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Commission des affaires économiques

Mercredi 7 octobre 2015

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 3

Présidence Mme Frédérique Massat, Présidente

– Présentation du rapport d’application de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation (Mme Annick Le Loch et M. Philippe Armand Martin, rapporteurs).

La commission a examiné un rapport d’application de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation de Mme Annick Le Loch et M. Philippe-Armand Martin.

Mme la présidente Frédérique Massat. Mes chers collègues, l’ordre jour appelle la présentation d’un rapport sur la mise en application de la loi 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation. Je vous rappelle que, le 26 mai dernier, en application de l’article L. 145-7 du Règlement, la Commission des affaires économiques a désigné Mme Annick Le Loch et M. Philippe Armand Martin rapporteurs.

M. Philippe Armand Martin, rapporteur. Nous sommes aujourd’hui devant vous pour présenter le travail que la Commission nous a confié, pour lequel nous avons auditionné de nombreux représentants de la production comme de la distribution.

J’apporterai deux précisions liminaires avant d’entrer dans le vif du sujet. En ce qui concerne le champ du rapport, d’abord : en accord avec le président François Brottes, nous avions choisi de nous concentrer, dans un premier temps, sur les relations entre distributeurs et fournisseurs, toujours extrêmement conflictuelles et que la loi Consommation avait souhaité pacifier en aménageant le régime issu de la loi de modernisation de l’économie, dite LME. Le rapport qui vous est présenté aujourd’hui ne couvre donc qu’un aspect de la loi consommation ; le reste de l’application de cette loi sera traité dans un rapport ultérieur.

Sur le contexte général, ensuite : il est évidemment tentant de lire ce rapport sous le prisme particulier de la grave crise que traverse aujourd’hui le monde agricole. Une telle lecture serait néanmoins biaisée. En effet, ses causes sont multiples et ne sauraient se réduire aux relations entre fournisseurs et distributeurs : notre commission a d’ailleurs mis en place une mission d’information sur la crise de l’élevage, sous la présidence de notre collègue Damien Abad. Par ailleurs, notre rapport a un périmètre beaucoup plus large puisqu’il concerne l’ensemble des fournisseurs, en particulier industriels, pour lesquels les problématiques sont fort différentes.

Venons-en au cœur du sujet.

La loi du 17 mars 2014 relative à la consommation n’a pas fondamentalement remis en cause les grands équilibres des rapports entre fournisseurs et distributeurs issus de la LME, en particulier le principe de négociabilité des prix qui est au cœur du dispositif LME. Mais la contrepartie à la plus grande liberté de négociation laissée aux parties est une exigence de loyauté et de transparence des relations commerciales. Ainsi, la loi contient plusieurs dispositions destinées à rééquilibrer les éventuels effets néfastes des rapports de forces économiques par la réaffirmation des modalités d’encadrement de la négociation et un formalisme plus strict de la relation commerciale.

Le législateur a, en particulier, souhaité faire des conditions générales de vente (CGV) le socle unique de la négociation commerciale. L’objectif était de répondre aux récriminations récurrentes des fournisseurs qui se plaignaient que l’esprit de la LME était détourné par certains distributeurs qui faisaient des conditions générales d’achat (CGA) la base de la négociation. Cette référence au « socle unique » conduit à interdire de telles pratiques, les CGA devant désormais apparaître comme une contre-proposition dans un processus de négociation et non comme un nouveau point de départ pour la négociation.

Ensuite, dans le déroulement de la relation contractuelle, la loi interdit expressément deux nouveaux comportements abusifs, qui étaient dénoncés de manière récurrente lors des contrôles menés par les services de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) : la garantie de marge et le non-respect du prix convenu.

Le législateur a également souhaité renforcer les moyens d’action des agents chargés de veiller au respect des dispositions du code de commerce en matière de pratiques commerciales, tant au stade de l’enquête qu’à celui de la mise en œuvre de la sanction, le cas échéant. C’est là un point essentiel de la loi. S’il est encore trop tôt pour dresser un bilan de ces nouvelles modalités de contrôle, nous considérons que ce renforcement était indispensable et que l’administration doit désormais disposer des moyens budgétaires suffisants afin de mettre en pratique ces nouveaux pouvoirs.

Voici donc, succinctement présenté, l’essentiel de l’apport de la loi Consommation aux relations commerciales. La question que nous nous posions en commençant nos travaux était la suivante : ces changements législatifs avaient-ils eu des effets positifs sur les négociations qui se sont achevées le 28 février dernier ?

Mme Annick Le Loch, rapporteure. Il est malheureusement très difficile d’apporter une réponse tranchée à cette question, car, depuis l’adoption de la loi, un profond bouleversement du secteur de la distribution est intervenu, à savoir le rapprochement des centrales d’achat des principaux acteurs du secteur : un accord entre Système U et Auchan a fait des numéros 5 et 6 qu’ils étaient jusqu’à présent, le nouveau numéro 2 du secteur, se rapprochant lui-même de Metro Group, cependant qu’Intermarché s’est rapproché de Casino, et Carrefour de Provera. À ce jour, il reste donc dans ce pays quatre centrales d’achat se partageant plus de 90 % du marché. C’est ce nouvel environnement qui, bien plus que les nouvelles dispositions législatives, a marqué le dernier cycle de négociation du fait de la puissance de ces quatre centrales.

La vigilance de l’État n’a pas fait défaut : dès la fin de l’année 2014, il a organisé des tables rondes et installé un comité de suivi des relations commerciales à Bercy ; il a activé la médiation et pris ses responsabilités. Les ministres Carole Delga, Emmanuel Macron et Stéphane Le Foll, ayant pris la mesure de la tension existant encore entre les distributeurs et les fournisseurs, ont fait tout ce qui était en leur pouvoir pour pacifier les relations. Pourtant, une fois encore, ces négociations semblent avoir été extrêmement conflictuelles, sur fond de guerre des prix engagée en 2013 dans le secteur de la grande distribution par Casino, décidé à ne pas laisser à Leclerc seul le bénéfice de l’argument des prix. Cette guerre des prix dure depuis deux ans et continue de produire ses effets.

On a ainsi vu certains dirigeants de grands groupes alimentaires dénoncer les conditions de négociation en des termes extrêmement violents. Pour qui suit ce secteur depuis quelques années, il y a incontestablement une part de posture dans ces déclarations. Mais ce qui est indiscutable, c’est que les prix n’en finissent pas de baisser, ce qui met de nombreux fournisseurs dans une situation économique très périlleuse. Le rapport indique que les prix alimentaires ont diminué de 2,6 % depuis deux ans ; il s’agit donc d’une déflation permanente.

Pourtant, de très nombreuses personnes auditionnées l’ont souligné, cette guerre des prix ne profite aujourd’hui à personne : les fournisseurs comme les distributeurs voient leurs marges se réduire progressivement, ce qui obère d’autant leurs capacités d’investissement, d’innovation et d’embauche ; les consommateurs, au final, ne gagnent que très peu en termes de pouvoir d’achat. Il est donc temps d’y mettre fin et de développer de réels partenariats entre les acteurs afin de créer de la valeur sur l’ensemble de la chaîne.

Selon nous, cette indispensable évolution ne passera pas par de nouveaux changements législatifs. Il nous a été rapporté qu’aujourd’hui le corpus législatif était suffisant, et que les acteurs en souhaitent la stabilité. À travers ce bilan de l’application de la loi, on mesure bien aujourd’hui les limites de ces évolutions législatives. L’évolution passera, nous l’espérons, par un changement des pratiques et des mentalités. À la conflictualité exacerbée qui caractérise aujourd’hui les relations commerciales doit être préférée la construction de relations partenariales, à travers la médiation, la labellisation des bonnes pratiques et la conciliation. Dans ce monde du commerce que l’on sait dur, nous espérons que la négociation va se poursuivre et contribuer à faire évoluer les mentalités vers un échange gagnant-gagnant.

La voie est étroite mais elle existe. On ne peut ainsi que se féliciter du récent accord intervenu entre Auchan et la Fédération des entreprises et entrepreneurs de France (FEEF), afin d’instaurer un cadre de négociation privilégié et durable pour les PME fournisseurs des 120 magasins français de l’enseigne. Nous avons le sentiment que les choses évoluent doucement mais sûrement. De même, Coop de France et la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD) ont signé un accord-cadre pour favoriser le modèle coopératif alimentaire. Quatre chantiers ont été lancés : renouveler la relation commerciale, rechercher les synergies permettant d’améliorer la compétitivité des filières, déployer le développement durable et mobiliser les réseaux locaux. Déjà, dans le contrat de filière signé il y a deux ans entre les principaux acteurs de la filière agroalimentaire, singulièrement touchée par ces tensions, des actions étaient prévues concernant les relations commerciales. De telles initiatives vont indiscutablement dans le bon sens et doivent se multiplier.

Les prochaines négociations, qui se dérouleront entre décembre et février prochains, seront cruciales et permettront de juger de la volonté des uns et des autres de sortir d’une spirale déflationniste mortifère. Aujourd’hui même, le magazine LSA organise à Paris un grand rendez-vous entre tous les acteurs économiques – distributeurs et grandes fédérations agroalimentaires, juristes, ministre –, afin de réussir les négociations commerciales 2016. Seront également sollicités le Comité de suivi des relations commerciales, reconduit l’an dernier par le ministère de l’économie, ainsi que la Commission d’examen des pratiques commerciales, que nous évoquons dans le rapport et qui a le mérite de rassembler régulièrement tous ces acteurs. Elle devrait pouvoir jouer un rôle important de pacification.

En conclusion, nous souhaiterions souligner que ce rapport nous a également permis d’élargir le questionnement : faut-il toujours plus de concurrence ? Plus de mètres carrés commerciaux ? Ne peut-on pas repenser notre modèle de distribution ? Quelle offre commerciale souhaite-t-on développer ? Le petit commerce indépendant a-t-il un avenir ? Le commerce évolue beaucoup et très vite, les grands distributeurs ont indiqué redouter l’arrivée d’opérateurs très puissants et agressifs tels Amazon fresh ou Costco qui risquent de débarquer en France.

Au-delà des profits générés par des grands groupes et qui font du bien à notre économie, il faut aussi miser sur la richesse et la diversité des territoires. Le maillage de très petites entreprises (TPE) et de petites et moyennes entreprises (PME) sur tout le territoire est tout aussi vital à notre économie et propose une offre non uniformisée qui fait la caractéristique de la France. J’ajoute que les PME ont été épargnées par les négociations qui se sont déroulées entre la fin de l’année 2014 et le début de l’année 2015. Les distributeurs semblent avoir pris la mesure de ce que ces tensions ont de néfaste pour nos territoires et nos emplois.

Au cours des auditions effectuées pour la rédaction de ce rapport, de nombreux témoignages nous ont confirmé que le modèle de développement à l’œuvre épuise l’ensemble des acteurs de la chaîne et favorise la disparition progressive des plus petits. Du niveau européen au niveau local, l’ensemble des acteurs des filières doit aujourd’hui s’interroger.

Mme Catherine Vautrin. Au nom de notre groupe, je remercie les deux rapporteurs pour le travail d’analyse accompli. Il permet de constater que la loi du 17 mars 2014 n’a pas été le Grand Soir des relations commerciales, mais qu’elle a néanmoins permis d’identifier les conditions générales de vente comme socle de la négociation. Ce qui se disait devait être affirmé dans la loi. Mais votre rapport montre aussi que, malheureusement, la loi n’a pas permis de résoudre les difficultés. C’est, pour les législateurs que nous sommes, une leçon d’humilité : tout ne relève pas simplement de la loi, il nous faut le reconnaître.

Les relations commerciales demeurent très déséquilibrées, et les producteurs nous ont expliqué que les négociations pour 2014-2015 ont été particulièrement tendues et difficiles, dans une période de forte évolution. Le rapport apporte un éclairage très intéressant sur les nouvelles concentrations et le regroupement en quatre centrales d’achat, que le principe de la liberté d’entreprendre a rendu possible. Voyons le verre à moitié plein en considérant que les tentatives de rapprochement entre la FEEF et Auchan, d’un côté, et le travail entre Coop de France et la FCD, d’un autre côté, vont permettre d’améliorer les choses.

J’observe qu’il s’agit du second rapport soulignant la volatilité des prix ainsi que notre incapacité collective à apporter des réponses. Aussi, cette volatilité reste un sujet majeur, et votre rapport montre bien qu’elle constitue un jeu perdant pour la totalité de la chaîne : depuis le producteur jusqu’au distributeur, en passant par l’entreprise transformatrice, tous perdent. On pourrait imaginer que le gagnant est le consommateur. Or le gain, qui, à l’échelle nationale, est de plus de 1 milliard – ce qui peut sembler une somme importante –, représente moins de 3 euros mensuels par ménage. Est-ce bien la peine de détruire autant de valeur dans notre économie pour aboutir à un gain somme toute très limité pour nos concitoyens ? D’autant que le rapport montre que cette économie permet surtout d’acheter plus cher et que les consommateurs sont moins sensibles à la baisse des prix qu’à la qualité. Or la qualité, c’est ce qui se fait dans nos entreprises, c’est l’emploi local et ce que nous devons défendre.

Par ailleurs, vous avez souligné la volonté des acteurs de se repositionner. Le modèle de l’hypermarché comme lieu de promenade du week-end est aujourd’hui dépassé. Les modes d’achat de nos concitoyens ont changé, et les acteurs ont probablement la volonté de fidéliser leur relation avec le client, ce qui annonce peut-être le retour à des structures de petite taille, plus respectueuses de leur environnement. Le fait que le client choisit et l’approche d’activités telles Amazon fresh méritent toute notre vigilance, et donc une attention particulière à notre vigie, la DGCCRF. En cette période d’examen budgétaire, il faut insister sur la nécessité de maintenir à cette direction les moyens d’accomplir ses missions. Selon le rapport, entre 2009 et 2014, les contrôles ont été multipliés par trois ; je rappelle que pour faire des contrôles sur pièces, il faut disposer d’effectifs suffisants.

Il ressort de votre travail qu’il faut toujours plus recourir à la concertation, dont le lieu est la Commission d’examen des pratiques commerciales (CEPC) que vous présidez, madame la rapporteure. Il faudrait qu’elle devienne un organisme plus ancré dans la vraie vie et non plus seulement un cercle de débat réservé à des juristes aussi compétents soient-ils, qu’elle adopte une approche plus organisationnelle pour notre pays à l’aube de l’évolution des modes de distribution.

M. André Chassaigne. Je salue l’intérêt et la qualité du travail présenté. Je m’interroge sur les solutions esquissées à la fin du rapport, qui reposent sur la bonne volonté. Vous parlez d’exigence de loyauté et de transparence, de conciliation, de pacifier, de renouveler les négociations commerciales, de politique gagnant-gagnant. Franchement, je n’y crois pas. Si des résultats momentanés peuvent être obtenus en période de crise, à travers des pseudo-accords garantissant les prix d’achat, je suis persuadé que sans mécanismes contraignants établissant une articulation entre les prix à la production et les prix à la consommation, aucune solution durable ne sera trouvée. C’est le système qui veut cela : la grande distribution a des obligations vis-à-vis de ses actionnaires, qui la poussent à rechercher le profit maximal. Ce système-là l’emportera toujours sur ce que j’appellerais une approche morale.

Nous devons avoir une réflexion sur les mécanismes. Je pense ainsi qu’il faudrait actualiser celui du coefficient multiplicateur, qui peut sembler désuet. Tant que nous n’aurons pas une lecture sur les marges réelles au sein des filières, nous ne trouverons pas de solution pour poser des limites. Je pourrais citer des chiffres montrant combien, en quelques années, les marges de la grande distribution ont augmenté, comparées à celles de l’agroalimentaire qui ont stagné et celles des producteurs qui ont régressé.

Disposer d’un bilan précis des mesures mises en œuvre est maintenant une exigence. Le rapport évoque la Commission d’examen des pratiques commerciales ; existe-t-il un compte rendu annuel de ses travaux ? Il serait aussi intéressant de savoir quel est le rôle réel du médiateur des relations commerciales, si les producteurs font appel à lui sachant qu’ils peuvent faire l’objet de mesures de rétorsion, et quels sont ses résultats.

Mme Jeanine Dubié. Je remercie les rapporteurs pour la qualité de leur rapport qui apporte des éléments de compréhension, de l’évolution du paysage jusqu’aux effets néfastes du regroupement des centrales. Tout au long de la discussion de la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation, dite loi Hamon, nous avons tous cherché à rendre plus équitables et cohérentes les relations entre producteurs et distributeurs. Ce ne fut pas chose facile, car nous avons pu constater à quel point le moindre terme peut provoquer des déséquilibres ou des ambiguïtés, sources de contentieux, voire de conditions de négociation faussées.

Si la loi du 17 mars 2014 n’a pas remis en cause le principe de négociabilité des prix, nous avons tout de même tenté de renforcer l’encadrement juridique. Cela n’a pas empêché les fortes tensions observées ces dernières années, et la récente crise du monde agricole montre que nous n’avons pas trouvé de solution durable au déséquilibre des relations commerciales.

Le rapport prend le parti de ne pas multiplier les dispositions législatives, s’en remettant à la capacité des acteurs de trouver eux-mêmes une régulation au sein du cadre existant. Le groupe Radical, républicain, démocrate et progressiste soutient cette démarche, qui suppose toutefois qu’une véritable confiance soit restaurée entre les protagonistes. Or c’est tout le problème aujourd’hui. C’est pourquoi nous pensons que si les conflits et les déséquilibres persistent, l’arme législative devra à nouveau être employée.

Les récentes auditions du monde agricole auxquelles notre groupe a procédé dans la perspective du débat sur l’agriculture en France nous incitent à la vigilance. Nous ne nous sommes d’ailleurs pas privés d’intervenir au cours de la discussion de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l'égalité des chances économiques, dite loi Macron. S’agissant du contenu de la convention unique, celle-ci a introduit dans le code de commerce un article L. 441-7-1 concernant spécifiquement les grossistes dans le cadre des conventions allégées. L’opportunité de maintenir le dispositif général en dehors des relations avec la grande distribution a fait l’objet d’un débat qui demeure ouvert : pouvez-vous nous donner votre opinion à la lumière de votre travail de fond ?

En ce qui concerne les délais de paiement, la même loi a modifié l’article L. 441-6 du code de commerce qui regarde les délais conventionnels, notamment la possibilité de prévoir des dérogations dans les secteurs de production saisonnière. Un décret devant énumérer les secteurs concernés est attendu : la liste des bénéficiaires actuels d’un accord dérogatoire sera-t-elle modifiée ? Êtes-vous favorables à cette mesure ?

Mme Brigitte Allain. Je remercie, à mon tour, les rapporteurs que je sais très investis dans ces problématiques à la fois complexes et passionnantes. Le rapport présenté aujourd’hui établit un constat décourageant : la campagne des négociations commerciales de 2015 n’a pas été plus sereine que les précédentes ; elle a même été pire, se déroulant dans un contexte de guerre ouverte des prix et de crise de l’élevage. Avec la fin des quotas laitiers et les accords de libre-échange, les agriculteurs ne sont pas en position de force, bien au contraire. Je déplore que le récent plan d’aide à l’élevage ne comporte aucune mesure structurelle qui permettrait de mettre un terme à l’infernale spirale productiviste. Aussi, les forces demeureront-elles durablement déséquilibrées. Le système de négociation commerciale et la multiplication du nombre des intermédiaires ont montré leurs limites ; sans réels changements, la loi rencontre également les siennes.

Le groupe Écologiste, fortement mobilisé, avait fait de nombreuses propositions en rapport avec la révision de la LME, relatives à la transparence et l’équilibre des rémunérations dans la chaîne des valeurs. Il faut toujours conserver à l’esprit que les agriculteurs sont la partie faible de la négociation commerciale : sur un produit vendu 100 euros au consommateur, le producteur n’en gagne que 7. Certaines de nos propositions avaient été acceptées, mais pas celle consistant à faire fournir par l’Observatoire des prix et des marges une assistance technique aux agriculteurs dans la formation de leurs prix. Avec le médiateur des négociations commerciales agricole, nous proposions l’institution d’un observatoire aux missions renforcées, garant de relations commerciales plus équilibrées. Quel est, en fait, le rôle de cette instance ? Et que savez-vous de son efficacité ?

Nous faisons le même constat que vous : il est temps de changer les pratiques et les mentalités afin d’arrêter les faillites organisées. Je suis favorable au déploiement des labels, de la médiation et du champ de la responsabilité sociale et environnementale des entreprises, mais, contrairement à vous, je ne pense pas que l’on puisse attendre une véritable amélioration du comportement à modèle constant. Nos aménagements urbains favorisant la concentration commerciale, faisant de la consommation et de la croissance une finalité, induisent de fait une soumission des producteurs et transformateurs aux distributeurs. L’incitation à l’ouverture le dimanche de la loi Macron, par exemple, accentue cette concurrence toujours plus forte et ne contribuera en rien à apaiser les relations commerciales. Nous pouvons réellement soutenir nos productions de qualité, l’emploi et le revenu des agriculteurs dans les territoires par des schémas alimentaires équilibrant l’offre et la demande, de façon à placer le commerce à égalité avec la transformation et la production. Dans un modèle d’offre alimentaire territorialisée, les distributeurs et les supermarchés ont aussi leur place, à condition d’abandonner leurs pratiques de concurrence déloyale au profit d’une politique de commerce équitable. Pour cela, seule une législation permettant de définir des politiques de régulation régionale des productions peut infléchir l’orientation libérale dans laquelle l’Europe s’est engouffrée. Le chantier est vaste, j’en conviens, mais il s’agit de choix politiques, mes chers collègues. Et les accords transatlantiques actuellement en débat nous trouverons encore mobilisés pour nous y opposer : ils ne sont pas inéluctables !

Mme Marie-Noëlle Battistel. Je remercie les rapporteurs pour leur analyse qui, un an après l’adoption de la loi consommation, dresse un état des lieux de son application dans un paysage difficile : secteur de la distribution profondément bouleversé par le rapprochement des centrales d’achat des principaux acteurs ; négociations toujours conflictuelles, dans un contexte de guerre des prix et de crise agricole illustrant la persistance des déséquilibres et des conflits. Les enseignes ne jouent pas toujours le jeu dans le secteur agroalimentaire, malgré le renforcement par la loi précitée des contrôles et sanctions de la DGCCRF et de l’Autorité de la concurrence en matière de relations entre les fournisseurs et les distributeurs. Pensez-vous qu’il soit possible de progresser dans ce domaine ?

Si la loi du 17 mars 2014 a contribué à la modernisation de l’économie, l’environnement dans ce domaine a considérablement évolué depuis son adoption. Vous relevez qu’il est indispensable de pacifier les relations commerciales afin de développer de réels partenariats entre tous les acteurs de la chaîne. Comment accompagner concrètement cette action ?

Savez-vous combien d’actions de groupe ont été engagées depuis l’adoption de la loi et dans quels domaines celles-ci se sont-elles exercées ?

La loi a rendu les contrats d’assurance automobile et habitation résiliables à tout moment ; avez-vous constaté des évolutions en ce domaine ?

Les mesures relatives au respect des délais de paiement et les amendes administratives ont-elles été suivies d’effet ?

M. Kléber Mesquida. Je m’associe aux compliments adressés aux rapporteurs. De la guerre des prix naissent un certain nombre de déséquilibres. Les accords ne sont bien souvent que de façade : derrière les baisses de marge constatées, des pressions sont exercées sur les producteurs ou pour les achats de façon orale. Les accords de filières devraient prévoir des prix plancher tenant compte, particulièrement dans le domaine agricole, de la variation des prix des matières premières, à l’origine d’importantes dérives entre les prix d’achat et de vente. Dans une tribune publiée le 27 mars dernier, des producteurs dénoncent des demandes de baisse de tarifs disproportionnées, des demandes de compensation de marges rétroactives jusqu’en 2013, la non-prise en compte des coûts, le non-respect de la loi malgré les contrôles plus nombreux de la DGCCRF et le non-respect des salariés.

Alors, on légifère, on constate. Mais comment rationaliser les pratiques pour faire en sorte que le travail et les coûts de production reçoivent leur juste rétribution au regard de ce que paie le consommateur et des marges induites ?

M. Jean-Claude Bouchet. Le rapport évoque les pouvoirs de sanction dont l’administration est censée disposer désormais. Ces moyens ont-ils été mis en place et ont-ils été évalués ?

La grande distribution est en position de force, et pourtant ses marges en France sont deux fois inférieures à ce qu’elles sont en moyenne en Europe. Je ne comprends pas où se trouve l’origine du problème.

On le sait, la réussite passe par un rapport de force équilibré entre la grande distribution et les fournisseurs. Or la grande distribution ne cesse de renforcer sa position à travers des accords de rapprochement entre centrales d’achat, accroissant le déséquilibre. Le pouvoir législatif ne suffit plus, la simple bonne volonté non plus – l’angélisme n’est plus de mise. Seuls les regroupements de fournisseurs, en consolidant la position de ces derniers, fourniraient une solution pérenne pour tout le monde. Que suggérez-vous pour y inciter ?

Mme Michèle Bonneton. Merci pour ce rapport. Responsabiliser les acteurs est une intention louable, mais comment procéder autrement que par une certaine contrainte ? De fait, je ne vois pas comment on peut demander plus de libéralisation lorsque tout va bien et plus de régulation quand il y a des problèmes. Faut-il, d’ailleurs, aller vers plus de régulation ? Faut-il envisager des interventions portant sur les prix ou le stockage de la part de la puissance publique, que ce soit à l’échelon français ou européen ?

Par ailleurs, l’ouverture des magasins le dimanche, autorisée par la loi Macron, est préjudiciable aux petits commerces qui vendent souvent des produits locaux. Elle désavantage ainsi les petits producteurs participant aux circuits courts. De surcroît, nous sommes pris dans une logique de partenariats commerciaux – pratiquement acquis avec le Canada, en cours de négociation avec les États-Unis – qui ne pourra qu’aggraver la guerre des prix. Il est urgent de trouver des parades pour en limiter les effets, faute de quoi nos agriculteurs iront au désastre.

M. Philippe Kemel. Je m’associe à mes collègues pour féliciter les rapporteurs de la qualité de leur travail et de leur diagnostic. Dès lors que les prix ne sont plus régulés, particulièrement par la politique européenne, on entre dans le modèle du libre-échange dans lequel le rapport de force est favorable à la grande distribution. L’agriculture risque d’ailleurs de subir ce qu’a connu l’industrie : à chaque fois que la grande distribution a la capacité de choisir son fournisseur, s’il est éloigné du lieu du marché, cela se traduit localement par une perte de valeur et d’exploitation.

Dès lors, soit on revient à une politique de prix régulés et administrés, soit on prend ce modèle en compte et l’on crée des rapports de force entre producteurs et consommateurs, ce que les économistes appellent le monopole bilatéral. Dans notre région, nous avons une structure adaptée à ce modèle : la ferme des mille vaches, ô combien critiquée. Son promoteur, un industriel, considère pourtant qu’elle répond à la problématique et que, sans cela, la France finirait par ne plus produire de lait. Sans aller jusqu’à prétendre qu’il s’agit là du modèle vertueux vers lequel il faut tendre, je dis qu’il faut inventer des structures coopératives permettant que le rapport de force entre producteurs et distributeurs existe. C’est là une piste de réflexion que je souhaitais vous soumettre.

M. Daniel Fasquelle. Le mouvement de déflation dont vous faites état est peut-être la conséquence des négociations entre producteurs et distributeurs, mais il participe aussi d’un climat économique général, des problèmes de compétitivité de nos industriels. L’écrasement des marges n’est pas que la conséquence des négociations dans la grande distribution, et les problèmes de pouvoir d’achat de nos concitoyens ont tout de même à voir avec le matraquage fiscal qu’ils subissent depuis trois ans et demi. Les experts et les économistes le disent, j’ai donc bien le droit de le dire à l’Assemblée nationale.

Vous parlez beaucoup des négociations sur les prix. Nous avons connu, il y a quelques années, des abus en matière de coopération commerciale dénoncés par plusieurs rapports, en particulier celui de M. Le Déaut. On se souvient des facturations pour des têtes de gondole qui n’existaient pas ou pour des distributions de documents jamais effectuées, de l’obligation faite aux producteurs de donner des produits gratuits pour la fête anniversaire du magasin, de garnir eux-mêmes les rayons ou de payer les personnels chargés de le faire. Ces abus ont-ils disparu ? Peut-on dire aujourd’hui que la pression ne porte que sur les prix ?

Il y a certes l’Autorité de la concurrence et la CEPC, mais c’est surtout le juge qui a vocation à appliquer les dispositions du code de commerce qui regardent les relations entre la grande distribution et les producteurs. Or très peu de décisions de justice sont rendues, car les victimes n’osent pas saisir les tribunaux. Le nombre des saisines et des décisions de justice a-t-il augmenté ?

Mme Jacqueline Maquet. Je tiens à remercier nos deux rapporteurs pour leur travail de qualité qui nous éclaire sur la situation et sur ses impacts non négligeables.

La loi existe ; les négociations, le partenariat sont en place. Nous espérons toujours le « gagnant-gagnant » et surtout le changement des comportements. Pourtant, en pratique, c’est plutôt « perdant-gagnant ». Pensez-vous vraiment que le seul renforcement des moyens d’action suffira à mettre fin à ces pratiques ?

M. Damien Abad. À mon tour, je remercie nos deux rapporteurs. Il convient de s’interroger sur l’effectivité de cette loi sur un certain nombre de points.

On nous avait, par exemple, présenté les actions de groupe comme révolutionnaires. Or peu ont été engagées, dont deux contre des compagnies d’assurance. Force est de constater qu’hormis un effet médiatique, elles n’ont eu aucune répercussion sur le quotidien du consommateur. Pouvez-vous nous apporter quelques précisions en la matière ?

S’agissant de la mention « fait maison », seuls 10 % des établissements l’ont apposée. Là encore, on fait des lois, mais les décrets d’application, soit sont l’exact contraire de ce que dit la loi, soit n’ont aucune portée pratique.

En matière d’obsolescence programmée, le décret relatif à la disponibilité des pièces détachées des produits mis sur le marché ne fait pas la distinction entre les différents biens de consommation et n’impose aucune durée minimale de disponibilité des pièces. Il n’impose qu’un délai au fabricant. Quelle est l’effectivité concrète pour le consommateur de cette disposition relative à l’obsolescence programmée ?

Je ne reviendrai pas sur le fichier qui a été censuré par le Conseil constitutionnel en matière d’étiquetage, ni sur la réforme des assurances dont on peut se demander si elle a conduit à une baisse des prix, donc à un gain de pouvoir d’achat pour le consommateur.

À voir tous ces exemples, cette loi est malheureusement un coup d’épée dans l’eau. De surcroît, les mesures importantes ont été détricotées par les décrets ultérieurs. Au final, la loi consommation n’a aucun impact, ni sur le pouvoir d’achat, ni sur l’amélioration des relations pour les consommateurs.

Avez-vous des données plus actualisées et concrètes que les miennes en ce qui concerne les actions de groupe, l’étiquetage, le label « fait maison » et la question de l’obsolescence programmée ?

Mme la présidente Frédérique Massat. Les rapporteurs ont précisé en amont de leur présentation qu’il s’agit aujourd’hui d’un rapport d’étape et qu’une autre partie de rapport est à venir. Ils seront donc amenés à différer certaines réponses à vos questions.

Mme Marie-Lou Marcel. Je félicite les rapporteurs pour leur travail. Leur rapport d’étape nous permet de mesurer l’impact de la loi consommation dix-huit mois après son adoption. C’est là un outil qui devrait nous permettre de corriger certains de ses effets.

Nous examinons ce rapport alors que le monde agricole vient de vivre une crise sans précédent. Vous faites état de l’extrême inquiétude des producteurs et de la grande tension des relations commerciales entre industriels et distributeurs. Tout au long du cycle des négociations, fournisseurs et grande distribution se sont livrés à un véritable dialogue de sourds. Et, une fois les négociations achevées, les fournisseurs se plaignent de l’attitude des distributeurs ! La guerre des prix ne profite à personne, ne fait aucun gagnant.

Vous retirez des auditions auxquelles vous avez procédé qu’il est impératif de repenser les relations entre les fournisseurs et les distributeurs. Vous avancez deux pistes : le développement de la médiation et la labellisation des bonnes pratiques, d’une part, le renforcement du rôle de la Commission d’examen des pratiques commerciales, d’autre part. Pouvez-vous développer ces pistes ? Peut-on aller plus loin ?

M. Philippe Le Ray. La réalité est extrêmement violente, on l’a vu cet été lors des manifestations devant les grandes surfaces. Dire que l’on a suffisamment légiféré, c’est faire aveu d’impuissance. Et ce n’est pas parce que les services de la DGCCRF ont moins de moyens que l’on doit laisser les choses continuer à fonctionner au petit bonheur la chance.

Comment peut-on bloquer la concentration des centrales d’achat ? On ne peut pas laisser quatre structures mener la danse dans notre pays.

Beaucoup de choses ont déjà été faites en matière de traçabilité des produits. Mais on peut aller encore beaucoup plus loin, notamment en ce qui concerne l’origine des produits transformés et l’indication de la répartition de la marge. Certaines grandes surfaces ont déjà cette démarche et mentionnent ce que perçoit le producteur sur le prix d’achat du produit.

N’y aurait-il pas lieu de lancer une seconde génération de la contractualisation ? À mon avis, la première n’a absolument pas abouti parce que l’on a raisonné uniquement en volumes alors qu’il faudrait viser et les volumes et les prix. Sinon, on ne s’en sortira jamais.

M. Hervé Pellois. Ce rapport nous montre l’efficacité de la grande distribution à modifier ses stratégies sitôt une loi votée. Quand on voit les difficultés qu’il y a à restructurer les industries en aval, cela a de quoi interpeller.

Le Gouvernement a engagé un processus de médiation. J’aurais souhaité en connaître le rôle exact et savoir s’il a d’ores et déjà été activé dans le cadre des négociations pour 2016.

Dans votre rapport, vous constatez que la CEPC n’est malheureusement pas suffisamment saisie par les fournisseurs et les distributeurs, alors qu’elle pourrait être un lieu de discussion privilégié susceptible de désamorcer les conflits potentiels. Quelles évolutions faudrait-il apporter pour inciter les fournisseurs et les distributeurs à recourir à cette commission le plus en amont possible ?

Aujourd’hui, les interprofessions ne réunissent pas tous les partenaires de l’amont et de l’aval, du producteur au consommateur. La grande distribution en est souvent absente. N’est-ce pas là une difficulté supplémentaire dans la recherche de l’amélioration des relations commerciales ?

M. Éric Straumann. En zone frontalière, les consommateurs achètent les produits agroalimentaires en France parce qu’ils y sont moins chers qu’en Allemagne. Cela prouve bien qu’il existe une très forte pression dans ce secteur d’activité. Ils traversent la frontière dans l’autre sens pour acheter des couches de grandes marques mondiales, qui coûtent entre 20 % et 30 % moins cher, ainsi que des produits d’hygiène. On voit donc que notre pays est mal organisé pour faire pression sur les grands groupes mondiaux, qui parviennent à appliquer des tarifs plus élevés en France qu’en Allemagne.

M. Yves Daniel. À mon tour, je salue le travail de nos rapporteurs. Lorsque l’on parle de la définition des marges et des prix, on fait très souvent référence à l’agriculture et à l’agroalimentaire – crise agricole oblige –, alors que la loi concerne l’ensemble des produits de consommation. Je ne vous apprends rien, la définition des marges dépend du prix de vente d’un produit rapporté à son prix de revient. Plutôt que de raisonner en aval, regardons un peu ce qui se passe en amont, c’est-à-dire quels sont les produits nécessaires à l’élaboration du produit. Par exemple, les prix d’achat du matériel agricole et des pièces détachées nécessaires pour faire tourner une exploitation ne correspondent pas aux coûts réels. Souvent, les marges sont excessives, voire abusives. La loi prévoit pourtant que les vendeurs doivent rester dans une fourchette de marges, mais elle n’est pas appliquée. J’ai l’impression que c’est l’économie libérale qui fait la loi. Ne faudrait-il pas commencer par faire appliquer la loi ?

M. Lionel Tardy. Compte tenu de l’ampleur des sujets traités dans la loi consommation, vous avez fait le choix de vous concentrer sur les relations commerciales. Votre présentation démontre qu’il aurait peut-être fallu se consacrer pleinement à la réactualisation de la LME dans un texte à part.

Quelle est votre analyse sur l’amendement Brottes concernant les contrats de réseaux de distribution adopté dans le cadre de la loi Macron ? Constitue-t-il un réel apport sur la question des réseaux de distribution commerciale ? Cette rectification était-elle vraiment nécessaire ?

On a beaucoup parlé des pouvoirs de sanction accrus avec les amendes administratives correspondantes, dont la répression des fraudes a été dotée avec cette loi. Considérez-vous que la DGCCRF a aujourd’hui les moyens humains pour exercer les missions que nous lui avons assignées ?

M. Frédéric Roig. On le voit, le marché s’organise par rapport à des échelles qui nous échappent un peu. Au-delà de la réglementation nationale, l’Europe influe beaucoup sur la manière dont les marchés fonctionnent. Comme M. Straumann, je vois quelle complexité peut créer la proximité avec une frontière, ibérique dans mon cas. Mais il y a aussi l’organisation mondiale, avec l’OCDE et les négociations actuelles sur l’accord commercial transatlantique, dit TAFTA. Tous ces éléments font qu’on a bien des difficultés localement à organiser les prix par rapport à la production, aussi bien dans le secteur agroalimentaire que dans celui des produits manufacturés.

Dans le cadre de la loi du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises, dite loi Pinel, nous avons travaillé, Pierre Verdier et moi-même, sur le sujet de l’urbanisme. Nous avons constaté que le développement de grands équipements aboutit à des phénomènes de concentration qui attirent le consommateur. Si l’on veut parvenir à réguler le marché, il faut travailler en particulier sur la manière dont on affiche l’offre. De même, on doit se pencher sur la question des circuits de distribution. On voit, en effet, que les gens modifient leurs habitudes de consommation lorsqu’un marché est organisé localement.

Il faut donc travailler sur tous ces niveaux pour changer les automatismes : ceux des centrales de production à s’agglomérer, ceux des grandes surfaces à se développer sur le territoire, et ceux qui font les habitudes de consommation des consommateurs.

Mme la présidente Frédérique Massat. Voilà des questions fort intéressantes, chers collègues, mais nos deux rapporteurs ne pourront pas répondre à toutes ; ils ont été missionnés plus particulièrement sur les relations entre fournisseurs et distributeurs. L’application des autres dispositions de cette loi consommation si dense fera l’objet d’un rapport ultérieur.

M. Philippe Armand Martin, rapporteur. Comme vous venez de le dire, madame la présidente, notre rapport portait plus spécifiquement sur les relations commerciales. Aussi ne pourrons-nous pas répondre à toutes les questions qui nous ont été posées.

S’agissant de la DGCCRF, nous disons dans notre rapport que la mobilisation de moyens budgétaires est indispensable. Les moyens d’action ont été renforcés par des agents chargés de veiller au respect des dispositions du code de commerce.

M. Fasquelle, les abus commerciaux existent toujours et certains donnent lieu à des assignations. Le parcours est toujours très long avant de d’obtenir une décision judiciaire. C’est l’une des raisons du passage aux sanctions administratives aujourd’hui.

À ce stade, nous ne disposons pas d’information sur les délais de paiement. La conférence des présidents a approuvé la création d’une mission de suivi de l’application de la loi Macron, qui répondra certainement à toutes ces questions.

Nous avons abordé le sujet en disant qu’il n’était plus nécessaire de légiférer. Évidemment si, mais il faut aussi que les acteurs assument leurs responsabilités. Après toutes ces lois, nous préférons la médiation et une labellisation des bonnes pratiques et la conciliation.

Mme Annick Le Loch, rapporteure. Merci pour toutes vos questions extrêmement riches et intéressantes, mais auxquelles nous ne sommes pas capables de répondre, ayant travaillé uniquement sur les articles de la loi consommation relatifs aux relations entre les distributeurs et les fournisseurs.

L’intérêt majeur de ce rapport est de voir ce qui s’est passé quelques mois seulement après l’entrée en application de la loi. S’il n’est pas question de tirer des conclusions définitives, il permet en tout cas de savoir si la loi que nous avons votée a contribué à l’amélioration des relations entre les distributeurs et les fournisseurs. Eh bien, les choses n’ont pas fondamentalement changé. On espère que cela arrivera avec le temps, mais la loi ne fera pas tout. Nous disons que c’est une question de mentalité, de volonté, et je comprends que M. Chassaigne n’en soit pas satisfait. En tout cas, nous voulons y croire, et espérons bien que les choses vont changer avant que notre système ne s’écroule, car nous sommes parvenus à un point de non-retour.

L’apport essentiel de cette loi est le passage des sanctions pénales à des sanctions administratives, beaucoup plus faciles à mettre en place. Les contrôles et les injonctions administratifs ont été renforcés. Depuis le printemps 2014, la DGCCRF a prononcé 170 injonctions à l’encontre d’entreprises industrielles et de distribution. On peut toujours critiquer les contrôles pas assez nombreux, ils ont néanmoins été renforcés. À l’époque, nous avions insisté pour que les moyens de la DGCCRF soient maintenus à cette fin. Entre 2010 et 2014, les actions de contrôle dans les entreprises ont été multipliées par trois. C’est bien qu’il se passe quelque chose.

Les investigations des agents et des brigades LME dans les régions ont confirmé que des pratiques totalement abusives existent malgré la loi. Des assignations ont été prononcées à l’encontre d’Intermarché et Système U sur le fondement de déséquilibre significatif entre les droits et obligations des différentes parties. D’aucuns nous ont dit qu’Intermarché et Système U étaient des distributeurs corrects, dans la mesure où les contrats qu’ils signent comportent des clauses écrites. Ceux qui n’écrivent rien, ne peuvent pas être assignés puisqu’on ne peut rien contrôler. Peut-être, mais c’est aux partenaires commerciaux de divulguer ces pratiques totalement abusives qui ne doivent pas exister.

Bien sûr, on pourrait aller plus loin. Mais, dans un pays libre et en Europe, où le credo est la concurrence, la libre négociation entre les entreprises privées et le secret des affaires constituent des limites auxquelles se heurtera tout Gouvernement animé de la meilleure volonté.

S’agissant des productions agricoles, une mission d’information sur l’avenir des filières d’élevage a été créée. M. Damien Abad en est le président, et M. Thierry Benoit et moi-même en sommes les co-rapporteurs. Elle fera le tour de la question des filières, de leur organisation et de leur fonctionnement, des marges et de la valeur ajoutée.

Quelques semaines après le rapprochement de certaines centrales d’achat, le ministre a saisi l’Autorité de la concurrence. Dans l’avis que celle-ci a rendu, elle a pointé du doigt les risques concurrentiels que ce phénomène de concentration pouvait susciter en amont comme en aval. Pour l’instant, ce n’est qu’un simple avis. Mais Système U et Auchan ayant annoncé leur intention d’aller plus loin dans leur rapprochement, l’Autorité de la concurrence a de nouveau été saisie. Elle rendra un avis, cette fois formel, au début de l’année prochaine. Nous y serons attentifs.

Je signale toutefois que ces rapprochements n’ont concerné qu’un nombre de fournisseurs relativement modeste. Seules les marques nationales sont concernées. Les PME et les produits agricoles ont été sortis de ces négociations.

Oui, la CEPC peut être davantage saisie ; elle peut l’être par le ministre et l’Autorité de la concurrence. Cela n’a pas été le cas jusqu’à présent, mais pourquoi pas si cela peut rendre un peu plus transparent ce type de négociation et en faire une certaine publicité ? D’ailleurs, les sanctions aussi peuvent être publiées ; la loi l’a prévu. Cela aurait, je crois, un effet plus dissuasif sur les distributeurs qu’un contrôle en interne de leurs pratiques ou de leurs contrats. Les sanctions ont été accrues par la loi Macron : en cas de faute grave, la pénalité peut aller jusqu’à 5 % du chiffre d’affaires en France ou 2 millions d’euros, ce qui assez dissuasif.

Enfin, M. Fasquelle, La LME a supprimé les marges arrière, qui étaient abusives et étranglaient les fournisseurs. Aujourd’hui, les contrats comportent une clause consacrée aux nouveaux instruments promotionnels (NIP), qui font l’objet d’un contrat de mandat clairement identifié et connu de tous. En la matière, les choses ont été clarifiées.

Mme la présidente Frédérique Massat. Merci à nos deux co-rapporteurs. Nous attendons maintenant la deuxième partie du rapport.

La Commission autorise la publication du rapport d’information.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mercredi 7 octobre 2015 à 9 h 30

Présents. – M. Damien Abad, Mme Brigitte Allain, Mme Delphine Batho, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Thierry Benoit, M. Philippe Bies, M. Yves Blein, Mme Michèle Bonneton, M. Christophe Borgel, M. Jean-Claude Bouchet, M. André Chassaigne, M. Dino Cinieri, M. Jean-Michel Couve, M. Yves Daniel, Mme Fanny Dombre Coste, Mme Jeanine Dubié, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Daniel Fasquelle, M. Christian Franqueville, M. Franck Gilard, M. Georges Ginesta, M. Jean Grellier, M. Henri Jibrayel, M. Philippe Kemel, Mme Laure de La Raudière, M. Thierry Lazaro, Mme Annick Le Loch, M. Philippe Le Ray, M. Jean-Pierre Le Roch, Mme Audrey Linkenheld, Mme Jacqueline Maquet, Mme Marie-Lou Marcel, M. Philippe Armand Martin, Mme Frédérique Massat, M. Jean-Claude Mathis, M. Kléber Mesquida, M. Germinal Peiro, Mme Josette Pons, M. Dominique Potier, M. Patrice Prat, M. François Pupponi, M. Bernard Reynès, M. Franck Reynier, M. Frédéric Roig, Mme Béatrice Santais, M. François Sauvadet, M. Éric Straumann, M. Alain Suguenot, M. Lionel Tardy, M. Jean-Charles Taugourdeau, Mme Catherine Vautrin, M. Fabrice Verdier

Excusés. – M. Bruno Nestor Azerot, Mme Ericka Bareigts, M. Denis Baupin, M. Marcel Bonnot, M. Daniel Goldberg, Mme Pascale Got, Mme Anne Grommerch, M. Antoine Herth, M. Jean-Luc Laurent, M. Serge Letchimy, M. Jean-Marie Tetart, M. Jean-Paul Tuaiva

Assistait également à la réunion. – M. François Vannson