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Commission des affaires économiques

Mercredi 28 mai 2014

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 85

Présidence de M. François Brottes Président

– Audition, ouverte à la presse, de MM. Joachim Pfeiffer, membre du Bundestag, porte-parole de la CDU pour la politique économique et Wolfgang Tiefensee, ancien ministre, membre du Bundestag, whip SPD de la commission de l’économie et de l’énergie.

La commission a auditionné MM. Joachim Pfeiffer, membre du Bundestag, porte-parole de la CDU pour la politique économique et Wolfgang Tiefensee, ancien ministre, membre du Bundestag, whip SPD de la commission de l’économie et de l’énergie.

M. le président François Brottes. Je remercie nos invités d’être venus de Berlin pour cette réunion exceptionnelle.

Permettez-moi d’abord de commenter brièvement les articles parus hier dans la presse à propos du rapport de la Cour des comptes sur les coûts du nucléaire. Puisque la commission d’enquête que je préside a auditionné la Cour à ce sujet, je suis en mesure de préciser que le ratio coût-production que celle-ci a établi prend en considération le temps de disponibilité des réacteurs, lequel a été moindre qu’auparavant au cours de la période de référence, en raison de travaux de réparation plus longs. C’est cette variation de la production réelle qui explique que le ratio soit défavorable. Il n’est donc pas tout à fait exact de conclure que le coût du nucléaire a augmenté de 20 %. Il est dommage qu’aucun journaliste ne l’explique, mais il est vrai que cela permet de faire des titres accrocheurs.

Le nucléaire, nos amis allemands ont décidé, vous le savez, d’en sortir. Cette décision fait l’objet d’un consensus entre la CDU et la SPD, qui gouvernent aujourd’hui en coalition – ce qui, vu d’ici, paraît difficile à imaginer ! Cette question nous intéresse d’autant plus que l’Europe aura du mal à poursuivre sa construction si nos deux pays n’entretiennent pas une relation étroite.

Rappelons que le Bundestag compte actuellement 631 députés, dont 311 pour la CDU-CSU, 193 pour le SPD, 64 pour Die Linke et 63 pour les Verts. La commission de l’économie et de l’énergie, l’une des 22 commissions permanentes, forte de 46 membres, est présidée par Peter Ramsauer, que j’ai rencontré à deux reprises, à Paris, puis à Athènes lors d’un forum des présidents de commission. Nous sommes convenus tous deux de créer progressivement un groupe de travail commun à nos deux commissions, afin de discuter de la transition énergétique, de formuler des propositions et d’éprouver des solutions. Je suis en effet de ceux qui pensent que ce n’est pas aux seuls gouvernements d’organiser les relations multilatérales ou bilatérales, mais également aux parlements nationaux – d’autant que les électrons n’ont pas de frontières !

En revanche, la répartition des sources d’énergie n’est pas la même dans nos deux pays. Depuis la montée en puissance du gaz de schiste aux États-Unis, le charbon a retrouvé un nouvel élan en Allemagne. En outre, l’éolien offshore produit beaucoup d’énergie dite fatale, c’est-à-dire que l’on récupère sur les réseaux quel que soit le moment où elle est produite, même si l’on n’en a pas besoin. Tout cela a fait s’écrouler les prix du marché au moment de la pointe de consommation et a entièrement modifié la donne en matière de coûts de l’électricité. Ces questions sont indissociables de nos relations bilatérales : nous apprécions l’électricité qui vient d’Allemagne à certains moments de l’année, la réciproque est vraie à d’autres périodes. Et au milieu, pour citer mon collègue Sordi, il y a la centrale de Fessenheim, dont les Allemands, comme les Suisses, contribuent d’ailleurs à financer l’exploitation.

Quant aux énergies renouvelables, une loi actuellement en préparation au Bundestag, qui devrait entrer en vigueur le 1er août 2014, tend à en revoir les modalités d’émergence et de développement. Ce texte est très débattu puisqu’il a fait l’objet de 130 amendements, ce qui est exceptionnel au Parlement allemand. Les divergences entre Länder, qui ne sont pas tous attachés aux mêmes sources d’énergie renouvelables, et le point de vue des consommateurs qui trouvent parfois l’addition un peu salée, nécessitaient en effet que l’on revoie non l’objectif – porter la part des renouvelables dans la production d’électricité à 45 % en 2025 –, mais la manière d’y parvenir.

Aujourd’hui, en Allemagne, l’électricité provient à 25 % des renouvelables et à presque 50 % de la lignite et du charbon – auxquels nous avons quelque difficulté à trouver de la vertu, mais dont vous pourrez nous dire ce que vous comptez faire à long terme.

Nous nous intéressons également beaucoup à votre point de vue sur les industries électro-intensives, que vous veillez à protéger des hausses du coût de l’électricité.

Vous avez en outre engagé une réflexion sur la manière de favoriser l’auto-production et l’auto-consommation d’énergie chez les ménages.

Comment abordez-vous cette nouvelle phase de la transition énergétique ?

Pouvez-vous nous donner en toute liberté vos points de vue respectifs sur la sortie du nucléaire ?

J’espère que cette première rencontre ne sera pas la dernière et que nous pourrons construire ensemble un avenir européen commun, comme nous le souhaitons tous ici.

M. Joachim Pfeiffer, membre du Bundestag, porte-parole de la CDU pour la politique économique. Merci beaucoup pour votre aimable invitation à laquelle nous avons très volontiers répondu.

Outre les thèmes que vous avez cités, j’aimerais que nous parlions de la transformation de l’approvisionnement en énergie dont nous avons décidé en Allemagne. Nous l’avons fait en 2010 et, en 2011, nous avons adopté un programme énergétique qui court sur une vingtaine d’années et concerne tous les secteurs – électricité, rénovation des bâtiments, climatisation, transports – ainsi que l’offre et la demande. Nos objectifs sont très ambitieux en matière d’économies d’énergie comme d’efficacité énergétique. Nous avons ainsi prévu de diviser progressivement par deux la consommation d’énergie d’ici à 2050 ; en d’autres termes, la moitié de la consommation d’énergie sera économisée.

Pour y parvenir, le premier secteur où agir est le bâtiment. Au rythme de construction actuel, il nous faudrait une centaine d’années pour rénover nos quelque 42 millions d’immeubles et de maisons et pour atteindre nos objectifs. En d’autres termes, nous devons prendre des mesures pour isoler les bâtiments, les rénover et les doter de nouvelles technologies, notamment en matière de chauffage, que ce soit au fioul ou au gaz.

Plus de soixante instruments seront mis en œuvre afin de moduler notre politique d’approvisionnement. Nous avons des programmes incitatifs qui s’adressent au marché : aux particuliers pour qu’ils achètent de nouvelles chaudières, aux propriétaires d’immeubles qui peuvent bénéficier de prêts à taux bonifié. Nous avons également adopté des règlements et des lois fixant des seuils obligatoires. Ils concernent surtout les nouvelles constructions ; s’agissant des bâtiments existants, nous avons plutôt opté pour des mesures incitatives. En 2009, comme en 2010, nous avons ainsi atteint notre objectif de rénovation de 3 % du parc immobilier par an, mais, aujourd’hui, on n’en est plus qu’à 1 %.

La part du bâtiment dans la consommation d’énergie finale dépasse 40 %. Le deuxième secteur le plus important est celui des transports, avec 32 %. Le potentiel d’innovation pour les moteurs à combustion reste très important, mais nous souhaitons aussi promouvoir l’électromobilité. En la matière, nous n’en sommes plus à l’euphorie des débuts : l’objectif d’un million de véhicules électriques en circulation en 2020 est maintenu, mais sera-t-il atteint ? L’évolution observée ces dernières années reste toutefois satisfaisante. L’intermodalité se développe ; des concepts nouveaux ont vu le jour et les services proposés par les entreprises de transport évoluent, avec le service d’autopartage Car2Go par exemple. Dans ce secteur aussi, nos objectifs en matière d’économies d’énergie sont très ambitieux.

Le troisième secteur est l’électricité. Il joue évidemment un rôle majeur. Mais l’approvisionnement en électricité n’est pas le seul facteur déterminant. Dans notre programme énergétique, nous visons une réduction de 40 % des émissions de CO2 d’ici à 2020, soit nettement plus que l’objectif de 20 % fixé par la Commission européenne, et nous avons bon espoir d’y parvenir. On constate toutefois une certaine stagnation depuis deux ans : loin de baisser, les émissions ont légèrement augmenté, du fait du moindre recours au nucléaire, lequel disparaîtra complètement d’ici quelques années.

Personnellement, je n’étais pas du tout partisan de cet abandon du nucléaire, mais je me suis rangé à l’avis de mes collègues qui y étaient favorables à plus de 90 %. Après tout, c’est cela la démocratie : la majorité décide ! En Allemagne, le débat est clos : cette question ne sera pas remise sur la table. On ne peut pas, tous les cinq ans, faire un virage à 180 degrés ni même rouvrir le débat.

Le développement des énergies renouvelables, qui ne produisent pas ou guère d’émissions de CO2, devrait compenser l’abandon du nucléaire mais ne permettra pas de produire davantage d’électricité. Nous pensons néanmoins pouvoir atteindre nos objectifs : l’économie allemande devrait être entièrement décarbonée en 2050, ce qui signifie concrètement qu’à cette date nous aurons supprimé 90 à 95 % des émissions de CO2 par rapport à 1990.

Du point de vue quantitatif, le développement des renouvelables est conforme à nos attentes, et même, ces dernières années, supérieur aux prévisions. Reste le problème des coûts. Notre loi sur les énergies renouvelables, la loi EEG, prévoit toute une panoplie d’incitations dont le coût représente à ce jour environ 120 milliards d’euros, financés non par les pouvoirs publics mais par le consommateur. Nous avons un prix fixe, un tarif d’achat et une garantie d’achat de la production à partir de ces sources. Selon nos prévisions d’évolution, qui se fondent sur la puissance installée, l’enveloppe devrait atteindre environ 285 milliards au cours des années à venir.

Nous avons enregistré une forte augmentation des prix : le prix moyen de l’électricité est supérieur à 30 centimes par kilowattheure. C’est la population qui paie, non seulement sur le budget des ménages mais aussi par le biais des prix du bâtiment et des transports. En effet, considérant que dans le domaine industriel les coûts sont l’un des principaux facteurs de compétitivité, nous avons adopté des mesures d’allégement des charges pesant sur les entreprises électro-intensives.

Nous voulons désormais enrayer cette envolée des coûts. L’objectif est commun à tous les partis, mais les intérêts divergent d’une région à l’autre en fonction des principales sources d’approvisionnement locales – l’éolien au Nord, le photovoltaïque au Sud, la biomasse ou l’énergie hydraulique ailleurs. Le programme énergétique fédéral validé par le Bundestag et le Bundesrat s’ajoute aux 16 programmes des Länder : dans le Schleswig-Holstein, par exemple, il est prévu de produire trois fois plus d’énergie d’origine éolienne que celle que l’on consomme. Le problème est que tous ces programmes ne sont pas nécessairement compatibles.

Si je suis si heureux d’être parmi vous aujourd’hui, c’est aussi parce qu’à mon avis, nous avons adopté une perspective trop nationale en matière énergétique. Il faut achever le marché intérieur de l’énergie au sein de l’Union européenne, car le potentiel d’efficacité énergétique intéresse toutes nos économies. Je ne parle pas seulement de l’électricité et du gaz. Aujourd’hui, il existe 28 régimes différents d’aide aux renouvelables en Europe ; c’est très préoccupant. Dès lors que nous sommes confrontés peu ou prou aux mêmes problèmes – importation et exportation d’électricité, modification des prix, marchés de capacités, réserves stratégiques, mise à disposition de l’énergie au moment où l’on en a besoin –, il est inutile, voire contre-productif, de développer 28 mécanismes de capacité différents.

Je sais que vous envisagez en France un tel mécanisme, qui devrait être adopté en septembre prochain, si j’ai bien compris. Nous y réfléchissons aussi. Il me paraît donc urgent que nous harmonisions nos dispositifs, ou tout au moins que nous nous concertions davantage. Qu’en pensez-vous ?

M. le président François Brottes. Au cours de cette première réunion, c’est vous que nous souhaitons entendre ; nous vous communiquerons l’état de notre réflexion la prochaine fois, car nous ne pourrons pas tout faire aujourd’hui – sans compter que, pour être parfaitement honnête, nous n’aurions peut-être pas de réponse à toutes vos questions !

M. Wolfgang Tiefensee, ancien ministre, membre du Bundestag, responsable du SPD au sein de la commission de l’économie et de l’énergie. Mesdames et messieurs, à mon tour, je vous remercie chaleureusement de nous avoir invités.

Je suis tout à fait d’accord avec mon collègue : pour préparer l’avenir, nous devons rompre avec les perspectives strictement nationales et raisonner en termes européens. De ce point de vue, la coopération entre la France et l’Allemagne est un très bon début. Je me réjouis que nous disposions avec l’Office franco-allemand pour les énergies renouvelables d’une sorte de back-office. Mais il faut intensifier nos échanges, consacrer davantage de ressources à notre coopération et aller plus vite. Car, au-delà de son intérêt intrinsèque, la phase de discussion en cours vise à fixer des orientations pour l’avenir. Par exemple, des mécanismes de capacité que nous élaborerions chacun dans notre coin risqueraient de se révéler incompatibles dès l’an prochain et il nous faudrait de gros efforts pour y remédier.

En ce qui concerne la transition énergétique, nous nous concentrons aujourd’hui beaucoup trop sur l’électricité. Nous, Allemands, n’atteindrons nos deux principaux objectifs – la sortie du nucléaire et la réduction des émissions de CO2 – que si nous envisageons toutes les formes d’énergie, y compris l’énergie thermique et l’énergie mécanique. Ces dernières contribuent beaucoup plus à la consommation d’énergie : c’est sur elles que nous pouvons agir pour la réduire.

Depuis le second semestre 2013, nous avons travaillé sur l’amélioration de l’efficacité énergétique ; elle fera l’objet d’un programme que Sigmar Gabriel va présenter à l’automne. Au-delà du secteur du bâtiment, il s’agit de discuter d’abord de la transposition des orientations énergétiques et environnementales de l’Union européenne, ensuite du marché de l’électricité et de la manière dont nous nous représentons l’évolution de la production et de la consommation. Nous aurions dû nous en occuper avant la réforme de la loi EEG qui, vous le savez, a été précipitée par la perspective d’une procédure ouverte par Bruxelles à propos de notre mécanisme de compensation.

Nous devons donc réfléchir sans plus tarder à la réorganisation du marché de l’électricité, lequel doit impérativement être européen. Devrait-il toutefois englober l’ensemble de l’Union européenne ? Faut-il une Europe à deux vitesses, avec un noyau composé de quelques États qui font progresser les dossiers tandis que les autres suivent ? À mon sens, en tout cas, la coopération ne doit pas être uniquement franco-allemande ; nous devrions inclure très en amont la Pologne, dont la politique énergétique est totalement différente, à nos efforts, ou tout au moins à nos réflexions, afin de garantir une compatibilité des régimes.

J’en viens à la loi EEG, qui a permis de développer avec succès les énergies renouvelables en Allemagne. Adoptée en 2000 – c’est le moment de la véritable transition énergétique –, elle s’apparente à un instrument de gestion du marché. Mon collègue a rappelé le niveau élevé de dépenses qu’elle implique – 25 milliards d’euros par an au titre du tarif d’achat, par exemple. Mais l’on ne peut introduire de nouvelles technologies qu’à condition de recourir à de puissants mécanismes incitatifs. C’est ce que nous avons fait en 2010, en accordant des garanties sur vingt ans. Sans ces mécanismes, nous n’aurions rien pu planifier, nous n’aurions pas investi dans le développement de nouveaux produits, nous n’aurions pas fait de recherches sur le solaire, le photovoltaïque, l’éolien ; bref, nous n’aurions jamais pu atteindre notre objectif de 25 %.

En revanche, nous n’avons pas réussi à faire de notre loi un instrument de pénétration du marché, c’est-à-dire à transformer les énergies renouvelables, qui occupaient une place à part dans le paysage, en marché tout à fait libre. Nous aurions dû réformer la loi comme nous le faisons aujourd’hui : nous avons perdu plusieurs années et cela nous coûte extrêmement cher. Mais un homme politique n’a pas à se lamenter à propos de ce qu’il aurait dû faire : il reste à se retrousser les manches et à revoir la loi.

Quels sont les principaux problèmes ? D’abord, l’absence de synchronisation entre la production d’énergie renouvelable et sa consommation : nous mettons le produit à disposition, mais il n’est pas consommé. Plusieurs fois par an, le prix de l’électricité devient ainsi « négatif », c’est-à-dire que nous donnons à la France de l’argent pour nous acheter de l’électricité ; de l’autre côté, nos voisins polonais se plaignent de ce que nous injectons de l’électricité en Pologne, sans compter le problème des centrales à charbon. Nous ne pouvons évidemment maîtriser les conditions météorologiques en France et en Pologne. Voilà pourquoi une régulation est indispensable, d’autant que notre capacité de stockage n’est pas suffisante non plus.

Ensuite, le développement des réseaux ne coïncide pas avec la production. Dans le Schleswig-Holstein, on produit de l’énergie éolienne mais il n’y a personne pour la consommer, car les consommateurs sont surtout dans le Sud et les deux régions ne sont pas reliées. Nous aurions besoin de construire 2 500 ou 3 000 kilomètres de lignes ; nous ne devons pas en avoir plus de 500 aujourd’hui.

Voilà pourquoi nous révisons la loi. L’idée est de freiner le développement des capacités de production d’énergie renouvelable en instaurant des plafonds. En matière d’éolien offshore, par exemple, la capacité des nouvelles installations ne doit pas dépasser 6,5 gigawatts en 2020 ; au-delà de ce plafond, les aides seront dégressives. Pour l’éolien terrestre, la limite est de 2,5 gigawatts par an. Nous nous efforcerons d’y parvenir en rénovant les installations existantes, construites il y a dix ou douze ans. Il n’est pas question de construire de nouvelles installations partout, mais nous avons besoin d’éolien terrestre dans le Sud du pays.

Pour l’énergie photovoltaïque, le plafond est également de 2,5 gigawatts par an. Contrairement à ce que l’on peut souvent lire dans la presse, nous n’avons pas la moindre intention d’étrangler la filière solaire : il faut continuer de développer le photovoltaïque, mais pas dans les proportions que nous avons connues en 2010 et 2011, avec la construction de méga-installations.

Nous voulons également introduire une forme de solidarité des autoproducteurs. Celui qui produit de l’électricité et qui en consomme une partie devra donc contribuer au financement des énergies renouvelables, tout au moins au-delà d’un seuil – dérisoire – de 10 kilowatts. Mon collègue Pfeiffer et moi-même nous interrogeons toutefois sur l’automaticité de la contribution proposée par le gouvernement : peut-être vaudrait-il mieux en passer par le tarif de réseau au moyen d’une taxe, un peu comme pour l’eau, car lorsque le soleil ou le vent font défaut, les autoproducteurs peuvent être amenés à consommer une énergie qu’ils n’ont pas produite.

J’en viens à la réforme du mécanisme de compensation que la loi EEG accorde aux industries électro-intensives. Il s’agit d’assurer leur survie. En Allemagne, l’industrie ne représente pas moins de 23 ou 24 % du PIB, contre 12 % environ en France. En outre, la compensation est rendue nécessaire par le niveau élevé des taxes liées aux énergies renouvelables. Nous en avons parlé avec Bruxelles et, après d’intenses débats, nous nous sommes mis d’accord sur le dispositif suivant : si la part du coût de l’électricité dans leur valeur ajoutée brute atteint un certain seuil – fixé auparavant à 14 %, désormais à 16 ou 17 % selon les cas –, certaines de ces entreprises peuvent être partiellement exonérées du prélèvement prévu par la loi EEG. Le prélèvement reste entièrement payé pour le premier kilowattheure, puis à raison de 0,1 centime pour les kilowattheures supplémentaires. Les entreprises apportent donc bien une contribution, qui représente environ 12 milliards d’euros, à rapporter au coût total de 24 milliards.

Nous souhaitons également promouvoir à partir de 2017 un modèle d’appel d’offres. À cet égard, l’expérience de la France nous intéresse beaucoup. Il s’agit de réserver les aides aux entreprises ayant remporté un appel d’offres, qu’il soit régional, lié à une technologie, allemand ou européen. Nous avons l’intention d’en discuter encore et d’expérimenter le dispositif sur le terrain, en tirant les leçons de l’expérience peu concluante du Royaume-Uni, du Danemark et de l’Italie.

Développer davantage les énergies renouvelables, réduire les émissions de CO2, abandonner progressivement les centrales à charbon : la tâche est gigantesque. Dès lors, nous avons tout intérêt à travailler conjointement afin d’organiser le marché européen de l’électricité, de l’énergie thermique et de la mobilité.

Je me réjouis donc du dialogue que nous engageons avec vous. Peut-être pourrions-nous nous voir deux fois par an pour faire le point.

M. le président François Brottes. En effet, cette réunion n’est qu’une première étape : nous allons continuer, car nous avons des choses à construire en commun.

Chez nous, il est assez difficile d’implanter des réseaux. Est-ce plus facile en Allemagne ? Vous dites qu’il y a beaucoup à faire dans ce domaine : ne risquez-vous pas des contentieux avec la population ?

M. Wolfgang Tiefensee. La situation est la même en Allemagne : il n’est pas facile du tout de construire un nouveau réseau avec des lignes à haute tension qui traversent tout le pays ! Les gens veulent bien des énergies renouvelables, mais pas chez eux ! La procédure est complexe : on dépose le dossier, on procède à une enquête publique, on planifie l’exécution du projet, on le fait adopter ; ensuite, il faut obtenir le permis de construire. C’est là que les juristes interviennent et que les choses se corsent. Car nous avons beaucoup de juristes qui soutiennent les initiatives dites citoyennes : quand il s’agit d’empêcher la construction d’une autoroute ou d’une ligne électrique, ils sont là !

Nous avons une loi sur le développement du réseau, nous avons prévu des corridors, il faudra ensuite procéder au tracé. Nous disposons aujourd’hui d’une nouvelle technologie permettant de tirer des lignes dont la capacité est beaucoup plus importante. Nous devrons réfléchir au courant – continu, alternatif – et parler du câblage souterrain, qui, comme le savent les experts, peut être aussi problématique dans certains milieux naturels que l’installation de câbles à l’air libre, ce qui peut compliquer les choses pour les régions concernées.

Voilà pourquoi il est nécessaire de mettre davantage l’accent sur la décentralisation. Je suis donc favorable à l’approche décentralisée que la France veut adopter en matière de transition énergétique. Ce n’est pas facile, car votre pays est traditionnellement très centralisé. Nous avons au contraire des Länder très puissants. Ainsi, la Bavière, décidée à assurer elle-même son approvisionnement, nous dit qu’elle n’a pas besoin de lignes, qu’elle fera tout elle-même, et il nous faut expliquer à la Thuringe que la ligne reliera le Nord de l’Allemagne au Sud en passant par la forêt de Thuringe parce que Horst Seehofer, ministre-président de Bavière, n’en veut pas ! Cette divergence entre les intérêts des Länder montre que la décentralisation peut entraîner de gros problèmes : il faut pourtant bien que nous posions de nouvelles lignes. Parce que le marché de production d’électricité n’est pas limité au territoire allemand, nous avons aussi besoin de lignes allant vers la Norvège –par la mer du Nord et la Baltique, ce qui n’est pas aisé – et vers l’Autriche.

M. Joachim Pfeiffer. Jusqu’à présent, le développement des énergies renouvelables et celui des réseaux n’ont pas été suffisamment synchronisés, et nous n’avons pas assez exploité les possibilités qu’offre le marché intérieur. Ce n’est d’ailleurs pas nouveau. Voilà pourquoi nous nous efforçons depuis quelques années d’accélérer le processus. La loi sur le développement du réseau que nous avons adoptée en 2008 comporte 24 mesures prioritaires, et nous avons institué des garanties juridiques, dont une possibilité de recours direct devant le tribunal administratif fédéral de Leipzig. Malheureusement, nous n’avons pas réussi à développer le réseau aussi vite qu’il aurait fallu.

Ce n’est pas un problème de coût : dans ce domaine, nous avons une régulation efficace, avec des prêts à taux bonifié dans les secteurs de l’électricité et du gaz, et il existe assez d’investisseurs privés disposés à investir dans les réseaux. Ce qui retarde les choses, c’est le rythme de délivrance des autorisations. Nous avons aussi des problèmes de gestion des réseaux. Dans la zone exploitée par Tenet, il y a eu, en 2012, 1 200 interventions, c’est-à-dire trois à quatre par jour, contre trois par an il y a une dizaine d’années. Cela montre que les réseaux sont sollicités à l’excès. Il est donc urgent de les développer pour continuer d’assurer l’approvisionnement.

M. le président François Brottes. En France, la gestion des réseaux est actuellement centralisée, et sa décentralisation fait débat. Contrairement à vous, nous avons un opérateur en situation de monopole. En vertu de la règle de la péréquation, qui n’a pas été remise en cause à ce jour, les habitants des régions éloignées des zones de production d’électricité bénéficient du même prix que ceux qui vivent à proximité d’une centrale nucléaire ou d’un parc éolien. Cette péréquation n’est rendue possible que par la centralisation et l’unicité de la distribution. Mais nous en avons déjà discuté à l’Assemblée nationale, et nous ne manquerons pas d’en débattre à nouveau à propos des textes à venir.

Je donne maintenant la parole aux porte-parole des groupes.

Mme Frédérique Massat. Il est effectivement indispensable de réaliser la transition énergétique tout en assurant l’acheminement de l’énergie à travers les réseaux.

On parle en France d’un Airbus de l’énergie. Au-delà de l’Europe de l’énergie, notre objectif commun, que pensez-vous de cette idée d’un axe stratégique franco-allemand en matière énergétique ?

L’Allemagne est aujourd’hui le premier émetteur de CO2 en Europe, avec 700 millions de tonnes en 2013, et les émissions ont augmenté de 2 % au cours de l’année passée du fait des mesures de sortie du nucléaire. Par quels moyens espérez-vous parvenir à votre objectif de réduction des émissions de 40 % d’ici à 2020 ?

Quelle est la part de chaque source d’énergie dans votre mix actuel d’énergies renouvelables ?

Sigmar Gabriel, ministre fédéral de l’économie et de l’énergie, a récemment déclaré que la transition énergétique allemande avait été un échec. D’après les propos rapportés par la presse française, la loi n’aurait pas été suffisamment travaillée, et l’approvisionnement énergétique décentralisé et autonome, non encore effectif, serait compliqué à mettre en œuvre sur le territoire. Qu’en pensez-vous ?

M. Daniel Fasquelle. Cette rencontre avec nos collègues allemands est une très heureuse initiative. Les questions énergétiques ne peuvent être abordées du point de vue d’un seul pays : elles doivent être envisagées conjointement au moins par la France et l’Allemagne, et, en tout état de cause, à l’échelle de l’Union européenne.

Mais avant de débattre de la politique européenne de l’énergie, nous aimerions en savoir plus sur l’expérience allemande de la transition énergétique, pour en tirer profit lors de la discussion du texte que nous allons examiner à ce sujet. Selon votre ministre fédéral de l’économie et de l’énergie, « la vérité est que la transition énergétique est sur le point d’échouer. La vérité est que, sous tous les aspects, nous avons sous-estimé la complexité de cette transition énergétique ». Quels enseignements tirer de cet échec ?

Peut-on organiser la transition énergétique sans augmenter considérablement le coût de l’électricité pour les particuliers comme pour les entreprises ? Si l’Allemagne est l’un des pays d’Europe où l’électricité est la plus chère, c’est à la loi de 2000 sur les énergies renouvelables qu’elle le doit.

Peut-on organiser la transition énergétique sans accroître les émissions de CO2 ? L’effet d’intermittence incite à recourir aux centrales à gaz, voire à charbon. Mais si l’Allemagne abandonne le nucléaire, pourquoi ne renoncerait-elle pas aussi au charbon ? Les émissions de gaz à effet de serre et la pollution ne traversent pas moins les frontières que les neutrons.

Peut-on organiser la transition énergétique sans abîmer les paysages ? Une technique se développe qui consiste à transformer l’électricité en gaz. Ne pourrait-elle être la solution pour l’Allemagne ?

Enfin, peut-on organiser la transition énergétique sans compromettre la sécurité des approvisionnements ?

Mme Michèle Bonneton. Je remercie à mon tour notre président de son excellente initiative, et nos invités d’avoir répondu à son invitation.

Comment encouragez-vous l’efficacité énergétique en matière de rénovation des logements ? Chez nous, c’est un vrai problème : le financement est coûteux et l’État ne peut plus l’assurer à n’importe quelles conditions.

Le développement des énergies renouvelables est tout à fait souhaitable mais pose plusieurs problèmes, dont vous nous avez parlé en toute sincérité. Pourriez-vous cependant nous en dire plus sur le développement de la biomasse – la taille des installations qui lui sont dédiées, les problèmes éventuels qu’il pose – et sur celui du solaire thermique ?

Il serait précieux de pouvoir stocker l’énergie produite par l’éolien ou le solaire, tout au moins l’énergie électrique. En France, nous faisons beaucoup de recherches à ce sujet. La coopération entre nos deux pays dans ce domaine vous paraît-elle suffisante ?

L’Union européenne ne devrait-elle pas mieux protéger le matériel qu’elle produit dans les domaines du solaire et de l’éolien par des normes ou des taxes à ses frontières, afin de lutter contre le dumping international en matière sociale, fiscale et environnementale ?

Que pensez-vous de la création d’entreprises que l’on pourrait qualifier de champions européens dans ces domaines ?

S’agissant enfin du financement des énergies renouvelables, au-delà de l’investissement de grands groupes, l’investissement citoyen se développe beaucoup en Allemagne. Par quelles mesures l’encouragez-vous ? Comment l’État fédéral et les Länder participent-ils aux opérations ?

Monsieur le président, selon l’Autorité de sûreté nucléaire elle-même, il y a encore beaucoup de travaux à faire pour sécuriser nos centrales. L’hypothèse de travail de la Cour des comptes pour les années à venir pourrait donc bien être tout à fait réaliste.

M. le président François Brottes. Je n’ai jamais remis en cause cette hypothèse de travail : c’est sur le mode de calcul que portait mon intervention. Mais nous y reviendrons.

M. Joachim Pfeiffer. Les énergies renouvelables représentent 25 % de notre production brute d’électricité qui s’est élevée à 630 térawattheures l’an dernier, soit 10 % de plus qu’en France. C’est l’éolien à terre qui arrive en tête. La capacité installée de l’éolien est de 35 000 mégawatts sachant que la capacité de l’éolien en mer, qui devra atteindre 6,5 gigawatts en 2020, n’est pour l’instant que de quelques centaines de mégawatts. Celle du photovoltaïque est comparable à celle de l’éolien. Pour la biomasse, la puissance installée est d’environ 6 gigawatts. Pour l’hydraulique, elle doit être d’environ 5 gigawatts, à confirmer. À l’avenir, c’est surtout l’éolien qui devrait se développer, car il s’agit d’un mode de production économique.

Le développement de la biomasse a connu des hauts et des bas ces dernières années. Peut-être avez-vous suivi notre débat sur les biocarburants. Quant à la production d’énergie à partir de biomasse, elle est relativement coûteuse ; cette source d’énergie se distingue de l’éolien ou du photovoltaïque en ce que la matière première elle-même coûte de l’argent. En outre, nous avons connu des problèmes de concurrence entre les différents usages du sol. Nous avons donc décidé de privilégier la biomasse composée de matière résiduelle et de l’utiliser de manière flexible, lorsque l’on ne peut plus compter sur les autres renouvelables du fait de leur discontinuité. Notre objectif est d’augmenter la capacité de 100 MW par an.

J’en viens au charbon. La réduction des émissions de CO2 s’est bien accentuée : nous sommes légèrement au-delà des prévisions. Nous avons amélioré l’efficacité industrielle et rendu les centrales plus performantes. Cette dynamique pourra-t-elle être maintenue ? Ce n’est qu’en agissant dans le secteur du bâtiment que nous parviendrons à nos objectifs de réduction d’émissions.

Nous devons donc non seulement réaliser des économies d’énergie dans ce domaine, mais réduire la consommation du parc immobilier. Plusieurs mesures ont déjà été adoptées à cette fin. La Kreditanstalt für Wiederaufbau, notre banque publique d’investissement, dispose de moyens abondants qui proviennent notamment des fonds publics. Un programme de rénovation du parc immobilier, d’un milliard d’euros, est prévu. Nous avons également développé différents programmes et mesures destinés à encourager le recours à l’énergie solaire thermique. Cela permettra de développer la production de chaleur à partir de sources d’énergie renouvelables.

Après le développement des réseaux, le stockage est évidemment un élément essentiel. Il est techniquement praticable mais extrêmement coûteux : nous ne pouvons donc pas développer les technologies de stockage, non parce que nous n’en sommes pas capables mais parce qu’elles ne sont pas rentables. Ainsi, le power to gas, qui consiste à transformer les énergies renouvelables en méthane ou en hydrogène pour pouvoir les stocker, coûte environ 50 centimes par kilowattheure. Or nous ne pouvons pas adopter une nouvelle taxe destinée à ce secteur. Ce n’est pas financièrement envisageable.

Les effets sur le paysage font aussi débat chez nous. La construction de lignes est critiquée lorsqu’elle le défigure – par exemple en Forêt-Noire – ou qu’elle concerne une zone densément peuplée. Elle est mieux acceptée dans le Nord, moins peuplé et où nombre d’installations appartiennent à des particuliers.

S’agissant de la décentralisation, la France comme l’Allemagne sont des nations industrialisées où l’approvisionnement, pour être sûr, ne saurait être uniquement décentralisé. Chez nous, 25 % de la production seulement est décentralisée. Il y a donc une marge de manœuvre, mais le secteur de l’industrie a besoin de centralisation. En tout état de cause, il convient d’associer les deux approches.

L’idée d’un Airbus de l’énergie renvoie évidemment aux négociations en cours avec Siemens à propos d’Alstom. J’estime pour ma part que l’État n’a pas à participer à une entreprise privée. L’État n’est pas le meilleur entrepreneur et quand il tente d’intervenir comme tel, en général les choses se font moins vite et cela coûte plus cher. Je ne suis donc pas convaincu qu’il faille développer des entreprises publiques européennes en matière énergétique. En revanche, il me semble utile de renforcer les coopérations dans le secteur privé. Si le secteur se porte bien en Allemagne, ce n’est pas du fait de grandes entreprises mais grâce à notre tissu de petites et moyennes entreprises qui réagissent de manière flexible aux problèmes qu’elles rencontrent et trouvent rapidement des solutions. Les PME fonctionnent bien mieux lorsque l’État les laisse tranquilles.

M. Wolfgang Tiefensee. Je me dois de rectifier la citation que vous faites de M. Sigmar Gabriel, madame Massat. Jamais il n’a affirmé que la transition énergétique était un échec. Mais peut-être certaines personnes, en France, avaient-elles intérêt à le lui faire dire !

Les énergies renouvelables comptent pour 25 % dans la production d’énergie primaire en Allemagne. Nous avons donc rempli notre objectif. Mais nous savons également que la loi EEG devait être modifiée : si nous n’arrivons pas à résoudre le problème des corridors, celui de la hausse des prix, etc., nous nous exposons au risque d’un échec de la transition énergétique

On pourrait envisager, monsieur Fasquelle, de réaliser la transition énergétique sans que les coûts augmentent pour le consommateur, mais cela durerait alors plus longtemps, et c’est le contribuable qui se trouvera sollicité en lieu et place du consommateur direct. L’introduction des énergies renouvelables sur le marché a un coût, mais elle offrira au bout du compte un avantage car le prix des énergies renouvelables baissera considérablement et deviendra beaucoup plus compétitif que celui du gaz et du charbon.

Il sera également beaucoup plus bas que le prix du nucléaire : cette énergie est en réalité extrêmement chère, tant elle comporte de coûts cachés. L’Allemagne cherche, comme la France, des lieux de stockage pour ses déchets, et le problème n’est toujours pas résolu. Je n’ignore pas non plus que la France exporte des déchets nucléaires vers d’autres pays. Les générations à venir doivent-elles se retrouver avec ces déchets sur les bras pendant des milliers d’années ? Il faut absolument prendre en compte le coût du traitement !

À court terme, donc, la transition énergétique renchérira le prix de l’énergie. À long terme, en revanche, cela en vaut la peine car nous y gagnerons dans tous les cas.

M. le président François Brottes. Précisons tout de même que la France n’exporte pas de déchets nucléaires. Elle en reçoit en provenance d’autres pays, elle les traite et les renvoie vers lesdits pays. Aucun déchet nucléaire français n’est exporté.

M. Wolfgang Tiefensee. On m’avait pourtant parlé d’exportations, quoiqu’en petites quantités. Mais je veux bien vous croire !

Toujours est-il que nous devons tenir compte de ces coûts, ainsi que de ceux de la sécurité et de la sûreté des centrales.

Par ailleurs, vous connaissez le contentieux qui oppose l’Union européenne et la Chine au sujet des panneaux solaires exportés en Europe à prix cassés grâce aux financements de l’État chinois. Ce que nous voulons, c’est que nos entreprises soient compétitives sur le plan international. Le commissaire chargé de la concurrence dans la prochaine Commission européenne devra absolument y veiller. La concurrence ne nécessite pas seulement une régulation en Europe : nous avons aussi besoin de directives régulant la concurrence entre l’Union européenne d’une part, l’Asie et les États-Unis d’autre part, faute de quoi nous ne pourrons pas vendre nos produits.

M. Julien Aubert. Le développement des énergies renouvelables en Allemagne semble poser un problème de gouvernance. Le réseau relève d’une coordination interrégionale tandis que la gestion de la distribution est locale. Pourtant, dans un pays aussi décentralisé que le vôtre, ce développement devrait être plus facile. Avez-vous des conseils à prodiguer à la France – pays très centralisé – sur la manière d’organiser la gouvernance pour éviter des surproductions locales ou des problèmes de cohérence ?

Quelle est la vision allemande en matière de transports routiers ? Croyez-vous au gaz naturel liquéfié, au « tout électrique », à une répartition des motorisations par catégorie de véhicules ?

Enfin, comment voyez-vous l’évolution de la consommation d’énergie en Allemagne dans les trente prochaines années ?

Mme Marie-Noëlle Battistel. L’Allemagne a établi des règles pour réduire les coûts de l’énergie qui pèsent sur les industries électro-intensives et leur permettre de rester compétitives. Le seuil pour déclencher le mécanisme d’exonération de la taxe finançant les énergies renouvelables passerait, dites-vous, à 16 ou 17 % de part du coût de l’électricité dans la valeur ajoutée de l’entreprise. Pourriez-vous détailler ce dispositif, par comparaison avec la situation française où les coûts de l’énergie atteignent 40 % pour certains électro-intensifs ?

Par ailleurs, les entreprises allemandes pratiquent-elles l’effacement et la saisonnalité ?

Quelle est la part de l’hydraulique dans votre mix énergétique, et quel est son potentiel de développement ? En France, la loi sur l’eau a fixé un objectif en la matière. Qu’en est-il en Allemagne ?

M. Éric Straumann. En 2013, notre pays était importateur net d’électricité par rapport à l’Allemagne en volume. Cependant, comme vous l’avez rappelé, il arrive que le coût soit négatif et que l’on touche de l’argent pour importer de l’électricité. Les chiffres étant difficiles à trouver en France, savez-vous quelle est la balance de ces importations en valeur ?

Savez-vous également si l’opérateur allemand qui est partie prenante à la centrale de Fessenheim demandera des indemnités pour la fermeture anticipée décidée par le gouvernement français ?

M. le président François Brottes. Plus généralement, quelles indemnités les opérateurs allemands demandent-ils à l’État pour la fermeture de leurs centrales ?

Mme Béatrice Santais. L’Allemagne a été en avance sur le reste du monde pour adopter et mettre en œuvre des textes sur la transition énergétique. Même si on peut avoir le sentiment que cette transition marque aujourd’hui le pas – factures d’électricité en hausse, multiplication des coupures de courant, augmentation des émissions de CO2 –, je reste admirative de ce qui a été accompli en matière d’énergies renouvelables.

À cet égard, le solaire thermique devrait permettre d’assurer un coût de l’énergie bas et stable. Et si le photovoltaïque marche bien en Allemagne, cela signifie que le soleil y brille suffisamment !

L’enthousiasme est quelque peu retombé en matière d’électromobilité, avez-vous constaté. Les pouvoirs publics allemands ont-ils engagé des discussions avec les constructeurs pour relancer le processus et atteindre l’objectif d’un million de véhicules électriques dans votre pays ?

M. Jean-Claude Mathis. Quelle est la position du gouvernement allemand concernant l’exploitation des gaz de schiste et des gaz de houille ?

Où en est la recherche en Allemagne en matière de stockage de l’électricité ?

Mme Marie-Lou Marcel. Au sujet des économies d’énergie que l’on pourrait réaliser par l’isolation et la rénovation, vous avez évoqué la mise en place de seize instruments. Pourriez-vous développer ce point ?

Dans le domaine de l’électromobilité, il y aurait, dites-vous, des concepts nouveaux pour les moteurs. Quels sont ces concepts ?

On sait que l’Allemagne utilise beaucoup les « déchets verts » pour la méthanisation. Où en est-elle dans ces technologies qui, en France, existent déjà pour les effluents d’élevage ?

M. Alain Suguenot. L’Allemagne est un des pays où l’électricité coûte le plus cher et un des plus gros émetteurs de gaz à effet de serre. La consommation d’énergie par habitant y est très supérieure à la moyenne mondiale, une des plus importantes des pays développés après les États-Unis. Votre pays est-il parvenu à réaliser ses objectifs de baisse de la consommation, qui sont l’enjeu principal ?

Ma deuxième question a plus trait à l’actualité qu’au domaine de l’énergie : que penser de la création d’une grande zone économique franco-allemande au sein de l’Europe ?

Mme Delphine Batho. Peter Altmeier et moi-même concevions la création de l’Office franco-allemand pour les énergies renouvelables comme une étape. La crise dans laquelle l’Europe se trouve aujourd’hui est aussi la crise de sa politique énergétique. C’est pourquoi des décisions franco-allemandes doivent intervenir rapidement.

Je doute que l’on puisse réaliser à vingt-huit le mécanisme de capacités intégré auquel je suis favorable. Se pose donc la question d’une coopération renforcée entre plusieurs États membres, avec un marché intégré qui assure la sécurité d’approvisionnement, qui évite que le charbon remplace le gaz – ce qui nous renvoie au problème du prix du CO2 –, qui évite les surcapacités et qui intègre les énergies renouvelables dans de bonnes conditions économiques.

Vous évoquez la Pologne. Pourquoi pas ? Mais alors, il faut que la Pologne cesse de bloquer la marche en avant de l’Union européenne pour atteindre ses objectifs en matière de lutte contre le réchauffement climatique. L’augmentation de la part du charbon dans la consommation d’énergie en Europe ne va pas dans le sens de l’histoire et il y a urgence à agir.

Puisqu’il faut de toute façon investir dans la politique énergétique en Europe, autant investir dans la transition énergétique plutôt que dans les énergies du passé. Dans nos deux pays, cependant, le financement pèse avant tout sur les ménages. À cet égard, la position de l’Allemagne sur le calcul des investissements d’avenir dans les déficits publics pourrait-elle évoluer ?

Si soutien public il y a pour financer la transition énergétique, ses retombées doivent aller à l’industrie européenne. « Airbus de l’énergie » ou Alstom, avez-vous objecté, relèvent du secteur privé. Mais nous ne saurions mettre en place des soutiens publics qui servent à financer des importations industrielles en provenance de pays extérieurs à l’Union. Il faut des retombées en emplois.

M. Michel Sordi. Élu alsacien comme M. Straumann, je suis opposé à la fermeture anticipée de la centrale de Fessenheim.

Il est vrai que tout n’est pas simple dans notre pays ! En Alsace, nous souhaitions ardemment la mise en œuvre de l’écotaxe : celle-ci étant déjà appliquée dans le Land voisin du Bade-Wurtemberg, tout le trafic des poids lourds allemands passe sur nos routes. Malheureusement, les « bonnets rouges » bretons ont mis un terme à nos espoirs.

Dans cette zone du Rhin supérieur, ne pourrait-on imaginer que la centrale de Fessenheim, dont l’arrêt interviendra de toute façon un jour, soit remplacée par une centrale de nouvelle génération ? Et que les entreprises allemandes soient partenaires de ce projet, comme elles le sont de l’usine actuelle ?

M. Razzy Hammadi. Vous êtes revenus à plusieurs reprises sur les difficultés que vous rencontriez dans la transition énergétique. Certains chiffres sont éloquents : le prix de l’énergie a augmenté de 80 % en dix ans ; le consommateur, comme vous l’avez indiqué, est également contribuable, puisqu’il paie trois fois les augmentations de tarif : par la hausse du prix, par l’augmentation du coût de production qu’il doit aussi assumer, par la fiscalité incitative.

L’objectif, dites-vous, est d’avoir une économie presque totalement décarbonée en 2050. Pourtant, au regard de la géographie, de la météorologie, de la comparaison des émissions de CO2 selon les peuples européens – 9 tonnes par an pour un Allemand, 5,8 pour un Français –, ne parvenez-vous pas aujourd’hui à la conclusion que la transition énergétique est impossible à l’échelle d’un seul pays en Europe ?

Enfin, quelles sont les conséquences de cette politique en termes de souveraineté, s’agissant notamment des importations de gaz ? Avant de décider la sortie du nucléaire, Angela Merkel avait déclaré qu’elle préférait les centrales allemandes au gaz de Poutine.

Mme Annick Le Loch. Est-il exact que l’on puisse, en Allemagne, consommer directement l’énergie que l’on produit via des panneaux photovoltaïques ou une petite éolienne, par exemple ? En France, cette énergie doit obligatoirement être réinjectée sur le réseau.

Votre pays a beaucoup investi dans la formation, notamment dans celle des professionnels du bâtiment. Quelles conclusions en tirez-vous et quels conseils pourriez-vous donner aux Français, qui ont beaucoup de retard en la matière ?

Mme Marie-Hélène Fabre. Historiquement, l’Union européenne s’est construite par et pour les politiques énergétiques. Pourtant, il n’existe pas à proprement parler de politique commune de l’énergie à l’échelle européenne, alors que la question reste toujours fondamentale. À l’heure actuelle, chaque pays est responsable de son propre mix et doit compter sur les pays tiers pour lui fournir la majeure partie de l’énergie qu’il consomme. Ne pensez-vous pas qu’il serait temps de construire une politique véritablement commune de l’énergie en Europe ?

M. Joachim Pfeiffer. Après la libéralisation des marchés de l’énergie engagée en Europe à partir de 1998, l’Allemagne a choisi, contrairement à la France, d’ouvrir entièrement son marché de l’électricité, y compris pour les particuliers. Le réseau constituant un monopole naturel, nous avons essayé de porter notre action sur l’accès au réseau, mais ce fut un échec : faute d’accord entre les exploitants de réseaux, ceux qui étaient en situation de monopole et pratiquaient des prix excessifs ont réussi à s’imposer.

L’Union européenne ayant adopté par la suite une directive visant à accélérer le processus, nous avons demandé à l’Agence fédérale des réseaux – Bundesnetzagentur –d’assurer la régulation des marchés du gaz et de l’électricité, ainsi que celle de différents réseaux d’infrastructures tels que le réseau ferroviaire. Ce dispositif a plutôt bien réussi ces dernières années. De 2006 à 2012, ce secteur a connu une stabilité, voire une baisse des prix, contrairement aux secteurs soumis à la loi EEG. En d’autres termes, la régulation a permis de freiner la hausse des prix.

Cela dit, le plan de développement des réseaux entraînera une nouvelle hausse. Le dispositif est comparable à celui du TURPE (tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité).

La question du développement des réseaux est examinée lors d’un point annuel. Il a été prévu de construire de nouvelles infrastructures pour transporter l’électricité sans surcoût sur de longues distances, notamment du nord vers le sud. Ce projet doit s’inscrire dans le développement indispensable d’infrastructures européennes tant en matière d’électricité que de gaz. C’est la seule façon d’exploiter au mieux le marché intérieur et le potentiel de production d’énergies renouvelables là où elles coûtent le moins cher : il est bien entendu préférable de construire des éoliennes là où il y a le plus de vent, et d’installer des centrales solaires là où il y a le plus de soleil. Avec un réseau d’infrastructures organisé au niveau européen, cela devrait marcher.

La Bundesnetzagentur est un organisme indépendant qui comporte différentes chambres et est dirigé par un président et deux vice-présidents, un peu à l’instar d’un tribunal. Administrativement rattachée au ministère de l’économie, elle n’a cependant pas à rendre de comptes au pouvoir politique. Celui-ci ne peut l’influencer directement, ce qui me semble une très bonne chose. C’est à dessein que nous avons mis en place un dispositif qui évite toute ingérence politique.

L’Agence est également dotée d’un conseil consultatif composé de membres du Bundestag et du Bundesrat. Je suis actuellement le président de cette instance de discussion et de concertation.

J’en viens à la question du gaz. Aujourd’hui, l’Allemagne achète presque 40 % de cette ressource à la Russie. Mais les Russes ont besoin de l’argent que nous leur donnons en échange. Il y a donc interdépendance : la Russie ne pourrait équilibrer son budget, verser des prestations sociales, etc., sans l’argent qu’elle tire de l’exploitation du gaz. Même au plus fort de la Guerre froide, elle n’a jamais interrompu ses livraisons de gaz à l’Allemagne ou à l’Europe de l’Ouest.

Il n’en reste pas moins préférable de diversifier l’approvisionnement en mettant l’accent sur les énergies renouvelables mais aussi, parfois, sur d’autres sources d’énergie – dont des énergies fossiles importées.

En matière de gaz naturel liquéfié, les capacités allemandes sont, sauf erreur de ma part, sous-utilisées d’un tiers du fait des difficultés de transport. Je crois néanmoins souhaitable de développer des terminaux de GNL en Allemagne. Pour l’heure, nous passons par Rotterdam. Le projet de construction d’un terminal à Wilhelmshafen a été abandonné faute de rentabilité.

Je me dois d’aborder maintenant une question plus controversée. Depuis notre décision d’arrêter nos centrales, de nombreuses organisations non gouvernementales ressentent le besoin d’enfourcher de nouveaux chevaux de bataille. Les gaz de schiste sont un sujet tout trouvé, qui donne lieu à des débats intenses, plus émotionnels que rationnels. L’exploration et la fracturation soulèvent de grandes réserves, même si la fracturation se pratique depuis soixante ans en Allemagne pour produire du gaz et n’a pas posé de problème particulier jusqu’à présent, notamment sur le plan de l’environnement.

Bien que cette technique soit très mal perçue par l’opinion, je crois qu’il faut saisir les possibilités offertes par le gaz de schiste – reste à savoir dans quelles conditions et à quel coût pour l’Allemagne et pour l’Europe. Les Polonais s’y sont mis : nous verrons ce qu’ils font.

La politique américaine de développement du gaz de schiste a bouleversé la carte énergétique mondiale, notamment en matière de prix. Le coût de leur gaz de schiste étant faible, les États-Unis ont pu arrêter leurs importations – si l’on excepte les contrats encore en cours avec le Canada – alors qu’ils étaient encore, il y a sept ou huit ans, le premier importateur mondial de gaz. Ils sont en train de transformer les installations pour que le pays puisse, non plus importer, mais exporter du GNL.

Les conséquences pour l’Europe seront un accroissement de la liquidité dans ce secteur, même si l’on ne devrait pas descendre au niveau de prix atteint aux États-Unis.

Sur le plan de la compétitivité, en revanche, l’exploitation des gaz de schiste aura une importance considérable. Qu’on le veuille ou nous, la révolution des gaz de schiste a eu lieu aux États-Unis, et elle a permis à ce pays de réduire ses émissions de CO2 de 20 à 25 %, du fait de l’abandon d’autres combustibles. À court et à moyen terme, les gaz de schiste représentent à mes yeux un complément optimal aux énergies renouvelables.

Pour l’heure, cependant, l’Allemagne ne peut à la fois abandonner le nucléaire et renoncer au charbon. Nous sommes parvenus à 25 % de production à partir de sources renouvelables. Pour le reste, il faut recourir à d’autres sources, notamment le charbon. N’oublions pas que l’Europe doit rester compétitive. Si nous excluons a priori les gaz de schiste, je ne sais si nous pourrons maintenir le cap.

L’Allemagne est en effet exportatrice d’électricité, monsieur Straumann, mais ce n’est pas forcément rentable : le KWh est vendu 7 centimes alors que le prix normal est de 18 centimes. C’est un point qu’il faudra corriger.

Pour les industries électro-intensives, le mécanisme de compensation allemand, validé sur le plan européen, distingue plusieurs catégories en fonction non seulement de la consommation d’électricité mais aussi de la part du coût de l’électricité dans la valeur ajoutée de l’entreprise. Il faut cependant savoir que la plupart des entreprises ne bénéficient pas d’allègements ou d’aides. Le plafond prévu entre 0,5 et 4 % concerne surtout les industries de l’acier, de l’aluminium, du zinc, du cuivre, etc. Il s’agit d’assurer leur compétitivité par rapport aux entreprises des autres pays. Nous sommes heureux d’avoir réussi à régler ce dossier avec Bruxelles après de longs débats. Cela donne aux industries électro-intensives une visibilité pour les prochaines années.

L’Allemagne, madame Marcel, avait fixé un objectif de production annuelle de 6 milliards de mètres cubes de biométhane injectés dans les réseaux d’ici à 2020. Mais nous avons constaté que cette production coûtait très cher. Nous avons donc rectifié le tir en modifiant la loi EEG, si bien qu’il n’y aura probablement pas de développement des capacités dans les années à venir. Cela dit, le biométhane peut être utilisé à d’autres fins, comme la production de chaleur ou d’électricité.

S’agissant des moteurs à combustion classique, les ingénieurs estiment de 20 à 30 % les gains possibles d’efficacité, ce qui est tout de même considérable. Il existe également des évolutions technologiques comme les pneus « verts », qui ont les mêmes caractéristiques que les autres pneus mais consomment 20 à 30 % de carburant en moins. Il y a là, pour nos entreprises, des possibilités de développement au plan mondial.

L’autoconsommation d’électricité est possible en Allemagne, madame Le Loch. Le système étant particulièrement attractif – l’énergie non injectée dans le réseau n’est pas, jusqu’à présent, soumise à la taxe pour le financement des énergies renouvelables –, c’est une pratique très répandue. On peut arriver à 13 où 14 centimes d’économie par KWh. L’autoconsommation concerne aussi, à hauteur de 50 TWh, le secteur industriel. Cette évolution est en rapport avec l’essor de la cogénération. Dans ce domaine, nous nous efforçons de trouver des solutions pour préserver les installations existantes et pour développer les capacités là où cela est nécessaire. Une meilleure régulation devrait permettre de favoriser la cogénération.

Pour ce qui est des coûts, la production et la distribution « classiques » d’électricité représentent environ 7 centimes. Tout le reste, ce sont des impôts et taxes : taxe d’utilisation des réseaux publics d’électricité, TVA, taxe pour l’éolien en mer, etc., dont certaines ne sont pas d’une utilité évidente !

Il ne faut pas toujours raisonner en termes de production de pointe. Nous avons par exemple élaboré une technique de lissage des pointes. Alors que l’on s’était toujours placé sur le plan de l’offre, l’effacement – qui est une adaptation de la demande à la production – est un concept intéressant. Plus grande sera flexibilité, plus efficace sera le marché et plus intense la concurrence.

Mais, je le répète, une approche européenne synchronisée est absolument indispensable. Il faut développer des infrastructures au niveau européen et harmoniser les dispositifs d’aide, notamment en faveur des énergies renouvelables. De grandes potentialités existent en Europe centrale. Cela devrait nous aider à réaliser le marché intérieur au moins dans cette partie de l’Union européenne. Il n’y a pas eu, jusqu’à présent, d’harmonisation des politiques. Nous devons impérativement intensifier nos échanges sur ces questions.

M. Wolfgang Tiefensee. Le bâtiment représente en Allemagne 40 % de la consommation d’énergie, les transports au moins 30 %. C’est sur ces deux secteurs qu’il faut concentrer les efforts.

En 2006, lorsque j’étais ministre des transports, j’avais pris une initiative en faveur de l’électromobilité « pure » – véhicules à pile à combustible et autres. Nous menons des expériences dans des régions pilotes, l’objectif étant qu’un million de véhicules électriques circulent en 2020 sur les routes allemandes. Sans doute sera-t-il difficile à atteindre avec les seuls véhicules particuliers, mais nous avons identifié différents gisements : camionnettes de livraison, véhicules d’entreprise, etc., qui circulent dans un périmètre restreint.

Mon collègue a déjà évoqué la question de la méthanisation. Il faut savoir que l’injection de biométhane dans le réseau est coûteuse. Et le rendement de l’électricité produite par biométhanisation n’est que de 30 ou 40 %, ce qui en rend impossible la mise en œuvre à grande échelle.

Les régimes incitatifs que nous souhaitons instaurer en matière d’électromobilité devraient nous permettre de progresser de concert avec la France.

Je vous invite également à consulter le site de la banque publique d’investissement KfW, qui propose des modules de financement selon les travaux d’amélioration énergétique envisagés. Nous souhaitons parvenir à des normes, mais nous ne finançons que les dispositifs qui vont au-delà de ce qui est déjà prévu par la législation. Aussi les programmes d’aide évoluent-ils constamment. La KfW finance des prêts aux particuliers via les banques de détail. Mais nous n’essayons pas, pour l’instant, de promouvoir des règles particulières d’amortissement car le fisc n’y est pas favorable.

En matière de transports, l’objectif est d’inventer de nouvelles formes de mobilité. Les jeunes, du reste, sont prêts à payer pour la mobilité sans posséder pour autant leur propre véhicule.

Quant à une éventuelle demande d’indemnisation pour la fermeture de la centrale de Fessenheim, monsieur Straumann, ce n’est pas parce qu’une décision est politique que l’on doit payer des indemnités !

Je suis sensible, madame Santais, au compliment que vous nous faites d’avoir été précurseurs dans certains domaines. Ce que j’ai essayé de dire, c’est que nous misons sur l’ensemble des énergies renouvelables. Nous développerons l’éolien à terre et en mer et, même si l’on ne peut pas dire que le soleil brille tout le temps en Allemagne, le photovoltaïque continuera de jouer un rôle.

La recherche sur le stockage de l’électricité en est à ses débuts, et celui qui réussira une percée dans ce domaine obtiendra le prix Nobel. Jamais on n’aurait pensé, il y a vingt ans, que l’on pourrait gagner de l’argent avec l’Internet ; eh bien, je pense que dans les dix ou vingt prochaines années, on aura probablement mis au point de nouvelles technologies en matière de stockage.

Il existe pour l’heure des techniques de stockage décentralisées, mais le coût en est encore trop élevé. Lorsqu’il n’y a pas de soleil ou pas de vent, il est cependant envisageable d’utiliser des turbines à gaz pour remplacer les panneaux solaires ou les éoliennes. Cela coûte beaucoup moins cher que de stocker l’électricité. J’espère néanmoins que la recherche fondamentale débouchera progressivement sur une recherche appliquée permettant de développer le stockage.

Pour ce qui est du sujet – qui déborde largement le secteur de l’énergie – de « l’espace économique franco-allemand », je pense que non seulement nous pouvons coopérer plus étroitement, mais que nous le devons. Que l’on parle de politique industrielle, d’« Airbus de l’énergie », etc., les industries et les PME doivent travailler davantage ensemble. La KfW et son équivalent français, la Banque française d’investissement, devraient associer plus étroitement leurs politiques et apporter des financements complémentaires à certains projets binationaux.

À cet égard, je me félicite de l’action de l’Office franco-allemand pour les énergies renouvelables. Il faut raisonner à la fois en termes qualitatifs et en termes quantitatifs pour la concertation internationale. Bien que la Deutsche Energie-Agentur n’ait pas vraiment d’équivalent en France, l’Office franco-allemand fait un travail remarquable d’organisation. Reste à savoir s’il faut associer la Pologne, qui se montre parfois un partenaire réticent ou sceptique.

Quant aux éventuelles incidences de la transition énergétique sur l’endettement des États, faut-il rouvrir le dossier ? C’est la quadrature du cercle, je le sais. Mais tant pis : il nous appartient de résoudre le problème, qui consiste à assainir les budgets et à maintenir la création de valeur ajoutée tout en pensant au coût pour les ménages. C’est une tâche colossale, mais je pense qu’il faut continuer de diminuer l’endettement des États quand bien même nous avons de grands défis à relever dans le cadre de la transition énergétique.

Un dernier mot sur la politique énergétique commune. Nous avons élu un nouveau Parlement européen, un nouveau président de la Commission européenne et de nouveaux commissaires seront nommés. Quoi qu’il en soit, les parlements nationaux peuvent travailler ensemble à l’élaboration d’une politique énergétique européenne qui laisse une marge de manœuvre aux nations, qui respecte les spécificités de chacun et qui, en même temps, contribue à réaliser nos objectifs environnementaux au niveau mondial.

M. le président François Brottes. D’après la presse, les opérateurs du nucléaire ont proposé à l’État allemand de lui verser la soulte dont ils disposent, à charge pour lui de démanteler et de traiter les déchets. Si j’ai bien compris, ce n’est pas encore un contentieux, mais je me demande comment se conclura cette affaire.

M. Joachim Pfeiffer. Lorsque nous avons décidé, en 2010, de prolonger la durée de vie de certaines centrales, nous sommes convenus avec les exploitants qu’ils consacreraient une enveloppe de 30 milliards d’euros au financement des énergies renouvelables. Puis la catastrophe de Fukushima a dissipé les dernières réserves concernant la sortie du nucléaire en Allemagne.

M. Wolfgang Tiefensee. La sortie du nucléaire était déjà actée. On aurait pu s’épargner cet épisode de 2010 qui nous a fait faire deux volte-face successives !

M. Joachim Pfeiffer. Il n’a pas été question, en 2010, de renoncer à la sortie du nucléaire, mais de prolonger la durée de vie des centrales.

Toujours est-il qu’après Fukushima, la décision d’arrêter huit centrales du jour au lendemain n’était pas fondée sur des arguments rationnels. On a accéléré la sortie par rapport aux plans initiaux.

Lorsque l’on a décidé de prolonger la durée de vie des centrales, la question des combustibles s’est posée. Certains ont décidé d’aller devant les tribunaux pour contester les décisions prises par les autorités publiques. Le Gouvernement allemand présentera sa défense, et l’on verra s’il doit ou non verser des indemnités. Ce qui est certain, c’est que les décisions politiques doivent être prises dans un cadre, de manière à ce que les investisseurs puissent compter sur la stabilité de ces décisions. J’ignore quel sera le coût de cette affaire. On a parlé de plusieurs milliards…

Le traitement des déchets est un autre sujet. Les opérateurs ont provisionné environ 40 milliards pour ces opérations. L’Allemagne a préféré à la solution du retraitement celle du stockage définitif. Le site de Konrad a été validé. Il devrait être opérationnel en 2020 ou 2022 et accueillera 90 % des déchets faiblement radioactifs. S’agissant des déchets hautement radioactifs, le projet de stockage à Gorleben n’a pu être mis en œuvre faute de décision politique. Il a été décidé d’ouvrir à nouveau la procédure de consultation, d’étudier d’autres sites, etc., ce qui coûtera des milliards. Des groupes politiques, notamment Les Verts, ne désarment pas sur ce dossier et je crains que la question ne soit toujours pas réglée dans trente ans. Pourtant, il faudra bien permettre un jour aux exploitants, qui sont responsables du démantèlement des centrales et du traitement des déchets, de trouver une solution !

M. le président François Brottes. Merci, mes chers collègues, pour la qualité et la franchise de cet échange. Cette séance marque le début d’un travail en commun dont je me félicite.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mercredi 28 mai 2014 à 9 h 30

Présents. - M. Damien Abad, Mme Brigitte Allain, Mme Delphine Batho, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Yves Blein, Mme Michèle Bonneton, M. Christophe Borgel, M. Jean-Claude Bouchet, M. François Brottes, M. Dino Cinieri, M. Jean-Michel Couve, Mme Jeanine Dubié, Mme Corinne Erhel, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Daniel Fasquelle, M. Christian Franqueville, M. Franck Gilard, Mme Pascale Got, M. Jean Grellier, Mme Anne Grommerch, M. Razzy Hammadi, M. Antoine Herth, M. Philippe Kemel, Mme Laure de La Raudière, M. Jean-Luc Laurent, M. Thierry Lazaro, M. Michel Lefait, Mme Annick Le Loch, Mme Annick Lepetit, M. Philippe Le Ray, M. Jean-Pierre Le Roch, Mme Audrey Linkenheld, Mme Jacqueline Maquet, M. Alain Marc, Mme Marie-Lou Marcel, Mme Frédérique Massat, Mme Véronique Massonneau, M. Jean-Claude Mathis, M. Kléber Mesquida, M. Yannick Moreau, M. Hervé Morin, Mme Josette Pons, M. Dominique Potier, M. Patrice Prat, M. François Pupponi, M. Franck Reynier, Mme Béatrice Santais, M. François Sauvadet, M. Gabriel Serville, M. Michel Sordi, M. Éric Straumann, M. Alain Suguenot, M. Lionel Tardy, M. Jean-Charles Taugourdeau, M. Jean-Marie Tetart, Mme Catherine Troallic, Mme Clotilde Valter

Excusés. - M. Bruno Nestor Azerot, Mme Ericka Bareigts, M. Joël Giraud, M. Serge Letchimy, M. Philippe Armand Martin, M. Hervé Pellois, M. Bernard Reynès, M. Jean-Paul Tuaiva, Mme Catherine Vautrin

Assistaient également à la réunion. - M. Julien Aubert, M. Paul Molac, Mme Sophie Rohfritsch