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Commission des affaires économiques

Mercredi 7 mai 2014

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 77

Présidence de M. François Brottes Président puis de Mme Frédérique Massat Vice-Présidente

– Audition, ouverte à la presse, de M. Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture, de l’agro-alimentaire et de la forêt sur les assurances agricoles.

La commission a auditionné M. Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt sur les assurances agricoles.

M. le président François Brottes. Je vous remercie, monsieur le ministre, de votre présence. Lors de la première lecture du projet de loi d’avenir pour l’agriculture – et, à ce propos, nous aimerions connaître la date prévue pour la deuxième lecture –, vous aviez pris deux engagements sur des points qui restaient en suspens. Le premier concernait les stratégies par filière, sujet débattu au sein de l’établissement national FranceAgriMer chargé d’animer le dialogue entre l’ensemble des professions agricoles. Le second, que vous honorez aujourd’hui, consistait à nous présenter l’état de vos réflexions sur le problème des assurances agricoles, tout particulièrement sur la couverture des risques climatiques – et quel secteur y est plus exposé que l’agriculture, de surcroît en fonction d’aléas qui varient au mois le mois ?

Le régime des calamités agricoles se révèle insuffisant, surtout lorsque les événements climatiques se succèdent à des intervalles très courts. Il était donc temps de proposer une autre approche et nous attendons de vous que vous nous présentiez vos orientations ainsi que des dispositions concrètes de nature à rassurer ceux qui observent le temps qu’il fait avec la peur de voir menacée la survie de leur exploitation par des épisodes de froid, de sécheresse ou de grêle, qui ont perdu le caractère exceptionnel qu’ils avaient autrefois.

Cela dit, monsieur le ministre, je vous prie de m’excuser : obligé de présider une autre réunion, je dois céder sans attendre la direction de celle-ci à Mme Frédérique Massat.

(Présidence de Mme Frédérique Massat, vice-présidente de la Commission)

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Je commencerai par un point très rapide sur le premier sujet mentionné par le président Brottes : les plans stratégiques élaborés dans le cadre de FranceAgriMer ont été présentés dans leurs grandes lignes, mais ne seront définitivement arrêtés qu’en juin ; j’espère donc pouvoir vous les exposer lors de la deuxième lecture du projet de loi d’avenir, qui devrait avoir lieu avant l’été. En tout état de cause, vous en serez les premiers destinataires.

Aléas de marché, aléas climatiques et aléas sanitaires peuvent tous avoir des conséquences très lourdes sur les revenus des agriculteurs. Depuis mai 2012, un certain nombre de mesures ont été mises en œuvre dans le cadre des lois de finances. Ainsi, après les déclarations du Président de la République au Salon des productions animales-Carrefour européen – SPACE – de septembre 2012, les mécanismes de déduction fiscale pour investissement (DPI) et de déduction fiscale pour aléas (DPA) ont été revus, comme le souhaitaient les agriculteurs, dans le cadre de la loi de finances rectificative de 2012. Mais le projet de loi d’avenir est l’occasion d’une réflexion plus générale, dont je veux vous faire part aujourd’hui.

Au niveau européen, les outils ont changé. Une organisation commune de marché (OCM) unique a remplacé les OCM par production ; elle est assortie d’un filet de sécurité pour les productions qui connaîtraient une crise ou des difficultés particulières. D’autre part, l’assurance récolte et le fonds de garantie contre les calamités ont été préservés ; s’y est ajouté un fonds de mutualisation sanitaire, qui semble bien fonctionner.

En matière d’assurance, l’État doit accompagner des choix qui dépendent des exploitants ; mais c’est un système mutualiste, plutôt qu’assurantiel, qu’il nous faut bâtir : si les exploitants devaient prendre individuellement à leur charge la prime du risque encouru, ils ne pourraient s’assurer dans certaines régions particulièrement exposées aux événements climatiques.

Aux dispositifs que j’ai rappelés, il faut en ajouter d’autres, déjà connus : le fonds d’allégement des charges, l’exonération de taxes sur le foncier non bâti, l’allégement de cotisations sociales et des dispositifs fiscaux de lissage des revenus imposables.

La logique que nous voulons suivre consiste à étendre le système de mutualisation aux différents types de risques : inondations, sécheresses et autres aléas climatiques, pertes de récolte ou de fourrage, autant d’événements qui impliquent des dépenses très variables. Les ressources du fonds contre les calamités, issues des cotisations, ne sont pas toutes utilisées, et heureusement car il y a nécessité de constituer des réserves, les dépenses pouvant varier de 20 ou 30 millions d’euros à 100, voire 130 millions comme en 2011 après l’épisode de sécheresse.

Le système de couverture publique repose, depuis 2011, sur un juste équilibre entre les crédits de l’État et ceux de l’Union européenne. Nous avons fait le choix, après un dialogue avec les professionnels, d’un transfert du premier vers le deuxième pilier de la politique agricole commune (PAC), opération qui devrait permettre de mobiliser quelque 100 millions d’euros.

Nous souhaitons donc la mise en place d’un système mutualiste visible et le maintien des dispositifs existants, mais aussi la création d’un « contrat socle », à la conception duquel s’attelle un groupe de travail réunissant les différents assureurs. Ce contrat, en adossant les financements publics à des garanties privées, permettra à tous les exploitants de bénéficier d’une couverture minimale, définie en fonction des types de production ; aujourd’hui, faut-il le rappeler, seulement 20 à 25 % des agriculteurs sont assurés pour leur récolte.

L’objectif est la présentation d’un paquet global avant l’été ; reste à négocier les contrats socles, à savoir les conditions de prime et de couverture proposées par les établissements financiers, étant entendu que les primes devront être les moins élevées possibles pour rester accessibles au plus grand nombre. Sans doute convient-il également de changer de paradigme : un événement climatique important n’entraîne pas seulement une perte de revenus, mais aussi et peut-être surtout une perte de la capacité de production. C’est le maintien de cette capacité, autrement dit de la possibilité de remettre l’exploitation en état de marche, qu’il faut avant tout garantir. En ce sens, la couverture doit être aussi large que possible en sorte que les agriculteurs ne se retrouvent plus contraints d’arrêter leur activité, ayant perdu tout leur capital, comme il est arrivé en Ariège, malgré la mobilisation du fonds de garantie contre les calamités.

L’une des difficultés, pour les compagnies d’assurances et les établissements financiers, est que les cotisations ne couvrent pas les indemnités versées au titre de l’assurance récolte, celles-ci pouvant monter à des niveaux très élevés avec la récurrence d’événements climatiques. Et la difficulté est d’autant plus grande qu’aujourd’hui, un opérateur assume presque à lui seul la garantie. Dans cette phase où l’équilibre du modèle assurantiel agricole reste à trouver, la puissance publique doit jouer tout son rôle. Mais le besoin essentiel est un besoin de réassurance – d’autant que les normes de Bâle III, notamment en matière de fonds propres, ont un coût pour les établissements financiers ; une réunion aura lieu sur ce sujet, la semaine prochaine, entre la Caisse centrale de réassurance et ces établissements, en vue, je l’espère, d’un accord dans les prochaines semaines.

Le transfert du premier vers le deuxième pilier de la PAC permettra de financer une partie de la couverture assurantielle des agriculteurs ; ce sujet, au passage, intéresse l’évolution de la PAC : aujourd’hui, les aides à l’hectare garantissent une partie des revenus, mais d’aucuns se demandent si l’un des objectifs d’une politique agricole ne devrait pas être de garantir un revenu aux agriculteurs, indépendamment des fluctuations du marché – ce qui suppose un système mutuel.

La DPA et la DPI pourront être rediscutées dans le cadre des projets de loi de finances ; au sein du ministère, des services consultent les professionnels sur l’évolution de ces dispositifs, notamment au regard des taux d’intérêt de retard sur la réintégration de la DPA après sept ans, taux qui doivent être dissuasifs pour éviter l’optimisation mais sans pénaliser les agriculteurs qui constituent des provisions en vue des années difficiles.

Les contrats socles pourront bien entendu varier en fonction des types de production ; la palette offerte doit donc être la plus large possible afin de couvrir tous les risques. D’autre part, nous maintiendrons, je le répète, les dispositifs existants, quitte à faire évoluer, dans le cadre nouveau que nous proposons, le fonds de garantie contre les calamités qui, par ailleurs, donne toute satisfaction.

L’objectif est de mettre en œuvre ce cadre entre 2015 et 2018, trois années de test avant une extension éventuelle. En effet, compte tenu de la situation des finances publiques, l’État n’est pas en mesure d’apporter les abondements nécessaires à une couverture de la totalité des agriculteurs ; d’où le transfert du premier vers le deuxième pilier de la PAC. Reste qu’à ce stade, l’objectif d’une couverture totale n’est pas atteint. À cet égard, une clause de révision de la PAC en 2017, prise en compte dans le projet de loi d’avenir, permettra d’augmenter le prélèvement sur le premier pilier, afin d’étendre le système, s’il a fait ses preuves, grâce à un abondement supplémentaire du deuxième pilier. En attendant, l’idée est de mettre le dispositif en place dans les deux ans qui viennent.

Les deux grandes questions d’ingénierie financière qui restent sur la table sont, je le répète, les contrats socles et le mécanisme de réassurance, négocié avec la Caisse centrale de réassurance. Les discussions sont longues, techniques et difficiles, mais elles avancent et devraient aboutir d’ici à l’examen en deuxième lecture du projet de loi d’avenir.

Mme Frédérique Massat, présidente. Certains acteurs de l’agroalimentaire, que nous avons rencontrés ce matin à l’occasion d’une table ronde, se sont montrés contrariés par la suppression du ministère délégué à leur secteur ; nous leur avons rappelé que votre portefeuille incluait explicitement cette compétence, et qu’elle vous tenait à cœur.

Vous avez surtout évoqué les risques climatiques. Qu’en est-il des risques de marché ?

Les établissements financiers définiront-ils eux-mêmes l’équilibre économique du modèle assurantiel ? De quel pouvoir disposez-vous pour peser dans ce débat compliqué ?

Les Hautes-Pyrénées et la Haute-Garonne ont été fortement touchées par les inondations. La prévention, aviez-vous dit, est l’un des principaux axes de votre action, et cela passe par exemple par une clarification des droits et responsabilités des agriculteurs dans l’entretien des cours d’eau. Avez-vous des pistes à ce sujet ? Où en sont les discussions avec les agriculteurs ?

M. Germinal Peiro. De 20 à 25 % des agriculteurs, avez-vous dit, sont couverts par l’assurance récolte ; mais ce taux est encore inférieur dans la viticulture – les catastrophes qui ont frappé certains vignobles cet été l’ont montré –, la pomiculture ou la nuciculture : le niveau de la prime dissuade beaucoup d’exploitants, alors même que leur intérêt bien compris est de s’assurer contre les risques. Le responsable national d’un grand syndicat agricole soutient d’ailleurs l’idée d’une assurance obligatoire.

Que représente, pour l’État, le soutien à la couverture assurantielle ? La part à la charge de l’agriculteur est-elle toujours de 50 % de la prime ?

Les dispositions législatives que vous avez annoncées figureront-elles dans la loi d’avenir ?

M. le ministre. Non, elles relèvent d’une loi de finances.

M. Germinal Peiro. Permettez-moi, enfin, de vous interroger sur un autre sujet que celui de notre réunion, et dont m’entretient quotidiennement la présidente de l’Association nationale des retraités et exploitants agricoles de France, Mme Delfour. Les décrets d’application de la loi sur les retraites relatifs aux retraites agricoles, ne sont pas encore publiés : quand le seront-ils ? Auront-ils un effet rétroactif ?

M. Antoine Herth. Je me réjouis, monsieur le ministre, que vous ayez tenu l’engagement pris dans l’Hémicycle. Deux scénarios me semblaient possibles pour cette audition : la présentation d’un dispositif déjà ficelé – ce n’est pas le cas – ou bien un grand discours pédagogique sur l’assurance. Vous auriez pu, dans ce dernier cas, nous rappeler que, pour 85 000 contrats souscrits auprès du principal opérateur, Groupama, 45 000 sinistres ont été déclarés ; si bien que cet opérateur a encaissé 240 millions d’euros de cotisations et déboursé 290 millions d’indemnités, ce qui met en évidence la fragilité économique du système. Pour l’équilibrer, l’État doit injecter 100 millions par an ; or il n’a versé que 77 millions en 2013 et annonce pour cette année 80 millions... Vous auriez pu également vous exprimer sur le stabilisateur budgétaire appliqué aux céréaliers, dont les subventions ont été ramenées de 65 % à 43 % ; et l’on peut aussi s’interroger sur l’égalité de traitement entres les différents secteurs de production.

Quoi qu’il en soit, nous attendons avec impatience l’expérimentation qui sera conduite entre 2015 et 2017. L’objectif du contrat socle est d’élargir l’assiette, ce que permettrait aussi l’assurance obligatoire. Reste qu’un tel élargissement, dont vous tirez argument, est aussitôt réduit par la limitation de la couverture au capital de production ; or – passez-moi l’expression – c’est là que les Athéniens s’atteignirent, car on peut se demander ce que recouvre le « capital de production » dès lors que les bâtiments et le matériel sont déjà assurés : le cheptel ? les arbres, les vignes, les plants, les fourrages ? Votre idée paraît frappée au coin du bon sens, mais elle appelle, à tout le moins, quelques précisions quant à son contenu.

Le réexamen de la DPA est une bonne nouvelle : je ne saurais trop vous encourager dans cette voie. Les conditions d’utilisation sont très strictes de sorte que les sommes déduites ne sont réintégrées qu’au terme du délai de sept ans, et sont alors soumises à des intérêts de retard élevés, s’apparentant à des pénalités.

En accumulant les petites mesures comme si nous étions seuls au monde, nous créons sans y prendre garde, tous gouvernements confondus, des distorsions de concurrence aux dépens de nos exploitations. Avez-vous réalisé une étude comparative des politiques adoptées par nos partenaires européens en matière d’assurance ?

Mme Michèle Bonneton. Il est bienvenu de vouloir libérer les agriculteurs de l’angoisse suscitée par les aléas climatiques. L’assurance socle, si j’ai bien compris, sera financée pour partie par des fonds publics et pour une autre par leurs contributions. Quelles options permettraient d’étendre la couverture ? Une assurance obligatoire, que la profession ne verrait sans doute pas d’un très bon œil, est-elle envisageable ? Quel sera le rôle des assureurs privés ?

Le changement climatique impose d’adapter nos modes de culture et de production, mais aussi de développer prévention et recherche dans toute une série de domaines – plantes, animaux, modes de culture, etc. Un système trop poussé d’assurance ne risque-t-il pas de détourner de ce nécessaire effort ?

M. André Chassaigne. Je ne suis pas favorable – et ne suis sans doute pas le seul – à l’extension de la couverture des risques agricoles par l’assurance. En l’occurrence, nous sommes prisonniers de deux carcans. Le premier, monsieur Herth, est l’orientation libérale de la politique européenne, au nom de laquelle les États sont empêchés d’assurer par eux-mêmes la couverture des risques climatiques dans l’agriculture ; le second tient à la réduction des dépenses publiques, telle qu’elle vient d’être annoncée par le Gouvernement – et que vous trouvez encore insuffisante.

Dès lors se pose la question de ce qui doit relever du Fonds national de gestion des risques en agriculture, le FNGRA, ou des assurances privées. Actuellement, certains risques, considérés comme assurables – la grêle notamment –, sont pris en charge par ces dernières. Envisagez-vous une évolution de ce périmètre ? Autrement dit, l’assiette – la liste des risques assurables – sera-t-elle modifiée ? Si je vous ai bien suivi, monsieur le ministre, certaines activités qui en sont aujourd’hui exclues, comme l’élevage, y seront intégrées. En somme, doublement corseté par les injonctions européennes et par l’impossibilité d’augmenter les ressources du FNGRA, vous en êtes réduit, avec vos services, à des exercices intellectuels complexes pour passer par la porte étroite : puisque le niveau des indemnisations doit baisser, vous en restreignez le champ avec cet artifice, dont l’explicitation m’a paru bien floue, qui consiste à faire passer le redémarrage de l’activité avant la garantie d’un revenu minimal.

L’assurance récolte ne couvre aujourd’hui que 27 % de la surface agricole utile – 28 % des surfaces en grande culture et 15 % en viticulture. Le nombre d’exploitants non couverts reste donc considérable et si ce taux a crû, la progression concerne avant tout les grandes cultures et les exploitations céréalières les plus rentables : les agriculteurs le plus en difficulté, eux, restent au bord de la route.

Mme Marie-Hélène Fabre. Mes questions rejoignent celles qu’a posées Mme Massat.

Le contrat socle, avez-vous dit, pourrait être étendu de manière à inclure les risques de marché : pourriez-vous préciser ce point ?

Les grandes inondations de 1999, qui avaient touché mon département et fait quinze morts, ont montré la nécessité de travailler à la prévention des risques. S’agissant de l’entretien des berges, l’abondement public pose question : quelles collectivités ou, le cas échéant, quels établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) en assumeront la charge, et avec quels financements ?

Mme Brigitte Allain. Les risques agricoles peuvent être couverts par une assurance privée ou, quand ils ne sont pas assurables, relever de l’indemnisation publique.

Les agriculteurs renoncent parfois à souscrire des assurances récolte privées en raison de leur coût, mais aussi de taux de franchise qui les rendent pratiquement inopérantes : jusqu’à 30 % dans l’arboriculture ou dans la viticulture. En outre, ces polices excluent nombre de risques. Ainsi, en 2013, quand la coulure a fait perdre aux agriculteurs de Dordogne jusqu’à 40 % des récoltes, 99 % d’entre eux n’ont touché aucune compensation.

L’indemnisation publique laisse, elle aussi, à désirer. Les soutiens fiscaux que vous avez mentionnés ne concernent pas les petites exploitations. L’accompagnement des risques ne relevant pas de l’assurance récolte ne peut bénéficier qu’aux exploitations spécialisées, car le mode de calcul exclut de fait tous les agriculteurs qui pratiquent la polyculture. Les exploitants qui pratiquent la vente directe ou qui se consacrent à l’agriculture biologique sont pénalisés par la prise de compte de prix moyens, inférieurs à ceux qu’ils pratiquent. La grêle est exclue du champ des calamités agricoles pouvant entraîner une réparation après la perte d’une récolte… Vous voulez privilégier la remise en route de l’activité plutôt que la compensation des pertes de revenu, mais quel agriculteur, même aidé, pourrait reconstruire si l’on ne prend pas en compte ces pertes ?

Entre autres voies à explorer pour compléter le système assurantiel, on pourrait favoriser le stockage. Dans la viticulture, la mise en réserve, à titre expérimental, des volumes complémentaires individuels (VCI), semble donner satisfaction. Ce dispositif, qui ne coûte rien à l’État ni aux collectivités locales et peu aux producteurs, permet à ces derniers de conserver des produits à vendre, donc de ne pas casser le marché en cas de mauvaise récolte. Il convient également de soutenir les systèmes qui, comme la polyculture et l’agroécologie, permettent la résilience. Autant dire qu’il faut repenser l’ensemble de l’assurance, qu’elle relève du privé ou de l’État.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Je me réjouis que le Gouvernement ait la volonté de sécuriser les systèmes d’assurance agricole, mais il faut aussi travailler en amont à des mesures préventives qui permettraient de réduire les charges d’indemnisation. J’en citerai deux de nature à réduire les risques de sécheresse dans les zones de montagne.

Dans certains de ces territoires, il existe des canaux d’irrigation gérés par des associations syndicales autorisées (ASA) ou par des agriculteurs bénévoles, peu nombreux, qui ont de plus en plus de mal à assumer ces coûts. Il conviendrait en premier lieu d’inciter les agences de l’eau à calculer les redevances qu’elles prélèvent sur la consommation réelle plutôt que sur les rejets dans le milieu, difficilement mesurables faute de pouvoir installer des compteurs et généralement imputables à des trop-pleins. Les agriculteurs touchés par la sécheresse seraient incités à utiliser davantage les canaux.

En second lieu, quand il existe des pompes de relevage, il faudrait éviter que l’abonnement électrique ne coure sur toute l’année si l’équipement n’est guère utilisé pendant plus de trois mois. Les sommes en cause sont importantes lorsque, dans certains secteurs, elles sont à la charge de deux ou trois agriculteurs seulement.

M. le ministre. Ces questions ne relèvent pas de mes attributions, mais de celles de la ministre de l’écologie.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Dans ce cas, je vous prie de vous faire mon porte-parole auprès d’elle.

Mme Delphine Batho. Je remercie le ministre de nous informer de l’avancement de ses travaux, engagés à la suite d’épisodes climatiques exceptionnels. Plusieurs exploitations des Deux-Sèvres frappées par un orage de grêle sans précédent n’étaient pas assurées contre ce type de dommage : peut-être de tels changements climatiques devraient-ils nous inciter à modifier la carte des risques.

Les inondations survenues plusieurs années de suite dans les Hautes-Pyrénées ont fait augmenter les franchises, ce qui expose les agriculteurs à une double peine. Le même problème se pose aux entreprises et aux particuliers confrontés à des sinistres récurrents et cela constitue sans doute un des points les plus difficiles dans les négociations avec les compagnies d’assurances.

Se pose aussi le problème de la réactivité. Après un sinistre, les agriculteurs cherchent d’abord l’aide qui peut intervenir le plus rapidement. Avant de procéder aux expertises et aux estimations, ils mobilisent les dispositifs de droit commun, comme l’aide aux exploitations agricoles en difficulté (AGRIDIFF).

Le réchauffement va entraîner la multiplication d’événements climatiques extrêmes alors que nous disposons de moyens financiers limités pour y faire face. Comment le ministère envisage-t-il la situation à l’horizon de 2040-2050 ? Participe-t-il à la réflexion sur le plan national d’adaptation au changement climatique ?

M. le ministre. Nous devons prendre en compte, outre les aléas climatiques ou sanitaires, le risque économique, c’est-à-dire la volatilité des prix, sous l’effet des crises. Il existe déjà à cet effet des mécanismes, que j’ai évoqués, dans le cadre de l’OCM unique. Outre le filet de sécurité et les dispositifs fiscaux de lissage des revenus, la DPA, mise en œuvre rapidement à la demande des céréaliers, constitue un système de provision qui fonctionne très bien, à une réserve près : il faut revoir le taux des intérêts de retard.

Le risque de marché, en revanche, n’est pas pris en compte, en tant que tel, par les systèmes de mutualisation ou d’assurance. Peut-être la question de la volatilité des prix sera-t-elle posée, à terme, au sein de la PAC. Cela dit, les discussions que nous avons eues avec Groupama butent sur la question de l’aléa moral : quand on fait supporter le risque par l’ensemble des acteurs économiques, on sape l’esprit de prévention. C’est pourquoi on ne peut pas supprimer toute franchise. Les États-Unis, qui ont fait prévaloir l’assurance en agriculture, se posent eux-mêmes la question, parce qu’une personne assurée à 100 % est portée à négliger toute précaution.

Je conviens, monsieur Peiro, que le remaniement ministériel nous a fait prendre du retard dans l’élaboration des décrets, mais ceux-ci ont été rédigés, puis transmis au Secrétariat général du Gouvernement (SGG). Ils seront bientôt publiés, avec effet rétroactif à compter du 1er février.

Monsieur Herth, vous avez raison de rappeler la difficulté de la situation pour Groupama, qui assure 80 % des agriculteurs. Elle illustre la nécessité de développer la réassurance. Pour l’heure, le système n’a pas trouvé son équilibre économique en raison d’une base de cotisants trop restreinte. Mais on ne peut en rester à une logique d’assurance, surtout si l’on étend la couverture à de nouveaux aléas : compte tenu des risques, cela conduirait inévitablement, soit à demander aux exploitants des cotisations d’un montant dissuasif, soit à mettre en péril l’établissement financier. Il faut donc davantage de mutualisation.

Le stabilisateur budgétaire appliqué aux céréaliers vise à réduire certains écarts. Actuellement, le coût de la prime après subventions représente 3 % de leurs charges, contre 12 % pour les arboriculteurs. Même si l’on ne peut mettre tout le monde à égalité, car l’arboriculture connaît des conditions et des aléas climatiques particuliers, l’objectif est de rapprocher les régimes tout en recherchant un équilibre financier acceptable par tous.

L’aide publique couvre 65 % des coûts d’assurance, le reste étant à la charge de l’agriculteur. Vous mesurez dès lors l’importance des sommes que devra verser l’État si l’on maintient ce ratio. Cependant, on ne peut réduire le montant des subventions qu’en augmentant la part des cotisations, ce qui ne peut se faire qu’en élargissant la base. Un jour, des ingénieurs ont voulu créer des avions qui décolleraient à la verticale, comme les hélicoptères ; le problème est que ces appareils risquaient de tomber au moment de repartir à l’horizontale. Nous sommes dans la même situation. Le système actuel repose sur une base étroite de cotisants et de fortes subventions publiques. On le fera exploser si l’on élargit la base en conservant le même taux de subvention ; on placera les agriculteurs dans l’impossibilité de s’assurer si l’on augmente leur cotisation en baissant le niveau de subvention. D’où l’idée du contrat socle.

La question qui se pose à propos de ce contrat est de savoir ce qu’il va financer. Garantir le niveau de chiffre d’affaires, donc le revenu dégagé, ce qui était l’hypothèse de départ, supposerait le paiement de cotisations élevées. Ce régime de base ayant vocation par définition à s’appliquer le plus largement possible, il faut qu’il revienne au contraire le moins cher possible. Nous avons donc réduit nos ambitions en limitant le remboursement au renouvellement de la capacité de production, étant entendu que celle-ci varie selon les types d’exploitation. C’est sur ce point que porte la négociation.

M. Chassaigne, toujours prompt à identifier les enjeux et à dénoncer la phraséologie ministérielle, a jugé que ce point de mon exposé était flou. Je m’en défends d’autant moins que, je ne le cache pas, les négociations sur le sujet sont difficiles.

Madame Allain, une franchise de 30 % est déjà appliquée pour l’intervention du FNGRA. La récurrence des calamités sur certains territoires est un phénomène réel pour lequel je n’ai pas de réponse, mais, jusqu’ici, le système fonctionne bien. Nous dépensons 30 à 35 millions par an ; toutefois, lors de la sécheresse de 2011, nous avons dû en verser 130 à 140, ce qui oblige à une certaine prudence. Peut-être, compte tenu de la marge dont nous disposons, pourrions-nous prévoir des dispositions spécifiques pour ces cas d’événements récurrents – déjà, d’ailleurs, l’indemnisation peut être portée de 35 % à 50 % en cas de pertes exceptionnelles, dispositif que nous avons mobilisé quand des ravinements ont entraîné la disparition de terres arables.

Rendre l’assurance obligatoire comme le souhaiteraient certains viticulteurs poserait un problème juridique. En effet, dès lors qu’il existe une obligation de ce type, il devient impossible, aux termes du droit européen, de verser une subvention. Le mieux est par conséquent d’aller vers un système de mutualisation, car un agriculteur ne peut pas s’assurer directement contre les risques découlant d’aléas climatiques majeurs.

Il n’existe pas de régime spécifique aux petites exploitations, qui relèvent du régime forfaitaire. Quant aux dispositifs fiscaux, ils s’appliquent par définition au réel. C’est généralement pour en profiter que les agriculteurs passent d’un régime à l’autre.

Mme Allain déplore des indemnisations insuffisantes dans certains cas mais, je le redis, plus on élève le taux de remboursement, plus la prime va devenir dissuasive pour l’agriculteur. Pour atténuer cette difficulté sur laquelle on bute toujours, le contrat socle jouera le rôle d’une mutuelle de base, à laquelle on pourrait ajouter des complémentaires. Nous devons construire cette mutuelle, afin qu’elle s’étende vite et offre à l’exploitant la capacité de réamorcer le processus de production. Les bâtiments et le matériel sont déjà assurés. Reste à financer rapidement, en cas de sinistre, les charges proportionnelles et opérationnelles. Il va de soi que le socle de base n’apportera pas de réponse complète à toutes les situations, mais plus la couverture sera étendue, moins elle sera abordable.

Je conviens, madame Batho, que les assurances remboursent parfois plus vite que le FNGRA. Par ailleurs, je vous confirme que le ministère réfléchit à la contribution que l’agriculture peut apporter à la lutte contre le réchauffement climatique : comment limiter la consommation d’énergies fossiles pour réduire l’émission de gaz à effet de serre ? Quelle quantité de ces gaz l’activité agricole permet-elle de stocker ? Cela fera l’objet d’un document qui sera publié d’ici au mois de septembre, en prévision de la conférence Paris Climat 2015 (COP21). L’agriculture est souvent montrée du doigt, en particulier l’élevage, pour sa contribution à l’effet de serre et nous avons donc à cœur de proposer des solutions afin que, dans le débat sur le réchauffement climatique, elle soit présentée non comme un problème, mais comme une solution.

La décomposition de la matière organique est très productrice de gaz à effet de serre, ce qui explique que le bilan carbone de la forêt tropicale laissée à l’état naturel soit neutre : la matière organique libère en se décomposant autant de gaz carbonique que les arbres en fixent en se développant. Mais je rappelle aussi que plus on travaille le sol, plus on produit de protoxyde d’azote, dont le pouvoir réchauffant est quinze à vingt fois supérieur à celui du gaz carbonique. Les sols européens, selon une estimation faite lorsque j’étais parlementaire européen, emprisonnent quelque 70 milliards de tonnes de carbone, sous forme de matière organique, soit 35 ans des rejets carbonés de toute l’Europe. On pourrait même porter de 1,5 % à 3 %, voire à 3,5 % la proportion de matière organique contenue dans les sols, par exemple grâce à une couverture végétale ou en favorisant la présence des vers de terre. La méthode pourrait être expérimentée en Alsace – sous réserve que les Alsaciens en soient d’accord.

Les différents problèmes sont liés : plus la planète se réchauffe, plus elle est exposée aux sécheresses ou aux inondations, et plus il est nécessaire de disposer d’un système assuranciel qui garantisse la durabilité des modèles de production.

Pour résumer, nous disposons avec le FNGRA d’un outil efficace. Il faut le conserver, en réfléchissant aux moyens de l’améliorer. Gardons aussi les allégements de taxe sur le foncier non bâti, les allégements de cotisations sociales et la Mutuelle sociale agricole, qui fonctionnent eux aussi. Construisons un système de mutualisation en partie financé par le transfert des aides du premier pilier vers le deuxième. En 2017, nous verrons s’il faut aller au-delà du taux de 1 % que nous avons retenu à ce jour. Une fois acquis ce potentiel de financement public, nous construirons le socle de base, pour que les agriculteurs puissent s’assurer plus facilement. À partir de là, nous négocierons la réassurance de l’ensemble du système, qui n’a pas encore trouvé son équilibre économique, et nous testerons le dispositif entre 2015 et 2017.

M. Antoine Herth. Qu’en est-il dans le reste de l’Europe ?

M. le ministre. Les Espagnols ont un système d’assurance mi-public mi-privé assez sophistiqué. L’Allemagne a tout laissé au secteur privé. Les Autrichiens sont très avancés dans un système public-privé fondé sur le premier pilier de la PAC et sur une assurance récolte. Nous sommes donc plutôt en phase avec ce qui se passe chez nos voisins. Si nous avançons, nous parviendrons à offrir aux agriculteurs un système efficace, qui leur permettra de rebondir au besoin. Je souhaite que les négociations engagées aboutissent avant la seconde lecture du projet d’avenir.

Comme je vous l’ai dit, Madame Battistel, la gestion des cours d’eau relève du ministère de l’écologie. J’ai constaté dans les Pyrénées que, lorsqu’un cours d’eau se transforme en torrent, son lit est nettoyé pour dix ans car le rocher est à nu, mais les agriculteurs n’ont pas le droit de dégager des atterrissements à titre préventif. J’alerterai la ministre de l’écologie sur la nécessité d’un minimum d’entretien. Cela dit, dans les situations météorologiques extrêmes, le dégagement des atterrissements n’apporte pas grand-chose.

Mme Frédérique Massat, présidente. Le problème est celui de l’entretien, non des graves sinistres.

M. le ministre. Les canaux de haute montagne, gérés par les ASA, dépendent également du ministère de l’écologie, auprès duquel je vais les défendre.

Mme Brigitte Allain. Le groupe de travail s’est-il penché sur les modalités de calcul des indemnités ? Quand les agriculteurs pratiquent l’agroécologie et l’agriculture biologique, qui supposent la rotation des cultures, ils sont exclus de tout système d’indemnisation.

M. le ministre. Il n’est pas difficile d’évaluer les pertes d’un céréalier ou d’un éleveur et, pour ce qui est de la production de foin et de protéines fourragères, on peut calculer le manque à gagner par rapport à la production moyenne ou envisagée. Il est moins aisé de chiffrer les pertes dans un système de polyculture. Or la difficulté d’évaluer un risque fait toujours augmenter le montant des primes d’assurance. Nous devrons trouver un système plus adapté à l’agroécologie.

Mme Brigitte Allain. L’indemnisation n’intervient qu’à partir de 27 % de pertes sur une récolte représentant plus de 14 % de la production totale de l’exploitation, ce qui exclut tout agriculteur qui pratique cinq cultures.

M. le ministre. Mais ces pertes sur une spéculation peuvent être compensées par des gains sur les autres.

Mme Brigitte Allain. Il arrive aussi que toutes soient touchées, sans que l’agriculteur soit indemnisé.

M. le ministre. C’est exact. Nous allons travailler sur le sujet.

Mme Frédérique Massat, présidente. Je vous remercie, monsieur le ministre.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mercredi 7 mai 2014 à 16 h 15

Présents. - Mme Brigitte Allain, Mme Delphine Batho, Mme Marie-Noëlle Battistel, Mme Michèle Bonneton, M. André Chassaigne, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Jean Grellier, M. Antoine Herth, M. Serge Letchimy, Mme Frédérique Massat, M. Germinal Peiro, M. Hervé Pellois

Excusés. - Mme Annick Le Loch, Mme Marie-Lou Marcel, M. Dominique Potier, M. Bernard Reynès