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Commission des affaires économiques

Mercredi 16 juillet 2014

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 109

Présidence de M. François Brottes Président

–  Table ronde, ouverte à la presse, sur la « guerre des prix » grande distribution/agriculture/industrie agroalimentaire avec MM. Jean-Philippe Girard, président de l’Association nationale des industries alimentaires (ANIA), Yves Le Morvan, directeur général de Coop de France, Henri Brichart, vice-président de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), Jacques Creyssel, président de la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD), Michel-Édouard Leclerc, président des centres Leclerc, Olivier Andrault, chargé de mission agriculture-alimentation à l’UFC-Que Choisir

La commission a organisé une table ronde sur la « guerre des prix » grande distribution/agriculture/industrie agroalimentaire avec la participation de MM. Jean-Philippe Girard, président de l’Association nationale des industries alimentaires (ANIA), Yves Le Morvan, directeur général de Coop de France, Henri Brichart, vice-président de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), Jacques Creyssel, président de la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD), Michel-Édouard Leclerc, président des centres Leclerc, Olivier Andrault, chargé de mission agriculture-alimentation à l’UFC-Que Choisir.

M. le président François Brottes. Le 11 juin 2014, MM. Jean-Philippe Girard, président de l’Association nationale des industries alimentaires (ANIA), Xavier Beulin, président de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), et Philippe Mangin, président de Coop de France, ont adressé une lettre ouverte au Premier ministre faisant état de leur inquiétude au sujet de la poursuite de la guerre des prix menée, disent-ils, par les enseignes de la grande distribution et qui aurait, selon eux, des conséquences sur l’activité et l’emploi des secteurs agricoles et agroalimentaires.

Cette question occupe notre commission depuis de nombreuses années. Loi après loi, nous sommes amenés à ajuster les modalités des relations commerciales. C’est en plein salon de l’agriculture, au moment où se finalisent les négociations entre acheteurs et vendeurs, que la tension est à son comble. Dans la mesure où le législateur est régulièrement sollicité, il m’a paru judicieux d’organiser une table ronde dans la sérénité.

Chacun doit pouvoir faire valoir son point de vue : Olivier Andrault est là pour les consommateurs ; Henri Brichart, qui remplace au pied levé Xavier Beulin, parlera pour la FNSEA ; Jacques Creyssel et Michel-Édouard Leclerc, défendront la grande distribution, même s’ils ne font pas partie du même « club » et qu’ils se « cartonnent » très fort à coup de publicités comparatives ; Jean-Philippe Girard s’exprimera au nom des grandes et petites entreprises transformatrices de produits et fournisseurs de la grande distribution, tout comme Yves Le Morvan, qui remplace le président Philippe Mangin, empêché, le fera pour Coop de France.

D’aucuns dénoncent, notamment à l’ANIA et à la FNSEA, une relation trop déséquilibrée en faveur de la grande distribution. Avec aussi peu de centrales d’achat – à peine six –, ils se disent contraints de passer sous les fourches caudines de conditions d’achat qui n’ont pas grand-chose à voir avec leurs conditions de ventes. Il semble que les dispositions législatives – temps de signature des contrats, respect du contrat, renégociation des prix en fonction des cours des matières premières – ne soient pas véritablement appliquées. Une enquête menée par l’ANIA révèle l’inquiétude, pour ne pas dire la grande difficulté, dans laquelle se trouvent un certain nombre de fournisseurs. Reste à savoir si elle tient aux relations commerciales ou à la qualité des produits.

La grande distribution est, en outre, accusée de toucher, au titre du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), un gros chèque qu’elle ne mériterait pas. On observe néanmoins que les augmentations de TVA votées récemment n’ont pas été répercutées sur les consommateurs – sans doute sont-elles compensées en partie par le CICE, lui-même financé par la TVA.

Nous allons commencer cette table ronde par le représentant des consommateurs.

M. Olivier Andrault, chargé de mission agriculture-alimentation à l’UFC-Que Choisir. Depuis 2008, les prix alimentaires ont subi de violentes augmentations. Les produits alimentaires représentent 13,5 % des dépenses des ménages – 17 % pour les ménages les plus modestes –, ce qui en fait le troisième poste budgétaire après le logement et les transports. C’est d’autant moins négligeable que ce poste est incompressible.

Après une grande stabilité pendant des décennies, les prix des produits agricoles ont explosé : entre août 2007 et août 2008, l’inflation moyenne dans le secteur alimentaire a atteint 7 %, soit une augmentation quatre fois et demi supérieure à la hausse habituelle – c’est énorme.

En 2009, tout aussi brusquement, les prix des matières premières agricoles se sont effondrés. Pour autant, ceux des produits alimentaires n’ont pas suivi la même tendance et sont restés relativement stables. C’est à partir de ce moment-là que nous avons décidé de communiquer.

En 2010, une deuxième augmentation considérable des prix agricoles est intervenue – de 84 % pour le soja, 100 % pour le blé, 132 % pour le maïs –, suivie d’une deuxième hausse des prix alimentaires : 3,5 % pour le pain, les œufs et le porc ; 5 % pour le lait ; 10 % pour la volaille, tout cela venant s’ajouter à la hausse précédente.

Depuis un peu plus d’un an, dans une période de déflation molle, les prix des matières premières alimentaires ont tendance à baisser. Cela dit, il ne faut pas trop se concentrer sur les évolutions globales, car chaque produit alimentaire a sa propre logique de prix.

Nous avons réalisé nos premières études sur la base des éléments disponibles à l’époque, puis l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires, avec le concours de FranceAgriMer et de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), a apporté un peu plus d’éclairage sur l’évolution des prix par produits. On peut ainsi établir une typologie en fonction de la marge brute de la grande distribution – la marge brute étant la différence entre le prix acheté et le prix vendu.

Il y a les produits sur lesquels la marge brute de la grande distribution est relativement modérée, de l’ordre de 20 %. Dans le prix d’un yaourt, par exemple, la part de la matière première agricole pèse 20 %, la fabrication 60 %, et la distribution 20 %. Pour le lait, la marge brute est de 23 % ; pour le porc, de 20 %

Sur d’autres produits, une marge plus élevée est appliquée sans qu’on comprenne pourquoi : de l’ordre de 30 %, pour les marques nationales de camembert, jusqu’à 35 % pour les MDD (marques de distributeurs), contre 5 % pour les premiers prix. La marge brute est encore plus élevée pour le jambon et le poulet : 42 %. Pourquoi sur ces produits ? On se le demande.

Du point de vue de l’évolution, on observe que la marge brute est restée globalement stable en amont, dans les filières de transformation, parfois un peu moins dans l’industrie. En revanche, dans la grande distribution, elle a notablement augmenté.

Prenons le prix du lait demi-écrémé entre 2001 et 2014 : alors que la marge globale a augmenté de 4 % pour l’éleveur, passant de 25 à 26 centimes et qu’elle a gagné 13 % dans l’industrie, passant de 23 à 26 centimes, dans la grande distribution elle a atteint 112 %, passant de 8 à 17 centimes. Sur certaines viandes, la marge brute de la grande distribution a quasiment doublé en dix ans, passant de 1,80 euro à 2,60 euros le kilo pour le poulet et de 1,80 euro à 2,50 euros le kilo pour la côte de porc.

Selon nos estimations, sur les dix dernières années, cette augmentation de la marge brute représente pour les consommateurs un surcoût de 1,6 milliard d’euros sur le lait de consommation et de 7,7 milliards sur le poulet.

À partir de là, nous avons dégagé plusieurs pistes d’amélioration.

D’aucuns préconisent l’interdiction des comparateurs de prix, arguant que, dans ce rapport de force entre la grande distribution, l’amont agricole et les fabricants, une focalisation sur les prix aurait tendance à exacerber la pression. Pour autant, je pense intéressant d’avoir des « thermomètres ». Le tout est de bien prendre la température en échantillonnant correctement le panier de produits et en comparant des produits qui sont comparables.

Surtout, il faut donner les moyens à l’Observatoire de la formation des prix et des marges de nous apporter maintenant des informations sur les marges nettes, c’est-à-dire sur les bénéfices de la grande distribution, totalement inconnus aujourd’hui. Des chiffres globaux nous ont été fournis par rayons, mais il serait intéressant d’avoir des informations par types de produit et sur l’évolution de ces marges nettes.

Cela suppose également des moyens pour la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Au-delà des chiffres globaux fournis par les administrations, comme FranceAgriMer, ce sont les enquêtes conduites par la DGCCRF qui ont permis de constater que le niveau de marge varie considérablement entre les produits de marque nationale, les produits de marque de distributeurs et les produits « premiers prix ».

Il serait aussi intéressant de mieux connaître la répartition des marges à l’intérieur de filières très intégrées, comme la filière volaille.

Enfin, il faut veiller à la bonne mise en œuvre des nouvelles obligations de la grande distribution, vérifier qu’il n’y a plus de facturation exagérée de prestations, de droits d’entrée, de pénalités de retard, de délais de paiement exagérés, de reprise obligée des invendus, de ristournes rétroactives et bien évidemment de clauses de révision à sens unique, de celles qui prévoient, par exemple, la baisse du prix en cas de coût des matières premières à la baisse, mais pas de répercussion en rayon si celui-ci est à la hausse. Les consommateurs ne demandent pas le prix le plus bas à n’importe quel coût social : ils veulent un prix qui soit le reflet transparent de l’évolution des matières premières.

M. Henri Brichart, vice-président de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA). Plusieurs signaux très inquiétants démontrent que la situation de l’agriculture en France, et par conséquent de l’agroalimentaire, est en déclin. Les comparaisons internationales, notamment avec des voisins proches comme les Pays-Bas et l’Allemagne, révèlent que nous perdons un grand nombre de parts de marché, et que nous sommes passés du deuxième rang des exportateurs au cinquième. Plus grave, certains secteurs subissent même des pertes de production – moins 30 % de surfaces de légumes en quinze ans, moins 3 % pour le porc, moins 18 % pour la volaille. Plus grave encore, nous accusons un retard important en termes d’innovation et de modernisation, puisque l’investissement en bâtiments agricoles a chuté de 30 % en quinze ans et que 30 % du parc de bâtiments de volailles a plus de trente ans. Le constat est d’autant plus inquiétant que l’agriculture participe dans une large mesure à l’économie dans les territoires.

Les causes de cette situation sont diverses : l’inflation de normes et de contraintes, la sur-transposition des réglementations européennes, des charges fiscales et sociales élevées et instables. Dans un monde structurellement volatil, le marché intérieur des fruits et légumes et de la production animale est devenu très compliqué. Depuis une dizaine d’années, il est agité par une guerre des prix incessante, qui renvoie à la problématique de la déflation.

Dans le secteur laitier, l’Allemagne et les Pays-Bas sont passés devant nous parce qu’ils ont su créer sur leur marché intérieur une forme de rente de situation qui les rend extrêmement forts pour aller à la conquête d’autres marchés. Comme le montrent des chiffres publiés récemment par la Direction générale de l’agriculture et du développement rural (DG AGRI), au niveau du consommateur, les prix des produits laitiers en France sont restés stables, alors qu’ils ont enregistré une hausse de 3,5 % dans l’ensemble de l’Union européenne et de 8,7 % en Allemagne. Sans prétendre qu’il faille atteindre de tels niveaux de hausse, on voit que le secteur des productions animales est confronté à un problème réel, en particulier à cause d’une flambée du coût des intrants. Or ces difficultés peuvent mettre en cause l’avenir de ces productions.

À ce stade, deux types de solutions s’offrent à nous.

Le premier concerne la filière au sens large, du producteur au consommateur. D’abord, il faut en finir avec cette notion de « prix le plus bas », qui est destructrice de valeur ajoutée et risque, à terme, d’engendrer une perte de qualité et de fiabilité. Il faut redonner une vraie valeur aux produits, leur rendre leur juste prix – dans des secteurs comme celui du porc, ils ne veulent plus rien dire, avec les promotions permanentes. La question est clairement posée de la transmission des coûts le long de la chaîne alimentaire, sachant que le consommateur est très protégé en France.

Ensuite, dans un contexte de distorsion de concurrence importante avec d’autres pays, la responsabilité nous incombe, en tant que filière, de promouvoir le label « Origine France ».

Le second type de solutions a trait au rôle de la puissance publique. Beaucoup de lois ont été votées, et nous sommes assez satisfaits des dernières évolutions introduites par la loi Hamon. Toutefois, le problème n’est pas tant de voter des lois que de les faire correctement appliquer. Pour nous, la régulation de la chaîne alimentaire par les pouvoirs publics est une priorité : nous aimerions qu’ils puissent s’en saisir.

M. Yves Le Morvan, directeur général de Coop de France. Coop de France représente des entreprises à capitaux coopératifs, détenues par des agriculteurs. On dénombre 2 400 coopératives en France – beaucoup de très petites entreprises (TPE), mais aussi de très grands groupes. Notre offre au consommateur provient des coopératives ou de leurs filiales, et nous représentons 40 % de l’offre alimentaire, à côté de nos collègues de l’ANIA.

Je tiens d’abord à souligner que nous sommes concernés par deux problématiques. La première est l’emploi, que nous souhaitons développer, puisque la coopération représente 160 000 emplois, répartis à parts égales entre les coopératives et les filiales. La seconde est l’émergence de nouvelles charges, celles qui ont trait au transport et à la logistique, mais aussi la contribution climat énergie, qui pèsera assez lourdement dès l’année prochaine.

M. le président François Brottes. Notez cependant que la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) vous sera épargnée à partir du 1er janvier 2015, grâce à un de mes amendements au projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS).

M. Yves Le Morvan. À cet égard, nous avons diffusé un communiqué par lequel nous vous remercions, monsieur le président, ainsi que le Premier ministre. Je voulais simplement rappeler que la viabilité des entreprises est liée à d’autres dossiers que celui qui nous réunit aujourd’hui.

En ce qui concerne la filière agroalimentaire, la loi Hamon – la cinquième en dix ans – a quelques vertus en traitant plusieurs sujets, en particulier la partie consommation, et en faisant des conditions générales de vente le socle des négociations dans la relation entre fournisseurs et distribution. Néanmoins, le processus législatif ne suffit pas : c’est l’application qui doit apporter des solutions, à travers les bonnes pratiques. En outre, si la Commission d’examen des pratiques commerciales (CEPC) constitue une voie de recours, elle n’est que partielle vu la difficulté technique des sujets et la lenteur des prises de position. Tout cela ne suffit donc pas.

Dans ce contexte, le prix seul est l’élément qui gouverne, en tout cas celui qui est pointé. Or la problématique du prix ne recouvre pas que l’offre faite au consommateur, ce n’est même que la partie émergée de l’iceberg. À quoi sert une bouée dans un océan d’entreprises en difficulté, aux prises avec plusieurs sujets ?

Parmi ceux-ci, les promotions permanentes, résultat des prix sans cesse tirés vers le bas, et les comparateurs de prix, construits sur ce seul critère. Quel que soit le sujet, la question est toujours d’avoir des prix encore plus bas, mais pour arriver où ? À des conséquences particulièrement néfastes sur les emplois, sur les territoires, sur la qualité des produits – sinon nous ne serions pas là aujourd’hui.

Outre la voie législative, la discussion entre tous les acteurs – de l’agriculteur à la grande distribution – doit constituer une porte de sortie. C’est ainsi que nous pourrons construire la filière de manière sereine et positive, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

De son côté, l’État doit aussi jouer un rôle. D’abord, en veillant à l’application de la loi, en contrôlant et sanctionnant les abus, ainsi qu’en organisant une présence de nature à susciter les bonnes pratiques à même de nous sortir de l’ornière. Ensuite, la puissance publique pourrait apporter son éclairage ou son soutien au dialogue qui devra se nouer entre les différentes parties prenantes. Il est clair que nous devons trouver collectivement des points de discussion, indépendamment des intérêts économiques des entreprises.

M. le président François Brottes. Monsieur Girard, on a l’impression qu’entre la grande distribution et vous, c’est « je t’aime, moi non plus » : même si vous avez des remarques à faire, les liens qui vous lient à elle vous obligent à rester prudent.

M. Jean-Philippe Girard, président de l’Association nationale des industries alimentaires (ANIA). Rappelons que le secteur agroalimentaire est le pilier économique de la France : l’industrie alimentaire proprement dite génère 160 milliards, mais 330 milliards en y incluant les commerces de détail et l’agriculture, et même 520 milliards en y ajoutant nos clients. C’est cet ensemble qui est en danger, car la destruction de valeur ajoutée détruit l’investissement et l’emploi.

L’emploi, dans la filière, c’est 500 000 personnes dans l’industrie stricto sensu, 800 000 avec les commerces de détail, 1,3 million en ajoutant l’agriculture, et plus de 2 millions avec la grande distribution.

La filière alimentaire, c’est aussi 12 000 entreprises réparties sur tout le territoire, dont 97 % de PME. L’ANIA n’opposera jamais les grands groupes et les PME : chacune à leur manière, elles contribuent à la structuration et à l’avenir des territoires.

Avec ces données, nous avons un choix à faire : souhaite-t-on, avec un juste prix, assurer à l’agriculteur un juste revenu et à l’entreprise la possibilité de dégager une marge lui permettant d’investir, d’embaucher et de se développer ? La crainte exprimée par Olivier Andrault au regard de l’inflation des prix n’est plus d’actualité : le schéma qui nous menace aujourd’hui, c’est la déflation et la destruction – d’emplois, de valeur et d’investissement. En 2014, notre secteur a perdu une entreprise par jour, et 6 000 emplois y ont été détruits.

Face à cette situation, l’enjeu est de passer de la confrontation à la co-construction avec nos clients, à la compréhension des valeurs. Olivier Andrault a fait de 2008 une année marqueur, qui a connu une volatilité des matières premières totalement inédite, tous secteurs confondus. Dirigeant moi-même, en Côte d’Or, une entreprise employant 250 salariés et exportant à plus de 50 %, j’ai toujours un pied dans cette réalité. Alors qu’il y a trente ans, le cours du blé variait très peu d’une année sur l’autre, aujourd’hui, il va falloir s’habituer à une plus une grande volatilité des matières premières.

Nos relations avec l’amont se construisent, s’organisent en fonction de ce constat, mais la grande distribution doit aussi en tenir compte. Sur le marché du poisson, la situation est hallucinante : certaines espèces ont progressé de 10 % à 20 %, mais nos clients n’acceptent pas de hausse au-dessus de 5 %. C’est impossible à tenir !

Tous les métiers ne sont pas touchés de la même manière, et il faut appréhender le problème par filières et dans le détail.

En définitive, nous sommes confrontés à une inflation des coûts et à une déflation des prix, une situation intenable pour nos entreprises. Beaucoup d’entre elles vont s’écrouler si nos clients ne se montrent pas plus à l’écoute, tout en respectant, bien sûr, le consommateur qui n’a pas de pouvoir d’achat. La croissance a toujours tiré la consommation et la consommation la croissance. Mais dans un contexte de croissance molle, ce n’est que par la reconstruction de nos modèles qu’on s’en sortira. C’est ce que j’appelle la co-construction, dans laquelle le consommateur a sa place.

La guerre des prix n’est pas qu’une expression, c’est une réalité. Je me dois de vous dire que ce sont nos 12 000 entreprises qui la financent, contraintes et forcées, menacées même de déréférencement. À peine sortons-nous de négociation que nous sommes déjà en compensation de marge. C’est intenable pour nos entreprises !

Avant qu’il ne soit trop tard, permettez-moi d’alerter la grande distribution sur trois points. En 2013, l’inflation alimentaire de la France a été de 1,2 %, contre 3,7 % en Allemagne et 3,6 % en Angleterre. Nos entreprises ne peuvent pas s’en sortir dans ces conditions. Le « prix juste » signifie un juste revenu pour l’agriculteur, une marge qui permette à l’industrie alimentaire de vivre, de recruter, d’investir et d’exporter, mais aussi une juste marge pour la distribution qui en a besoin également pour vivre, et ce dans le respect du dernier maillon de la chaîne qu’est le consommateur. Je ne vois aucun intérêt à élever les prix à la consommation : on y perdrait en ventes, en volumes et donc en développement. On est capable aujourd’hui d’articuler un bon prix, un juste prix pour nos clients.

Le défi majeur aujourd’hui, c’est de nourrir la planète. La France a de véritables savoir-faire dans le domaine de la production végétale et animale, ainsi que dans les filières. Je forme le vœu que nous puissions aller encore plus loin avec la grande distribution. Puisqu’elle réussit très bien à l’export, et que l’agriculture et le secteur alimentaire réussissent aussi, pourquoi ne pas travailler ensemble dans ce domaine ? Je suis sûr que nos querelles sur le marché intérieur s’en trouveraient apaisées.

M. le président François Brottes. Place maintenant aux représentants de l’aval de la filière, ceux qui vendent directement aux consommateurs, et dont on dit qu’ils tiennent la tête sous l’eau de leurs fournisseurs au risque de les faire disparaître. Est-ce une caricature ? La grande distribution a-t-elle pris conscience que, dans cette période de croissance molle, tout ne tient qu’à un fil ?

M. Jacques Creyssel, président de la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD). La FCD regroupe, entre autres enseignes, Carrefour, Casino, Auchan et Cora.

Nos amis de l’ANIA, de Coop de France et de la FNSEA ont écrit au Premier ministre une lettre polémique. Nous avons essayé d’y répondre de manière argumentée et en faisant des propositions.

La situation de type déflationniste dans laquelle nous nous trouvons est dangereuse pour tout le monde : les producteurs, les industriels, les distributeurs – on ne peut pas dire que la grande distribution elle-même se porte à merveille. Il faut donc sortir des postures habituelles.

La baisse des prix ne touche pas seulement l’alimentation, elle concerne la plupart des produits. Pourtant, selon un sondage récent, 83 % des Français pensent que les prix alimentaires augmentent, 17 % qu’ils sont stables et 0 % qu’ils diminuent. En cette matière, c’est le ressenti du consommateur qui compte. Il faut arrêter de rejeter la faute sur les autres. Dans un enchaînement déflationniste, tout le monde adopte une attitude rationnelle : le consommateur cherche le prix le plus bas, le distributeur à lui offrir le prix le plus bas, et le fabricant à conserver ses parts de marché ou à les accroître en proposant des prix plus bas également.

Cette situation déflationniste est due à trois facteurs : le recul du pouvoir d’achat, pour la première fois depuis trente ans ; la politique monétaire, dénoncée par plusieurs ministres récemment ; la baisse des prix des matières premières – de 14 % pour le riz, 22 % pour le sucre, 9,7 % pour le blé, 12 % pour le maïs, 11 % pour le soja, 13,5 % pour le colza, selon les derniers chiffres. C’est là une situation très particulière dans laquelle la baisse des prix contribue à maintenir les volumes, tout en favorisant un phénomène de valorisation, dit « mix positif », qui voit les gens acheter des produits de meilleure qualité. Contrairement à Philippe Girard, je ne considère pas la situation en Angleterre ou en Allemagne comme une référence. Si les prix ont augmenté dans ces pays, les ventes de produits alimentaires y ont baissé, au premier trimestre 2014, respectivement de 5,6 % et de 2,5 %. La situation difficile que connaît tout notre pays n’est pas du tout une guerre des prix.

Partant de ce constat, nous avons trois propositions à formuler.

Premièrement, il faut passer de l’ère de la loi à l’ère du contrat et des codes de bonne conduite. Nous avons travaillé ces derniers mois sur le projet de label « Relations fournisseur responsables ». Il est aujourd’hui bloqué, alors que nous souhaitons signer la charte le plus rapidement possible. Nos amis de l’ANIA ne veulent pas d’une distinction entre PME et grandes entreprises ; trouvons une solution, nous y sommes prêts.

Deuxièmement, nous avons proposé, comme une réaction symbolique à la situation déflationniste, d’interdire la publicité sur les comparateurs – et non les comparateurs eux-mêmes. Selon nos interlocuteurs de l’amont, la multiplication de ces publicités incite le consommateur à toujours rechercher le prix le plus bas. Nous sommes tous d’accord sur ce point – sauf un –, mais je ne désespère de le voir se rallier à l’intérêt général à l’issue de cette table ronde.

Troisièmement, il faut arrêter de penser à court terme. Des sujets majeurs sont devant nous, qui demandent une réflexion à long terme. Je pense au budget que les jeunes Français consacrent à leur alimentation, si faible qu’ils se nourrissent plus mal que les jeunes Américains ; à la volatilité des matières premières ; aux arbitrages qui, au regard des évolutions, devront nécessairement être faits entre animal et végétal ; à la sécurisation des approvisionnements, par exemple, à notre capacité future à fournir en produits animaux nos magasins en France et à l’étranger afin de promouvoir les produits français. Sur tous ces sujets, rassemblons-nous pour discuter, sortons des postures habituelles : c’est ainsi que nous pourrons avancer et construire.

M. Michel-Édouard Leclerc, président des centres Leclerc. Il faut arrêter de s’aveugler : nous vivons une crise. Hier, elle frappait les plus démunis ; aujourd’hui, les classes moyennes sont également atteintes et restreignent leurs dépenses. Il s’agit d’ailleurs d’un phénomène européen. À nous, entrepreneurs, de nous adapter. Que l’on soit producteur, distributeur ou prestataire de services, la crise du pouvoir d’achat s’impose à nous.

Aux mois de septembre et octobre 2013, pour la première fois de ma vie, j’ai constaté des chutes de ventes en volume. Ni les crises pétrolières ni les crises cycliques dans l’agriculture n’avaient eu cet effet : dans nos magasins, le panier moyen a baissé non seulement en valeur, mais aussi en volume ; 38 % de nos clients viennent avec un catalogue publicitaire ; 2 millions de personnes établissent une pré-liste de courses et font des comparatifs entre drives et enseignes – Cdiscount ou Amazon, selon les produits.

On peut dire ce qu’on veut des comparateurs : ils ne font que refléter les comportements que les Français ont dû adopter. L’augmentation des impôts, la suppression de la défiscalisation des heures supplémentaires, les prélèvements de l’État sur les fonds de participation et d’intéressement ont eu des conséquences sur les revenus des salariés, et nous le voyons dans nos magasins. Nous réalisons désormais nos meilleurs chiffres d’affaires durant les jours qui suivent le versement des allocations et la distribution des salaires.

Si je conviens de la difficulté de gérer cette crise, et plus encore pour ceux qui se trouvent en amont du marché, permettez-moi de vous rappeler que la baisse des prix intervient en France après trente ans d’augmentation. Pour une fois, le retournement est en faveur des consommateurs, et c’est une aubaine pour eux aujourd’hui.

Que cela plaise ou non, c’est la consommation qui tire la croissance et non l’investissement, d’autant que le secteur recherche et développement est paralysé par le manque de perspectives économiques. Or la consommation est en panne. Pour rester présentes sur le marché, nos entreprises sont conduites à développer des stratégies, ce qui attise naturellement la concurrence entre producteurs européens et entre industriels. Je ne parle pas des petits producteurs, mais des grandes entreprises comme Herta, Fleury Michon, Sodebo, Procter, Unilever, Lactalis, Danone ou Nestlé, qui fournissent 80 % des produits que nous vendons dans nos hypermarchés. Il existe des tensions non seulement entre les industriels – et la distribution en profite –, mais également entre les distributeurs. Après avoir longtemps vitupéré Leclerc et ses prix bas, ils en découvrent les vertus et essaient, chacun à sa manière, de rejoindre le front des prix bas, qui en pervertissant la publicité comparative, qui en surinvestissant les opérations de promotion.

Le message publicitaire en est brouillé, j’en conviens, mais nos concurrents ont expliqué dans nos journaux professionnels que c’était le but recherché. Je suis d’accord pour améliorer la publicité et l’information auprès des consommateurs. D’ailleurs, le groupe Leclerc recherche actuellement d’autres formes de publicité et étudie la mise en place de comparateurs plus clairs.

En revanche, si le but de cette discussion est de nous demander d’augmenter les prix, je ne suis pas d’accord. Une augmentation des prix ne contribuerait pas à maintenir la consommation ; d’ailleurs les consommateurs ne l’accepteraient pas. Si, dans certains secteurs, la baisse de prix est trop destructrice, il appartient aux producteurs, avant de se tourner vers l’État ou vers les professions en aval, de compenser la destruction en créant de la valeur à travers la transformation, le marketing, l’innovation. C’est le travail de tout entrepreneur digne de ce nom.

La situation est très difficile ; il y a de la casse et il y en aura encore. Je suis prêt, je le dis au président de l’ANIA, au dialogue et à la concertation, à envisager des démarches de colabellisation et de sélection des meilleures pratiques. Par contre, je suis opposé à la suppression de la publicité comparative demandée par ceux-là même qui l’avaient introduite – de la part de libéraux, on croit rêver ! Ce qui insupporte Carrefour, c’est que Leclerc s’en serve. Il est vrai que, à l’origine, j’étais contre.

Les industriels sont opposés aux clauses de révision de prix, qui n’existaient pas dans la première loi de modernisation de l’économie. Alors que la FNSEA et l’ANIA étaient aussi contre les clauses de revoyure, elles ont demandé que la loi Hamon sur la consommation en prévoie ; et maintenant que les marchés se retournent, elles voudraient que ces clauses s’appliquent uniquement à la hausse !

Sortons de ces gesticulations et traitons les dossiers avec discernement. D’abord, travaillons à conserver les volumes. Dans les centres Leclerc, la marge a baissé de 0,8 point depuis le début de l’année, avec pour conséquence que le résultat net avant impôt de nos adhérents sera cette année de 1,2 contre 1,7 l’année dernière. Mais nous considérons qu’il s’agit d’un investissement nécessaire pour conserver les volumes et maintenir la relation de nos clients avec notre enseigne, quitte à procéder à des réajustements par la suite. Telle est notre priorité.

Vous avez raison, un risque important pèse sur les marges, et plus encore pour ceux qui se trouvent en amont. C’est pourquoi nous tenons à traiter la négociation de manière dissociée entre les PME et les producteurs régionaux, d’une part, et les grandes multinationales, qui réalisent 7 à 9 % de résultat net, d’autre part. Nous avons accepté des PME des hausses que nous avons refusées aux multinationales – elles demandaient 4,9 % ! Dans le contexte général de l’inflation, si nous avions accepté, c’est bel et bien le consommateur français qui aurait été le dindon de la farce. Nous avons donc bien joué notre rôle.

Je le dis solennellement : la distribution diverse et concurrentielle est le dernier rempart contre la récession. Au Portugal, en Grèce, en Italie et en Espagne, la distribution enregistre une baisse de 15 à 20 % de ses ventes, et les industriels n’en sont plus à débattre comme nous le faisons aujourd’hui. Les seuls groupes qui ont résisté sont l’italien Esselunga – le Leclerc de l’Italie – ainsi que l’espagnol Mercadona qui a investi dans des marques de distributeur caractérisées par un excellent rapport qualité-prix.

En France, différentes stratégies coexistent. Monoprix a choisi de vendre cher aux bobos et cela fonctionne bien, mais c’est un modèle qui ne convient pas pour Landerneau ou Royan. Leclerc reste sur une ligne de prix sans pour autant verser dans la paupérisation de l’offre : dans nos magasins, les premiers prix ne représentent que 4,8 % des produits de grande consommation (PGC) ; tout en maintenant des prix bas sur chaque gamme, nous essayons de recréer de la valeur avec les produits régionaux, les marques fortes de nos PME et les marques de distributeurs.

Chacun doit prendre ses responsabilités. La situation est difficile. Aidons-nous et dialoguons autant que possible, mais un entrepreneur se doit d’assumer certains risques sans toujours se tourner vers le législateur. L’encre de la loi Hamon est à peine sèche que vous voudriez y revenir !

Mme Annick Le Loch. Le groupe socialiste vous remercie, monsieur le président, d’avoir organisé cette table ronde sur ce sujet d’actualité. Je crois savoir que nos invités participeront demain à un échange sur ce même thème au ministère des finances, en présence des ministres concernés.

La guerre des prix fait rage entre les centrales d’achat, notamment sur les produits des grandes marques. Dans la logique des comparateurs de prix initiés par M. Leclerc, les distributeurs font pression sur les industriels et écrasent les marges, avec les conséquences que l’on sait sur l’emploi, les investissements, la recherche et l’innovation.

Il s’agit d’un thème récurrent au sein de notre commission, et nous en avons longuement débattu lors de l’examen du projet de loi relatif à la consommation. Nous avons voulu corriger certaines dérives en matière de négociation commerciale en renforçant le cadre juridique, affirmant la primauté des conditions générales de vente, alourdissant les sanctions administratives et rééquilibrant les rapports entre les centrales d’achat et les entreprises de l’agroalimentaire.

Les négociations de 2014 se sont déroulées dans un climat très tendu, marqué par des pratiques abusives. Suite à un contrôle de la DGCCRF, les enseignes Auchan, Carrefour, Leclerc ont récemment été condamnées à payer des amendes conséquentes mais pas dissuasives pour autant puisque ces pratiques perdurent. Peut-on attendre de la loi relative à la consommation une amélioration des relations en 2015 ?

Les pratiques de la grande distribution semblent contraires au bon ordre économique et avoir atteint un seuil dangereux. Croyez-vous pouvoir peser durablement sur les marges à la baisse sans que cela ait des conséquences sur la qualité des produits et l’emploi ?

Monsieur Leclerc, en voulant être toujours le moins cher, vous êtes montré du doigt comme étant celui par qui cette guerre est arrivée, les enseignes concurrentes n’ayant pas d’autre choix que de vous suivre. Auchan aurait ainsi procédé à un gel sans précédent de ses investissements et supprimé 22 % de ses postes de cadres, cependant que le groupe Casino aurait consacré 200 millions d’euros à la baisse des prix pour la seule enseigne Géant. Ces chiffres sont-ils confirmés ? Pensez-vous, les uns et les autres, qu’il vous soit possible de construire demain des relations plus équilibrées et plus profitables aux consommateurs ?

Pourquoi la charte « Relations fournisseur responsables », voulue par tous dans le cadre du contrat de filière, n’est-elle pas encore signée ?

Enfin, de quelle façon utilisez-vous le CICE ?

M. Jean-Claude Mathis. Qu’attendent les professionnels de la réunion qui se tiendra demain au ministère des finances ?

Il ressort des interventions des uns et des autres que, face aux difficultés du contexte économique, les attitudes sont diverses.

Monsieur Leclerc, sans dévoiler votre stratégie, quels sont vos projets en matière de publicité sur les comparateurs de prix, à la suppression de laquelle vous êtes opposé ?

M. le président François Brottes. Le groupe Intermarché se porte candidat au rachat des abattoirs Gad. L’avenir de la grande distribution passe-t-il par le rachat des fournisseurs en amont ? L’intégration de tous les étages de la filière va-t-elle devenir un modèle ?

M. Thierry Benoit. Que nos autres invités n’en prennent pas ombrage, je concentrerai mon propos sur M. Creyssel et M. Leclerc, tous deux au centre de la guerre des prix.

Notre pays ne compte que cinq centrales d’achat, ce qui assure à la grande distribution une position dominante qui lui permet d’imposer ses exigences à ses partenaires, qu’ils soient industries agroalimentaires, coopératives ou agriculteurs. De mon point de vue, nous devons y remédier.

En termes de droit de la concurrence, quelles devraient être les mesures à prendre pour améliorer la transparence dans votre secteur d’activité et assurer une meilleure répartition des marges et des prix entre l’amont et l’aval ?

Il semble que la grande distribution soit éligible au CICE à hauteur de 2 milliards d’euros. Votre activité comporte deux volets, l’un commercial, l’autre industriel. S’il est logique que vos activités industrielles vous ouvrent le bénéfice du CICE, cela ne va pas de soi pour ce qui est de la partie commerce.

Pour justifier la guerre des prix, monsieur Leclerc, vous vous dites attentif au pouvoir d’achat des plus démunis. En clair, vous expliquez aux plus pauvres de nos concitoyens que puisqu’ils ne sont pas riches, vous allez leur apprendre à vivre avec peu d’argent. Je préférerais, au contraire, que nous les aidions à acheter des produits à plus forte valeur ajoutée et de meilleure qualité. Au passage, il y a quelques années, je vous ai écrit pour vous sensibiliser au label VPF « Viande de porc français », mais vous ne m’avez pas répondu. J’en ai été d’autant plus contrarié que comme moi, vous êtes breton.

J’insiste sur le rôle éducatif de la grande distribution auprès des consommateurs, qu’elle doit inciter à bien se nourrir et à bien consommer. Or, à force d’expliquer que les yaourts ou la viande peuvent être vendus à bas prix, vous dévalorisez les efforts fournis en amont pour fabriquer des produits de qualité, et vous déstructurez la filière agroalimentaire et l’industrie, qui s’efforcent d’améliorer la qualité et la sécurité sanitaire et alimentaire. C’est un message très contre-productif que vous adressez aux consommateurs.

La grande distribution a, en outre, un devoir éthique vis-à-vis de ses partenaires. J’ai trouvé très intéressants, monsieur Creyssel, vos propos concernant l’instauration d’un code de bonne conduite, la publicité et la trajectoire de moyen et long terme.

Vivant en Bretagne, je suis très attentif à la restructuration de la filière industrielle dans le domaine de l’agroalimentaire. La position dominante de la grande distribution doit lui conférer un rôle majeur dans cette restructuration.

Mme Brigitte Allain. La guerre des prix est surtout le fait des spéculateurs, qui accaparent les terres pour alimenter des méthaniseurs ou produire des agrocarburants. Grâce à ces hectares de terre, non seulement ils ont bénéficié d’aides de la politique agricole commune non plafonnées, mais ils ont créé le phénomène haussier de 2008. Monsieur Brichart, comment empêcher que les entreprises installent des ateliers qui concurrencent directement les agriculteurs désireux de s’engager dans l’agro-écologie pour pérenniser leur métier ?

Monsieur Leclerc, monsieur Creyssel, à force d’exiger des prix toujours plus bas des fournisseurs, ne vous sentez-vous pas en partie responsables de la crise économique, sociale et écologique que traverse notre pays ? La course aux prix bas casse l’activité des producteurs, supprime des emplois et entraîne des délocalisations. Elle induit des pratiques à la limite de l’éthique, qui ne respectent ni le travail paysan, ni le bien-être animal, ni les écosystèmes, encore moins les consommateurs.

La durabilité des filières implique que la coopération puisse défendre l’intégration dans les négociations de la nécessaire rémunération des producteurs.

Vous dites vouloir reconstruire à travers des partenariats une synergie entre producteurs et transformateurs, et entre consommateurs et distributeurs. Pourquoi ne pas vous inspirer du système alimentaire territorial que nous avons introduit dans la loi d’avenir pour l’agriculture ? Facilitant les bonnes pratiques, il constitue finalement le seul contrat qui vaille : un contrat sociétal entre producteurs, transformateurs, distributeurs et consommateurs.

M. Hervé Pellois. La France est, avec la Grèce et l’Irlande, le pays le plus touché par la déflation des prix des produits alimentaires. S’agit-il d’une spécificité française, par rapport à l’Allemagne, par exemple, où la situation est très différente ? Est-ce une question de législation, de qualité de la négociation, de discipline de la filière ou de plus grande solidarité entre les industries agricoles et alimentaires ?

Nous constatons l’implication de plus en plus forte de la grande distribution dans les filières amont de l’agriculture. En Bretagne, le groupe Intermarché pourrait reprendre la société Gad et les magasins Leclerc possèdent leur propre abattoir de porcs. Comment l’ANIA et Coop de France considèrent-elles cette évolution ? Ne devons-nous pas craindre, à terme, une baisse de la qualité des produits ?

M. Éric Straumann. Avez-vous évalué l’impact de l’écotaxe, devenue « péage de transit poids lourds », sur le panier de la ménagère ?

Selon M. Brichart, si le marché intérieur est difficile, le marché à l’exportation fonctionne plutôt bien. Pour ma part, je suis élu d’une zone frontalière où je constate que beaucoup de gens vont faire leurs courses en Allemagne parce que les prix y sont nettement moins élevés.

M. Jean-Pierre Le Roch. Nous assistons, depuis une vingtaine d’années, à l’intégration par la grande distribution d’outils industriels, en particulier en Bretagne. Pensez-vous que cette évolution se poursuivra ?

Les linéaires de produits locaux augmentent sensiblement dans les grandes surfaces. Envisagez-vous de nouer des partenariats avec les producteurs locaux ?

Mme Frédérique Massat. Monsieur Leclerc, vous ne pouvez à la fois accepter le CICE et remettre en cause les décisions du Gouvernement. D’ailleurs, combien avez-vous perçu au titre du CICE ?

Qu’attendez-vous, les uns et les autres, de la réunion qui se tiendra demain au ministère ?

M. Michel Piron. Malgré l’existence de l’Observatoire des prix et des marges, j’ai l’impression que nous évoluons dans un brouillard organisé.

Monsieur Leclerc, vous dites être passé de 1,7 à 1,2 point de résultat net, mais ce sont les marges brutes qui sont éclairantes. Quels sont les chiffres des centrales d’achat ? Des sociétés immobilières ? Quel est le montant des loyers ?

M. Michel-Édouard Leclerc. Zéro euro !

M. Michel Piron. Bien sûr, les centrales d’achat ne prennent rien et vous ne touchez pas de loyer… C’est une nouvelle !

Nos entreprises de taille intermédiaire (ETI) réalisent, semble-t-il, des marges beaucoup plus importantes dans les pays voisins, y compris aux États-Unis. Cela doit nous amener à nous interroger. Quel est votre sentiment sur ce point et sur la politique des filières par rapport à l’Allemagne ?

Enfin, quand allons-nous comprendre que « le produit le moins cher », c’est aussi « un moindre revenu pour le producteur » ?

M. Yves Daniel. Devant mettre prochainement fin à mon activité de paysan, je vous proposerais bien, monsieur Leclerc, de racheter mon exploitation pour placer un autre agriculteur à ma place… Quels sont vos objectifs en matière d’intégration de la filière ?

Cette filière agroalimentaire est constituée d’éléments qui forment une chaîne – vous en faites partie, messieurs. Or si l’un des maillons lâche, tous les autres se retrouvent en péril. Comment faire en sorte que tous les maillons tiennent entre eux et se retrouvent demain autour d’un véritable projet agricole national et européen ?

Mme Marie-Lou Marcel. La responsabilité sociale et économique de la grande distribution est évidente. Selon plusieurs enquêtes, en 2010, la grande distribution a réalisé 70 % de son chiffre d’affaires en périphérie des villes – contre seulement 30 % en Allemagne. Ce chiffre a forcément un impact sur les relations commerciales de la grande distribution avec les producteurs et le développement d’autres circuits.

Je suis élue d’un département où les produits porteurs d’un signe officiel de qualité sont légion. Les marques de distributeur sont-elles un moyen pour les distributeurs d’augmenter leurs marges, de privilégier l’origine des produits ou de conclure un contrat gagnant-gagnant avec les producteurs ?

M. Daniel Fasquelle. Dans le contexte de crise économique, le pouvoir d’achat est véritablement mis à mal. Il y a deux ans, nous tirions la sonnette d’alarme, mais la majorité est restée sourde. Le résultat est là : alors qu’il fallait maintenir la défiscalisation des heures supplémentaires, vous l’avez supprimée, portant un coup rude au pouvoir d’achat des Français.

Dans la loi de modernisation de l’économie, la notion de déséquilibre significatif a été substituée à celle de discrimination en vue de réguler les rapports entre distributeurs et producteurs. Cette notion est-elle suffisante et convenablement interprétée pour établir une jurisprudence stable ?

Les règles en matière d’urbanisme commercial sont-elles satisfaisantes ? La concurrence est souvent trop peu présente dans les territoires. Doit-elle être renforcée ?

Le dispositif des soldes est assez confus et intervient entre de perpétuelles périodes de remises et de promotions, si bien que les consommateurs s’y perdent. Cette situation encourage la guerre des prix. Nous avons inscrit dans la loi la suppression des soldes flottants et, lors de la commission mixte paritaire au Sénat, la prochaine remise à plat du régime des soldes a été évoquée. Convient-il, selon vous, de faire évoluer la loi sur cette question et dans quel sens ?

M. le président François Brottes. J’aimerais, quant à moi, que vous abordiez la question de vos relations avec la Banque alimentaire.

Mme Pascale Got. Les prix dans la grande distribution et le contexte général de la filière agroalimentaire dans les départements et territoires d’outre-mer font régulièrement débat. Où en est la démarche visant à assurer une meilleure régulation des prix dans ces territoires ?

M. Henri Brichart. Commençons par ce que nous attendons de la réunion de demain avec le Gouvernement. Tout d’abord, sans être directement concernés par les relations entre industriels et distributeurs, nous espérons tout de même connaître les résultats des contrôles mis en place par l’État. Je le répète, l’important n’est pas tant de faire évoluer la loi que de veiller à ce qu’elle soit correctement appliquée.

Ensuite, si nous pouvions trouver une forme de consensus sur les limites à la guerre des prix, nous pourrions peut-être envisager de construire quelque chose. Or, après avoir entendu M. Leclerc, je ne suis pas très optimiste. Nous sommes tous conscients de la crise, et nous souhaitons, nous aussi, nous adapter aux capacités des consommateurs. Mais jusqu’où nous faudra-t-il aller ? Cela nous permettra-t-il seulement de sortir du cercle vicieux de la déflation dans lequel nous sommes entraînés, sans nous empêcher de rebondir ?

M. Leclerc fait la morale aux producteurs et aux industriels en les invitant à créer de la valeur. De son côté, la distribution pourrait aussi chercher à développer d’autres pratiques qu’offrir les prix les plus bas pour maintenir ses parts de marché.

Je suppose que Brigitte Allain faisait allusion à la ferme des mille vaches. Si la FNSEA ne privilégie pas ce modèle d’exploitation, les reproches qu’on peut lui adresser ne sont pas forcément fondés : même si elles ne se réclament pas de l’agro-écologie et du respect de l’environnement, ces exploitations sont souvent irréprochables en ces domaines.

À mon avis, les prix ne sont pas moins élevés de l’autre côté de la frontière. Je vis, pour ma part, dans une commune frontalière de la Belgique où nous avons l’habitude historique d’aller faire nos courses, mais les prix sont les mêmes. Je ne pense pas non plus que les prix dans l’agroalimentaire soient moins élevés en Allemagne.

S’agissant de la clause de revoyure, M. Leclerc a signifié que la baisse des charges pouvait justifier des renégociations. Sauf erreur du ministère et de l’INSEE, les indicateurs mensuels rapprochant le prix de vente du coût de production sur un certain nombre de productions sont toujours extrêmement bas, en dépit de quelques évolutions dans les charges, et ne justifient pas de reprendre les renégociations.

M. Yves Le Morvan. J’ai noté que le CICE suscite beaucoup d’intérêt. Dans la politique qui est conduite aujourd’hui, c’est un élément déterminant pour les entreprises. Mais je conclus de ces interrogations que le débat n’est pas clos.

Coop de France réfléchit à de nouveaux modèles de distribution pour les produits frais dans les territoires. Nous sommes, par nature, assis sur les territoires et très proches des producteurs. Nous pensons pouvoir proposer des schémas différents de distribution des produits locaux. Nous y travaillons avec l’intention d’agir bientôt.

Il est difficile de répondre précisément à la question sur l’impact de l’écotaxe dans le panier de la ménagère. Nous pouvons seulement dire que, malgré les aménagements qu’elle a connus, l’écotaxe conserve le défaut de reposer sur un prélèvement forfaitaire, quel que soit le transport et quelles que soient les routes utilisées. La voilure a certes été réduite. Il n’en demeure pas moins qu’une majoration forfaitaire sera appliquée sur le transport, qui représente un coût d’environ 2 % pour les entreprises qu’il sera difficile d’intégrer dans la chaîne de valeur.

S’agissant des abattoirs, tous les pans industriels des productions animales n’ont pas vocation à être rachetés par la grande distribution, qui d’ailleurs ne le souhaite pas, malgré les parts importantes qu’elle y détient. Il faut trouver une solution au problème social et économique que pose la situation délicate de l’entreprise Gad, qui ne peut pas être la généralisation d’un nouveau modèle économique.

Nous regardons le label « Relations fournisseur responsables » d’un œil bienveillant, même s’il y a sans doute encore des modifications à lui apporter. Il présente l’intérêt de rassembler la filière sur un sujet positif.

M. le président François Brottes. Selon vous, l’intégration par la grande distribution de la production et de la transformation serait plutôt le fruit du hasard et de la nécessité. Les coopératives ont-elles envisagé d’investir la grande distribution ?

M. Yves Le Morvan. Oui, mais avec beaucoup de modestie. Nous avons l’intention de développer des modèles de grande distribution pour les produits frais, de manière évidemment marginale.

M. Jean-Philippe Girard. Nous sommes inquiets de voir le CICE fondre dans les négociations commerciales, avec pour conséquence d’entraver les créations d’emplois et les investissements dans l’industrie alimentaire. J’en appelle à votre vigilance. Nous sommes au milieu du gué.

Nous sommes unanimes à considérer que les marges sont plus faciles à réaliser à l’export qu’en France. Sur un marché très mature et en tension, et dans un contexte de croissance molle, les entreprises, quelle que soit leur taille, tirent leur croissance et leur dynamisme de l’export qui offre des marges supérieures, grâce notamment à des discussions sur la construction des prix plus ouvertes.

Dans les DOM-TOM, pour répondre aux critiques sur la qualité des produits, un gros travail a été engagé afin d’établir des chartes qualité et de faire en sorte que les entreprises locales obéissent aux mêmes règles de fabrication qu’en métropole. Il est certain néanmoins que l’éloignement, la main-d’œuvre sur place, la logistique, renchérissent le coût.

Michel-Édouard Leclerc a dit : « Aidons-nous ». Chiche ! L’enjeu est bien de mieux s’écouter et mieux se comprendre. Plutôt que de l’augmentation globale des prix, qui n’a aucun sens, parlons de la hausse de certains prix. Des secteurs, comme la mer et la pêche entre autres, en ont besoin pour survivre.

Je mets en garde Jacques Creyssel, dont je connais le talent de provocateur et l’habilité, contre les maladresses. Ce qui m’intéresse aujourd’hui, c’est d’aider les quelque 11 000 entreprises qui souffrent à retrouver de la croissance et de la rentabilité. Le jeu des courriers, ce n’est pas mon truc. Relisez la lettre et vous verrez qu’elle a du sens. Je suis prêt à argumenter sur chaque ligne. Cette lettre se borne à expliquer la situation, alors que la réponse est plus contestable. Nous avons alerté le Premier ministre parce qu’il y a urgence.

Vous êtes tous des amis des entreprises, des grandes comme des petites ; il n’y a pas de raison de les opposer. Le label « Relations fournisseur responsables » a un vrai contenu et un vrai sens. Puisque le rendez-vous d’aujourd’hui est presque une répétition de la réunion de demain, j’en proposerai la signature par toutes les enseignes et toutes les entreprises, quelle que soit leur taille. Ainsi nous ferions un pas en avant dans la construction d’une relation qui ne soit plus fondée sur les seules considérations de prix.

Demain, je proposerai que les sujets soient envisagés à court, moyen et long terme. À court terme, je plaide pour un durcissement des contrôles et des sanctions, qui ont fait la preuve de leur efficacité, ainsi que pour un renforcement de la communication. Aujourd’hui, nous manquons d’aide et d’appui dans des relations déséquilibrées, nous l’avons tous rappelé. Essayons de rééquilibrer ces relations.

Je demanderai également la signature de toutes les enseignes et de toutes les entreprises. Il n’y a pas lieu de séparer PME et grands groupes : elles font l’emploi, la croissance et le bonheur des gens. Revenons aux produits ! Le prix est une chose, le marché aussi mais ce qui importe, c’est le consommateur, la qualité, le plaisir, la diversité. C’est le consommateur qui décide. Nous avons des produits régionaux et des terroirs à défendre. N’est-ce pas là l’enjeu ? Attention, d’ailleurs, avec la réforme des territoires en cours, à ne pas détruire en un an plusieurs années voire siècles de construction d’un produit, d’un savoir-faire.

Je suggérerai, en outre, le lancement d’un groupe de travail sur la prospective. Nous avons besoin de connaître l’évolution des matières premières, leur volatilité et leur disponibilité demain. Avec ce travail à court, moyen et long terme, nous pourrons préparer l’avenir.

Enfin, je souhaite que le label « Relations fournisseur responsables » soit adopté, même si je trouve que l’appellation « négociation responsable » serait plus appropriée. Fournisseurs et distributeurs, quel que soit le niveau de chacun, doivent prendre leurs responsabilités.

À long terme, il faut s’intéresser à l’export, à la taille des entreprises et aux projets qui permettront de le développer. Je le sais d’expérience, quand l’export va bien, le marché français va bien.

M. Jacques Creyssel. Madame Le Loch, je connais vos convictions qui, j’ai eu l’occasion de vous le dire, ne correspondent pas à la réalité. La réalité, ce ne sont pas les relations totalement déséquilibrées et les pratiques abusives que vous décrivez. La réalité, c’est que pour la plupart des produits, nous avons à faire à guère plus de deux ou trois multinationales, qui représentent 80 % du marché. Elles composent, d’ailleurs, l’essentiel du conseil d’administration de l’ANIA. Ces entreprises font des marges, qui ont augmenté de manière importante ces dernières années et qui peuvent atteindre aujourd’hui 20 % pour les marges nettes. Il faut en finir avec cette vision classique de quelques PME faisant face à d’affreuses centrales d’achat. Telle n’est pas la réalité.

Nous ne nions pas les difficultés, et c’est la raison pour laquelle nous soulignons le problème des PME. Savez-vous pourquoi le label est aujourd’hui bloqué ? Parce qu’un des interlocuteurs, qui s’est exprimé à l’instant, refuse que soient considérées comme bonnes pratiques les mesures spécifiques en faveur des PME, différentes de celles qui prévalent pour les grands groupes. Voilà la vérité !

Nous avons signé avec la Fédération des entreprises et des entrepreneurs de France (FEEF), qui n’est malheureusement pas autour de cette table, trois accords l’année dernière pour essayer de rétablir des relations le plus équilibrées possible avec les PME. Nous progressons et nous souhaitons voir cette bonne pratique reconnue. Malheureusement, pour des raisons dogmatiques – parce qu’il ne faut pas distinguer les PME et les grandes entreprises – le label est bloqué. Je le redis : nous pouvons nous mettre d’accord dès cet après-midi et signer demain un texte devant les ministres.

M. Jean-Philippe Girard. Le dossier est bloqué pour la seule raison que nous ne souhaitons pas signer un accord « Relations fournisseur responsables » dans le contexte actuel de tension sur les prix et sur les compensations de marges. Entre grands groupes et PME, je le rappelle, il y a des entreprises ; et les consommateurs font des choix.

M. le président François Brottes. Vous avez des adhérents qui réalisent 20 % de marge ?

M. Jean-Philippe Girard. J’entends les chiffres de M. Creyssel depuis longtemps déjà…

M. Jacques Creyssel. Ce sont des chiffres très précis qui concernent des entreprises cotées. Vous savez parfaitement de qui il s’agit.

M. Jean-Philippe Girard. Nous avons un groupe français qui pourrait largement témoigner des marges brutes globales, de la marge brute France et de la marge brute export.

M. Jacques Creyssel. S’agissant de la réunion de demain, j’ai bien compris l’attente de M. Girard quant à la répression. Les contrôles existent, c’est normal. Nous considérons que l’amende administrative n’est pas un bon système mais nous sommes tout à fait prêts à des évolutions.

La seule chose qui m’intéresse, et en cela nous nous rejoignons, c’est l’avenir. Pour le construire, il faut nous mettre autour d’une table. Cela fait un an et demi que je le propose, un an et demi que cela n’avance pas. Accélérons au lieu d’écrire des lettres polémiques, auxquelles nous répondons sans esprit polémique. Je vous ferai parvenir notre réponse afin que vous constatiez par vous-même la différence de ton.

Au sujet du CICE, on a le sentiment qu’il y a plusieurs catégories d’emplois dans notre pays. La grande distribution représente 750 000 emplois, une fois et demi plus que l’industrie agroalimentaire. Très souvent, elle est le premier employeur privé dans vos territoires. Nous sommes le secteur qui recrute le plus de jeunes peu qualifiés dans ce pays. Nous en sommes un des ciments sociaux. En période de crise, jusqu’à présent, nous étions un amortisseur social formidable. Depuis deux ou trois ans, cet amortisseur n’est plus aussi efficace parce que nous subissons la crise, plus fortement même que l’industrie agroalimentaire : nos emplois ont reculé de 5 % entre 2010 et 2012, soit une perte de 30 000 emplois. Le CICE va permettre – les résultats de 2013 montrent déjà une inflexion de tendance – de redresser la barre et de redonner de l’espoir sur les territoires.

Dire que le coût d’un salarié peu qualifié peut baisser s’il travaille dans l’industrie mais qu’il ne le peut pas dans les services ou le commerce, c’est une vision de l’économie complètement datée. Tous les emplois se valent. Le sujet majeur est bien d’arriver à faire baisser le nombre de chômeurs dans ce pays.

Je signale au passage, sur un sujet qui me tient particulièrement à cœur, qu’une mesure a été votée en catimini dans le cadre du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale, annulant purement et simplement, pour les secteurs de main-d’œuvre, l’effet du pacte de responsabilité en réintégrant les temps de pause. Dans les discussions avec les syndicats sur les contreparties, nous n’avons plus rien à proposer, car l’effet des nouvelles baisses de charges a été annulé par cette mesure. Je compte sur la représentation nationale pour rectifier le tir lors de la nouvelle lecture du projet de loi.

Monsieur Benoit, on dénombre une dizaine de centrales d’achat en France. Elles sont plus nombreuses qu’en Allemagne ou en Angleterre. La concurrence est, au contraire, une caractéristique française. Vous ne pouvez pas à la fois vous plaindre d’une concurrence excessive qui pèse sur les prix et plaider pour plus de concurrence. Le problème n’est certainement pas aujourd’hui dans le nombre de centrales.

Vous dites qu’on détruit l’économie avec des prix trop bas. Non. C’est le résultat d’une situation économique dégradée. On ne la redressera pas en stigmatisant certains acteurs.

Monsieur le président, le rachat des entreprises industrielles que vous avez évoqué n’est qu’un retour de l’histoire. Historiquement, le groupe Casino s’est construit à partir de la fabrication de certains produits par les distributeurs. Aujourd’hui, les distributeurs sont parfois en même temps des industriels, et les industriels deviennent parfois distributeurs. L’un des principaux distributeurs non alimentaires au niveau mondial s’appelle Apple. N’oublions jamais que nous sommes dans un monde où la révolution numérique impose au commerce et à l’industrie de changer du tout au tout : tous nos réflexes et toutes nos habitudes sont bouleversés. Le défi que doivent relever aujourd’hui l’industrie comme les distributeurs, c’est d’investir pour continuer à exister demain. C’est sur ce plan que le CICE doit être considéré.

Monsieur Piron, les marges brutes ne tiennent pas compte des coûts. Ce qu’il faut prendre en considération, ce sont les marges nettes, ce qui reste. Imagine-t-on d’apprécier un salaire indépendamment des dépenses qu’il couvre ? C’est absurde. Nos comptes, qui sont consolidés, font apparaître les marges. Les données fournies à l’Observatoire des prix et des marges ont été vérifiées par des cabinets d’audit. Il en ressort que les marges nettes de la grande distribution se situent autour d’1 % après impôts ; sur certains rayons, notamment la viande et la marée, elle perd de l’argent mais elle répond à la demande des clients.

Les marges sont-elles meilleures ailleurs ? Nous le saurons le jour où les industriels français accepteront de communiquer leurs marges nettes en France. Nous avons donné nos marges nettes, les producteurs agricoles aussi mais les industriels s’y refusent toujours. Ce débat est assez controversé. Pendant longtemps, la France a été considérée comme le pays dans lequel les marges étaient les plus importantes. La transparence totale sur ce sujet me paraît importante.

Mme Marcel a évoqué les marques de distributeur. Contrairement à ce qui a été indiqué, la part des MDD est plutôt plus faible que dans les autres pays, de l’ordre de 30 % en valeur et 40 % en volume. Depuis quelques années, elles sont un moyen de mettre en avant des produits spécifiques aux régions et de mettre en place des contractualisations sur des filières de qualité. C’est très positif.

Sur la notion de déséquilibre significatif, la jurisprudence se construit progressivement. Il est encore trop tôt pour en tirer des conclusions.

Un mot sur l’urbanisme commercial. Avec l’évolution du monde du commerce, nous avons besoin d’un minimum de souplesse pour être en mesure de nous adapter. Or les mesures contenues aussi bien dans la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové que dans la loi sur l’artisanat et le commerce rigidifient le système, au point qu’on ne sait pas comment les appliquer. À terme, c’est très dangereux, car si nous ne sommes pas capables de nous adapter, tout le monde y perdra. Quand les distributeurs se portent mal, c’est mauvais pour l’ensemble de la filière.

Nous avons des accords avec les banques alimentaires, les Restos du cœur, le Secours catholique et d’autres organisations très actives dans le domaine caritatif. La grande distribution fournit 35 % des dons alimentaires en France. Dans l’ensemble des hypermarchés, tous les produits à deux jours de la date de péremption sont automatiquement donnés à ces organisations. Nous travaillons beaucoup ensemble pour résoudre les difficultés spécifiques à certains endroits : dans les plus petits magasins où la collecte est plus difficile et plus coûteuse, mais aussi en Île-de-France où nous nous heurtons à un manque d’entrepôts. Ce sujet majeur pour nos concitoyens en difficulté doit mobiliser non seulement les distributeurs, mais aussi les collectivités territoriales.

M. le président François Brottes. On me dit que le coût de l’annulation des temps de pause est évalué à 140 millions d’euros alors que votre secteur bénéficie d’1,5 milliard d’allègement du coût du travail. Cette mesure ne me paraît donc pas absorber les gains liés au CICE.

M. Jacques Creyssel. Je connais la thèse de Bercy. La mesure, selon un chiffrage plus précis que le sien puisque fondé sur la réalité des entreprises, absorbe ce que vous êtes en train de voter – environ 200 millions d’euros. Et si l’on doit en appeler au passé, je peux aussi parler des 35 heures et de tous les impôts qui ont été augmentés depuis quatre ou cinq ans.

Je rappelle que nous sommes l’un des principaux employeurs de notre pays et qu’il faut tout faire pour développer l’emploi. Vous ne pouvez pas mettre en avant les orientations claires du Gouvernement et dans le même temps voter une mesure qui va à leur encontre.

M. Michel- Édouard Leclerc. Je suis l’un des plus vieux routiers de ce genre de débat. Il y a trente-cinq ans, j’accompagnais mon père et les sujets étaient les mêmes. Je m’en suis lassé, c’est vrai. J’hésitais à venir, je vous l’ai dit. D’autant que j’avais pris soin, depuis l’avant dernier salon de l’agriculture, de ne pas cristalliser certaines revendications. Je suis finalement venu par reconnaissance de la qualité du travail parlementaire.

Fort de mon expérience, j’ai envie de vous dire que pour réussir à travailler ensemble, il faut en finir avec les stéréotypes. Vous n’aimez pas que l’on vous désigne comme les élus ou les politiques sans faire la part de vos sensibilités. Il en va de même pour nous : la « grande distribution » n’existe pas, et il n’y a pas, d’un côté, les gentils producteurs et, de l’autre, les méchants distributeurs. Nous ne pouvons pas passer notre temps à nous en défendre. Face à la marée, mieux vaut dégager.

Nous avons fait de nos enseignes les entreprises les plus populaires de France. Je vous rappelle que Leclerc, Intermarché, Carrefour, Auchan font partie des dix marques françaises les plus populaires, malgré les attaques. Les gens ne sont pas idiots : ils vont là où se trouve leur intérêt. Nous avons plein de défauts mais nous n’en avons pas le monopole.

J’imagine que la conclusion sera laissée au consommateur, décideur et arbitre suprême. De nombreuses choses ont été dites que je partage. Je vous pose une simple question : croyez-vous vraiment que le pouvoir d’achat des Français va augmenter dans les deux ans qui viennent, quelle que soit la qualité des mesures prises par le Gouvernement ou des propositions de l’opposition ? Que nenni ! Face à ce constat, Jacques Creyssel l’a dit, nous sommes dans l’obligation de nous adapter. S’adapter, pour un entrepreneur qui se revendique comme tel, avec une responsabilité sociale, cela signifie prendre en main la situation au lieu de renvoyer la responsabilité sur son voisin. C’est là que la différenciation des stratégies est importante.

Lorsqu’il est arrivé à la tête de Carrefour, Georges Plassat a décidé de remettre l’entreprise sur les rails de la politique de prix qu’elle avait abandonnée depuis cinq ans. Il ne voulait pas laisser ce leadership à Leclerc, et les résultats sont là, avec un frémissement réel du chiffre d’affaires.

Nous voyons partout des exemples de ces stratégies différenciées : Air France développe le low cost, alors que son PDG affirmait, il y a cinq ans, que le low cost n’affecterait pas l’entreprise ; Renault relance la Dacia ; dans tous les secteurs, les producteurs, les industriels, les manufacturiers, les prestataires de services lancent des offres pour rebondir ou pour avoir un coup d’avance. Il en est de même dans l’agro-alimentaire : Savéol a pris le marketing des produits agricoles à bras-le-corps, permettant ainsi à l’entreprise de redémarrer et de dégager des marges. Dans les entreprises, il n’y a pas les bons et les mauvais ; il y a des stratégies qui s’avèrent gagnantes, d’autres perdantes. Parfois aussi, il y a de l’inertie.

Le monde de la production est composé de deux catégories d’acteurs qui ne se battent pas avec les mêmes armes face à la crise : d’une part, les producteurs de matière brute ou peu transformée qui sont à la merci des aléas des cours ; d’autre part, les producteurs qui transforment de telle sorte que le coût de la matière première ne représente qu’une part de la valeur pour le consommateur. Ceux-là ont une capacité de péréquation que revendiquent l’industriel agroalimentaire et le distributeur. Beaucoup d’agriculteurs continuent à produire de la matière brute, c’est le drame de l’agriculture française.

Leclerc a décidé de ne pas faire d’intégration. Nous n’achèterons rien de plus que l’abattoir que nous possédons déjà. Au départ, l’actionnariat de cet abattoir comptait des producteurs. Ils sont partis et ils ont eu tort : ils auraient gagné de l’argent. Nous devons convaincre les producteurs de matière brute que leur métier est de faire du marketing et de transformer, à l’instar de ce qu’ont fait les viticulteurs. Aujourd’hui, on ne vend plus de vin ; on vend des labels, des appellations d’origine contrôlée, des étiquettes. Nos rayons vins sont devenus des caves qui valorisent les étiquettes des producteurs, si bien que peu de gens sont aujourd’hui dépendants d’un hypothétique cours du vin. Le rôle de la distribution n’est pas de faire du mécénat vis-à-vis de l’agriculture mais de valoriser les efforts des producteurs.

De ce point de vue, je rejoins M. Creyssel : il faut différencier, dans la négociation commerciale, la PME de la grande entreprise internationale. Nous pouvons aider plus facilement des entreprises de nos territoires que Coca-Cola ou Unilever, qui n’ont d’ailleurs que faire de nos préconisations.

Je suis d’accord pour faire preuve de discernement dans la détermination du prix. J’en conviens aussi, pour certaines productions, la baisse des prix n’augmentera pas les ventes. Il faut que chacun prenne ses responsabilités. Nous sommes sur un marché, régi par des lois, face à des industriels. Vous ne prenez pas en compte le fait que la première concurrence subie par le producteur est la concurrence entre les industriels. La cartellisation de la FNSEA et de l’ANIA devrait vous interroger. C’est quand même l’alliance du matou et de la souris ! C’est incroyable que cela ne vous fasse pas réagir.

Je le concède, le distributeur est gagnant dans la concurrence à laquelle se livrent les industriels. Il faut dissocier la PME, dont les moyens ne lui permettent pas de prendre part à la compétition, des grandes entreprises.

Si les discussions ont pour but de faire remonter les prix, nous ne l’accepterons pas. Écrivez au Premier ministre, faites supprimer les comparateurs. Nous n’avons déjà pas le droit de faire la publicité des promotions à la télévision, ni de signaler les 5 % de rabais sur les livres ailleurs qu’en magasin. Pour faire des campagnes sur les fruits et légumes, il faut demander l’autorisation à la fédération. Voilà le pays dans lequel nous sommes !

Je réponds positivement aux demandes de dialogue, mais les discussions ne doivent pas être focalisées sur le prix : c’est le consommateur qui détermine le prix de vente. Travaillons sur le marketing, la valorisation des produits.

Je n’ai pas répondu à la sollicitation de M. Benoit en faveur du label « Viande de porc français » parce que je considérais que la manière la plus intelligente de vendre le porc français en Bretagne était de le faire sous l’appellation « Cochon de Bretagne ».

L’un d’entre vous m’a proposé de racheter son exploitation. Je n’achèterai pas de terres, mais Xavier Beulin, lui, en achète. Alors qu’on demande au distributeur de contribuer à la compensation de marge de l’agriculteur, on oublie de dire que les céréales sont très présentes dans les intrants pour les éleveurs. M. Beulin avait proposé une cotisation des céréaliers pour soutenir les éleveurs laitiers. Il n’en est plus question. J’ai proposé, l’année dernière, une aide structurelle qu’il a refusée. J’ai été le premier à signer l’accord avec le médiateur, mais je ne sais pas quel en a été le résultat pour les producteurs.

M. le président François Brottes. Nous finissons sur une note d’ambiance qui n’étonnera personne. Je remercie les uns et les autres d’avoir accepté cet échange.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mercredi 16 juillet 2014 à 9 h 30

Présents. - M. Damien Abad, Mme Brigitte Allain, M. Thierry Benoit, M. Yves Blein, Mme Michèle Bonneton, M. Christophe Borgel, M. Jean-Claude Bouchet, M. François Brottes, Mme Corinne Erhel, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Daniel Fasquelle, M. Christian Franqueville, Mme Pascale Got, M. Jean-Luc Laurent, Mme Annick Le Loch, M. Jean-Pierre Le Roch, Mme Marie-Lou Marcel, Mme Frédérique Massat, M. Jean-Claude Mathis, M. Hervé Pellois, M. Dominique Potier, Mme Béatrice Santais, M. Éric Straumann, M. Lionel Tardy, Mme Catherine Troallic, Mme Clotilde Valter, M. Fabrice Verdier

Excusés. - Mme Ericka Bareigts, M. Jean-Michel Couve, Mme Jeanine Dubié, M. Franck Gilard, M. Joël Giraud, M. Razzy Hammadi, M. François Pupponi, M. Alain Suguenot

Assistaient également à la réunion. - M. Yves Daniel, M. Michel Piron