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Commission des affaires économiques

Mercredi 9 avril 2014

Séance de 21 heures

Compte rendu n° 67

Présidence de M. François Brottes Président
et de
Mme Valérie Rabault vice-présidente de la Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

– Audition, ouverte à la presse, commune avec la Commission des finances, de M. Arnaud Montebourg, ministre de l’Économie, du redressement productif et du numérique et Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État chargée du numérique, sur la vente de SFR

La commission a auditionné M. Arnaud Montebourg, ministre de l’Économie, du redressement productif et du numérique et Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État chargée du numérique, sur la vente de SFR, sur la vente de SFR.

M. le président François Brottes. Nous accueillons M. Arnaud Montebourg accompagné de Mme Axelle Lemaire, fraîchement nommée secrétaire d’État chargée du numérique, que je remercie de nous rejoindre pour participer à une audition consacrée à un sujet qui la concerne largement, puisqu’il est question des technologies de l’information.

Avant d’y venir, je laisse la parole à M. le ministre qui a une déclaration à faire concernant la proposition de loi du groupe socialiste facilitant le déploiement d’un réseau d’infrastructures de recharge de véhicules électriques sur l’espace public.

M. Arnaud Montebourg, ministre de l’économie, du redressement productif et du numérique. Le Gouvernement est favorable à ce que l’État, ou l’un de ses opérateurs, implante sur le domaine public les infrastructures nécessaires à la recharge des véhicules électriques ou hybrides rechargeables sans le versement d’une quelconque redevance. En conséquence, il lèvera le gage pour éviter tout problème de recevabilité.

M. le président François Brottes. Le 5 avril dernier, le conseil d’administration de Vivendi a décidé de céder SFR à Altice-Numéricable, décision qui ne prendra effet que dans plusieurs mois, neuf peut-être, puisque tel est le délai dont dispose l’Autorité de la concurrence pour se prononcer. Dans l’intervalle, on imagine bien le malaise éprouvé aussi bien par les opérateurs que par les salariés, les fournisseurs ou les clients. Maintenir l’incertitude aussi longtemps contribue à dégrader les relations sociales.

L’histoire commence quand est accordée une quatrième licence de téléphonie mobile selon la volonté de la majorité précédente. L’irruption d’un quatrième opérateur a fragilisé les équipementiers et le bilan de l’ouverture du marché n’est pas très bon – Corinne Erhel, qui travaille sur ce sujet, ne me démentira pas. Le président de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) ne partage pas forcément cette analyse, et c’est un problème qu’il faut poser.

Dans un tel contexte, les opérateurs ont cherché à nouer des alliances, la convergence les poussant à faire plusieurs métiers – téléphonie, transport de données, télévision… – sur un marché où la concurrence joue à l’échelle mondiale. L’issue actuelle de l’opération de cession de SFR n’est pas conforme à la position que vous avez prise dans le débat, monsieur le ministre. L’accord conclu est-il compatible avec le souhait partagé par la majorité et l’opposition de voir accéder l’ensemble des Français au très haut débit ? Le montage financier ne compromet-il pas les investissements nécessaires ? La survie de Bouygues Telecom ou de Free passe-t-elle forcément par leur mariage ? Aujourd’hui, les salariés sont inquiets en dépit de déclarations rassurantes ; les équipementiers aussi, je pense en particulier au fournisseur Alcatel. Quelle est la marge de manœuvre du Gouvernement ?

Mme Valérie Rabault, coprésidente. Je vous prie d’excuser le président Gilles Carrez, qui n’a pu se libérer. La commission des finances est intéressée par l’audition de ce soir à un double titre : d’une part, le soutien apporté par la Caisse des dépôts et consignations à l’un des acteurs, mais je laisserai le président du conseil de surveillance, M. Emmanuelli, s’en expliquer ; d’autre part, les aspects fiscaux liés à cette opération. Nous poserons ensuite des questions sur les ratios de levier et le niveau d’endettement après le rachat.

M. le ministre. Il est utile de rappeler le contexte en évolution rapide ces dernières années pour expliquer la position du Gouvernement.

L’arrivée d’un quatrième opérateur a eu le mérite de mettre fin à des situations de rente – auparavant, les trois opérateurs antérieurs avaient été condamnés pour entente – en enclenchant la baisse des prix. C’est une bonne chose, mais la concurrence excessive a abouti à une guerre des prix tous azimuts qui a déstabilisé le secteur dans son entier – les acteurs allant jusqu’à échanger des noms d’oiseaux par voie de presse. Elle a entraîné des plans sociaux, puis des délocalisations chez les sous-traitants, enfin des réductions de coût au point d’abandonner les investissements. Bref, le secteur était sinistré, même s’il était en forte croissance et aurait dû continuer à créer des emplois. La spirale déflationniste dans laquelle il est entré nous a privés de toute visibilité : nous ne pouvions plus compter sur les opérateurs pour continuer à équiper le pays. Ils n’étaient même pas en mesure de rémunérer leurs investissements dans la 4G. Le Gouvernement a donc demandé une paix des braves, conclue sous l’égide de l’Autorité de la concurrence, et un partage du territoire entre opérateurs pour endiguer une concurrence par les infrastructures coûteuse et destructrice. Mais la guerre a repris : 10 000 emplois détruits consécutivement aux plans sociaux chez SFR et Bouygues Telecom ; Alcatel a été touché également tout comme les services à la clientèle… Il est tout de même paradoxal qu’un secteur en croissance détruise de la valeur économique.

Très vite, le Premier ministre et moi-même nous sommes positionnés en expliquant à l’ARCEP que son exaltation messianique de la concurrence pouvait se révéler dévastatrice et son zèle à faire entrer un quatrième opérateur contraire aux intérêts des Français eux-mêmes. En conséquence, nous lui avons demandé de cesser de s’exprimer sur un terrain politique qui relevait de la responsabilité du Gouvernement.

Nous avons ensuite défini nos priorités, à savoir renforcer les opérateurs plutôt que les affaiblir, et les pousser à investir 30 milliards dans la fibre afin de mettre un terme à la fracture numérique et aux inégalités. D’un hameau à l’autre, d’une rue à l’autre, les propriétaires peuvent ou non vendre leur résidence à un bon prix en fonction de la couverture ADSL. Le coût marginal pour tirer le câble de cuivre et réaliser les nœuds de raccordement des abonnés en zone d’ombre (NRA-ZO) dépasse parfois plusieurs dizaines de milliers d’euros, bien au-delà des capacités d’un village ou même d’un département. Sans le renforcement des opérateurs, la fracture numérique a de beaux jours devant elle. Pourquoi sa réduction ne serait-elle pas financée par ceux-là même qui en tirent bénéfice ? Il n’y a pas de raison de socialiser les pertes et de privatiser les profits. C’est la raison de notre plan France très haut débit (FTHD) qui prévoit de couvrir 50 % de la population française en 2017 et 100 % en 2022, dont 80 % par la fibre à domicile. Or, si les opérateurs déclarent forfait, ce sont les contribuables qui devront payer un équipement qui serait rentable dans un cadre économique normal.

L’annonce de la vente de SFR à Numericable nous a donc inquiétés légitimement. L’opération ne procède à aucune consolidation puisqu’elle consiste en une alliance du fixe et du mobile, à nombre d’opérateurs inchangé. Ensuite, Numericable fait du câble ; or c’est la fibre que nous voulons privilégier pour les quarante ou cinquante ans qui viennent. Enfin, l’un des candidats avait une capacité d’endettement supérieure à l’autre. Or, j’ai l’expérience de sinistres industriels, consécutifs à des LBO – leverage buy out –, des rachats par endettement aux conditions excessivement spéculatives. L’offre de Bouygues Telecom était la plus solide financièrement, du fait de l’adossement au groupe. Numericable, ayant déjà fait l’objet d’un LBO, n’a que marginalement remboursé sa dette et il rachète une entreprise au chiffre d’affaires huit fois supérieur au sien, 10 milliards contre 1,3 milliard. Par ailleurs, SFR s’était engagé à investir dans la fibre, Bouygues également – 2 milliards dans les réseaux, dont 400 millions par an dans la fibre optique – et aussi à maintenir l’emploi en particulier en rapatriant les centres d’appel. Surtout, le nombre d’opérateurs, ramené à trois, aurait permis une consolidation du secteur.

À propos, pourquoi l’Europe risque-t-elle de devenir une colonie numérique des États-Unis ? Là-bas, deux ou trois opérateurs se partagent 300 millions de clients. En Chine, les industriels ne sont guère plus nombreux pour un marché de 800 millions de personnes. Avec plus de 120 opérateurs, le marché européen est balkanisé et, de ce fait, fragilisé. Voilà pourquoi le Gouvernement n’a pas hésité à prendre position. Et il s’interroge sur l’avenir de Free et Bouygues, s’ils ne fusionnent pas. Un Gouvernement, qui a la responsabilité de préparer l’avenir, notamment par des investissements judicieux, ne pouvait pas se désintéresser du sujet. Il avait toute légitimité à exprimer sa préférence, partagée d’ailleurs par des soutiens siégeant sur tous les bancs. Ainsi, Jean-Pierre Raffarin a dit le 6 avril dernier : « Je pense qu’Arnaud Montebourg avait raison puisque le dossier Bouygues pouvait présenter quelques avantages, comme l’a dit le patron de Force Ouvrière récemment ». Même les syndicats des télécoms ont souligné que le risque de perte d’emplois était plus grand dans un cas que dans l’autre.

Depuis que Vivendi a envisagé la vente de SFR, j’ai demandé à M. Bouygues et à M. Drahi de me donner des engagements. À ceux qui ont reproché au Gouvernement de se mêler d’une affaire purement privée, je rappelle que les opérateurs utilisent un bien public. En outre, l’État est actionnaire du principal d’entre eux. Le Gouvernement a donc de multiples intérêts à défendre. Et, pour la première fois, dans une bataille pour une fusion-acquisition, l’emploi, l’investissement et l’endettement sont devenus des questions centrales. J’ai d’ailleurs reçu de M. Drahi le 8 avril la lettre suivante : « Monsieur le ministre, à la suite de la décision du conseil de surveillance de Vivendi de retenir à l’unanimité l’offre d’Altice-Numéricable pour SFR, je souhaite vous confirmer mes engagements fermes dans le cadre de ce rapprochement.

« Point n° 1, l’emploi. Comme je vous l’ai indiqué au cours de nos entretiens, je m’engage à maintenir l’emploi dans le nouvel ensemble. Cet engagement s’appuie sur un projet industriel fort, longuement réfléchi, créateur de valeur pour le secteur des télécommunications en France : le rapprochement du premier réseau à très haut débit en fibre optique de France et d’un réseau mobile de dernière génération. SFR et Numericable sont deux entreprises parfaitement complémentaires, ADSL et téléphonie mobile d’un côté, fibre optique et télévision haute définition de l’autre. Tant sur le plan technologique que sur le plan commercial, il n’existe aucun doublon entre les activités poursuivies par chacune des deux entités qui constitueront le nouvel ensemble. Numericable emploie plus de 2 000 personnes et crée des emplois du fait de sa croissance ; SFR emploie environ 8 500 personnes. […] Il n’y aura aucune suppression d’emplois dans le rapprochement SFR-Numéricable, sous quelque forme que ce soit. Je me suis même engagé auprès de vous à recruter des ingénieurs commerciaux pour le marché des entreprises, que nous souhaitons fortement développer. Cet engagement a également été formalisé auprès de Vivendi et de SFR dans une lettre en date du 25 mars 2014. » Le Gouvernement veillera donc à ce qu’il n’y ait pas de plan social, ni de plan de départs volontaires, en se servant au besoin des moyens légaux.

« Point n° 2, les investissements dans le très haut débit. Numericable fournit les meilleurs débits disponibles aujourd’hui en France, avec la meilleure qualité de service, comme le prouvent les enquêtes de l’ARCEP qui nous placent numéro 1 sur tous les critères. Sans les investissements consentis sans relâche par Numericable pour déployer la fibre optique depuis 2005, la France serait aujourd’hui classée parmi les derniers pays en Europe. […] Quant aux investissements cumulés de Numericable pour construire à ce jour plus de 5 millions de prises en fibre optique, et grâce au savoir-faire de nos équipes, le nouveau groupe atteindra l’objectif du plan France très haut débit, de 12 millions de foyers équipés dès la fin de l’année 2017, de 15 millions pour 2020. Ce réseau densifié sera utilisé pour les particuliers et les entreprises, mais aussi pour interconnecter le réseau mobile 4G d’aujourd’hui, puis 5G de demain. En outre, le nouvel ensemble co-investira 50 millions d’euros par an dans le cadre des projets de réseau d’initiative publique en fibre optique. » Ce dernier engagement a suscité des interrogations car il est en retrait par rapport aux engagements initiaux de SFR que nous souhaitons voir respecter dans leur intégralité. Ce point de divergence nous incitera à la plus grande vigilance quant à la réalisation par la nouvelle structure des engagements pris par l’ancienne.

« Point n° 3, le patriotisme économique. Comme vous le savez, Numericable a son siège social en France, paie ses impôts en France, et est cotée à la Bourse de Paris. Ses dirigeants sont tous basés en France, paient leurs impôts en France, sont diplômés des meilleures écoles de la République. Sa maison mère, Altice, est cotée à la Bourse d’Amsterdam, comme bon nombre de fleurons industriels français domiciliés ou cotés à Amsterdam, et dont l’État est actionnaire de référence. Altice et Numericable ont toujours, et sans attendre le projet de rapprochement avec SFR, privilégié des fournisseurs français pour leur développement, comme, par exemple, Alcatel, Sagemcom, Technicolor, Draka ou Webhelp… Ce choix délibéré de fournisseurs français par notre groupe a permis notamment à Sagemcom d’exporter ses produits dans des pays où il n’était pas encore présent : Belgique, Portugal, Israël, bientôt République dominicaine. […] Je m’engage à ce que Numericable poursuive sa stratégie de patriotisme économique, à l’étendre dans le cadre du rapprochement avec SFR, notamment sur les points suivants. Je m’engage à mettre en œuvre, premièrement la double cotation d’Altice à la Bourse de Paris-Euronext en plus de son actuelle cotation à Amsterdam. Deuxièmement, je m’engage à ce que le groupe Altice ne mette en place aucun contrat de management fees, redevance de marque ou autre licence à la charge de l’ensemble Numericable-SFR qui aurait pour effet de transférer de la France vers l’étranger du profit taxable Numericable-SFR. » Nous sommes extrêmement attentifs à ce point et j’attends avec impatience les réactions de Mme la vice-présidente de la commission des finances. « Troisièmement, le rapprochement industriel entre Numericable et SFR s’accompagnera d’une mise de fonds importante de ses actionnaires Altice, Vivendi, et des investisseurs de marché. Je m’engage à ce que cette mise de fonds par les actionnaires, soit environ 4,7 milliards d’euros, soit effectuée en fonds propres et ne génère aucune charge financière supplémentaire pour le groupe combiné. Je vous confirme enfin que j’assumerai personnellement la présidence du conseil d’administration du nouveau groupe SFR-Numericable. » J’ai tenu à vous donner lecture de cette lettre car elle contient des engagements nouveaux, allant dans le sens des objectifs gouvernementaux même si j’ai exprimé certaines réticences sur le niveau des engagements concernant le plan fibre, notamment dans les zones d’intérêt public.

Voilà où nous en sommes. En conclusion, dans un contexte de redistribution des cartes, notre volonté de consolidation du secteur par un retour à trois opérateurs reste d’actualité. Sans vouloir noircir le tableau, je souligne la nécessité d’avoir des opérateurs puissants, en mesure de nouer des alliances dans d’autres pays européens. Cet objectif fait partie de la feuille de route que nous avons adressée à Orange.

M. Henri Emmanuelli. Monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, je ne m’exprime pas ici en tant que président du conseil de surveillance de la Caisse des dépôts. J’ai demandé cette audition parce que, comme beaucoup d’entre vous, je suis interpellé chaque semaine par des électeurs se plaignant de la qualité de la couverture mobile ou de la desserte numérique. Nous avons beau leur expliquer que, désormais, ces problèmes relèvent du privé, ils estiment que c’est à nous de régler la question. In fine, c’est à leurs élus que les administrés s’adressent, et ce n’est pas le président de l’ARCEP, ni celui d’Orange, de Bouygues, de SFR ou de Free qui sera tenu pour responsable si le service est défaillant.

En outre, pour la sécurité, les communications n’ont rien d’anecdotique. Certains centres des opérateurs privés sont d’ailleurs classés secret défense et il faut être habilité défense pour pouvoir y travailler. Dans certains pays, au Moyen-Orient notamment, pour être propriétaire d’un câblo-opérateur, la loi exige de prendre la nationalité. Sans aller jusque-là en France, il faut au moins poser le problème.

Dans les fameux réseaux d’initiative publique (RIP), les collectivités locales doivent investir 13 milliards d’euros, dont 3 fournis par l’État, et les opérateurs 7 milliards. Le rythme annoncé de 50 millions par an est d’autant moins acceptable que les objectifs fixés étaient déjà modestes, et que nous ne sommes vraiment pas en avance. Qui donc fournira les investissements nécessaires au « fibrage » de la France ?

S’agissant de l’emploi, nous ne saurions nous satisfaire d’engagements verbaux pris dans le cadre de conférences de presse. Numericable a déclaré que les siens ne trouveraient pas « à s’appliquer si un revirement économique imprévisible, c’est-à-dire extérieur au projet industriel annoncé, venait à affecter la situation économique du nouveau groupe. » Tout est donc possible. Si je fais l’historique des performances – le track record comme disent les financiers – de Numericable en la matière, je trouve : suite à la cession de Noos UPC France par Liberty-Altice, 832 emplois supprimés sur un effectif total de 1 341 ; en 2005, YPSO, dont les actionnaires sont Altice et Cinven, fait l’objet d’un plan social avec près de 700 postes restructurés sur environ 1 200. Excusez du peu... Il y a de quoi être inquiet.

Enfin, oui, l’opération ressemble beaucoup à un LBO : l’endettement total de l’ensemble Altice-Numericable atteint 19 milliards d’euros. Que restera-t-il pour investir après avoir fait remonter 800 millions de cash-flow pour rembourser les dettes ? Dans de telles conditions, le Gouvernement et les parlementaires ont le droit d’être inquiets et de s’exprimer, voire de légiférer.

M. le président François Brottes. Monsieur le député, la commission des affaires économiques avait demandé à entendre sur ce sujet la secrétaire d’État à l’économie numérique il y a trois semaines.

M. Lionel Tardy. Regrettez-vous, monsieur le ministre, d’avoir annoncé le 14 mars le rachat de SFR par Numericable avant Vivendi, et la véhémence de vos propos à l’égard de la résidence fiscale de M. Drahi ou de l’endettement de Numericable, qui n’auront finalement pas changé grand-chose au résultat final ? Le Gouvernement est-il fondé à prendre position dans des négociations entre entreprises privées ? Enfin, avez-vous obtenu les garanties que vous souhaitiez ?

Plus précisément, les négociations exclusives entre Vivendi et Numericable sont annoncées le 14 mars pour une durée de trois semaines. Pourtant, le 20, Bouygues surenchérit avec le soutien de la Caisse des dépôts à hauteur de 300 millions d’euros. Est-elle vraiment dans son rôle ? Le rapprochement donne naissance à un nouveau géant qui développera une offre de THD aux entreprises qui, pour le moment, n’ont guère d’autre choix qu’Orange. Vous prônez une réduction du nombre des opérateurs mobile et un accord entre Bouygues et Free. Où en est-on ?

Mme Corinne Erhel. La Commission des affaires économiques a débattu à maintes reprises du marché des télécoms, secoué par des bouleversements profonds dans un climat de tension constante. Paradoxalement, le marché explose avec la multiplication des usages du téléphone portable mais les revenus des opérateurs baissent sous l’effet d’une politique de prix bas, y compris pour la 4G. Assurément, le déploiement des réseaux fixe et mobile est un enjeu majeur pour le développement industriel français. Plus de 20 milliards d’euros d’investissements seront nécessaires et, si les opérateurs ne tenaient pas leurs engagements, la croissance et l’emploi seraient compromis.

À notre connaissance, l’offre de Bouygues n’était qu’une réaction à celle de Numericable, alors même que la mise en vente de SFR était connue depuis de nombreux mois. Auparavant, quels ont été les contacts entre opérateurs ?

Numericable a pris des engagements pour les emplois actuels, mais seulement au sein du groupe. Or, invariablement, les rapprochements se répercutent chez les équipementiers et les prestataires. Qu’en sera-t-il en l’occurrence ? Dans le rapport que nous avons fait avec Laure de la Raudière sur l’impact de la régulation après l’arrivée du quatrième opérateur, nous avions mis en exergue la nécessité absolue de mesurer l’impact économique global des décisions prises, par exemple les conséquences sur l’emploi d’un retour à trois opérateurs. Or, l’État n’a pas cette culture alors que les télécoms sont un élément stratégique pour le développement économique. Qu’est-ce qui est prévu dans ce domaine ?

Je termine par une pensée particulière pour tous les salariés concernés, dans l’ensemble de la filière, qui souffrent de l’incertitude ambiante et ont du mal à envisager sereinement l’avenir. Il faut se mettre à la place de ceux qui vivent au rythme des fusions-acquisitions qu’ils apprennent en lisant la presse. En outre, l’incertitude dans laquelle ils sont plongés s’allongera du délai dont dispose l’Autorité de la concurrence pour se prononcer sur la validité du rapprochement. Neuf mois, c’est long.

M. le président François Brottes. À ceux qui trouvent que l’État n’a pas à se mêler de ce secteur, je rappelle que les opérateurs utilisent un bien public rare. Les fréquences sont limitées et leur attribution est le fruit d’un arbitrage. Ceux qui les accaparent empêchent d’autres d’y accéder. Les pouvoirs publics ont donc leur mot à dire.

Mme Brigitte Allain. En quoi un rachat par Bouygues aurait-il mieux garanti le maintien des emplois ? Comment l’avenir des sous-traitants de SFR s’annonce-t-il ? Un nombre de fournisseurs restreint assurerait-il une couverture équivalente, voire plus étendue, du territoire ? Elle constitue, je le rappelle, la garantie du développement des milieux ruraux, restés jusqu’à présent les parents pauvres de cette innovation technologique.

M. Yves Blein. Une première question volontairement iconoclaste : finalement, à quoi sert l’ARCEP ? En quoi une autorité indépendante est-elle nécessaire dans le domaine des télécommunications ?

Quelle validité donner aux engagements de Numericable ? La lettre que vous venez de nous lire, monsieur le ministre, servira-t-elle à mesurer leur degré de réalisation ?

Au moment où le Parlement européen vient de prendre des mesures fortes s’agissant des télécommunications, la Commission s’emploie-t-elle à favoriser des regroupements parmi les 120 et quelques opérateurs européens en vue de consolider le marché ? Si oui, lesquels ?

Mme Valérie Rabault, co-présidente. Faudrait-il changer le mandat de l’ARCEP pour que le politique puisse peser sur l’organisation du marché ? Si oui, comment ? Comment ses missions s’articulent-elles avec celles de l’Autorité de la concurrence ?

L’an dernier, et en 2012 également, un peu plus de 7 milliards ont été investis par les différents opérateurs. Ce niveau va-t-il se maintenir ?

Enfin, mesurée à l’aune du bilan consolidé de Numericable Group qui se monte à près de 4 milliards, l’opération de rachat est vraiment très grosse.

M. le président François Brottes. Encore une petite intervention à but pédagogique : les autorités indépendantes sont créées par la loi en application de directives et tous les secteurs régulés sont concernés – énergie, télécommunications, poste, chemin de fer,… C’est donc le législateur qui fixe le cadre du fonctionnement de ces autorités et leurs missions dans le respect des directives. Tout comme le Gouvernement, le Parlement peut donc user de son droit d’initiative législative.

Mme Arlette Grosskost. Avez-vous connaissance, monsieur le ministre, de l’intégralité des clauses du protocole d’accord ? De clauses suspensives ou résolutoires ? Il est vrai que le montage financier est particulier…La lettre de Numericable que vous nous avez lue est une déclaration d’intention, ni plus ni moins. Vous dites avoir pourtant les garanties nécessaires. Pouvez-vous vous en expliquer ? Enfin, comment éviter concrètement les transferts de résultat entre sociétés du groupe ?

M. le président François Brottes. Permettez-moi de dire un mot des outre-mers. Dans certins territoires, nos concitoyens n’ont pas le choix entre 3 ou 4 opérateurs et l’opération qui vient de se faire pourrait créer des situations mono ou oligopolistiques.

Mme Éricka Bareigts. Après cette opération, il n’y aura plus à La Réunion que deux opérateurs : SFR-Numéricable et Only qui appartient à Numéricable, qui représentent actuellement 66 % du marché, et Orange, qui représente 33 %, ce qui va à l’encontre de la loi sur la régulation économique outre-mer votée en début de législature pour favoriser la concurrence. Nous sommes donc inquiets des conséquences de cette fusion sur l’emploi dans le département qui a le taux de chômage le plus élevé de France. Ne va-t-elle pas aussi remettre en cause la procédure d’attribution de la licence 4G pour laquelle un appel à projet avait été lancé ?

M. le ministre de l’économie. Monsieur Emmanuelli, vous avez raison, l’opérateur SFR est d’importance vitale au sens de l’article L. 1332-1 du code de la défense, et peut faire l’objet d’une surveillance particulière en cas d’investissement direct étranger en vertu des articles R. 153-4 et R. 153-2-4° du code monétaire et financier, qui permettent de prendre des mesures de protection dès lors que des incompatibilités seraient détectées.

En ce qui concerne les investissements dans les zones non denses, la question de la mobilisation de l’argent public et privé reste pendante. Les restructurations en cours dans le secteur peuvent amener les pouvoirs publics à intervenir. C’est d’ailleurs le premier dossier dont j’ai parlé avec Mme Lemaire dès sa prise de fonction car c’est le principe d’égalité qui est en jeu puisque l’usage du numérique est devenu un service public et un facteur de développement économique. C’est pourquoi nous nous sommes inquiétés dès le début de la concurrence par les infrastructures. Est-il intelligent et rationnel que, dans les zones denses, les opérateurs financent chacun leurs propres équipements auxquels les autres n’ont pas accès tandis qu’ailleurs, personne n’investit et qu’il faut appeler le contribuable à la rescousse ? Il s’agit d’une conséquence absurde d’une idéologie qui voit dans la concurrence la garantie du plus bas prix au consommateur. Or, dans le numérique, c’est l’offre qui crée la demande. Sans investissement, la valeur ne se crée pas. Le plan Fibre est destiné à couvrir l’ensemble du territoire et, s’il y a redistribution des cartes, les pouvoirs publics devront l’adapter.

Pourquoi avoir choisi de soutenir Bouygues ? Parce que son offre était plus solide en termes d’emploi. Il s’était engagé à ne pas faire de plan social et les reconversions nécessaires devaient se faire à l’intérieur d’un grand groupe multi-métiers. C’était en tout cas plus sécurisant que les engagements d’une entreprise mono-métier dont les activités se situent pour l’essentiel à l’étranger et qui, par ailleurs, a commencé par dégraisser brutalement les effectifs des sociétés qu’elle avait acquises en France. Néanmoins, des engagements ont été pris et nous les ferons respecter.

Il va falloir que les autorités compétentes examinent l’asymétrie dans l’accès au marché entre le câble, dont le propriétaire a le monopole de la jouissance, et la fibre.

À ceux qui se sont émus de mon interventionnisme, convenez qu’il a produit chaque fois des évolutions positives en termes d’emploi, d’investissement et de patriotisme économique. Ainsi, M. Drahi a accepté de coter Altice à Paris ; il s’est engagé à ce qu’il n’y ait pas de migration de valeur par le biais des management fees. L’administration fiscale y veillera. Pour les investissements, nous ne sommes pas satisfaits et nous allons continuer à exercer une vigilance bienveillante.

Monsieur Tardy, je vous répondrai en vous citant M. Raffarin : « Un ministre doit dire aussi quel est l’intérêt de la France. Je pense qu’Arnaud Montebourg avait raison sur le dossier Bouygues et que c’est un combat qui avait une certaine légitimité. » La nécessité d’intervenir dans l’intérêt de tous faisait donc l’objet d’un consensus relatif.

Que le Gouvernement ait annoncé l’accord avec quelques heures d’avance ne vous paraît pas légitime, mais il n’est pas actionnaire et il peut dire ce qu’il veut dès lors qu’il ne franchit pas les interdictions posées par le code monétaire et financier. Il est libre et aucune autorité indépendante ne peut le rappeler à l’ordre. Seul le suffrage universel peut le faire.

La Caisse des dépôts était-elle dans son rôle ? Je vous rappelle, monsieur le député, qu’elle n’est pas placée sous l’autorité du Gouvernement, mais sous la surveillance du Parlement, qui est, depuis 1816, le garant de la préservation de l’intérêt des épargnants. Je ne peux donc pas répondre à cette question, mais je fais remarquer que la CDC possède 3 % du capital de près de la totalité du CAC 40. Et, si vous voulez qu’elle vous rende des comptes, adressez-vous à M. Emmanuelli qui préside le conseil de surveillance.

Mme Erhel s’inquiète à juste titre de la sous-traitance où règne le plus grand désordre. Depuis l’arrivée de Free, qui n’est pas responsable de la décision qui a été prise, le secteur est sérieusement déstabilisé. Les dégâts sont considérables dans le réseau de boutiques, chez les équipementiers – à Lannion, on en sait quelque chose –, dans les centres d’appel dont beaucoup ont été délocalisés. Nous avons été saisis par les organisations syndicales et nous avons mené le débat de façon transparente. Mais nous n’avons pas d’instruments de mesure sinon macroéconomiques. La fermeture d’une trentaine de boutiques dans une quinzaine de villes passe inaperçue même si l’emploi est touché. Et c’est aux parlementaires que vous êtes à vous préoccuper du sujet et à croiser les informations. Peut-être mettrons-nous sur pied un observatoire de la sous-traitance auquel nous vous associerons volontiers.

Les centres d’appel, eux, sont bien visibles. Bouygues avait pris l’engagement de rapatrier les siens. Nous allons en demander autant à SFR-Numericable ; nous veillerons à tout le moins au maintien de ceux qui existent et nous n’accepterons pas que les engagements pris aient pour conséquence des licenciements chez les sous-traitants, même si cela se voit moins. Le dossier reste à instruire pour relever le niveau d’exigence.

Madame Allain, il était normal que le Gouvernement prenne position en faveur de ce qu’il considérait être de l’intérêt public mais je n’ai pas d’actions chez Bouygues – cela se saurait puisque nos patrimoines sont transparents. Les protagonistes en ont décidé autrement, mais nous allons faire en sorte que l’offre de Numericable se rapproche de celle de Bouygues. Sans l’intervention du Gouvernement, on aurait parlé uniquement gros sous, sans évoquer les investissements, ni l’emploi qui reste souvent la variable d’ajustement. Le Gouvernement a donc créé une jurisprudence salutaire. Et il s’apprête à demander des comptes dans d’autres dossiers.

Les offres n’étaient pas publiques puisqu’il s’agissait d’une vente de gré à gré, et non d’une offre publique d’achat. Seules les autorités indépendantes en auront connaissance.

M. Blein a posé la question qui fâche. À quoi sert l’ARCEP ? Les autorités indépendantes doivent être puissantes pour tout ce qui concerne les libertés publiques, et elles n’ont pas à être sous la tutelle du politique. Dans le domaine économique, en revanche, la régulation doit favoriser tantôt le producteur, tantôt le consommateur, et il n’est pas judicieux de la confier à une autorité qui applique des règles sans faire de choix, ou qui, dans le pire des cas, en fait mais sans le dire, car elle n’aura jamais à en répondre. J’ai expliqué à l’occasion des vœux devant la Fédération française des télécommunications qu’il fallait revoir les pouvoirs de l’ARCEP et mieux les coordonner avec le pouvoir politique sans mettre en cause la directive européenne. On pourrait mieux définir ses missions : doit-elle défendre à tous crins l’idéologie de la concurrence ou arbitrer en fonction des intérêts du pays ? Nous en reparlerons lors de la discussion du projet de loi numérique que Mme Axelle Lemaire est chargée de préparer à mes côtés.

Oui, le mandat de l’ARCEP doit changer, madame Rabault. Au fond, délivrer une licence d’exploitation du domaine public hertzien ou de la voirie, c’est la même chose. Ne sommes-nous pas en droit d’obtenir des contreparties en termes d’emploi et d’investissement de la part des opérateurs, qui sont comme des cafetiers souhaitant installer leur terrasse sur les trottoirs ? Pourtant, il n’en a jamais été question et la loi doit y remédier pour mettre fin au train de décisions unilatérales prises par des comités Théodule. Il faut les confier au Gouvernement qui est légitime et souverain – sous le contrôle du Parlement.

Madame Bareigts, si j’ai bien compris, Numericable est désormais en position dominante à La Réunion. Il faut résoudre ce problème avant de lancer les appels à projet. Nous pourrions nous rencontrer la semaine prochaine pour que je puisse répondre précisément sur les sujets que vous souhaitez approfondir.

M. Lionel Tardy. J’abonde dans le sens de Corinne Erhel qui déplore l’absence de chiffres. Ainsi, s’agissant des effectifs des centres d’appel, ils varient de 1 à 3 selon le syndicat professionnel, l’INSEE ou le ministère du travail. Un observatoire du numérique devait voir le jour il y a deux ans auprès du comité stratégique de la filière numérique qui relève du ministère de l’industrie. Or son responsable a confirmé récemment que le volet emploi n’existait toujours pas. Il y a donc une carence mais, en principe, nous disposons de tous les outils nécessaires pour assurer le suivi. Une nouvelle structure serait donc inutile.

M. le président François Brottes. La Commission des affaires économiques est très attentive à ce qui se passe outre-mer et je veillerai aussi à ce que la question du numérique, tout comme celle de l’essence, soit suivie sérieusement. Nous n’oublierons pas non plus la redéfinition du rôle du régulateur dans le projet de loi que prépare Mme Lemaire.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mercredi 9 avril 2014 à 21 heures

Présents. - Mme Brigitte Allain, Mme Ericka Bareigts, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Yves Blein, Mme Corinne Erhel, M. Jean Grellier, Mme Annick Le Loch, Mme Frédérique Massat, M. Hervé Pellois, M. Lionel Tardy, Mme Clotilde Valter

Excusés. - M. Jean-Michel Couve, M. Daniel Fasquelle, M. Joël Giraud, Mme Josette Pons, M. Dominique Potier, M. Jean-Charles Taugourdeau