la fiscalité et à la consommation relèvent d’autres textes de loi.

Le paiement redistributif, c’est-à-dire la surprime accordée pour les cinquante-deux premiers hectares, vise non pas à encourager la spéculation foncière évoquée par M. Herth, mais à concentrer l’aide sur les exploitations qui emploient le plus de salariés. En France, le coût d’accès au foncier demeure largement inférieur à ce qu’il est dans d’autres pays européens, notamment en Allemagne, aux Pays-Bas ou au Danemark – je connais ainsi un agriculteur néerlandais qui a pu acquérir une exploitation de 80 hectares dans le Sud-Ouest et des quotas laitiers à hauteur de 360 000 litres pour le prix qu’il aurait dû payer, dans son pays, pour obtenir les seuls quotas laitiers. Nous devons donc préserver cet élément de compétitivité. D’où les mesures que nous avons prévues dans le projet de loi pour lutter contre l’artificialisation des terres.

Beaucoup d’entre vous, notamment le rapporteur et Mme Allain, ont rappelé les objectifs et les enjeux du projet de loi. Pour la première fois, un texte consacre la double performance, économique et environnementale. Le groupe écologiste souhaiterait certainement aller plus loin mais nous avons cherché à ménager un équilibre. Nous veillerons d’ailleurs à cet équilibre s’agissant de la simplification des procédures d’enregistrement pour les installations classées, sur lesquelles nous avons trouvé un accord avec la profession agricole, en lien avec le ministère de l’écologie.

D’une manière générale, je suis convaincu que le développement de l’agro-écologie constituera un élément de compétitivité très important pour l’agriculture française. J’ai récemment visité l’entreprise Goëmar à Saint-Malo, spécialisée dans le domaine du biocontrôle. Les grandes industries chimiques – BASF, DuPont, Syngenta – sont de plus en plus présentes dans ce domaine. Nous devons créer une grande industrie française du biocontrôle, en ouvrant une perspective aux quelque soixante-dix PME du secteur grâce à l’agro-écologie. Ces PME enregistrent une croissance de 5 à 6 % par an et emploient de jeunes chercheurs qui préparent l’avenir.

De même, les fabricants français de machines agricoles anticipent le développement de l’agro-écologie et mettent au point de nouveaux engins : enjambeur électrique pour la viticulture ; tracteur à hydrogène ou au méthane ; sous-soleuse munie de semoirs permettant de semer simultanément plusieurs variétés sans labourage préalable. Ce sont là des progrès considérables. L’agro-écologie constitue donc aussi un enjeu pour le développement de nouvelles industries. Nous allons gagner ce pari : concilier l’économie et l’écologie. Ce projet de loi porte en germe les belles récoltes de demain !

M. Daniel Fasquelle. Je crains que ce projet de loi ne nous permette guère de renforcer le poids de l’agriculture française dans le monde, ni de retrouver notre première place en Europe. Ce n’est qu’un catalogue de bonnes intentions, qui manque d’ambition et n’est pas à la hauteur des attentes. En quoi ce texte mettra-t-il fin à la concurrence déloyale en Europe, principale préoccupation des agriculteurs aujourd’hui ? Il ne contient aucune disposition visant à lutter contre le dumping social ou fiscal. Quant aux mesures d’application de la directive relative au détachement des travailleurs, elles ne sont obligatoires que pour le secteur du BTP et ne régleront pas tous les problèmes : il restera toujours un écart de compétitivité lié au paiement des cotisations sociales dans le pays d’origine, que les entreprises françaises ne parviendront pas à combler. Enfin, le texte n’apporte pas non plus de réponse convaincante au déséquilibre des relations commerciales, qui inquiète lui aussi nos agriculteurs.

En matière de formation, vous faites de grandes déclarations, monsieur le ministre. Mais si vous étiez vraiment attaché à l’enseignement agricole, vous appelleriez votre collègue chargé du budget et lui demanderiez de renoncer à l’article 78 du PLF pour 2014, qui remet en cause les avantages fiscaux dont bénéficient les maisons familiales rurales (MFR) dans les zones de revitalisation rurale (ZRR). C’est très grave : cette mesure va déstabiliser le réseau des MFR, qui jouent pourtant un rôle très utile. En ce qui concerne la recherche, le texte est, là encore, vide. À l’instar des agriculteurs français, je suis très déçu par ce projet de loi.

M. le président François Brottes. À titre personnel, j’apprécie beaucoup le travail réalisé par les MFR.

M. le ministre. Faites preuve d’un peu d’objectivité, monsieur Fasquelle : en 2002, l’agriculture française occupait encore la première place en Europe ; en 2012, elle n’était plus que troisième. La perte de compétitivité est donc imputable aux majorités qui ont gouverné entre ces deux dates. Quant à la directive relative au détachement des travailleurs, heureusement que nous nous en occupons aujourd’hui, car vous n’avez rien fait en la matière ! Enfin, le SMIC européen que vous appelez de vos vœux sera instauré grâce aux sociaux-démocrates. Jamais il n’en a été question entre M. Sarkozy et Mme Merkel lors des sommets franco-allemands. Vos arguments sont donc dépourvus de fondement.

J’estime, comme le président Brottes, que les MFR jouent un rôle essentiel, tant sur le plan social que territorial. Nous devrions pouvoir trouver une réponse au problème que vous avez soulevé.

M. Dominique Potier. Comme l’a indiqué Mme Got, le groupe socialiste, républicain et citoyen approuve ce projet de loi dans ses grandes lignes. La plupart des amendements qu’il a déposés visent à renforcer le texte et à lui donner davantage de cohérence.

J’insiste sur le lien existant entre les trois notions qui sont au cœur des trois premiers titres du projet de loi : agro-écologie, emploi et régulation du foncier. Par le passé, les entreprises agricoles ont souvent amélioré leur compétitivité en agrandissant la taille des exploitations. Certaines filières se sont ainsi développées au détriment d’autres. Aujourd’hui, vous faites le pari, monsieur le ministre, que la compétitivité passe par un retour à l’agronomie et à des productions à plus forte valeur ajoutée. Ce développement de l’agro-écologie suppose la création d’emplois sur nos territoires. Or, pour que de nouvelles associations et entreprises agricoles puissent se former et que ces emplois soient effectivement créés, il convient de réguler le foncier. Néanmoins, entendons-nous bien sur la nature de cette régulation : il s’agit non pas d’interdire tout mouvement sur le marché foncier, mais d’organiser ce marché afin de favoriser l’installation des jeunes agriculteurs et l’émergence de l’agro-écologie.

Sur le terrain, les élus ruraux attachés à leur territoire, de droite comme de gauche, ainsi que la quasi-totalité des syndicalistes, aspirent à une agriculture à taille humaine, dont les acteurs demeurent des entreprises associatives ou coopératives qui maillent le territoire et produisent de la valeur ajoutée. Notre grande crainte, c’est que des phénomènes de financiarisation ne cassent cette logique, portant ainsi atteinte à la « marque France » et au développement de l’agro-écologie. C’est pourquoi nous voulons engager un dialogue avec vous, monsieur le ministre, sur la régulation du foncier.

M. le ministre. Ce message a été souvent répété et je l’ai parfaitement entendu. Comme je l’ai indiqué, nous devons trouver un équilibre entre la nécessité de renforcer le contrôle des structures et de mieux l’articuler avec le travail des SAFER, d’une part, et le respect du droit de propriété, d’autre part. Je comprends tout à fait que vous vous mobilisiez et que vous présentiez de nombreux amendements sur cette question. Je découvre d’ailleurs les contraintes imposées en la matière par l’article 40 de la Constitution. Le débat parlementaire devrait nous permettre de trouver des solutions qui ménagent l’équilibre que j’ai évoqué.

Je reviens sur la question de l’assurance contre les pertes de récolte : le projet de loi ne contient pas de dispositions dans ce domaine car il relève de la PAC. L’assurance récolte sera d’ailleurs transférée du premier au second pilier de la PAC. Un groupe de travail a été mis en place et fera des propositions sur la mutualisation du système d’assurance récolte au printemps ou au début de l’été. Nous aborderons donc à nouveau ce sujet.

M. Dino Cinieri. J’ai évoqué ce projet de loi avec de nombreux acteurs locaux. Il a suscité initialement beaucoup d’espoir, mais force est de constater aujourd’hui que la déception est grande, monsieur le ministre. Vous dites vouloir renforcer la compétitivité des filières. Cependant, ce texte, qui ne repose sur aucune vision économique de l’agriculture, ne permettra pas à notre pays de se moderniser, d’innover, de développer son activité et de gagner des parts de marché à l’étranger. Il ne contient aucune mesure concrète de nature à renforcer la compétitivité, alors qu’il s’agit d’un enjeu essentiel pour l’agriculture française.

En outre, nous sommes loin du « choc de simplification » que vous nous promettez sans cesse ! De nombreuses dispositions du texte vont compliquer considérablement le quotidien de la profession. Les agriculteurs, qui travaillent plus de soixante-dix heures par semaine, n’ont pas besoin, par exemple, d’une augmentation du nombre de déclarations ou d’une réforme du fonctionnement des interprofessions qui risque de bloquer la prise de décision. Les amendements que je présenterai visent donc à simplifier certains dispositifs.

D’autre part, vous voulez « repeindre l’agriculture en vert », en développant le concept d’agro-écologie et en imposant de nouvelles normes. Ce faisant, vous sous-entendez que les agriculteurs n’intègrent pas actuellement le développement durable dans leur activité. Cet a priori n’est pas conforme à la réalité et se révèle inutilement vexatoire pour nos concitoyens, qui sont soucieux de protéger notre planète. Je suis tout à fait favorable au concept d’agro-écologie. Les enjeux sont d’ailleurs considérables : il s’agit de maintenir les rendements – car il faudra nourrir 9 milliards d’habitants en 2050 – tout en respectant l’environnement. Il convient donc de concilier deux notions paradoxales en apparence : la productivité et l’écologie. Nous ne pourrons relever ce défi que par les innovations, au pluriel. En effet, il convient de tenir compte des réalités du terrain, et chaque exploitation présente des caractéristiques et des conditions pédoclimatiques propres.

Je regrette que ce projet de loi ne soit pas à la hauteur des enjeux. Depuis dix-huit mois, le Gouvernement et la majorité mettent à mal le secteur agricole : suppression de la TVA compétitivité que nous avions instaurée et qui aurait pu bénéficier à 94 % des entreprises du secteur ; baisse significative des crédits budgétaires en loi de finances – qui touche notamment les aides à l’installation, à la modernisation et au redressement des exploitations en difficulté – ; hausse des charges en raison de la réforme du dispositif TO-DE.

Certes, vous renforcez le rôle des SAFER, qui seront obligatoirement informées préalablement à toute cession de biens ou de droits mobiliers ou immobiliers à vocation agricole. Mais, toujours dans votre objectif de « verdissement » de l’agriculture, vous allez ouvrir leur conseil d’administration à tous les syndicats représentatifs à l’échelle régionale et à deux représentants d’associations de protection de l’environnement.

J’espère, monsieur le ministre, que vous accepterez nos amendements.

M. le ministre. Il n’est pas question de mettre à l’index les agriculteurs mais, au contraire, de leur donner les moyens de créer leur propre dynamique économique et écologique.

Quant au pluralisme syndical, il ne constitue pas une contrainte. D’ailleurs, il ne s’appliquera pas qu’en France : il s’agit d’une règle fixée dans le cadre de la réforme de la PAC, à laquelle nous aurions dû nous conformer de toute façon.

J’en viens aux aspects budgétaires. D’abord, le budget de la PAC a été largement préservé et la France bénéficiera d’un milliard d’euros supplémentaires au titre du second pilier. Tel n’aurait pas été le cas si nous en étions restés aux plafonds décidés par M. Sarkozy, M. Cameron et Mme Merkel. Nous avons bien fait de défendre la ligne qui a été la nôtre sur le budget de l’Union européenne. Si vous étiez restés au pouvoir, vous auriez été sérieusement chahutés par l’opposition !

Quant au budget national, mettez-vous d’accord entre vous : vous dénoncez à tour de rôle telle ou telle baisse de crédits, alors que le président de l’UMP estime indispensable de réaliser une économie globale de 130 milliards d’euros ! Pour notre part, nous avons veillé à ce que nos choix budgétaires soient neutres pour les agriculteurs : les diminutions de crédits dans le budget national ont été compensées par une hausse équivalente des fonds que notre pays reçoit au titre du budget européen.

En revanche, je suis heureux que vous partagiez l’objectif de développement de l’agro-écologie, monsieur Cinieri. Ce sera, j’en suis convaincu, un élément de compétitivité pour notre agriculture : si nous maintenons notre niveau de production – mon objectif n’est nullement de le faire baisser – tout en diminuant les intrants, c’est-à-dire les consommations intermédiaires, nous augmenterons nos marges.

Mme Chantal Berthelot. Mes collègues ultramarins et moi-même avons déposé plusieurs amendements afin de faire prendre conscience de la situation spécifique de l’agriculture dans les outre-mer. En particulier, nos jeunes agriculteurs s’installent souvent de manière tardive, en raison d’un processus administratif trop long. Certains ne parviennent pas à le faire avant leurs quarante ans et n’ont donc plus droit aux aides à l’installation.

D’autre part, selon le rapporteur, il ne peut y avoir de développement agricole sans les outils d’aménagement foncier que sont les SAFER. Or, deux collectivités territoriales d’outre-mer ne disposent pas de SAFER : la Guyane et Mayotte. J’avais déposé un amendement sur ce point, mais il a été déclaré irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution, car il crée une dépense potentielle pour l’État. Comment réguler le marché foncier et favoriser l’installation des jeunes agriculteurs sans opérateur adapté ?

M. le président François Brottes. L’article 40 vise les charges non seulement de l’État, mais de toutes les collectivités publiques, quelles qu’elles soient.

M. le ministre. À l’initiative du Gouvernement, un amendement a été adopté dans le cadre du PLF pour 2014 afin de répondre aux graves difficultés que connaît la chambre d’agriculture de Guyane.

S’agissant des SAFER, le président Brottes apportera demain des précisions sur la portée de l’article 40. En Guyane comme ailleurs, nous devons mettre en place des outils pour réguler le marché foncier et favoriser l’installation des jeunes agricultures. C’est une question technique que nous devons examiner ensemble.

Mme Michèle Bonneton. Bien que M. Herth ne semble pas s’en être aperçu, l’agro-écologie est une dimension nouvelle apportée par ce projet de loi. Cependant, je n’ai pas trouvé de définition précise de la notion d’agro-écologie dans le texte. Ne serait-il pas nécessaire de lui donner un contenu précis et de fixer des objectifs de performance, tant en matière économique et sociale qu’en termes de diminution de l’empreinte écologique ?

L’agriculture biologique est un mode de production reconnu avec un cahier des charges spécifique. On peut considérer qu’elle constitue un sous-ensemble bien particulier de l’agro-écologie. Ne conviendrait-il pas de réaffirmer que l’agriculture biologique est un mode de production d’avenir qui doit faire l’objet d’une attention particulière non seulement dans le cadre de la politique d’installation et de transmission, mais aussi en matière de recherche et de formation initiale et continue ?

La formation initiale et continue est fondamentale pour la transmission des savoirs, des savoir-faire et des acquis de l’expérience en agro-écologie. Ne serait-il pas nécessaire d’adopter un plan national pour structurer la réponse aux besoins de formation ?

La création de l’Institut agronomique et vétérinaire de France ne fait pas l’unanimité dans les milieux compétents. Ses objectifs n’apparaissent pas clairement. Le Conseil économique, social et environnemental a même jugé cette création « inopportune » et estime nécessaire de dresser au préalable le bilan de la structure actuelle, le Consortium national pour l’agriculture, l’alimentation, la santé animale et l’environnement (AGREENIUM). Ne serait-il pas préférable de surseoir à la création de l’Institut ?

M. le ministre. Nous sommes tous d’accord qu’il convient de développer l’agriculture biologique. À cet égard, nous avons lancé le plan Ambition Bio, doublé les moyens du compte d’affectation spéciale pour le développement agricole et rural (CASDAR) et amélioré le financement de l’Agence français pour le développement et la promotion de l’agriculture biologique (Agence Bio) afin de mieux structurer la transformation des produits biologiques.

Quant à l’agro-écologie, nous devons nous laisser une certaine marge de liberté dans la manière dont nous l’abordons. La première étape a été la remise, il y a six mois, du rapport de Mme Marion Guillou et de M. Hervé Guyomard sur le projet agro-écologique. Ce travail a permis de caractériser un certain nombre de modèles d’exploitation qui pourraient relever de l’agro-écologie. Sur cette base, nous menons une réflexion globale. Notre objectif est de mobiliser l’ensemble des outils à notre disposition : la recherche, l’enseignement, les agriculteurs eux-mêmes, les modes d’organisation, les moyens de diffusion des modèles agricoles, l’agronomie, le développement des filières, y compris industrielles. Nous déterminons ainsi progressivement le champ de l’agro-écologie. Ce n’est pas simplement une question de définition, de critères ou d’objectifs – que l’on n’atteint d’ailleurs pas toujours –, c’est avant tout une dynamique qu’il convient de créer sur le terrain. Les agriculteurs auront d’ailleurs intérêt à ce changement. Mon mot d’ordre n’est pas « L’écologie, ça suffit ! », mais « L’écologie, ça réveille ! »

M. le président François Brottes. Je crois utile de vous donner lecture de l’article 40 de la Constitution : « Les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique ». Son champ d’application est donc vaste. Il revient au président de la commission des finances d’apprécier la recevabilité des amendements à ce titre.

Mme Frédérique Massat. Je souhaite rassurer M. Fasquelle : la commission des finances est revenue sur l’article 78 du PLF pour 2014. C’est une bonne nouvelle pour les ZRR, qui reste néanmoins à confirmer en séance publique.

Je vous remercie, monsieur le président, d’avoir organisé plusieurs auditions et tables rondes qui nous ont permis d’échanger avec les professions agricoles et d’enrichir notre réflexion. Je remercie également le rapporteur, qui nous a étroitement associés à son travail, ainsi que le ministre et son cabinet, qui ont répondu à toutes nos demandes d’information.

J’ai, avec plusieurs collègues, déposé des amendements sur l’agriculture de montagne. Certains ont peut-être été déclarés irrecevables au titre de l’article 40 de la Constitution. Nous proposons notamment que, en zone de montagne, la surface minimum d’assujettissement puisse être inférieure non pas de 50, mais de 65 % à la surface minimum d’assujettissement nationale. Seriez-vous prêt à soutenir une telle mesure, monsieur le ministre ?

En outre, nous demandons que soit reconnue, à l’article 1er, la contribution de l’agriculture de montagne à l’aménagement du territoire, et qu’un représentant du Conseil national de la montagne siège au sein du CSO, afin que les réalités de l’agriculture de montagne soient mieux prises en compte. Nous souhaitons également que les établissements d’enseignement agricole proposent des formations biqualifiantes afin de favoriser la pluriactivité, qui n’est d’ailleurs pas propre aux zones de montagne. Enfin, nous voudrions que la prévention contre les risques naturels gravitaires soit reconnue d’intérêt général dans le code forestier.

Nous espérons que vous donnerez des avis favorables à nos amendements, monsieur le ministre.

M. le ministre. Il convient de préserver les zones de montagne et de tenir compte de leur spécificité. Nous allons examiner l’ensemble de ces amendements avec bienveillance.

M. Kléber Mesquida. Pour la première fois, avec ce texte, vous donnez la priorité à la jeunesse. Le renouvellement des générations est un enjeu majeur. Vous préconisez une politique d’installation rénovée et renforcée. Actuellement, les jeunes viticulteurs éprouvent de grandes difficultés à s’installer ou à reprendre des exploitations. Il faut cinq à six ans pour qu’une vigne nouvellement plantée produise. La viticulture française occupe la première place mondiale en termes de production et d’exportations – avec 7,8 milliards d’euros, le vin est le premier poste d’exportation du secteur agroalimentaire français. Je souhaite que nous adoptions des mesures incitatives, voire de portage foncier, afin de faciliter l’installation des jeunes viticulteurs et des repreneurs ou de leur permettre d’étendre leur exploitation lorsque celle-ci est trop petite pour leur assurer un revenu minimal.

D’autre part, dans le cadre de l’examen du projet de loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR), une proposition vise à autoriser la transformation de bâtiments agricoles à caractère patrimonial en logements, afin d’occuper l’espace et de permettre à certains agriculteurs ou viticulteurs de vivre à proximité de leur exploitation. Certains estiment qu’une telle mesure relève d’un projet de loi agricole. Pour ma part, je suis persuadé qu’elle relève bien du projet de loi ALUR. Quel est votre avis sur ce point, monsieur le ministre ?

M. le ministre. Nous devons bien réfléchir à la rurbanisation. Nous ne pouvons pas continuer à « miter » le territoire comme nous l’avons fait jusqu’à maintenant. Comme je l’ai rappelé en Conseil des ministres, dans trente ou quarante ans, la France comptera 10 millions d’habitants supplémentaires, c’est-à-dire l’équivalent de la région parisienne. Si nous ne prenons pas garde à la gestion de l’espace, notre consommation de terres agricoles remettra en cause nos capacités productives. Nous devons sortir de cette logique. Je proposerai une réunion avec les régions sur ce point.

Quant à la possibilité de transformer des bâtiments agricoles existants en logements à l’usage notamment des agriculteurs, pourquoi pas. Dans tous les cas, une telle mesure relève non pas du code rural, mais du code de l’urbanisme.

Mme Marie-Lou Marcel. Je me réjouis des avancées de ce texte : revalorisation de l’enseignement agricole, outil d’excellence et de promotion sociale, comme vous l’avez dit, monsieur le ministre ; définition d’une politique d’installation plus ambitieuse ; réaffirmation du soutien à la filière de l’élevage ; meilleure adaptation de la contractualisation aux filières ; rénovation de notre système coopératif ; introduction d’une clause de renégociation des contrats agricoles en cas de fluctuation importante du prix des matières premières – thème auquel j’avais consacré mon rapport pour avis lors de l’examen du PLF pour 2013.

Dans la mesure où le PRAD fixe les orientations de la politique agricole et agroalimentaire de l’État sur le territoire régional, il me semblerait pertinent de donner une dimension régionale à trois autres outils.

Ainsi, n’aurait-on pas pu envisager que les SAFER aient un périmètre d’action régional ? En outre, on reproche aux SAFER un certain manque de transparence. À cet égard, l’article 13 prévoit que le conseil d’administration des SAFER comprendra désormais trois collèges, dont l’un sera composé de représentants des collectivités territoriales. N’aurait-on pas pu aller plus loin en transformant les SAFER – qui sont actuellement des établissements à statut public – en entités mixtes ?

D’autre part, un Observatoire national de la consommation des espaces agricoles a été institué. N’aurait-on pas pu envisager la mise en place d’observatoires régionaux ?

Enfin, les schémas directeurs des structures agricoles sont actuellement définis au niveau départemental. Or les départements peuvent être très différents au sein d’une même région et chaque département ne correspond pas nécessairement à un bassin de vie ou à un espace cohérent du point de vue de la politique agricole. Ne serait-il pas plus pertinent de définir des schémas régionaux ?

M. le ministre. Le conseil d’administration des SAFER comprendra en effet trois collèges : le premier comportera des représentants de la profession agricole ; le deuxième des représentants des collectivités territoriales ; le troisième des représentants de l’État, des actionnaires et des associations de protection de l’environnement. C’est une évolution majeure de la gouvernance des SAFER, parallèle au renforcement de leur capacité d’action, notamment de leur droit de préemption. Elle vise à favoriser le débat au sein des SAFER, qui auront bien un périmètre d’action régional.

En matière de contrôle des structures, il sera désormais établi un schéma régional des exploitations agricoles. Notre objectif est de favoriser les installations et de limiter l’agrandissement des exploitations, comme l’a évoqué M. Potier.

La dimension régionale sera également prise en compte par l’Observatoire des espaces naturels, agricoles et forestiers et les commissions départementales de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers. Les avis de ces commissions feront désormais partie des documents soumis à enquête publique avec les plans locaux d’urbanisme (PLU) et les plans locaux d’urbanisme intercommunaux (PLUI). En outre, ces avis devront être obligatoirement suivis lorsqu’ils concernent une modification du PLU ou du PLUI ayant pour conséquence la réduction d’une zone AOP.

Enfin, je rappelle que toutes les mesures relevant de la PAC sont mises en œuvre au niveau régional.

Mme Annick Le Loch. La baisse du revenu est une préoccupation majeure des agriculteurs, notamment des éleveurs et des producteurs de lait. Les industriels, qui sont pour la plupart des coopératives agricoles, et les enseignes de la grande distribution ont tour à tour été montrés du doigt et accusés d’exercer une pression féroce sur les prix. L’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires vient de publier son troisième rapport. Son président, M. Chalmin, a déclaré : « Force est de constater que dans bien des filières, notamment animales, nous sommes arrivés aux limites du supportable. » Le projet de loi relatif à la consommation prévoit un renforcement des dispositions de la loi de modernisation de l’économie de 2008 pour tenter de rééquilibrer les relations entre les fournisseurs et les distributeurs : les contrats devront obligatoirement contenir une clause de renégociation en cas de fluctuation importante du prix des matières premières. Quant au présent projet de loi, il prévoit de renforcer le rôle du médiateur des contrats agricoles, qui deviendra le médiateur des relations commerciales agricoles. Comment assurer un juste revenu aux agriculteurs, en particulier aux éleveurs ?

D’autre part, les filières, notamment la filière laitière, sont-elles suffisamment structurées en organisations de producteurs et en associations d’organisations de producteurs ? Une telle structuration serait-elle de nature à changer les choses ?

M. le ministre. Le projet de loi relatif à la consommation vise à intégrer les coûts de production dans le champ des relations contractuelles. C’est un changement majeur. La loi de modernisation de l’économie visait au contraire à faire baisser les prix.

Il ne revient pas à l’État de fixer un prix ou un niveau de revenu, qui dépend de nombreux facteurs. Ce ne serait pas conforme aux règles de la concurrence. En revanche, avec ce projet de loi, nous renforçons le rôle du médiateur et donnons ainsi aux producteurs les moyens de se faire entendre et d’être soutenus dans leurs revendications. À défaut, ils étaient souvent obligés d’aller jusqu’au conflit. Je suis d’ailleurs bien placé pour le savoir : lors de la dernière crise du lait, j’ai réuni l’ensemble des acteurs autour de la table, puis j’ai nommé un médiateur, qui a proposé une augmentation du prix du lait de 25 euros pour mille litres. Cette hausse, qui satisfaisait les agriculteurs, a été acceptée par la grande distribution, mais il a fallu l’imposer aux industries de transformation et aux laiteries.

De plus, nous allons renforcer les règles en matière de contractualisation et ouvrir la possibilité aux agriculteurs d’intenter des actions de groupe lorsqu’ils estiment que la logique du contrat n’est pas respectée.

D’une manière générale, je suis d’accord avec le rapporteur et le président de l’Observatoire : la pression exercée sur les prix dans l’intérêt des consommateurs est telle qu’elle remet de plus en plus souvent en cause notre capacité à produire. Or importer n’est pas une solution. Il faut donc rétablir un équilibre en faveur des producteurs.

Nous assistons d’ailleurs à une prise de conscience de la grande distribution. Nous avons pu trouver certains accords avec elle, par exemple sur la création d’un logo « viande de France », conformément à l’engagement que j’avais pris lors du Salon de l’agriculture. Toutes les interprofessions ont également donné leur accord, et ce logo, qui reposera sur un cahier des charges précis, sera commun aux viandes bovine, porcine, ovine et de volaille. C’est un moyen de valoriser la production des agriculteurs français.

M. Jean Grellier. Je salue votre action, monsieur le ministre. Dans le cadre de la réforme de la PAC, vous avez rééquilibré les aides entre les filières de production et entre les territoires. Avec ce projet de loi, complémentaire de la politique européenne, vous développez une vision cohérente de l’avenir de l’agriculture, que nous partageons.

La création des GIEE est un des aspects novateurs du texte. Qu’en attendez-vous, en matière d’objectifs, de périmètre, de partenariats avec l’amont et l’aval de la filière agricole, voire avec les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) en matière de développement territorial ?

Quel bilan faites-vous de la contractualisation dans la filière laitière ? Quelles évolutions souhaitez-vous favoriser afin d’apaiser les craintes qui s’expriment sur le terrain, notamment celles des organisations de producteurs qui mènent actuellement une négociation difficile avec le groupe Lactalis ?

M. le ministre. Avec les GIEE, nous cherchons à créer des dynamiques collectives. J’ai cité l’exemple du GIE Développement de l’agriculture durable, en Ardèche : cinquante-deux exploitations couvrant au total 1 800 hectares se sont regroupées et mènent des projets de réduction des intrants, de développement de la méthanisation et de la cogénération ou encore de mécanisation du désherbage dans la viticulture. Une collectivité territoriale a d’ailleurs décidé de placer sa zone artisanale à proximité immédiate du méthaniseur du GIE. Ce sont là des projets d’envergure.

Les GIEE donneront aux agriculteurs les moyens de s’organiser collectivement. Nous ne les rendrons pas obligatoires car nous souhaitons que cet outil conserve sa souplesse. Il ouvrira de nombreuses possibilités : contractualisation avec les collectivités territoriales ; fixation d’objectifs économiques – volumes produits par exemple – et environnementaux – production d’énergie renouvelable, respect des mesures agro-environnementales ; organisation des relations avec les marchés urbains ou périurbains, par exemple pour fournir les cantines scolaires. Le GIEE sera un label, une reconnaissance donnée par le ministère de l’agriculture. Les exploitations faisant partie d’un GIEE pourront bénéficier de la majoration de certaines aides. Elles pourront pratiquer l’échange de semences.

La contractualisation a été généralisée par la loi de modernisation de l’agriculture de 2010. Cependant, cette démarche a présenté certaines faiblesses : les contrats étaient passés entre industriels et exploitants sur une base individuelle ; ils garantissaient davantage les volumes collectés que les prix. Nous devons donc organiser la contractualisation de manière différente, en donnant davantage de poids aux producteurs. Nous avons prévu trois mesures : introduction obligatoire d’une clause de renégociation en cas de fluctuation importante du prix des matières premières ; reconnaissance législative du médiateur et renforcement de son rôle ; possibilité pour les producteurs d’intenter des actions de groupe. L’esprit est le même que celui du GIEE : les agriculteurs pourront mieux se défendre s’ils s’organisent collectivement.

M. Frédéric Roig. L’assurance contre les pertes de récolte liées aux aléas climatiques ne garantit pas toujours le maintien du revenu. J’ai déposé un amendement afin de lancer un débat sur l’assurance du revenu agricole.

Afin de préserver l’agriculture tant périurbaine que rurale, il convient de renforcer les règles d’urbanisme, notamment dans le cadre des schémas de cohérence territoriale (SCOT). En outre, nous devons mieux organiser les échanges entre les bassins de production agricole et les villes, en privilégiant les circuits courts, notamment pour l’approvisionnement de la restauration collective.

Certaines filières agricoles, notamment l’oléiculture, ont développé des relations fructueuses avec les laboratoires de recherche médicale ou sur les cosmétiques. Les polyphénols antioxydants sont un bon exemple. Cependant, il conviendrait de mieux accompagner les filières pour les mettre en relation avec le monde de la recherche. Cela permettrait de créer de nouveaux débouchés pour l’agriculture, tout en valorisant les écosystèmes productifs et en préservant la biodiversité. Quel est votre point de vue sur cette question ?

Enfin, que pensez-vous du développement de la permaculture ? Cette perspective peut paraître lointaine, mais il convient de changer les mentalités pour faire évoluer notre modèle économique.

M. le ministre. Pour développer l’agro-écologie, nous devons repérer les modèles de production à la fois économes en intrants et performants économiquement – ils existent – et les diffuser. Ils sont généralement plus compliqués que le modèle conventionnel. Il s’agit de transmettre les connaissances et l’expérience acquises par les agriculteurs eux-mêmes.

À ce stade, peu de recherches sont d’ailleurs conduites sur les modèles existants. Grâce au plan Écophyto, nous sommes parvenus à réduire l’utilisation des produits phytosanitaires de 5,7 % – celle des pesticides et des herbicides a diminué de 11 %, alors que celle des fongicides a augmenté de 6 %, notamment dans la filière viticole qui en est une forte consommatrice, sans doute en raison de la vague d’humidité. Dans les fermes du réseau de démonstration, d’expérimentation et de production de références sur les systèmes économes en phytosanitaires (DEPHY), l’utilisation des produits phytosanitaires a été réduite de 50 % supplémentaires. Notre potentiel de progression est donc très important. Tout l’enjeu consiste à diffuser les bons modèles de production.

Actuellement, le soutien à l’assurance récolte est financé par le premier pilier de la PAC, à hauteur de 65 millions d’euros environ. Cette politique sera transférée au deuxième pilier, avec des crédits qui devraient atteindre 100 millions d’euros. Nous encourageons le développement d’assurances mutualisées : plus l’assiette des cotisations sera large, mieux les agriculteurs seront remboursés en cas d’aléas climatiques.

À ce stade, nous avons seulement commencé à développer les mécanismes d’assurance du revenu. En matière fiscale, la déduction pour aléas (DPA), qui a été réformée dans la loi de finances pour 2013, permet aux agriculteurs de déduire du revenu imposable une partie de leurs bénéfices pour constituer une provision qui leur permettra de faire face à des aléas, notamment climatiques. Cependant, si nous remplacions les aides à l’hectare de la PAC par des mécanismes d’assurance du revenu, ce serait un changement complet de politique. C’est ce qu’ont fait les Américains, mais ils se demandent s’ils ne sont pas allés trop loin en la matière, comme le montrent les débats sur le Farm Bill. En effet, ce système est très coûteux. En outre, il bute sur un aléa moral : puisque leur niveau de revenu est garanti – les assurances remboursent quoi qu’il arrive –, les agriculteurs ne prennent plus de mesures de prévention. La PAC évoluera probablement vers des mécanismes assurantiels ou de mutualisation des risques, mais en partie seulement. De plus, il conviendra de développer en parallèle une véritable politique de prévention.

M. Yves Daniel. Je salue le travail réalisé tant par le ministère de l’agriculture que par les parlementaires, qui ont déposé de nombreux amendements.

L’installation des jeunes agriculteurs – c’est-à-dire l’emploi – constitue, selon moi, la première des priorités. Avec d’autres collègues, j’ai déposé plusieurs amendements qui visent à empêcher les agrandissements réalisés au détriment des installations. Aujourd’hui, les terrains acquis pour un usage industriel – enfouissement, carrière, etc. – sont exemptés du droit de préemption des SAFER. Le délai dans lequel ces projets industriels doivent être réalisés a été ramené de cinq à trois ans. Mais il conviendrait, en sus, que ces projets soient suffisamment précis et que les documents d’urbanisme prévoient explicitement l’affectation des terrains à un tel usage. En outre, je m’interroge sur le bien-fondé de l’exemption des terrains bâtis qui ont perdu leur usage agricole depuis plus de cinq ans.

La politique de soutien au développement de l’agriculture biologique est très utile. Cependant, compte tenu des variations tant du prix de vente des produits biologiques que du prix d’achat des intrants, certaines exploitations passées à l’agriculture biologique reviennent à un mode de production conventionnel. Je souhaitais vous alerter sur ce point, monsieur le ministre.

Enfin, ne pourrait-on pas permettre aux EPCI de délimiter eux-mêmes les périmètres de protection des espaces agricoles et naturels périurbains ? Cette délimitation resterait soumise à l’accord du conseil général.

M. le ministre. S’agissant de l’agriculture biologique, nous devons veiller au maintien d’un équilibre entre les volumes produits et la capacité d’absorption du marché. Les agriculteurs pratiquant l’agriculture biologique doivent bénéficier de prix rémunérateurs, qui compensent la perte en volume par rapport à un mode de production conventionnel. À défaut, les exploitations risquent en effet de revenir à un tel mode de production. Cela commence d’ailleurs à se produire dans deux domaines où l’agriculture biologique s’est beaucoup développée : le lait et la viticulture.

Afin de mieux réguler le foncier et de favoriser l’installation des jeunes agriculteurs, nous réformons la gouvernance des SAFER, le contrôle des structures et les instruments de lutte contre l’artificialisation des terres. D’une manière générale, les phénomènes d’agrandissement dépendent de l’évolution de la productivité du travail. La taille des fermes a augmenté considérablement avec la mécanisation. Mais le développement de l’agro-écologie devrait contribuer à freiner ce processus : plus l’agriculture évoluera vers des modèles de production complexes, qui impliquent une maîtrise tant des connaissances et des techniques que du foncier et des écosystèmes, plus nous limiterons les phénomènes d’agrandissement, tout en maintenant la productivité à un niveau élevé. Je suis bien sûr disposé à examiner les nombreux amendements que vous avez déposés sur la régulation du foncier.

En conclusion, ce projet de loi ne réglera pas tous les problèmes, mais il ouvre des perspectives dans les domaines de l’agriculture, de l’alimentation, de l’enseignement agricole et de la forêt.

Je remercie le rapporteur, les rapporteurs pour avis, les représentants des groupes politiques, les administrateurs de l’Assemblée et les membres de mon cabinet, pour leur travail.

M. le président François Brottes. Je vous remercie, monsieur le ministre.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mardi 10 décembre 2013 à 22 heures

Présents. – Mme Brigitte Allain, Mme Delphine Batho, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Thierry Benoit, M. Yves Blein, Mme Michèle Bonneton, M. François Brottes, M. Dino Cinieri, Mme Corinne Erhel, M. Daniel Fasquelle, Mme Pascale Got, M. Jean Grellier, M. Antoine Herth, Mme Annick Le Loch, Mme Audrey Linkenheld, Mme Marie-Lou Marcel, Mme Frédérique Massat, M. Kléber Mesquida, M. Germinal Peiro, M. Hervé Pellois, M. Dominique Potier, M. Frédéric Roig, Mme Béatrice Santais, Mme Catherine Troallic, Mme Clotilde Valter, M. Fabrice Verdier

Excusés. - M. Jean-Claude Bouchet, M. Bernard Reynès

Assistaient également à la réunion. – Mme Chantal Berthelot, Mme Brigitte Bourguignon, M. Jean-Yves Caullet, M. Yves Daniel, M. Paul Molac