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Commission des affaires économiques

Mercredi 12 octobre 2016

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 5

Présidence de Mme Frédérique Massat, Présidente

– Audition, en application de l’article 13 de la Constitution, de Mme Isabelle de Silva, dont la nomination à la présidence de l’Autorité de la concurrence est envisagée par le Président de la République, puis vote sur cette nomination.

La commission a procédé à l’audition, en application de l’article 13 de la Constitution, de Mme Isabelle de Silva, dont la nomination à la présidence de l’Autorité de la concurrence est envisagée par le Président de la République.

Mme la présidente Frédérique Massat. Conformément à l’article 13 de la Constitution, notre commission doit rendre un avis préalable à une nomination envisagée par le président de la République. La loi organique établit la liste de 47 nominations de personnalités, dont 13 doivent faire l’objet d’un avis de notre commission. C’est dans ce cadre que nous recevons Mme Isabelle de Silva, à laquelle je souhaite la bienvenue.

Je rappelle le déroulement de la procédure. L’audition est publique ; le scrutin est secret et doit avoir lieu hors la présence de la personne auditionnée ; il ne peut donner lieu à délégation de vote ; il sera effectué par appel public ; des bulletins seront distribués à cet effet. Le dépouillement du scrutin, qui sera effectué par deux scrutateurs, aura lieu simultanément à l’Assemblée nationale et au Sénat, conformément à l’article 5 de l’ordonnance du 17 novembre 1958.

Pour donner suite aux discussions relatives aux modalités pratiques du scrutin et du dépouillement, intervenues lors de notre dernière audition en juillet dernier, le Bureau de la commission des affaires économiques a pris deux décisions lors de sa réunion du 21 septembre 2016. En premier lieu, le dépouillement s’effectuera désormais en salle de commission lorsque le vote du Sénat intervient dans la continuité de celui de l’Assemblée nationale. Tel est le cas aujourd’hui puisque la commission des affaires économiques du Sénat procédera ce matin, à onze heures quinze, à l’audition de Mme de Silva. Le dépouillement aura lieu aux alentours de douze heures trente, et je demande à mes collègues de revenir dans cette salle pour y assister.

Le Bureau de la commission a également décidé de modifier les règles de désignation des deux scrutateurs. Notre commission avait l’habitude de désigner les deux parlementaires les plus jeunes présents dans la salle à la fin de l’audition, mais cette pratique ne garantit pas la présence d’un membre de la majorité et d’un membre de l’opposition. Aussi seront désormais choisis le commissaire présent le plus jeune du groupe Socialiste, écologiste et républicain et le commissaire présent le plus jeune du groupe Les Républicains.

Je vous rappelle, enfin, que, conformément au dernier alinéa de l’article 13 de la Constitution, le président de la République ne peut procéder à une nomination lorsque l’addition des votes négatifs dans chaque commission compétente de l’Assemblée nationale et du Sénat représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions. Il m’appartiendra de communiquer le résultat du vote à la présidence de l'Assemblée nationale, et de vous en informer ultérieurement.

Nous auditionnons donc Mme Isabelle de Silva, personnalité pressentie pour occuper les fonctions de présidente de l’Autorité de la concurrence en remplacement de M. Bruno Lasserre qui occupait ce poste depuis 2004 et que notre commission a auditionné quatre fois au cours de cette législature.

En application de l’article L. 461-1 du code de commerce, le président de l’Autorité de la concurrence est nommé en raison de ses compétences dans les domaines juridique et économique, pour une durée de cinq ans, renouvelable une fois, par décret pris sur le rapport du ministre chargé de l’économie.

Madame, vous êtes membre de l’Autorité de la concurrence depuis mars 2014, présidente à la sixième sous-section du contentieux du Conseil d’État, membre de l’Autorité de régulation de la distribution de la presse depuis 2012. Vous avez été conseillère technique au cabinet de la ministre de la culture et de la communication, rapporteur adjoint auprès du Conseil constitutionnel, commissaire du Gouvernement au tribunal des conflits, commissaire du Gouvernement à la deuxième et à la sixième sous-sections du Conseil d’État, puis directrice des affaires juridiques du ministère de l’écologie, du développement durable, des transports et de logement.

L’Autorité de la concurrence est une autorité administrative indépendante. Au service du consommateur, elle a pour objectif de veiller au libre jeu de la concurrence et d’apporter son concours au fonctionnement concurrentiel des marchés aux échelons européen et international. Elle a pour mission de sanctionner les pratiques anticoncurrentielles en prononçant des mesures d’urgence et des sanctions pécuniaires, et d’accepter des engagements. Sont en revanche exclus de son champ de compétence les pratiques commerciales déloyales et les litiges entre parties. Le 21 juin 2016, M. Bruno Lasserre a fait état devant notre commission de 39 affaires d’ententes ou d’abus de position dominante traitées en 2015 ; elles ont abouti à des sanctions d’un montant cumulé de 1 252 milliards d’euros, reversé au budget de l’État.

L’Autorité de la concurrence assure également le contrôle préalable des opérations de concentration ; les entreprises doivent lui notifier leurs opérations de fusion-acquisition. Elle joue aussi un rôle consultatif. Elle rend des avis de sa propre initiative ou à la demande de personnes morales représentant des intérêts collectifs : Gouvernement, Parlement, collectivités locales, organisations professionnelles ou de consommateurs. En 2015, elle a rendu 22 avis.

Enfin, dans le cadre de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques (dite « loi Macron »), l’Autorité s’est vu confier de nouvelles missions, et de nouveaux moyens par la loi de finances pour 2016. L’Autorité de la concurrence s’est ainsi vue chargée de l’évaluation indépendante des besoins de créations d’offices, et elle a rendu lundi dernier des recommandations de créations d’offices d’avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Outre cette intervention nouvelle dans le secteur des professions réglementées, l’Autorité a été chargée par la même loi du 6 août 2015 d’examiner systématiquement les projets d’accord concernant les centrales d’achat des entreprises de la grande distribution, de rendre un avis sur les projets de modification de la convention de partage des fréquences radioélectriques entre les opérateurs et de mener des transactions avec les entreprises qui renoncent à contester les griefs qui leur sont imputés.

L’activité de l’Autorité de la concurrence s’est fortement intensifiée ces dernières années. Elle est intervenue dans de nombreux secteurs économiques et a rendu des décisions et des avis importants, notamment dans le secteur des télécommunications. Le 30 novembre 2015, l’Autorité a ainsi infligé à SFR et à sa filiale réunionnaise une sanction de 10,7 millions d’euros. En raison de pratiques anti-concurrentielles sur le marché des entreprises, Orange a également été sanctionnée par une amende record de 350 millions d’euros.

Si vous êtes nommée à la présidence de l’Autorité de la concurrence, Madame de Silva, de nombreux dossiers vous attendent, dont la remise à plat des restrictions décidées en 2006 à la suite de la fusion de Canal + avec TPS et visant à limiter le pouvoir de marché de la chaîne, ou encore le suivi des effets du rapprochement des enseignes FNAC et Darty. Vous nous direz quelles sont vos priorités.

Mme Isabelle de Silva. Je suis heureuse d’être devant vous pour cette audition qui témoigne de l’importance des relations entre l’Autorité de la concurrence et le Parlement, relations qui se sont développées et enrichies au cours de la période récente.

Ma formation initiale a porté sur la gestion d’entreprise. J’ai souhaité ensuite rejoindre le service de l’État car j’étais passionnée par les politiques publiques et voulais servir l’intérêt général.

Au cours de ma carrière, j’ai pratiqué les différents aspects du droit : la rédaction de textes juridiques ; le contentieux, auquel j’ai consacré plusieurs années – y compris dans la fonction de juge des référés, fonction qui s’est développée au Conseil d’État ; le droit comme élément de l’action publique au sein du ministère de la culture et du ministère de l’écologie.

Comme présidente de chambre au sein du Conseil d’État, j’avais la responsabilité d’une chambre spécialisée dans des contentieux relatifs à l’environnement, à l’urbanisme, aux professions réglementées, à la justice et aux contentieux financiers. Cette chambre traite de 700 à 1 000 dossiers par an ; mon rôle était d’animer le travail du greffe et des magistrats afin que ces dossiers soient traités le mieux possible et dans des délais réduits.

En tant que directrice des affaires juridiques au ministère de l’écologie, j’ai eu à suivre l’élaboration de plusieurs lois importantes comme la loi Grenelle 2 et aussi des lois dans lesquelles l’ouverture à la concurrence était très présente, telle la loi relative à la nouvelle organisation du marché de l’électricité ou encore la loi relative à l’organisation et à la régulation des transports ferroviaires.

J’ai aussi développé des intérêts plus sectoriels ; je me suis ainsi intéressée de longue date au secteur de la presse écrite et des radios au ministère de la culture et aussi, tout récemment, au sein de l’Autorité de régulation de la distribution de la presse, autorité administrative indépendante qui a eu à traiter de questions délicates étant donné la crise que traverse la presse écrite, domaine dans lequel les préoccupations relatives à la préservation de la concurrence étaient extrêmement importantes. Enfin, comme membre de l’Autorité de la concurrence depuis deux ans, j’ai participé à des décisions couvrant toute la palette des pouvoirs de l’Autorité : décisions de répression d’entente et d’abus de position dominante, décisions sur des opérations de concentration – dans le cas du rapprochement entre FNAC et Darty par exemple – ou encore avis, notamment celui qui a été rendu sur les professions réglementées avant le vote de la loi du 6 août 2015.

Au terme de cette première période d’expérience professionnelle, j’ai acquis certaines convictions que j’aimerais mettre au service de l’Autorité de la concurrence. Je crois tout d’abord que le traitement des dossiers complexes appelle une grande rigueur dans l’analyse des faits et du droit mais qu’il faut aussi savoir innover. Je me suis souvent nourrie, dans ma pratique, du droit comparé et du dialogue avec les professionnels concernés. Il est important d’être toujours attentif aux changements juridiques, économiques et technologiques.

Je crois aussi profondément aux valeurs d’indépendance et d’impartialité. C’est aussi ce qui m’a attirée dans le métier de juge. Pour tout responsable public, c’est un exercice quotidien de chercher à prendre des décisions en se gardant de tout préjugé, de tout a priori, et en étant guidé avant tout par des considérations relatives à la loi et à l’intérêt général.

Ma troisième conviction est qu’à plusieurs on décide souvent mieux que seul. J’ai pratiqué assidûment la décision collégiale dans mes fonctions juridictionnelles et au sein de l’Autorité de la concurrence. L’une des chances de l’Autorité est d’avoir un collège particulièrement riche de compétences aux profils très divers. On constate combien chacune des voix qui composent l’Autorité contribue à ce que la décision rendue soit pertinente sur le plan économique et de l’opportunité.

Le quatrième principe auquel je suis très attachée est que lorsqu’on prend une décision, il importe de tenir compte des difficultés d’application. Cela impose de parvenir à des décisions claires et qui puissent être mises en œuvre. Il faut aussi prendre le temps d’expliquer la décision pour justifier ses choix auprès de ceux qu’elle concerne.

Enfin, je suis convaincue que les missions de l’État sont toujours légitimes aujourd’hui, mais que l’État a un devoir d’adaptation. Les entreprises sont en permanence soumises à des contraintes d’adaptation très rapides, où se joue souvent leur existence ; l’État doit et peut se réformer en permanence, s’interroger sur ses missions pour définir si elles sont toujours pertinentes et s’il doit les exercer en changeant, le cas échéant, ses méthodes de travail.

Quelle est ma conception de la concurrence et ma vision du rôle de l’Autorité ? Je crois profondément à la nécessité de la concurrence. Elle fixe des règles indispensables au bon fonctionnement du marché : de même qu’une société ne peut vivre sans règles communes, l’économie a besoin de règles du jeu claires et d’un arbitre pour les faire respecter. C’est la condition pour que chaque entreprise puisse être jugée selon ses mérites et non en vertu d’avantages acquis. La concurrence n’est pas l’ennemie des entreprises ; elles la perçoivent parfois comme une contrainte, mais c’est aussi une opportunité pour elles de pouvoir s’adresser à un marché libre et non faussé.

La concurrence a aussi pour vertu de permettre à société de se moderniser, d’inventer de nouveaux métiers, de nouveaux produits et services, dégageant ce faisant une valeur qui n’est pas strictement économique.

La concurrence n’est pas le seul objectif des politiques publiques. L’État doit en poursuivre bien d’autres – l’aménagement du territoire, la solidarité, le développement de l’industrie et de la recherche… Pour autant, la concurrence doit occuper une place importante dans les priorités publiques car elle permet de libérer les énergies et d’empêcher la captation des marchés par les acteurs en place.

L’Autorité de la concurrence est chargée de cette mission. Je souhaite, si cette responsabilité m’est confiée, préserver son efficacité reconnue, largement consacrée par le législateur, qui a, au cours des années récentes enrichi ses pouvoirs en lui donnant de nouvelles prérogatives. L’Autorité a aussi été très largement façonnée par M. Bruno Lasserre, à qui je rends hommage pour tout ce qu’il lui a apporté.

L’Autorité de la concurrence est aujourd’hui connue et visible. Peut-être peut-on encore agir pour faire partager la « culture de la concurrence », notamment auprès des PME, qui ne perçoivent pas toujours ce que l’Autorité peut leur apporter, qu’il s’agisse de l’accès au marché ou de la libération des contraintes auxquelles elles sont soumises.

Je passerai rapidement en revue les grands champs d’action de l’Autorité.

Dans les dossiers de concentration, l’Autorité intervient souvent et dans des délais assez contraints ; elle doit continuer d’être très attentive aux spécificités du marché concerné. C’est ce qu’elle fait lorsqu’elle statue sur des rapprochements dans le secteur agricole. C’est aussi ce qu’elle a fait dans sa décision relative au rapprochement entre FNAC et Darty, innovant en tenant compte, pour la première fois en Europe, non seulement des ventes en magasins mais aussi des ventes en ligne.

S’agissant de la répression des pratiques anti-concurrentielles l’Autorité doit préserver ses facultés d’investigation et continuer à travailler en bonne harmonie avec le ministère de l’économie, qui lui transmet des indications sur les enquêtes qu’il mène de son côté. Lorsqu’on évoque l’aspect répressif de l’action de l’Autorité, on parle souvent des sanctions importantes qu’elle inflige – Mme la présidente y a fait allusion à l’instant. Je considère que des sanctions d’un montant élevé sont justifiées lorsque des pratiques anti-concurrentielles ont causé un dommage très important à l’économie pendant plusieurs années et que l’opérateur en a retiré des profits. Mais, dans une pratique constante au cours des années récentes, l’Autorité tient compte des difficultés des entreprises et sait adapter la sanction qu’elle inflige pour ne pas mettre en péril la survie de l’entreprise.

L’Autorité a aussi un pouvoir d’avis et de recommandation, rôle grandissant depuis la réforme de 2009. Des études sont en cours, dont l’une, sectorielle, sur les audioprothèses, sera rendue publique à la fin de l’année. L’Autorité de la concurrence a un rôle fondamental à jouer comme lieu de réflexion ouvert à tous, permettant de larges consultations des acteurs politiques, économiques et de la société. Dans la période récente, l’Autorité a pu favoriser des évolutions ou contribuer à les dépassionner. On l’a vu pour la délicate question des voitures de transport avec chauffeur (VTC) et pour le développement du marché du transport inter-régional par autocar, décidé par le législateur sur proposition de l’Autorité. Les réformes de ce type me paraissent particulièrement porteuses d’avenir en ce qu’elles permettent de développer la croissance et les emplois – c’est assez manifeste pour le secteur du transport par autocar – mais aussi d’offrir des nouveaux services aux consommateurs pour des demandes de transport auxquelles il n’était pas répondu précédemment.

L’action de l’Autorité sur les plans européen et international a pris une grande importance. Elle doit continuer de s’investir dans le réseau européen de concurrence et dans le réseau international de concurrence. C’est ce qui lui permettra notamment de traiter les sujets numériques, pour lesquels j’aurai une attention toute particulière si les fonctions de présidente de l’Autorité me sont confiées. L’Autorité, qui a été en pointe à ce sujet, doit continuer d’être très vigilante et active, singulièrement au sujet du fonctionnement des plateformes numériques, qui structurent désormais l’économie et peuvent acquérir des positions fortes sur lesquelles il est difficile d’agir ensuite. Nous avons connu l’année dernière un très beau succès : grâce à l’action conjointe de la France, de la Suède et de l’Italie, les pratiques des plateformes de réservation hôtelière ont fini par être modifiées dans l’ensemble de l’Espace économique européen. Cette manière de procéder permet donc l’efficacité, y compris face à des acteurs mondiaux.

Dans les années à venir, l’Autorité devra continuer d’exercer sa vigilance à l’endroit de la grande distribution. Elle a rendu un avis important en 2015 sur les rapprochements entre centrales d’achat et depuis la loi du 6 août 2015 elle dispose d’un outil nouveau : les enseignes qui engagent une telle démarche sont désormais tenus de l’en informer.

Pour les concessions autoroutières, l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ARAFER) dispose également d’outils nouveaux et l’Autorité de la concurrence pourra examiner d’un œil attentif le respect des obligations nouvelles.

Enfin, je pense qu’un organisme tel que l’Autorité de la concurrence concourt à l’attractivité de l’économie française. L’existence d’un système juridique et institutionnel protégeant les entreprises en faisant respecter des règles du jeu équitables est un élément important de la décision des entreprises en passe de choisir l’État dans lequel elles vont s’implanter. C’est aussi pourquoi, dans les fonctions qui me seront peut-être confiées, je souhaite préserver l’efficacité de l’Autorité de la concurrence et lui permettre de traiter les défis qui se présentent à elles.

Mme la présidente Frédérique Massat. Je vous remercie. La parole est maintenant à ceux de mes collègues qui veulent vous interroger, et pour commencer aux représentants des groupes.

Mme Annick Le Loch. Je m’exprime au nom du groupe Socialiste, écologiste et républicain. L’Autorité de la concurrence que vous souhaitez présider et que vous connaissez déjà très bien garantit le bon fonctionnement de la concurrence sur le marché. C’est un acteur majeur de la vie économique et ses avis font très souvent l’objet de traductions législatives. Son activité est en pleine croissance ; en 2015, elle a traité 47 saisines, 25 demandes d’avis et 16 auto-saisines. « Gendarme de la concurrence » reconnu et efficace, elle exerce un pouvoir de contrôle et de sanction mais elle peut aussi accorder le bénéfice de la clémence aux entreprises qui l’aident à détecter des ententes. L’Autorité de la concurrence française est la plus active des structures européennes équivalentes.

La numérisation de l’économie et la prévalence de l’internet sont de nouveaux défis pour la politique de concurrence. Les Autorités française et allemande de la concurrence ont réalisé une étude conjointe visant à analyser les implications de la collecte et du traitement des données – le Big Data. Dans la continuité de cette étude conjointe, l’Autorité de la concurrence vient de lancer une enquête sectorielle sur la publicité en ligne. Un travail plus fourni ne devrait-il pas être mené à ce sujet par toutes les Autorités européennes ? Le réseau européen de concurrence, dans son fonctionnement actuel, suffira-t-il ?

L’Autorité de la concurrence s’est prononcée sur le rapprochement des enseignes dans le secteur de la grande distribution ; elle a notamment formulé des propositions visant à faciliter la démonstration de l’abus de dépendance économique. M. Bruno Lasserre nous a cependant confié que les petites et moyennes entreprises, craignant les représailles de la grande distribution, n’osent pas faire usage des outils juridiques mis à leur disposition. Jugez-vous cette situation acceptable ? L’Autorité de la concurrence ne devrait-elle pas faire davantage pour maîtriser l’oligopole de la grande distribution et rééquilibrer les rapports de force entre distributeurs et PME ?

L’Autorité étudie en ce moment le dossier médiatisé du marché des prothèses auditives. Pouvez-vous nous présenter un bref bilan d’étape ?

Je préside la Commission d’examen des pratiques commerciales (CEPC), placée auprès du ministre de l’économie. Quel est votre avis sur cette commission ? Peut-on imaginer, un jour prochain, une complémentarité ou une collaboration entre elle et l’Autorité de la concurrence au sujet des pratiques restrictives de concurrence ? Si l’Autorité de la concurrence peut saisir la CEPC, l’inverse n’est pas possible ; jugez-vous cela souhaitable ?

M. Antoine Herth. Je m’exprime au nom du groupe Les Républicains. Vous avez mentionné, Madame, les actions de l’Autorité de la concurrence à l’international. Comment concevez-vous d’articuler les missions entre l’Autorité française et le niveau européen, puisque l’Union européenne fixe également certains cadres législatifs et qu’elle a mandat de négocier les accords internationaux tels ceux qui doivent régir les relations commerciales entre l’Union européenne et le Canada ou les États-Unis ?

Vous avez indiqué que l’Autorité mène des études sectorielles. Quelles relations entretient-elle avec les associations de consommateurs ? La saisissent-elles de sujets d’investigation et si oui, lesquels ?

Je crois savoir, sous réserve de vérification, que le budget de l’Autorité s’établissait jusqu’à présent à quelque 20 millions d’euros. De quels moyens, selon vous, l’Autorité devrait-elle disposer au cours des cinq prochaines années ?

Dans le secteur agricole, on voit bien qu’en raison de la déconstruction des outils publics de régulation et d’intervention sur les marchés, l’organisation des filières devient un élément essentiel pour garantir des discussions équilibrées entre producteurs, transformateurs et distributeurs. Dans un rapport d’information sur le bilan de la suppression des quotas laitiers que la commission des affaires européennes examinera tout à l’heure, MM. Hervé Gaymard et Yves Daniel montrent qu’en 2014 un litre de lait était vendu au consommateur au prix moyen hors taxe de 75 centimes ; 30 centimes allaient au producteur, 29 au transformateur et 12 au distributeur. En 2015, le prix moyen hors taxe de vente au consommateur était passé à 76 centimes, dont 27 seulement allaient au producteur, mais 32 centimes au transformateur et 13 au distributeur. On voit bien que les organisations de producteurs, qui devraient être dans un rapport de forces équilibré pour discuter la répartition de la valeur ajoutée, ne le sont pas. Sachant que les producteurs craignent de s’organiser car ils ont très peur de l’Autorité de la concurrence, comment aborderez-vous ce sujet ?

Mme Jeanine Dubié. Nous avions l’habitude, dans cette commission, de recevoir régulièrement M. Bruno Lasserre, et le groupe Radical, républicain, démocrate et progressiste entend toujours parler avec beaucoup d’intérêt des nombreux sujets traités par l’Autorité de la concurrence. Lors de sa dernière audition, M. Bruno Lasserre avait souligné que certaines réformes voulues par le Gouvernement avaient été directement inspirées par les travaux de l’Autorité de la concurrence, qu’il s’agisse de la réforme des professions réglementées, de celle du transport par autocar ou des péages des autoroutes. Il en a été ainsi également de la proposition de loi de notre collègue Damien Abad visant à préciser la définition de l’abus de dépendance économique.

Les prérogatives de l’Autorité de la concurrence se sont considérablement accrues sous l’impulsion de son président sortant, au point que l’on peut s’interroger sur la place des autorités administratives indépendantes dans le paysage législatif. Les missions de l’Autorité ont été renforcées par la loi Macron. Cette réforme a-t-elle renforcé son efficacité procédurale ?

Avec 246 enquêtes ouvertes depuis 2004, l’Autorité de la concurrence est la plus active des autorités nationales membres du réseau européen de concurrence. Comment envisagez-vous de travailler avec vos homologues ?

J’en viens au développement constant des plateformes de réservation en ligne. Nous sommes régulièrement sollicités par les hôteliers, durement frappés par cette concurrence déloyale. Envisagez-vous d’investiguer davantage le secteur de l’économie numérique pour uniformiser les règles auxquelles sont soumis les différents acteurs, pour éviter certaines formes de concurrence déloyale ?

Enfin, l’été a été marqué par une forte opposition entre les éleveurs et le groupe Lactalis sur le prix du lait, dans un contexte de crise due à la surproduction laitière. Dans le projet de loi Sapin II, nous avons adopté des mesures visant à améliorer la contractualisation agricole et favorisant une plus grande transparence des relations commerciales. Ces nouvelles mesures législatives vous semblent-elles suffisantes ?

M. Thierry Benoit. Je prends la parole au nom du groupe de l’Union des démocrates et indépendants pour prolonger la question posée par mon collègue Antoine Herth. Vous avez mentionné de manière très diplomatique, Madame, « les dossiers de concentration » dont l’Autorité a à traiter. S’agissant de la distribution, la partie aval de la filière s’est organisée depuis une quarantaine d’années sans que l’Autorité de la concurrence y trouve à redire. Il en résulte pourtant que, depuis 1970, quelques centrales d’achat se sont constituées qui imposent leur rythme dans les négociations commerciales nationales. Quel est votre avis sur ce dossier de concentration spécifique ? Ne faut-il pas mettre un peu d’ordre ? Certains parlementaires évoquent un « cartel de la distribution », et je ne suis pas loin de faire mienne cette expression. Si l’Autorité de la concurrence a été créée, c’est qu’en raison des statuts juridiques différents de ceux qui se confrontent, un déséquilibre était perceptible depuis plusieurs années dans les négociations commerciales, au point que l’on peut se poser la question de l’abus de position dominante. Comment préconisez-vous de structurer et d’organiser la filière agro-alimentaire française en amont, en facilitant la création d’associations de producteurs juridiquement reconnues ? Comment proposez-vous de faire concorder le droit européen et le droit français ? De manière plus large, pensez-vous que les missions de l’Autorité de la concurrence française évolueront vers une harmonisation au niveau européen. Jugez-vous que ses moyens doivent être augmentés ?

M. André Chassaigne. Je m’exprime au nom du groupe de la Gauche démocrate et républicaine. Vous avez clairement rappelé que l’autorité chargée de réguler le fonctionnement de la concurrence doit obtenir la discipline qui s’impose en jouant le rôle de gendarme qui lui a été alloué. Vous avez aussi souligné les vertus de la concurrence, expliquant qu’elle pouvait être bénéfique au développement économique de notre pays. Ne faudrait-il pas insister aussi sur la mission de conseil de l’Autorité de la concurrence ? Très souvent, au cours des débats législatifs, il est dit que l’on doit, ou que l’on ne doit pas, prendre telle disposition ou telle autre, au motif que nous devons nous conformer à la réglementation européenne, sans que nous sachions exactement si l’argument est recevable. Il en fut notamment ainsi au moment de la réforme ferroviaire : on peut se demander si nous avons véritablement fait tout ce qu’il était possible de faire pour préserver l’unicité de notre système ferroviaire ou si nous sommes allés au-delà de ce qu’exige le droit européen. La question se pose très souvent, sur les différents bancs ; elle s’est posée aussi pour l’agriculture et hier encore lors d’un débat sur le partage des relais de téléphonie mobile – question paradoxalement portée par les libéraux. La législation européenne permet-elle cette mutualisation, ou porterait-elle véritablement atteinte au fonctionnement libre et non faussé du marché ? Et encore : était-il indispensable, au nom de la concurrence, d’obliger ERDF à se démarquer d’EDF en changeant d’appellation pour devenir Enedis ? De nombreux autres exemples de cette sorte nous donnent le sentiment que nous ne disposons pas de toutes les données qui permettraient de limiter les dérives libérales qui dans de nombreux secteurs nous conduisent à notre perte.

M. Hervé Pellois. M. Bruno Lasserre vantait les mérites du réseau européen de concurrence ; vous en avez dit quelques mots en mentionnant le dossier des plateformes numériques, sujet d’une importance particulière tant est prégnante la menace de concentration. Le président sortant appelait également de ses vœux l’approfondissement et l’élargissement de la logique de réseau dans la mise en œuvre du droit de la concurrence. Comment se fait l’harmonisation des procédures relatives aux pratiques anti-concurrentielles au niveau européen ? Le champ de la coopération s’élargit-il, notamment dans le domaine du contrôle des concentrations ? Comment renforcer l’efficacité des règles du droit de la concurrence au sein de l’Union européenne ?

Mme Laure de La Raudière. L’économie numérique a fait naître de nouveaux acteurs dont le modèle économique repose sur le fait qu’ils préemptent une position de référence mondiale quasi-monopolistique de fait sur un marché ; on le voit avec Google, Facebook, YouTube, Booking… Mais c’est aussi l’ambition de certaines entreprises françaises, telle Blablacar. C’est plus pratique pour le consommateur mais, dans le même temps, cela crée des barrières à l’entrée quasiment infranchissables. Quel sera le message de l’Autorité de la concurrence à ce sujet ? À quel niveau réguler ces pratiques ? Une régulation uniquement française, comme il en est souvent proposé par voie d’amendement, peut-elle être efficace ?

Mme Michèle Bonneton. Au vu du mouvement de concentration en cours dans la grande distribution, comment agir en faveur des producteurs et des consommateurs ? Que pensez-vous de l’action de groupe ? Le principe du marché libre et non faussé peut-il suffire à ce que le marché fonctionne bien ? Dans le secteur agricole, l’exemple déjà cité du prix du lait, mais aussi celui de la viande, permettent d’en douter. Alors, quelle régulation, et, comme l’a demandé mon collègue André Chassaigne, jusqu’où ? Le dumping fiscal et le dumping environnemental ne faussent-ils pas également la concurrence ? Comment les réprimer ? Comment concevez-vous l’indépendance de l’Autorité de la concurrence ? Les compétences de son collège sont multiples et très diversifiées. Pour accroître l’efficacité de l’Autorité, le législateur serait-il bien avisé d’élargir son champ d’investigation, d’étoffer ses moyens juridiques et d’accroître ses ressources ? Enfin, je ne saurais conclure sans rendre hommage à l’action remarquable menée par M. Bruno Lasserre.

M. Jean-Claude Mathis. M. Bruno Lasserre a indiqué quitter la présidence de l’Autorité de la concurrence avec une grande fierté pour le travail accompli, soulignant : « Nous avons fait bouger les choses et bousculé l’ordre établi, nous avons été un vivier de réformes ». En douze ans, sous sa présidence, les dossiers examinés ont porté sur des champs nouveaux, telles les nouvelles technologies, et l’Autorité française de la concurrence a été la première au monde qui ait enquêté sur les pratiques concurrentielles de Google.

Voulez-vous, vous aussi, révolutionner la concurrence ? Quel rôle l’Autorité doit-elle jouer pour soutenir le développement économique ? À quels défis vous attaquerez-vous en priorité si vous êtes nommée présidente de l’institution ? Pouvez-vous notamment préciser vos intentions pour ce qui concerne le numérique ?

M. Jean-Luc Laurent. J’aimerais savoir comment vous entendez conduire l’évolution nécessaire du rôle de l’Autorité de la concurrence et son redimensionnement pour lui permettre de lutter contre l’emprise des groupes transnationaux et parfois supranationaux. Cela pourrait passer par l’articulation entre son action et celle de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ou par une répartition des rôles entre les deux organes pour les abus de position dominante et les ententes commerciales. Le rapport d’activité de l’Autorité pour 2015 indiquait qu’un nombre croissant d’affaires transmises par la DGCCRF ne sont pas retenues du fait de « la nécessité d’investigations nombreuses en divers points du territoire ». N’y-a-t-il pas, à bien des égards, de doublons dans les attributions et compétences entre la DGCCRF et l’Autorité ? Selon quels axes revoir la répartition des rôles ?

Pour ce qui est du numérique, quelles sont les possibilités d’action de l’Autorité dans un secteur où un monopole se crée – je pense particulièrement à Google – qui prospère sans laisser aucun concurrent émerger ?

M. Éric Straumann. Quel est votre sentiment, Madame, sur l’évolution de la presse régionale, secteur où se manifeste une tendance monopolistique, de grands groupes bancaires prenant le contrôle des organes de presse avant de les faire disparaître peu à peu ?

M. Lionel Tardy. Poursuivrez-vous les chantiers ouverts par M. Bruno Lasserre, singulièrement en ce qui concerne les réservations hôtelières en ligne, la clause tarifaire de Booking, ou encore la publicité en ligne ? D’autre part, compte tenu du fait que les textes récemment adoptés ou en cours d’examen attribuent à l’Autorité de la concurrence des prérogatives toujours plus nombreuses, comptez-vous, comme le faisait M. Bruno Lasserre, alerter franchement si les moyens budgétaires n’étaient pas en adéquation avec les missions, ce qui arrive fréquemment aux autorités administratives indépendantes ?

M. Laurent Furst. Depuis quelques mois, quatre centrales d’achat détiennent chacune une part de marché oscillant entre 20 et 25 % dans la distribution agro-alimentaire en France. C’est considérable. Cette situation, qui pose problème à beaucoup d’entreprises de toutes tailles – à des PME mais aussi à des groupes puissants – est aussi une menace pour l’activité économique et pour le maintien de la production et des filières agricoles dans notre pays. La puissance publique est-elle en mesure de protéger la production française ? Peut-elle créer les conditions de la survie de notre industrie agro-alimentaire alors que les discussions commerciales ont principalement lieu à Genève, et que des dispositions contractuelles complexes imposent des marges arrière et le financement d’opérations commerciales dont on ne connaît pas la totale réalité ? Avec des dizaines de milliers d’emplois à la clef, l’enjeu est fondamental. Face à un tel degré de concentration, peut-on rétablir un équilibre entre les entreprises et les centrales d’achat ?

M. Michel Sordi. J’ai parfois le sentiment que la France et l’Union européenne veulent laver plus blanc que blanc en imposant des cessions d’actifs aux entreprises qui fusionnent. L’homologue américain de l’Autorité de la concurrence ne me paraît pas avoir la même approche ; qu’en est-il ?

Mme Isabelle de Silva. Plusieurs questions ont porté sur l’organisation interne et les pouvoirs de l’Autorité de la concurrence. La clémence de l’Autorité est accordée aux entreprises qui coopèrent avec elle. Cette procédure très utile permet de mettre au jour ententes, cartels et pratiques restrictives de concurrence qu’il serait extrêmement difficile de déceler sans cela. Elle a notamment été utilisée dans une affaire concernant le secteur des messageries, qui a abouti à des sanctions très élevées. La transaction, nouvelle procédure issue de la loi du 6 août 2015, sera un autre élément utile, permettant à l’Autorité de continuer à faire face à ses missions.

J’aurai, sur les moyens budgétaires et humains, une position très ferme, car l’Autorité ne doit pas être victime de son succès. On lui a confié récemment d’importantes prérogatives nouvelles qui demandent des instructions très approfondies ; c’est le cas, notamment, pour ce qui touche aux tarifs des professions réglementées, et cela a conduit l’Autorité à créer un service spécifique et à recruter. Une autre préoccupation tient au fait qu’au regard des moyens considérables dont disposent les « mastodontes » mis en cause pour assurer leur défense contentieuse, ceux de l’Autorité peuvent parfois sembler limités. Vous pouvez donc compter sur moi pour appeler l’attention du Parlement si j’estime les moyens budgétaires de l’Autorité insuffisants. Des efforts ont déjà été faits pour les deux derniers exercices ; ils devraient permettre de faire face aux nouvelles missions, mais ce ne sera peut-être pas facile. Je serai aussi attentive à envisager des réformes qui pourraient nous donner des moyens supplémentaires ou des moyens de traiter différemment les dossiers dont nous avons la charge si j’estime qu’il est nécessaire d’en passer par une évolution législative.

L’Autorité de la concurrence française a été leader au sujet du numérique. Il faut rester très présent dans ce domaine. Le droit existant et une Autorité nationale peuvent-ils faire face à ce défi, quand certains considèrent que les géants de l’internet sont bien plus puissants que les États ? On peut s’interroger. Le réseau européen de concurrence est une force et je suis heureuse que vous ayez mentionné l’étude relative au Big Data réalisée avec notre homologue allemande. Les Autorités nationales doivent agir de concert. Cette étude très intéressante dessine la cartographie des risques pour la concurrence et dresse la liste des enjeux économiques de la collecte du Big Data, qui concernent, outre le secteur numérique, les secteurs financier et industriel. L’étude nous donne des clefs d’analyse majeures pour traiter ces sujets.

Je pense aussi que, pour certains dossiers, la Commission européenne choisira d’agir et s’appuiera sur les Autorités nationales : il se produit qu’elle nous demande de procéder à des investigations pour nourrir ses propres dossiers contentieux. La Commission européenne et la directrice générale de la concurrence sont très occupées par ces questions ; j’entends les rencontrer très prochainement pour définir des dossiers à traiter en priorité et montrer notre détermination à ne pas laisser des acteurs du secteur numérique bloquer complètement un marché et verrouiller l’accès à des infrastructures essentielles pour notre économie. Je serai très vigilante sur ce point.

L’Autorité s’intéresse de très près aux centrales d’achat et, plus généralement, à la grande distribution. Ce n’est pas toujours visible, mais elle traite des concentrations qui lui sont soumises et elle demande très fréquemment des engagements ou des cessions d’actifs pour éviter que ne se créent des monopoles locaux. Dans l’avis relatif au rapprochement des centrales d’achat et de référencement dans le secteur de la grande distribution qu’elle a rendu en 2015, l’Autorité définit la cartographie précise des risques concurrentiels à l’aval mais aussi à l’amont, vis-à-vis des fournisseurs qui pourraient se trouver en état de dépendance économique du fait de ces rapprochements. Il est vrai que, le nombre d’acteurs étant désormais extrêmement restreint, ces rapprochements posent question tant du point de vue des fournisseurs que de celui des clients. Nous avons dressé la liste des risques possibles.

Vous avez évoqué le fait qu’en raison de leur différence relative de poids et d’influence, les PME n’osent pas toujours affronter les grands distributeurs. Nous souhaitons vivement que les entreprises nous signalent les difficultés qu’elles rencontrent, car si nous n’avons pas de cas précis à examiner il nous est difficile d’agir. Nous entendons être extrêmement vigilants. À cet égard, il me paraît justifié que la DGCCRF, forte de son réseau territorial, soit très présente au niveau local pour faire remonter les difficultés dont elle a connaissance.

Il faut appliquer aux centrales d’achat le nouveau cadre législatif qui fait obligation aux distributeurs de notifier tout rapprochement à l’Autorité de la concurrence et suspend l’application de l’accord pendant deux mois ; vous savez que, lors de la campagne précédente, l’une des difficultés tenait à ce que le rapprochement était intervenu en pleine période de négociation avec les fournisseurs. Nous ferons le bilan de ce dispositif et mesurerons s’il est assez efficace.

Comme cela a été signalé, ce sujet est lié à celui de l’abus de dépendance économique. Chacun comprend à quoi correspond cette pratique mais, depuis quelques années, les dispositions législatives tendant à la réprimer n’ont pas toujours semblé parfaitement efficaces, la jurisprudence ayant posé des conditions extrêmement fermes à leur mise en œuvre. Des travaux législatifs étant en cours à ce propos, l’Autorité de la concurrence, attachée à ce qu’une disposition à ce sujet ne soit pas seulement inscrite formellement dans le code de commerce mais qu’elle puisse être mobilisée par les entreprises, a formulé des suggestions en ce sens.

Je suis très favorable à ce que la CEPC saisisse l’Autorité puisque celle-ci nourrit son action des saisines et des indications remontant du monde économique et des consommateurs. Nous sommes toujours très attentifs aux saisines émanant des associations de consommateurs, mais le consommateur n’est pas toujours suffisamment représenté, faute que ces associations aient des moyens suffisants. L’Autorité s’est prononcée récemment, sur une saisine de l’association Consommation, logement et cadre de vie (CLCV), sur le fonctionnement du marché du foncier. Au sein du collège de l’Autorité siègent des représentants des consommateurs. Les élus doivent eux aussi faire remonter à l’Autorité les difficultés dont ils ont à connaître.

L’Autorité s’est souvent prononcée au sujet des marchés agricoles. Les lignes fortes de ses propositions sont connues ; elles ont notamment trouvé leur traduction dans l’avis relatif au fonctionnement du secteur laitier. L’Autorité s’était attachée à mettre en lumière les difficultés dues aux rémunérations respectives des producteurs et des distributeurs. Dans ses décisions, l’Autorité prend en compte les spécificités du secteur agricole. Elle le fait lorsqu’elle statue en matière de concentration mais aussi en matière de pratiques restrictives de concurrence car elle a bien conscience que les producteurs sont dans une situation particulière eu égard au caractère cyclique de la production et au fait qu’il s’agit de produits périssables, tous facteurs qui les placent dans une situation plus difficile que pour d’autres. La préconisation générale de l’Autorité est que les producteurs se regroupent ; ils sont plus forts lorsqu’ils sont réunis dans des structures transparentes, officielles et clairement identifiées comme telles ; tout ce qui peut s’apparenter à des ententes occultes n’étant évidemment pas en odeur de sainteté. Dans l’avis relatif au fonctionnement du secteur laitier, nous avons préconisé un rassemblement, sous différentes formes, afin que les producteurs puissent récupérer une partie de la valeur issue de leur production et qu’elle ne soit pas simplement engrangée par le circuit de distribution. Nous sommes attentifs aux initiatives en la matière.

De même, dans sa récente décision relative à certaines pratiques mises en œuvre dans le secteur de la commercialisation de la viande de volaille, l’Autorité a préconisé, et accepté en alternative à des sanctions qui auraient pu être infligées pour des montants plus importants, que la filière avicole s’engage à se structurer. L’Autorité recommande ces rapprochements et favorise leur mise en œuvre.

Le cadre européen est-il adapté aux préoccupations des filières agro-alimentaires ? Je tiens à rappeler que l’Autorité de la concurrence a œuvré pour que la Commission européenne prenne mieux en compte les spécificités de l’agriculture, desserre certaines contraintes inadaptées à ce secteur et facilite les formes d’organisation de marché qui permettent de remédier quelque peu aux déséquilibres constatés.

Le réseau européen de concurrence existe depuis une douzaine d’années. Il fonctionne de manière très satisfaisante et l’Autorité de la concurrence française y joue un rôle très actif. Une nouvelle phase s’annonce ; il s’agira de mettre à niveau certaines Autorités nationales dont la Commission européenne considère les pouvoirs insuffisamment effectifs et les capacités d’intervention insuffisamment dissuasives. Un projet, qui pourrait se traduire par une directive, est en cours d’élaboration ; il vise à définir un socle commun permettant que toutes les Autorités de la concurrence européennes soient aussi efficaces que l’est l’Autorité française. Celle-ci participera à l’élaboration de ces normes et poursuivra, d’autre part, ses échanges quotidiens dans le cadre du réseau européen.

Le système européen de concurrence me paraît devoir aussi être vanté en ce qu’il met en œuvre une réelle subsidiarité. La Commission européenne peut sous-traiter à l’Autorité nationale des affaires qui pourraient relever de son domaine ; elle le fait souvent avec l’Autorité française, en qui elle a confiance. C’est un élément important que le droit européen puisse aussi être appliqué au niveau local et pas seulement au niveau d’instances supranationales telles que la Commission européenne. Les relations de travail sont très confiantes.

Mme Jeanine Dubié a mentionné la place particulière des autorités administratives indépendantes dans le paysage législatif. L’Autorité de la concurrence a montré que ce statut, qui n’est pas une fin en soi, est très adapté pour cette prérogative particulière ; cela ne signifie pas que l’Autorité n’est pas comptable de son action devant le Parlement.

L’indépendance de l’Autorité est-elle réelle ? Elle est largement garantie par les textes qui la régissent et qui structurent très nettement les rôles respectifs du rapporteur et du collège. On voit aussi que, dans les nominations des membres du collège, toutes les qualités et compétences diverses ont été recherchées, de manière que des points de vue divers s’expriment. L’Autorité n’est pas monocolore, mais son collège est composé de personnalités qui connaissent bien l’économie et qui ont une connaissance concrète de ces questions. Pour l’Autorité de la concurrence, le statut d’autorité administrative indépendante est pertinent.

M. André Chassaigne a insisté sur la mission de conseil de l’Autorité, singulièrement pour éclairer la place respective du droit national et de la contrainte européenne. Il est important de rappeler qu’une part des réformes qui ont conduit à l’ouverture à la concurrence de plusieurs secteurs correspondait à la mise en œuvre du droit européen mais qu’une autre part relevait de choix nationaux. Le citoyen doit avoir conscience de ce qui relève du mouvement européen d’harmonisation et d’ouverture à la concurrence et de ce qui relève du choix national. Des choix ont été faits sans certains domaines – en matière ferroviaire ou d’énergie – sur lesquels l’Autorité a eu à se prononcer, et il est arrivé qu’elle préconise des solutions autres que celles qui ont été retenues. Ce faisant, elle était dans son rôle puisque sa préoccupation était, pour le secteur ferroviaire notamment, que la concurrence se traduise effectivement par l’émergence de nouveaux acteurs. L’Autorité est souvent saisie de ce type d’interrogations ; elle s’attache toujours, dans ses avis, à faire œuvre de pédagogie, en étant le plus objective possible dans ses constats et en distinguant nettement les propositions qui relèvent de son analyse particulière.

Quelles actions mener à l’endroit des acteurs du numérique ? L’Autorité exerce sa vigilance sur les ventes en ligne. Ainsi, ayant été saisie par de petits acteurs de ce secteur qui se plaignaient que la SNCF s’employait à les empêcher de vendre des billets de train, elle s’est prononcée l’année dernière. Il en est résulté que la SNCF a pris des engagements. Cela montre que sur des sujets circonscrits, lorsque l’Autorité est saisie par des acteurs du secteur s’estimant victimes de pratiques anti-concurrentielles, on peut obtenir rapidement des changements effectifs. L’engagement, l’un des outils que l’Autorité utilise désormais très fréquemment plutôt que la sanction, permet d’aboutir à un changement des pratiques commerciales, notamment pour les ventes en ligne. Ce moyen est souvent bien plus efficace que ne le sont les sanctions financières.

L’articulation entre l’Autorité de la concurrence et la DGCCRF doit-elle être revue, et est-elle suffisante dans la répartition des affaires entre les deux organes ? Certains ont jugé que la réforme de l’Autorité de la concurrence, en 2009, était inaboutie en raison du partage des rôles avec le ministère de l’économie. Or l’architecture est satisfaisante. Le ministère est dans son rôle ; il a un pouvoir d’évocation, dont il fait un usage mesuré, et il fait remonter à l’Autorité ses propositions d’enquête et d’investigation. L’Autorité n’ayant pas de réseau territorial, c’est une grande chance pour le système français que des agents de la DGCCRF puissent constater, en tous lieux, des pratiques restrictives de concurrence et faire remonter leurs observations. La répartition des rôles est assez bien calée. L’Autorité ne se saisit d’affaires ou d’investigations que lorsqu’elle estime qu’une question de principe n’a pas encore été traitée sur laquelle elle juge important de se prononcer parce que le cas pourrait être transposé sur l’ensemble du territoire. Quand les agents du ministère relèvent des indices de pratiques anti-concurrentielles au niveau local et que la pratique décisionnelle et la jurisprudence sur cette pratique sont bien établies, l’Autorité laisse la DGCCRF poursuivre les investigations sans se saisir du dossier. Le dispositif actuel fonctionne bien mais l’on peut bien sûr réfléchir à d’autres systèmes ; je n’ai pas de point de vue sur le sujet à ce stade mais, si je suis nommée, j’en discuterai avec la directrice générale de la concurrence et le ministère pour apprécier si des réflexions doivent être menées à cet égard.

M. Lionel Tardy s’est inquiété du suivi de la décision relative aux clauses tarifaires imposées par les plateformes de vente en ligne de réservations hôtelières. L’Autorité, qui avait été saisie par des hôteliers s’estimant très pénalisés de ne pouvoir vendre les nuitées moins cher qu’aux tarifs publiés par ces plateformes, sera très vigilante sur le suivi des engagements pris. De plus, une étude européenne est en cours qui tend à déterminer si la modification des pratiques commerciales acceptées par Booking.com s’est traduite par une amélioration pour les hôteliers. L’Autorité s’assurera que les contraintes imposées aux hôteliers, qu’elle avait jugées injustifiées, ont été effectivement levées.

Il est vrai que le système de régulation est un peu différent en France et aux États-Unis. Pour les cartels, les Américains recourent moins aux sanctions financières que les Français ou les Européens, privilégiant l’emprisonnement des dirigeants des entreprises jugées coupables de telles pratiques… S’agissant des concentrations, des règles sont également appliquées.

Les Autorités de la concurrence ont beaucoup travaillé ensemble pour échanger des pratiques et développer des projets, aussi bien dans le cadre du réseau européen de concurrence créé à l’instigation de M. Bruno Lasserre que dans le cadre de l’International Competition Network. Une coopération étroite et utile a lieu avec l’Autorité américaine et avec d’autres Autorités en constitution. L’Autorité de la concurrence française a beaucoup aidé à la création d’Autorités dans des pays en développement ou émergents. C’est un volet intéressant de la coopération entre États et une manière d’exporter le modèle français de régulation de la concurrence. Il est important que les entreprises françaises, quand elles s’implantent à l’étranger, bénéficient de la même protection que sur le marché français pour ce qui relève du droit de la concurrence. Dans les négociations commerciales internationales en cours, c’est un enjeu sérieux que la France et l’Union européenne ne soient pas les seules à réguler la concurrence ; il pourrait bien sûr en résulter des distorsions, et l’on sait que certaines économies n’ont pas le même niveau de protection. À son niveau, l’Autorité de la concurrence française joue son rôle ; elle a des programmes de coopération assez poussés avec certains pays qui ont fait appel à elle pour former les responsables et réfléchir aux textes qui régiront leurs Autorités de la concurrence.

Mme la présidente Frédérique Massat. Madame, je vous remercie.

*

* *

Après le départ de Mme Isabelle de Silva, il est procédé au vote sur la nomination par appel à la tribune et à bulletins secrets.

Les résultats du scrutin sont les suivants :

Nombre de votants

30

Bulletins blancs ou nuls

0

Suffrages exprimés

27

Pour

26

Contre

1

Abstention

3

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mercredi 12 octobre 2016 à 9 h 30

Présents. – M. Damien Abad, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Thierry Benoit, M. Philippe Bies, Mme Michèle Bonneton, M. Christophe Borgel, M. Alain Calmette, M. André Chassaigne, M. Dino Cinieri, M. Jean-Michel Couve, Mme Karine Daniel, Mme Jeanine Dubié, Mme Corinne Erhel, Mme Sophie Errante, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Daniel Fasquelle, M. Christian Franqueville, M. Laurent Furst, Mme Annie Genevard, M. Franck Gilard, M. Georges Ginesta, M. Jean Grellier, M. Antoine Herth, M. Philippe Kemel, Mme Laure de La Raudière, M. Jean-Luc Laurent, Mme Annick Le Loch, M. Philippe Le Ray, M. Jean-Pierre Le Roch, Mme Jacqueline Maquet, Mme Marie-Lou Marcel, M. Philippe Armand Martin, Mme Frédérique Massat, M. Jean-Claude Mathis, M. Kléber Mesquida, M. Yannick Moreau, M. Hervé Pellois, M. Dominique Potier, M. Bernard Reynès, M. Franck Reynier, M. Frédéric Roig, M. Michel Sordi, M. Éric Straumann, M. Alain Suguenot, M. Lionel Tardy, M. Jean-Charles Taugourdeau, M. Fabrice Verdier

Excusés. - M. Bruno Nestor Azerot, M. Denis Baupin, M. Yves Blein, M. Jean-Claude Bouchet, Mme Pascale Got, M. Henri Jibrayel, M. Thierry Lazaro, M. Serge Letchimy, M. Philippe Naillet, Mme Josette Pons, M. Thierry Robert, Mme Catherine Troallic, M. Jean-Paul Tuaiva, Mme Catherine Vautrin

Assistait également à la réunion. – M. Marcel Bonnot