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Commission des affaires économiques

Mardi 20 mai 2014

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 80

Présidence de M. François Brottes Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Arnaud Montebourg, ministre de l’Économie, du redressement productif et du numérique

La commission a auditionné M. Arnaud Montebourg, ministre de l’Économie, du redressement productif et du numérique.

M. le président François Brottes. Nous recevons aujourd’hui l’un de nos plus importants ministres de référence afin d’évoquer, bien sûr, les suites du dossier Alstom, mais aussi d’autres questions d’actualité. Ainsi, dans le domaine des télécommunications – un secteur qui, en France, n’est pas encore stabilisé –, nous aimerions savoir où en sont les discussions entre Orange et Bouygues, et si le Gouvernement continue à préférer un marché partagé entre trois opérateurs viables plutôt qu’entre quatre entreprises potentiellement chancelantes.

Vous venez, monsieur le ministre, de signer un décret très important au sujet duquel vous avez déjà été interrogé en séance publique lors des questions au Gouvernement. Les membres de notre commission souhaiteraient en connaître précisément les contours et la portée.

Cette réunion devra se terminer avant dix-neuf heures, heure à laquelle nous accueillerons M. Patrick Kron, président-directeur général d’Alstom.

J’informe d’ores et déjà mes collègues que, soucieux de voir nos travaux suivre l’actualité en général, et non pas seulement l’actualité parlementaire, j’ai invité M. Martin Bouygues à venir s’exprimer devant notre commission – il ne viendra toutefois que le 1er juillet, car il est occupé par le plan social de Bouygues Telecom –, ainsi que les représentants de General Electric (GE) et de Siemens. Cela nous permettra de participer au mouvement de règlement du dossier Alstom. À ce sujet, chacun voit dans le 2 juin une date fatidique, mais, à ce que j’ai cru comprendre, ce jour ne marquera que la fin d’une étape.

Enfin, monsieur le ministre, avant de vous donner la parole pour un exposé liminaire, je vous prie de transmettre toute notre affection à votre secrétaire d’État chargée du commerce, de l’artisanat, de la consommation et de l’économie sociale et solidaire, Valérie Fourneyron.

M. Arnaud Montebourg, ministre de l’économie, du redressement productif et du numérique. Je remercie la commission des affaires économiques de donner au Gouvernement l’occasion de rendre compte de son action et d’expliquer ses choix politiques concernant un certain nombre de dossiers importants pour notre pays. Je trouve utile que le Parlement mène le débat sur ces sujets, pas seulement avec le Gouvernement, dans le cadre de sa fonction constitutionnelle de contrôle, mais également avec les autres acteurs.

Je note d’ailleurs que, au Royaume-Uni, l’essentiel de la discussion politique au sujet de la tentative d’offre publique d’achat non hostile de Pfizer sur AstraZeneca s’est déroulé dans l’enceinte parlementaire. Et c’est bien au nom d’un certain patriotisme économique, de la préservation des technologies nationales, des préoccupations fiscales et du maintien de l’emploi et des sites industriels sur le territoire que la direction de l’entreprise pharmaceutique britannique a refusé que Pfizer en prenne le contrôle. Un tel débat existe en fait dans tous les pays, et particulièrement aux États-Unis ou en Allemagne, les deux patries d’origine des deux grands protagonistes du dossier Alstom, GE et Siemens.

Le décret sur les secteurs stratégiques est un décret simple, pris par le Premier ministre après avis du Conseil d’État, qui élargit le champ d’application de celui qu’avait signé en 2005 Dominique de Villepin sur la proposition de Thierry Breton, et qui se limitait aux jeux d’argent, à la défense et à la sécurité nationale, notamment dans les communications. Le texte publié le 14 mai dernier a pour but de préserver les intérêts essentiels de la nation, sa sécurité et la continuité de ses approvisionnements. Il concerne certains secteurs comme l’eau, les transports, l’énergie, la santé et les télécommunications, qui exercent, dans l’économie, des fonctions régaliennes ou quasi régaliennes – ce qui signifie que, en cas de défaillance d’un opérateur privé, la population se tourne légitimement vers l’État pour s’y substituer.

Il est en effet naturel qu’un gouvernement se donne les moyens de préserver les intérêts nationaux dans de tels secteurs. En revanche, il ne me serait pas venu à l’idée de placer la mode et le luxe parmi les secteurs stratégiques, quand bien même il s’agit de filières très créatrices d’emploi et dont la production reste largement localisée sur notre territoire. Si M. Bernard Arnault décide de vendre son groupe à un opérateur mondial, quel qu’il soit, je n’y trouverais rien à y redire, car les intérêts essentiels de la nation ne seraient pas compromis. Tel est l’état d’esprit dans lequel le Gouvernement a élaboré ce décret avec le Président de la République et le Conseil d’État.

Un tel dispositif existe dans de nombreux pays voisins : en Allemagne, en Italie, en Espagne, mais aussi dans d’autres pays de l’Union. Notre décret est même plus précis, ce qui garantit une plus grande sécurité juridique à des investisseurs déjà habitués à coopérer avec les États. Les investisseurs internationaux sont en effet souvent amenés à déposer des demandes d’autorisation, qu’il s’agisse de se soumettre au droit de la concurrence ou aux règles destinées à protéger les intérêts essentiels du pays d’accueil.

Depuis dix ans, tous les pays tendent d’ailleurs à renforcer cette protection, et, chaque fois, la Commission européenne a validé leurs initiatives. On a souvent invoqué la réaction de Bruxelles à notre décision : j’ai ainsi entendu le leader d’un parti politique qui ne compte que deux députés affirmer que jamais la Commission ne laisserait la France prendre un tel décret. Mais le droit européen est plutôt stabilisé sur ce sujet, et la plupart des États se sont dotés, avec l’accord de Bruxelles, de législations similaires. De fait, la Commission n’a pas froncé plus que cela les sourcils : M. Barnier s’est contenté, en des termes mesurés, de nous mettre publiquement en garde contre un usage protectionniste de ce texte. Je remercie d’ailleurs le commissaire au marché intérieur d’en avoir ainsi reconnu la légitimité.

J’en viens à Alstom, un dossier qui aurait pu être traité de façon habituelle, à l’image de ce qui s’est par exemple passé pour le projet d’alliance entre Publicis et Omnicom. En effet, Maurice Lévy, le président du directoire de Publicis, a pris soin d’appeler le ministre concerné, de discuter avec lui, de recueillir ses observations, d’entendre ses objections, et donc de mesurer le degré de désaccord que le Gouvernement pourrait avoir avec un tel projet. Et, s’il l’a fait, c’est tout simplement parce que cela a du sens pour ses clients. De même, Bruno Lafont, le président de Lafarge, a pris contact avec le Gouvernement afin de s’assurer qu’une alliance entre égaux avec Holcim ne rencontrerait pas une objection majeure. Je lui ai répondu que je n’avais pas de crainte de voir les cimenteries délocalisées – elles sont toujours situées au plus près des lieux de consommation en raison du caractère pondéreux des matériaux qu’elles produisent –, mais qu’il fallait maintenir la recherche et développement sur notre territoire. En effet, Lafarge est une des entreprises les plus innovantes du monde en matière de ciment, de béton et d’autres matériaux de construction.

La coopération entre les grandes entreprises et le Gouvernement est donc de tradition, et elle peut s’effectuer en confiance. Dans aucun de ces dossiers, vous n’avez pu entendre parler de fuites provenant du Gouvernement : les ministres sont les gardiens de secrets d’État, pourquoi ne le seraient-ils pas de secrets d’affaires ? Pourquoi refuser a priori de nous informer, d’autant que, dans le dossier Alstom, la nouvelle est finalement venue des États-Unis ? C’est en effet Bloomberg qui a révélé le projet d’accord, quelques jours avant la date retenue pour la signature, qui n’a finalement pas eu lieu. Le Gouvernement s’est donc retrouvé devant un fait accompli.

Pourquoi était-il nécessaire de nous donner les moyens de réagir ? Parce que le portefeuille des actifs d’Alstom comprend des intérêts stratégiques, notamment une industrie de souveraineté, le nucléaire. En effet, Alstom fabrique, entretient et renouvelle tous les turboalternateurs de nos cinquante-huit réacteurs nucléaires, ainsi que les turbines associées aux réacteurs EPR qu’Areva construit dans le monde. La question de savoir qui maîtrise 75 % de l’électricité nationale me paraît donc stratégique, d’autant que la technologie française, dans ce domaine, est reconnue comme la meilleure au monde, et que, en se l’appropriant, GE serait en mesure de la donner à nos concurrents. C’est d’ailleurs un aspect majeur de la discussion engagée avec l’entreprise américaine.

Dès lors, quelles peuvent être les solutions ? Ce que nous recherchons, c’est une alliance, et non pas une atteinte à notre souveraineté, le démantèlement ou le dépeçage. Par souci d’apaisement, General Electric propose de faire une sorte de détourage et de séparer l’activité nucléaire. Mais pour la remettre à qui ? Nous n’avons pas d’industriel de remplacement. Areva n’a jamais fabriqué de turbines, ce n’est pas son métier. Fabriquer des turbines, ce n’est pas la même chose que fabriquer des chaudières. Les générateurs de vapeur ne sont pas des turboalternateurs. Quant à EDF, elle exploite l’énergie nucléaire, mais ne construit ni n’entretient les installations.

Ainsi, soit GE devient le propriétaire de notre technologie, ce qui pose un problème de concurrence, soit l’entreprise accepte de revendre l’activité nucléaire à un autre industriel, mais la question est alors de savoir lequel : nous ne disposons que d’Alstom pour assurer le rayonnement de notre technologie des turboalternateurs à la sortie des réacteurs nucléaires.

Notons que la turbine Arabelle n’a rien d’un produit banal. Il ne s’agit pas d’une de ces turbines à gaz produites par cinq ou six fabricants mondiaux ni d’une turbine à vapeur ordinaire. C’est un produit de très haute technologie. J’invite d’ailleurs les membres de la représentation nationale à visiter le site de Flamanville – de même que je me suis rendu, avec le Premier ministre de l’époque, Jean-Marc Ayrault, à Taishan, en Chine – pour apprécier la valeur de cette immense turbine, fabriquée à Belfort par une usine employant 1 850 personnes, et qui produit une électricité d’une grande puissance. Au passage, je note que, si cette technologie passait sous contrôle américain, certains pays pourraient éprouver moins de sympathie à l’égard de notre industrie nucléaire.

En tout état de cause, cette affaire risque de déstabiliser notre souveraineté énergétique et d’affecter nos intérêts industriels stratégiques. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement a averti les différents protagonistes qu’ils devraient entendre sa voix. C’est le cas, en particulier, des dirigeants d’Alstom, qui ont cru pouvoir agir sans nous informer. S’ils nous avaient consultés plus tôt, nous aurions pu leur indiquer que leur projet n’était pas acceptable en l’état.

C’est également ce que j’ai dit très aimablement aux représentants de General Electric et de Siemens. Il s’agit en effet d’entreprises très sérieuses, dont la réussite est extraordinaire. GE est ainsi la quatrième entreprise des États-Unis, avec 250 milliards de dollars de chiffre d’affaires. Quant à Siemens, si cette entreprise a abandonné la technologie nucléaire, elle est également à l’origine d’une technologie de turboalternateur placé à la sortie des générateurs de vapeur nucléaires, et c’est elle qui a construit l’îlot conventionnel d’Olkiluoto en Finlande. J’ai donc écrit, dans la lettre que le Président de la République m’a demandé d’adresser à Jeffrey Immelt, le président de General Electric, que la France demandait une alliance, c’est-à-dire un accord préservant la souveraineté de notre industrie.

Par ailleurs, le groupe Siemens continue son travail : il a écrit ce matin à Alstom pour approfondir sa connaissance de l’entreprise, évidemment dans le dessein de faire une proposition. Nous avons compris sa détermination comme constante, sérieuse et appliquée. J’en ai d’ailleurs remercié M. Joe Kaeser, son président.

On me demande souvent quel est mon choix. Pour l’instant, mon choix, c’est Alstom et les intérêts économiques, industriels et technologiques de notre pays. Pour la suite, nous allons voir. General Electric a envoyé à Bercy le patron de sa division énergie, M. Steve Bolze, que j’ai appelé à faire de nouvelles propositions, après lui avoir dit ce que je viens de vous dire, de même qu’à nos amis allemands de chez Siemens.

Je ne peux pas préjuger de ce que sera la meilleure proposition, ni d’où viendra le partenaire de la future alliance. Mais je sais que ce décret permet de faire mentir François Sauvadet, qui avait dit ici, il y a quinze jours, que l’affaire était « pliée ». Non, rien n’est plié, tout reste à décider.

M. le président François Brottes. Je vais d’abord donner la parole aux représentants des groupes. Les autres orateurs, ainsi que ceux qui souhaitent poser des questions sur le secteur des télécommunications, pourront s’exprimer par la suite.

Mme Clotilde Valter. Le dossier Alstom pose une question de fond : quel doit être le comportement de l’État, quelle est sa responsabilité à l’égard des fleurons de notre industrie ne disposant pas de la taille et des capitaux suffisants pour faire face à la concurrence mondiale et prendre place parmi les leaders internationaux dans leur domaine d’activité ?

En ce qui concerne le décret du 14 mai 2014, je partage totalement vos objectifs. Mais je me demande si le nombre d’emplois ne devrait pas constituer également un critère pour déterminer le caractère stratégique d’une entreprise. Nous aurons sans doute l’occasion d’y revenir.

Vous venez de dire que votre choix, c’était Alstom. Pouvez-vous être plus précis ? Cela signifie-t-il qu’une solution purement nationale serait envisageable, qu’il s’agisse pour l’État d’intervenir dans la gouvernance de l’entreprise ou de prendre des parts dans son capital ? La solution nationale est évoquée depuis le début de l’affaire. Quelles formes pourrait-elle prendre ?

Par ailleurs, comment peut-on préserver la souveraineté nationale dans le cadre d’une alliance entre Alstom et un grand groupe étranger ? Vous avez évoqué les modèles que représentent la coopération du groupe Safran avec GE ou l’entrée de l’État dans le capital de PSA. Quelles conclusions tirez-vous de ces deux expériences ? S’agissant plus précisément d’Alstom, quels sont les moyens de contrôle, les « verrous » que vous souhaiteriez poser ? Quelles garanties réclamées à d’éventuels partenaires étrangers pourraient permettre de faire la différence entre une alliance et une simple absorption ?

M. Daniel Fasquelle. Monsieur le ministre, vous ne m’avez pas convaincu. Pourquoi ne pas avoir favorisé une solution nationale ? Pourquoi avoir laissé Alstom seul pendant deux ans, sachant que l’entreprise n’était pas suffisamment importante pour rester indépendante ? En l’absence d’initiative, le danger existait que des entreprises étrangères s’y intéressent. Vous affirmez qu’Areva ne fabrique pas les mêmes produits, mais certaines activités de GE ou de Siemens sont également très différentes de celle d’Alstom.

Je pense donc que le Gouvernement a fait preuve d’amateurisme et porte une grave responsabilité dans ce qui arrive. Si vous aviez une vraie politique industrielle, vous auriez pris les devants, au lieu de quoi vous vous retrouvez dos au mur. Votre agitation est certes sympathique, mais elle n’a pour but que de sauver ce qui peut l’être.

Nous avons bien compris que vous n’étiez pas en mesure de faire un choix entre GE et Siemens, mais d’autres ministres, eux, ont déjà tranché. Que pensez-vous des propos de Ségolène Royal, qui a exprimé sa préférence pour General Electric ?

Vous ne pouvez pas indiquer votre choix, mais vous pouvez nous dire sur quels critères sera fondée votre décision. Ce qui préoccupe le groupe UMP, c’est le maintien en France de l’emploi, des centres de décision, de l’innovation et de la recherche, ainsi que la préservation de nos intérêts stratégiques. Mais la limite de l’exercice, c’est que certains secteurs d’activité d’Alstom sont de nature stratégique, et d’autres non. Comment allez-vous faire la part des choses ? Vous ne parlez d’ailleurs jamais d’une entreprise du groupe située à Grenoble, dont l’activité très pointue relève du secteur des satellites, que je considère comme stratégique.

Enfin, s’agissant du décret publié le 14 mai, je me méfie des lignes Maginot ou des sabres de bois. La vraie solution n’est pas de dissuader, au nom de la défense des entreprises françaises, les investisseurs étrangers d’opérer dans notre pays. Alors que les investissements étrangers ont décru de façon très préoccupante en 2013, vous envoyez un mauvais message. Non, le vrai sujet, c’est la compétitivité. Ayez donc le courage de lancer de vraies réformes de structure : vous verrez alors l’économie française se porter mieux, de même que l’emploi.

M. François Sauvadet. Monsieur le président, je vous remercie d’avoir invité tous les protagonistes de ce véritable feuilleton, plaçant ainsi la Commission face à ses responsabilités.

« Rien n’est plié », dites-vous, monsieur le ministre. C’est peut-être le cas, mais il n’en demeure pas moins que le temps passe, et que le compte à rebours a commencé. Les reproches qui vont ont été adressés dans ce dossier sont de deux ordres : manque d’anticipation et défaut de direction.

Tout d’abord, je voudrais savoir si vous nous avez menti. Vous avez en effet affirmé n’avoir été informé du rapprochement entre GE et Alstom qu’au moment où celui-ci a été rendu public dans la presse. Or le feuilleton a commencé cet hiver, le jour où vous avez commandé un rapport sur les options dont disposait Alstom en matière d’alliances. De plus, selon Clara Gaymard, présidente de General Electric France, le Gouvernement savait depuis le déplacement de François Hollande aux États-Unis que des négociations étaient en cours entre GE et Alstom. Que saviez-vous réellement ? Avez-vous menti sur l’état de vos connaissances du dossier lorsque vous avez entrepris de réagir ? C’est une question claire, et je vous fais confiance pour me répondre.

M. le ministre. Vous faites votre boulot !

M. François Sauvadet. Merci de vos encouragements.

S’agissant du décret sur les secteurs stratégiques, j’y suis plutôt favorable. Mais pourquoi avoir attendu l’affaire Alstom pour en comprendre la nécessité ? Alors que vous êtes depuis deux ans ministre du redressement productif, et que vous ne cessez de parler de patriotisme économique et de la préservation de nos intérêts vitaux, vous semblez avoir pris conscience tardivement d’un problème qui préoccupe tous les Français.

J’en viens à la question de la direction. Je rejoins vos propos sur la préservation de nos intérêts vitaux, notamment s’agissant du nucléaire civil, mais en quoi une alliance avec GE permettrait-elle d’écarter tout risque de transfert de technologies dans ce secteur éminemment sensible ?

En fait, j’aimerais savoir où vous allez. Vous dites que votre choix, c’est Alstom, mais, en même temps, vous faites entrer Siemens dans le jeu. Quant à moi, il me paraît préférable de faire émerger un géant, une grande entreprise solide, à l’intérieur des frontières de l’Union, et je suis donc favorable à Siemens. Vous bottez en touche en invoquant la poursuite des discussions, vous insistez sur le patriotisme économique. Mais celui-ci n’est rien sans un peu de patriotisme européen ! Je vous demande donc, en l’état actuel de vos connaissances, où va votre préférence : vers GE ou vers Siemens ?

M. Éric Alauzet. Monsieur le ministre, vous vous démenez pour résoudre ce problème compliqué, et je salue vos efforts.

Même si elle peut apparaître secondaire à ce stade, la question de la transition énergétique doit rester en arrière-plan de la réflexion sur ce dossier. En effet, les décisions qui seront prises au sujet d’Alstom peuvent être éclairées à la lumière de cet enjeu ; et, à l’inverse, le sort final de l’entreprise pourrait avoir des conséquences sur l’examen du futur projet de loi sur la transition énergétique.

L’activité d’Alstom concerne divers secteurs stratégiques : dans le domaine des transports, elle est plus proche de Siemens, et plus proche de GE dans celui de l’énergie. Or, ce matin, lors de son audition par la commission d’enquête sur les coûts du nucléaire, Luc Oursel, président du directoire d’Areva, a manifesté son intérêt pour l’activité éolienne d’Alstom. Qu’en pensez-vous ?

Enfin, je souhaite également savoir si une intervention de l’Agence des participations de l’État est envisageable, et si oui, dans quels domaines d’activité ?

M. André Chassaigne. Quelle est votre analyse de la situation réelle d’Alstom ? Son avenir industriel est-il vraiment menacé, ou bien les préoccupations à son égard relèvent-elles d’une vision à court terme privilégiant la rentabilité financière ? Dans ce dernier cas, il faudrait trouver d’autres moyens d’intervention.

Vous avez souligné, avec raison, le caractère stratégique de la branche énergie du groupe, y compris s’agissant de certaines de ses activités satellites. Je rappelle par ailleurs qu’il dispose de la plus grande expérience nucléaire au monde et qu’il est présent dans tous les domaines de la production et du transport d’électricité. C’est donc bien la souveraineté nationale qui est en jeu : le rachat d’Alstom par un groupe étranger serait d’une extrême gravité, en particulier s’il est américain.

On peut difficilement être opposé à l’action très volontariste qui consiste à définir les secteurs stratégiques à protéger : pour ma part, je juge donc très positivement le décret du 14 mai. Pour autant, il ne suffit pas à constituer une politique industrielle. Si on en reste là, on donnera l’impression de prétendre résoudre, par une simple décision réglementaire, un problème beaucoup plus profond et crucial.

Que pensez-vous, monsieur le ministre, de l’hypothèse d’une appropriation sociale du groupe ? Je ne parle pas d’une nationalisation – du moins dans son acceptation ancienne –, mais d’une ouverture du capital d’Alstom, non seulement à l’État, mais aussi à ses grands clients publics, en particulier français. Avez-vous envisagé sérieusement cette éventualité, ce qui devrait être la marque d’une politique de gauche ?

Mme Jeanine Dubié. Le décret sur le patriotisme économique est passé par le Conseil d’État et doit désormais être validé par Bruxelles. Quelles seront les prochaines étapes ? Combien de temps prendra l’examen du dossier par la Commission européenne ?

D’autres pays – notamment les États-Unis, la Grande-Bretagne, le Canada, l’Allemagne et l’Espagne – ont pris des dispositions similaires, mais elles concernent souvent des secteurs économiques plus restreints. Le champ d’application du décret du 14 mai pourrait-il être réduit, comme cela avait été le cas en 2006 ?

Enfin, ce décret est-il susceptible de modifier le cadre de la négociation sur le dossier Alstom ?

M. le ministre. Je remercie les différents orateurs de s’être exprimés sans ambages : c’est nécessaire et utile, pour éclairer non seulement la représentation nationale, mais aussi les Français.

Vous avez tous peu ou prou posé les mêmes questions : quel est l’avenir d’une entreprise comme Alstom ? Quelle est notre stratégie dans la mondialisation ? Comment allons-nous faire des choix entre les différents acteurs de l’énergie ou du transport, au regard de leur poids respectif ?

Ces acteurs sont deux conglomérats – l’un américain, l’autre européen –, et une entreprise japonaise, Mitsubishi, dont les activités sont proches de celles d’Alstom, le reste étant constitué d’entreprises issues de pays émergents. Rien que dans le transport ferroviaire, on peut trouver deux entreprises chinoises dont le chiffre d’affaires atteint 10 milliards d’euros. La branche transports d’Alstom, elle, ne pèse que 5 milliards. Le chiffre d’affaires total du groupe français est d’ailleurs de 20 milliards d’euros, à comparer aux 250 milliards de dollars de General Electric.

Cette différence est un des arguments du président Patrick Kron. Faute d’atteindre une taille critique, dit-il, Alstom ne peut rester seul ; il faut donc vendre. J’aurais préféré que sa conclusion soit : il faut donc passer une alliance. Le président n’emploie d’ailleurs pas le mot « vente », mais le mot « adossement ». Or ce n’est pas un adossement : il veut vendre 75 % d’Alstom ! Si tous ceux qui n’atteignent pas la taille critique décident de vendre, on ne va garder grand-chose sur notre territoire ! La France n’est pas une proie. En revanche, elle est disponible pour passer des alliances, ce qu’apprécient les investisseurs internationaux. Ces derniers respectent l’État, parce que les choses fonctionnent de la même façon dans leur pays.

Prenons les deux premiers pays destinataires des investissements internationaux, les États-Unis d’Amérique et la Chine. Dans le premier, le CFIUS (Committee on Foreign Investment in the United States) procède chaque année à des centaines de contrôles des investissements étrangers et à des blocages par dizaines, dont des entreprises françaises ont parfois été l’objet. Ce dispositif est prévu pour négocier des mouvements, des remèdes, des cessions – exactement ce que nous faisons avec GE. Quant à la Chine, elle impose à tout investisseur étranger de conclure un partenariat avec une entreprise locale à laquelle reviendront 51 % des parts de l’entité ainsi créée.

Quelle que soit leur provenance, les investisseurs internationaux ont le respect de l’État. C’est vrai des nombreuses entreprises françaises qui se sont implantées aux États-Unis ou en Chine, mais aussi, réciproquement, de celles qui investissent en France. De nombreux investisseurs viennent me voir pour savoir dans quelles conditions ils peuvent prendre des participations. Le seul critère qui détermine leur décision, c’est la rentabilité – ce qui renvoie aux problèmes de compétitivité ou de coûts de production, qui sont régulièrement en débat dans notre pays depuis que ces sujets ont été pris à bras-le-corps.

La taille est donc l’aspect le plus important de cette affaire, dans un contexte marqué par la mondialisation et la montée très rapide des pays émergents. D’une certaine façon, la solution nationale, évoquée par M. Chassaigne et Mme Valter, par M. Sauvadet – qui l’a écartée –, ainsi que, d’une certaine manière, par M. Fasquelle, a été choisie il y a dix ans, au moment où a été prise la décision – que je ne juge pas – de refuser l’alliance avec Siemens et de nationaliser Alstom. Au bout de quatre ans, la Commission européenne a imposé le remplacement, en tant que premier actionnaire, de l’État par une entreprise privée – celle de M. Bouygues. Puis, au bout de six ou sept ans, ce dernier, après avoir perdu 1 milliard d’euros, a demandé ce qu’on lui proposait pour lui permettre de réaliser son investissement.

Désormais, deux options s’offrent à Alstom : rester seul ou chercher des alliés. La préférence du Gouvernement va vers la recherche d’alliés, mais une alliance ne peut être acceptée à n’importe quel prix. C’est la raison pour laquelle, monsieur Sauvadet, je ne peux pas encore vous répondre. Nous savons parfaitement où nous allons, mais nous ne voulons pas atteindre notre objectif – conclure une alliance – au prix de la perte de nos centres de décision, de nos emplois et de nos sites industriels, ou de la disparition de nos technologies. Nous sommes capables, grâce à l’arme du décret et au sérieux des deux entreprises intéressées, GE et Siemens, de servir la cause de notre territoire. Nous pouvons imaginer qu’Alstom sortira renforcé de cette affaire, que nous gagnerons des emplois plutôt que d’en perdre, et que nos technologies auront un plus grand rayonnement dans le monde.

Le cas de PSA est différent, car il s’agissait d’une entreprise en difficulté, contrairement à Alstom, qui a seulement besoin de prendre des décisions stratégiques. La « maison France » – c’est-à-dire la famille Peugeot et l’État – détient désormais les deux tiers du capital du constructeur automobile, le dernier tiers appartenant à nos amis chinois. Avec ces derniers, nous sommes en mesure de capter une partie de la croissance exponentielle que connaît le marché local : les ventes de PSA en Chine ont ainsi augmenté de 28 à 30 %. L’alliance aura ici permis d’augmenter la taille du constructeur, de lui donner les moyens d’affronter la mondialisation, et de résoudre le problème posé par l’augmentation des coûts unitaires et la réduction du marché européen. C’est aussi de cette manière qu’Alstom doit réfléchir à son avenir.

J’en viens, sans aucune polémique, à la question de savoir si nous avons suffisamment anticipé la crise. Monsieur Sauvadet, je vais vous raconter les choses telles qu’elles se sont passées. Non seulement je vous le dois, mais il serait condamnable pour un ministre de l’économie d’agir autrement : il y va de sa crédibilité.

Nous savons depuis longtemps – depuis que j’ai pris mes fonctions de ministre du redressement productif – qu’Alstom souffre d’un problème, non urgent, de développement. Je me souviens ainsi qu’il y a un an et demi, croisant M. Kron lors d’une visite à l’ambassade des Émirats arabes unis, je l’ai questionné sur le capital de son entreprise et sur ses intentions. Je lui ai reposé la question chaque fois que nous nous sommes rencontrés, et je vois souvent M. Kron, parce qu’il me demande souvent de l’aide : pour vendre des rames de TGV à la SNCF, des diesels de secours à EDF, des centrales à la Turquie, etc. C’est normal ! C’est mon travail d’aider l’industrie française à se développer à l’étranger, autant que je le peux et « conformément aux lois et règlements ». Chaque fois que j’ai l’occasion de parler à M. Kron, je lui demande à quel stade en était sa réflexion. Il aurait donc été de sa responsabilité de me parler de son projet d’alliance, comme l’ont fait les dirigeants de Publicis ou de Lafarge.

Au mois de mars, lorsque son entreprise a connu une chute de tension boursière, je l’ai à nouveau rencontré en tête à tête. Il m’a alors annoncé un important plan social, mais n’a pas dit qu’il négociait une alliance avec GE. Je trouve cela fâcheux, car, s’il l’avait fait, nous n’en serions peut-être pas là. Nous aurions pu agir ensemble. Je lui aurais peut-être dit que son projet n’allait pas et qu’il devrait procéder autrement. Il m’aurait sans doute envoyé sur les roses, comme il sait si bien le faire. C’est son tempérament, et je le respecte d’autant plus que j’ai le même ! Mais là, nous sommes face à un problème d’intérêt national : alors que nous sommes ensemble tout le temps, toute l’année, nous ne l’avons pas été au moment le plus crucial.

Pour ce qui est des faits, je vous confirme que, dès l’hiver, je savais que nous devrions travailler sans Alstom. En effet, Alstom, qui sait pourtant demander de l’aide au Gouvernement, n’a jamais voulu coopérer avec nous pour rechercher des solutions communes. J’ai donc demandé au cabinet de stratégie industrielle Roland Berger un rapport complet, sur lequel ont travaillé d’éminents spécialistes qui ont expertisé toutes les possibilités d’alliance. Il m’a été remis le 13 février 2014 et je ne l’ai pas rendu public, certaines informations sur l’entreprise étant confidentielles.

J’étais à Washington avec le Président de la République lorsque Clara Gaymard, présidente de General Electric France, m’a dit qu’elle voulait me parler. Nous avons une bonne coopération dans le domaine de la recherche et développement avec cette entreprise, que j’ai aidée dans le domaine de l’imagerie médicale. J’ai rencontré Mme Gaymard autour d’un café, au bar du Sofitel de Washington, où elle m’a appris que GE était intéressé par des projets avec Alstom. Cependant, une information provenant d’une source extérieure à l’entreprise n’a pas la même valeur qu’une déclaration du président d’Alstom – lequel, malgré mes pressantes interrogations, n’a jamais dit ou reconnu qu’il avait conclu une alliance.

Il en est de même pour l’actionnaire principal, auquel je ne ferai cependant pas le même reproche, car il n’est pas gestionnaire de fait de l’entreprise : un actionnaire qui possède 29 % de l’entreprise peut – et c’est même normal – ne pas être au courant de ce que préparent le board opérationnel et le management ; la réponse se trouve dans les statuts de l’entreprise. Je suis donc fondé à demander au président d’Alstom, et à lui seul, d’informer son gouvernement.

Lorsque Mme Gaymard m’a informé, j’ai constaté que Siemens avait également fait connaître son intérêt pour Alstom. Cela me permettait-il pour autant de déduire qu’une alliance était envisagée avec l’une ou l’autre de ces entreprises si la seule personne en mesure de le dire ne le disait pas – et n’en a du reste pas même avisé son board, à l’exception d’un membre de son comité exécutif, M. Grégoire Poux-Guillaume, chargé des réseaux ? Que voulez-vous que je vous dise de plus ? Nous n’en serions pas là si l’on avait procédé autrement. En cela, M. Kron porte une responsabilité. Cela ne le dérange pas. Moi, si.

Lorsque je l’ai interrogé à ce propos, M. Kron a répondu, avec un certain dédain, que ce rapport avait été rédigé par des stagiaires de HEC. Nous n’avons jamais obtenu d’Alstom qu’il accepte de travailler avec nous. C’est fâcheux de la part d’une entreprise qui a toujours besoin de l’État. Je rappelle en effet que nous finançons le soutien à l’exportation des produits d’Alstom dans le monde entier et que le ministre de l’économie signe donc les aides à l’exportation allouées à cette entreprise.

Vous vous demandez pourquoi j’ai attendu l’affaire Alstom pour prendre ce décret : c’est que je n’étais pas ministre de l’économie – je ne le suis que depuis un mois – et que cette question ne relevait donc pas de ma compétence.

Enfin, monsieur Fasquelle, il n’y a pas d’agitation, mais une préoccupation qui répond à la nécessité de traiter le problème calmement, dans le respect des uns et des autres, et de défendre nos intérêts industriels.

Monsieur Chassaigne, notre politique industrielle est assez simple : garder tout ce que nous pouvons garder, rapatrier le plus possible de ce que nous avons perdu et créer tout ce que nous n’avons pas. Cette ambitieuse politique explique l’activisme des pouvoirs publics.

Notre stratégie consiste à conserver nos outils industriels, même en cas de restructurations. Nous assumons celles-ci, en indiquant aux actionnaires qu’ils doivent consentir un sacrifice, aux créanciers et aux banquiers qu’ils auront des pertes et parfois aux salariés qu’on ne pourra pas garder tout le monde, parce qu’on ne peut pas perdre l’outil industriel. C’est un travail très difficile, pour lequel je sais que je peux compter sur tous les élus. Nous ne réussissons pas toujours, mais la stratégie d’endiguement porte ses fruits. Sur 1 572 dossiers d’entreprises qui ont fait l’objet d’une intervention, 197 304 emplois ont été préservés sur 226 843 concernés. Certes, une perte de 30 000 emplois n’est pas négligeable, mais, grâce au travail du réseau des commissaires au redressement productif, qui sont presque des militants, grâce aux élus, aux syndicalistes et aux entrepreneurs eux-mêmes, grâce à l’union des forces productives dans les territoires, ce chiffre n’a pas augmenté avec le temps.

Avec le fonds de résistance économique, que nous avons créé avec votre autorisation à partir du fonds de développement économique et social (FDES), nous sommes parvenus à sauver Kem One, alors que la pétrochimie représente tout de même 45 000 emplois à Lyon et à Marseille. Pour Mory Ducros, le résultat n’est peut-être pas brillant, mais nous avons évité la chute d’un nouveau Moulinex, avec 3 000 emplois préservés et 2 000 perdus, et, pour ces derniers, nous avons obtenu des conditions spéciales et une mobilisation de la profession. Nous avons assumé cette restructuration. Ce n’est pas facile. Je suis allé voir les gars dans les ateliers et j’ai affronté leur regard. Je leur ai dit que nous étions dans une situation difficile, mais que nous devions réussir à sauver l’entreprise, parce qu’elle avait un avenir. Nous avons trouvé un actionnaire et prêté de l’argent – parce que, depuis longtemps, on ne voit plus les banques dans les dossiers de retournement. Nous allons procéder à la même opération pour Ascometal.

Ce travail n’est pas facile, tout le monde a la dent dure, mais nous ne nous sommes pas battus pour rien, et c’est là mon principal motif de fierté. Dire d’une entreprise en difficulté qu’elle est condamnée, c’est aussi absurde que de considérer, quand un malade entre à l’hôpital, qu’on perdrait moins de temps en le tuant tout de suite. La « soignade », ça existe aussi en économie, même s’il faut parfois se résigner à amputer.

Rapatrier le plus possible de ce que nous avons perdu, c’est toute la stratégie de la relocalisation. Ainsi, Renault, qui vendait 500 000 véhicules sur le territoire national voilà dix ans, voit aujourd’hui ce chiffre remonter à 750 000 et Nissan a même décidé de produire des Micra à Flins. Au-delà de ces exemples, de nombreux producteurs décident également de rapatrier leur production.

Les plans industriels, enfin, relèvent d’une stratégie d’innovation. Je suis en train d’achever les feuilles de route de trente-quatre plans industriels. Nous avons consacré à cette action 3,5 milliards d’euros issus du grand emprunt, qui permettront un effet de levier approchant 20 milliards d’euros d’investissement privé. Dans le secteur de la chimie verte et des biocarburants, par exemple, quarante projets mobilisent 4 milliards d’euros d’investissement en recherche et développement. Nous verrons ainsi apparaître au fil du temps des prototypes, des produits nouveaux et des industrialisations.

Le décret vise donc à éviter de perdre nos centres de décision et de la substance industrielle, et à pouvoir négocier avec des multinationales qui pensent d’abord à leurs intérêts. Il importe en effet de rééquilibrer les négociations financières par des intérêts de souveraineté indéniables.

Madame Dubié, nous avons transmis les informations à Bruxelles, bien que la notification ne soit pas obligatoire. À ce jour, nous n’avons été saisis d’aucune remarque, et aucune procédure n’a été ouverte. Le décret s’applique donc.

M. le président François Brottes. Je tiens à préciser que HEC reste une excellente école. À titre personnel et en tant que président de la commission des affaires économiques, je tiens aussi à témoigner, monsieur le ministre, de la qualité d’écoute qui caractérise vos collaborateurs qui, quelle que soit la taille de l’entreprise concernée, ont toujours une connaissance précise de leurs dossiers et font preuve, eux aussi, d’une implication quasi militante.

Mme Corinne Erhel. Monsieur le ministre, je souscris pleinement à vos préoccupations et mesure toute la portée du décret.

Je veux, pour ma part, revenir sur les activités liées à l’intégrité, à la sécurité et à la continuité des réseaux, notamment de télécommunications. Il s’agit là d’une question centrale que nous avons déjà eu l’occasion d’aborder à de nombreuses reprises au sein de cette commission. Les approches diffèrent selon les pays – elles sont par exemple restrictives aux États-Unis ou en Australie. Quelle est votre position pour ce qui concerne la sécurité des réseaux, sachant que la souveraineté numérique est un point important, mais qu’il faut aussi que nos offres en matière d’équipements soient les meilleures ? Où en sont par ailleurs les travaux de la filière de souveraineté numérique, qui fait partie des trente-quatre plans industriels ?

M. Damien Abad. Monsieur le ministre, vous êtes un peu le Poulidor de l’industrie : les Français, ou du moins une partie d’entre eux, vous apprécient, vous vous battez, mais vous ne gagnez jamais à l’arrivée.

M. le ministre. Le Tour de France n’a pas commencé !

M. Damien Abad. Ce décret de « patriotisme économique » est aussi un décret de protection politique, car l’intérêt politique a parfois pris le pas sur l’intérêt économique. C’est sympathique, mais ce décret de circonstance est un coup d’épée dans l’eau.

Où s’arrêtent les intérêts stratégiques de l’État ? Alors que, en 2005, la Commission européenne a exclu de leur liste le secteur de l’énergie, vous l’y avez fait figurer à nouveau et déclarez aujourd’hui que votre décret ne pose aucun problème pour Bruxelles, dès lors que vous n’en faites pas un usage protectionniste. Quel usage allez-vous donc en faire ?

Enfin, on ne construit pas une stratégie économique durable avec une simple ligne Maginot. Les vraies questions sont de savoir comment faire face à la pénurie de capital français, comment orienter l’épargne vers les entreprises, comment renforcer la compétitivité des entreprises, comment rendre la fiscalité attractive et comment adopter une meilleure spécialisation dans le commerce international pour éviter le déficit commercial abyssal que connaît notre pays.

Mme Frédérique Massat. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réactivité. Ayant moi aussi participé à la visite effectuée à Taishan avec le précédent gouvernement, j’ai pu constater que c’est l’excellence française incarnée par le trio gagnant EDF, Areva et Alstom qui a permis d’accéder à ces marchés. L’application d’autres stratégies pourrait demain mettre en danger cette réussite.

Je ne partage absolument pas l’optimisme du groupe intersyndical de l’énergie nucléaire, qui déclare qu’il ne craint pas le rachat d’Alstom par un groupe étranger et que ce pourrait même être une bonne occasion pour la filière nucléaire. En effet, la France est aujourd’hui un acteur majeur dont l’excellence est universellement reconnue. Quel est votre avis sur cette question ? L’Europe de l’énergie dont on a beaucoup entendu parler fait aujourd’hui cruellement défaut. Qu’en sera-t-il demain dans la feuille de route du Gouvernement et de la future Europe ?

M. Thierry Benoit. L’idée d’un décret pare-feu qui permette de protéger des entreprises et des secteurs stratégiques est intéressante. Est-ce bien le cas de ce décret ?

Dès son élection, le Président de la République a déclaré qu’il souhaitait renégocier le mécanisme européen de stabilité financière en y incluant un volet social. Depuis deux ans, lui-même et les ministres ont participé à de nombreuses réunions européennes. Une stratégie a-t-elle été construite en vue de développer en France et en Europe un véritable plan de bataille pour la reconquête industrielle ?

Enfin, l’une des offres formulées pour Alstom protège-t-elle mieux que l’autre les 18 000 salariés concernés sur le territoire français ?

Mme Delphine Batho. Pour la France, l’énergie est pleinement une fonction régalienne, et tous nos collègues devraient soutenir ce décret, que je vous félicite d’avoir pris, monsieur le ministre.

Au-delà de la stratégie défensive, ma question porte sur la stratégie offensive. L’idée d’un « Airbus de l’énergie » a été accueillie naguère par des sarcasmes, y compris de la part de certains industriels, dont celui que nous auditionnerons tout à l’heure. Qu’est-il ressorti de votre entretien avec M. Sigmar Gabriel et quelles sont les perspectives industrielles d’un Airbus de l’énergie – notamment, pour ce qui concerne Alstom, en matière d’éolien offshore et d’énergie marine, domaines dans lesquels les acteurs sont trop nombreux et où des alliances européennes s’imposent ?

Par ailleurs, la séparation de la branche transports et de la branche énergie d’Alstom est-elle viable ?

Quant à la filiale satellites d’Alstom, importante notamment pour Thales, fait-elle l’objet d’un traitement particulier dans les discussions en cours tant avec General Electric qu’avec Siemens ?

Enfin, dans une récente déclaration, le commissaire européen Michel Barnier a fait une interprétation assez restrictive des traités, selon laquelle seuls la sécurité et l’ordre public pouvaient donner lieu à intervention au titre du caractère stratégique des entreprises. Y a-t-il eu d’autres discussions avec la Commission européenne, expliquant que vous vous soyez tout à l’heure montré rassurant ?

M. Éric Straumann. Si, comme vient de l’affirmer Mme Massat, la France doit conserver sa position de leader mondial dans le domaine du nucléaire, pourquoi le parti socialiste veut-il toujours fermer la centrale de Fessenheim ?

Depuis septembre 2011, Siemens a renoncé au nucléaire. Ce choix stratégique ne risque-t-il pas de poser des problèmes en cas de rapprochement avec Alstom ?

Quel est par ailleurs votre avis, monsieur le ministre, sur le projet de rapprochement entre Orange et Bouygues, qui réunira 55 % du marché français de la téléphonie ?

M. Razzy Hammadi. Je tiens moi aussi, monsieur le ministre, à saluer votre réaction, sans laquelle tout serait déjà fini depuis le dernier dimanche d’avril, où a été convoqué le conseil d’administration d’Alstom.

Je vous demandais ici même, voilà quinze jours, si le cas d’Alstom pourrait entrer dans le champ d’application du décret Villepin-Breton, qui me semblait un peu restreint. Votre action a répondu à cette question.

En termes de stratégie industrielle, il y a place, parallèlement aux objectifs ambitieux que vous évoquiez, pour une stratégie de spécialisation, car je ne crois pas que nous pourrons tout faire.

La deuxième question que je vous posais lors de votre dernière audition, et qui n’a pas eu de réponse, portait sur le financement à long terme de ces entreprises. Il s’agit là en effet d’un problème structurel dans notre pays. Quelles sont les pistes actuelles de réflexion dans ce domaine ?

M. Jean-Charles Taugourdeau. La politique industrielle du Gouvernement permet-elle à Alstom de prendre des décisions stratégiques en lui assurant la visibilité indispensable à toute décision d’investissement ?

Dormez-vous bien, monsieur le ministre ? En effet, fermer 50 % des centrales ne revient-il pas à priver Alstom de ce marché de rénovation ?

Quant à l’objectif de garder ce qui est menacé et de rapatrier ce qui peut revenir, ne vous donne-t-il pas envie de redresser productivement vos collègues les ministres du travail et de l’environnement en leur expliquant comment libérer les entreprises françaises de normes et de codes excessifs par rapport à ceux de nos voisins ?

M. le président François Brottes. Vous êtes fâché avec les chiffres, monsieur Taugourdeau, car ce sont deux choses différentes que 50 % de la production d’électricité issue du nucléaire et 50 % des centrales nucléaires !

M. Jean-Luc Laurent. Monsieur le ministre, je vous félicite d’avoir fait le choix du patriotisme économique et de l’intérêt national, et de l’avoir exprimé par des actes concrets dans une affaire où le seul intérêt de l’actionnaire ne suffit pas.

Député du Mouvement Républicain et Citoyen, je ne suis pas touché, vous le savez, par la grâce européiste. La solution européenne que certains appellent de leurs vœux, avec un rapprochement entre Alstom et Siemens, ne serait-elle pas trop favorable à l’Allemagne et trop coûteuse socialement et économiquement ? La souveraineté de la filière nucléaire est une question centrale. Ne pensez-vous pas qu’il faille rechercher une solution française, une troisième solution qui permette de conserver le capital, et donc le pouvoir de décider demain ?

M. Michel Sordi. Il a déjà été dit qu’Alstom participait au savoir-faire de la filière nucléaire française, filière d’excellence qui est probablement la troisième pourvoyeuse d’emplois. La décision de fermer Fessenheim par anticipation, alors que l’exploitation d’autres centrales du même type est autorisée pour soixante ans aux États-Unis, n’est-elle pas un handicap pour cette filière ? Ne serait-il pas possible de différer cette décision, qui supprimera directement et indirectement 2 200 emplois dans un bassin de vie où il sera difficile de les remplacer ?

Mme Audrey Linkenheld. L’activité d’Alstom ne se limite pas à l’énergie : elle concerne également le transport, notamment ferroviaire, avec dix sites et 8 500 salariés en France, dont plus de 1 300 dans le Nord, sur le site de Petite-Forêt. Quelles sont les intentions du Gouvernement pour la branche transports d’Alstom, inégalement convoitée par General Electric et Siemens ?

M. Philippe Kemel. Élu moi aussi de la région Nord-Pas-de-Calais et voisin de Petite-Forêt, je m’associe à la question de Mme Linkenheld. Nous veillerons à ce que le développement de la branche transports d’Alstom prenne en compte l’ensemble des salariés.

Vous avez donné une définition pragmatique de la politique industrielle que vous construisez pas à pas et avez pris une mesure qui permettra de protéger les entreprises. La volonté politique de conserver Alstom dans une logique économique d’ensemble fondée sur la construction et la vente de turbines est donc affirmée, mais comment pouvons-nous nous assurer que toutes ses potentialités resteront sur le territoire national ? Quelles sont, en d’autres termes, les conditions que vous accepterez au nom de l’État ?

M. le président François Brottes. Dans le domaine de la téléphonie mobile, qui nous intéresse particulièrement en ce moment, Bouygues restera-t-il acteur de ce secteur ?

M. le ministre. Monsieur Abad, sans le décret que vous qualifiez de « coup d’épée dans l’eau », le Gouvernement ne serait pas consulté sur le devenir des centres de décision et des emplois, à propos desquels les députés de l’UMP ont exprimé leur préoccupation. Les décisions seraient prises et imposées à la nation par un conseil d’administrateurs, sans instance de recours. Or j’ai observé que, depuis que le décret est pris, chacun s’efforce de trouver un compromis avec les demandes exprimées publiquement dans la lettre que j’ai adressée à M. Immelt.

Quant à l’usage que je ferai de ce décret, il sera tempéré et efficace. Tempéré, car il s’agit d’éviter les excès et de servir l’intérêt national, en évitant par ailleurs d’en faire une interprétation abusive : il n’est pas fait pour bloquer, mais pour négocier au mieux les intérêts de notre nation. C’est ainsi qu’en usent tous les États qui disposent d’armes de ce type. Efficace, car c’est le résultat qui comptera – vous me donnerez rendez-vous à cet égard, et vous aurez raison, car c’est ainsi que l’on juge un gouvernement.

Il est vrai qu’il importe de capitaliser nos entreprises. Alors que nous disposons d’une extraordinaire épargne nationale, avec 1 300  milliards d’euros placés dans l’assurance-vie, laquelle jouit de surcroît d’une bonification fiscale, nous n’avons encore jamais décidé d’augmenter, comme nous le pourrions et comme le fait le Japon, le degré de contrainte pesant sur les compagnies d’assurances pour les inciter à investir davantage dans les grandes entreprises de notre pays. Nous avons nos fonds de pension à la française, mais nous ne les utilisons pas. Nous poserons la question aux assurances et aux fonds de retraite mutualistes, car nous avons besoin que ces centaines de milliards s’investissent dans nos entreprises plutôt que dans des obligations souveraines à l’étranger. Des décisions ont déjà été prises en ce sens pour les PME par mon prédécesseur, Pierre Moscovici. J’ai discuté hier avec les banquiers de la manière dont ils peuvent améliorer le financement des PME et TPE, et il nous faut de même discuter avec les grandes entreprises et les grands fonds d’assurance, afin que nous soyons nous-mêmes les investisseurs de notre propre épargne.

Au-delà du problème de la branche nucléaire, l’offre de GE soulève celui de la branche transports. Au sein de l’alliance Fer de France, RFF, la SNCF et la RATP – mais pas Alstom, qui ne s’est pas prononcé – ont exprimé à l’unisson leurs inquiétudes quant à la solitude dont souffrirait la branche transports, qui n’intéresse pas GE. Face au géant Siemens, à la puissance chinoise et aux autres acteurs mondiaux, M. Kron a déclaré qu’il voulait, avec les fonds qu’il tirerait de la vente de 75 % des actifs d’Alstom, renforcer les 25 % restants. En réalité, il va d’abord désendetter l’entreprise puis, et surtout, verser un superdividende à ses actionnaires, qui le lui réclament – et dont vous pourrez lui demander tout à l’heure le montant, car il ne m’a pas répondu sur ce point.

Que pourra-t-il faire de cet argent ? Passer des alliances ? Mais avec quels alliés ? Bombardier n’est pas disponible et les autres acteurs de ce marché sont de petites entreprises. Reste la confrontation européenne avec la puissance de Siemens, à côté de laquelle Alstom sera bien petit.

C’est la raison pour laquelle j’ai demandé au président de GE que soit vendue à Alstom, en contrepartie, l’activité ferroviaire de GE, qui produit des locomotives de trains de marchandises sur le continent américain et de la signalisation, pour un chiffre d’affaires de 3,9 milliards d’euros, ce qui assurerait à Alstom un renforcement mondial et une taille critique. Aujourd’hui, nous n’avons pas de contre-proposition en ce sens de la part de GE – pas plus que nous n’avons de réponse satisfaisante sur l’autre point qui préoccupe le Gouvernement.

Siemens, quant à lui, a fait une offre engageante, sous réserve de vérification, dont je vous ai lu certains éléments la dernière fois que j’ai été entendu par votre commission. Depuis, Siemens approfondit cette proposition et nous n’avons pas de nouvelle offre précisée à partir des due diligences accomplies au niveau des états-majors des deux entreprises concernées. Comme je vous l’ai indiqué, une lettre est partie ce matin. Lorsque nous aurons une nouvelle offre de la part de Siemens ou de GE, nous pourrons en discuter à nouveau. La proposition actuelle de Siemens consiste, je le rappelle, en l’acquisition du bloc énergie, avec une solution française pour certains compartiments de cette offre et la préservation des intérêts du nucléaire – car Siemens a construit des turbines de centrales nucléaires, y compris pour Areva, et continue d’en assurer la maintenance.

Quant à savoir, monsieur Laurent, si ces dispositions sont trop ou trop peu favorables à l’Allemagne ou à la France, je vous répondrai lorsque je disposerai de tous les éléments pour le faire. En effet, le travail engagé entre les différentes équipes, dont les miennes, et Siemens est destiné à traiter les questions qui sont sur la table et que j’ai évoquées avec les syndicats, comme les éventuelles surcapacités en Europe, la compétition entre sites industriels ou la taille acquise qui nous permettrait de gagner des parts de marché avec une branche transports qui sortirait renforcée de l’opération, car Siemens a proposé d’apporter la totalité de son activité ferroviaire en contrepartie de l’acquisition de la totalité de la branche énergie d’Alstom. Cette solution est celle d’un double leadership : une entreprise avec des actifs franco-allemands et une direction allemande dans le domaine de l’énergie, et une entreprise avec des actifs franco-allemands et une direction française dans le domaine des transports – c’est peut-être là la naissance du fameux « Airbus de l’énergie ».

À ce jour, toutefois, je le répète, la proposition de Siemens n’est pas aboutie et je ne puis la commenter ni devant vous ni devant le Président de la République. Lorsque cette proposition sera disponible, améliorée par le travail itératif des équipes d’Alstom, du Gouvernement et de Siemens, peut-être pourrons-nous en savoir davantage et nous prononcer.

Madame Batho, les énergies renouvelables sont un des points d’investissement du gouvernement français. Siemens est très présent dans ce domaine, notamment dans l’éolien, où il détient 69 % des parts du marché européen. Quant aux réseaux, Alstom et Siemens représentent ensemble 100 % du marché européen, ce qui suppose une limitation de nature concurrentielle. Ce sont là des questions dont nous discuterons dans le cadre d’une offre.

General Electric n’a pas ce type d’activités. Dans l’hydraulique, domaine où Alstom est leader mondial avec 25 % de parts de marché, on peut considérer que General Electric est tout à fait intéressé, ce qui ne serait pas forcément le cas de Siemens.

À l’heure actuelle, nous ne disposons que de conjectures et attendons que la proposition de Siemens soit finalisée pour pouvoir prendre position et répondre aux interrogations légitimes des organisations syndicales, de l’opinion publique, des parlementaires et de l’ensemble de l’exécutif.

Monsieur Taugourdeau, le Grenelle de l’environnement, qui fait partie des points auxquels nous réfléchissons dans le cadre du processus de simplification, n’est pas pour rien dans l’augmentation des couches que vous dénoncez. Alors député de l’opposition, j’ai été de ceux qui ont voté ce texte : on peut partager des erreurs – mais on peut aussi être assez intelligent collectivement pour les corriger sans nous accuser sans cesse mutuellement. Évitons l’esprit polémique, surtout sur des dossiers d’intérêt national.

Les satellites font l’objet d’un traitement différencié, comme l’ensemble des compartiments d’activité d’Alstom. Ce domaine n’est pas un sujet d’inquiétude – ni du reste un sujet de grand intérêt pour les différentes parties.

Les télécoms, madame Erhel, relèvent d’une vision stratégique, car nous avons besoin d’acteurs forts dans ce domaine – c’est d’ailleurs, monsieur le président, l’esprit de votre question sur la consolidation. Le Gouvernement est favorable à un retour à trois opérateurs, afin de faire cesser la destruction de valeur, la chute des prix, la destruction d’emplois et une certaine incapacité à investir sur l’avenir. À défaut d’opérateurs susceptibles de financer, aux côtés des pouvoirs publics, des investissements de 20 milliards d’euros pour installer le très haut débit dans toute la France, il faudra lever 20 milliards d’euros d’impôts pour assurer la compétitivité du territoire national dans la révolution numérique, ce qui ne semble pas souhaitable. Nous avons donc besoin d’opérateurs de télécoms forts, capables de gagner de l’argent et de le réinvestir sur le territoire dans les nouvelles technologies.

Nous avons donc besoin de technologie et d’approvisionnement technologique. C’est pourquoi je suis attentif aux questions technologiques dans les plans industriels comme dans les processus protecteurs ou défensifs.

Pour la première fois – après la lettre que Mathias Döpfner, président d’Axel Springer, a adressée à Eric Schmidt, patron de Google –, le gouvernement allemand et le gouvernement français, dans une lettre commune que je mettrai à votre disposition, demandent à la Commission européenne de prendre des mesures de régulation strictes à l’égard de Google. C’est là un point important, car nous considérons que notre souveraineté numérique est atteinte et nous devons donc prendre, au niveau européen, des mesures à la hauteur des plates-formes de l’internet mondial.

Nous n’avons pas vocation, en effet, à être une colonie numérique des géants de l’internet mondial et c’est l’une des raisons pour lesquelles nous défendons l’existence en Europe d’acteurs forts de la téléphonie. Les opérateurs sont en effet au nombre de 120 pour 400 millions de clients potentiels en Europe, contre quatre au maximum – en fait trois, et même deux et demi – pour 300 millions de clients aux États-Unis, et deux ou deux et demi pour 800 millions de clients en Chine. Chez nous, en effet, l’idéologie de la concurrence se traduit par l’émiettement, la balkanisation et la scissiparité. Ainsi, tout le monde est faible, personne ne gagne d’argent et, les opérateurs téléphoniques étant incapables d’investir, nous sommes soumis aux investissements des autres. Notre choix est donc un choix de souveraineté européenne.

Monsieur Laurent, lorsque j’affirme ma préférence pour Alstom, cela signifie que je souhaite que sorte de cette opération un Alstom renforcé. Toutes les propositions ne sont pas sur la table et il est encore un peu tôt pour nous prononcer. La solution nationale a déjà été mise en œuvre pendant dix ans et, Alstom étant aujourd’hui la proie d’intérêts importants, nous ne nous interdisons rien et étudions toutes les possibilités.

Monsieur Benoit, vous m’avez interrogé sur le financement à long terme et l’orientation de l’Europe. La Confédération européenne des syndicats, qui réunit quatre-vingts organisations syndicales, a demandé à la Commission européenne et aux États membres de soutenir la proposition visant à relancer l’économie de l’Union européenne par la mobilisation de 2 % du PIB européen. Nous prenons cette proposition très au sérieux car, si la dette et les politiques de désendettement sont dans les États, la dette n’est absolument pas présente sur le plan européen et les outils de financement européen rendent parfaitement possible de créer à ce niveau les conditions de la relance économique.

Nous avons donc activé les ressources de la Banque européenne d’investissement et, lors de la présentation de ma feuille de route de ministre de l’économie, dans les prochaines semaines, j’évoquerai plusieurs projets ambitieux menés sur fonds privés et sur fonds européens. L’un de ces projets est le plan fibre et très haut débit, engagé avec les collectivités locales pour un montant de 20 milliards d’euros et qui concerne les trois zones, en vue de lutter contre la fracture numérique. Il y en aura d’autres, car il faut relancer l’investissement.

Nous nous efforçons de travailler avec les institutions européennes sur ces deux volets, afin de tempérer la multiplication des plans d’austérité dans toute l’Europe.

M. le président François Brottes. Vous n’avez pas parlé de Fessenheim.

M. le ministre. Je vous engage à interroger à ce propos la ministre de l’énergie, qui est chargée du dossier.

M. le président François Brottes. Nous l’auditionnerons dès demain dans le cadre de la commission d’enquête relative aux coûts de la filière nucléaire.

Quand et selon quelles modalités interviendra la mobilisation de l’épargne à long terme – mesure pour laquelle vous aurez mon soutien ?

M. le ministre. La concertation commence : nous allons discuter avec les compagnies d’assurances.

M. le président François Brottes. Monsieur le ministre, je vous remercie.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mardi 20 mai 2014 à 17 heures

Présents. - M. Damien Abad, Mme Delphine Batho, M. Thierry Benoit, M. Yves Blein, M. François Brottes, Mme Jeanine Dubié, Mme Corinne Erhel, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Daniel Fasquelle, M. Christian Franqueville, M. Razzy Hammadi, M. Philippe Kemel, Mme Laure de La Raudière, M. Jean-Luc Laurent, M. Michel Lefait, Mme Annick Le Loch, M. Philippe Le Ray, M. Jean-Pierre Le Roch, Mme Audrey Linkenheld, Mme Jacqueline Maquet, Mme Marie-Lou Marcel, Mme Frédérique Massat, M. Jean-Claude Mathis, M. Yannick Moreau, M. Hervé Pellois, M. Patrice Prat, M. François Pupponi, Mme Béatrice Santais, M. François Sauvadet, M. Michel Sordi, M. Éric Straumann, M. Jean-Charles Taugourdeau, Mme Clotilde Valter

Excusés. - Mme Brigitte Allain, M. Alain Bocquet, Mme Michèle Bonneton, M. Jean-Claude Bouchet, M. Joël Giraud, Mme Anne Grommerch, M. Antoine Herth, M. Thierry Lazaro

Assistaient également à la réunion. - M. Éric Alauzet, M. Gérard Bapt, M. André Chassaigne