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Commission des affaires économiques

Mardi 24 juin 2014

Séance de 17 heures 15

Compte rendu n° 96

Présidence de M. François Brottes Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Arnaud Montebourg, ministre de l’Économie, du redressement productif et du numérique, sur l’avenir d’Alstom

La commission auditionné M. Arnaud Montebourg, ministre de l’Économie, du redressement productif et du numérique, sur l’avenir d’Alstom.

M. le président François Brottes. Nous auditionnons cet après-midi M. Arnaud Montebourg, ministre de l’économie, du redressement productif et du numérique, sur le dénouement heureux de l’affaire Alstom. Au nom de toute la commission, je vous remercie, monsieur le ministre, pour votre volontarisme dans le traitement de ce dossier. Je remercie également les dirigeants des grandes entreprises concernées – MM. Patrick Kron, Jeffrey R. Immelt, Joe Kaeser et M. Shunichi Miyanaga, PDG respectifs d’Alstom, de General Electric (GE), de Siemens AG et de Mistubishi Heavy Industries – d’être venus nous présenter leurs projets. Sur tous les bancs, nous nous sommes dits préoccupés par les questions d’emploi, de préservation de la marque Alstom et de celle de nos compétences industrielles, et avons exprimé notre souhait que l’État conserve la possibilité de maintenir sur notre territoire les secteurs stratégiques de son choix.

Les opérations se sont déroulées en plusieurs phases : le Gouvernement a d’abord publié un décret dont on a beaucoup parlé et sans lequel nous n’aurions pu agir. C’est ensuite grâce à un jeu d’émulation loyale et non faussée que nous sommes parvenus à l’issue que vous allez nous exposer. Comment les produits de la cession de la branche énergie d’Alstom seront-ils utilisés ? Quelles seront les modalités de la gouvernance partagée entre General Electric et les actionnaires français ? Quelles contraintes l’État pourra-t-il faire peser sur le géant américain pour qu’il respecte ses engagements en termes de création d’emplois ?

M. Arnaud Montebourg, ministre de l’économie, du redressement productif et du numérique. Je remercie la commission des affaires économiques d’avoir contribué, grâce aux auditions qu’elle a menées, à éclairer l’opinion publique et le Gouvernement. Mon intervention ne portera pas sur l’historique de cette affaire, mais sur son issue.

Samedi dernier, Alstom, General Electric et l’État français ont signé un protocole d’accord d’une cinquantaine de pages, aboutissement de sept semaines de négociations au cours desquelles l’offre de General Electric s’est radicalement transformée. Tout au long de ce processus, l’État a manifesté sa volonté d’appliquer le décret du 14 mai 2014 relatif au contrôle des investissements étrangers en France. Au terme d’une discussion entre le Président de la République, le Premier ministre, la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, et moi-même, j’ai confié au directeur général de l’Agence des participations de l’État (APE), M. David Azéma, un mandat de négociation visant à conclure une alliance et non plus à permettre un rachat d’Alstom, afin de protéger nos industries de souveraineté, de continuer à maîtriser nos technologies, mais aussi de maintenir notre production dans les secteurs hydraulique – dont nous sommes leader mondial –, éolien – secteur dans lequel Alstom est nouvel entrant et possède des usines en voie de construction à Saint-Nazaire et à Cherbourg –, de la vapeur – dont nous sommes le numéro trois mondial, en lien avec le nucléaire –, du gaz et des réseaux.

Lorsque nous avons formulé notre offre au début du mois de mai, nous avons proposé à M. Immelt de conclure un partenariat comparable à celui qui unit sa compagnie à Safran : ce partenariat industriel a permis jusqu’à présent la coproduction, prise en charge à 50 % par chacune des deux entreprises, de 26 000 moteurs d’avion. Onze mille moteurs du nouveau modèle LEAP sont par ailleurs actuellement en commande. En outre, le mandat de négociation prévoyait l’obligation de renforcer la branche transport d’Alstom – qui représente 25 % de son activité, contre 75 % pour la branche énergie.

Après m’avoir écrit, le 5 juin, que l’acceptabilité d’un tel schéma pour General Electric, Alstom et ses actionnaires serait faible, voire nulle, le directeur général de l’APE m’a au contraire annoncé, jeudi dernier, que le mandat de négociation que je lui avais confié avait été rempli à 100 %. Le Gouvernement a donc décidé de conclure ce partenariat avec GE. Le chiffre d’affaires de l’entreprise américaine s’élevant à 250 milliards d’euros de chiffre d’affaires contre 20 milliards pour Alstom, ce partenariat ne constitue nullement une alliance entre égaux, contrairement à l’offre de Mitsubishi qui prévoyait par ailleurs des majorités différentes au sein des conseils d’administration des différentes co-entreprises créées, l’entrée de l’État dans le capital d’Alstom à hauteur de 10 % et le renforcement de la branche transport avec l’aide de Siemens. Le protocole d’accord ayant été longuement et âprement négocié entre l’État et les deux autres parties, j’ai félicité les négociateurs pour le compte de l’État pour leur professionnalisme.

Je décrirai à présent les trois co-entreprises qui font l’objet de cet accord.

La première vise à la mise en commun des activités d’Alstom dans le secteur de l’hydraulique et de l’éolien. Elle est détenue à parts égales par Alstom et GE. Son conseil d’administration est composé pour moitié d’administrateurs d’Alstom et pour moitié d’administrateurs de GE. Son président sera nommé par GE, mais son siège mondial sera localisé en France. En outre, Alstom aura à tout moment la possibilité d’acquérir jusqu’à 80 % de cette co-entreprise sans que GE puisse s’y opposer.

Contrairement à la première, la deuxième co-entreprise consiste en une mise en commun des activités de réseau à haute tension de General Electric, qui apporte 1,5 milliard d’euros de chiffre d’affaires, et d’Alstom, qui apporte 2,5 milliards. Rappelons que, aux États-Unis, GE est leader référencé dans le domaine des réseaux intelligents. Comme la première, cette co-entreprise est détenue à 50 % par chacun des deux groupes, son siège mondial se situe en France et ses administrateurs sont moitié français, moitié américains. Son président est nommé par GE, mais doit être français. Les intérêts des deux entreprises sont donc étroitement imbriqués, de sorte que l’on ne peut parler d’un Yalta : la marque Alstom étant maintenue, GE vendra une production « Alstom Inside ».

Troisième co-entreprise : celle de la vapeur. Contrairement à ce qu’on lit dans les journaux, cet accord ne prévoit pas seulement l’isolement du nucléaire. Cette co-entreprise, qui a son siège mondial en France, regroupe tous les sites industriels comprenant des turbines à vapeur sur notre territoire, toute l’activité de service et de maintenance attachée à ces turbines, toute l’activité nucléaire et toute l’activité d’ingénierie et de construction de centrales clefs en main équipées de turbines à vapeur, sachant qu’Alstom disposait jusqu’à présent d’une base installée de 600 turbines à gaz et de 4 000 turbines à vapeur. Cette co-entreprise est elle aussi détenue pour moitié par chacun des deux groupes. Mais, dans la mesure où nous n’avons pas souhaité séparer l’activité nucléaire de l’activité vapeur, l’accord prévoit une action spécifique, appelée golden share, qui impose la présence dans le conseil d’administration, en plus des cinq administrateurs d’Alstom et des cinq administrateurs de GE, d’un représentant de mon ministère. Ce dernier disposera d’un droit de veto dans un nombre important de cas fixés dans le protocole d’accord. En contrepartie, les droits économiques sur cette société ont été démembrés, puisque Alstom ne dispose plus que de 20 % de ceux-ci. C’est en appliquant le décret du 14 mai dernier que nous avons pu parvenir à ce résultat. Le siège mondial de cette co-entreprise se trouve en France et son président sera nommé par GE après consultation du Gouvernement.

Ces trois co-entreprises représenteront un chiffre d’affaires de 10,2 milliards de dollars, soit 7,5 milliards d’euros, alors qu’il était question de vendre 100 % des activités dans l’énergie. Cet accord garantit donc notre indépendance énergétique. Mais pourquoi avoir vendu les turbines à gaz d’Alstom ? D’une part, parce qu’elles ne sont pas produites en France, mais en Suisse et en Allemagne, et, d’autre part, parce que Mitsubishi et Siemens avaient proposé à Alstom de les lui racheter. L’un des arguments avancés par les organisations syndicales pour refuser le démantèlement des activités gazières et vapeur d’Alstom est que certaines centrales combinent des turbines à gaz et des turbines à vapeur. Mais, dans la mesure où Alstom a conclu une alliance avec GE, les turbines à gaz auparavant fabriquées par Alstom et désormais par GE continueront à participer du cycle combiné, contrairement à ce qui se serait produit en cas d’alliance avec Mitsubishi.

Un accord complémentaire prévoit que General Electric vend son activité de signalisation, à hauteur de 1 milliard d’euros, à la branche transport d’Alstom. Ainsi, non seulement l’entreprise Alstom conserve sa puissance économique dans le secteur de l’énergie, mais elle entre sur le marché américain dans le domaine de l’assistance, de la logistique et de l’ingénierie, avec son allié GE – qui ne produit, à hauteur de 3 milliards de dollars, que de grosses locomotives de fret. Des accords de promotion, aux États-Unis, du TGV et de diverses productions européennes et françaises sont prévus.

Pour garantir l’alliance Alstom-GE, nous avons choisi d’entrer comme actionnaire principal dans le capital d’Alstom, que nous avons nationalisé à hauteur de 20 %. Nous avons ici suivi le raisonnement ayant présidé à notre entrée dans le capital de PSA : afin de ne pas laisser la famille Peugeot seule face à la famille Dongfeng et de garantir la pérennité et l’équilibre ultérieur de leur alliance, nous avions décidé que ces deux familles et l’État détiendraient chacun 14 % de PSA. Si nous laissons Alstom, dont le capital s’élève désormais de 12 à 15 milliards d’euros, face à General Electric, qui en représente 250, qu’adviendra-t-il dans trois ans ? Ceux qui voulaient vendre Alstom à GE seront peut-être à nouveau tentés de le faire. Notre décision s’appuie exclusivement sur des motifs de nature industrielle et non de nature politique. Pour démontrer sa capacité à faire le bien de notre territoire, General Electric s’est spontanément engagé à créer au minimum 1 000 emplois nouveaux puis, pour démontrer sa bonne foi, à payer des pénalités financières en cas de non-respect de cet engagement, à hauteur de 50 000 euros par emploi non créé. C’est un précédent notable.

Beaucoup ont souligné que l’on aurait pu envisager une solution européenne. Moi-même, je l’aurais souhaité. Mais aucune offre n’a été proposée au niveau européen, même si Siemens a proposé d’acheter les turbines à gaz d’Alstom et de vendre une partie de ses activités ferroviaires. Nous avons réfléchi à une solution franco-allemande dans les réseaux, dans le secteur hydraulique, dans le secteur éolien et pour la production de TGV, de motrices, de trams et de métros : chaque fois, nous nous sommes heurtés aux règles de l’anti-trust et au contrôle des autorités européennes de la concurrence, compte tenu des niveaux de présence qu’auraient atteints Alstom et Siemens sur les marchés domestiques européens. Si ces deux entreprises s’étaient rapprochées, la Commission européenne s’y serait immédiatement opposée et aurait scindé l’alliance en deux entités. Celle-ci interdit en effet la naissance de champions européens : lorsque Péchiney a voulu acheter Alcan, la Commission l’a refusé au motif que cela violait les règles de concurrence. Alcan a donc acheté Péchiney, puis Rio Tinto a acheté Alcan, si bien que Péchiney a été démantelée. L’histoire est la même pour Schneider. Chaque fois, la Commission européenne applique avec dogmatisme des règles obsolètes dont elle fait une interprétation abusive au regard du Traité de Rome. Pourtant, l’objectif de l’Union européenne n’est pas d’appliquer des règles absurdes, mais d’assurer la prospérité des Européens ! Et je ne vois pas en quoi l’union de deux acteurs majeurs franco-allemands porterait atteinte à la concurrence.

Bien sûr, il est toujours possible d’organiser ensuite la concurrence extra-européenne. Mais, si nous souhaitons constituer des champions mondiaux sur une base industrielle européenne, il nous faut accepter de réformer les règles de la concurrence applicables dans l’Union européenne. Et nul n’est besoin de réviser les traités pour cela : il suffit de modifier leurs règlements d’application, élaborés par la direction générale de la concurrence, comme nous l’avons proposé dans l’agenda de croissance présenté au Conseil européen samedi dernier.

Dans le cas d’Alstom, le commissaire à la concurrence, M. Joaquin Almunia, estime que les autorités de la concurrence n’ont exercé aucune censure. Mais qu’il ne s’inquiète nullement : l’autocensure est dans toutes les têtes puisque, sur chaque dossier, des nuées de lawyers sont là pour nous rappeler l’existence des règles antitrust. Voilà pourquoi la contre-proposition qui nous a été adressée émanait de Mitsubishi. Lorsque M. Sigmar Gabriel et moi-même nous sommes rendus la semaine dernière à Toulouse pour visiter les locaux d’Airbus, nous avons tous deux déclaré que, si nous souhaitions aujourd’hui créer Airbus, la Commission européenne nous en empêcherait. Mieux vaut donc réformer la Commission européenne, plutôt que de nous interdire de construire les futurs Airbus.

M. Yves Blein. Monsieur le ministre, je vous félicite, sur la forme comme sur le fond, pour la façon dont vous avez conduit ce dossier stratégique. Vous aviez considéré qu’il pouvait y avoir une alternative européenne : vous venez de nous éclairer sur l’offre formulée par Siemens, rejoint par Mitsubishi. Vous aviez par ailleurs rejeté l’absorption d’Alstom par qui que ce soit, et appelé à une alliance, dont vous aviez suscité la naissance par un décret publié à point nommé. Dès lors, toutes les candidatures pouvaient être présentées sans que l’économie française coure le risque de perdre le contrôle d’un de ses fleurons industriels. Les parlementaires sont donc nombreux à être fiers de votre action et de vos résultats, dans ce dossier comme dans d’autres.

Quels sont les projets industriels susceptibles d’être développés en Europe dans le cadre de cette nouvelle alliance ? Avez-vous regardé le volet social du dossier, s’agissant notamment du rapprochement des statuts des personnels et comités de groupes ? Quel est le calendrier de mise en œuvre de ces accords ?

M. Daniel Fasquelle. Monsieur le ministre, vous avez l’art d’habiller les défaites en victoires ! L’accord conclu entre Alstom et GE n’a rien d’une alliance. En réalité, un fleuron de l’industrie française est tombé sous le contrôle américain, alors que ce n’était pas indispensable : Alstom avait en effet été sauvé en 2004, l’entreprise était rentable et il n’y avait aucune raison qu’elle passe sous le contrôle d’un groupe étranger.

Je regrette l’échec de la solution française, que vous avez pourtant recherchée, mais trop tardivement. Dans cette affaire, nous avons perdu deux ans. C’est aussi malheureusement l’échec d’une solution européenne, que vous aviez aussi soutenue jusqu’au bout. Or, si ce dossier avait été préparé en amont et si l’on avait pu en discuter avec la Commission européenne, je suis sûr qu’on aurait donné naissance à cet « Airbus de l’industrie » dont parlait le Président de la République.

Quant à l’engagement de créer 1 000 emplois en trois ans, il ne peut que faire sourire quand on sait que, dans la seule branche éolienne, le groupe crée autant d’emplois chaque année.

Enfin, s’agissant du coût du rachat des actions de Bouygues, je ne crois pas que l’argent public doive servir à financer la plus-value d’un groupe privé. Pouvez-vous d’ailleurs nous préciser les conditions de ce rachat ?

Mme Michèle Bonneton. L’action du Gouvernement dans ce dossier a été très positive. Le décret du 14 mai dernier pourra d’ailleurs la rendre plus dynamique dans d’autres dossiers industriels.

Pouvez-vous nous éclairer sur le prix de rachat des actions de Bouygues ? Existe-t-il des risques que les autorités chargées du contrôle de la concurrence, à Bruxelles par exemple, remettent en cause tout ou partie de cet accord ?

Je pense aussi que la règle antitrust doit être replacée dans le contexte mondial et entièrement revue.

Par ailleurs, dans les transports, Alstom aura un domaine plus restreint et spécialisé, ce qui risque de le rendre plus fragile en cas de crise. De même, dans le domaine de l’énergie, son autonomie sera réduite. Que pensez-vous de cette nouvelle fragilité ?

Enfin, y a-t-il un accord de l’État avec Bouygues dans d’autres domaines, dans l’audiovisuel par exemple ?

M. André Chassaigne. Avez-vous écarté dès le début le fait qu’Alstom puisse rester un acteur indépendant ? Pourquoi avoir fait le choix d’une cession d’activités, même si on devait envisager des coopérations dans des domaines comme les turbines à gaz ou l’éolien offshore ?

Étant donné que la participation d’Alstom dans l’hydraulique-éolien et les réseaux, notamment, est de 50 % et que celle de l’État dans cette société est de 20 %, peut-on en déduire que la part de l’État dans chaque secteur est de 10 % ?

Quelle structure sera chargée de la propriété intellectuelle afin de garantir l’indépendance de la France dans les secteurs clés, comme la production des turbines à vapeur Arabelle ?

Enfin, que vont devenir les interventions d’Alstom à Cuba, où l’entreprise était jusqu’ici présente dans 30 à 40 % de la production électrique ? Pour se conformer à l’embargo américain, Alstom devra-t-il quitter ce pays du jour au lendemain pour éviter de se trouver dans une situation semblable à celle de BNP-Paribas ?

Mme Jeanine Dubié. Je salue, monsieur le ministre, votre détermination dans cette affaire et suis convaincue que les actions que vous avez engagées ces derniers mois ont été décisives pour éviter le démantèlement d’Alstom. À tous points de vue, une stratégie d’alliance nous paraît préférable à un rachat.

Je note avec satisfaction le renforcement de la branche transport grâce à la cession de l’activité de signalisation ferroviaire à Alstom de la part de GE.

Dans votre communiqué de presse du 22 juin dernier, vous avez expliqué comment l’État allait financer sa prise de participation et évoqué la possibilité pour Bpifrance de jouer un rôle dans le rachat des parts de Bouygues : dans quelle mesure celle-ci pourra-t-elle intervenir ?

Enfin, s’agissant du rachat à 100 % des turbines à gaz, les autorités de la concurrence pourraient-elles bloquer l’accord ?

Mme Frédérique Massat. Je vous félicite également pour cette opération et votre volontarisme, monsieur le ministre.

Comment allez-vous organiser le rachat des titres de Bouygues ? Un accord plus large a-t-il été passé avec cette société ?

Enfin, avez-vous obtenu des engagements sur la localisation des 1 000 emplois dont la création a été promise ? Pourrons-nous disposer d’informations à ce sujet au fur et à mesure de la mise en œuvre de cette promesse ?

M. Éric Straumann. Quelles sont aujourd’hui les relations entre l’État et Siemens et quelle est la plus-value réalisée par Bouygues dans cette affaire ?

M. Jean-Luc Laurent. Quel parcours accompli en deux mois depuis le 24 avril ! Il est tout à votre honneur, monsieur le ministre, d’avoir tranché en faveur d’une solution qui n’est peut-être pas celle qui avait vos faveurs. Je vous tire mon chapeau, car il faudrait être aveugle pour croire que nous en sommes revenus à la solution de la vente pure et simple de la division énergie d’Alstom.

Ayant appelé à une solution française et à une intervention forte de l’État, je me réjouis de la présence de celui-ci à hauteur de 20 % dans le capital de cette société. Mais quel sens économique et industriel donnez-vous à cette importante prise de participation dans les coentreprises que vous avez décrites et dans une entreprise de transport désendettée, renflouée et maintenant renforcée par l’acquisition de l’activité de signalisation ?

M. Michel Sordi. Si la solution trouvée n’est pas la meilleure – nous aurions préféré une option franco-française –, c’est sans doute la moins mauvaise compte tenu de l’état du marché. L’alliance avec un groupe européen aurait créé des problèmes, car elle aurait engendré une solution monopolistique ou prédominante. On le voit dans le dossier du rapprochement entre Lafarge et Holcim : la nouvelle entité devra être amenée à céder des activités sur le territoire national, car Bruxelles ne laissera pas passer une position dominante.

M. Alain Suguenot. Je ne ferai pas de procès d’intention au sujet de l’échec de l’option française et je pense que nous avons en effet abouti à la meilleure solution, compte tenu des querelles passées entre Alstom et Siemens. Mais pourquoi une prise de participation de 20 %, qui ne constitue pas en soi une majorité ? Quelles sont les participations que l’État pourrait céder, sachant qu’on peut craindre un désengagement de celui-ci dans d’autres sociétés ?

M. Henri Jibrayel. Quel impact aura le nouvel Alstom sur la transition énergétique ?

M. Lionel Tardy. Que fera Alstom des fonds injectés par GE, le profil du nouveau groupe dépendant largement de la façon dont sera utilisé le produit de cession des activités énergie à GE, estimé par celui-ci à 16,3 milliards d’euros ? On sait que la branche signalisation doit lui être vendue, mais à quoi sera affecté le solde ? Servira-t-il à constituer un dividende exceptionnel ou au désendettement, au renforcement des fonds propres, voire à de nouvelles acquisitions dans les transports ?

M. le ministre. Merci pour vos encouragements, auxquels je suis très sensible. Cela n’a pas été simple, mais c’est une partie importante pour l’avenir de notre industrie qui se jouait là.

La mise en œuvre de l’accord ne commencera pas avant le début de l’année prochaine, car il faut au moins six mois pour consulter les institutions représentatives du personnel et les autorités de la concurrence de Bruxelles. Après quoi il faudra constituer les coentreprises et les conseils d’administration, sachant que nous n’entrerons dans le capital qu’à compter de la transaction entre GE et Alstom, qui devrait avoir lieu au début de 2015.

Il sera alors temps d’entrer dans le détail de la nouvelle stratégie ou de ce que M. Kron appelait le « nouvel Alstom ». Celui-ci a d’ailleurs fait part dans la presse de son désir de passer le relais. Je me rendrai demain au Creusot, où je préciserai l’avenir de la branche transport, nombre de salariés s’interrogeant sur leur devenir.

La stratégie industrielle d’Alstom dépendra de cette alliance avec le numéro un mondial, mais, quand GE vendra ses productions, il vendra désormais aussi celles d’Alstom.

Je rappelle que MM. Immelt et Kron se sont rendus à Belfort pour dire aux salariés leur façon de voir : ils sont très optimistes, ce dont je me réjouis pour la France et sa base industrielle.

Nous allons détenir 50 % des parts et disposer de droits de veto. Si ce ne sont pas là les conditions d’une alliance, je me demande ce que vous entendez par ce mot, monsieur Fasquelle. Je note d’ailleurs que vous avez vous-même signé un texte avec vos collègues M. Reynier, M. Grellier et Mme Dubié, dans lequel vous appeliez à développer les partenariats capitalistiques au niveau de chacune des quatre divisions. Je ne comprends pas votre volte-face !

L’option française, que le Gouvernement a étudiée, sous l’impulsion des organisations syndicales, était solitaire. Alstom pouvait-il être seul du point de vue du capital ou de l’industrie, alors qu’il a 5 milliards de dettes, décline sur les marchés mondiaux et fait l’objet d’une procédure du ministère de la justice des États-Unis, comme Siemens hier et BNP-Paribas aujourd’hui ? Cette option imposait à l’État de capitaliser sans fin et sans autre voie que de recourir à d’autres entreprises publiques, qui sont elles-mêmes déjà éprouvées. Nous n’avions pas les munitions pour bâtir une stratégie qui, par ailleurs, aurait conduit à un plan social de plusieurs milliers de personnes dans le monde, comme me l’avait annoncé M. Kron en février dernier. La solitude conduisait donc à des difficultés et à une absence de solution.

J’ai toujours défendu une alliance préservant les intérêts français. C’est un compromis entre les plans A et C qui a finalement été retenu, c’est-à-dire une entrée dans le capital qui nous donne des garanties et une alliance n’ayant pas vocation à se solder par une disparition ou un rachat. S’il y a des augmentations de capital à l’avenir, nous pourrons être présents à un bon niveau pour aller plus loin. Et, si nous ne le faisons pas, nous pourrons vous expliquer pourquoi. Si cela n’est pas une alliance, je ne comprends pas ce que vous appelez ainsi. Peut-être auriez-vous préféré racheter GE ! Nous n’en avons pas les moyens. (Sourires.)

Plusieurs députés m’ont interrogé sur les plus-values de Bouygues. M. Bouygues a enregistré dans ses comptes 1 milliard de pertes et de moins-values. Il grommelle souvent en dénonçant ceux qui l’ont conduit là, mais je n’en fais pas partie : nous n’étions pas au pouvoir à cette époque. Il se trouve par ailleurs que l’un de mes prédécesseurs, M. Nicolas Sarkozy, est entré dans le capital d’Alstom : je n’ai donc pas compris pourquoi certains membres de l’UMP m’ont fait un reproche qu’ils se sont abstenus d’adresser à ce dernier. J’avais alors plutôt encouragé l’initiative de M. Sarkozy, alors que j’étais dans l’opposition. On peut donc trouver des accords transpartisans quand l’intérêt industriel national est en cause.

Au titre de notre accord avec Bouygues, qui a été signé par le directeur de l’APE et le directeur financier du groupe, pendant vingt mois, M. Bouygues a l’obligation de nous vendre ses actions à 35 euros, mais nous ne sommes pas obligés de les lui acheter : nous pouvons en acquérir sur le marché si elles sont moins chères. Si l’alliance avec GE et celle avec l’État produisent de bons effets, je me réjouirai que le cours d’Alstom s’élève, car cela signifiera que les marchés ont confiance dans ce que nous avons fait. Je ne peux donc vous dire à quel prix ces titres seront rachetés, mais notre objectif est de manier avec précaution le patrimoine des Français.

En contrepartie de ce délai, M. Bouygues s’engage à nous laisser ses pouvoirs au sein du conseil d’administration pendant vingt mois à compter de la transaction entre GE et Alstom. Nous aurons alors deux sièges d’administrateur et l’État participera à l’exercice du pouvoir au sein de la nouvelle société. Ce prêt de titres est lié au fait que nous n’avions pas trouvé d’accord sur le prix.

Comment allons-nous financer cela ? Nous avons vendu de façon homéopathique ces derniers mois des actions d’EADS, d’Aéroports de Paris et de Safran, et nous avons aujourd’hui dans le compte d’affectation spéciale de l’APE plus de 2 milliards d’euros disponibles à réinvestir. Dans la loi de finances pour 2014, nous avons par ailleurs prévu un certain nombre de ventes de participations : 3,5 milliards d’euros vont être réinvestis et 1,5 milliard servira au désendettement de l’État. En outre, nous avons annoncé il y a dix minutes la cession de titres GDF-Suez par l’État à hauteur de 3,1 % du capital.

Mme Bonneton m’a interrogé sur ce que les autorités européennes de la concurrence pensent de cet accord. Le risque de concurrence est assumé par General Electric, et nous sommes très confiants.

Vous m’avez demandé si d’autres accords avaient été noués avec Bouygues. Non, il n’y en a pas. En matière de télécommunications, le ministère de l’économie considère que, dans l’intérêt général, il vaut mieux revenir à trois opérateurs. Bouygues Télécom peut racheter Free, Free racheter Bouygues Télécom ou Orange racheter Bouygues Télécom : toutes ces configurations me conviennent. Cela relève des entreprises, de leurs décisions et de leurs négociations. Et je dois vous dire que j’ai parfois du mal à les suivre…

Doit-on considérer que la branche Alstom Transport est fragilisée ? Au contraire, elle se trouve renforcée par la cession d’activités de signalisation, qui fait d’Alstom le numéro 2 en Europe, derrière Siemens.

Les fonds qui vont entrer dans l’entreprise serviront d’abord à son désendettement – sa dette est de 5 milliards ; ensuite à la rémunération des actionnaires ; enfin à des acquisitions qui seront décidées, dans la branche transport, par le board du nouvel Alstom. Celui-ci souhaite en effet construire un acteur mondial qui soit de taille à rivaliser avec les acteurs chinois, qui pèsent chacun 10 milliards. Alstom Transport pèse environ 5 milliards.

Monsieur Chassaigne, l’État va entrer dans le conseil d’administration d’Alstom, dont il sera l’actionnaire de référence. Il est déjà actionnaire de référence de Renault, Orange et Thalès : il n’est pas aux manettes, mais agit comme un conseil de surveillance et discute des orientations stratégiques de l’entreprise. Ainsi, en tant que ministre de tutelle de l’APE, j’ai supervisé le projet de relocalisation lié à l’accord de compétitivité signé par les organisations syndicales de Renault. Nous avons même participé aux négociations pour aider M. Ghosn à réussir sa négociation, en mettant dans la balance le fait que le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi devrait être utilisé pour la relocalisation d’activités de production d’assemblage de véhicules sur le sol français – Renault passant de 500 000 véhicules à 720 000 et la Nissan Micra étant assemblée à Flins. Un actionnaire de référence rentre parfois dans le détail, se saisit de certains dossiers et échange avec le président de l’entreprise sur la vision industrielle.

M. Gallois est devenu le président du conseil de surveillance de PSA parce qu’il était administrateur salarié indépendant nommé par l’État. Nous ne sommes pas donneurs d’ordre, nous ne voulons pas diriger les entreprises à la place de ceux dont c’est le métier. Mais nous voulons comprendre, partager avec eux certaines décisions et parfois même, dans la mesure du possible, les infléchir. Le simple fait de les comprendre nous permet d’avoir une vision de long terme.

Cela signifie que l’État aura son mot à dire sur la nomination des représentants dans les coentreprises à 50/50. Nous en discuterons avec les autres administrateurs indépendants d’Alstom, et les dirigeants opérationnels qui sortiront de ce nouvel Alstom seront le fruit de cette alliance de l’État, des administrateurs indépendants, du board. Il n’y aura donc pas de découpage de l’influence de l’État : c’est un ensemble et une alliance à plusieurs.

J’ai été interrogé sur la propriété intellectuelle des brevets liés au nucléaire. Ces brevets ont été entreposés dans une structure ad hoc, 100 % française, qui est sortie des actifs disponibles de la joint-venture 50/50.

La question de Cuba est sur la table. Il reviendra au nouvel Alstom de s’en emparer lorsque GE entrera dans le capital, à moins qu’elle n’ait été résolue auparavant. À ce stade, je n’ai pas d’éléments de réponse à vous fournir.

Je crois avoir répondu à Mme Dubié sur le financement de la participation. Elle demande si c’est la BPI ou l’APE qui doit intervenir. C’est d’abord l’APE, qui a vocation à intervenir dans les grandes entreprises cotées. Elle l’a fait, par exemple, en investissant 800 millions d’euros dans PSA. Certes, la BPI peut venir en relais, mais j’ai toujours préféré que la BPI se consacre aux petites et moyennes entreprises et aux entreprises de taille intermédiaire. Le Gouvernement s’est donc exprimé en faveur de l’APE.

L’argent des turbines à gaz, qui seront reprises par GE, sera consacré au désendettement de l’entreprise et au renforcement de la branche transport.

Mme Massat demande comment les salariés ont accueilli l’accord. Les organisations syndicales n’ont pas voulu choisir entre les deux offres et ont publié des communiqués très positifs sur l’entrée de l’État dans le capital d’Alstom.

Monsieur Straumann, nos relations avec Siemens sont excellentes. Le Président de la République et moi-même avons remercié M. Kaeser, lequel a remercié le Gouvernement français pour ses efforts. Nos relations avec M. Miyanaga, le président de Mitsubishi HI, sont également excellentes.

M. Jean-Luc Laurent a posé la question du sens économique et industriel de l’opération. Il va nous falloir un peu de temps et de recul pour apprécier la puissance de l’alliance et voir comment l’exploiter au bénéfice de la France. Mais il est sûr qu’elle se traduira, pour nous, par un renforcement. L’alliance avec GE jouera dans les deux sens. Nous saurons exprimer à notre allié les besoins qui sont les nôtres.

Pourquoi être rentré à 20 % dans le capital de Siemens ? Tout simplement pour en être le premier actionnaire, l’actionnaire principal – ce que M. Bouygues était jusqu’à présent, et ce que l’État était à l’époque où M. Sarkozy était ministre de l’économie.

M. Jibrayel s’est interrogé sur l’avenir de la transition énergétique, se demandant si l’accord allait y concourir. La réponse est affirmative. Dans les transports collectifs comme dans les énergies renouvelables, Alstom investit sur des technologies qu’il souhaite amener à maturité, c’est-à-dire rendre compétitives, de sorte qu’il n’y ait plus besoin de subventions pour les mettre sur le marché. Ensuite, le projet « TGV du futur », qui est l’un des trente-quatre plans de reconquête industrielle du Gouvernement, est animé par Alstom. Je vous invite d’ailleurs à vous pencher sur les feuilles de route de ces trente-quatre plans, qui seront validées le 8 juillet. Ce projet est extraordinaire : par ses innovations, le TGV d’Alstom défraiera la chronique.

M. le président François Brottes. Monsieur le ministre, ne pourriez-vous pas inviter les membres de la commission à découvrir ces trente-quatre plans le 8 juillet prochain ?

M. le ministre. Les feuilles de route de ces plans forment une masse considérable. Je vous propose plutôt d’inviter les chefs de projet à venir vous parler de ce qu’ils ont fait dans les domaines qui vous intéressent. Vous pourrez ainsi vous rendre compte du dynamisme que ces projets insufflent au tissu productif. Le fait que les industriels aient eu la responsabilité d’établir les feuilles de route a permis un condensé d’audace et de réalisme.

Je ne peux pas vous exposer ces trente-quatre plans, mais vous ne tarderez pas à en entendre parler. En effet, à la demande des chefs de projet, je vais devoir adapter toute la réglementation. Prenez l’exemple de la voiture sans chauffeur, à pilotage automatique : qui, du point de vue de l’assurance, est responsable de la conduite, le conducteur ou le constructeur ? Je viendrai donc devant vous pour traiter de cette question. On pourrait même imaginer que, à cette occasion, vous puissiez auditionner les chefs de projet, comme nous l’avions fait pour le plan « bornes électriques de recharge », à l’initiative de Mme Massat.

M. Daniel Fasquelle. J’ai exprimé toute ma déception à M. le ministre. Je tiens cependant à le remercier, au nom du groupe UMP, pour sa très grande disponibilité. Je voudrais également remercier le président Brottes, qui nous a permis d’être en permanence informés des évolutions de ce dossier, qui revêt une grande importance pour la nation française et ses représentants.

M. le président François Brottes. Merci de vos remerciements et merci, M. le ministre, d’avoir informé en temps réel, à travers nous, les Français et les salariés du groupe.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mardi 24 juin 2014 à 17 h 15

Présents. - Mme Delphine Batho, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Yves Blein, Mme Michèle Bonneton, M. Jean-Claude Bouchet, M. François Brottes, M. André Chassaigne, M. Yves Daniel, Mme Fanny Dombre Coste, Mme Jeanine Dubié, Mme Corinne Erhel, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Daniel Fasquelle, M. Christian Franqueville, Mme Pascale Got, M. Jean Grellier, M. Razzy Hammadi, M. Henri Jibrayel, M. Jean-Luc Laurent, Mme Annick Le Loch, Mme Annick Lepetit, M. Philippe Le Ray, M. Jean-Pierre Le Roch, Mme Audrey Linkenheld, M. Alain Marc, Mme Marie-Lou Marcel, Mme Frédérique Massat, M. Jean-Claude Mathis, M. Kléber Mesquida, M. Germinal Peiro, M. Hervé Pellois, M. Dominique Potier, M. Frédéric Roig, Mme Béatrice Santais, M. Michel Sordi, M. Éric Straumann, M. Alain Suguenot, M. Lionel Tardy, M. Jean-Charles Taugourdeau

Excusés. - M. Damien Abad, M. Philippe Armand Martin

Assistait également à la réunion. - M. Patrice Martin-Lalande