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Commission des affaires économiques

Mercredi 22 janvier 2014

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 52

Présidence de M. François Brottes Président

– Table ronde, ouverte à la presse : « la croissance par l’exemple » avec la participation d’Alain Brocq, président de Cristalens industrie, M. Nicolas Decayeux, président de Decayeux, M. Laurent Picard, directeur général de Bookeen et M. Jacques Tankéré, président de MDB Texinov

– Informations relatives à la commission

La commission a organisé une table ronde, ouverte à la presse : « la croissance par l’exemple » avec la participation d’Alain Brocq, président de Cristalens industrie, M. Nicolas Decayeux, président de Decayeux, M. Laurent Picard, directeur général de Bookeen et M. Jacques Tankéré, président de MDB Texinov.

M. le président François Brottes. Je vous remercie, messieurs, d’avoir accepté notre invitation. Je souhaitais que la Commission puisse rencontrer de véritables chefs d’entreprise de terrain, et des entrepreneurs qui réussissent dans un contexte économique qui reste difficile, en dépit de progrès incontestables, même s’ils ne sont pas toujours perçus par les entreprises, en matière de simplification, d’accès aux financements et de coûts du travail. Nous nous sommes efforcés, sur la base d’une proposition de la BPI, de faire un choix permettant de diversifier la région, l’activité et la taille de l’entreprise.

Nous aimerions vous entendre sur la situation de votre entreprise et sur vos perspectives. Notre souci est de mieux comprendre vos préoccupations afin que l’action publique soit pour vous une aide et non pas une entrave.

M. Laurent Picard, directeur-général de Bookeen. Je suis un des deux cofondateurs de la société française Booken. Cette société ne comptait en 2003, année de sa création, que ses deux fondateurs ; nous sommes aujourd’hui trente salariés, et notre chiffre d’affaires est passé de cent mille euros à quinze millions d’euros en dix ans, ce qui constitue une belle progression pour une PME.

Notre métier est la lecture numérique. Nous sommes les pionniers du livre électronique – également appelé liseuse – en Europe. Il s’agit d’un appareil dédié à la lecture, qui permet, non seulement de lire confortablement en toutes circonstances et d’emporter sa bibliothèque avec soi, mais également d’acheter et de recevoir des ouvrages. En dix ans, nous avons développé tout l’écosystème de la lecture numérique : l’appareil d’abord, puis la librairie sur l’Internet, la synchronisation – processus qui permet de recevoir directement sur sa liseuse l’ouvrage commandé par téléphone –, des applications permettant de lire sur son téléphone ou sa tablette. Depuis ces dernières années, nous comptons parmi nos clients de grands groupes auxquels nous fournissons des modèles en marque blanche. Nous avons ainsi développé l’intégralité de l’offre de lecture numérique – librairie sur l’Internet, les applications et les liseuses vendues en magasin – commercialisée par Carrefour.

Ce marché, qui n’était pas mûr en 1998, quand nous avons développé le premier appareil, et encore balbutiant en 2003, a pris son essor fin 2007. Amazon est notre concurrent numéro un, et le plus petit de nos concurrents est Sony. Étant sur ce marché les seuls acteurs ouest-européens à concevoir les appareils que nous vendons, nos concurrents sont nord-américains, japonais, canadiens, russes.

Ce secteur connaît une très forte croissance depuis 2007-2008 aux États-Unis et depuis deux ans en Europe, notamment en France. En dehors de la France, nous sommes présents essentiellement en Angleterre et en Allemagne, marchés traditionnels des entreprises françaises, mais également en Italie et en Espagne. Pour faire face cette croissance, nous avons d’abord bénéficié des prêts OSEO-ANVAR, qui nous ont permis d’embaucher. Nous avons dû affronter une première rupture de stocks en 2008, notre production ne suffisant pas à satisfaire l’intégralité de la demande. En conséquence, nous avons réalisé en 2009 une levée de fonds auprès d’un fonds d’investissement ISF créé par Turenne Capital, ce qui nous a permis d’accélérer notre rythme de fabrication, de mieux anticiper la demande et de livrer nos clients en temps et en heure sans connaître de rupture de stock. En parallèle, nous avons continué à travailler avec OSEO, puis avec la Banque publique d’investissement, la BPI, qui lui a succédé. Ces institutions ont parfaitement rempli leur rôle, en nous accordant un prêt participatif ou en se portant caution auprès des banques. L’essentiel de notre croissance a donc été assuré par l’autofinancement et a bénéficié du soutien des organismes d’État. La levée de fonds que nous avons réalisée, à la suite de laquelle le groupe Turenne Capital est entré au capital de notre société, nous a aidés à gérer cette croissance, jusqu’à atteindre le chiffre d’affaires qui est le nôtre aujourd’hui.

M. le président François Brottes. Disposiez-vous d’une fortune personnelle qui vous a permis d’aller sur ce marché ?

M. Laurent Picard. Pas du tout. En 2003, Booken était une SARL dotée d’un capital de 7 500 euros.

M. Alain Brocq, président de Cristalens Industrie. Je suis le fondateur et le président de Cristalens Industrie. Cette société par actions simplifiée, SAS, au capital de 3,5 millions euros, créée en 2006 à Lannion, est spécialisée dans la fabrication d’implants intra-oculaires destinés à la chirurgie de la cataracte et la chirurgie réfractive.

Je rappelle que la cataracte est la première cause de cécité dans le monde et qu’avec 750 000 opérations, la chirurgie de la cataracte est l’intervention la plus pratiquée en France. La pose d’un implant est le seul traitement. Découvert dans les années cinquante par un chirurgien anglais, il n’est pratiqué à grande échelle que depuis les années 80.

La chirurgie réfractive vise, quant à elle, à corriger les amétropies – myopie, hypermétropie, astigmatisme ou presbytie – soit par laser, soit par la pose d’implants multifocaux.

Actuellement ces interventions tendent à être le moins invasives possible et effectuées en ambulatoire. De ce point de vue, Cristalens présente l’avantage de fabriquer des produits dont l’implantation nécessite une incision minimale, inférieure à 1,8 millimètre. Nous en détenons l’exclusivité : aucun de nos concurrents, dont certains sont de grands groupes pharmaceutiques, ne propose un produit aussi performant. La concurrence de ces grands groupes – Novartis, Bausch et Lomb et bien d’autres – nous contraint certes à des investissements considérables dans le domaine du marketing, mais ceux-ci n’auraient pas suffi à assurer notre place sur un marché aussi concurrentiel si notre produit n’avait pas été aussi performant.

Actuellement, nous réalisons 57 % de notre chiffre d’affaires à l’export. En l’espace de deux ans, nous avons pénétré les marchés australien, coréen, vietnamien, iranien, algérien, marocain, chilien, argentin et brésilien. En Europe, nous sommes présents en Italie, en Suisse, en Allemagne, en Belgique, en Hollande, en Angleterre, en Bulgarie, en Pologne, en Ukraine et en Russie. Nous aurions pu vendre encore beaucoup plus d’implants l’an dernier si le rythme de fabrication avait suivi. Ce sont là les aléas habituels de la production.

Cristalens Industrie, qui comptait à l’origine trois collaborateurs, en compte aujourd’hui quarante-sept, dont huit cadres. Sur ces huit cadres, cinq travaillent dans notre département R&D, l’innovation incessante constituant une condition de la survie dans notre secteur d’activité. Alors que notre capital n’est que de 3,5 millions, nous avons pu consacrer cinq millions d’euros à la R&D, grâce à OSEO et à la loi TEPA.

Nous sommes les seuls en France à fabriquer des implants intra-oculaires, et les seuls au monde à proposer un implant dont la pose nécessite une incision aussi petite. Notre objectif pour les trois prochaines années est de renforcer nos parts de marché et de conquérir de nouveaux marchés afin d’atteindre le chiffre de un million d’implants vendus et de devenir ainsi la première entreprise européenne dans cette spécialité.

M. le président François Brottes. S’agissant de produits de santé, j’imagine que la réglementation est assez contraignante ?

M. Alain Brocq. La production d’implants intra-oculaires doit en effet respecter un certain nombre de normes : la norme ISO 9001, la norme ISO 13485, qui vise notamment à assurer la traçabilité de la configuration des dispositifs médicaux, mais aussi des normes environnementales, telle que la norme ISO 14001, ou des normes relatives à la santé et la sécurité au travail comme la norme ISO 18001. Le respect de ces normes nous permet de vendre nos produits partout, sauf aux États-Unis, où ils doivent recevoir l’agrément, très coûteux, de la Food and Drug Administration, la FDA.

M. Nicolas Decayeux, président de Decayeux. Decayeux est un groupe familial créé en 1872, qui emploie sept cents personnes : quatre cents en France, deux cents en Allemagne et entre quatre-vingts et cent personnes en Pologne. Outre ces sites de production, notre groupe est également implanté en Hongrie, en Pologne, en Bulgarie et en Angleterre, où nous disposons d’agences de distribution. Nous avons également ouvert un bureau à Hong Kong dans les années 80, initialement pour faire du sourcing en Chine et qui est aujourd’hui utilisé comme plateforme pour vendre nos produits.

La boîte aux lettres est un produit tout bête, que nous vendons sur deux types de marchés : celui des grandes surfaces de bricolage et celui du bâtiment. C’est parce que les marges sont faibles sur ce marché que notre groupe est obligé d’être innovant, tant dans les process de fabrication que dans l’organisation de sa production, via notamment le lean management ou le kanban, qui vise à réduire les stocks. C’est pourquoi, quand la crise éclate en 2008, je suis plutôt confiant. Notre groupe dispose de fonds propres suffisants pour attendre trois ans que la conjoncture se retourne, à condition que chacun se relève les manches.

Vous connaissez l’histoire : 2008 passe, puis 2009 et 2010 sans que la situation s’améliore. Là on s’interroge : comment faire face à un environnement économique devenu incompréhensible ? Il ne servirait à rien d’étendre notre gamme de produits, déjà fournie, si nous n’améliorons pas notre compréhension du marché. Nous sommes en pleine croissance, investissant quelque 2 millions d’euros par an. Malheureusement les banques ne suivent pas, comme souvent : elles refusent de financer nos opérations de moyen terme et peinent à financer nos LBO – Leveraged Buy Out.

C’est le contrat de développement participatif, le CDP, d’OSEO et ses obligations convertibles qui ont permis au groupe de surmonter la crise et de faire l’acquisition du numéro deux allemand de la boîte aux lettres – ce n’était pas négligeable ! –, le marché allemand ayant moins souffert de la crise que le marché français.

C’est aussi en misant énormément sur l’innovation que Decayeux parvient à faire face à la crise économique. Je trouvais en effet inacceptable que les grandes surfaces continuent à demander 25 % de bonifications de fin d’année pour distribuer nos produits à un moment où notre chiffre d’affaires chutait.

M. le président François Brottes. Les grandes surfaces se comportent encore ainsi ?

M. Nicolas Decayeux. Hier soir encore, mon responsable de trésorerie se plaignait du diktat d’une centrale d’achat qui exige une augmentation de la BFA de 15 % alors que notre chiffre d’affaires a baissé de 11 %. C’est que les conditions de négociation entre entreprises et distributeurs restent déséquilibrées : le pouvoir reste aux mains des réseaux de distribution. Il est extrêmement facile de « sourcer » aujourd’hui. Il y a deux ans, je suis allé voir la responsable d’une centrale d’achat pour plaider la cause de mon entreprise et des 450 salariés qu’elle emploie en Picardie ; je lui ai expliqué que je serais peut-être contraint de licencier si je perdais ce marché. Tout ce que la personne a trouvé à me répondre c’est « j’adore faire mes courses à Hong Kong ». Voilà quel est l’environnement économique, aussi choquant que cela soit !

C’est pour échapper à ce type de marché que nous avons innové, particulièrement en mettant en place des stratégies de captation du client, notamment via l’Internet, qui constitue une formidable opportunité de ce point de vue, ou de faire du business to consumer, afin d’atteindre directement le consommateur.

Nous développons une énergie considérable pour sauver notre industrie. Il n’y a pas que les services. Sur les 3 000 habitants de ma commune, j’en emploie 450, dont environ 300 ouvriers. Si notre usine ferme demain, il sera trop tard pour appeler Arnaud Montebourg. C’est à nous de trouver les solutions pour ne pas en arriver là et nous réussirons si vous continuez à nous aider. De ce point de vue, je pense que le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi n’est pas un mauvais dispositif, et les mesures qui sont annoncées semblent aussi aller dans le bon sens.

M. le président François Brottes. Votre témoignage est très éclairant quant aux relations entre la grande distribution et ses fournisseurs. Vous imaginez bien que le son de cloche est très différent du côté de la grande distribution, qui se décrit volontiers comme dépendante de ses fournisseurs.

M. Jacques Tankéré, président de MDB Texinov. Même si je ne suis pas persuadé que notre entreprise soit exemplaire, je vais essayer de vous expliquer qui nous sommes, quels sont les éléments clés de la stratégie menée par une entreprise industrielle pour créer des emplois, et de réfléchir avec vous aux interactions qu’elle entretient avec l’environnement économique. On ne saurait de ce point de vue sous-estimer l’importance des lois que vous votez.

Texinov est une PME située à la Tour du Pin, que j’ai reprise en 2005, après une carrière de cadre dans un grand groupe. Elle réalisait alors un chiffre d’affaires de cinq millions d’euros et employait une quarantaine de personnes ; son chiffre d’affaires est aujourd’hui de douze millions d’euros et elle emploie soixante-cinq personnes.

Notre domaine est celui des textiles dit techniques ou intelligents, et à l’origine notre entreprise est d’abord une équipe d’ingénieurs et de techniciens passionnés de technologie. Nous avons su développer également notre force de vente, puisque nous exportons 65 % de notre production en Europe de l’Est, en Russie, en Afrique, au Canada, en Australie depuis le mois d’août, et j’espère au Brésil dans quelques mois.

Nos deux sites de production en technologie maille jetée comptent en tout soixante-dix machines qui produisent vingt millions de mètres carrés par an.

Nous sommes les seuls fabricants français de géotextiles de renforcement à destination du génie civil. Il s’agit de textiles dont la résistance va de dix à près de deux cents tonnes par mètre linéaire, destinés à la construction d’infrastructures routières dans toutes les situations géologiques possibles. Dans cette spécialité, nous ne comptons que deux ou trois concurrents en Europe, et nous nous attachons à gagner de nouvelles parts de marché au niveau mondial. Ce secteur représente à peu près 60 % de notre chiffre d’affaires.

Nous produisons également des agrotextiles. En France et en Europe du Nord, nous sommes leader du marché du filet anti-insectes, qui permet de limiter l’usage de pesticides. Nous fabriquons également des écrans climatiques, afin de limiter la consommation d’énergie des serres, voire de leur permettre de récupérer – c’est en projet – de l’énergie à travers des écrans photovoltaïques.

Nous sommes également présents sur le marché des textiles médicaux, destinés à la réalisation de pansements ou d’implants. Nous produisons aussi des composites pour le transport ou le bâtiment.

Toutes ces productions ont pour point commun une technologie spécifique à fort potentiel d’innovation via l’introduction dans nos textiles de matières très variées – fibres optiques, fibres métalliques, etc. Nous réinvestissons 10 % de notre chiffre d’affaires dans la R&D, à laquelle se consacrent une dizaine de nos salariés. Cet investissement a été rendu possible par le soutien d’OSEO-ANVAR puis de la BPI, par le crédit impôt recherche, le CIR, et par notre participation à des projets européens.

Je voudrais maintenant vous exposer les facteurs de notre succès. Nous sommes une équipe de passionnés, et nous concevons des produits qui n’existent nulle part ailleurs. J’ose dire que nous sommes les meilleurs en Europe dans la technologie de la maille jetée. Cela suppose une équipe technique composée d’ouvriers, de techniciens, d’ingénieurs. Nous sommes sur des marchés porteurs. Tous les pays en développement ont besoin d’infrastructures. Les marchés agricoles se développent, en quantité comme en qualité, tout comme ceux du matériel médical, du transport et du bâtiment. Notre savoir-faire nous permet une production différenciée. Notre actionnariat est stable et industriel : je n’ai pas de banque à mon tour de table. Notre objectif n’est pas de distribuer des dividendes ; il est de développer l’entreprise et d’en assurer la pérennité en constituant des réserves qui nous permettent de supporter d’éventuelles turbulences.

Le triptyque innovation – 10 % de notre chiffre d’affaires –, export – 65 % –, investissement – 6 % du chiffre d’affaires – est évidemment un facteur clé de réussite.

Les mesures de soutien à l’innovation à destination des PME constituent bien sûr un facteur favorable, à condition de savoir les utiliser, et je vous félicite de les avoir votées. Les PME bénéficient également du soutien des régions et des départements. Ce soutien n’est pas seulement financier : ce sont aussi des échanges, des rencontres avec les politiques.

Je me permettrais cependant de pointer certains domaines dans lesquels il est urgent de progresser, même s’il y a quelques éléments qui vont dans le bon sens, et j’espère que vous continuerez à y travailler avec détermination.

La rentabilité des entreprises reste insuffisante. Avec une rentabilité située entre 4 et 8 %, je n’ai certes pas à me plaindre. Elle reste cependant insuffisante pour assurer les investissements nécessaires à notre développement, tant en France qu’à l’étranger, alors que nous en avons la capacité. Le poids de l’impôt et des taxes, la complexité administrative, celle du code du travail, je vous le dis sincèrement : parfois j’en ai assez. Tout ce qu’on a pu en dire est encore bien en deçà de la réalité. Certes un chef d’entreprise doit s’adapter à son environnement. Mais il faut savoir que ce n’est pas huit heures par jour que nous consacrons à notre entreprise, ce n’est pas dix : c’est douze ou quatorze heures, et cela six, voire six jours et demi par semaine. Ce n’est pas conciliable avec une vie de famille, même si c’est passionnant.

À mes débuts, en 1981, année des lois Auroux, le code du travail pesait cinq cents grammes : il pèse aujourd’hui 1,5 kg. Il éteint la passion, il étouffe l’excellence. De grâce comprenez-moi bien : mon propos n’a aucun caractère politique, c’est un pur et simple constat. C’est parce que j’aime mon pays, parce que je défends l’industrie que je vous demande d’aller beaucoup plus vite. À quand un « choc » de confiance dans nos métiers ? Quand sortira-t-on de cette conception archaïque du travail ? Je voudrais vous citer un de mes salariés qui, passionné par ce qu’il faisait, m’a dit : « Avant j’avais un travail ; maintenant j’ai un métier ». Je me souviens également d’une boutade de Laurent Fabius : alors qu’on l’interrogeait il y a quelques années sur les trente-cinq heures, il avait dit être très étonné de l’énergie déployée par une personne travaillant deux fois trente-cinq heures pour mettre en place les trente-cinq heures ! Je vous pose la question, mesdames, messieurs : pourriez-vous accomplir votre tâche avec passion en comptant le temps que vous y consacrez ?

J’irai plus loin : ce fardeau des trente-cinq heures est antidémocratique en ce qu’il interdit l’excellence. Imagine-t-on un virtuose qui compterait le temps qu’il passe à faire ses gammes ou à répéter ses morceaux ? Je finirai par une dernière anecdote. Mon épouse enseignante déplorait un jour que ses élèves ne progressent pas faute de travailler en dehors de la trentaine d’heures de cours obligatoires. Pourquoi veux-tu qu’ils travaillent plus que leurs parents, lui ai-je répondu ?

J’espère que vous me pardonnerez de m’être laissé aller à ces quelques réflexions de bon sens. Je crois que tous nos témoignages ont montré que la France a de l’avenir, pourvu qu’on arrive à susciter un choc de confiance dans nos métiers.

M. le président François Brottes. Les parlementaires remplissent une mission – avec passion, certes – et perçoivent à ce titre une indemnité et non un salaire. Ce n’est pas un métier.

M. Jean Grellier. Par les temps qui courent, cela fait du bien d’entendre que notre pays a encore un avenir industriel, qu’il est capable d’innover et de créer, en dépit de blocages sur lesquels il faut sans doute continuer à travailler.

Je voudrais vous entendre plus particulièrement sur deux dispositifs mis en place ces dernières années pour développer notre industrie. Vos entreprises sont-elles concernées par les comités stratégiques de filière mis en place par le conseil national de l’industrie ? Quel est l’impact sur vos secteurs d’activité de la mise en place des trente-quatre grands plans industriels mis en place par le Gouvernement et animés par des chefs d’entreprise ? L’articulation entre les dispositifs de soutien public à l’investissement des PME et les financements bancaires est-elle suffisante ? Que faut-il faire, notamment dans le domaine des relations entre entreprises et universités, pour que vous puissiez trouver sur le marché de l’emploi les qualifications nécessaires au développement de vos entreprises ?

M. Dino Cinieri. Les dirigeants d’entreprises membres du collectif des Dupés proposent vingt et une mesures de bon sens permettant la création de 300 000 emplois. Avez-vous eu connaissance de ce manifeste ? S’ils estiment que l’annonce par le Président de la République de la suppression de la part patronale des cotisations familiales et d’une baisse de quinze milliards d’euros des charges pesant sur le travail en 2014 est une bonne nouvelle, ils sont sceptiques quant à la réalisation annoncée d’une cinquantaine de milliards d’euros d’économies budgétaire entre 2015 et 2017. Ils jugent également indispensable un toilettage du code du travail. Quel est votre sentiment sur ce point ?

M. André Chassaigne. Un point qui ressort très fortement de vos passionnantes interventions, c’est le lien très fort qui existe entre vos entreprises et leur territoire, leurs salariés et les collectivités. Voulez-vous en dire un mot ?

Dans votre conquête de nouveaux marchés, chassez-vous en meute, dans une démarche collective au sein des filières ou des territoires, notamment des régions ? Vos entreprises bénéficient-elles de synergies avec les multinationales qui se trouvent sur vos territoires ?

Le soutien public à l’investissement constitue-t-il un levier pour les financements bancaires ou vient-il s’y substituer ?

Mme Michèle Bonneton. Pourriez-vous préciser quels services de l’État ont été les plus utiles au développement de votre entreprise, notamment à l’international ? Vous nous avez dit apprécier le CIR : en va-t-il de même pour le CICE ? Le fonctionnement de la BPI suscite des réserves, certains faisant état de difficultés à se faire comprendre de leurs interlocuteurs de la BPI, ou déplorant des taux plus élevés que ceux pratiqués par les banques commerciales : qu’en pensez-vous ? Pensez-vous, comme certains entrepreneurs, qu’il y a trop de normes ? Les chefs d’entreprises devraient-ils participer à leur élaboration ? Selon quelles modalités ? Souhaiteriez-vous des protections d’ordre commercial aux frontières de l’Union européenne ? Monsieur Decayeux, trouvez-vous en Allemagne des conditions plus favorables ? Il me semble qu’aucune de vos entreprises n’est cotée en bourse : cela vous paraît-il favorable à votre développement ?

Mme Jeanine Dubié. Avez-vous été associés à la mise en œuvre de la phase opérationnelle des trente-quatre plans industriels ? Auriez-vous pu développer votre entreprise si le CIR et le CICE n’avaient pas existé ? Quel est l’impact de ces dispositifs sur l’emploi et l’investissement ? Les mesures annoncées le 9 janvier par le Président de la République visant à la simplification administrative vous semblent-elles aller dans le bon sens ? Que préconisez-vous pour améliorer significativement l’environnement administratif et réglementaire des entreprises ? Êtes-vous confrontés à des problèmes de financement et d’accès aux crédits de trésorerie ? Si tel est le cas, que proposez-vous pour améliorer cet accès ?

M. Alain Marc. Qu’en est-il dans votre entreprise du vieux concept gaullien de participation ? Pouvez-vous prendre appui sur le réseau des écoles d’ingénieurs et des universités pour développer votre R&D ?

M. Damien Abad. Les PME se plaignent régulièrement de l’impossibilité d’accéder aux aides publiques à l’investissement. Avez-vous pu bénéficier du CICE et du CIR ? Quelles contreparties « mesurables et vérifiables » aux baisses de charges attendues dans le cadre du pacte de responsabilité pouvez-vous proposer ? Arrivez-vous à pénétrer des marchés réputés fermés, comme le marché chinois ?

Mme Frédérique Massat. Des outils tels qu’Ubifrance sont-ils une aide à l’export ? Quels dispositifs de soutien pourraient être développés dans ce domaine ? Que pensez-vous des mesures en faveur du développement du capital d’entreprise, notamment le mécanisme d’amortissement permettant de déduire sur cinq ans les investissements des résultats imposables, la réforme de la fiscalité des plus-values mobilières, la création d’un PEA dédié aux PME, ou encore la réforme de l’assurance-vie, qui permettra de participer directement au financement des PME et des entreprises de taille intermédiaire, les ETI ?

Monsieur Brocq, vous avez évoqué un projet de développement susceptible de vous permettre de conquérir de nouveaux marchés : avez-vous pu mesurer le nombre d’emplois qui seraient créés à cette occasion ?

M. le président François Brottes : Collaborez-vous avec les centres techniques industriels (CTI) ?

M. Jacques Tankéré. Les mesures qui se sont révélées les plus efficaces sont toutes les aides qui favorisent la mise en réseau, qu’il s’agisse de la R&D ou de l’export. Je veux souligner de ce point de vue l’importance des pôles de compétitivité, tout spécialement lorsque leur gouvernance est assurée par des chefs d’entreprise, comme c’est le cas de Techtera pour les textiles techniques. Ce type de structure a le mérite d’assurer un véritable pilotage des aides publiques qui leur assure une pleine efficacité dans le domaine de la R&D.

Je profite de l’opportunité que vous m’offrez pour vous demander de maintenir le budget de l’Institut français de l’habillement et du textile, l’IFTH, sans lequel l’industrie textile n’aurait pas d’avenir dans notre pays.

Nous essayons de prendre le temps de participer à des démarches collectives. Ainsi, je fais partie du comité de pilotage du plan industriel pour l’industrie textile et je suis membre du jury des projets de R&D structurants des pôles de compétitivité, les PSPC, financés par la BPI.

J’ai par ailleurs bénéficié trois fois des aides à la prospection commerciale à l’export de la COFACE. Elles se sont avérées si efficaces que j’en ai remboursé deux au bout d’un an.

Le CIR n’est pas sans intérêt et le CICE constitue une aide non négligeable. Avez-vous cependant conscience que vous demandez aux entreprises de faire l’avance de ces sommes à l’État ? Le CIR dont je bénéficie au titre de l’année 2012 ne m’a pas encore été crédité.

M. le président François Brottes. C’est le principe de l’annualité budgétaire.

M. Jacques Tankéré. En tout état de cause, c’est la raison pour laquelle nous préférons refuser les préfinancements de la BPI, d’autant qu’on nous demande de verser des intérêts dans le cas où elle nous fait l’avance du CICE ou du CIR.

M. le président François Brottes. Personne n’est obligé d’y avoir recours.

M. Jacques Tankéré. Il faut absolument accélérer la simplification administrative.

Étant donné enfin la volonté affichée par le Gouvernement de favoriser la réindustrialisation de notre pays, j’ai été extrêmement surpris qu’aucune des mesures annoncées ne soit spécifiquement ciblée sur l’industrie. Pourquoi diable continuer à distribuer le CICE à toutes les entreprises ?

M. Nicolas Decayeux. L’implantation de l’entreprise dans un terroir, dans mon cas à Feuquières-en-Vimeu, en Picardie, est essentielle. Or à force de fermer toutes les usines dans nos campagnes, nous ne trouvons plus de fournisseurs. En juillet, l’usine qui nous fournissait en tubes a fermé et j’ai été contraint de sourcer mes tubes en Pologne. On ne trouve plus de refendeurs d’acier. Traditionnellement le Vimeu comptait de nombreuses industries de fabrication de serrurerie ou de robinetterie. Aujourd’hui le Vimeu ne compte guère plus de trois entreprises familiales de plus de deux cents salariés.

J’adore mon pays et j’adore les gens avec qui je bosse. J’ai suivi les cours de l’école de mon village, avec mes ouvriers, et j’ai beaucoup de respect pour cette culture ouvrière qu’on est en train de détruire. Je vous en prie, faites quelque chose et arrêtez de nous stigmatiser : ne confondez pas les entrepreneurs avec les patrons voyous.

L’Allemagne compte beaucoup d’ETI comme la mienne alors qu’il y en a peu en France. L’industrie allemande bénéficie d’un esprit de coopération, de l’existence de filières et du respect de l’apprentissage : il n’y a rien de déshonorant à être un ouvrier, à la différence de ce qu’on croit en France.

Il faut renforcer les liens entre les entreprises et les universités. Notre entreprise travaille avec l’université de Compiègne à développer des moyens de communication innovants et nous essayons de travailler avec l’université d’Amiens : c’est encore difficile mais on sent que les esprits commencent à évoluer. Ouvrez-nous les écoles. En décembre, je suis allé en Chine pour visiter des universités : j’ai découvert que les universités chinoises ouvraient leurs laboratoires aux entreprises. J’ai même vu des chefs d’entreprise français travailler avec des universitaires chinois ! La Chine n’est plus le pays de la production à bas coût : elle est devenue un pays d’innovation et c’est le fruit d’une politique à long terme. C’est ce que vous devez voter : je ne parle pas de mesures à trois ans, mais de véritables « plans Marshall » en faveur des filières.

En matière d’investissement, je n’ai qu’à me féliciter de la BPI et de son prédécesseur OSEO, puisqu’ils nous ont permis de mener à bien notre acquisition en Allemagne. Il reste très difficile de trouver des financements : les banques restent absentes, en dépit de quelques progrès. Il est regrettable que les pouvoirs publics doivent se substituer à ces entreprises. En tant qu’entrepreneur, je prends des risques avec mon pognon, avec l’emploi de mes salariés ; il faudrait que les banques aussi fassent leur boulot.

Je ne suis pas concerné par les filières : je n’y ai jamais participé puisque je n’ai jamais été dans les « tuyaux ». L’esprit de notre groupe c’est plutôt « aide- toi, le ciel t’aidera ».

Les entreprises publiques ont le même objectif que les entreprises privées : survivre dans un monde concurrentiel, et à ce titre nous n’avons pas à attendre d’elles qu’elles nous aident. L’office d’HLM d’Abbeville ne va pas choisir tel fournisseur parce qu’il est d’Abbeville : il choisira le moins cher puisqu’il a un budget à gérer. J’ai perdu le marché des boîtes de la Poste, un marché de trois millions d’euros, au profit d’une entreprise polonaise. Un ouvrier polonais, c’est sept mille euros ; un ouvrier français, c’est trente-huit mille euros.

Tous ceux qui ont bénéficié du CIR ont été contrôlés par les services fiscaux. Nous avons dû prouver qu’il servait réellement à financer l’innovation, ce qui nous a pris un temps considérable. D’ailleurs nous ne l’avons pas redemandé. Le CICE en revanche nous a vraiment aidés, d’autant que son effet a été immédiat. Il faut dire que cette bouffée d’oxygène venait après une longue période où on n’avait pas cessé de charger la barque des entreprises. Il faut certes être solidaire avec les gens qui ne travaillent pas, mais il faut aussi aider les gens qui travaillent.

M. Alain Brocq. Je veux revenir sur le rôle du chef d’entreprise. Son principal souci est de trouver un marché porteur et d’inventer un produit adapté à ce dernier. Quelles que soient les aides proposées, sans ces deux éléments, vous allez droit dans le mur. Pour atteindre ces objectifs, il faut beaucoup de R&D.

Je ne partage pas l’avis de M. Tankéré sur les contreparties à la baisse des charges. L’objectif premier du chef d’entreprise n’est pas de créer de l’emploi mais de créer des richesses, susceptibles de maintenir en vie son entreprise.

Cristalens compte 48 salariés. Pour conquérir des marchés à l’export, nous ne pouvons pas continuer à embaucher ou à investir dans des machines, nous devons travailler sur les gains de productivité. Quand un concurrent américain propose un implant, même inférieur en qualité, à un prix moindre de 20 %, vous devez vous battre.

Le coût de la main-d’œuvre est ce qu’il est. Depuis que je suis en âge de comprendre, j’entends le même refrain sur le poids des charges. Nous ne pourrons pas faire la différence sur ce plan : il faut améliorer la productivité, ce qui suppose des inventions et du personnel. Seuls les volumes permettent d’engager du personnel.

Nous avons de grands projets à l’export. Mais ils ne se traduiront pas par des recrutements significatifs avant trois ou quatre ans. Quand un politique vient me dire : je vous aide à condition que vous m’apportiez la preuve que…je réponds non, je ne peux pas m’engager alors que j’ai suffisamment de soucis à gagner des parts de marché ; je préfère me débrouiller tout seul. Un tel discours n’est pas approprié. Cela ne marchera pas.

Notre préoccupation à tous ici est d’exister, d’avoir un produit adapté au moindre coût. C’est le volume de production qui crée les emplois.

En matière d’exportation, je dois reconnaître l’importance du réseau. Je pense aux grands groupes. À Lannion, Alcatel a toujours joué un rôle important en nous prêtant des locaux, en mettant à disposition des ingénieurs ou en nous présentant aux élus. De même, les écoles d’ingénieurs et les universités ou encore les CHU cherchent aujourd’hui à développer les liens avec l’industrie. Notre matière première n’aurait jamais été inventée sans le concours des écoles d’ingénieurs et des universités. Les échanges entre les PME et l’université, d’une part, et les grands groupes, d’autre part, sont indispensables, il faut les encourager.

Lorsque vous sollicitez la BPI et les banques, vous passez un test. Si votre projet tient la route et que vous faites preuve de dynamisme, les banques vous suivront. Elles ne sont pas masochistes. À mes débuts, j’ai plusieurs fois dû revoir ma copie parce que les banques n’étaient pas convaincues mais leurs réserves étaient fondées. J’entends trop souvent des chefs d’entreprise dire que les banques sont des imbéciles qui ne comprennent rien. Ce n’est pas vrai qu’elles refusent de prêter de l’argent.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Mais elles demandent des garanties ?

M. Alain Brocq. Est-ce choquant de demander des garanties à celui à qui vous prêtez de l’argent ? C’est la règle du jeu.

J’ai subi deux contrôles fiscaux à cause du crédit d’impôt recherche. J’ai eu l’impression d’être un voyou. La première fois, j’ai été choqué par la manière, non pas par le principe d’un contrôle de la bonne utilisation des fonds. La seconde fois, l’accueil fut plus réservé pour marquer notre incompréhension. Cette suspicion n’est pas normale. Elle agace les chefs d’entreprise.

M. le président François Brottes. Des consignes ont été données, me semble-t-il, pour que des assurances soient prises en amont afin d’éviter les inspections qui terrorisent tout le monde.

M. Alain Brocq. Nous croulons sous les normes sans toujours distinguer celles qui sont utiles et celles qui relèvent du principe de précaution. Dans notre domaine, les entreprises peuvent « autocertifier » le dispositif médical qu’elles ont inventé, elles sont inspectées ensuite.

Nous nous interrogeons parfois sur l’intérêt de certaines normes complètement dépassées, qui font perdre beaucoup de temps et d’argent sans aucune portée pratique. Cette inefficacité est liée à la présence au sein des organismes certificateurs de nombreux technocrates qui n’ont aucune connaissance du métier. Mais les entreprises ont aussi leur part de responsabilité car elles sont absentes des commissions. Nous faisons l’objet de quatre inspections par an. Trois ingénieurs qualité veillent au respect des normes.

M. Laurent Picard. Notre premier canal de vente est la librairie. Nous sommes principalement implantés en Europe mais nous sommes aussi présents en Russie et en Amérique du Sud. Nous fournissons Thalia, premier libraire allemand, Adlibris, premier libraire suédois, Carrefour au travers de 230 hypermarchés en France, le groupe Lagardère par le biais du réseau Relay et Feltrinelli en Italie. Nous sommes aussi distribués par les revendeurs d’électronique.

M. le président François Brottes. Vous n’êtes pas présents dans les grandes enseignes culturelles françaises ?

M. Laurent Picard. Les grandes enseignes françaises ont choisi de travailler avec l’un de nos concurrents américains. Mais ce choix comporte des risques : ces concurrents offrent sur un plateau une solution clé en main aux entreprises européennes mais celles-ci, en retour, leur font cadeaux de leurs clients. Avec ce modèle économique, elles scient la branche sur laquelle elles sont assises.

Aux États-Unis, Borders, deuxième chaîne de librairies, a sous-traité à Amazon son offre numérique. Amazon a siphonné la base de clients et Borders a dû fermer il y a deux ans des centaines de librairies. On peut citer en France l’exemple de Chapitre. La stratégie en Europe est à court terme, sur un ou deux ans, quand aux États-Unis elle est pensée sur dix ans.

OSEO a été d’une grande aide pour Bookeen. L’établissement nous a accordé les prêts que nos banques refusaient. En France, personne ne croit à votre business plan, aussi prometteur soit-il, si votre chiffre d’affaires initial est microscopique.

La BPI nous a aidés en cautionnant les prêts bancaires que nous avons finalement obtenus. Les banques ont joué leur rôle dès lors que nous avons fait nos preuves.

Le CIR a été très utile mais nous venons seulement de percevoir les fonds correspondant à 2012. Nous nous arrangeons avec cette anomalie à laquelle s’ajoutent les contrôles fiscaux. Nous ne comprenons pas la raison de ces tracasseries administratives. J’espère que cela va évoluer dans le bon sens.

Nous travaillons très bien avec Ubifrance grâce auquel nous avons installé un ingénieur en Chine et nous faisons de la prospection commerciale.

Nos entreprises ont en commun de devoir innover pour se différencier sur le marché mondial. Nous accordons une grande importance à la R&D. Nous faisons face à des grands groupes mondiaux qui disposent de ressources considérables. Booken compte 50 % d’ingénieurs et 90 % de contrats à durée indéterminée. L’excellence technologique française est reconnue dans le monde entier. Mais pour innover, nous sommes confrontés au problème de la flexibilité du travail.

Je rejoins mon collègue sur les 35 heures. Je constate un schisme dans la culture du travail entre les ingénieurs de 25 ans et ceux de 40. Pour ces derniers, le travail demeure un pilier de la vie. Les jeunes ingénieurs, qui sont arrivés sur le marché du travail avec les 35 heures, n’ont pas la même mentalité. Je dois leur faire comprendre qu’ils font partie d’une aventure. Ils font preuve d’une psychorigidité sur le temps de travail qui va à l’encontre de la dynamique de l’entreprise. En outre, les 35 heures n’ont pas eu d’effet sur la création d’emplois.

Certaines années, l’innovation réclame des investissements importants sur de nouveaux projets de R&D qui nécessitent d’embaucher. Mais, d’autres années, la voilure devra être réduite. Pour nous adapter, nous ne bénéficions pas de la même flexibilité que dans de nombreux pays. Il est beaucoup plus difficile de signer un CDI en France. Il faut en tenir compte dans la concurrence.

Dernière difficulté, l’investissement. Nous sommes passés de zéro à quinze millions d’euros de chiffre d’affaires, avec une seule levée de fonds de 1,5 million d’euros pour alimenter notre fonds de roulement. Nous avons réinvesti en dix ans presque tous les bénéfices. Cet autofinancement nous a permis d’embaucher mais le réinvestissement a ses limites. Nous savons que nous avons le potentiel pour réaliser 50 millions de chiffre d’affaires mais nous ne le ferons probablement pas car nous ne parvenons pas à trouver les investisseurs nécessaires pour nous accompagner. Il existe des fonds d’amorçage pour les start-up – nous en avons bénéficié en 2009 – et des fonds d’investissement pour les entreprises qui réalisent de très gros chiffres d’affaires. Mais entre les deux, vous ne trouvez pas les fonds de capital-risque désireux d’investir. Il y a vingt ans de décalage entre les États-Unis et l’Europe dans la culture du capital investissement. Nous sommes donc limités dans notre développement. Nous avons 10 000 idées, nous pourrions embaucher 30 ingénieurs mais nous n’avons pas les fonds pour le faire là où nos concurrents américains peuvent sans difficulté lever 50 ou 100 millions de dollars.

Il n’y a pas de culture de l’investissement. Les investisseurs rêvent de Google et de Facebook et n’acceptent pas d’envisager des business model différents. Notre entreprise combine hardware et software. Le premier constitue un handicap car les investisseurs ne croient pas au potentiel français dans ce domaine. Pourtant il existe de très belles sociétés comme Parrot. Nous sommes freinés pour nous développer sereinement.

Nous avons mis en place un plan de participation pour les années 2012, 2013 et 2014. Les salariés ont bénéficié d’un intéressement en 2012. Je l’utilise comme un outil de motivation des salariés. La participation favorise l’émulation. Les salariés sont partie prenante de l’aventure, y compris financièrement.

M. Alain Suguenot. Nous sommes loin des discours que tiennent certains sur les chefs d’entreprise. Nous sommes également loin des pactes et chocs en tous genres. Nous avons entendu vos réponses sur le pacte de responsabilité soulignant l’existence de deux mondes : celui dans lequel d’autres décident à votre place et celui de l’entreprise qui demande d’autres solutions.

Chaque instant travaillé crée de la richesse, c’est vrai. Le travail est le meilleur garant de la pérennité de notre système de protection sociale. Je retiens la distinction intéressante que vous avez faite entre droit du métier et droit du travail. La passion du métier, vous avez raison, manque parfois aux nouvelles générations.

Au sujet des ingénieurs, les entreprises sont de plus en plus nombreuses à créer leurs propres formations, parfois au profit de vos concurrents, car notre système n’est pas en adéquation avec les besoins spécifiques de l’industrie.

Le rapport de Louis Gallois, la Cour des comptes et le FMI font tous le constat d’une détérioration structurelle de l’économie française et de la disparition des PME sur le territoire. Partagez-vous ce diagnostic ?

Mme Marie-Noëlle Battistel. Je vous remercie d’avoir donné une belle image des entreprises dans notre pays. Je note plusieurs points communs dans votre réussite : l’importance de la R&D, le soutien de la BPI et l’utilisation du crédit d’impôt recherche. S’agissant de ces deux outils, comment l’accompagnement dont vous avez pointé les insuffisances pourrait être amélioré ?

Certains d’entre vous ont souligné l’intérêt du CICE. Pouvez-vous préciser ses effets sur la compétitivité et l’emploi dans votre entreprise ? Comment l’avez-vous utilisé ?

Monsieur Tankéré, vous avez fait un parallèle entre le parlementaire et le salarié aux 35 heures. Je fais la différence. En suggérant de réduire l’activité des parlementaires, je n’ose croire que vous aviez dans l’idée de créer d’autres emplois…

M. Jean-Charles Taugourdeau. Je comprends les difficultés évoquées par les quatre intervenants car je me situe des deux côtés de la barrière. Savez-vous que ma condition de chef d’entreprise m’a valu il y a quelques années d’être presque hué dans cette commission. À cet égard, monsieur le président, l’audition des députés chefs d’entreprise pourrait être utile car eux aussi ont des choses à dire.

Pensez-vous que le pacte de confiance peut être assorti de conditions ? N’y a-t-il pas une contradiction dans les termes ?

Quelle serait selon vous la mesure la plus urgente à prendre ?

Que vous inspire la jurisprudence L’Humanité, datée de la semaine dernière, qui permet à une entreprise, déjà bénéficiaire au titre des aides à la presse de 6 millions d’euros de fonds publics, de voir sa dette publique – 4 millions d’euros – effacée ? L’aide par numéro est trois plus importante que pour les autres titres. Les entreprises devraient s’en inspirer pour demander à l’État l’annulation de leur dette ou son report d’un an à l’instar de ce que fait celui-ci avec le crédit d’impôt.

M. le président François Brottes.  Pour les auditions de parlementaires, j’essaie d’éviter les conflits d’intérêt.

Mme Béatrice Santais. La traduction des livres en version numérique semble moins coûteuse et devrait donc intéresser davantage les auteurs. Quelles sont les perspectives de croissance dans ce domaine ?

M. Michel Lefait. Le modèle de Solow fait du progrès technique une variable exogène tandis que la croissance endogène repose sur quatre facteurs : les rendements d’échelle, la R&D, le capital humain et l’intervention judicieuse de l’État.

Si vous deviez n’en citer qu’une, quelle réforme prioritaire devrait être menée pour faciliter le développement des entreprises et promouvoir un modèle de croissance durable et novateur ?

Mme Jacqueline Maquet. Je vous remercie, M. Decayeux, pour votre témoignage. Le pacte de responsabilité repose sur un principe simple : la suppression des cotisations familiales et la réduction des contraintes pesant sur l’activité en contrepartie de la création d’emplois et d’un renforcement du dialogue social. Quel peut être son effet sur les embauches dans vos entreprises, et ce dès 2014 ?

Mme Marie-Lou Marcel. Je salue la qualité de vos interventions et des innovations portées par vos entreprises. Vous avez mentionné les divers outils mis en place – la BPI, le CICE ou le crédit d’impôt recherche – tout en soulignant la complexité de certains dispositifs. Partagez-vous la critique sur l’insuffisante réactivité de la BPI ?

Quel est votre avis sur le programme d’investissements d’avenir, les 34 plans industriels et les contrats de filière ?

Avez-vous eu recours au contrat de génération ?

M. Decayeux a décrit internet comme une menace. Pourquoi n’utilisez-vous pas internet comme un atout ? Pour quelle raison ne vendez-vous pas aux particuliers ?

M. Jean-Luc Laurent. Je salue l’heureuse initiative de cette table ronde. La dévalorisation de l’industrie et le déclin de la culture de l’entreprise ne datent pas d’aujourd’hui mais correspondent à un mouvement continu depuis la fin des Trente Glorieuses. Nous devons malheureusement prendre la mesure des difficultés auxquelles nous sommes confrontés.

Je tire un premier enseignement de vos interventions : il serait contre-productif de mettre en cause les entreprises ou la puissance publique. Nous devons trouver ensemble des solutions favorables au développement des entreprises en nous gardant de nous renvoyer la responsabilité des difficultés.

S’agissant du CICE, vous regrettez l’effet de report qui fait de l’entreprise le banquier de l’État. En tant que législateur, nous devons évaluer le dispositif qui a été mis en place. À cette fin, pouvez-vous préciser si vous avez sollicité le préfinancement de la BPI et pour quel montant ? Quelles difficultés rencontrez-vous ?

Quel est l’impact de l’euro cher pour vos activités ? Quelles autres protections pourraient être mises en place pour accompagner les entreprises dans la mondialisation ?

M. Philippe Kemel. Parce que vous dirigez des PME innovantes avec des marchés de niche, vous devez constamment être à l’offensive et observer la concurrence. Votre existence est par nature fragile. On comprend pourquoi vous devez être des chevau-légers dans l’économie mondiale.

Travaillant sur un rapport sur les investissements étrangers en France, j’observe combien la France s’oriente vers le choix de l’innovation et de la recherche comme avantage compétitif. Mais la population de la région dont je suis l’élu est très loin de ces activités et des entreprises. Le décrochage est fort, le chômage est élevé. Je me demande quand cette population retrouvera l’emploi et l’espérance. Nous, les élus, sommes responsables du contrat social. Celui-ci a un coût : ce sont les charges qui pèsent sur vous. Comment rendre compatible l’un et l’autre ? J’entends bien que l’économie monde est l’avenir. Mais ne devons-nous pas en quelque sorte gérer la transition ? Le marché de l’Union européenne peut-il en être l’occasion ?

En écho aux propos de mon collègue précédent, ne faut-il pas dresser des barrières douanières plus fortes aux frontières de l’Union européenne ? L’Europe ne devrait-elle pas porter une politique industrielle inspirée par la complémentarité plutôt que par la concurrence, qui permettrait aux entreprises de se développer et à la population de s’y raccrocher.

Mme Annick Le Loch. Je félicite les chefs d’entreprise présents ce matin pour leur activité et leur implication dans les territoires.

Vous soulignez l’importance de la qualité du produit, des innovations et du financement. Vous avez évoqué un autre élément essentiel, la confiance. On parle également beaucoup de pacte. Mais après vous avoir entendu, j’ai le sentiment que tout cela ne va pas suffire à relever le défi du chômage. Or, il en va de la cohésion de la société. Avec 4 millions de chômeurs, la société se fragilise. Si l’aide qu’on vous apporte, comme vous l’avez dit, ne permet pas de créer des emplois, comment peut-on demain réussir à réduire le chômage ?

Mme Anne Grommerch. Je vous remercie pour votre discours de vérité dont ressort un message clair : Laissez-nous travailler !

L’appellation « pacte de responsabilité » m’a choquée car elle laisse entendre que les chefs d’entreprise sont irresponsables et indifférents à la croissance de leur entreprise et à la création d’emplois. Ce discours est en décalage avec la réalité du terrain et les problèmes que vous évoquez avec justesse aujourd’hui.

S’agissant des difficultés de recrutement dans l’industrie, comment peut-on attirer des jeunes dans ces métiers qui sont pourvoyeurs d’emplois ? Il faut à la fois changer leur image et améliorer l’adéquation entre la formation et les besoins des entreprises.

Je cite l’exemple de ThyssenKrupp qui a créé son propre centre de formation faute de trouver les compétences nécessaires pour pourvoir les 200 emplois proposés.

Nous n’avons guère abordé la question des normes. Pourtant de nombreux marchés nous échappent parce que nous ne sommes pas protégés par des normes élaborées dans des comités européens dans lesquels les Allemands prédominent. Ils peuvent ainsi définir des normes correspondant à leurs entreprises. Comment y remédier ? Peut-on imaginer un crédit d’impôt normalisation pour inciter les entreprises à travailler sur ce sujet ? Que faire pour arrêter de perdre des marchés à cause des normes ? Êtes-vous confrontés à ce problème ?

À propos de l’Allemagne, je constate malheureusement – puisque je suis élue d’une région frontalière – que de nombreuses entreprises françaises passent de l’autre côté de la frontière à cause du coût du travail.

M. le président François Brottes. Nous pouvons considérer que nous avons tous la société et l’avenir de l’humanité en partage. Personne ne peut s’exonérer de sa responsabilité dans cette œuvre collective que nous accomplissons chacun à notre niveau.

J’ai choisi une fois élu député d’abandonner mes activités car je pense que le mélange des genres est compliqué à gérer.

Une dernière question : entreprises performantes et talentueuses, vous êtes des proies potentielles. Je ne parle pas des OPA sur lesquelles nous travaillons puisque vos entreprises ne sont pas cotées en bourse. Nous avons vu nombre de PME familiales cédées à la suite de la trahison de l’un des membres de la famille ou absorbées par un vautour parce qu’un actionnaire cherchait un gain rapide sans se soucier de l’évolution de l’entreprise.

La France souffre de cette faiblesse culturelle : les PME qui réussissent sont absorbées voire délocalisées. Il n’y a pas de solution miracle sur le plan législatif mais cette préoccupation est partagée.

M. Laurent Picard. La compétitivité exige de se démarquer de la concurrence par l’innovation. Les filières technologiques existent. La formation des ingénieurs est de qualité. Mais, dans les domaines les plus porteurs, nous manquons de personnel qualifié. La faute en revient peut-être à l’orientation. L’inertie du milieu scolaire empêche d’anticiper les évolutions et de s’y adapter rapidement.

Compte tenu de l’état du tissu industriel français, la seule solution consiste à privilégier la qualité. On ne peut pas lutter avec le marché asiatique en raison de l’avantage comparatif que constitue la main-d’œuvre. Dans notre entreprise, la R&D est faite en France et la fabrication en Chine. Il en va de même pour nos concurrents. Tous les produits américains sont fabriqués en Chine. La conception industrielle, contrairement à la production, a encore sa place en France. Le salut de l’industrie française passe par des produits haut de gamme.

Les marchés fonctionnent comme des vases communicants. En Chine, les usines sont aujourd’hui délocalisées en quête d’une main-d’œuvre toujours meilleur marché. Mais ce phénomène trouvera ses limites : face à la demande de produits haut de gamme et l’élévation du niveau de vie des Chinois, peut-être les usines low cost seront-elles installées demain en Afrique. Les écarts de niveau de vie de la population mondiale vont se réduire. Peut-être la production industrielle généraliste reviendra-t-elle en France dans cinquante ans ? Mais aujourd’hui, les usines qui fabriquent des millions d’appareils se trouvent en Asie. On ne peut pas lutter contre cela. En revanche, nous devons développer en France les produits haut de gamme. L’Allemagne réussit bien mieux que nous parce que la culture et l’image de l’industrie y sont plus fortes. Il faut dire et répéter qu’il y a de belles usines en France.

Quant aux mesures urgentes à prendre, elles doivent certes porter sur le coût du travail mais j’insiste sur la flexibilité. Nous devons pouvoir embaucher plus facilement et réduire la voilure quand l’activité l’exige. Le droit du travail français est trop contraignant. On prend de trop grands risques pour l’entreprise en embauchant massivement lorsque cette dernière est en croissance.

La culture de l’entrepreneuriat évolue, et c’est heureux. La France compte de belles réussites, des chefs d’entreprise, partis de rien ou ayant repris une entreprise, qui connaissent de grands succès. Nous avons besoin d’entrepreneurs mais aussi que ceux-ci travaillent ensemble. En Allemagne, des concurrents sont capables de s’associer pour proposer une offre face à un produit américain alors que les Français évitent de travailler entre eux. C’est choquant. Nous nous privons d’armes que nos concurrents détiennent.

Je ne vois pas dans la protection renforcée du marché européen une solution. Nous combattons tous avec les mêmes armes en obéissant aux mêmes règles – les mêmes taxes s’appliquent pour les produits américains et européens. Je ne constate pas de distorsion de concurrence. Les difficultés que nous pouvons rencontrer sont liées à la classification douanière.

Je ne peux pas aujourd’hui me prononcer sur les annonces récentes du Président de la République en termes d’emplois. J’attends des précisions pour en mesurer les conséquences éventuelles pour mon entreprise.

M. le président François Brottes. Au sujet de l’environnement international, vous n’avez pas évoqué les questions de la stabilité politique, de l’évolution des normes sociales – ainsi des mouvements sociaux en Chine en faveur de l’augmentation des salaires –, et de la propriété industrielle.

M. Jacques Tankéré. Vous avez raison de souligner la fragilité de nos entreprises. Même si ces entreprises sont dynamiques, les remises en cause sont quotidiennes. Cette fragilité est liée à l’environnement. La dynamique, la volonté, les marchés et l’innovation sont là. Vous l’avez dit, le premier métier du chef d’entreprise consiste à se différencier de ses concurrents pour se faire une place sur le marché. Mais nous ne pouvons nous développer que dans un certain contexte. Le déclin de la culture industrielle, ces vingt dernières années, est à cet égard dramatique.

En tant qu’élus vous portez le contrat social, dites-vous. Mais, rassurez-vous, nous le faisons aussi, comme citoyens et comme représentants de l’élite économique. Il ne faut pas avoir peur de le dire même si le mot est devenu tabou. À cet égard, je regrette la faillite des élites françaises. Osons dire que nous avons un rôle à jouer. Un directeur d’école d’ingénieur m’avait accueilli en me disant « Vous avez le droit de faire des études pour servir votre pays ». Malheureusement, c’est un discours que je n’entends plus et que je n’ai jamais entendu de la part des dirigeants des écoles de commerce. La perte de la culture scientifique et industrielle commence lors de la formation. Je suis très inquiet.

Comment répondre à la question sur les réformes prioritaires ? Notre réponse doit être suffisamment audible pour que vous puissiez la mettre en œuvre rapidement. Face aux besoins, les choses semblent malheureusement avancer à un train de sénateur…

S’agissant des contreparties, contrairement à mon collègue, je pense que les entreprises peuvent prendre des engagements. Si la baisse des charges est réelle et accompagnée de mesures choc, les entreprises embaucheront vite. Nous avons pris l’habitude de ne pas investir suffisamment dans le capital humain. Or l’investissement humain est le plus long car le salarié parachève sa formation dans l’entreprise. Aujourd’hui, on embauche sous la contrainte. Il y a bien longtemps que l’on ne parle plus de gestion prévisionnelle. Je suis convaincu que si la rentabilité est de retour, les entreprises recruteront car elles savent que les emplois sont un facteur de croissance. Prenez donc le risque de baisser massivement les charges !

Comment financer cette baisse ? Limitons les importations ! Ne soyons pas les plus naïfs ! Les Européens, et les Français encore plus, font preuve de la plus grande naïveté sur le protectionnisme. Êtes-vous capables d’en finir avec les débats stériles et les chamailleries pour prendre des décisions ? La TVA me paraît une piste intéressante pour taxer les produits qui rentrent sur le marché européen puisque les fonctionnaires européens ont dans leur grande générosité ouvert grand les portes. En Russie, mes produits sont taxés à 25 %. En Inde, où je ne parviens pas à les vendre, ils sont taxés à près de 30 % alors que les taxes européennes sur ces mêmes produits ne dépassent pas 7 %. Le même problème se pose avec le Brésil. Faisons quelque chose ! La TVA est là pour ça !

De grâce, simplifiez le droit du travail, mais sans attendre ! Inutile de créer une énième commission. Vous pourriez fixer un objectif en kilos : le droit du travail pesait 500 grammes après les lois Auroux.

Votre remarque, madame la députée, m’a blessé. Mais arrêtons de plaisanter et de nous chamailler. Nous parlons de choses sérieuses. Ce sont les Français et les 4 millions de chômeurs qui sont concernés. Les citoyens attendent beaucoup de vous – même si les sondages disent le contraire – comme de nous. Allons-y !

Il faut enfin encourager le travail et éliminer les aberrations de l’indemnisation des chômeurs. Je peux vous citer plusieurs exemples flagrants. Vous connaissez certainement aussi des professionnels de l’indemnisation. Je suis, comme vous, attaché à la protection sociale. Il ne s’agit pas de la remettre en cause mais de la sauvegarder.

M. Alain Brocq. Sur le pacte de responsabilité, je reste persuadé qu’un chef d’entreprise n’embauche que s’il a un projet sérieux. La baisse des charges ne changera pas cette équation.

Il faut davantage de souplesse dans le droit du travail. Il ne me semble pas immoral de pouvoir dire à un futur collaborateur : « Je vous embauche pour développer telle idée et mener à bien le projet ; si celui-ci réussit, je vous embauche définitivement ; sinon je ne peux pas vous garder dans l’entreprise ». Alors que de nombreux jeunes souhaitent créer leur propre entreprise, des sociétés établies pourraient leur proposer de développer leur projet en leur sein. En engageant du personnel sans conditions, on risque de mettre en danger l’entreprise préexistante. Laissez aux entreprises la possibilité de se lâcher. Il faut donner des gages au personnel en cas de succès mais aussi pouvoir faire le tri dans les idées – et les idées à la noix peuvent être nombreuses, croyez-moi – sans hypothéquer l’avenir de l’entreprise.

Les chefs d’entreprise français ne sont pas assez impliqués dans l’élaboration des normes qui, on le sait, sont conçues pour protéger un pays ou un grand groupe. Nous devons donc nous investir davantage.

L’euro trop cher constitue évidemment une barrière terrible pour l’export. Pour en atténuer les effets négatifs, il faut, soit installer des unités de production dans les pays de main-d’œuvre à bas coût – ce qui n’est pas souhaitable pour la France –, soit gagner en productivité mais les entreprises doivent alors être capables d’investir dans leur outil de travail. Cristalens consacre deux millions d’euros à l’automatisation de sa production. Les gains de productivité permettront de gagner des parts de marché qui à leur tour justifieront des embauches. Les choses fonctionnent ainsi. C’est pourquoi, le pacte de confiance et sa réciprocité, j’y crois à moitié. Ce qui est sûr, c’est que les effets ne seront pas aussi rapides que vous l’espérez. Il y a d’abord un travail de fond à faire sur l’industrie.

M. le président François Brottes. Vous préférez la précarité à la baisse des charges. Mais le salarié est aussi un consommateur qui consomme si sa situation sociale et ses revenus lui donnent une certaine sérénité. Il ne faut pas opposer l’un à l’autre. L’équilibre est difficile à trouver car chacun suit sa propre logique. Pour que la société continue à avancer harmonieusement, la relation entre celui qui produit et celui qui consomme doit être fluide et durable. Vous l’avez dit, votre préférence va à la souplesse et à la flexibilité du droit du travail. C’est votre droit de le dire. J’observe que ce point de vue n’est pas partagé par vous tous.

M. Nicolas Decayeux. Un grand merci. Je suis très touché par votre invitation. Pour la première fois, je peux m’adresser à vous directement, sans passer par les permanents des chambres de commerce et d'industrie et des chambres syndicales qui parfois privilégient leurs propres intérêts en oubliant notre message.

Le premier sentiment du chef d’entreprise, c’est la solitude. J’enfonce là des portes ouvertes.

Si je devais formuler une demande, ce serait celle de nous donner du temps. Cette notion est très importante. Dans un environnement très instable et soumis à la pression d’internet, nous n’avons pas le temps de travailler et de financer des projets. J’y parviens malgré tout grâce aux fonds propres qui sont le fruit du travail de cinq générations. Je fais évidemment appel aux banques et à la BPI mais nous sommes jugés sur l’année en cours ou au mieux les deux années à venir. Sans un retour sur investissement rapide, les chances de trouver des fonds sont minces.

Le CICE nous permet de rester dans la course. Après des années de matraquage, il est bienvenu mais il n’est pas suffisant.

Internet pour un fabricant de boîte aux lettres, ce n’est pas évident. Face à la diminution du courrier, nous nous sommes diversifiés en proposant des cases à colis. En effet, nous ne vendons pas nos produits sur Internet car, en nous rapprochant des clients, nous risquons de perdre des référencements chez nos distributeurs. Ce n’est pas le cas d’une start-up.

Le coût de production d’une boîte aux lettres en tôle peinte est le même à Feuquières-en-Vimeu et en Chine. En revanche, une boîte en inox fabriquée en Chine est moins chère. Pour quelle raison ? Parce que le Gouvernement chinois subventionne les exportations de produits en inox. C’est inadmissible. On se fait désosser. La stratégie chinoise est claire : désindustrialiser les pays occidentaux dans un premier temps pour ensuite pouvoir vendre les produits chinois.

Pour attirer les jeunes, faites quelque chose pour la province ! Je ne parviens pas à recruter des cadres. Il est vrai que la dépression nerveuse vous guette lorsque vous vous installez à Abbeville, qui offre peu de ressources et où les commerces ferment à l’heure du déjeuner et le soir à 19 heures…Je suis picard donc je peux en parler. Soyons plus attrayants !

Face aux Allemands, nous sommes très mauvais dans l’élaboration des normes. L’idée d’un crédit d’impôt normalisation est à cet égard intéressante. Cinq employés se consacrent à cette tâche dans l’entreprise. Si vous ne défendez pas les référentiels français, vous êtes morts ! Les Allemands ont réussi à imposer leur norme DIN pour les boîtes aux lettres au niveau européen. Nous sommes parvenus à maintenir la référence française mais nous nous sommes battus seuls, en l’absence de La Poste et des pouvoirs publics. Il faut insuffler la culture du lobbying et de la normalisation.

Je connais bien le sujet des fusions et acquisitions pour avoir fait ce métier au début de ma carrière. Nous sommes une proie, c’est évident. D’autant que les Français ne sont pas habitués à transmettre. Lorsque j’ai racheté l’entreprise allemande, le patron a dû se justifier car il ne la transmettait pas à son fils. La transmission est difficile en France pour des raisons culturelles mais aussi à cause du poids des droits de succession et de la taxation des plus-values – en Suède ou en Finlande, la plus-value peut être déduite de l’impôt sur les sociétés. Mais si vous êtes passionné par votre métier et que vous avez été élevé dans l’esprit de transmettre, il y a de grandes chances pour que vous transmettiez l’entreprise. C’est difficile pour nous. Écoutez-nous et nous pourrons faire un bout de chemin ensemble !

Une dernière chose, je recommande la création de masters en innovation et en entrepreneuriat qui nous aideraient à cultiver nos valeurs.

M. le président François Brottes. Je crois savoir que des dispositions ont été prises pour faciliter la transmission familiale et en réduire le coût.

Je veux au nom de la commission vous remercier tous les quatre d’avoir pris de votre temps, qui est si précieux, et d’avoir joué le jeu d’un échange franc et direct. Nous vous souhaitons bon vent pour la suite.

Nous avons compris que vous n’avez pas demandé la suppression de la BPI, du CICE ou du crédit d'impôt recherche. Vous avez fait valoir que la hausse de la TVA peut être un moyen de limiter les importations. Et vous nous avez invités à être vigilants pour alléger les contraintes en matière de tracasseries administratives.

Je vous remercie pour ces témoignages qui n’étaient pas corsetés par quelque parole institutionnelle.

Je le dis à mes collègues, nous organiserons régulièrement ce type d’échanges car il importe que notre commission entende la parole directe de ceux qui créent l’emploi et l’activité dans ce pays, les entrepreneurs.

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Informations relatives à la commission

La commission a nommé M. Dominique Potier rapporteur pour avis sur le projet de loi d’orientation et de programmation relatif à la politique de développement et de solidarité internationale (n° 1627).

La commission a nommé M. Éric Straumann, en tant que co-rapporteur, et Mme Pascale Got, en tant que membre, de la mission d’évaluation et de contrôle (MEC) sur la fiscalité locale de l’hébergement touristique.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mercredi 22 janvier 2014 à 9 h 30

Présents. - M. Damien Abad, Mme Laurence Abeille, M. Frédéric Barbier, Mme Delphine Batho, Mme Marie-Noëlle Battistel, Mme Michèle Bonneton, M. François Brottes, M. André Chassaigne, M. Dino Cinieri, Mme Fanny Dombre Coste, Mme Jeanine Dubié, Mme Corinne Erhel, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Daniel Fasquelle, M. Franck Gilard, M. Georges Ginesta, M. Joël Giraud, M. Jean Grellier, Mme Anne Grommerch, M. Antoine Herth, M. Henri Jibrayel, M. Philippe Kemel, Mme Laure de La Raudière, M. Jean-Luc Laurent, M. Michel Lefait, Mme Annick Le Loch, M. Philippe Le Ray, Mme Jacqueline Maquet, M. Alain Marc, Mme Marie-Lou Marcel, Mme Frédérique Massat, M. Jean-Claude Mathis, M. Kléber Mesquida, M. Yannick Moreau, M. Germinal Peiro, M. Hervé Pellois, Mme Josette Pons, M. Dominique Potier, M. Patrice Prat, M. François Pupponi, M. Bernard Reynès, M. Franck Reynier, M. Frédéric Roig, Mme Béatrice Santais, M. François Sauvadet, M. Michel Sordi, M. Éric Straumann, M. Alain Suguenot, M. Jean-Charles Taugourdeau, M. Jean-Marie Tetart, Mme Catherine Troallic, Mme Clotilde Valter, M. Fabrice Verdier

Excusés. - M. Bruno Nestor Azerot, Mme Ericka Bareigts, M. Yves Blein, M. Jean-Claude Bouchet, Mme Pascale Got, M. Thierry Lazaro, M. Serge Letchimy, Mme Audrey Linkenheld, M. Lionel Tardy, M. Jean-Paul Tuaiva, Mme Catherine Vautrin

Assistait également à la réunion. - M. François Vannson