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Commission des affaires économiques

Mercredi 18 juin 2014

Séance de 10 heures 30

Compte rendu n° 95

Présidence de M. François Brottes Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Ludovic Silicani, président de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP)

La commission a auditionné M. Jean-Ludovic Silicani, président de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes.

M. le président François Brottes. Tout d’abord, je souhaite remercier M. Jean-Ludovic Silicani d’avoir accepté notre invitation. Vous avez été nommé à la présidence de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) le 8 mai 2009, et êtes ainsi entré dans votre dernière année de mandat, celui-ci prenant fin au terme de cette année. Lorsque vous avez pris vos fonctions, il y avait trois opérateurs, et la situation risque d’être la même lorsque vous les quitterez. Dès lors, vous comprendrez aisément que l’on se pose la question suivante : tout ça pour ça ? Et ce alors même qu’entre ces deux dates, nous avons vécu un grand nombre d’annonces de plans sociaux. Certes, les consommateurs ont vu le montant de leurs factures baisser, mais les dégâts sont considérables, nous n’arrêtons pas d’en parler. En ce qui me concerne, j’ai rencontré un certain nombre de salariés et de représentants syndicaux, qui ne se réjouissent pas particulièrement de cet état de fait. Vous sentez-vous, ou pas, en partie responsable de cette situation ? Les pouvoirs publics portent une part de responsabilité car elles sont à l’initiative et l’ARCEP agit souvent en simple exécutant, mais pas seulement… Quel est donc votre regard alors que la situation, sur le plan social du moins, n’est pas bonne comme chacun en convient ?

M. Jean-Ludovic Silicani, président de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP). Monsieur le Président, si vous le permettez, je débuterai par une intervention liminaire…

M. le président François Brottes. Si vous répondez à mes questions, il n’y a évidemment aucun problème. En revanche, si vous entendez par-là éviter d’y répondre… (sourires).

M. Jean-Ludovic Silicani, président de l’ARCEP. Pas du tout ! (sourires). D’abord, je vous remercie de votre invitation, qui me permet de m’exprimer à un moment important pour le secteur des télécommunications, en France comme dans d’autres pays d’ailleurs. Je limiterai mon propos à deux points. Dans un premier temps, je rappellerai à l’ensemble des parlementaires présents les principaux éléments relatifs au marché des télécommunications en France. Dans un second temps, je répondrai à vos premières questions : où en est-on ? Quel est le résultat des décisions prises il y a cinq ans ? Quel avenir pour ce secteur ?

Premièrement, l’évolution du secteur est très contrastée, puisque elle est marquée à la fois par une croissance en volume exceptionnelle que l’INSEE chiffre à 6 % par an, contre 0,3 % pour le produit intérieur brut (PIB) français, par exemple. Le secteur des télécommunications est donc celui qui croît le plus vite en volume.

M. le président François Brottes. Lorsque vous parlez de volume, cela désigne le chiffre d’affaires ou le volume de télécommunications ?

M. Jean-Ludovic Silicani, président de l’ARCEP. Il s’agit bien du volume de télécommunications. Cette croissance forte tient au fait que le nombre d’abonnés augmente de 5 % par an, sur le mobile comme sur le fixe – le marché est donc en croissance – mais aussi au fait que la consommation s’accroît et que les déploiements, qui sont la concrétisation de l’investissement des opérateurs, croient rapidement. La 4G est partie à une vitesse extraordinaire, bien plus importante que ce que prévoyaient les obligations du régulateur et les estimations des supposés experts. De même, s’agissant du fixe, plus de onze millions de foyers sont éligibles au très haut débit, dont trois millions via la fibre optique. Voilà pour le volet positif de l’état du secteur des télécommunications dans notre pays. Il y a aussi un volet qui pose davantage de questions : une baisse importante des prix – qui était l’objectif des décisions prises en 2008-2009, j’y reviendrai – d’environ 40 % pour les particuliers entre 2011 et 2013, une baisse d’environ 20 % des offres entreprises – j’insiste sur ce point car on a parfois tendance à oublier ce marché, qui représente quinze milliards par an : une baisse de 20 % représente environ trois milliards, c’est-à-dire presque autant que ce qu’a apporté le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) en 2013 – les services publics comme les universités ou les hôpitaux ayant également bénéficié de ces baisses. Celles-ci ont entraîné une diminution des chiffres d’affaires des opérateurs, passé d’un peu plus de quarante milliards d’euros il y a trois ans à environ trente-cinq milliards d’euros aujourd’hui, soit une baisse de 12 % du chiffre d’affaires qui a provoqué, rien ne sert de le cacher, une baisse des marges. Les marges demeurent néanmoins suffisantes pour investir – il s’agit du fil rouge suivi à l’ARCEP comme par les autres autorités publiques et les acteurs économiques. D’ailleurs, cet investissement demeure au niveau record atteint ces trois dernières années, soit plus de sept milliards d’investissement, hors achat de fréquences. L’investissement est donc à un niveau record, nécessaire pour déployer les nouveaux réseaux fixes et mobiles – il s’agit d’une industrie capitalistique. S’agissant de l’emploi, force est de constater qu’au sein du secteur des télécommunications, les années 2000 ont été marquées par une perte d’à peu près trois mille emplois par an en tendance longue. Cette baisse a été endiguée en 2010, 2011 et 2012 puisque le nombre d’emplois directs des opérateurs est remonté légèrement, avant de diminuer à nouveau d’à peu près trois mille emplois en 2013. Au final, le niveau d’emplois de 2013 est similaire à celui de 2009. Il s’agit d’une question essentielle sur laquelle, j’imagine, nous reviendrons. Voilà pour les principaux chiffres du secteur. Ces grandes évolutions sont communes aux pays d’Europe occidentale et aux États-Unis : baisse des chiffres d’affaires, des prix et de l’emploi – cinq cent mille emplois ont été supprimés en quelques années dans le secteur aux États-Unis, ce qui signifie qu’en comparaison des PIB, la France aurait pu perdre cent mille emplois. Ce phénomène est mondial et touche une industrie qui est le siège d’énormes gains de productivité. Or, comme cela se passe souvent dans l’industrie, ces gains de productivité génèrent parfois, au cours de certains cycles, des baisses d’emplois que l’on ne peut que déplorer.

Ces grandes tendances s’expliquent par deux évolutions technico-économiques : la convergence des réseaux fixe et mobile, qui est à l’œuvre dans tous les pays du monde – un opérateur ne peut plus être présent que sur l’un des réseaux, comme l’ont montré les stratégies de Bouygues Telecom et de Free, l’un passant du mobile au fixe et l’autre faisant le chemin inverse – et la numérisation – les télécoms apportent la numérisation mais sont aussi l’objet d’une numérisation qui réduisent leurs coûts, et il ne faut pas l’ignorer.

Deuxièmement, j’en viens aux questions plus politiques – au bon sens du terme – qui concernent l’avenir de ce secteur, et les moyens d’aller vers ce que j’appelle une consolidation dynamique, qui pourrait selon moi constituer un objectif commun à tous les acteurs publics et privés. Avant de détailler les pistes d’action qui me semble pertinentes, permettez-moi d’opérer un retour dans le passé. En 2008 et 2009, plusieurs décisions ont conduit à l’entrée sur le marché mobile d’un quatrième opérateur, déjà présent sur le marché fixe. Il me semble qu’il faille être honnête, exact, et lucide. Sur le marché mobile, les années 2000 se sont caractérisées par une entente organisée et signée par les trois opérateurs mobiles historiques – Orange, SFR et Bouygues Telecom – qui a fait l’objet d’une condamnation considérable de l’Autorité de la concurrence – plus de 500 millions d’euros. N’oublions pas qu’il s’agissait d’une entente signée et qu’il était littéralement inscrit sur une feuille de papier qu’Orange, SFR et Bouygues Telecom auraient chacun un certain pourcentage de parts de marché. Autant je peux concevoir – même si c’est complètement illégal – les raisons pour lesquelles Orange et SFR ont signé cette entente, puisqu’il s’agissait de protéger leurs positions, mais je ne comprends pas ce qui a poussé Bouygues Telecom à prendre part à cette entente. Je n’en dirai pas plus à ce stade. L’Autorité de la concurrence sanctionna très fortement cette entente, ce qui constituait un signal adressé aux opérateurs économiques, et pourtant, rien ne changea. L’ARCEP, à plusieurs reprises, tenta de convaincre les opérateurs mobiles d’accueillir des opérateurs mobiles virtuels (MVNO), comme c’était le cas dans plusieurs pays européens, mais rien ne changea, jusqu’à ce que nous menacions de réguler le marché. Le Parlement intervint, via l’adoption de la loi dite « Chatel », afin de fluidifier le marché mobile, mais rien ne changea. Nous nous trouvions donc dans une situation où des acteurs, désignés justement sous le terme de « rentiers » par M. Arnaud Montebourg, ont établi des marges de 50 %, ce qui est supérieur aux pratiques de l’industrie du luxe, sans affecter leur produit à l’amélioration du pouvoir d’achat des particuliers et des entreprises ou à l’investissement. Nous avons d’ailleurs mis en demeure Orange et SFR, dès mon arrivée à l’ARCEP, car ils avaient trois années de retard s’agissant du déploiement du réseau 3G. Les trois opérateurs mobiles se partageaient donc une rente totalement improductive. Face à cette situation, que devait faire l’État ? Rien, ou prendre ses responsabilités ? L’État – Gouvernement, Parlement, régulateur – prit ses responsabilités. Le Premier ministre décida d’attribuer la quatrième licence mobile, alors sur étagère, et demanda à l’ARCEP de fixer les conditions de son attribution. Monsieur le président, vous m’avez demandé ce que nous aurions dû faire. Comme vous l’avez rappelé, j’ai été nommé à l’ARCEP en mai 2009 et n’étais donc pas aux commandes à ce moment puisque le Premier ministre a pris sa décision à la fin de l’année 2008 tandis que le collège de l’ARCEP a fixé les conditions d’attribution en mars 2009. Néanmoins, si j’avais été président de l’ARCEP à cette époque, j’aurais conseillé au Premier ministre de prendre la décision qu’il a prise, et j’aurais voté les conditions d’attribution que le collège de l’ARCEP a voté trois mois avant mon arrivée. Je suis très clair sur ce point.

Aujourd’hui, cette décision a produit plusieurs effets : les prix ont baissé, la concurrence s’est accrue, il y a eu une séparation des offres entre les terminaux et les services – ce qui existait dans d’autres pays d’Europe. Ainsi la France, où les prix se situaient 25 % au-dessus de ceux constatés dans les autres pays européens, a vu les prix passer sous la moyenne européenne, même s’ils demeurent supérieurs à ce qui est pratiqué au Royaume-Uni. Toutefois, comment parvenir aujourd’hui à la consolidation dynamique que j’appelais tout à l’heure de mes vœux ? Cet objectif me paraît atteignable au cours des deux prochaines années. En effet, les prix tendent à se stabiliser. La baisse des prix a été extrêmement rapide de mi-2012 à mi-2013, c’est-à-dire durant la première année après l’arrivée de Free sur le marché mobile. Elle fut aussi quasiment verticale, atteignant 25 % en une année. Mais depuis cette date, comme le montre très clairement l’observatoire de l’ARCEP, consultable en ligne depuis quelques semaines, elle connaît un net ralentissement. Je ne suis pas madame Soleil et personne dans cette salle ne peut faire de prévisions parfaites en la matière, mais l’on peut penser que les prix vont se stabiliser d’ici la fin de l’année ou au début de l’année 2015, à un niveau sans doute proche de celui que nous connaissons actuellement. Mais ce n’est pas suffisant.

D’après moi, quatre actions peuvent être menées. Je vous les présente afin que nous en discutions ensemble, d’autant qu’elles relèvent tant des entreprises que des pouvoirs publics. La première consiste à ne pas bloquer la modernisation des entreprises du secteur, essentielle à leur développement et aux investissements. On ne peut que saluer, de ce point de vue, le projet relatif à la 5G élaboré par Orange, Alcatel-Lucent et Thalès, et sur le point d’être proposé à la Commission européenne : il faut que les acteurs des télécommunications réinvestissent dans l’innovation, ce qui fut leur principale lacune au cours des années 2000, alors qu’ils avaient grandement animé le marché de l’innovation dans les années 1990. Les opérateurs doivent innover, notamment sur les terminaux et la 5G. La deuxième action à encourager consiste, pour les opérateurs, à parvenir à expliquer aux consommateurs qu’une offre correspond à un prix et à un certain niveau de qualité de service. Depuis 2010, l’ARCEP a tenté d’engager les opérateurs sur cette voie, avec un succès limité. À force de considérer que la question de la qualité de service était secondaire, les opérateurs ont commis une erreur – sans doute n’avons-nous pas été suffisamment efficaces – et ont laissé un champ extraordinairement libre aux offres à bas prix puisque les consommateurs n’avaient que cet indicateur. Les opérateurs auraient dû, comme dans tous les autres secteurs, mettre l’accent sur la qualité. Nous avons repris ce travail avec eux depuis 2013 et ils semblent avoir saisi combien ce point est important. À ce titre, je vous informe que l’ARCEP publiera, dès la semaine prochaine, le résultat de son enquête annuelle sur la qualité de service, qui montrera des différences importantes sur la qualité de service entre les opérateurs mobiles. À mon sens, cela incitera ceux qui investissent dans la qualité à continuer à le faire et ceux qui ne le font pas suffisamment à s’y mettre. La troisième action que je suggère est de favoriser autant que possible la mutualisation. Nous l’avons fait massivement sur la fibre optique puisque, vous le savez, le cadre défini par l’ARCEP vise à mutualiser 90 % des investissements avec, sauf dans les zones denses, soit un réseau unique privé lorsque c’est rentable, soit un réseau unique public dans les zones moins rentables. Le régulateur a également innové sur la 4G puisque nous avons encouragé la mutualisation dans les zones les moins denses. Bouygues Telecom et SFR ont d’ailleurs signé un accord de mutualisation. Les accords de mutualisation dans les zones les moins denses sont souhaitables : ils réduisent la dépense et permettent d’améliorer l’efficacité des opérateurs économiques. Enfin, la quatrième action consiste à réorganiser le secteur vers plus de concentration. De même qu’il était utile en 2008-2009 de faire entrer un quatrième opérateur pour réanimer un marché mobile congelé, stérilisé et inerte, de même aujourd’hui, on peut envisager, comme je l’ai dit au forum « télécoms » organisé par Les Échos la semaine dernière, que le marché se reconcentre raisonnablement. D’ailleurs, cette concentration est en marche puisqu’il y a un projet de rapprochement entre Numericable et SFR, examiné par l’Autorité de la concurrence. Il pourrait y avoir d’autres opérations de concentration, qui concerneront forcément, si elles ont lieu, l’opérateur le moins important du secteur – Bouygues Telecom. Nous devons néanmoins respecter le choix de l’entreprise de demeurer pour l’heure indépendant, en investissant afin d’essayer de redresser l’entreprise. Monsieur le président, j’en ai terminé avec mon propos liminaire et serai ravi de répondre aux questions des parlementaires.

M. le président François Brottes. Une trentaine d’intervenants vont s’exprimer, ne vous inquiétez pas, les questions arrivent ! Avant de laisser la parole à mes collègues, j’aimerais dire deux choses. D’abord, vous serez peut-être interrogé sur La Poste, puisque l’ARCEP régule également le secteur postal. Ensuite, il me semble juste de rappeler qu’en France, la concurrence dans le secteur des télécommunications est historiquement fondée sur le modèle de la concurrence par les infrastructures. Or, lorsque les licences ont été accordées, le modèle économique appelait de la stabilité et des rentrées d’argent pour investir au fil de l’eau, ce qui peut expliquer certains comportements à certaines époques. Si seuls des MVNO étaient en concurrence, le schéma ne serait pas le même, mais dans la mesure où l’investissement est très lourd pour construire les pylônes et déployer la fibre, il est indispensable que les opérateurs aient de la visibilité.

M. Jean-Ludovic Silicani, président de l’ARCEP. Je suis bien évidemment d’accord avec vous sur ce point.

Mme Corinne Erhel. Monsieur le président Silicani, chacune de vos auditions devant la commission des affaires économiques est l’occasion de souligner un nouveau rebondissement au sein du marché des télécoms. Parmi les derniers épisodes en date, on notera le rapprochement entre SFR et Numericable, d’autres rapprochements possibles et les annonces de 1 516 suppressions de postes chez Bouygues Telecom, soit plus de 17 % des effectifs. Certes, l’arrivée d’un quatrième opérateur sur le marché mobile aura produit un effet très bénéfique pour le consommateur, entraîné une simplification des offres et fait évoluer les modèles économiques. Néanmoins, avec du recul, tiendriez-vous aujourd’hui les mêmes propos qu’en 2013, lorsque vous déclariez devant cette même commission qu’« en 2012, l’arrivée d’un quatrième opérateur n’a pas occasionné d’effets trop perturbants sur le secteur. » Certes vous appeliez à être vigilants en 2013 et en 2014. Mais à la fin du mois de mars 2013, vous aviez noté, dans une lettre d’information de l’ARCEP, que le marché des télécommunications était « solide ». Aujourd’hui, force est de constater que tous les acteurs, qu’il s’agisse d’opérateurs, d’équipementiers de toute taille, de PME ou de distributeurs, connaissent des difficultés indéniables qui les poussent à se réorganiser voire, pour certains, à supprimer des emplois. Pensez-vous, avez du recul, que le maximum a été fait pour accompagner les acteurs suite à la décision d’attribution d’une quatrième licence, et pour préparer cette transition. Pensez-vous que les bouleversements des modèles économiques qu’a connus ce secteur ont été suffisamment anticipés ? D’après vous, les pouvoirs publics et l’autorité de régulation ont-ils été suffisamment vigilants sur ces points ? À titre d’exemple, j’ai rencontré la semaine dernière une PME dont les représentants m’ont confié que certains opérateurs conditionnaient l’obtention d’un marché à des réductions de prix de l’ordre de 40 % ! Nous avions déjà formulé ce constat avec Laure de La Raudière dans le rapport d’information remis l’an dernier et consacré à l’impact de la régulation des télécoms sur le secteur. Que faire face à cette situation ? Par ailleurs, qu’en est-il de la publication de l’observatoire des investissements ? Vous aviez indiqué, devant cette commission, qu’il y aurait des publications régulières et une présentation des résultats devant le Parlement. Où en est-on ? Vous avez mentionné l’observatoire de la qualité de service, et je vous rappelle mon attachement à ce sujet. Enfin, il s’agit de mes dernières questions, quel est selon vous l’impact du rapprochement entre SFR et Numericable et des annonces de Bouygues Telecom sur le plan de déploiement du très haut débit fixe, en particulier s’agissant de la fibre optique ? Quel serait l’impact d’autres possibles rapprochements entre opérateurs ? Il s’agit d’un point essentiel, alors que le déploiement du très haut débit constitue un enjeu essentiel de compétitivité et d’aménagement du territoire. Sommes-nous, ou pas, au rendez-vous ?

Mme Laure de La Raudière. Monsieur le président, pensez-vous que les suppressions d’emplois annoncées ces jours-ci auraient pu être évitées sans l’arrivée d’un quatrième opérateur sur le marché mobile, et que le marché aurait pu être aussi dynamique qu’actuellement ? À vous entendre, j’ai l’impression que ce n’est pas le cas, et que la situation très douloureuse que nous vivons aujourd’hui est nécessaire pour redynamiser le marché. L’innovation apportée par un nouvel entrant – on le voit dans l’économie numérique comme dans d’autres domaines – provoque d’abord le marché avant de recréer de la valeur. Or, actuellement, il semble que l’on se situe dans une phase de destruction de valeur. J’aimerais connaître votre point de vue sur cette question.

Par ailleurs, je pense que l’offre est assez monolithique en France, parce que le consommateur n’a pas conscience de la qualité des services qu’il achète : pour lui, finalement, d’un opérateur à l’autre, c’est pareil. Mise à part la qualité de couverture, les consommateurs ne perçoivent pas la qualité de service. L’observatoire de la qualité de service que vous allez créer sera-t-il suffisamment précis pour permettre aux opérateurs de réellement différencier leur offre, en créant des offres de 10 à 15 % plus chères, par exemple, avec une qualité de service supérieure, et de reconstituer des marges au regard de l’investissement réellement apporté par chacun d’eux sur son réseau ?

Enfin, je rejoins Corinne Erhel sur ce point, la reconfiguration du panorama des opérateurs des télécommunications ne nécessite-t-elle pas de réviser les zones d’appel à manifestations d’intentions d’investissement (AMII) ? Bouygues Télécom annonce 1 516 suppressions d’emplois et sa volonté d’amorcer une guerre des prix sur le fixe très haut débit. SFR est racheté par Numericable. Dans le même temps, la capacité des opérateurs à assumer leurs engagements en matière de co-investissement sur les zones AMII risque d’être mise à mal. Ne devrions-nous pas nous interroger sur la pertinence du modèle actuelle et envisager de réduire le nombre de zones AMII au profit d’une intervention des collectivités territoriales ? Il est en effet à craindre que les territoires les moins denses de certaines zones AMII ne voient jamais la fibre optique ! Nous ne devons pas être attentistes car il ne serait pas supportable que les zones les plus rurales, prises en charge par les collectivités locales, bénéficient du déploiement, alors que des zones moyennement denses en restent au haut débit actuel, de deux à six mégabits (Mb).

M. François Sauvadet. Le secteur est en pleine croissance, et de nombreuses évolutions technologiques restent à venir, avec des usages dans tous les domaines. La lutte contre la fracture territoriale en devient d’autant plus impérative, car au fur et à mesure des avancées technologiques, elle se fait de plus en plus durement ressentir.

Je voudrais vous interroger sur la quête effrénée de la baisse des marges, qui met en danger la capacité d’investissement et le déploiement des réseaux dans les zones rurales les plus fragiles, là où la population est la moins dense, et où les services sont plus attendus qu’ailleurs, en matière de santé, de déploiement, etc. Les déploiements sont gelés dans des zones AMII entières, et tant que les appels à manifestations d’intentions d’investissement ne sont pas levés, on ne sait pas ce que ces secteurs vont devenir. Nous avons signé des conventions avec les opérateurs mais les engagements des opérateurs seront-ils tenus ? Vous avez évoqué la 5G. Je suis très heureux des progrès de la technologie : vivement la 6, la 8, la 10, la 15, la 20G ! Mais on attend toujours le déploiement de la 3G. Comment allez-vous faire respecter les engagements des opérateurs ?

Vous parlez de la mutualisation comme facteur d’accroissement des investissements. De grands opérateurs ont fait baisser les prix, ce dont tout le monde se réjouit, encore que ce ne soit pas mon cas – je me souviens que Free avait pris également des engagements de déploiement. Quels sont les moyens de coercition dont vous disposez à l’égard des opérateurs qui manquent à leurs engagements ?

S’agissant du déploiement de la fibre, je vous ai adressé un courrier il y a quelque temps et vous remercie par avance de votre réponse. Je m’interroge notamment sur la compatibilité entre les projets de déploiements de la fibre et les déploiements de réseau Worldwide Interoperability for Microwave Access (WiMAX), qui ont souvent fait l’objet de délégations de service public. En effet, comme cette dernière solution, n’est pas satisfaisante, les nouveaux réseaux fibre vont parfois flirter avec les réseaux WiMAX : comment régler ce problème ?

Mme Michèle Bonneton. Je souhaiterais vous poser quelques questions sur La Poste et sur le numérique. L’activité de la branche courrier de La Poste continue de diminuer. De ce fait, on parle beaucoup de nouvelles missions qui seraient confiées aux facteurs : par exemple le portage de petits colis, de courses, de médicaments, et des missions en matière d’assistance aux personnes âgées isolées comme la collecte d’informations, ou des relevés pour des constats d’assurances. Cela pose la question de la responsabilité des facteurs : jusqu’où peut-on aller dans cette délégation de responsabilités ?

Du fait de cette diminution des activités de la branche courrier, La Poste annonce des augmentations de services. Jusqu’où les autoriserez-vous et dans quels secteurs en particulier ?

Dans le même temps, la branche bancaire de La Poste fonctionne plutôt bien. Elle paraît appelée à connaître un important développement. Quel type de banque va se développer ? Cette banque va-t-elle s’adresser en priorité aux personnes les plus délaissées de notre société ? À qui prêtera-t-elle ? Depuis quelque temps, elle prête aux collectivités territoriales. Ces prêts seront-ils également accessibles à d’autres acteurs ? Où sera-t-elle présente ? S’appuiera-t-elle sur le formidable réseau de bureaux de poste qui émaille la France entière, ou bien ces services ne seront-ils présents que dans les plus gros bureaux de poste, où les rendez-vous sont souvent difficiles à obtenir – ce qui est plutôt ce que l’on constate à l’heure actuelle. Cela pose aussi la question des Maisons de services au public (MSP), qui devraient être de plus en plus nombreuses sur le territoire, particulièrement dans les zones où ces services se sont raréfiés. Quelle implication de La Poste peut-on envisager dans ce type de maisons ?

En ce qui concerne le numérique, les opérateurs respectent-ils les cahiers des charges quant à la couverture 3G ? J’en viens à présent à l’accès à l’Internet à très haut débit, qui est un véritable enjeu pour nos territoires, aussi bien pour les entreprises que pour les agriculteurs en zone peu dense. Le déploiement de la fibre semble quelque peu piétiner. Il a été annoncé que, dans les zones les moins denses, la couverture par le très haut débit devrait être assurée par les collectivités territoriales, et donc financée par l’impôt. On prévoit des délais trop longs, voire inquiétants – une dizaine d’années ! Savez-vous à quels montants s’élèveraient ces investissements ? Ne pensez-vous pas que les opérateurs devraient en assurer au moins une partie, dans la mesure où les collectivités territoriales auront de plus en plus de difficultés à assurer de nouveaux investissements ? Enfin, vous avez aussi évoqué les baisses d’emplois. Pourriez-vous nous dire quels sont les types d’emplois les plus touchés et les raisons de cette diminution ? S’agit-il de transferts d’emplois ou de suppressions sèches ?

M. le président François Brottes. Pour rappel, Mme Bonneton est rapporteure pour avis du budget de La Poste, et l’ARCEP ne régule que le secteur du colis et du courrier, et non le secteur bancaire.

M. Joël Giraud. D’après les textes, l’ARCEP a pour mission de prendre en compte l’intérêt des territoires et des utilisateurs dans l’accès aux services et aux équipements. Or à l’heure du déploiement de la 4G, force est de constater que la 3G n’a pas été déployée partout et qu’il existe bien des zones blanches dans les territoires ruraux et de montagne alors que, paradoxalement, les services numériques au public se développent justement sur ces territoires éloignés des administrations. Cela rejoint, je crois, certaines de vos préoccupations, comme en témoignent des enquêtes administratives que vous avez ouvertes récemment. Ces enquêtes arrivent un peu tard. Certes, l’ARCEP a retrouvé son pouvoir de sanction, et c’est une bonne chose. Mais comment avez-vous entre-temps assuré votre mission en termes d’accessibilité et d’égalité des territoires ? Quels étaient vos outils pour veiller au bon déploiement de la 3G ? Maintenant que ces enquêtes sont ouvertes, comment procédez-vous sur le terrain ? Comment ces enquêtes permettront, ou non, d’accélérer les services des opérateurs sur les territoires ruraux et dans quels délais, au-delà des accords de mutualisation que vous avez signalés tout à l’heure ? Quelle utilisation de votre pouvoir de sanction dans cette affaire ?

En outre, quel regard portez-vous sur ces années de dérégulation du système ? Je crois que lorsqu’on crée un pôle public – ou quasi-public – fort, avec la présence d’une concurrence et d’un gendarme fort qui assure une régulation et dispose d’un pouvoir de sanction, on arrive à un certain équilibre. Certes, les entreprises de réseau ne sont pas toutes comparables – par exemple dans le ferroviaire et les télécoms. Mais j’ai l’impression qu’on est à la limite entre le pouvoir de régulation et la quasi-gestion du secteur : les autorités se retrouvent face à une multiplicité d’acteurs et dès le départ, la règle du jeu est faussée car l’opérateur historique devra se contenter in fine de moins de 30 % du marché.

Enfin, permettez-moi d’évoquer un sujet qui concerne davantage un texte en cours d’examen à la commission du développement durable – à savoir la nomination d’un commissaire du Gouvernement auprès de l’ARCEP. On peut faire un parallèle avec l’ARAF et le projet de réforme ferroviaire. Lorsqu’il a été question de nommer un commissaire du Gouvernement à l’ARCEP, Bruxelles avait menacé Paris d’une procédure d’infraction à la législation européenne au motif que l’État détenait Orange à 27 %. Quel est votre avis sur la présence d’un commissaire du Gouvernement dans une autorité de régulation du secteur ferroviaire, compte tenu de votre expérience au sein de l’autorité que vous présidez ?

M. le président François Brottes. Cela me rappelle des souvenirs de passe d’armes avec M. le ministre Éric Besson, dont vous devez également vous souvenir, monsieur le président !

M. Jean-Ludovic Silicani, président de l’ARCEP. La question du déploiement des réseaux mobiles 3G revient dans toutes vos interventions. Lors de mon audition avant ma nomination, en mai 2009, les parlementaires de tous les groupes avaient appelé mon attention sur ce sujet, en indiquant qu’ils attendaient du futur président de l’ARCEP qu’il soit sévère sur le déploiement des réseaux mobiles 3G.

L’une des premières décisions qui a été prise quelques semaines après mon arrivée à l’ARCEP a été d’engager une procédure de mise en demeure des opérateurs de réseaux mobiles Orange et SFR qui avaient deux à trois ans de retard sur le déploiement prévu. Cette mise en demeure a conduit à un plan de rattrapage comprenant des investissements massifs de la part de ces entreprises. SFR termine actuellement ce plan, et nous vérifions que les objectifs ont été atteints. Les opérateurs ont donc accéléré à nouveau leurs investissements. Sinon, nous aurions appliqué des sanctions financières très lourdes. Je crois que nous avons été très réactifs sur ce point.

De plus, nous avons lancé plusieurs enquêtes administratives : SFR a une obligation de couverture du territoire en 3G de 99,3 %, et Orange de 99 %. Il n’y a, dans aucun pays au monde, des taux de couverture aussi importants. Il reste des zones blanches, parfaitement identifiées, qui sont l’objet de l’une des enquêtes administratives que nous avons lancées. Si vous avez parcouru l’ensemble du territoire avec un appareil de mesure et vérifié qu’il n’y avait pas de couverture quelque part, dites-le nous et nous vérifierons.

M. le président François Brottes. Nous avons également un débat sur la nature des mesures.

M. Jean-Ludovic Silicani, président de l’ARCEP. Les mesures se font de façon identique dans tous les pays d’Europe. La définition de la couverture est indiquée dans les licences des opérateurs, conformément à une convention identique pour tous les opérateurs dans tous les pays du monde. Un territoire est réputé couvert à un endroit donné, extérieur aux bâtiments, sur une zone d’environ 100 mètres de côté, si la communication s’établit dans 95 % des cas pendant au moins une minute. Si deux millions d’euros supplémentaires de budget nous sont alloués, nous ferons des contrôles de couverture bien plus précis que ceux que nous faisons actuellement. Ces contrôles coûtent des sommes astronomiques.

M. Fabrice Verdier. Il faudrait envoyer un questionnaire aux maires, ça ne coûterait pas deux millions d’euros, juste quelques timbres !

M. François Pupponi. Un contrôle moins coûteux, mais moins rigoureux, pourrait passer par l’envoi d’agents de l’ARCEP vérifier la couverture sur place avec leurs téléphones portables. Cela donnerait une tendance, même si elle est contestable. En théorie, nous sommes couverts, mais dans les faits, il suffit parfois de se déplacer de quelques dizaines de mètres pour perdre le signal 3G. Entre la réalité scientifique et le ressenti des utilisateurs, il y a une vraie différence.

M. le président François Brottes. C’est un débat ancien, mais qui perdure.

M. Jean-Ludovic Silicani, président de l’ARCEP. Et il sera permanent. Mes successeurs, dans dix ans, n’apporteront pas de réponse plus satisfaisante. Par exemple, dans le centre de Paris, excellemment couvert, il m’arrive personnellement et fréquemment de ne pas pouvoir passer une communication. Ce n’est alors pas une question de couverture, mais de qualité de service. Je crois qu’il est essentiel de toujours distinguer les deux concepts pour avancer dans ce débat.

Les protocoles internationaux font ce distinguo entre couverture d’un territoire et qualité de service : cette dernière dépend du débit, et s’il est insuffisant, la présence d’une couverture ne changera rien.

Plus précisément, la création d’un réseau passe par des investissements spécifiques de l’opérateur dans trois couches successives : la couche de couverture, la couche de qualité de service, et enfin la couche de capacité : une cellule radio ne peut accueillir un nombre illimité de communications simultanées.

Dans certaines zones, dites blanches, et notamment en montagne, des questions de couverture se posent toujours, je l’admets, et c’est vers celles-ci que nous avons lancé une enquête administrative. Elles concernent 1 % de la population et 15 % du territoire.

M. François Sauvadet. Il convient d’être précis. L’ARCEP avait demandé aux opérateurs de résoudre la question des zones blanches. Dans mon département, suite à ces déclarations, cent pylônes ont été installés, dont cinquante-sept ont été financés par la collectivité. Fin 2013, l’engagement a été pris de tous les munir d’un signal 3G, mais à ce jour, seul un est équipé. Je vous ai écrit à ce sujet, sans obtenir de réponse.

M. Daniel Fasquelle. Monsieur le président, pour le bon déroulement des débats, et dans le respect des règles de notre commission, il convient de respecter l’ordre de discussion et de laisser M. Silicani terminer son intervention, avant de pouvoir prendre la parole à notre tour.

MM. François Pupponi et Henri Jibrayel. Il a raison !

M. Jean-Ludovic Silicani, président de l’ARCEP. Sur la question des zones blanches, la loi est intervenue afin de contraindre les opérateurs à mutualiser leurs réseaux pour assurer une couverture 2G dans ces secteurs peu peuplés. Cela concerne maintenant la 3G. Un accord entre les trois opérateurs présents – avant l’arrivée de Free – est intervenu dans ce sens, mais nous constatons un arrêt de la couverture des zones blanches depuis deux ans, ce que vous avez sans doute ressenti dans vos territoires.

Dans l’intervalle, le Conseil constitutionnel a censuré la disposition législative qui prévoyait le pouvoir de sanction de l’ARCEP. Nous l’avons, depuis, presque récupéré : une ordonnance a été prise, mais le décret d’application n’est pas entré en vigueur. Tant que nous ne pouvons pas sanctionner, nous nous limitons à lancer des enquêtes administratives, notamment en direction des quatre opérateurs mobiles. Nous enquêtons sur pièces, sur place, à la demande, afin de savoir les raisons qui motivent cet arrêt de déploiement de la couverture dans les zones blanches. Si cela est nécessaire, nous mettrons en demeure, puis nous sanctionnerons les opérateurs. Alternativement, nous pouvons mettre en œuvre un pouvoir réglementaire unilatéral afin de les contraindre. Mais notre capacité d’action dépend aussi de la signature et de la publication du décret.

Sur le plan « très haut débit fixe », le montant global des investissements atteint 20 milliards d’euros, un chiffrage convergent entre le Gouvernement, l’ARCEP et la DATAR. Sur ces 20 milliards, deux tiers seront d’origine privée, et le dernier tiers sera financé par des fonds publics : le fonds de péréquation, au niveau national, pour aider les territoires les moins denses, et au niveau local, les collectivités territoriales.

Trois types de zones ont été identifiés : une zone, la plus dense, urbaine, où aucune difficulté de déploiement n’est à signaler, et où il existe même une concurrence sur les infrastructures ; une zone où le déploiement est peu rentable, et suppose l’intervention – volontaire – des collectivités territoriales ; une zone intermédiaire, appelée AMII dans les précédents plans, où le déploiement se fait essentiellement via des fonds privés, car il est rentable.

Cependant, quelles garanties avons-nous, pouvoirs publics, que les opérateurs privés respectent leurs engagements sur les zones AMII ? C’est un vrai sujet, car en matière de réseau fixe, à la différence du réseau mobile où une autorisation administrative est nécessaire, en contrepartie de laquelle les opérateurs ont des obligations juridiques, il n’en existe pas.

Sur les réseaux fixes, le régime juridique est celui de la liberté de déploiement et d’exploitation : aucune autorisation n’est nécessaire, et un opérateur n’a pas d’engagements de nature juridique à tenir. Mais lorsqu’il rend public, parfois à renfort d’une grande campagne de communication nationale et locale, une offre très ambitieuse de déploiement de réseau, je pense que, politiquement, moralement et déontologiquement, c’est bien un engagement qu’il contracte, vis-à-vis du pays, de ses citoyens et de ses élus. C’est une opinion que j’exprime en tant que citoyen, non en tant que président de l’ARCEP.

Mais ne faisons pas de procès d’intention en avance. Le Gouvernement, dans son rôle de régulateur, doit regarder si le déploiement du très haut débit est effectif dans ces zones AMII, dans les délais que les opérateurs ont indiqués. L’ARCEP est très vigilante sur ce point.

Sur le sujet de la fusion entre Numericable et SFR, son impact sur l’équilibre difficilement trouvé sur le déploiement dans les zones AMI a été analysé par la mission « très haut débit » du Gouvernement, avec l’ARCEP et avec l’Autorité de la concurrence. L’ordre de grandeur de cet impact sur les 20 milliards d’euros d’investissements du déploiement du très haut débit est chiffré de 300 à 500 millions d’euros. C’est environ 2 % du total, ce qui n’est pas négligeable sans être non plus exorbitant : ces investissements, qui devaient se faire dans certaines zones, pourraient plutôt être réalisés dans d’autres, plus rapidement, en raison de l’accélération de l’opticalisation du câble.

En effet, à l’issue de la fusion avec Numericable, SFR devrait se concentrer en priorité sur le réseau câblé opticalisé avant de déployer la fibre sous le mode fiber to the home (FTTH), sur lequel il avait pourtant pris des engagements. Cela entraîne d’autres mouvements : Orange pourrait remanier ses choix de déploiement pour ne pas être pris de court dans les zones où SFR et Numericable accélèrent.

Nous suivons cette évolution de près. Le ministre Arnaud Montebourg vous a également confirmé qu’il veillerait à ce que les engagements pris par les opérateurs soient respectés.

Sur la question de l’emploi, il existe une tendance de longue période : l’emploi direct des opérateurs de télécoms baisse. Les entreprises de télécoms sont une industrie, et en cela elles réalisent d’importants gains de productivité. L’enjeu est de pouvoir accroître leur volume d’activités et de se diversifier pour compenser l’effet de ces gains de productivité sur l’emploi.

La tendance était cependant, jusqu’en 2009-2010, avant l’arrivée de Free, d’une baisse annuelle de 3 000 emplois en France – à comparer aux 500 000 emplois détruits aux États-Unis, suite aux concentrations massives du secteur. Entre 2010 et 2012, l’emploi est resté stable, et en 2013, la baisse a repris. Les questions que l’on doit se poser aujourd’hui sont, d’une part, s’il s’agit d’une baisse qui reprend sur un rythme tendanciel, après une stabilisation due à la stratégie d’emploi 2011-2012 de France Télécom, et d’autre part quelle a été l’incidence de l’arrivée de Free sur l’emploi : s’il a créé de l’emploi, la concurrence d’un quatrième opérateur se ressent sur les effectifs des trois autres. On peut avancer que, sans l’arrivée de Free, la baisse de l’emploi aurait de toute manière eu lieu, mais sans la baisse des prix que l’on a observée.

Le bilan est finalement plus politique que technique, et il a été tiré par le Gouvernement fin 2008 : l’arrivée du quatrième opérateur était nécessaire pour débloquer le caractère oligopolistique du secteur, et la rente qui en découlait.

M. Daniel Fasquelle. Je relaye les inquiétudes de mes collègues sur les zones blanches, encore bien trop nombreuses, et sur le déploiement du très haut débit.

Je voudrais également vous interroger sur l’approche européenne du secteur : quels liens avez-vous avec les autorités de régulation des pays du marché unique, et n’aurait-on pas intérêt à faire émerger un champion européen, à l’heure de la mondialisation ? Le dossier Alstom montre les entreprises françaises peuvent être en danger si elles restent seules, qu’en pensez-vous ?

En matière d’innovation, la solution n’est-elle pas européenne ? L’Europe était en avance sur la 3G, mais était en retard sur la 4G, et a décroché sur la 5G, déjà déployée dans certains pays. Des champions européens auraient peut-être la capacité d’investissement suffisante pour combler le retard des entreprises françaises, y compris en termes de maillage du territoire.

Mme Annick Le Loch. Nous évoquions souvent, jusqu’à présent, la guerre des prix dans l’alimentaire, avec des risques sous-jacents sur l’emploi et sur l’ensemble de l’économie, certains parlant même de déflation. Aujourd’hui, la guerre des prix touche le secteur des télécoms.

Il est de votre ressort, en tant qu’autorité de régulation du secteur, de veiller à ce que tous les opérateurs respectent leurs obligations de couverture du territoire national. Si la 4G semble se déployer à grande vitesse dans les zones denses, comme vous l’évoquiez – et cette rapidité peut poser problème : on observe des effets sur la réception de la TNT, notamment –, il importe que ce déploiement soit effectif dans les zones moins denses : où en est-on du déploiement de la 4G et comment l’ARCEP intervient-elle en faveur des zones défavorisées ?

Le consommateur, par ailleurs, semble perdu dans la nébuleuse des tarifs des communications électroniques : numéros spéciaux, verts, surtaxés, indigos… Il ne sait pas comment passer outre les frais supplémentaires, voire les frais qui ne rémunèrent même pas la fourniture d’un service à valeur ajoutée – numéros d’accès payants à une clinique, par exemple. Comment la décision de l’ARCEP du 1er juillet 2012, qui prévoit une baisse des tarifs spéciaux au 1er janvier 2015, va-t-elle se concrétiser ?

M. Philippe Armand Martin. Monsieur le président, vous avez indiqué avoir ouvert cinq enquêtes administratives à l’encontre des opérateurs relatives au déploiement des réseaux mobiles et à la qualité des réseaux fixes des opérateurs. Pouvez-vous nous indiquer les premières conclusions de ces enquêtes ? Pouvez-vous également nous indiquer si les opérateurs sont pleinement transparents dans la transmission des informations dont ils disposent. Par ailleurs au 31 mars, 77 millions de cartes SIM étaient en service en France, ce qui représente un taux de pénétration de 117,9 % de la population. Pouvez-vous nous donner des éléments de comparaison avec nos partenaires européens ainsi qu’avec les principales puissances mondiales ? Enfin une question sur la fracture numérique qui pourrait être renforcée par le déploiement de la fibre optique alors même qu’il demeure des zones blanches : ne pensez-vous pas que la fibre va accentuer les inégalités entre les territoires qui pourront en disposer et les autres ?

Mme Jacqueline Maquet. Je ferai les mêmes remarques que mes collègues concernant les zones blanches. En complément de la question déjà posée par notre collègue Annick Le Loch sur la tarification des numéros courts et spéciaux, vous aviez annoncé sa mise en œuvre au 1er janvier 2015. Pourquoi cette tarification vient-elle d’être repoussée de neuf mois ? Enfin pouvez-vous nous faire un point sur l’avancée de l’installation du très haut débit sur nos territoires et sur les installations de fibre optique ?

M. Jean-Claude Mathis. Par une décision datant du 11 juin dernier, le Conseil d’État a rejeté les trois recours formés par deux opérateurs de radiodiffusion et également un multiplex contre la décision de l’ARCEP portant sur la régulation du marché de gros de la diffusion de la TNT. Le Conseil d’État confirme la possibilité pour l’ARCEP d’intervenir en régulation sur ce marché en raison des obstacles au développement d’une concurrence effective qui s’y manifeste et valide les remèdes techniques et tarifaires imposés par l’opérateur puissant qu’est TéléDiffusion de France (TDF). Cette décision vous semble-t-elle de nature à vous donner une nouvelle légitimité pour poursuivre votre action dans de bonnes conditions?

Mme Frédérique Massat. Je veux vous interroger sur les zones de montagne qui ne sont pas denses par définition. J’ai cru comprendre, à travers vos propos, qu’il semble établi que les zones denses donc rentables sont équipées par les opérateurs privés tandis que les zones non rentables doivent l’être par les pouvoirs publics et en particulier les collectivités locales. C’est donc la double peine pour ces territoires car l’usager paye non seulement le service mais également les infrastructures à travers les impôts locaux. Le fait que cette conception apparaisse banale m’inquiète et il me semble nécessaire de modifier cet état d’esprit. Par ailleurs, s’agissant du contrat d’itinérance liant Orange et Free, le Président de l’Autorité de la concurrence, Bruno Lasserre, a regretté que rien n’ait été fait depuis l’avis rendu en 2013, qui préconisait l’extinction progressive de l’itinérance. Je cite ses propos : « on aurait pu prendre aux mots Free et demander la mise en extinction progressive par plaques dans les régions réputées couvertes ». C’est un travail de régulation donc monsieur le régulateur, où en êtes-vous sur ce dossier ?

M. Éric Straumann. Je suis sollicité dans ma permanence par des clients d’opérateurs qui ont des factures « data » à l’étranger très élevées. Si l’on oublie de couper la fonction 3G de son portable en passant la frontière, la facture peut atteindre plusieurs centaines d’euros. Comment peut-on lutter contre ces factures abusives et qui contrastent avec des forfaits à deux euros ?

M. François Pupponi. Je cumule deux handicaps au regard des télécoms. Celui d’être un élu de la banlieue parisienne et d’être originaire d’un petit village de montagne corse. Pour l’anecdote, lors d’un récent voyage en Corse, j’ai constaté qu’il fallait plus de 23 heures pour télécharger un film…

M. Jean-Ludovic Silicani, président de l’ARCEP. Vous avez de la chance d’avoir internet. Dans mon village familial en Corse, je n’ai même pas de réseau du tout…

M. François Pupponi. La situation en banlieue n’est guère meilleure. L’opérateur Free a annoncé son intention d’investir 4,5 millions d’euros pour déployer la fibre optique dans mon département. Pourtant, tout est à l’arrêt. Du coup à Sarcelles, qui se situe à vingt kilomètres de Paris, la fibre est déployée mais il est impossible de s’y connecter pour des raisons difficilement compréhensibles de mauvaise coordination entre opérateurs notamment. Je ne comprends pas les critères de classement des zones de dessertes car la ville voisine de Sarcelles dispose bien de la fibre optique. Il y a une forme d’opacité dans le classement des zones qui n’est pas acceptable. Nous n’aurions donc pas le droit au déploiement du réseau à très haut débit car nous ne pourrions pas bénéficier du système d’accord entre opérateurs. Ce système ne fonctionne pas. Qu’en pensez-vous monsieur le président ?

M. Alain Suguenot. Je ne vais pas vous interroger sur les résultats des enquêtes administratives que vous venez de diligenter. En revanche, pouvez-vous nous exposer le contenu des travaux de l’observatoire des investissements ? Je souhaite par ailleurs revenir sur les zones blanches et les zones AMII. Certains opérateurs ont fortement communiqué sur leur volonté d’équiper les territoires et pourtant il semble que les opérations de déploiement soient aujourd’hui à l’arrêt. La perte de votre pouvoir de sanction suite à la question prioritaire de constitutionnalité vous a sans doute bloqué pendant quelque temps, avec des effets négatifs sur le terrain. Il est donc urgent de vérifier que les investissements sont effectifs. Il est vrai que l’ARCEP ne dispose pas d’outil juridique pour contraindre les déploiements dans les zones AMII mais il est nécessaire de dénoncer ce petit scandale qui est en train de poindre à l’horizon.

Mme Marie-Lou Marcel. Vous avez annoncé le 27 mai et confirmé aujourd’hui l’ouverture de cinq enquêtes administratives relatives au déploiement des réseaux mobiles et à la qualité des services fixes sur les principaux opérateurs français. Concernant Free et SFR, vous souhaitez mesurer leur réseau 3G et vous assurer qu’ils se donnent bien les moyens de leurs ambitions en matière de couverture réseaux. Vous souhaitez également étudier le « déploiement de la 3G en zone rurale », cela a été maintes fois évoqué et je réitère cette demande de mes collègues. Bouygues, SFR et Orange n’ont réalisé que 25 % du programme pour lequel ils s’étaient engagés en 2010 et qui visait à couvrir les zones blanches d’ici fin 2013. Enfin vous souhaitez vérifier pour Orange « la qualité de service des offres régulées destinées au marché entreprise » et la « qualité du service universel », suite au constat d’une « baisse significative de la qualité de service des offres destinées au marché entreprise » que le prestataire attribue à des « événements climatiques hors normes » tels qu’inondations et épisodes orageux. La seconde enquête concerne la « composante de raccordement et de service téléphonique » pour laquelle il s’avérerait qu’Orange utiliserait des indicateurs de qualité de service qui ne sont pas « conformes aux objectifs qui s’imposent » à lui. Pouvez-vous nous dire comment ces enquêtes sont effectuées et surtout quelles sanctions vous pourriez être amenés à prendre, notamment en ce qui concerne le non-respect des engagements des opérateurs en matière d’accessibilité à la 3G en zone rurale, puisque vous avez évoqué tout à l’heure les mises en demeure datant de 2009 restées sans suite alors même que l’ordonnance du 12 mars dernier vous a restitué ce pouvoir de sanction ?

M. Lionel Tardy. Je vous prie de bien vouloir excuser mon absence pendant une partie de votre intervention car je défends parallèlement à cette réunion des amendements concernant le secteur du numérique devant la Commission des lois. Ma première question concerne le pouvoir de sanction de l’ARCEP, rétabli par ordonnance le 12 mars dernier. Pourquoi, dans un communiqué du 27 mai, avez-vous affirmé que faute de décret d’application, sa mise en œuvre n’était pas possible ? Avez-vous des informations sur le calendrier de parution de ce décret ? Quelles sont vos difficultés sans ce pouvoir de sanction ? Y-a-t-il eu des retards pour l’ouverture des enquêtes ? Ma deuxième question concerne vos relations avec M. Arnaud Montebourg à la suite de ses propos virulents à l’égard de l’ARCEP, que je n’ai pas trouvé très sains de la part d’un membre du Gouvernement. Un climat de confiance se doit d’exister entre un ministre et une autorité administrative indépendante. Avez-vous pu en discuter avec lui et avez-vous des informations sur une réforme de l’ARCEP qu’il a évoquée, à moins que ce ne soit juste des propos à l’emporte-pièce ?

M. Fabrice Verdier. J’ai le sentiment d’un écart entre les publications de l’ARCEP et le vécu des usagers. Sur la qualité de service, j’ai un exemple à vous fournir, celui de l’indice de réparation des infrastructures à la charge des opérateurs, publié par l’ARCEP trois mois après l’année écoulée. Ainsi, si une infrastructure dégradée est signalée en janvier, l’ARCEP ne pourra intervenir au titre de ses opérations de contrôle des obligations des opérateurs qu’à l’issue du mois de mars de l’année suivante. Ne faut-il pas revoir cette méthode ? Ma deuxième question concerne les zones blanches, aussi bien en fixe qu’en téléphonie mobile mais là encore, les chiffres que vous publiez sont vécus presque comme une provocation par ceux qui vérifient sur votre site internet que leur commune est bien couverte. Vous évoquez un chiffre de 0,18 % de la population qui ne serait pas couverte par la téléphonie mobile. Je vous propose de mettre à votre disposition une partie de ma réserve parlementaire pour que l’on puisse faire un test sur ma circonscription. S’il ne vous manque que deux millions d’euros pour améliorer vos enquêtes et vos analyses au niveau national soit 30 centimes d’euros par habitant, je vous propose de vous donner 30 000 euros pour mener votre enquête d’accessibilité sur ma circonscription comptant 100 000 habitants. Vous verrez que vos critères ne sont pas acceptables et qu’il faut les revoir. 20 à 25 % des habitants de ma circonscription n’ont pas accès à la 2G alors évoquer la 5G est perçu comme une provocation. Je pense que ce problème se retrouve chez nombre de mes collègues. Si c’est un problème de financement, nous ferons un test et vous serez surpris par les résultats.

M. Jean-Ludovic Silicani, président de l’ARCEP. C’est bien noté.

Mme Fanny Dombre Coste. Je suis élue d’une circonscription péri-urbaine de la périphérie de Montpellier, où existent de nombreuses zones blanches. On constate quotidiennement la nécessité, voire l’urgence, d’accélérer les équipements en matière d’infrastructures pour accompagner nos entreprises, nos PME et TPE à s’engager sur le chemin de la croissance et du développement. Or, si vous avez exprimé le fait que les opérateurs, à votre demande, ont amélioré les choses dans les zones non couvertes et ont rattrapé leur retard, nous ne le voyons pas sur les territoires. Free mobile n’est pas encore libéré de son obligation de s’assurer que 75 % de notre territoire soit couvert d’ici l’année prochaine. Vous avez tout de même la possibilité, à travers les enquêtes que vous diligentez, de mettre en demeure les entreprises récalcitrantes et d’aller plus loin vers les sanctions. Parmi les quatre actions que vous souhaitez mettre en œuvre, il y a celle visant à favoriser la mutualisation des installations des opérateurs. Plutôt que de favoriser, pourquoi ne pas imposer cette mutualisation ? En un mot, puisque vous êtes le président d’une agence de régulation, et bien alors régulez !

Mme Marie-Noëlle Battistel. Alors que la 4G peine à se diffuser en France, la Corée du Sud prépare l’installation de la 5G, mille fois plus rapide, pour l’horizon 2020. Comme l’a détaillé ma collègue Marie-Lou Marcel, la France se caractérise par la défaillance dans la couverture du territoire et particulièrement dans les zones de montagne fortement défavorisés. Cette situation crée des inégalités entre les Français alors que l’accès aux moyens de communication doit être le même pour tous. L’ARCEP est à même de contraindre les opérateurs à l’investissement, mais on note une grande défaillance dans la surveillance des engagements des opérateurs de téléphonie mobile. Vous avez indiqué tout l’heure, monsieur le président, que vous n’aviez pas du tout eu accès à internet ni au téléphone pendant vos vacances en Corse, et bien cette situation nous la vivons au quotidien et elle n’est pas satisfaisante. Faites-vous le constat que l’arrivée de Free a eu pour conséquence de freiner les investissements dans le secteur du fait de la fragilisation économique des opérateurs historiques ne leur permettant plus d’améliorer la couverture du réseau ? Enfin, une question sur les conséquences outre-mer de la fusion entre SFR et Numericable et sur la concentration extrême qu’elle entraîne, à La Réunion notamment. Il ne resterait plus que deux opérateurs avec SFR-Numericable concentrant 66 % du marché et Orange avec 33 %.

M. le président François Brottes. Merci pour cette deuxième question, chère collègue, qui aurait pu être posée par Mme Ericka Bareigts.

M. Henri Jibrayel. Tout d’abord je soutiens parfaitement M. Verdier et j’ai bien conscience que ma question pourrait paraître osée à cet égard. Je souhaite vous interroger sur les compétences de l’ARCEP en matière d’implantation des antennes relais. C’est un problème récurrent. À Marseille, je reçois souvent des collectifs d’habitants se plaignant de l’installation d’antennes relais près des écoles. Or, il n’y a pas de régulation en ce domaine. À Paris, il existe une charte rédigée par l’équipe de Bertrand Delanoë mais ce n’est pas le cas à Marseille. Donc quelles sont vos marges de manœuvre en matière de régulation de l’implantation des antennes ? Aujourd’hui, on se contente de maquiller les antennes relais mais cela ne pose pas moins des problèmes de nuisance pas seulement esthétiques et environnementales mais également dans le domaine de la santé. Je pense bien entendu à l’appel de Fribourg ou au rapport de l’Université de Chicago. Quel est votre rôle pour freiner le développement de ces antennes ?

M. Jean-Ludovic Silicani, président de l’ARCEP. Je reviens tout d’abord sur les questions qui m’ont été posées concernant La Poste. Notre compétence ne concerne pas les activités de La Banque postale et sont par ailleurs limitées à celles qui relèvent du service universel, à savoir le courrier et les petits colis. La Poste est confrontée à un bouleversement de son modèle économique qui se traduit par une chute massive du courrier et qui pose la question de son existence même. Nous devons donc tous, régulateur, Gouvernement, Parlement et La Poste elle-même, aider celle-ci à trouver un nouveau modèle économique pour faire face à cette situation qui n’est d’ailleurs pas spécifique à la France.

Pour revenir aux télécoms, je débuterai par la question de la dimension européenne, qui est effectivement importante mais dont l’appréhension est souvent source de confusions que je vais tenter de dissiper. Il y a en fait trois questions, celle de la taille des opérateurs européens, celle de l’harmonisation des marchés en Europe et celle d’un éventuel régulateur européen. En ce qui concerne tout d’abord la taille des quatre grands acteurs européens que sont Vodaphone, Orange, Telephonica et Deutsche Telekom, ils ont davantage d’abonnés que les grands acteurs américains Verizon et AT&T. Ils sont en revanche en deçà pour ce qui concerne le chiffre d’affaires en raison d’un revenu plus faible par abonné. L’ordre de grandeur n’est toutefois pas très différent entre les quatre grands opérateurs européens et les américains. En ce qui concerne les parts de marché sur le mobile, les quatre européens regroupent environ 70 % des abonnés européens alors que les quatre américains, sans doute bientôt trois en raison d’un projet de fusion, représentent quant à eux 90 %. Il y a donc un plus fort taux de concentration aux États-Unis même si les différences ne sont pas considérables. Les grands acteurs européens restent largement nationaux. S’ils devaient se développer et devenir transnationaux, il faut bien prendre conscience que nous n’aurions plus le choix en France qu’entre ces quatre opérateurs, dont un seul est français, et que les autres opérateurs français seraient appelés à disparaitre.

Dans l’hypothèse d’un marché européen intégré, la présence d’un régulateur européen apparait nécessaire mais l’on peut se demander si les États verraient d’un bon œil l’arrivée de ce régulateur européen indépendant. Je suis assez réservé sur ce sujet. Il faut pour autant poursuivre l’harmonisation du marché européen pour supprimer les différences significatives entre les différents marchés. Pour répondre à la question sur les factures d’un montant astronomique à l’étranger, la raison en est qu’il existe des règles de facturation entre opérateurs et que l’itinérance internationale demeure à un prix élevé. Il existe encore des frontières en matière de téléphonie mobile et il serait souhaitable qu’elles se réduisent progressivement.

Les services à valeur ajoutée (SVA) constituent un sujet important qui concerne aussi bien l’accès à des services publics qu’à des offres commerciales. Ce secteur connaissait un grand désordre et des abus considérables et nous avons souhaité remettre les choses en ordre à partir de 2011 afin de clarifier les choses et poser des règles de déontologie. Il convenait également de distinguer clairement le prix de la communication qui relève des opérateurs du prix du service qui concerne l’éditeur. Ce travail en concertation avec les opérateurs et les éditeurs de SVA a débouché sur une décision cadre en 2012. Le calendrier initial est apparu trop optimiste, il a donc été décalé de neuf mois afin que cette réforme importante qui concerne aussi bien des marchés de gros que des marchés de détail soit opérationnelle en temps voulus. J’ajoute qu’il apparait particulièrement choquant que les appels vers des services publics fondamentaux tels que Pôle emploi ou les hôpitaux fassent l’objet d’une surtaxe.

J’en viens aux pouvoirs de l’ARCEP et l’usage qui en est fait. Faute de publication du décret que j’ai déjà évoqué, l’ARCEP est privée depuis un an de ses pouvoirs de mise en demeure et de sanction. Dans cette attente, nous avons lancé des enquêtes administratives qui permettront peut-être, le cas échéant, de procéder à des mises en demeure. Ces enquêtes portent essentiellement sur la 3G mobile. Tout d’abord pour vérifier que les obligations de Free sont bien atteintes en matière de couverture de la population à l’horizon de janvier 2015 - 75 % de la population. Une autre enquête porte sur le respect par SFR de ces engagements de rattrapage par rapport à la situation de 2009 puisqu’une interrogation demeure à cet égard. Enfin une enquête porte sur l’absence de déploiement d’infrastructures mutualisées par les trois opérateurs pour couvrir les zones blanches de la 3G.

Sur ce dernier sujet, il est tout d’abord nécessaire de définir ces zones. Il appartient aux préfets, aux maires et aux exécutifs locaux d’informer les pouvoirs publics et le régulateur de la localisation de ces zones. Ces informations sont précieuses pour actualiser les données récoltées pour la 2G et pour initier des contrôles dans le cadre de l’enquête annuelle « cantons » relative à la couverture. Cette année nous prévoyons de faire porter ces contrôles sur 150 cantons représentatifs de la situation dans les différents types de territoires. Je vous invite donc à m’écrire si vous avez identifié ce type de problème. Au-delà de ces contrôles, l’enquête administrative que nous avons diligentée va nous permettre d’aller chez les opérateurs pour vérifier une série de points auxquels nous n’avons pas accès actuellement. Si, comme il est vraisemblable, nous constatons que les opérateurs n’ont pas rempli leurs obligations sans avoir de raisons valables, nous en tirerons les conséquences via une mise en demeure de se mettre en conformité, la fixation d’un nouveau délai pour régulariser la situation et, à défaut, des sanctions. Par ailleurs, si nous constatons l’inefficacité du mode contractuel qui a été choisi pour permettre aux opérateurs de mutualiser leurs investissements en vue de couvrir les zones blanches, nous prendrons une décision réglementaire unilatérale et impérative dès lors que le pouvoir de sanction nous aura été redonné.

En ce qui concerne les conséquences des mouvements de concentration des opérateurs ainsi que le déploiement du FTTH sur les zones dites AMII, je pense avoir d’ores et déjà répondu mais je peux compléter ces réponses par écrit si vous le souhaitez. Je répondrai par écrit sur les questions de délai de réseaux dégradés qui sont très techniques.

L’ARCEP n’est pas compétente en matière d’implantation des antennes relais qui relève d’autorisation d’implantation des maires.

M. le président François Brottes. Sur ce sujet je précise que les maires rendent un avis sur la compatibilité avec les règles d’urbanisme mais ne peuvent en aucun cas intervenir en opportunité sur ces questions.

M. Jean-Ludovic Silicani, président de l’ARCEP. C’est effectivement au regard des règles d’urbanisme, au regard du PLU, s’il en existe un, que les maires rendent un avis. Ils doivent, par ailleurs, prendre en considération les demandes contradictoires de leurs administrés qui ne souhaitent pas voir se multiplier les antennes relais mais qui sont, dans le même temps, demandeurs d’une couverture de qualité.

L’ARCEP régule le marché de la télédiffusion qui relève effectivement des communications électroniques. Je me réjouis que la régulation à l’égard de TDF ait été entièrement validée par le Conseil d’État.

M. le président François Brottes. Au sujet de TDF, pouvez-vous nous éclairer sur sa situation qui apparait fragilisée alors qu’il s’agit de l’opérateur historique en matière de déploiement de réseau hertzien ?

M. Jean-Ludovic Silicani, président de l’ARCEP. Effectivement, la situation de TDF est fragilisée à l’instar de ce que l’on constate dans les pays où la distribution de la télévision par voie hertzienne est prépondérante, ce qui n’est par exemple pas le cas aux États-Unis où le câble est dominant. En effet, l’évolution des technologies et des usages fait que la diffusion de la télévision passe dorénavant de plus en plus par des réseaux fixes et que la voie filaire, le câble, l’ADSL et la fibre optique sont devenus les modes majoritaires de diffusion. Le modèle a totalement changé et TDF devra faire des choix délicats en lien avec son actionnariat.

M. le président François Brottes. Je vous remercie de vos réponses très précises et j’ai bien noté que vous nous transmettriez des compléments par écrit pour certains points plus techniques.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mercredi 18 juin 2014 à 10 h 30

Présents. - Mme Brigitte Allain, Mme Marie-Noëlle Battistel, Mme Michèle Bonneton, M. Christophe Borgel, M. François Brottes, M. Jean-Michel Couve, Mme Fanny Dombre Coste, Mme Corinne Erhel, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Daniel Fasquelle, M. Joël Giraud, M. Daniel Goldberg, Mme Pascale Got, M. Henri Jibrayel, Mme Laure de La Raudière, M. Jean-Luc Laurent, M. Michel Lefait, Mme Annick Le Loch, M. Philippe Le Ray, Mme Jacqueline Maquet, Mme Marie-Lou Marcel, M. Philippe Armand Martin, Mme Frédérique Massat, M. Jean-Claude Mathis, M. Kléber Mesquida, M. Yannick Moreau, M. Hervé Pellois, M. Patrice Prat, M. François Pupponi, Mme Béatrice Santais, M. François Sauvadet, M. Éric Straumann, M. Alain Suguenot, M. Lionel Tardy, Mme Clotilde Valter, M. Fabrice Verdier

Excusés. - M. André Chassaigne, Mme Jeanine Dubié, M. Franck Gilard, M. Thierry Lazaro, Mme Annick Lepetit, M. Germinal Peiro, Mme Josette Pons, M. Franck Reynier, Mme Catherine Troallic, M. Jean-Paul Tuaiva, Mme Catherine Vautrin