Accueil > Travaux en commission > Commission des affaires économiques > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission des affaires économiques

Mercredi 7 mai 2014

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 76

Présidence de Mme Frédérique MASSAT Vice-Présidente

– Table ronde, ouverte à la presse, sur l’innovation dans le secteur agro-alimentaire avec la participation de M. Jean-Philippe Girard, président de l’Association nationale des industries agroalimentaires (ANIA), M. Patrice Robichon, conseiller scientifique de Pernod Ricard et M. Hubert François, président-directeur général des Salins du Midi

La commission a organisé une table ronde sur l’innovation dans le secteur agro-alimentaire avec la participation de M. Jean Philippe Girard, président de l’Association nationale des industries agroalimentaires (ANIA), M. Patrice Robichon, conseiller scientifique de Pernod Ricard et M. Hubert François, président-directeur général des Salins du Midi.

Mme Frédérique Massat, présidente. Tout d’abord je tiens à excuser le président de la Commission, M. François Brottes, qui préside la commission d’enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d'exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l'électricité nucléaire.

Les entreprises agroalimentaires françaises constituent le premier secteur industriel français : avec 508 000 salariés en équivalent-temps plein, 17 % de l’emploi industriel, et 169 milliards d’euros de chiffre d’affaires pour les entreprises hors tabac en 2011.

En 2013, les productions agricoles et agroalimentaires françaises ont représenté 13 % de la valeur des exportations françaises. Elles ont généré 11,6 milliards d'euros d'excédents commerciaux, tirées par les exportations de vins, de céréales et de produits laitiers. C'est le deuxième secteur excédentaire de la balance commerciale française après l'aéronautique.

La France est le troisième exportateur européen agroalimentaire derrière l’Allemagne et les Pays-Bas. En 2013, avec 65 % des exportations et 70 % des importations agroalimentaires, les pays de l’Union européenne restent les principaux partenaires de la France. Néanmoins, seuls les échanges avec les pays tiers permettent à l’excédent agroalimentaire français de se maintenir en 2012 et en 2013.

Dans le cadre du contrat de filière alimentaire, signé par les ministres de l’agriculture et du redressement productif, l’Association des Régions de France et les représentants de la filière et des salariés le 19 juin 2013 figurent des engagements en faveur de l’innovation :

– mobiliser les moyens du Programme des Investissements d’Avenir pour la filière, notamment pour un programme de soutien à la recherche technologique alimentaire ;

– créer une entrée spécifique par région au sein de la Banque publique d’Investissement et à adapter sa doctrine pour la filière afin de mieux prendre en compte les projets d’investissement et de financement ;

– élaborer un guide de référence sur les différents types d’innovation alimentaire, qui permettra d’adapter les dispositifs de soutien transversaux en conséquence ;

– créer une plateforme unique pour la filière pour étudier et répondre aux appels à projet pour relever les défis technologiques et innovants de demain.

Dans le cadre de cette table ronde, je souhaiterais entendre vos propositions sur cet enjeu clé que constitue l’innovation.

M. Jean-Philippe Girard, président de l’Association nationale des industries agroalimentaires (ANIA). Mme la présidente, je souhaite vous remercier pour cette invitation, car ces sujets sont en effet essentiels, et pour votre présentation de la filière.

Je suis accompagné de MM. Hubert François, qui a travaillé dans l’un des plus grands groupes français de meunerie et est président-directeur général d’Eurogerm et Patrice Robichon qui préside la plateforme « Food for life ».

Les industries agroalimentaires représentent près de 12 000 entreprises implantées sur l’ensemble du territoire national. Elles sont de tailles très diverses puisque le secteur compte 96 % de PME et des groupes de taille mondiale. Elles contribuent à assurer une vie et un avenir à nos territoires. Elles représentent un chiffre d’affaires de 160 milliards d’euros et emploient près de 500 000 salariés. Elles assurent le deuxième poste excédentaire de la balance commerciale française.

Nous nous trouvons pourtant devant un paradoxe. Les consommateurs apprécient nos produits mais n’aiment pas notre industrie.

Notre chiffre d’affaires est de 44 milliards d’euros à l’exportation, ce qui reste très important. Mais il convient de noter que nous avons perdu trois places dans le classement des exportateurs mondiaux. Nous devons poursuivre l’objectif de revenir en tête de ce classement, en s’appuyant de concert sur la compétitivité coût et la compétitivité hors coût. Nous avons des atouts à faire valoir car dans de nombreux pays du monde, on a envie de consommer français.

Il faut être conscient du fait que les industries agroalimentaires consomment 70 % de la production agricole française. Il s’agit donc de raisonner à l’échelle de la filière alimentaire dans son ensemble. C’est tout l’enjeu du comité de filière.

L’une de nos principales préoccupations actuelles est la mortifère guerre des prix que se livrent les enseignes de la grande distribution. Cette guerre est néfaste pour l’emploi et l’investissement dans toute la filière. Les entreprises ont subi une diminution de 14 points de marge en l’espace de dix ans. 5 000 emplois ont été supprimés en 2013. La guerre des prix n’est même plus dans l’intérêt du consommateur.

S’agissant de l’innovation, il s’agit d’un enjeu important de compétitivité. Certes, ce ne sont pas forcément des innovations de rupture, comme dans les secteurs technologiques, mais elles permettent d’améliorer les produits d’un point de vue nutritionnel, sensoriel, ou fonctionnel via son emballage, sa praticité ou sa mise à disposition. L’innovation est permanente dans le secteur agro-alimentaire, même si nous sommes parfois les oubliés ou les mal-aimés en la matière. A titre d’exemple, historiquement on associe beaucoup l’innovation aux produits surgelés, congelés ou appertisés. Mais n’ayons pas peur ! Ces produits sont de merveilleuses technologies au service du consommateur. Depuis des siècles, nous avons œuvré à renforcer la sécurité des produits au travers de ces technologies. Comme bien souvent, l’abus est nuisible, mais ces nouveaux process ont apporté davantage de qualité, de sécurité et de diversité aux consommateurs.

Par ailleurs, il nous faut faire face à l’évolution des modes de consommation : on ne mange plus comme avant ! Lorsque j’étais enfant, on passait à table à midi et on y restait jusque vers 16 heures ou 17 heures le dimanche, le déjeuner était une véritable réunion de famille. Aujourd’hui, les enfants mangent de leur côté, la télévision est allumée… Il nous faut donc adapter notre offre à cette nouvelle forme de consommation, en travaillant toujours à l’amélioration sécuritaire et qualitative du produit. J’avoue avoir du mal à supporter la succession d’émissions à charge depuis un an. Certes, il y a quelques entreprises défaillantes, qu’il faut écarter et sanctionner. Mais la grande majorité des douze mille entreprises du secteur travaille à l’amélioration nutritionnelle des produits. Quand on parle de sel, de sucre ou de gras, croyez-moi bien, pas une seule entreprise en France ne travaille pas à l’amélioration de ses produits.

Avant d’être le président de l’ANIA, je suis surtout le président-fondateur d’une entreprise du secteur, Eurogerm, qui a vécu et traversé la crise. Spécialisée dans les ingrédients céréaliers, Eurogerm a traversé cette période difficile grâce à l’innovation : c’est notre capacité à innover en termes de produits et de services qui nous a permis de mieux résister et de mieux nous préparer, ainsi que nos clients, à l’avenir de cette industrie. Vous le savez, l’Exposition universelle de 2015, à Milan, aura pour thème « nourrir le monde ». Ce thème nous passionne et s’il y a un pays susceptible de prétendre nourrir le monde, c’est bien la France ! Il est temps d’agir pour ne pas se laisser laminer et dépasser par les autres pays, et de reprendre la main sur un secteur structurant pour notre pays.

M. Patrice Robichon, conseiller scientifique de Pernod Ricard. Permettez-moi tout d’abord de me présenter. Je suis le conseiller scientifique et délégué au développement durable du groupe Pernod Ricard, dont j’ai été le directeur industriel auparavant. J’ai la chance de disposer d’une double expérience, dans la recherche et l’innovation et dans la conduite d’activités industrielles au sein d’un groupe de dimension mondiale. Pour rappel, le groupe Pernod Ricard regroupe 18 000 collaborateurs, réalise 8,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires et est le deuxième groupe mondial des vins et spiritueux. J’ai été convié en tant que président de la plate-forme française « Food for life », miroir de la plate-forme européenne éponyme, qui consacre son activité à la promotion de la recherche et de l’innovation dans la filière agro-alimentaire. Mais auparavant j’aimerais vous expliquer pour les raisons pour lesquelles un groupe comme Pernod Ricard est, selon le magazine Forbes, la quinzième entreprise la plus innovante au monde, et la deuxième en Europe, selon les critères proposés par deux professeurs de l’Université d’Harvard. En effet, il peut paraître étonnant qu’un groupe alimentaire spécialiste de vins et spiritueux se trouve classé devant des entreprises de haute technologie comme Apple. La raison est simple : l’innovation ne se rapporte pas uniquement à un produit, mais touche tous les domaines et Pernod Ricard innove dans tous les domaines : organisation, management, procédés, produits, rapports à la société, y compris la protection de l’environnement. Permettez-moi ainsi de vous faire part de deux initiatives menées en interne relative à l’innovation-organisation. Premièrement, une cellule dénommée « BIG », pour Breakthrough Innovation Group, qui regroupe une dizaine de personnes dont la mission est de détecter à l’intérieur ou à l’extérieur du groupe toute idée susceptible d’être transformée en chiffre d’affaires ou en résultat opérationnel dans nos comptes. Deuxièmement, nous avons mis en place un fonds financier et de compétence, destiné à accompagner les salariés à creuser et développer leurs idées. Il s’agit ainsi d’un renouvellement du concept de « bourse à idées », et nous accompagnons réellement les personnes afin d’en faire de véritables entrepreneurs. S’agissant de l’innovation-produit, les bouteilles d’Absolut, baptisées « Unique », sont produites en grandes quantités mais il n’existe pas deux bouteilles identiques. Leur habillage unique en a fait de véritables objets de collection. De même, nous avons créé un « bar à cocktails intelligent », qui suggère des recettes de cocktails à partir d’informations préalablement renseignées (bases d’alcool, arômes issus de liqueurs, jus de fruits, etc.). Ce micro-bar fait l’objet d’un très grand nombre de demandes à travers le monde.

J’en viens à présent au sujet principal : la plate-forme « Food for life ». Cette plate-forme regroupe l’ensemble des parties prenantes en matière d’innovation et de recherche : les acteurs économiques – l’ANIA, Coop de France, les associations de commerçants et d’artisans, les adhérents de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD), les entreprises agroalimentaires – les centres techniques de l’Actia, les pôles de compétitivité, les instituts de recherche – Inra, CNRS, Irstea, Ifremer – les ministères de l’industrie, de l’agriculture et de la recherche, des représentants des Conseils régionaux, les associations de consommateurs et les organismes de financement – Ademe, Agence nationale de la recherche, Bpifrance.

La plate-forme a pour objectif de définir les thématiques principales qui doivent être soutenues par l’Union européenne dans le cadre de ses programmes de recherche – programme-cadre « Horizon 2020 » – mais également de conforter les relations avec l’Institut européen de l’innovation et de la technologie (European Institute of Innovation and Technology) afin de constituer les Communautés de la connaissance et de l’innovation « alimentation » (KICs « food ») qui verront le jour en 2016. Nous avons établi un agenda stratégique, dont je pourrai vous dire davantage si vous le souhaitez.

Pour toutes ces raisons, la plate-forme a été désignée comme plate-forme de référence sur l’innovation alimentaire dans le cadre du contrat de filière.

M. Hubert François, président-directeur général des Salins du Midi. Après avoir travaillé au sein du ministère de l’agriculture, j’ai rejoint l’entreprise des Grands Moulins de Paris, que j’ai dirigée pendant quatorze ans. Au cours de ces années, le chiffre d’affaires de l’entreprise a été multiplié par trois, passant de 350 millions d’euros à 1,3 milliard d’euros. L’emploi a également été multiplié par trois. J’ai beaucoup œuvré au développement international de l’entreprise, tant en direction de pays partenaires de manière traditionnelle, comme le Mali ou la Guinée, mais aussi envers de nouveaux pays, principalement en Asie du Sud-Est et en Amérique du Nord. Au final, nous réalisions environ 40 % de notre activité à l’international en 2012. A cette époque, nous développions près de 400 nouveaux produits par an, ce qui montre que dans l’agroalimentaire, l’innovation se concrétise par la production de plus d’un nouveau produit par jour pour certaines entreprises. Il ne s’agit pas toujours d’innovation de rupture, mais la création d’un macaron au foie gras est des plus complexes à réaliser car il faut mélanger les saveurs et industrialiser la production. Nous parvenions à mettre au point ces nouveaux produits dans un délai de six semaines. Le temps de mise au point d’un produit est une notion fondamentale dans notre secteur, où il est très facile de copier un concurrent : il faut donc aller plus vite que les autres ! Nos performances nous ont permis, par exemple, de produire un milliard de croissants surgelés par an (Nutrixo). Vous en consommez tous les jours, y compris à l’Assemblée nationale, mais vous ne vous en doutez pas. Ces croissants sont des produits surgelés, mais sont très bons et garantissent une qualité et une sécurité impossible à assurer autrement.

J’ai rejoint les Salins du Midi depuis un an. Il s’agit d’une entreprise totalement différente, fondée en 1860, qui produit environ 3,5 millions de tonnes de sel par an. Cette entreprise fait également partie du patrimoine français, et accueille 100 000 visiteurs par an aux Salins d’Aigues-mortes. L’entreprise est également présente dans le Languedoc et en région Provence Alpes Côte d’Azur en raison des marais salants, ainsi que dans le sud-ouest grâce à la saline de Dax et dans l’est du pays en raison de la mine de Varangéville, située près de Nancy. Enfin, l’entreprise produit du sel de Guérande. Toutefois, la moitié de notre activité se situe hors de France, en Espagne, en Italie, en Tunisie ou au Sénégal, des régions venteuses et ensoleillées, très favorable à la production de sel. Je rappelle à ce titre que la production de sel est extrêmement écologique puisque les seuls moyens de production mis en œuvre sont le soleil et le vent. C’est ce qui explique que nous ayons du mal, malheureusement, à produire du sel en Baie de Canche, pas suffisamment ensoleillée.

Permettez-moi de vous faire part de quelques étonnements. Je lis un article par jour qui indique que le sel est un poison. Comme pour beaucoup de produits, la presse joue un rôle très important dans la construction de l’image. Or, pour rappel, notre corps comporte 350 grammes de sel et si manger plus de 6 ou 7 grammes de sel par jour est assez dangereux, en manger moins de 3 grammes est immédiatement mortel. C’est d’ailleurs ce qu’il s’est passé à l’été 2003 : les populations âgées, très sensibles aux messages dits « sanitaires », ont arrêté de consommer du sel. Or, en période de forte chaleur, le corps transpire et même en buvant beaucoup, on ne parvient pas à se réhydrater s’il n’y a pas de sel dans le corps pour fixer l’eau.

Par ailleurs, les entreprises agroalimentaires sont très innovantes mais on attend d’elle qu’elles maintiennent et transmettent des valeurs très traditionnelles, voire traditionalistes. Nous sommes donc forcés à nous montrer schizophrènes car on nous demande à la fois d’être innovants et de relayer des messages portant sur le respect des traditions.

Sur ce qui concerne notre filière en général, j’ai été personnellement un peu choqué par la disparition du secrétariat d’État à l’agroalimentaire. Nous devons nous positionner dans les instances publiques car notre secteur est important pour l’emploi et l’exportation en France. Mais nous ne sommes jamais au même endroit. Or nous devons trouver notre place, notamment par rapport à l’innovation, puisque s’il peut y avoir de l’innovation en filière, il peut aussi y en avoir hors des filières.

C’est le cas du contrat de filière dont je vais vous dire un mot. Il s’est donné sept thèmes. Patrice Robichon a parlé de « Food for life », qui est la plateforme opérationnelle permettant aux entreprises d’accéder aux aides. Pour mettre en œuvre ces aides, il faut en définir le cadre d’utilisation. Mais c’est extrêmement complexe car nous sommes face à un millefeuille. Nous avons également comme objectif de moderniser les entreprises car les entreprises d’agroalimentaire en France souffrent d’un retard d’investissement énorme. Par exemple, dans la salière de 650 g de sel, il y a très peu de valeur dans le sel. L’essentiel de la valeur est dans le packaging. Or, nous sommes en retard en termes de machine pour fabriquer des packagings. Les industries agroalimentaires en souffrent. C’est un des axes de « Food for life France ».

Un autre axe est de clarifier les trophées de l’innovation. Ils sont complexes et trop nombreux. Beaucoup sont plus facilement accessibles pour les grandes entreprises que pour les PME.

Enfin, le groupe de financement de l’innovation travaille aussi sur les moyens de financement de l’innovation. Je pourrai répondre à vos questions dans ce domaine.

Mme Frédérique Massat, présidente. Concernant la disparition du ministère délégué à l’agroalimentaire, je signale que le ministre de l’agriculture, Stéphane Le Foll est très investi sur ce sujet. L’agroalimentaire et l’innovation sont des préoccupations constantes du Gouvernement et des parlementaires.

M. Hervé Pellois. La recherche et le développement sont des leviers importants de compétitivité pour nos entreprises agroalimentaires. Pourtant, les dépenses de recherche et de développement ne représentent que 1,8 % de la valeur ajoutée. C’est moins que le secteur manufacturier. Nous sommes donc, de mon point de vue, dans un secteur où l’on souffre d’un manque d’innovation, notamment dans la filière animale. J’ai deux questions : Pensez-vous que nous manquons de structures collectives ? Il semble pourtant qu’il y en a un certain nombre. Et êtes-vous pour ou contre un meilleur marquage de l’origine des produits ?

M. Antoine Herth. En prévision de cette audition, j’ai relu un rapport du Conseil économique, social et environnemental (CESE) d’avril 2014 intitulé « Favoriser l'accès pour tous à une alimentation de qualité, saine et équilibrée ». Un seul chapitre contient des propositions sur la recherche. Elles sont au nombre de trois : soutenir la démarche des professionnels pour améliorer la qualité nutritionnelle des produits ; interdire à terme les produits non conformes aux principes de nutrition ; et enfin, assurer une recherche publique efficace. Tout le reste préconise plus de contrôles et une meilleure éducation à l’alimentation. Cela illustre bien l’angoisse métaphysique qui existe aujourd’hui et qui est en train de prendre le dessus dans notre pays par rapport à l’alimentation. Pouvez-vous nous donner une cartographie européenne ou mondiale du consentement à l’innovation chez le consommateur ? Quel est pour vous aujourd’hui le vrai moteur de l’innovation ? S’agit-il de brouiller les cartes vis-à-vis de la grande distribution pour assurer vos marges, d’assurer une meilleure qualité intrinsèque du produit ou de répondre à l’évolution de la composition des ménages ?

Mme Michèle Bonneton. Le secteur de l’agroalimentaire souffre d’un certain défaut d’innovation. Que pensez-vous du crédit d’impôt recherche et du crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) ? Comment comptez-vous utiliser les gains du CICE ? Concernant l’information du consommateur, la réglementation est importante mais longue à se mettre en place. Elle est, par conséquent, toujours en décalage avec l’innovation. Que comptez-vous mettre au point pour mieux informer les consommateurs ? S’ils sont mieux informés, ils sont aussi moins inquiets. Tout le monde y est donc gagnant. Cela doit concerner aussi bien la nature des produits, la présence d’OGM, la provenance des produits, la présence de pesticides, la présence de nano-produits, dont certains ont la capacité de pénétrer au cœur même des cellules, en particulier dans le packaging, que la présence d’additifs, de sels, de sucres et de gras. Au Royaume-Uni, le système d’étiquetage est assez simple. Nous avions souhaité l’introduire au moment de la loi relative à la consommation mais nous avions eu un blocage de ce côté-là. Merci pour vos réponses.

M. Michel Piron. J’aimerais associer Thierry Benoît à mes questions. Vous avez évoqué la part importante de produits français (70 %) achetés par les transformateurs. Qu’en était-il il y a dix ans et surtout quelle sera cette part demain ? Vous avez évoqué la question de l’enjeu de filière et de la guerre des prix. Quels sont concrètement vos rapports avec la grande distribution aujourd’hui ? Peut-il y avoir une politique agricole cohérente, comme une politique de transformation ou industrielle cohérente, quand nous avons une telle concentration des centrales d’achat ? Certaines affichent comme seul slogan : « le moins cher, le moins cher, le moins cher ». Or on sait que, neuf fois sur dix, cela signifie des salaires au plus bas en amont pour ceux qui produisent et qui transforment. Vous avez évoqué la question de l’innovation. L’innovation, par définition, c’est la montée en gamme et la promotion du qualitatif. Avez-vous aujourd’hui, avec la baisse des marges, les moyens, au niveau de la fabrication, de la montée en gamme qualitative ? Quels sont les rapports entre les marques fabricants et les marques distributeurs ? Je serais également intéressé par un état des lieux des pôles de compétitivité créés en 2004. Est-ce un bon outil ? Est-il en train de s’améliorer ou de s’effilocher ?

Mme Jeanine Dubié. J’ai trois questions. Les dépenses consacrées à la recherche et au développement ne s’élèvent qu’à 1,8 % de la valeur ajoutée dans le secteur de l’agroalimentaire. Comment pouvez-vous expliquer ce manque d’investissement au-delà de la baisse des marges ? Quels moyens devraient être mis en œuvre, selon vous, pour favoriser ces dépenses ? Je voudrais ensuite vous interroger sur le plan industriel « Produits innovants pour une alimentation sûre, saine et durable ». Pouvez-vous nous apporter des précisions sur ses objectifs ? Une feuille de route a-t-elle été présentée, notamment en matière de productivité de l’agriculture ? Comment seront financés les appels à projets lancés en janvier dernier par le Gouvernement et dans quelle mesure les PME pourront-elles en être bénéficiaires ?

Enfin, dans le contrat de la filière alimentaire qui a été signé en juin 2013, les acteurs de la filière avaient prévu de créer une plateforme chargée d’adopter un agenda de recherche technologique sur l’innovation. Cet agenda a-t-il été mis en œuvre ? Quelles sont ses prochaines échéances ? Et sera-t-il décliné au niveau régional et local ?

M. Jean-Philippe Girard. Je vais essayer de répondre aux questions dans l’ordre. Non, nous ne manquons pas de structures collectives aujourd’hui. Nous en avons parfois même trop sur certains points. Nous avons peut-être besoin de davantage de lisibilité. C’est le travail effectué en ce moment par le comité stratégique de la filière alimentaire. L’enjeu est peut-être de spécialiser les pôles de compétitivité sur les grands enjeux : l’enjeu animal, l’enjeu végétal, l’enjeu process, l’enjeu conditionnement etc. Concernant l’origine des produits, je ne suis pas favorable à de nouvelles obligations. Je suis pour la transparence sur l’origine des produits car c’est dans l’intérêt de l’entreprise. Nous le devons au consommateur. Mais la démarche doit rester volontaire. Il faudra légiférer sur ce point. Mais il faut que l’Europe avance au même rythme. C’est un véritable problème pour nous si nous ne sommes pas suivis. Sinon nous nous freinons dans notre développement et notre croissance. Un équilibre est à trouver.

Vous avez évoqué le rapport du CESE, je le juge pour ma part incomplet. La composition nutritionnelle des produits est une question dépassée. Elle est aujourd’hui considérée comme l’élément fondateur du produit et le consommateur doit en effet pouvoir savoir à n’importe quel moment ce qu’il consomme. Nous lui devons ce faisant une certaine uniformité de l’information, qui doit être rendue plus lisible. Sur ce point, nous avons encore besoin d’avancer.

L’alimentaire est un secteur particulier, qui nous concerne tous, dans la vie de tous les jours. Le pas entre tradition et innovation est parfois difficile à franchir. En effet, l’innovation peut faire peur dans l’alimentaire et elle doit s’entendre comme une amélioration, sur un plan sensoriel, nutritionnel et fonctionnel. En tout état de cause, il faut ne faut pas qu’elle crée un blocage chez le consommateur. Nous ne faisons pas de l’innovation pour « brouiller », il s’agit de montée en gamme. De fait, on s’aperçoit que ceux qui sont les plus innovants dégagent des marges plus importantes et peuvent continuer l’aventure entrepreneuriale. Deux mots-clés sont à retenir et à relier : innovation et exportation. Dans la crise que nous vivons depuis cinq ans, nous voyons bien du reste comment des marges sont perdues sur les produits basiques, dans le secteur de la viande par exemple. Sur dix grands métiers du secteur alimentaire, cinq seulement contribuent à la balance positive en termes d’échanges extérieurs. Ce n’est pas un hasard si les cinq secteurs déficitaires sont également les secteurs les plus basiques. Soyons francs les uns et les autres, les sujets évoqués aujourd’hui, notamment la crise bretonne, l’étaient déjà il y a dix ans. Toutefois, la concurrence se joue désormais à l’échelle mondiale. Si nous n’avançons pas en termes d’innovation ou de labellisation, nous serons morts à terme !

Je veux revenir sur ce qui a été dit en ce qui concerne le défaut d’innovation dans l’alimentaire, avec ce fameux chiffre de 1,8 %. Prenez garde à ne pas mettre sur le même plan l’alimentaire et les secteurs du médicament ou de l’aéronautique. Nous innovons avec nos moyens et avec les marges dont nous disposons. J’ai demandé à mon chef économiste de travailler sur l’évaluation du pourcentage par rapport à la valeur dégagée du produit. On obtient alors un taux de 7,2 %. Allez vérifier dans les entreprises situées dans vos territoires, vous constaterez que nous innovons en permanence, à la fois sur le produit, sur le process, sur le plan social ou en matière d’ergonomie et que c’est inscrit dans les gènes des entreprises qui se développent. Tout le monde n’échoue pas dans la viande et la volaille ! Encore une fois, notre salut passe par l’innovation et la différenciation.

Le crédit impôt-recherche figure parmi les plus belles décisions prises au cours des vingt dernières années, car il constitue un moteur et une véritable incitation à l’innovation. Les entreprises qui ont intégré cette dimension recrutent et se développent. Nous avons même demandé son renforcement en direction des PME. J’insiste aussi sur les entreprises de taille intermédiaire, qui sont souvent les grandes oubliées. Le crédit impôt-compétitivité-emploi va également dans le bon sens mais il faut craindre qu’avec la guerre des prix, il ne fonde au terme des négociations commerciales avec la grande distribution, de sorte qu’à l’arrivée, ce soit cette dernière qui le touche doublement. A cet effet, les négociations en 2013, pour 2014, se sont très mal passées et ont été très tendues, vous pouvez du reste le vérifier au niveau de l’emploi et du nombre d’entreprises en difficulté dans le secteur.

S’agissant de « l’info conso », notre objectif est bien de remettre le consommateur au cœur de notre action. Nous lui devons transparence et vérité sur le produit et sur son prix, ce qui passe notamment par un étiquetage convenable. Sécurité, qualité et accessibilité du prix doivent aller de pair.

Le sujet des perturbateurs endocriniens, des additifs et des nano produits nous préoccupe, bien évidemment. Nous nous condamnerions à moyen terme si nous ne tenions pas compte des remarques de l’ANSES et des associations diverses. Cela étant, il faut dépasser l’opposition des bons et des mauvais produits et s’attacher aussi à la question de la consommation en excès ou en insuffisance. Sucre, sel et gras sont les grands sujets sur lesquels nous travaillons mais encore une fois, gardons de justes proportions. Trop de sel on meurt, sans sel on meurt également…

Nous achetons 70 % de la production végétale et animale, ce ratio a globalement peu évolué en quinze ans. L’enjeu à venir dans le contrat de filière consiste à mieux se connaître et mieux travailler ensemble. Tout le monde doit trouver de la valeur. Il est insupportable de voir un agriculteur ne pas parvenir à gagner sa vie, un transformateur qui peine, et une grande distribution qui orchestre l’ensemble. A 12 000 contre 7, nous devrions gagner, ce n’est malheureusement pas le cas. Sur les sept enseignes auxquelles nous faisons face, par ailleurs, trois sont souvent regroupées. Nous avons laissé un empire se créer et nous en sommes aujourd’hui dépendants. Il est très fréquent qu’une entreprise tourne pour 30 % de son chiffre d’affaires avec une seule enseigne et quand celle-ci agite la menace du déréférencement, les dégâts sont considérables. Nous devons parvenir à trouver un équilibre, en passant d’une logique de confrontation avec nos clients à une logique de co-construction, avec ce que j’appelle une « négociation responsable » sur les prix, les quantités, et aussi sur le plan moral.

Au sujet de la LME, quand je vois les efforts déployés ces dix dernières années, avec cinq lois votées, les avancées sont minces. La situation est globalement moins bonne qu’il y a dix ans. Beaucoup de débats, de crispations et de temps pour peu de résultats, en somme ! La relation avec la grande distribution reste à construire, en suivant notamment les exemples allemand ou anglais.

Les pôles de compétitivité sont une très bonne chose car une vraie dynamique a été insufflée dans certains territoires et au bénéfice de certains métiers, au détriment peut-être parfois d’une insuffisante spécialisation, dont nous avons besoin. Peut-être en avons-nous un peu trop fait initialement.

Je veux revenir sur les contrats de filière dont les enjeux sont l’emploi, l’investissement, le financement, l’innovation, l’exportation et la promotion. Sur ce dernier point, sachez que j’ai repris récemment la présidence du conseil de surveillance du salon international de l’alimentation (SIAL), réel enjeu pour nos entreprises. Nous venons du reste d’acter le lancement d’un « SIAL Africa », de sorte que nous serons désormais présents dans toutes les grandes régions du monde. Cela nous permet d’embarquer nos entreprises à l’export. J’en profite pour lancer un message : donnons de la gratuité à nos primo exportateurs pour leur permettre de goûter à l’export ! Enfin, le SIAL permet aussi d’aller chercher des ressources nouvelles et des produits nouveaux.

Dans le cadre du plan industrie, plusieurs sujets ont été identifiés en vue d’une alimentation plus saine, plus sûre et plus durable : l’emballage du futur – intelligent, pratique, qui évite le gaspillage et qui voyage bien, notamment pour les produits fermentés – l’abattoir du futur – avec comme objectif de rejoindre les Allemands et de les dépasser – le froid du futur – plus écologique et moins cher –, les ferments du futur – rappelons à cet effet que nos trois familles de produits les plus performantes à l’export sont constituées de produits fermentés avec le vin, le fromage et les produits laitiers, les céréales. Enfin, l’alimentation sur mesure et connectée peut faire peur de prime abord mais il s’agit par exemple de pouvoir identifier une allergie via les indications relatives au produit. Déjà aujourd’hui, avec les plateformes telles que Alimexpert ou Alimevolution, des inquiétudes peuvent être levées, au sujet de la date limite de consommation d’un yaourt par exemple.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Je vous remercie d’avoir parlé de l’innovation, qui concerne effectivement à la fois le produit lui-même et son emballage. Le consommateur est attaché aux produits qu’il connaît bien et qu’il peut bien identifier. Pourriez-vous nous indiquer deux ou trois objets précis qui vous gênent dans la vie quotidienne, dans une optique de simplification ? Sur les étiquettes, il est parfois difficile de s’y retrouver, ou alors il faut avoir de bons yeux ! Concernant les produits frais, j’entends bien que l’emballage indique la date de péremption, mais qu’en est-il de la durée de vie du produit une fois celui-ci ouvert ?

Mme Marie-Noëlle Battistel. L’agroalimentaire est le premier secteur industriel de France tant en chiffre d’affaires qu’en en valeur ajoutée. Il représentait 13 % des exportations en 2012. C’est le premier employeur industriel français avec plus de 500 000 employés au sein de 12 000 entreprises réparties sur l’ensemble du territoire. Mais ces entreprises sont confrontées depuis plusieurs années à des difficultés structurelles telles que l’instabilité des cours des matières premières, une forte spéculation ou une concurrence internationale intense voire parfois déloyale. A titre d’exemple, dans ma circonscription, l’entreprise Valécrin qui emploie une trentaine de salariés, et qui embouteille de l’eau de source de montagne, reste fragile malgré sa technologie innovante et une ouverture récente à l’exportation. Quels sont les moyens d’étendre le périmètre des exportations de ces très petites entreprises ?

M. Damien Abad. J’aimerais connaître l’avis de nos intervenants sur les nouveaux outils de la loi relative à la consommation adoptée en début d’année, tels que la mention « fait maison », les nouvelles mesures d’étiquetage et l’action de groupe. Plus précisément, quelles sont les perspectives du groupe Salins du midi, notamment à Aigues-Mortes, au regard de l’évolution du marché du sel ?

Mme Brigitte Alain. Les industries agroalimentaires sont exportatrices, mais en dehors des vins et spiritueux, elles sont largement importatrices, notamment pour le soja ou la nourriture destinée à l’élevage. La loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt a permis l’ouverture de « projets alimentaires territoriaux ». Comment l’industrie agroalimentaire est-elle prête à accompagner ces projets alimentaires territoriaux ? Comment peut-elle concilier les attentes des consommateurs et l’écologie (circuits courts) et comment compte-t-elle modifier ses méthodes de production et de consommation ?

M. Philippe Armand Martin. En matière de recherche et de développement, le secteur agroalimentaire présente des difficultés pour assumer les charges qui lui incombent. Ne serait-il pas opportun de mettre en place une coordination verticale entre les différents acteurs de la filière agroalimentaire ? La grande distribution ne pourrait-elle pas soutenir les producteurs en aval ? Le rôle de la recherche est de préparer l’avenir par des technologies nouvelles, de fournir des aliments protéinés en améliorant la chaîne carbonée. Comment peut-elle aider en même temps les industries à garder et à amplifier leurs parts de marché ? Le renforcement de la recherche et de l’innovation est nécessaire pour faire face à la concurrence et aux grands défis alimentaires du XXIème siècle. Or plusieurs rapports constatent le manque d’investissements dans ce secteur d’activité. Quelles sont les pistes pour relancer la recherche française en matière alimentaire ?

Mme Pascale Got. L’innovation en France est beaucoup plus présente pour les process que pour les produits eux-mêmes. Comment arriver à rééquilibrer ces deux aspects ?

Quelles connaissances serait-il utile de transmettre aux agriculteurs pour qu’ils puissent participer eux-mêmes directement à l’innovation ? Enfin, quel est votre avis sur le label « fait maison » ?

M. Jean-Claude Mathis. Lors du comité stratégique de la filière agroalimentaire du 22 avril dernier, le ministre de l’agriculture a annoncé la tenue d’une journée de présentation du Pacte de responsabilité en juin 2014 pour le secteur de l’agroalimentaire au cours de laquelle il énoncerait les contreparties pour les entreprises en terme de baisse de charges afin de permettre le financement de l’innovation en agroalimentaire. Il a indiqué : « De grandes innovations s’annoncent, mais il faut les financer. » Il faut donc trouver de nouveaux mécanismes de financement public et privé et à cet effet, la médiatrice du crédit doit remettre au mois de juin un rapport sur l’agroalimentaire et le financement des entreprises du secteur. Que pensez-vous de ces pistes ?

Mme Annick Le Loch. Il existe véritablement de l’innovation en matière agroalimentaire, et c’est particulièrement visible en Bretagne où de nombreuses entreprises sont installées. Elles réalisent d’ailleurs 59,5 % d’innovation quand la moyenne nationale est de 48 %. Mais ce sont de grands groupes aux moyens financiers importants, dont l’innovation est davantage tournée vers les produits laitiers ou la boulangerie que vers le poisson. Quelles relations commerciales peut-on donc envisager avec la grande distribution ? Dans un communiqué de presse du mois de mars relatif aux négociations entre producteurs et distributeurs, vous êtes assez sévères. Peut-on espérer des changements à la suite de la loi de modernisation de l’économie modifiée par la loi relative à la consommation ou serons-nous confrontés à un échec pour rééquilibrer le rapport de force entre les entreprises de l’agroalimentaire et les centrales d’achat ?

L’augmentation des sanctions dans les conditions générales de vente, ou la création des clauses de renégociation sont-elles de nature à amoindrir ce déséquilibre ?

M. Alain Suguenot. Le consommateur n’est-il pas victime de ses fantasmes ? L’innovation porte-t-elle sur le packaging ou sur le produit ? Quel est le rôle des marques distributeur, du chantage opéré par certaines formes de grande distribution sur la filière agroalimentaire ? L’innovation doit être une réponse pour le consommateur qui cherche plus de naturel et de traçabilité. Or la grande distribution tend aujourd’hui à utiliser le consommateur et à abuser des facilités de la loi et semble être ainsi à l’origine de beaucoup des scandales alimentaires actuels qui font souffrir le secteur agroalimentaire. On affirme être passé d’une culture de l’offre à une culture de la demande pour mieux satisfaire le consommateur, or il semblerait que ce système explique les difficultés rencontrées pour la production de qualité, la consommation et la sécurité alimentaire.

Mme Audrey Linkenheld. Je m’associe d’abord à l’ensemble des questions déjà posées. Avant de parler du faible pourcentage d’investissement en recherche et développement dans l’agroalimentaire, il serait judicieux de savoir ce que l’on entend par « innovation » : est-ce une innovation autour du produit (packaging, marketing) ou sur le produit lui-même avec la recherche de la qualité nutritionnelle, de la satisfaction du consommateur, de la sécurité sanitaire, et même l’invention de nouveaux produits ? L’innovation doit traverser toute la filière d’amont en aval.

Mme Sophie Rohfritsch. On fonde beaucoup d’espoirs sur les pôles de compétitivité qui permettent d’associer argent privé et argent public et surtout de réorienter de manière efficace l’argent public par le biais de leurs plateformes technologiques, laboratoires ou appels à projets. Le futur pôle de compétitivité ARIA – Alsace mobilise des acteurs et des financements autour de la qualité, du goût et de la qualité nutritionnelle des aliments comme le jus de choucroute. Peut-on, grâce à ces pôles, infléchir la façon de distribuer les produits, notamment pour les grandes enseignes de distribution à l’instar de Super U ? L’enjeu des appels d’offres au sein des pôles de compétitivité est de réorienter l’argent public vers les circuits de distribution courts, locaux, innovants et pour des produits à un prix acceptable pour le consommateur.

Mme Béatrice Santais. En matière d’alimentation connectée, que vous avez présentée de manière très positive, comment s’organiser pour faire face au rachat de noms de domaine par des sociétés privées internationales comme en témoigne la bataille entre les « .vin » ou « .wine » ? La force de l’agroalimentaire français sont notamment les labels ou les indications géographiques protégées. Comment pouvons-nous conserver cet atout dans une alimentation de plus en plus connectée ? Ne court-on pas également un grand risque de consommer demain n’importe quel produit par le biais d’internet et des aliments connectés ?

M. Hubert François. Il faut distinguer l’innovation dans l’alimentaire de l’innovation dans l’agroalimentaire, qui ne touche pas les mêmes entreprises.

La création de produits nouveaux est plutôt difficile ; même Apple avec les nouveaux i-pad ne fait qu’améliorer le produit « ordinateur personnel » qui existe depuis longtemps. Le secteur alimentaire connaît le même fonctionnement, à la différence qu’il est confronté à un handicap majeur qui est celui de l’étiquetage, puisqu’il rend public les « secrets » d’innovation du produit. La nécessité de transparence dans le secteur alimentaire amplifie la concurrence, notamment des pays étrangers, qui copient nos produits. L’innovation technologique peut être protégée et elle ne s’accompagne pas d’un étiquetage obligatoire, à la différence de l’innovation en matière alimentaire. Nous sommes très favorables à la transparence mais celle-ci peut nuire à l’émergence de réelles innovations permettant de devenir un champion mondial sur un produit.

Vous avez soulevé le sujet des marques de distributeurs. Ce sont, ni plus ni moins, des copiages de produits déjà existants, déjà innovés. L’effort d’innovation dans notre métier est permanent mais ce sont des innovations de courte durée car elles sont rapidement copiées. Il faudra donc se donner les moyens de protéger l’innovation. Protéger l’innovation, c’est le meilleur moyen de la favoriser. Le problème pour l’agroalimentaire est que nos innovations sont des recettes qui sont plus difficiles à protéger. Notre secteur compte de grands domaines de recherche publique, nombre également d’établissements d’enseignements supérieurs ou de grands chercheurs qui pourraient bien plus se mettre aux côtés des entreprises. Mais ces établissements de recherche sont dans un malaise qui remonte à presque vingt ans. Il faut donc impérativement que les entreprises réussissent à entraîner, dans une dynamique internationale, ces établissements pour profiter de leurs connaissances fondamentales. Ce sujet méritait d’être évoqué.

Je veux enfin saluer la réussite du crédit impôt recherche. Aujourd’hui, une innovation dans l’industrie alimentaire se caractérise par un nouveau produit qui nécessite la mise au point d’une nouvelle ligne de production voire d’une nouvelle usine. Se pose alors la question du sous-investissement dans notre secteur, qui est un sujet à regarder de plus près au travers d’instruments comme le CIR.

M. Patrice Robichon. Il faut bien distinguer le domaine de la recherche de celui de l’innovation. La recherche se définit comme la production de connaissances nouvelles. L’innovation est l’assemblage de connaissances existantes pour des applications nouvelles. Pour reprendre l’exemple de l’IPhone, il s’agit bien d’une innovation correspondant à un assemblage astucieux répondant à un besoin identifié des utilisateurs mais il n’y a pas eu de besoin de recherche. Le secteur de l’agroalimentaire ne consacre effectivement que 1,8 % de sa valeur ajoutée à la recherche et développement. Mais en réalité, compte tenu de la typologie de nos entreprises qui sont essentiellement des petites et moyennes entreprises, ces dernières pour la plupart ne font pas de recherche. Il y a bien sûr des entreprises qui font exception en participant à des appels d’offres français ou européens en association avec des grands groupes ou des équipementiers. Mais l’essentiel de la dépense en R&D est consacrée à l’innovation. Chez Pernod-Rocard comme dans la plupart des entreprises, l’innovation porte aussi bien sur les produits, les procédés, l’organisation ou encore la gestion de la chaîne d’approvisionnement aussi appelée supply chain. Toutes ces innovations peuvent avoir un impact très important sur la rentabilité des entreprises sans que cela soit d’ailleurs perceptible par le consommateur. Nous aurions d’ailleurs intérêt à expliquer davantage nos innovations, en particulier dans le domaine environnemental. Nous avons des projets d’écoconception de procédés et de recherche d’efficacité énergétique, notamment d’efficacité dans l’utilisation de l’eau, et plus généralement de matière première. Rapidement des économies peuvent être réalisées avec des conséquences sur le résultat de l’entreprise. Sur le plan global de l’économie et de l’environnement, c’est également très favorable. Il faudrait donc plus en parler. Au sein de Food for Life France nous avons une feuille de route que nous déclinons sur tous ces domaines. Nos innovations ne touchent donc pas qu’aux seules innovations produit même si ces dernières, aussi bien de contenu que de contenant c’est-à-dire d’emballage, sont le cœur de notre effort. Les autres aspects de l’innovation ne doivent cependant pas être passés sous silence d’autant qu’ils pourront à l’avenir être stratégiques pour le développement de notre filière.

M. Jean-Philippe Girard. Il a été évoqué tout à l’heure le lien entre fragilité et taille des entreprises. La taille de l’entreprise joue incontestablement dans sa capacité à exporter. Pour les entreprises de petite taille, de nombreux projets se montent en région comme des stands collectifs d’exposition des savoirs faires que l’on peut visiter notamment au SIAL. Mais nous devons être plus ambitieux et penser au niveau national. Ce que recherchent les étrangers, c’est la France, son image et ensuite le savoir-faire des régions. La taille est vraiment un facteur discriminant pour l’exportation. Je le vis dans mon entreprise qui réalisé 54 % de son chiffre d’affaires à l’exportation. Une entreprise qui le souhaite doit consacrer au minimum 200 000 à 300 000 euros pour pouvoir exporter. Il y a donc bien un enjeu d’investissement public pour soutenir les primo-exportateurs.

Je répondrai très difficilement à la question du « fait maison » car c’est un sujet sur lequel je ne peux trancher. Le producteur qui déciderait de ne pas mentionner sur son emballage l’information « fait maison » se pénaliserait de facto. À l’export, les entreprises françaises sont contraintes de publier leur bilan alors même que cette obligation ne pèse pas sur leurs concurrents. Au bout d’une certaine période, ces derniers ont une connaissance parfaite de la structure des bilans alors qu’il suffit, par exemple, à des entreprises allemandes de payer pour ne pas avoir à le faire.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Les producteurs doivent communiquer également leur bilan aux entreprises de distribution !

M. Jean-Philippe Girard. Oui vous avez raison. Une simple anecdote sur la question des marques de distributeurs (MDD) me permettra d’illustrer ce propos. J’ai présidé une commission sur la protection de l’innovation. Lorsqu’une entreprise est référencée auprès d’un distributeur, elle doit compléter un document de référencement qui nécessite de donner une masse d’information considérable. Il est normal que l’entreprise de distribution s’informe de la situation financière du fournisseur mais de ce fait elle est en position de presque tout savoir sur ce dernier : sa structure, son chiffre d’affaires, sa dépendance à l’égard de ce distributeur… Le produit, son étiquetage, ses pourcentages… Je suis dur au sujet de la moralité de certains acheteurs car certains font une copie de ces informations et les envoient directement au concurrent. En conséquence, le travail de recherche et développement, long et coûteux, peut être transmis directement à un concurrent qui n’a pas supporté la charge de l’innovation mais va bénéficier de l’information. Cette situation n’est pas tenable.

Je reviens maintenant sur la question du « fait maison ». Libre à celui qui veut inscrire la mention « fait maison » de le faire. Cette information peut être rassurante pour le consommateur. En un an, nous avons réussi à mettre autour de la table, pour un échange constructif, Coop de France, les industries agroalimentaires et la Confédération Générale des Artisans. Chacun doit trouver sa place. L’enjeu, c’est bien la volonté du consommateur. Les entreprises n’ont aucun intérêt à ne pas se concentrer sur cette dimension car s’il est déçu, le consommateur part acheter ailleurs.

J’en viens au Plan industrie du gouvernement. Sur les 33 plans sectoriels présentés au départ, aucun ne concernait l’agroalimentaire alors même que nous sommes le premier secteur industriel français. Cette anomalie a été réparée et nous avons obtenu un 34ème plan intitulé, de façon assez consensuelle, « Produits innovants, pour une alimentation sûre, saine et durable ». Nous avons souhaité prouver que l’agroalimentaire était une industrie responsable sur le plan social, écologique et économique en construisant notre projet. Une cinquantaine de projets régionaux étaient attendus mais ce sont en réalité 530 projets qui sont remontés des territoires. C’est formidable ! Il n’y aura pas des financements pour tous mais j’ai demandé au ministre qu’une réponse soit au moins envoyée à chaque entreprise pour expliquer les fléchages de crédits.

Concernant les contreparties au Pacte de responsabilité et de solidarité, j’ai obtenu une audience auprès du Président de la République le 15 avril. Nous sommes en discussion permanente mais la relation entre agriculteurs, industries agroalimentaires et distributeurs doit être soutenue. La politique agricole est décidée au niveau européen mais les industries alimentaires n’en sont pas destinataires. Par ailleurs, les relations avec la grande distribution sont souvent tendues même si j’apprécie nos interlocuteurs comme Serge Papin par exemple, qui s’est inscrit dans une véritable démarche de territoire. Reste que le politique d’achat des centrales est extrêmement dure en raison de la concurrence qu’elles se mènent entre elles. Je rappelle que les enseignes font leur rentabilité sur les fournisseurs car elles ne peuvent désaligner leurs prix. Je le dis avec une pointe d’humour mais la grande distribution ne fait rien en tant que tel. Elle a un rôle de service mais ne produit rien. Nos relations avec elle sont complexes. La loi de modernisation de l’économie a constitué une avancée sur la question des conditions générales de vente, sur l’application de la loi, le contrôle et la communication des sanctions mais elle n’empêche pas les menaces permanentes de déréférencement. Je veux dire cette vérité pour pouvoir discuter sur un pied d’égalité avec les patrons des grandes enseignes. Nous avons besoin des parlementaires pour avancer sur cette négociation entre nous. Elle devra s’établir entre des fournisseurs et des acheteurs responsables, responsables moralement. J’insiste sur ce terme de responsabilité. Il faut qu’acheteurs et fournisseurs soient responsables de leur métier, de leur avenir et de leur pays.

Quelques mots sur la Bretagne, sujet qui revient régulièrement du fait de son poids de 15 % dans le secteur. Elle est dans la zone rouge. Il y a un sujet. On doit trouver comment sortir de la crise en tenant compte de la question de l’offre et de l’amont.

Sur l’innovation, il est faux de dire que le secteur de l’agroalimentaire n’est pas générateur d’innovation. Prenez l’exemple du pain : en trente ans, l’offre en boulangerie a considérablement évolué pour se diversifier et permettre au consommateur de trouver une baguette selon ses goûts. Cette évolution peut ne pas vous paraître révolutionnaire. Je reconnais qu’il est plus facile pour un ministre de décrire l’avion du futur plutôt que l’aliment du futur. Reste que notre industrie regroupe 12 000 entreprises alors que l’aéronautique n’en rassemble que 10 à 30 avec les sous-traitants.

Une question a été posée sur l’alimentation connectée. Elle soulève en réalité le problème de la logistique virtuelle et réelle. Sur le virtuel, on doit se méfier du fait de la contrefaçon. Il faut avoir conscience du fait que les entreprises françaises se font copier et que des stratégies collectives doivent être menées.

Sur la distribution des produits, de nouvelles formes se développent. Dans les 530 projets, on retrouve de nombreuses initiatives intelligentes et astucieuses en matière de nouveaux circuits et de leurs coûts. Notre industrie n’est pas contre les circuits courts et agissons sur l’économie du produits et de ses matériaux. Mais nous devons rester à un prix accessible en jouant sur les trois leviers traditionnels : le contenu c’est-à-dire le produit, le contenant soit son emballage et enfin la logistique, son acheminement. Nous devons promouvoir sur ces trois points la qualité, la sécurité et la diversité de l’offre.

M. Hubert François. Un mot pour répondre à l’avenir du site d’Aigues-Mortes. Je veux rassurer M. Abad en lui disant que nous continuons d’investir et de développer à l’international les produits du site.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mercredi 7 mai 2014 à 9 h 30

Présents. - M. Damien Abad, Mme Brigitte Allain, Mme Delphine Batho, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Thierry Benoit, M. Yves Blein, Mme Michèle Bonneton, M. André Chassaigne, M. Jean-Michel Couve, Mme Fanny Dombre Coste, Mme Jeanine Dubié, Mme Corinne Erhel, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Daniel Fasquelle, M. Christian Franqueville, M. Franck Gilard, M. Georges Ginesta, M. Joël Giraud, M. Daniel Goldberg, Mme Pascale Got, M. Jean Grellier, M. Razzy Hammadi, M. Antoine Herth, M. Henri Jibrayel, M. Philippe Kemel, M. Thierry Lazaro, M. Michel Lefait, Mme Annick Le Loch, M. Philippe Le Ray, Mme Audrey Linkenheld, Mme Jacqueline Maquet, M. Alain Marc, M. Philippe Armand Martin, Mme Frédérique Massat, M. Jean-Claude Mathis, M. Kléber Mesquida, M. Paul Molac, M. Yannick Moreau, M. Germinal Peiro, M. Hervé Pellois, Mme Josette Pons, M. Dominique Potier, M. Patrice Prat, M. François Pupponi, M. Frédéric Roig, Mme Béatrice Santais, M. François Sauvadet, M. Michel Sordi, M. Éric Straumann, M. Alain Suguenot, M. Lionel Tardy, M. Jean-Charles Taugourdeau, M. Jean-Marie Tetart, Mme Catherine Troallic, M. Fabrice Verdier

Excusés. - M. Bruno Nestor Azerot, Mme Ericka Bareigts, M. Christophe Borgel, M. François Brottes, M. Dino Cinieri, Mme Laure de La Raudière, M. Jean-Luc Laurent, M. Serge Letchimy, Mme Marie-Lou Marcel, M. Bernard Reynès, M. Jean-Paul Tuaiva, Mme Catherine Vautrin

Assistaient également à la réunion. - M. Yves Foulon, M. Michel Piron, Mme Sophie Rohfritsch, M. François Vannson