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Commission des affaires économiques

Mardi 27 mai 2014

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 83

Présidence de M. François Brottes Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Christophe de Maistre, président de Siemens France

La commission a auditionné M. Christophe de Maistre, président de Siemens France.

M. le président François Brottes. Monsieur le président, je vous remercie d’avoir accepté notre invitation. C’est ce soir la première fois que la société Siemens, par la voix de son président pour la France, se fait entendre publiquement dans le dossier Alstom. Après vous, nous accueillerons M. Jeffrey R. Immelt, président-directeur général de General Electric. Nous avons déjà auditionné à deux reprises sur ce dossier M. Arnaud Montebourg, ministre de l’économie, du redressement productif et du numérique, et M. Patrick Kron, président-directeur général d’Alstom, lequel a subi l’assaut d’une cinquantaine de parlementaires.

Nous cherchons à comprendre en quoi la société Siemens, dont on dit qu’elle pourrait formuler une offre, est intéressée – ou non – par Alstom. Si elle l’est, quelles sont les synergies qui existent et celles qu’il est plus difficile d’organiser ? On dit que le projet que le projet que pourrait présenter Siemens présente des doublons avec Alstom, ce qui peut poser des problèmes sur le plan social. On dit aussi que le gouvernement français est allé vous chercher par la manche et que vous n’aviez pas spontanément d’intérêt pour Alstom. Ces questions dignes du Café du Commerce vous inviteront, je l’espère, à réagir spontanément, afin de rendre notre échange encore plus intéressant.

M. Christophe de Maistre, président de Siemens France. Je vous remercie de me donner l'occasion de présenter à la représentation nationale le projet industriel qui ferait de Siemens et d'Alstom deux champions européens à vocation mondiale, l'un dans le domaine de l'énergie et l'autre dans celui du transport. Résolument tourné vers la conquête des marchés asiatique et nord-américain, ce projet ne serait pas celui d'une restructuration défensive, mais bien celui de la croissance dans deux secteurs structurellement dynamiques, car adossés à des tendances de fond : l'augmentation continue de la consommation énergétique mondiale et l'urbanisation.

Tout d’abord, où en est Siemens ?

Nous préparons notre décision avec sérénité, sérieux et détermination, en nous appuyant sur deux piliers : une vérification approfondie de la situation financière d'Alstom et une large concertation avec toutes les parties prenantes. Peut-être cela reflète-t-il les racines et la tradition de consensus social de notre groupe, mais Siemens refuse la démarche du fait accompli, d'une offre présentée à la hussarde.

Notre projet industriel doit être le fruit d'une large concertation avec toutes les parties prenantes d'Alstom – avec ses actionnaires et sa direction, mais aussi, et tout autant, avec ses clients et avec les partenaires sociaux, ainsi qu'avec les autorités publiques nationales et locales, qui ont tous un intérêt légitime et historique dans le devenir de ce fleuron industriel. Nous avons entendu tous ceux, à commencer par les représentants du personnel d'Alstom, qui jugent qu'une décision sur l'avenir des femmes et des hommes remarquables qui font la richesse de cette grande entreprise mérite une réflexion approfondie.

Par ailleurs, très conscients de notre responsabilité fiduciaire et sociale à l'égard de nos propres actionnaires et salariés, nous réalisons depuis un peu moins de trois semaines une due diligence approfondie. Concrètement, afin de pouvoir justement valoriser les actifs d'Alstom, nous étudions les synergies et les complémentarités entre nos deux groupes, mais aussi les risques juridiques portés par Alstom, par exemple ceux qui résultent des contentieux en cours, ou les risques financiers, par exemple ceux qui sont attachés aux grands contrats. Nous tenons d'ailleurs, par souci de réciprocité, les mêmes documents à la disposition d'Alstom pour les actifs que nous nous proposons de lui apporter. Nous avions demandé quatre semaines pour une telle vérification approfondie : deux semaines et demie plus tard, nous sommes donc dans les délais.

Je suis néanmoins en mesure de vous informer ce soir que, si ce processus garantit bien jusqu'au bout une égalité de traitement et un juste accès à l'information, Siemens présentera sa proposition le 16 juin au plus tard et le PDG de Siemens Monde, M. Joe Kaeser, se tiendra à votre disposition pour l'expliquer devant cette commission, si vous le jugez utile.

M. le président François Brottes. Nous prenons date.

M. Christophe de Maistre. C’est un engagement, et nous avons l’habitude de respecter les nôtres.

Quelles sont les grandes lignes de ce projet, tel qu'il a été présenté à Alstom ?

Par avance, je vous présente mes excuses si je vous parle avec un peu de trop de passion et de flamme : c'est celle d'un président français qui dirige une entreprise qui s'inscrit dans l'histoire industrielle française et qui met tout son savoir-faire au service de la réindustrialisation.

Siemens en France, c'est une entreprise industrielle innovante, héritière de Matra Transport et de Creusot Loire, et présente dans notre pays depuis plus de 160 ans.

Siemens en France, c'est un acteur majeur de la production industrielle et de la recherche, avec sept sites industriels et dix centres de recherche et développement, qui réalisent ensemble un chiffre d’affaires de 2,3 milliards d’euros, dont un tiers à l'exportation.

Siemens en France, c'est un acteur qui développe avec ses grands clients des avancées technologiques mondiales – je pense à la première mondiale que représente l'automatisation de la ligne 14 et de la ligne 1 du métro parisien, sans interruption de service, avec la RATP, ou à la contribution à l'invention, avec l'Institut hospitalo-universitaire de Strasbourg, d'une nouvelle spécialité médicale : la chirurgie mini-invasive guidée par l'image.

Siemens en France, ce sont des partenariats avec près de 9 000 fournisseurs français, auprès desquels nous passons près de 2 milliards d’euros de commandes chaque année et dont certains, comme Mersen, Cequad ou Faiveley, nous accompagnent dans la conquête des marchés à l’export, à l'instar de ce que fait le Groupe avec des PME et PMI du Mittelstand allemand.

Siemens en France, c'est une entreprise intégrée à un leader mondial de l'industrie, fort de 360 000 collaborateurs et d’un chiffre d’affaires de 76 milliards d’euros, un conglomérat fondé en Allemagne il y a près de 170 ans, résolument européen dans ses centres de décision et de production et implanté aujourd'hui dans plus de 170 pays.

Siemens en France, c'est un acteur engagé dans la société, conscient de sa responsabilité sociale, comme l'atteste notre engagement au profit de l'association « Nos Quartiers ont du Talent », notre partenariat aux côtés du SAMU social et notre tradition de formation en alternance pour conforter l'accès à l'emploi des jeunes.

Siemens en France, ce sont surtout 7 000 femmes et hommes qui contribuent chaque jour, avec beaucoup d'engagement, à améliorer le quotidien des Français.

C'est cette entreprise, fondée en Allemagne, fièrement française en France et profondément européenne dans ses convictions et son organisation.

Notre projet industriel prendrait la forme d'une alliance – et j’insiste sur ce mot – entre Alstom et Siemens : une alliance entre deux sociétés qui, au-delà de leur saine concurrence, travaillent quotidiennement ensemble, comme dans le cas pour le métro parisien, dont le matériel roulant est d'Alstom et la signalisation de Siemens ; une alliance créatrice de valeurs tant pour Alstom que pour Siemens, qui conforterait chacun dans l'activité dans laquelle il aurait un leadership naturel ; une alliance protectrice des intérêts conjoints de la France et de l'Allemagne ; une alliance qui établirait deux champions industriels européens, capables de faire face durablement à la concurrence asiatique et nord-américaine.

Concrètement, cette alliance verrait Siemens, leader mondial de l'énergie, acquérir, pour les faire croître, les activités énergie d'Alstom.

Je tiens à souligner que Siemens a exprimé un intérêt public pour toutes les activités énergie d'Alstom, sauf celles que les pouvoirs publics jugeraient essentielles à la souveraineté énergétique de la France. Nous nous engagerions à conserver ces activités, car elles présentent toutes un intérêt.

Cette alliance verrait en contrepartie Siemens apporter à Alstom l'ensemble de ses activités de matériel roulant : ses trains à grande vitesse, ses locomotives, ses métros, ses trains régionaux, ses tramways et ses bus électriques. Il s’agit d’une activité phare, égale en taille à celle d'Alstom, qui cumule les succès à l’export, par exemple en Russie, où nous fournissons tous les trains à grande vitesse, au Royaume-Uni, où nous construirons et assurerons la maintenance du métro londonien Thameslink – dont le contrat de maintenance a du reste été remporté hier par Keolis, une filiale de la SNCF –, en Suisse, où nous fournissons le RER de Zurich, en Corée du Sud, où nous avons réalisé la première ligne de métro léger entièrement automatique à Uijeongbu, ou encore en Arabie Saoudite, où la ville de Riyad a récemment commandé notre métro automatique.

C’est donc un grand Alstom Transports que nous proposerions de construire.

Cette alliance renforcerait nettement la valeur ajoutée créée en France, et cela pour trois raisons.

Premièrement, pour ce qui est du transport, et plus précisément du matériel roulant, le nouvel Alstom transport serait majoritairement détenu par des capitaux français et aurait son siège en France.

Deuxièmement, pour ce qui est de la signalisation, Siemens, principal acteur dans ce domaine, reprendrait les activités d'Alstom et installerait le siège mondial de cet ensemble en France, vraisemblablement à Châtillon, dans les Hauts-de-Seine.

Troisièmement, pour ce qui est de l'énergie, Siemens relocaliserait en France, probablement à Grenoble et Belfort, le siège mondial des activités de transmission, d'hydraulique et de turbines vapeur, autant d'activités dans lesquelles nous sommes déjà un acteur majeur et où nos parts de marchés viendraient consolider les positions fortes d'Alstom

Je tiens à souligner notre conviction absolue que Siemens saurait faire croître les activités énergie d'Alstom pour les raisons suivantes.

D'une part, l’électrification est le métier historique du groupe – celui autour duquel il s'est bâti il y a près de 170 ans, celui autour duquel il a réalisé sa croissance, celui dont l'importance stratégique a encore été réaffirmée le 7 mai par notre PDG, Joe Kaeser, et celui que nous avons encore renforcé avec l'acquisition récente des turbines et des compresseurs de Rolls-Royce.

D'autre part, les activités de Siemens et d'Alstom seraient complémentaires et se renforceraient mutuellement, en permettant au nouvel ensemble d'atteindre une taille critique sur tous les grands marchés mondiaux et sur toute la gamme, grâce à une recherche et développement encore plus importante.

C'est vrai pour la production d'énergie renouvelable, où nous bénéficierions du leadership d'Alstom pour l’hydraulique et l’éolien terrestre, et de celui de Siemens pour l'énergie éolienne maritime.

C'est également vrai pour la transmission – les réseaux –, où notre alliance nous rapprocherait du numéro un mondial ABB, fort aussi bien dans les spécialités de Siemens que sont les interconnexions maritimes et entre pays que dans celles d'Alstom – les interconnexions terrestres et la gestion intelligente des réseaux. Ce grand acteur mondial serait capable de faire face à la consolidation rapide du marché sous la pression de la concurrence asiatique.

C'est vrai enfin pour la production d'énergie fossile, dans laquelle Siemens, numéro deux mondial en matière de turbines à gaz, permettrait de valoriser l'excellence technologique d'Alstom par un réseau de distribution et d'après-vente mondial. Notre alliance permettrait d'ébranler la domination du numéro un mondial en matière de turbines à gaz : General Electric.

En matière de transport ferroviaire, il faut sauver Alstom Transport, magnifique entreprise, pionnière dans bien des domaines et fleuron de l'industrie française. Si Alstom Transport était abandonné à son destin, il serait, en taille, le cinquième constructeur mondial de matériel roulant, le seul parmi ces cinq à ne pas être adossé à un groupe financièrement solide ou à un État, comme ses concurrents chinois.

Aujourd'hui, les autorités publiques, les grands clients d'Alstom – la SNCF, la RATP et RFF –, ses partenaires sociaux et la direction d'Alstom elle-même, comme elle l’a fait voici quelques mois à l'occasion de l'annonce de l'ouverture du capital, s'accordent à dire qu'Alstom doit disposer d'une taille critique, nécessaire pour lever les garanties bancaires requises pour les grands contrats et pour porter leurs risques d'exécution, ainsi que pour investir dans la recherche et développement nécessaire et pour garder son avance technologique.

L'alliance que nous proposerions ainsi assurerait d'emblée cette taille critique, une présence sur tous les marchés mondiaux et une gamme de produits et de services capable de répondre à tous les besoins de nos clients.

Le renforcement d'Alstom par l'apport de l'ensemble de notre matériel roulant et par la conclusion d'un accord stratégique avec Siemens en matière de signalisation pour les contrats clés en main lui permettrait d'atteindre une taille critique qui en ferait l'égal des deux géants chinois CNR et CSR, et le placerait devant son concurrent canadien Bombardier. Surtout, cette alliance serait le gage d'une compétitivité fortement renforcée et d'une unification du marché ferroviaire européen. Nous déplacerions dès lors la concurrence de nos marchés européens pour la porter offensivement en Amérique du Nord et en Asie.

Les contours exacts de cette alliance et de l'articulation entre matériel roulant et signalisation sont encore en discussion, mais nous sommes déterminés à rester engagés à long terme dans l'activité ferroviaire, qui est vecteur de croissance sous le double effet de la démographie et de l'urbanisation.

Siemens est pleinement conscient qu'une telle alliance est d'abord une question de femmes et d'hommes, et que son succès dépend de notre capacité à faire grandir les équipes et les compétences des deux entreprises. C'est pourquoi nous avons placé notre projet d'alliance sous le signe de la concertation et du dialogue social.

C'est par la pertinence de notre projet que nous garantirions à long terme l'emploi et c'est cette méthode qui nous conduirait à garantir l'emploi des salariés d'Alstom qui rejoindraient Siemens, pour une durée de trois ans à compter de la clôture de la transaction.

Ce serait un socle minimal – une garantie, mais pas notre ambition, qui serait de développer l'emploi grâce à notre projet industriel, en allant capter la croissance attendue des marchés du transport et de l'énergie dans les prochaines décennies.

Il ne s’agit pas là seulement de mots, car ces engagements seraient le fruit d'une longue pratique sociale qui est indissociable de notre développement industriel et en est le principal moteur. Nous croyons fortement qu'il existe, par-delà les différences de législations, une identité sociale européenne qui s'incarnerait dans le dialogue social, la protection des personnes, le respect du dialogue institué à l'intérieur de l'entreprise et le sens du long terme.

Le succès de l'intégration par Siemens, en 2004, des 6 000 salariés d'Alstom experts des petites turbines à gaz en est un exemple réussi, tout comme le succès d'Atos, auquel nous avons apporté nos activités d'informatique pour créer un champion, numéro un européen, dans lequel nous détenons une part minoritaire en appui du management conduit par Thierry Breton et qui préfigure d'une certaine manière notre projet dans le transport ferroviaire.

Je voudrais conclure en déclarant solennellement à la représentation nationale, et en m'adressant à travers vous aux femmes et aux hommes d'Alstom, que les femmes et les hommes de Siemens ont le plus grand respect pour leur travail, leur savoir-faire et leur créativité. Nous sommes absolument persuadés que notre union ferait la force de nos deux entreprises et qu'ensemble nous construirions deux champions européens de taille mondiale, capables de faire durablement face à la concurrence, qu'elle vienne d'Amérique du Nord ou d'Asie.

Ce choix européen ne serait pas anodin dans un monde globalisé. Lui seul assurerait la pérennité des lieux de décision, de production, de recherche et donc d'emploi et d'investissement.

Cette possibilité d'une alliance entre ces deux grandes entreprises européennes, riches de leur savoir-faire et de leur longue histoire, ne se présentera pas une deuxième fois. C'est aujourd'hui et maintenant qu'il faut agir, avec sérénité et confiance.

M. le président François Brottes. Le patron d’Alstom, que nous avons auditionné et qui a clairement exprimé sa préférence, a déclaré qu’il vous fournirait les informations nécessaires pour bâtir, le cas échéant, une proposition. Au-delà de cela, avez-vous eu des réunions avec Alstom ?

M. Christophe de Maistre. Nous avons en effet eu des réunions communes, au titre du processus de due diligence. Les discussions entre concurrents doivent en effet respecter certaines procédures formelles, afin d’éviter les distorsions de concurrence. Chacun des protagonistes met à disposition une « data room », c’est-à-dire des informations consultables par chacun des deux. C’est ce que nous avons fait et des échanges ont eu lieu. Ces échanges périodiques sont cependant soumis à des accords de confidentialité et je ne puis donc donner davantage de détails à ce propos.

Mme Clotilde Valter. Le rapprochement entre Siemens et Alstom est, en première approche, très séduisant pour nous et pour l’opinion. Il s’inscrit dans une perspective européenne qui ne manque pas d’évoquer la réussite d’Airbus et vous nous avez présenté un schéma idéal comportant tous les éléments que nous voudrions y trouver. Qu’en est-il exactement et jusqu’où cela correspond-il à ce que nous pouvons accepter ?

Tout d’abord, avant l’annonce du rachat par General Electric, Siemens a déjà eu des contacts préalables et formulé une offre : quel en était le contenu et quelle était votre approche ? Pourquoi n’avez-vous pas poursuivi ces contacts et avez-vous laissé « filer » une aussi belle occasion ?

Ensuite, à quoi pourrait ressembler le groupe issu d’une éventuelle alliance ? L’idée d’une alliance, et d’une alliance entre deux champions, nous convient bien, mais jusqu’où irait l’intégration et comment la concevez-vous ?

Existe-t-il des doublons ? Jusqu’où vont-ils et quels risques font-ils peser sur l’emploi ? La même question se pose pour les éventuelles complémentarités.

Enfin, jusqu’où entendez-vous aller pour ce qui concerne l’implantation et la gouvernance, dont on sait l’importance pour l’emploi ?

M. Daniel Fasquelle. Pour parler très sincèrement, il faut bien reconnaître qu’on est venu vous chercher : n’avez-vous pas le sentiment de n’être ici que pour faire monter les enchères et pour permettre au Gouvernement de donner l’impression qu’il sert à quelque chose et d’obliger General Electric à formuler une offre différente ? Entendre Mme Ségolène Royal, numéro deux du Gouvernement, déclarer qu’elle a choisi General Electric ne peut que conforter ce sentiment.

M. Christophe de Maistre. Elle a depuis lors rectifié cette déclaration.

M. Daniel Fasquelle. Certes, mais parce qu’elle s’est fait taper sur les doigts après avoir d’abord dit tout haut ce que beaucoup pensaient tout bas. Sa déclaration n’est certes pas anodine et on a donc le sentiment que vous servez un peu de faire-valoir.

De surcroît, la crédibilité de votre offre est également entamée par la posture d’Alstom et de son PDG, qui ont choisi General Electric. On voit bien qu’Alstom ne dialogue avec vous que parce qu’on l’y contraint. Peut-on vraiment vous marier de force ?

Que pensez-vous, en outre, du « plan C » dont fait état le ministre de l’économie et du redressement productif – la piste d’une offre franco-française qui pourrait être envisagée si celles de General Electric de Siemens devaient être abandonnées ? L’arrêté qui fait de l’ensemble de l’énergie un secteur stratégique ne vous fait-il pas craindre de ne travailler que pour faire émerger une offre française – à laquelle du reste je ne suis pour ma part nullement opposé et qui aurait dû être mise sur pied depuis longtemps ?

Le secteur transports, enfin, apparaît comme un point faible de votre offre et l’on entend souvent dire que la complémentarité à cet égard serait bien meilleure avec General Electric. Les doublons sont nombreux et impliqueront des fermetures d’entreprises en Allemagne ou en France. Qu’avez-vous à répondre sur ce point ?

M. Thierry Benoit. Au-delà des mots soigneusement choisis de votre présentation, que pensez-vous du contexte des discussions en cours ? Ne fait-on pas « comme si », alors que tout serait, selon l’expression de M. François Sauvadet, déjà « plié » ? Le Gouvernement vous a-t-il sollicité pour vous utiliser comme faire-valoir ?

Vous avez défini un cap, consistant à distinguer un pôle énergie et un pôle transports. Vous semblez également partager avec le ministre de l’économie et du redressement productif la méthode d’une alliance sous le signe de la concertation et du dialogue social. De quoi s’agit-il ?

Qu’en est-il, enfin, du calendrier et de l’apport stratégique ? Quelle est la plus-value de votre projet dans la compétition mondiale, la globalisation des échanges et la mondialisation, notamment au regard des marchés et des concurrents que vous avez évoqués du côté de la Chine ?

Pour ce qui concerne les ressources humaines et les emplois concernés, vous avez déclaré que l’emploi serait garanti pour trois ans, tout en affirmant votre ambition de développer l’emploi. Avez-vous en tête un plan d’action qui vous permettrait d’évaluer la part que vous entendez prendre dans les marchés que vous avez qualifiés d’émergents et comment cela pourrait-il se traduire en termes d’emploi pour aborder dans la sérénité et la confiance cette adaptation industrielle ?

Mme Michèle Bonneton. L’enjeu stratégique de cette éventuelle alliance revêt un relief particulier pour nous, écologistes. Si nous pouvons souhaiter que les activités liées au nucléaire se réduisent progressivement à l’avenir, le transport, les énergies renouvelables, les réseaux électriques et énergétiques sont en revanche des secteurs essentiels à la transition énergétique et pourvoyeurs d’emplois non délocalisables.

Quels projets stratégiques de filières pourriez-vous proposer ? Quelles sont les perspectives de marchés pour les énergies renouvelables – éolienne et hydraulique, domaines d’excellences pour Alstom en particulier –, mais aussi pour vous dans certains domaines, comme les transports et les réseaux ? Qu’en est-il au niveau mondial ?

Au-delà de vos engagements de maintenir l’emploi sur le sol français pendant trois ans, avez-vous déjà des perspectives ? Sur le territoire dont je suis élue, on constate souvent la fermeture de sites au bout de cinq ans, comme c’est le cas à Grenoble. Quelles sont les perspectives de maintien des lieux de recherche et développement et de production sur le territoire national, au moins à moyen terme ? Où se situeraient, par exemple, les centres de décision du secteur de l’énergie ?

Comment, enfin, Siemens verrait-il une participation de l’État français au capital d’Alstom ?

M. Damien Abad. Mariage d’amour ou mariage de raison ? On a plutôt l’impression qu’il s’agit d’un mariage forcé. Nous saluons votre enracinement sur le territoire et votre volonté de créer une alliance qui soit créatrice de valeur, mais votre engagement en termes d’emploi est beaucoup plus flou : pouvez-vous le préciser ?

Par ailleurs, l’Allemagne a annoncé sa sortie du nucléaire et Siemens propose que le siège de cette activité reste en France. Cette position n’est-elle pas contraire à celle du gouvernement allemand et comment allez-vous garantir l’indépendance et l’excellence de la filière nucléaire française ?

Enfin, la lenteur dans l’élaboration de votre offre s’explique-t-elle par la crainte d’une censure de la part de la Commission européenne ?

M. Hervé Pellois. Si, dans votre proposition d’alliance visant à former deux entités renforcées – Siemens pour l’énergie et Alstom pour les transports –, le renforcement de Siemens est évident, il l’est un peu moins pour Alstom, qui ne bénéficiera pas du secteur signalisation, le plus rentable de votre groupe, qui le conservera en son sein. Pourquoi n’êtes-vous pas allé plus loin en donnant aux deux groupes l’ensemble des moyens nécessaires pour devenir des champions européens durables ?

M. Jean-Claude Mathis. Le décret pris récemment par M. le ministre de l’économie et du redressement productif vous pose-t-il des problèmes et, si c’est le cas, lesquels ? D’une manière générale, l’instabilité législative qui caractérise notre pays vous gêne-t-elle dans vos actions ?

M. Razzy Hammadi. Qu’est-ce qui justifie l’animosité, ou tout au moins la froideur manifestée par M. Kron ici même, voilà une semaine ? Au-delà en effet des aspects politiques ou partisans, il s’agit là d’une question économique et industrielle.

Quelle est, par ailleurs, la part de cash que comporte votre proposition ? Qu’en est-il enfin des turbines et des activités de recherche et développement, sachant que Siemens ne reprendrait pas la totalité des activités d’Alstom dans le domaine de l’énergie ?

M. Damien Meslot. En tant que maire de Belfort, j’ai quelques questions à poser. Il semble, monsieur de Maistre, que vous ayez été appelé au secours du Gouvernement. Le conseil d’administration d’Alstom s’est en effet prononcé à l’unanimité en faveur de l’offre de General Electric et les PME de la région ont, avec les collectivités locales, acheté une demi-page d’espace dans Les Échos pour soutenir le projet de General Electric. Siemens ayant les mêmes productions qu’Alstom, la perspective d’une acquisition nous fait craindre pour l’emploi au-delà du délai de trois années pour lequel vous en avez garanti le maintien. Localement, les informations dont nous disposons à ce jour nous rendent plutôt favorables à l’offre de General Electric.

Mme Audrey Linkenheld. Je ne me permettrai pas d’émettre, en tant que députée du Nord, une préférence locale, bien qu’Alstom y soit très présent dans le domaine des transports, notamment du ferroviaire, avec 1 300 emplois concernés. Je souhaiterais cependant des précisions sur l’alliance que vous avez évoquée et qui, selon vous, renforcerait Alstom dans le domaine des transports. Je partage dans ce domaine les préoccupations de mes collègues quant à l’emploi.

M. Michel Zumkeller. Élu moi aussi du Territoire-de-Belfort, je ferai écho aux propos de M. Meslot en soulignant que Belfort abrite la partie ferroviaire et la partie turbines d’Alstom et que General Electric y est déjà présent. La véritable question est de savoir, pour chacune des deux offres, ce que deviendra le ferroviaire d’Alstom. Si en effet, sur 12 milliards d’euros, cinq servent à recapitaliser et deux sont distribués aux actionnaires, la partie ferroviaire ne pourra pas, avec les 5 milliards d’euros restants, s’associer avec un partenaire européen et elle sera donc démantelée. De fait, aucun autre partenaire que Siemens n’est disponible et les entreprises espagnoles ou italiennes actives dans ce domaine sont trop petites.

Mme Frédérique Massat. Il est bien normal que vous profitiez de cette audition pour faire passer des messages, notamment aux salariés d’Alstom, que vous assurez de votre respect pour leur travail et leur savoir-faire. Craignez-vous donc de leur part des réactions, ou tout au moins des réticences ou de la peur face à votre projet ?

Quelles sont par ailleurs vos prévisions en matière d’investissement et de maintien de l’emploi sur nos territoires ?

M. le président François Brottes. Le Bureau de notre commission accueillera ce soir une délégation du Bundestag, qui sera reçue demain matin par la commission elle-même – nous allons en effet créer un groupe permanent sur les questions énergétiques, où seront représentées les différentes sensibilités politiques du Bundestag. Le gouvernement allemand a-t-il un avis sur la question que nous évoquons et, si tel est le cas, vous l’a-t-il fait connaître ?

M. Christophe de Maistre. Alors qu’il est de tradition en Allemagne que le politique ne s’exprime pas, j’ai été surpris de l’encouragement que nous avons reçu de la chancelière et de celui, plus direct encore, exprimé par le vice-chancelier, M. Sigmar Gabriel. Le concept européen semble donc être en vogue et cet engagement inhabituel mérite d’être signalé.

M. Kron a trouvé à son arrivée chez Alstom une situation difficile et a sauvé le groupe voilà dix ans.

M. Razzy Hammadi. Avec l’aide de l’État.

M. Christophe de Maistre. En effet.

Nous prenons le temps de présenter notre projet au management d’Alstom et à l’ensemble des parties prenantes – nous avons ainsi rencontré aujourd’hui les syndicats –, afin que tous puissent avoir une opinion claire. Le Siemens d’il y a dix ans n’est pas celui d’aujourd’hui et de nombreux changements sont intervenus. Nous sommes certes aussi des concurrents d’Alstom, comme General Electric et de nombreux autres acteurs, notamment des entreprises chinoises qui progressent très vite. Pour ce qui est de savoir ce que pense M. Kron, je n’ai pas d’opinion et vous engage à lui poser directement la question.

Nous sommes très orientés sur la méthode. Le processus est très formalisé et soumis à des règles européennes que nous devons respecter sous peine d’être attaqués par des concurrents tiers. Je comprends votre impatience d’avoir des informations, mais je me suis engagé sur une date : donnez-nous un minimum de temps pour que nous puissions progresser.

La philosophie générale de notre offre est de créer deux acteurs de premier plan, ce qui représente un projet très ambitieux de partenariat industriel. Il faut plus de deux ou trois semaines pour créer deux champions à vocation mondiale. Nous sommes arrivés tard dans le processus et avons commencé notre due diligence le 7 mai, alors que les discussions étaient déjà engagées avec notre compétiteur. Dans une compétition, que le meilleur gagne.

Pour ce qui est des centres de décision, j’ai répondu sur la partie transport ; quant à la partie signalisation, nous avons bien pris en compte les remarques qui ont été formulées. Alstom Transport est trop petit : si nous voulons conserver des entreprises européennes face à la concurrence des deux entreprises chinoises, des Japonais, du coréen Rotem, en plein essor, et de Bombardier, il faut créer un champion. Les documents produits par Alstom témoignent du reste de la nécessité de trouver un partenariat financier. En effet, un groupe qui pèse 5,5 milliards d’euros n’a pas les moyens d’assumer, par exemple, un contrat de 1,3 milliard d’euros pour Riyad – sans parler du projet de Doha que nous sommes en train de négocier pour 4 milliards d’euros. Il y a donc un problème de taille critique et la grande force de notre offre est de proposer une solution complète, qui nous différencie pleinement.

Nous n’avons malheureusement pas d’usines à Belfort, mais je vous engage à visiter les établissements voisins d’Illkirch, Haguenau, Saint-Louis et Wittelsheim, qui vous diront comment Siemens traite ses sous-traitants. Notre entreprise est en tout point exemplaire et n’a pas à se laisser impressionner par une manifestation d’intérêt. Nous avons 9 000 fournisseurs français, que nous emmenons dans toutes nos missions d’exportation et qui nous ont déclaré lors du forum que nous avons organisé avec M. Montebourg, le 20 janvier – bien avant tous ces événements – que Siemens était « made in France ». C’est la réalité : nous achetons en France pour 2 milliards d’euros. Si l’on compare nos activités industrielles en France avec celles de nos compétiteurs, abstraction faite de leurs activités financières, on verra bien qui est le véritable champion. Membres du Pacte PME, nous sommes mesurés chaque année. Nous sommes une entreprise engagée, qui sait s’occuper du Mittelstand et des entreprises à l’exportation. La comparaison ne nous inquiète donc pas.

Quant au décret, il s’agit d’une très bonne chose, car il donne le temps de discuter. Il existe aux États-Unis une disposition très intéressante en ce sens, qui soumet à autorisation toute acquisition, par exemple dans le domaine du pétrole. Sommes-nous défendus ? Est-il possible d’avoir une deuxième offre ? Je remercie le conseil d’administration, qui est seul juge, et l’actionnaire, qui décidera – naturellement avec les autorités publiques, concernées au premier chef dès lors qu’il s’agit d’un fournisseur d’infrastructures. Citoyen et contribuable français, et fier de l’être, j’observe que l’un des plans d’avenir dans lesquels investit le peuple français est le « TGV du futur ». Il est bon de disposer d’un droit de regard et cela me paraît être d’une saine compétition que de se donner quatre semaines pour disposer d’au moins deux offres.

Les discussions relatives à Alstom durent depuis dix ans. Revenu depuis trois ans et trois mois de Chine, où j’ai passé dix ans, je constate que le sujet est récurrent. Il l’est parce qu’il est pertinent si l’on veut créer des champions européens – ce qui est important pour gagner les marchés en pleine croissance du transport et de l’énergie. En Chine, où l’on compte plus de 300 villes de plus d’un million d’habitants, la globalisation et l’urbanisation sont des réalités tangibles auxquelles il faut être capable de répondre – et la technologie dont nous disposons en Europe est importante à cet égard.

Siemens étant un groupe sérieux, il nous faut disposer d’un peu de temps pour mener à bien les due diligences requises. L’un des problèmes que rencontrait Alstom voilà dix ans était lié à l’achat des turbines ABB, qui étaient alors défaillantes : une due diligence bien menée à cette époque nous aurait peut-être évité la situation actuelle.

En termes d’intégration sociale, Siemens a racheté en 2004 l’ensemble des activités de turbines industrielles d’Alstom, sur quatre sites de fabrication – dont aucun en France, malheureusement. Les 6 000 employés d’Alstom – pour 4 000 de Siemens – ont été intégrés dans le groupe et tout se passe très bien. L’activité est aujourd’hui florissante, le business est profitable et les sites ont grossi. Nous nous sommes donné du temps – comme l’avait fait Airbus – pour créer des centres de compétences. Nous sommes en effet une entreprise d’ingénieurs, qui fait de l’engineering de produits complexes. Il nous faut donc procéder à une fertilisation croisée de nos informations et de nos technologies, afin de créer réellement de la valeur. Si nous voulons nous différencier par rapport aux pays émergents et aux États-Unis, il faut savoir être inventifs et créer des produits nouveaux : c’est cela l’innovation, le moteur de la guerre. Nous disposons depuis cette année en France de trois nouveaux centres de recherche et développement – malheureusement pas encore en Franche-Comté, mais je ne désespère pas que ce soit un jour le cas.

Pour ce qui est du calendrier, je vous ai indiqué une date : n’écoutez pas les rumeurs et soyez patients.

Dans le domaine des trains à grande vitesse, à propos duquel on entend souvent évoquer une concurrence entre les deux entreprises, je rappelle qu’il existe deux systèmes. Le TGV actuel, que vend Alstom, comporte deux niveaux et est muni de deux moteurs qui assurent la traction, l’un à l’avant et l’autre à l’arrière. Le système ICE de Siemens, quant à lui, comporte un seul niveau et une motorisation répartie sous chaque wagon. Dans la plupart des cas, comme cela a été le cas en France, on a d’abord vendu un TGV à un seul niveau puis, lorsqu’il a été nécessaire d’accroître la capacité, on a ajouté un deuxième niveau. Ces deux produits, qui ne reposent pas sur la même technologie, ne sont pas concurrents.

Siemens est aujourd’hui le seul fournisseur qui vend en Chine, en Turquie et en Russie, pays qui auront besoin demain de trains à deux niveaux. Il n’est pas anodin que Siemens, fier de ses produits qui existent depuis plus de 100 ans, affirme aujourd’hui sa volonté de créer une structure européenne. Il ne s’agit pas là d’une démarche purement financière se limitant à absorber et digérer pour le bien de l’actionnaire, mais d’une démarche d’industriels.

Tout nous intéresse chez Alstom. C’est une entreprise que je connais bien et je ne crois guère aux différences culturelles que certains ont pu avancer. Ainsi, notre responsable des transports est un ancien d’Alstom, comme bon nombre de personnes qui travaillent chez nous en France. Nous avons tous une culture d’ingénieurs et j’ai moi-même travaillé une année dans une ancienne filiale d’Alstom, Alstom Power Conversion, devenue Converteam, puis GE Converteam : je suis la preuve vivante que ce monde n’est pas si divers qu’on le dit. Nous sommes dans un monde d’ingénieurs, qui s’intéresse à la technologie, et l’alliance avec Alstom est pour nous un enjeu majeur de développement pour l’avenir.

Pour ce qui concerne la partie signalisation, les négociations sont en cours et nous avons bien compris le message. La due diligence nous dira si cette partie est vraiment plus profitable. Siemens a récemment acquis une partie du groupe anglais Invensys, numéro trois ou quatre mondial, dont le groupe français Schneider Electric a acquis la partie industrielle : la consolidation est en marche pour créer des géants qui soient capables de faire face à une forte compétition. On ne maîtrise le devenir d’une entreprise industrielle que lorsque l’on a sur son continent des centres de production et de recherche et développement. Aujourd’hui, raisonner à l’échelle nationale est une folie – je le dis en Européen convaincu. Si l’on veut créer et faire prospérer l’industrie, il faut être capable de prendre des décisions fortes. C’est la perspective dans laquelle se place Siemens en s’engageant à formuler une proposition avant le 16 juin, c’est-à-dire avant le délai imparti du 23 juin.

Sur le plan social, les deux offres ne sont pas comparables. À mesure que nous exposons notre projet aux représentants syndicaux, nous sentons chez eux une meilleure compréhension et un retournement assez fort. De fait, tant qu’on ne discute pas avec nous, il est difficile de savoir comment nous procédons. Il n’est pas question de demander aux représentants syndicaux de se prononcer, mais nous avons eu l’idée, à ma connaissance sans équivalent, de nous engager sur trois ans après le « closing », c’est-à-dire après l’obtention des autorisations données, notamment par la Commission européenne, sur la base des parts de marché, soit une durée totale d’environ quatre ans.

Il s’agit donc de définir des centres de compétences en fonction de ce qui existe, afin de pouvoir donner du temps au temps. Loin de créer des synergies négatives, notre ambition est de créer des champions mondiaux qui conquerront des marchés. Une fois cette ambition posée, il faut maintenant l’assumer pour construire un projet offensif.

Les perspectives sont importantes, notamment en Afrique du Nord et, plus généralement, en Afrique. Notre centre de Grenoble a beaucoup souffert pendant deux ou trois ans, comme Alstom, de l’exploitation des gaz de schiste américain et du charbon australien, et la quasi-absence d’investissements en Europe depuis la crise de 2008 a fait peser une forte pression sur l’ensemble des constructeurs. Peut-être Siemens s’en est-il mieux sorti, parce que plus présent sur certains marchés émergents et avec des technologies mieux adaptées aux besoins, comme dans le domaine des centrales à gaz ou dans celui des énergies renouvelables, où notre entreprise se place en tête. Notre présence dans l’éolien offshore complète d’autant mieux les activités d’Alstom dans l’éolien terrestre que nous sommes spécialisés dans les vents forts, du type de ceux de l’Europe du Nord, et Alstom dans les vents faibles, plutôt caractéristiques de l’Europe du Sud. Il importe donc de créer un champion dans ce domaine.

Un autre point de différenciation est que nous proposons d’installer des centres de décision à Grenoble et Belfort : il ne s’agit pas de donner artificiellement de l’importance à une petite unité consacrée à des activités dont nous nous serions séparés voilà dix-huit mois parce qu’elles n’étaient pas stratégiques à cette époque et le seraient redevenues depuis lors, mais bien d’apporter dans la corbeille l’ensemble de nos activités et de notre savoir-faire pour fortifier les centres de décision, dans une volonté de construction et de développement.

Cette analyse est confortée dans le détail. Ainsi, pour ce qui concerne la partie transmission HVDC, c’est-à-dire le courant continu à haute tension, le centre de compétences responsable du premier projet de ligne entre la France et l’Espagne – la ligne INELFE (Interconnexion électrique France-Espagne) – sera établi à Grenoble, où je me réjouis de voir l’activité repartir fortement. Nous avons là une chance de développer quelque chose de fondamentalement nouveau, en profitant de l’émergence de besoins très importants en Afrique, et sommes très bien positionnés pour prendre des marchés.

La transition énergétique est un défi important pour l’Europe et pour le monde. Si le champion affiché dans le domaine de l’éolien terrestre est encore européen, ce n’est peut-être pas pour longtemps, car on compte aujourd’hui six acteurs chinois. Avoir vu, comme j’ai pu le faire en Chine, la capacité de nos amis chinois dans les domaines des transports et de la fabrication d’éoliennes rend très modeste – la capacité de production chinoise en matière de trains à grande vitesse équivaut ainsi au double de la demande mondiale. Nous nous trouvons donc face à des concurrents qui pèsent : si nous voulons exister, il nous faut éviter que les compétences que nous possédons en Europe soient absorbées par ce monde de géants et nous mettre en ordre de bataille, avec un marché solide en Europe et une empreinte industrielle forte, afin de pouvoir exporter notre savoir-faire unique.

Pour ce qui est du nucléaire, Siemens n’est pas le gouvernement allemand. Nous nous sommes associés avec Areva, puis sommes sortis du nucléaire – mais pas tout à fait, il est vrai, de notre propre volonté. Je souligne toutefois, puisque le sujet est à la mode, que Siemens partage une cantine avec Areva à Nuremberg – comme il le fait du reste avec Schneider à Grenoble. Pour nous, la technologie prime. Dans le domaine du nucléaire, qui est une priorité nationale, notre proposition a consisté dès le début à mettre à la disposition de l’État français, qui décidera souverainement. Je doute qu’il en aille de même pour notre compétiteur. Il existe en effet deux fabricants dans le monde : Alstom et GE-Hitachi. Faudra-t-il à l’avenir demander l’autorisation du gouvernement américain pour vendre une centrale nucléaire ?

Nous voulons, quant à nous, créer deux champions industriels européens, présentant une forte valeur ajoutée. Nous sommes une entreprise sociale – la meilleure démonstration en est que, depuis toujours, la moitié du conseil d’administration de Siemens se compose de représentants des employés, qui auront leur mot à dire sur le processus et auront conscience de nos engagements. Ce sont des élus européens qui ne se contentent pas de vagues promesses. Nous avons l’habitude, chez Siemens, de tenir nos promesses auprès de nos clients : il faut en profiter.

À propos de clients, il n’est pas inutile de revenir sur la position courageuse et claire prise par les acteurs du ferroviaire en France. Il y a là encore une complémentarité : en Amérique latine, Alstom possède une implantation de fabrication que Siemens n’a pas ; aux États-Unis, nous avons chacun deux unités relevant de domaines très différents. Il faut donc prendre le temps de construire un accord qui n’engage pas seulement de l’argent, mais aussi le futur de nombreuses personnes. Il faut pour ce faire examiner les spécificités des différents sites, pour voir ce que nous pouvons bâtir ensemble. Il s’agit là d’un projet essentiel dans la construction européenne – c’est la conviction que m’en donne mon expérience à l’étranger. Siemens a entrepris de se consolider, par exemple en acquérant les turbines Rolls-Royce, et de créer quelque chose de fort et d’équilibré en France et en Europe – on pense bien sûr au succès d’Airbus, qui concurrence très bien les géants américains. Nous avons la chance de pouvoir mettre en commun des projets existants et leurs budgets de recherche et développement, et de pouvoir élever les activités du niveau national et au niveau européen pour créer les champions dont nous avons besoin.

M. le président François Brottes. Parmi les rumeurs de Café du Commerce dont je me fais l’écho, il y a aussi celle selon laquelle Siemens aurait déjà dépensé beaucoup d’argent avec le rachat de Rolls-Royce et ne serait plus disponible pour d’autres activités, mais souhaiterait empêcher, avec le rachat d’Alstom par General Electric, la naissance d’un gros concurrent qui le mettrait en position difficile. Qu’en est-il ?

M. Christophe de Maistre. Cela n’a rien à voir avec notre réflexion. Voilà en effet plus de trois ans que nous évoquons ce sujet avec des gouvernements différents. Les choses se sont certes accélérées, mais on n’est pas venu nous chercher. C’est nous qui, d’une manière proactive, voyant une volonté d’ouverture du capital dans le domaine du transport, nous sommes approchés d’Alstom et une rencontre a lieu entre M. Kron et M. Kaeser.

Il ne faut pas opposer, mais unir. Nous avons des projets communs, à Paris comme à Barcelone pour les lignes 9 et 10, où Alstom produit le matériel roulant et nous la signalisation. Il en va de même avec le projet de ligne 6 de Budapest. En termes opérationnels, donc, je le répète, il n’y a pas lieu d’opposer les deux entreprises, qui travaillent ensemble. Nous connaissons les équipes d’Alstom et avons pour elle un respect profond.

Pour avoir travaillé avec des gens d’Alstom, je puis témoigner qu’ils ont une culture d’ingénieurs très proche de la nôtre, que nous avons pu voir à l’œuvre lors de l’intégration des activités dans le domaine des turbines – tous les sites ont d’ailleurs augmenté leur capacité et leurs effectifs, ce qui illustre l’atmosphère d’intelligence et de croissance dans laquelle l’opération s’est faite. Si nous voulons réussir, je le répète, il ne faut pas s’attacher aux synergies négatives, mais savoir créer de la croissance.

De la croissance, il en existe dans le monde, même si c’est aujourd’hui rarement en Europe. Il faut la trouver en créant des champions à base européenne et une forte empreinte industrielle en France, en Allemagne et en Europe, afin de pouvoir conquérir des marchés à l’étranger, dans des pays qui ne disposent pas de la technologie. C’est à nous d’aller chercher les marchés. Le nombre de lignes à grande vitesse et de lignes de métro à construire le monde est gigantesque et il y a donc énormément à faire dans le domaine de l’énergie et dans celui du transport.

M. le président François Brottes. Monsieur de Maistre, je vous remercie de la franchise de cet échange. J’ai bien noté que vous déposerez une proposition d’ici au 16 juin et que votre président pouvait venir en présenter à notre commission les tenants et aboutissants. Je ne doute pas que les questions de mes collègues vous permettront de bonifier encore cette proposition.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mardi 27 mai 2014 à 17 heures

Présents. - M. Damien Abad, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Thierry Benoit, M. Yves Blein, Mme Michèle Bonneton, M. François Brottes, M. Dino Cinieri, Mme Corinne Erhel, M. Daniel Fasquelle, M. Jean Grellier, M. Razzy Hammadi, M. Jean-Luc Laurent, M. Thierry Lazaro, Mme Audrey Linkenheld, Mme Frédérique Massat, M. Jean-Claude Mathis, M. Hervé Pellois, M. Dominique Potier, M. Frédéric Roig, Mme Béatrice Santais, M. Lionel Tardy, M. Jean-Charles Taugourdeau, Mme Clotilde Valter

Excusés. - M. Joël Giraud, M. Philippe Armand Martin, M. Bernard Reynès

Assistaient également à la réunion. - M. Damien Meslot, M. Michel Piron, M. Michel Zumkeller