Accueil > Contrôle, évaluation, information > Les comptes rendus de la mission d’évaluation et de contrôle

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mission d’évaluation et de contrôle

Gestion des programmes d’investissements d’avenir relevant de la mission « Recherche et enseignement supérieur »

Mardi 22 avril 2014

Séance de 15 heures

Compte rendu n° 14

Présidence de M. Alain Claeys, président

– Audition, ouverte à la presse, sur le thème de la gestion des programmes d’investissements d’avenir relevant de la mission « Recherche et enseignement supérieur », de M. Bernard Bigot, administrateur général du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives, accompagné de M. Jean-Philippe Bourgoin, directeur de la stratégie et des programmes, et de M. Jean-Pierre Vigouroux, chef du service des affaires publiques

M. le président Alain Claeys, rapporteur. Je vous remercie, monsieur l’administrateur général, d’avoir accepté notre invitation. Nous souhaiterions connaître votre point de vue sur la mise en place des programmes d’investissements d’avenir (PIA). Le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) est notamment l’opérateur de deux actions engagées dans le cadre du programme « Nucléaire de demain » : le réacteur de quatrième génération ASTRID – Advanced Sodium Technological Reactor for Industrial Demonstration – et le réacteur Jules Horowitz (RJH).

M. Bernard Bigot, administrateur général du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives. Le CEA est concerné par les PIA à plusieurs titres : il est opérateur des deux actions que vous avez mentionnées ; aux côtés du monde universitaire et de la recherche, il s’implique dans plusieurs projets collectifs : initiatives d’excellence (IDEX), laboratoires d’excellence (LABEX) et équipements d’excellence (EQUIPEX) notamment ; il participe à des instituts de recherche technologique (IRT), à des instituts pour la transition énergétique (ITE) et à des sociétés d’accélération du transfert de technologies (SATT), qui visent à soutenir l’innovation.

De notre point de vue d’opérateur, la mise en œuvre des PIA a été très satisfaisante en ce qui concerne les projets ASTRID et RJH, en dépit des difficultés rencontrées sur ces deux projets. De même, malgré une certaine complexité, les IDEX, les LABEX et les EQUIPEX s’avèrent bénéfiques, car ils permettent de travailler en commun. En revanche, le CEA est très critique sur les IRT, les ITE et les SATT, qui l’exposent à des risques importants.

Les projets ASTRID et RJH se sont vu initialement affecter 900 millions d’euros – respectivement 651,6 et 248,4 millions. Les crédits alloués au démonstrateur ASTRID ont ensuite été ramenés à 626,5 millions par un avenant à la convention correspondante, signé entre l’État, l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA), l’Agence nationale de la recherche (ANR) et le CEA. Cet avenant a permis de redéployer 50 millions d’euros au profit de l’ANR – 25 millions à partir de l’action « Réacteur de quatrième génération ASTRID » confiée au CEA et 25 millions à partir de l’action « Recherches en matière de traitement et de stockage des déchets radioactifs » confiée à l’ANDRA, respectivement actions 1 et 3 du programme « Nucléaire de demain » – afin de financer le programme de renforcement de la recherche en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection lancé à la suite de l’accident de Fukushima.

Les projets ASTRID et RJH sont suivis, chacun, par un comité présidé par la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) et comprenant des représentants de la direction générale de la recherche et de l’innovation (DGRI), de la direction du budget (DB), de la direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services (DGCIS), du contrôle général économique et financier (CGEFI) et du directeur de programme « Énergie, économie circulaire » du Commissariat général à l’investissement (CGI). Lors des réunions des comités de suivi, qui se tiennent au moins deux fois par an et font l’objet d’un compte rendu validé par toutes les parties, le CEA présente l’état d’avancement technique et financier du projet considéré, ainsi que les éventuelles difficultés rencontrées dans la tenue du calendrier d’exécution.

Les fonds affectés aux projets ASTRID et RJH ont été versés sur un compte spécifique ouvert au nom du CEA. Leur déblocage est autorisé ou non par le comité de suivi en fonction de l’avancement des projets et sur la base d’un état des dépenses engagées. Cette procédure spécifique permet de s’assurer que les crédits sont utilisés de manière strictement conforme à leur destination initiale et qu’ils ne constituent en aucun cas une ressource complémentaire permettant au CEA de financer d’autres charges.

Si ces moyens issus du PIA n’avaient pas été attribués au CEA, les projets ASTRID et RJH n’auraient tout simplement pas pu être mis en œuvre. Certes, ils représentent moins de 50 % des ressources totales des deux projets ; cependant, ils ont eu un effet de levier très utile pour mobiliser d’autres financements apportés par des partenaires industriels ou internationaux, ainsi que des crédits budgétaires apportés par le CEA lui-même.

Les crédits accordés au titre du PIA ont parfois été consommés de manière anticipée par rapport aux crédits budgétaires que le CEA s’était engagé à affecter. Ils ont ainsi permis une gestion plus souple de la trésorerie. En revanche, en aucun cas ils n’ont été substitués aux crédits budgétaires initialement prévus, ni n’ont été attribués à d’autres projets.

M. Charles de Courson. Les intérêts sont-ils capitalisés ?

M. Bernard Bigot. Non.

M. Charles de Courson. Ces sommes ne sont-elles pas placées ?

M. Bernard Bigot. Si elles le sont, le bénéfice en revient non pas au CEA, mais au Trésor. Comme cela a été convenu, les crédits sont déposés sur un compte du CEA ouvert dans les écritures du receveur général des finances de Paris.

M. Charles de Courson. Confirmez-vous que ce compte ne porte pas intérêt ?

M. Bernard Bigot. Oui. Dès l’origine, il a été décidé que les crédits affectés seraient en euros non pas constants, mais courants. De ce fait, la décision du Gouvernement d’allonger la durée de réalisation du programme ASTRID de deux ans supplémentaires nous pénalise, les coûts étant renchéris par le simple jeu de l’inflation.

Je reviens aux procédures garantissant que les crédits alloués aux projets ASTRID et RJH au titre du PIA sont utilisés conformément à leur objectif initial. Deux conventions ont été signées entre l’État – par le Premier ministre et les ministres concernés – et le CEA – par votre serviteur – pour définir l’usage précis de ces crédits, ainsi que le dispositif de suivi associé. Comme je l’ai indiqué, les fonds attribués ont été déposés sur un compte spécifique ouvert au nom du CEA dans les écritures du receveur général des finances de Paris. Leur déblocage est opéré après accord préalable du CGI, sur la base d’un rapport intermédiaire synthétique que lui envoie le CEA chaque trimestre pour chacun des deux programmes. Ce rapport, également remis au comité de suivi, comporte les informations suivantes : l’état d’avancement du programme concerné ; le calendrier actualisé de décaissement des fonds ; le bilan des fonds appelés et des crédits déjà consommés ; la valeur des indicateurs de résultat intermédiaire et d’avancement du projet tels qu’ils figurent dans les conventions. Le CEA assure donc un suivi budgétaire précis de l’utilisation de ces fonds.

De plus, les comités de suivi veillent à ce que la gestion et l’utilisation des crédits versés au titre des conventions soient conformes à la loi de finances rectificative du 9 mars 2010, qui définit précisément le PIA. Comme je l’ai rappelé, ils se réunissent au moins deux fois par an, notamment avant l’examen par le conseil d’administration du CEA du projet d’établissement des comptes et du projet de budget. Ces procédures ont fait l’objet d’une analyse par la Cour des comptes dans le cadre de son examen de la situation du CEA civil pour les années 2007 à 2012. La Cour n’a émis aucune remarque particulière à ce sujet, ni dans son pré-rapport ni lors de la réunion de restitution.

S’agissant de l’effet de levier des financements accordés au titre du PIA, le retour pour l’État sur les investissements dans le projet ASTRID ne pourra être apprécié que sur le long terme, en fonction des perspectives de développement du démonstrateur industriel et, in fine, de la filière. Deux demandes de l’État concernant la sécurisation des options industrielles à venir ont été inscrites dans la convention sur le projet ASTRID. Premièrement, au cours de la deuxième phase de l’avant-projet sommaire (AVP2), entre 2013 et 2015, le CEA doit définir un dispositif de rémunération de l’État par les industriels sur l’exploitation future des résultats des études ASTRID. En d’autres termes, les industriels s’engagent à ce qu’il y ait un retour au profit de l’État s’ils déploient ces technologies. Deuxièmement, avant la fin de la phase d’élaboration de l’avant-projet détaillé (APD), entre 2016 et 2019, le CEA devra proposer des partenariats structurés ainsi qu’un plan de financement pour la réalisation d’ASTRID. Les indicateurs correspondant à ces demandes seront précisés en temps utile par le comité de suivi.

En outre, lors des réunions des comités de suivi, le CEA rend compte des collaborations industrielles mises en place. Celles-ci font l’objet d’un indicateur : le « taux de participation des partenaires au financement du projet ASTRID ». La valeur cible pour cet indicateur avait été fixée à 30 % à la fin de la première phase de l’avant-projet sommaire (AVP1), avec un minimum de 20 %. Le taux effectivement atteint a été de 28 %, chiffre présenté au comité de suivi de décembre 2013. Le CEA a donc dépassé le minimum requis et s’est approché de l’objectif ambitieux qui lui avait été assigné.

Enfin, les investissements dans le projet ASTRID ont un impact direct en termes d’emploi : en 2013, près de 500 équivalents temps plein étaient liés à l’ingénierie et à la recherche et développement sur ce projet.

Le projet RJH, quant à lui, répond à deux objectifs majeurs : disposer d’un outil pour le développement et le soutien des différentes filières de réacteurs nucléaires – deuxième et troisième générations ou systèmes du futur – dans un cadre international, et produire les radionucléides nécessaires au secteur médical – notamment les éléments de diagnostic au technétium 99m – dans le cadre de la politique de santé publique. Les crédits accordés au titre du PIA ont représenté un apport majeur, complétant le socle de financement initial constitué par les contributions du CEA et de ses partenaires du consortium RJH. À la suite de la concrétisation du partenariat avec les Britanniques en 2013, la contribution totale des partenaires atteint aujourd’hui 250 millions d’euros valeur 2005.

Le RJH assurera la relève du parc européen de réacteurs de test sous irradiation, actuellement vieillissant. Il deviendra ainsi un pôle d’attraction à l’échelle européenne en matière de soutien aux performances et d’amélioration de la sûreté de l’industrie nucléaire. C’est pourquoi il continue d’attirer de nouveaux partenaires internationaux, avec lesquels le CEA est en négociation. Et ce malgré ses difficultés : alors que le réacteur devait initialement entrer en divergence en 2014, la date qui ressort des négociations difficiles que nous avons menées avec le maître d’œuvre est l’automne 2019, après un premier report à 2016. En dépit de cette annonce, les membres du consortium – qui se sont réunis le 8 avril dernier – ont tous accepté de poursuivre leur implication dans le projet dans les mêmes termes.

M. le président Alain Claeys, rapporteur. Cela ne pose pas de problème non plus aux partenaires financiers ?

M. Bernard Bigot. Pour le moment, non. Mais 2019 est une date limite. Le RJH correspond à un véritable besoin des différents partenaires, industriels ou agences d’État. Nous ne pouvons pas surseoir davantage. D’autant qu’il existe un risque non négligeable que le réacteur OSIRIS soit arrêté à la fin de l’année 2015.

M. Patrick Hetzel, rapporteur. Comment les activités de recherche pourront-elles être poursuivies si le réacteur OSIRIS est arrêté ?

M. Bernard Bigot. Elles seront suspendues.

M. Patrick Hetzel, rapporteur. Entre 2015 et 2019 ?

M. Bernard Bigot. Sans doute même jusqu’en 2020, car il faut compter au minimum un an entre le chargement du combustible et le début des premières expériences dans un réacteur au fonctionnement stabilisé.

Le retard pris sur le projet RJH et la fermeture envisagée d’OSIRIS ne sont pas sans conséquences : EDF et AREVA, qui sont nos principaux partenaires, ont décidé de reporter certaines de leurs expériences ou d’en effectuer à l’étranger. En outre, GDF Suez a besoin des services d’un réacteur de recherche de manière urgente : des inclusions ont été découvertes dans les cuves des réacteurs belges exploités par l’entreprise. On peut penser qu’elles étaient présentes dès l’origine, mais cela doit être confirmé ou infirmé par des expérimentations.

M. Charles de Courson. Quelles sont les raisons de ce décalage de cinq ans par rapport aux prévisions initiales ?

M. Bernard Bigot. Cela tient à des difficultés de maîtrise d’œuvre et de gestion industrielle. La maîtrise d’œuvre est assurée par AREVA TA. Le CEA, maître d’ouvrage, n’a jamais réussi à obtenir de planning engageant de sa part. Il y a un environ deux ans, AREVA TA nous a fait part de certaines difficultés et nous a annoncé que l’échéance de 2014 ne pourrait être tenue, ce que nous pressentions nous-mêmes. Nous avons alors créé une plate-forme réunissant AREVA TA, les équipes du CEA et les principaux fournisseurs. Ces négociations ont abouti, en 2011, à la signature d’une convention, qui reportait la divergence du RJH de la fin de l’année 2014 au début de 2016 et prévoyait que les éventuels surcoûts seraient supportés par AREVA TA si ce délai n’était pas tenu.

Or, à l’automne 2012, AREVA TA, qui est non seulement maître d’œuvre mais aussi fournisseur du bloc-pile – cœur du réacteur, en acier, qui supporte le combustible et permet son refroidissement –, nous a informés que son sous-fournisseur, la société CNIM, avait décidé de dénoncer le contrat, parce qu’elle estimait qu’AREVA TA ne lui avait pas fourni les éléments nécessaires à la réalisation de l’opération. À ma connaissance, CNIM, pourtant une entreprise de taille intermédiaire, a accepté de payer 7 millions d’euros de dédit. C’est dire combien elle estimait supérieur à cette somme le risque qu’elle courait. Je précise qu’on m’avait demandé, en 2011, de faire une avance de trésorerie pour acquérir la matière nécessaire à la réalisation du bloc-pile.

À la fin de l’année 2012, lors d’une réunion au plus haut niveau – entre la direction générale d’AREVA, celle d’AREVA TA et moi-même, assisté de mes équipes –, on nous a annoncé que ces difficultés induiraient un délai supplémentaire de six mois au maximum. Les équipes du CEA estimant de leur côté ce délai à vingt-quatre mois, j’ai demandé que le planning soit consolidé. Un délai a été accordé jusqu’au mois de juillet 2013, afin de trancher entre ces deux scénarios, sur la base d’un véritable projet industriel permettant de remédier aux difficultés. Au mois de juillet 2013, on nous a informés que l’achèvement du projet devait être reporté non plus à 2016, mais à 2018, puis, sans justification supplémentaire, à 2020. En outre, AREVA TA a demandé au CEA de prendre en charge l’intégralité des surcoûts induits par la prolongation du contrat. Or le travail de 100 ingénieurs pendant un an supplémentaire coûte environ 10 millions d’euros. Compte tenu du nombre d’ingénieurs impliqués dans le projet ASTRID – plusieurs centaines –, les surcoûts risquaient d’être très élevés. Le CEA a donc refusé de prendre cet engagement, qui serait revenu à renoncer à la convention de 2011, qui le protégeait. La crise a atteint son paroxysme à la fin de l’année 2013, au moment où AREVA TA a dû établir ses comptes et décider d’y inscrire ou non certaines provisions au titre du projet ASTRID. Finalement, les comptes d’AREVA TA ont été rejetés tant par les commissaires aux comptes que par le CEA.

Nous avons alors mis en place un comité des sages réunissant quatre experts d’AREVA et quatre du CEA, qui se reconnaissaient mutuellement pour leur haute qualité professionnelle, et se sont engagés à chercher les meilleures solutions techniques et organisationnelles. Ils ont travaillé d’arrache-pied et ont remis leur rapport définitif le 21 janvier 2014. Celui-ci a été validé de manière consensuelle par la direction générale d’AREVA et par moi-même. Les experts ont conclu que, contrairement à ce qu’avait affirmé AREVA TA, il était possible de réaliser techniquement et industriellement le bloc-pile. Ils ont estimé que le réacteur pourrait être achevé, au plus tôt, en octobre 2019, mais que cette échéance demandait à être confirmée, le maître d’œuvre devant établir, à cette fin, un planning robuste, ce à quoi il s’emploie aujourd’hui. Enfin, ils ont jugé que l’année 2014 serait critique pour la réussite du projet, et qu’il convenait de séparer la négociation sur les aspects techniques et organisationnels des questions financières et contractuelles, ce qui a été fait.

En complément a donc été créé un groupe de travail financier comprenant deux représentants d’AREVA et deux du CEA non impliqués dans les discussions contractuelles. Il a travaillé lui aussi de manière consensuelle et a rendu son rapport le 11 avril dernier. Il a réalisé, comme cela lui avait été demandé, une estimation du coût global à terminaison, au-delà des coûts déjà provisionnés par le CEA, en distinguant les coûts avérés des coûts pour aléas. Nous sommes désormais engagés dans une négociation sur le partage de ces coûts. Parallèlement, M. Bernard Duprat, délégué à la sûreté nucléaire et à la radioprotection pour les activités et installations intéressant la défense, ancien directeur de l’exploitation et de l’ingénierie chez EDF, a été mandaté par le Premier ministre Jean Marc Ayrault, pour conduire une revue de projet. Celle-ci a vocation à consolider les différents éléments issus des travaux d’AREVA et du CEA que je viens de citer.

M. Charles de Courson. Quel est l’ordre de grandeur des surcoûts ? Comment seront-ils partagés, au vu des négociations actuelles ?

M. Bernard Bigot. Ces chiffres n’ont pas vocation aujourd’hui à être rendus publics. Je pourrai vous les communiquer après l’audition.

M. Charles de Courson. Les éléments que vous nous avez communiqués mettent gravement en doute la compétence d’AREVA TA. Vous avez notamment indiqué que le CEA n’avait jamais obtenu de planning engageant de sa part. Comment cela se fait-il ?

M. Bernard Bigot. Un grand projet est toujours soumis à des aléas. Il n’est jamais complètement planifié à l’avance, surtout lorsqu’il s’agit d’une réalisation à l’unité. Nous avons passé un contrat de gré à gré avec AREVA TA, parce qu’elle était la seule société en Europe à détenir la compétence permettant de mener à bien le projet RJH. Par ailleurs, le CEA a noué des relations avec AREVA TA sur d’autres sujets. L’entreprise a ainsi été choisie pour réaliser les chaudières des bâtiments à propulsion nucléaire de la Marine nationale, et nous sommes satisfaits de son action dans ce domaine. Il m’est donc difficile de répondre à votre question. Peut-être le projet RJH n’a-t-il pas reçu toute l’attention qu’il méritait. Il s’agit d’un projet ancien, remontant au début des années 2000, conçu dès l’origine par AREVA. Il a été engagé sur la base d’éléments chiffrés en euros de 2005 – d’où la conversion en euros 2005 du montant des contributions que j’ai évoqué précédemment – fournis par les différents acteurs.

M. Patrick Hetzel, rapporteur. Pouvez-vous faire la liste de conséquences induites par le report du projet RJH ?

M. Bernard Bigot. Premièrement, comme je l’ai indiqué, certaines études qui sont réalisées de manière classique dans le cadre du processus continu d’amélioration des technologies nucléaires – et qui portent par exemple sur l’optimisation des combustibles, sur l’amélioration de la sécurité des réacteurs de deuxième et de troisième générations ou sur le vieillissement des réacteurs de notre parc – ont été reportées. Cette suspension mérite notre attention, mais ne devrait pas avoir de conséquences dramatiques si nous parvenons à tenir le délai de 2019.

M. Patrick Hetzel, rapporteur. Cela met-il en péril la souveraineté de notre industrie nucléaire civile ?

M. Bernard Bigot. Certaines des études que j’ai mentionnées concernent le nucléaire militaire. Leur programmation a été elle aussi modifiée en conséquence. Mais les différents acteurs s’accordent sur le fait que le report du projet RJH à 2019 n’aura d’impact significatif ni sur le nucléaire civil ni sur le nucléaire militaire, même si l’exploitation du réacteur OSIRIS n’était pas prolongée jusqu’en 2018 comme le demande le CEA – mais pour un autre motif : la nécessité de produire des radionucléides à finalité médicale. En revanche, les conséquences d’un report du projet RJH au-delà de 2019 n’ont pas encore été évaluées. La date de 2019 n’est connue de manière claire et précise – je le rappelle – que depuis la remise du rapport du comité des sages le 21 janvier 2014.

En revanche, le report du projet RJH aura un impact sur la production de radionucléides à finalité médicale. Par irradiation de l’uranium, on produit du molybdène 99, qui se désactive en donnant naissance au technétium 99m, produit à très courte durée de vie utilisé pour le diagnostic de plusieurs cancers et maladies cardiovasculaires ; il existe huit maladies en France pour lesquelles cette technologie et ces éléments ne peuvent être remplacés par d’autres.

Or, au cours de la période de 2016 à 2018, le réacteur canadien NRU – qui fournit actuellement plus de 35 % des radionucléides à finalité médicale à l’échelle mondiale – et le réacteur belge BR2 – qui en fournit une quantité non négligeable – devront subir des travaux d’entretien. De plus, le réacteur de Petten aux Pays-Bas, qui a été arrêté pendant plusieurs années, n’est pas en mesure de reprendre sa production de manière immédiate. À l’inverse, le réacteur OSIRIS, qui a été régulièrement entretenu, reste en bon état de fonctionnement ; si nous l’arrêtons en 2015 comme cela est prévu, nous le ferons sur une base purement volontaire. Le CEA a donc proposé au Gouvernement d’autoriser l’exploitation d’OSIRIS pendant trois années supplémentaires, de façon à permettre à l’ensemble des acteurs concernés de se réorganiser pour répondre aux besoins de la médecine. En revanche, il ne serait guère opportun de prolonger la durée de vie d’OSIRIS au-delà de 2018. En effet, à partir de cette date, en vertu d’un engagement international, les radionucléides à finalité médicale devront être produits exclusivement à partir d’uranium faiblement enrichi – à moins de 20 % – afin de limiter les risques de prolifération. Or le réacteur OSIRIS ne peut fonctionner qu’avec de l’uranium enrichi à plus de 20 %.

J’en viens à l’action « Recherche dans le domaine de la sûreté nucléaire et de la radioprotection » (RSNR) du PIA, qui a été lancée par le Gouvernement à la suite de l’accident de Fukushima. Le financement accordé par le CGI – dotation de 50 millions d’euros au total, assortie d’une exigence de cofinancement de 40 % par projet de la part de leur bénéficiaire – a joué un rôle de levier important pour relancer la R&D sur les problématiques d’accidents graves, qui était en baisse régulière depuis plusieurs années. De nouvelles pistes sont ainsi explorées afin de garantir l’absence de radioactivité à l’extérieur des sites nucléaires en toutes circonstances. Des recherches sont notamment effectuées sur la mitigation des effets de la fusion du cœur et sur les diagnostics utiles à la gestion de crise.

Les résultats de ces études, menées en grande partie dans le cadre de partenariats industriels, notamment avec EDF et AREVA, sont indispensables pour répondre aux enjeux de sûreté liés à l’exploitation des réacteurs dans la durée. Ils permettront notamment de rapprocher le référentiel des réacteurs de deuxième génération de celui des réacteurs de troisième génération en ce qui concerne la prise en compte des accidents graves. Ils seront également utiles au développement de nouveaux modèles de réacteurs.

Je terminerai en évoquant l’action « Recherche en matière de traitement et de stockage des déchets radioactifs », dont l’opérateur est l’ANDRA. Celle-ci a mis en place une collaboration pour le développement d’un procédé d’incinération-vitrification (PIVIC) des déchets contaminés en émetteurs alpha, qui implique AREVA et le CEA. Ce projet a fait l’objet d’un accord en novembre 2013, soit plus de deux ans après la signature de la convention entre l’État et l’ANDRA au titre de l’action précitée. L’accord porte sur une période allant jusqu’à la fin de l’année 2018 et prévoit un financement de 43,85 millions d’euros répartis entre l’ANDRA, AREVA – qui contribueront chacune à hauteur de 19,7 millions, soit 45 % du total – et le CEA – qui apportera 4,4 millions, soit 10 % du total. L’attribution de crédits dans le cadre du PIA a permis de diviser par deux l’apport du CEA, le projet devant initialement être financé à 80 % par AREVA et à 20 % par le CEA.

En outre, un nouvel appel à projets au titre de l’action « Recherche en matière de traitement et de stockage des déchets radioactifs » devrait être lancé au cours du deuxième trimestre de cette année. Le CEA y répondra sans doute, avec ses partenaires.

M. le président Alain Claeys, rapporteur. Je propose que nous abordions maintenant les questions relatives à la valorisation de la recherche.

M. Bernard Bigot. La valorisation de la recherche se fait notamment au travers des IRT, des ITE et des SATT. Le CEA est responsable de certains IRT et ITE, notamment de l’IRT « Nanoélectronique ». Ces instruments ont posé d’emblée des difficultés au CEA, les engagements demandés par le CGI n’étant guère compatibles avec son mode de fonctionnement. Ainsi, le CEA devait transmettre à l’IRT « Nanoélectronique » des droits de propriété intellectuelle et même des équipements, en particulier des grandes salles blanches fonctionnant en continu. Or nous étions déjà engagés avec des partenaires tiers sur l’utilisation de ces salles. Nous avons donc dû obtenir une dérogation pour l’IRT.

D’une manière générale, la mise en place et la gestion des IRT se sont révélées très complexes. Le CEA a proposé des solutions, mais elles n’ont pas été adoptées d’emblée. Le CGI et le Gouvernement ont alors confié une mission à l’Inspection générale des finances, laquelle a fini par convenir, au bout d’un an environ, que ces solutions étaient les bonnes. Nous avons dû, à chaque fois, jongler avec les règles ou retarder les processus. L’IRT « Jules Verne », dans lequel nous sommes partenaire associé, semble avoir trouvé son point d’équilibre ; il est sans doute celui qui fonctionne le mieux. Les autres – IRT où nous sommes impliqués – « SystemX », « Bioaster » – nous ont posé de réelles difficultés. D’ailleurs, il n’est pas certain que les industriels soient satisfaits du résultat : plusieurs d’entre eux ont souhaité se désengager compte tenu de la complexité des procédures ; il a fallu les mobiliser à nouveau.

M. Charles de Courson. En quoi les procédures sont-elles complexes ?

M. Bernard Bigot. Le CEA est contraint de prendre certains engagements. Par exemple, il était prévu que le personnel mis à disposition des IRT par les organismes de recherche soit placé sous l’autorité des premiers et complètement détaché des seconds. À terme, il devait même être intégré dans le personnel des IRT. Dans le cas du CNRS, compte tenu des fortes réticences exprimées par les agents concernés, certaines souplesses ont été accordées. Le personnel du CEA relève, quant à lui, du droit privé. Lorsque le CEA met un de ses agents à disposition d’un industriel, il lui demande de financer au minimum 80 % du coût complet correspondant ; en effet la direction de la recherche technologique du CEA n’est financée aujourd’hui qu’à hauteur de 20 % maximum par la subvention de l’État. Dans le cas des IRT au cotnraire, il est demandé au CEA de continuer à financer l’intégralité du salaire des agents qu’il met à disposition.

M. le président Alain Claeys, rapporteur. Cela remettait donc en cause votre propre système de valorisation de la recherche.

M. Bernard Bigot. Tout à fait. Lorsque les établissements publics à caractère scientifique et technologique (EPST), par exemple le CNRS ou l’INSERM, mettent leurs agents à disposition des IRT, ceux-ci leur remboursent 70 % de la masse salariale, alors même que la rémunération de ces agents est intégralement couverte par la subvention publique. Les industriels ont donc tout intérêt à faire appel au personnel du CNRS plutôt qu’à celui du CEA. Ce mécanisme discriminatoire est injustifiable et incompréhensible.

M. Charles de Courson. Comment vous en êtes-vous sortis ?

M. Bernard Bigot. Par des procédures dérogatoires.

M. le président Alain Claeys, rapporteur. Pourquoi ce système n’a-t-il pas été remis à plat ?

M. Bernard Bigot. En dépit de toutes nos explications et de toute notre bonne volonté, les responsables du CGI s’y sont opposés. Nous nous sommes heurtés à un mur.

M. Patrick Hetzel, rapporteur. Ont-ils avancé des arguments précis ?

M. Bernard Bigot. Il ne m’appartient pas de rapporter leur propos. Je vous suggère de les interroger. J’ai mobilisé des dizaines de personnes sur ces questions, pour des négociations qui ont duré plusieurs mois.

M. le président Alain Claeys, rapporteur. Et personne n’a bougé ?

M. Bernard Bigot. Non, en dépit du soutien que nous ont apporté tant le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche que celui du redressement productif.

Mme Laure Fau, rapporteure à la troisième chambre de la Cour des comptes. Tous les IRT devaient être des structures autonomes et être dotés, à cette fin, de la personnalité morale. Le CGI était très ferme sur ce point. La dérogation consentie pour l’IRT « Nanoélectronique » tient au fait qu’il est hébergé par le CEA.

M. Bernard Bigot. Nous avons créé pour cet IRT un compte bancaire spécial, parfaitement cloisonné, comme nous l’avons fait pour l’agence ITER France.

Pour ce qui est des SATT, elles fonctionnent selon une logique similaire : les organismes partenaires d’une SATT doivent lui transférer la totalité de leur propriété intellectuelle. Ce système nous pose plusieurs problèmes sérieux. D’abord, les SATT sont régionales ou locales, alors que le CEA est un organisme national. Ce n’est pas une seule entité locale ou une équipe donnée qui est porteuse du brevet. D’autant que plusieurs d’entre elles peuvent être impliquées. Ainsi, la direction de l’énergie nucléaire du CEA dispose de différentes équipes, localisées à Marcoule, à Cadarache ou à Saclay.

Ensuite, l’obligation de transférer la propriété intellectuelle aux SATT casse le modèle du CEA en la matière. En effet, le CEA mutualise lui-même la propriété intellectuelle des inventions dont il est l’auteur ou le coauteur. Lorsqu’un partenaire industriel contribue à la mise au point d’une invention avec le CEA, il lui en laisse la propriété intellectuelle. En retour, le CEA lui délivre une licence exclusive pour exploiter l’invention dans son cœur de métier. Mais l’industriel accepte que cette propriété industrielle puisse être déclinée au profit d’autres, ceux-ci devant alors payer des droits pour bénéficier de la licence. Symétriquement, les partenaires industriels du CEA bénéficient d’un droit particulier lorsqu’ils souhaitent exploiter un des 5 200 brevets ou familles de brevets dont le CEA est détenteur.

Si le CEA venait à éclater son capital de propriété intellectuelle, son modèle serait détruit. D’autant que, dans le domaine de la recherche technologique, le CEA doit faire appel pour 80 % à des ressources externes, qui proviennent de fonds européens, d’agences de financement nationales ou de partenaires industriels. Nous avons sollicité et obtenu des aménagements, qui nous permettront d’être partenaires des SATT « Paris-Saclay » et « Grenoble Alpes Innovation Fast Track ». Nous ne participons à aucune autre SATT.

Enfin, lorsqu’un établissement partenaire du CEA – qu’il s’agisse du CNRS ou d’une université – est membre d’une SATT, il doit lui transférer la totalité de sa propriété intellectuelle, tant le background – propriété intellectuelle en amont d’une découverte – que le foreground – droits sur ce qui sera découvert ultérieurement. Dans ce cas, le CEA ne peut plus exploiter les droits de propriété intellectuelle qu’il détient en commun avec cet établissement sans impliquer la SATT, ce qui est source de complexité. Auparavant, lorsqu’une personne souhaitait obtenir une licence pour exploiter une invention dont le CEA et un ou plusieurs autres établissements étaient copropriétaires, il était généralement admis que le CEA joue le rôle de négociateur pour compte de tiers. Désormais, cela ne fonctionne plus.

M. Patrick Hetzel, rapporteur. Le CEA ne peut plus être le négociateur unique ?

M. Bernard Bigot. Il peut toujours l’être, mais la SATT le refuse le plus souvent.

M. Jean-Philippe Bourgoin, directeur de la stratégie et des programmes du CEA. La SATT « Toulouse Tech Transfer », avec laquelle nous sommes en discussion, pourrait l’accepter. Mais tel n’est pas le cas général : les SATT cherchent à se positionner en tant que mandataire et négociateur unique. Les difficultés s’accumulent dans les cas où le CEA est détenteur de droits de propriété intellectuelle en commun avec d’autres organismes dans le cadre d’unités mixtes de recherche (UMR), la plupart du temps sur le background, mais parfois aussi sur le foreground. De plus, l’introduction d’un nouvel acteur en France – la SATT – a considérablement compliqué le travail au niveau européen. Au sein des consortiums européens, le nombre de partenaires par pays peut être un facteur discriminant. Enfin, les SATT « emportent » la propriété intellectuelle avec elles.

M. Bernard Bigot. La SATT est une structure unique en Europe !

M. le président Alain Claeys, rapporteur. En voulant protéger certains, on remet en cause votre modèle.

M. Jean-Philippe Bourgoin. Les acteurs académiques peuvent eux aussi se trouver pénalisés lorsqu’ils interviennent dans un cadre européen. À titre d’exemple, le fait d’avoir cédé ses droits de propriété intellectuelle à une SATT empêche l’université d’Aix-Marseille de travailler dans le cadre de la communauté de la connaissance et de l’innovation (KIC – Knowledge and Innovation Community) « InnoEnergy », car l’accord de consortium général qui fonde cette KIC ne permet pas d’accueillir un tiers intervenant telle que la SATT.

M. le président Alain Claeys, rapporteur. Pouvez-vous être plus précis ?

M. Jean-Philippe Bourgoin. L’université d’Aix-Marseille a signé un contrat avec plusieurs partenaires européens avant la création de la SATT. Une fois celle-ci mise en place, elle a dû lui transférer ses droits de propriété intellectuelle.

M. le président Alain Claeys, rapporteur. La création de la SATT ne remet pas en cause le contrat conclu antérieurement.

M. Bernard Bigot. Mais il faudrait que la SATT entre dans la KIC.

M. Jean-Philippe Bourgoin. Et qu’elle soit acceptée par l’ensemble des autres acteurs.

M. Charles de Courson. Est-ce un problème ?

M. Jean-Philippe Bourgoin. Oui. À ce stade, ces difficultés ne sont pas réglées.

M. Patrick Hetzel, rapporteur. La France avait du retard en matière de transfert de technologies, sauf dans quelques secteurs. C’est pourquoi l’idée des SATT a été développée au moment où les investissements d’avenir ont été décidés. Or le CEA fait partie des organismes qui, depuis longtemps, travaillent avec les industriels et font du transfert de technologies, très efficacement d’ailleurs. Le retour en arrière que vous décrivez n’est pas acceptable. Il nous faut voir comment amender les dispositifs. Nous sommes preneurs de vos éventuelles propositions en ce sens.

M. Bernard Bigot. Nous pouvons en effet vous faire quelques propositions. Le principe des SATT n’est pas mauvais en soi.

M. le président Alain Claeys, rapporteur. Il répond en tout cas à un besoin.

M. Bernard Bigot. Le CEA a déposé 756 brevets en 2013 et 654 en 2012. Il y a dix ou quinze ans, il en déposait déjà environ 200. Dans certaines régions, nous travaillons avec des acteurs qui en déposent entre un et dix par an. Je ne peux donc que souscrire à l’idée de mutualiser et d’amplifier cette ressource, mais les règles doivent être plus flexibles. Le transfert de la totalité de la propriété intellectuelle – sans lequel on ne peut pas être partenaire d’une SATT – constitue une exigence trop rigide. Le modèle du CEA, je le rappelle, est complètement différent et organisé à l’échelle nationale. Dans certains cas, il lui serait possible de transférer la propriété intellectuelle, par exemple dans le domaine de la chimie, lorsqu’un laboratoire bien précis crée une molécule qui a des applications médicales. Dans d’autres domaines, c’est quasi impossible : en matière de microélectronique, les inventions sont mises au point par des partenaires multiples et donnent lieu au dépôt non pas de brevets distincts, mais de portefeuilles de plusieurs centaines de brevets.

M. le président Alain Claeys, rapporteur. L’INSERM risque-t-il d’être confronté aux mêmes problèmes que le CEA ?

M. Bernard Bigot. Oui, et le CNRS aussi. Dès l’origine, nous avons demandé que les dérogations soient autorisées, lorsqu’elles sont justifiées. Si la convention-cadre n’était pas aussi rigide, la SATT « Paris-Saclay » aurait pu démarrer il y a deux ans comme toutes les autres. Nous sommes en train d’imaginer une convention spécifique, qui permettra au CEA d’accompagner son développement sans en être membre fondateur.

M. Charles de Courson. Existe-t-il toujours, dans les statuts du CEA, une disposition qui interdit à vos chercheurs de détenir une part de la propriété intellectuelle ?

M. Bernard Bigot. Oui. La propriété intellectuelle revient au CEA.

M. Charles de Courson. Intégralement ?

M. Bernard Bigot. Oui.

M. Charles de Courson. Par contraste, certaines entreprises accordent une part de la propriété – 5 % par exemple – aux ingénieurs qui ont mis au point une invention.

M. Bernard Bigot. Pour sa part, le CEA accorde des primes. Notre modèle est différent de celui du CNRS. À titre d’exemple, lorsque Pierre Potier a découvert le Taxotere, molécule aux propriétés remarquables, il a bénéficié d’une partie des retombées commerciales grâce à son statut de chercheur au CNRS.

M. Charles de Courson. La disposition que j’ai mentionnée n’est-elle pas un frein à la créativité et au transfert de technologies, notamment lorsque le CEA travaille avec des entreprises ou des universités qui associent leurs chercheurs aux résultats non pas au moyen de primes, mais d’une part de la propriété sur les inventions ? Pourquoi ne laisse-t-on pas le CEA décider de l’intéressement de ses chercheurs en fonction des découvertes, afin qu’ils aient un juste retour de leurs efforts ?

M. Bernard Bigot. Lorsqu’une entreprise souhaite avoir accès à un droit de propriété intellectuelle, elle préfère avoir affaire non pas à des acteurs multiples, mais à un interlocuteur unique qui puisse prendre un engagement précis pour une durée déterminée. Les difficultés augmentent avec le nombre de copropriétaires : chacun d’entre eux est en droit de demander à modifier tel ou tel aspect du contrat.

M. Charles de Courson. Cependant, le CEA pourrait garder la propriété totale sur les inventions tout en instaurant un mécanisme d’intéressement des chercheurs en fonction des résultats. Le système de primes n’a guère évolué depuis vingt-cinq ans !

M. Bernard Bigot. Si. Les règles ont été précisées et complétées.

M. Charles de Courson. L’existence de différents mécanismes d’intéressement n’est-elle pas une source de problèmes lorsque plusieurs organismes de recherche travaillent ensemble ? Il n’est pas très sain que, à l’intérieur d’une même équipe, certains chercheurs puissent bénéficier d’une part de la propriété et d’autres, seulement d’une prime.

M. Bernard Bigot. En effet. Mais les règles sont propres à chaque employeur, et chacun les accepte. D’autre part, très peu d’entreprises rémunèrent leurs chercheurs sur la base d’un pourcentage.

M. Charles de Courson. Il existe différents systèmes : l’entreprise peut accorder au chercheur la propriété d’une part de l’invention, exprimée en pourcentage, ou bien le faire bénéficier d’un mécanisme d’intéressement, tout en gardant la propriété pour elle-même.

M. Bernard Bigot. Pour conclure, et sans rien modifier de mes propos liminaires, je dirais que l’idée des PIA est excellente : ils permettent d’orienter des moyens vers l’investissement dans le secteur de la recherche et développement.

M. le président Alain Claeys, rapporteur. Nous vous remercions, monsieur l’administrateur général.