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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mission d’évaluation et de contrôle

Gestion des programmes d’investissements d’avenir relevant de la mission « Recherche et enseignement supérieur »

Mardi 22 avril 2014

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 15

Présidence de M. Alain Claeys, président, puis de M. Patrick Hetzel, corapporteur

– Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Charles Hourcade, directeur général de France Brevets, accompagné de M. Pascal Asselot, directeur du licensing et du développement de cette société.

M. le président Alain Claeys, rapporteur. Nous recevons aujourd’hui M. Jean-Charles Hourcade, directeur général de France Brevets et M. Pascal Asselot, directeur du licensing et du développement de cette société.

Nous souhaitons connaître les enjeux de la mission qui vous a été confiée et les modalités concrètes de votre action.

M. Jean-Charles Hourcade, directeur général de France Brevets. Si le brevet est une notion datant de la révolution industrielle, l’importance stratégique s’en est sensiblement accrue du fait, d’une part, de la mondialisation, qui permet une circulation presque sans limites des biens sur l’ensemble de la planète et, d’autre part, de l’irruption des technologies numériques, qui ont uniformisé de vastes classes de produits.

M. le président Alain Claeys, rapporteur. Ne faut-il pas aussi tenir compte du développement des sciences du vivant ?

M. Jean-Charles Hourcade. La brevetabilité du vivant est en effet un enjeu. Cependant, l’activité de France Brevets est essentiellement tournée vers le monde des sciences dites dures – l’électronique, la physique, la mécanique, la chimie… – et s’arrête à la lisière du monde du vivant.

Aux États-Unis, environ 10 milliards de dollars ont été investis dans la défense de droits de propriété intellectuelle sous des formes diverses et variées. Il s’agit par là d’obtenir des retours sur investissements dans les nouvelles formes de l’économie des brevets.

Des centaines de milliers de brevets sont déposées chaque année. Dans le classement des déposants, on note la montée de la Chine, désormais au troisième rang mondial. La place de la France – en sixième position – reste honorable. On constate enfin le dynamisme de l’industrie de la Corée du Sud, qui traduit la focalisation de ce pays sur les enjeux liés aux brevets.

Si France Brevets est une première en Europe, il s’agit du quatrième fonds d’intervention sur les brevets à capitaux publics dans le monde après le Japon, la Corée du Sud et Taïwan, trois pays où la notion de politique industrielle est une réalité forte et où, sous des formes variables, l’intervention de l’État est une composante du dispositif. C’est particulièrement vrai en Corée du Sud où le fonds brevets, Intellectual Discovery, est doté de 400 millions de dollars, financés par le gouvernement, et associe les grands noms de l’industrie coréenne à travers des conseils stratégiques. La mission de ce fonds est de défendre l’écosystème national d’innovation, à savoir le tissu des PME et des centres de recherche publique. Quand on interroge des responsables coréens sur le fait de savoir contre qui est dirigée cette défense, ils répondent : d’une part contre la Chine, perçue comme le concurrent industriel le plus important, et, d’autre part, contre l’appétit jugé souvent excessif de leurs propres chaebol.

France Brevets a été créé en mars 2011 sur l’initiative conjointe de l’État, dans le cadre du programme des investissements d’avenir (PIA), et de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), laquelle souhaitait développer des opportunités d’investissements sur un temps long. Or la propriété intellectuelle relève de la catégorie d’actifs à cycle long : la durée de vie d’un brevet est de vingt ans. Il est indispensable, afin d’optimiser une intervention sur les brevets, de raisonner sur des plans à dix ans. De moins en moins d’acteurs se plient à cette discipline de planification. La CDC, quant à elle, a jugé qu’il pouvait y avoir là une opportunité intéressante pour un investisseur, comme elle, patient, d’intérêt général, et de temps long. L’État visait à assurer la cohérence du PIA et en particulier du Fonds national de valorisation de la recherche, lequel articule trois composantes : les sociétés d’accélération du transfert de technologies – SATT –, les consortiums de valorisation thématique – CVT – et France Brevets – censée garantir, tel un filet de sécurité, un retour sur l’investissement en matière de recherche et corriger la situation actuelle où la valorisation des brevets issus de la recherche publique reste en deçà de ce qui serait possible.

La création de France Brevets a répondu par ailleurs à une absence : il n’existait pas, en France, de structure d’intervention dédiée aux spécificités du marché international du brevet, à savoir une structure connaissant parfaitement les règles du jeu, capable d’interventions, dotée des moyens nécessaires, et réunissant l’expérience – qui ne s’acquiert qu’au niveau international – de la négociation sur les grandes affaires de brevet.

Notre rôle consiste à déployer toute une série de moyens et à les apporter aux détenteurs de brevets, qu’il s’agisse d’entreprises ou de laboratoires de recherche. Notre intervention se distingue de celle d’acteurs parfois qualifiés de patent trolls – chasseurs de brevets – mus par la recherche de gains importants à très court terme. Les deux premiers marqueurs de notre intervention sont la stratégie à long terme et l’organisation des retours d’investissement et de cash vers la recherche, qu’elle soit publique ou privée : il nous importe que la part la plus importante possible des montants collectés revienne bien à la recherche, compte tenu bien sûr du respect de l’équilibre économique de l’opération, ce qui n’est pas du tout le cas dans l’approche américaine de type patent troll où les acteurs organisent une coupure définitive entre le business sur brevet et le monde de la recherche, en achetant des brevets à des universités pour en tirer le maximum de profits dont aucun, in fine, n’iront à la recherche au-delà de ce qui aura été négocié au départ.

Le troisième et dernier marqueur de notre rôle est le respect de critères déontologiques exigeants : nous ne nous intéresserons qu’à des brevets dont nous sommes convaincus de la valeur, de la pertinence, de la solidité. Nous menons les négociations avec les licenciés potentiels dans une approche amicale afin de trouver un juste équilibre entre les besoins de financement de la recherche et les contraintes économiques. Toute l’équipe de France Brevets vient de l’industrie et connaît bien le sujet. Reste que si l’approche est amicale, elle est également déterminée : au-delà d’un certain seuil, si un industriel refuse de négocier et se met en situation de contrefaçon de droits de brevets dont nous avons la gestion, nous assignons.

Parmi nos modalités d’intervention, le patent factory, qui se situe le plus en amont de la génération d’un brevet, est celle par le biais de laquelle nous allons accompagner des détenteurs de brevets – en général des structures de recherche publique – afin d’enrichir leur portefeuille de brevets. Cette stratégie s’inscrit typiquement sur une durée de l’ordre de huit à dix ans. Sont en effet nécessaires trois années de procédures pour faire déposer un brevet, puis au moins trois à cinq années de maturation et d’efforts « d’évangélisation » pour que les technologies brevetées finissent, si tout se passe bien, par s’imposer, et enfin plusieurs années pour le développement du marché. Il faut donc compter une dizaine d’années avant la génération de revenus.

Pour autant, il faut pouvoir apporter des financements à nos partenaires à plus court terme. À cette fin, nous développons des stratégies d’alliance en propriété intellectuelle – IP Alliance – qui visent des technologies relativement matures dont certaines peuvent d’ores et déjà connaître un début d’adoption sur le marché. Nous allons regrouper des portefeuilles pour constituer des portefeuilles de brevets puissants qui vont faciliter la négociation et la prise de licence.

M. le président Alain Claeys, rapporteur. Pouvez-vous nous donner un exemple concret ?

M. Jean-Charles Hourcade. Une alliance de ce type concernant les technologies de communication sans contact, ou near field communication – NFC –, est en cours. Cette technologie en est au début de la phase massive d’adoption. De fait, environ 50 % des smartphones de la dernière génération l’incorporent. Nous avons réuni les portefeuilles de deux sociétés françaises, une PME, Inside Secure, basée à Aix-en-Provence, qui a fait partie des inventeurs de la NFC, et Orange. Nous avons également réuni par acquisition des brevets provenant d’une troisième source, un industriel étranger dans le secteur des semi-conducteurs, avec lequel les accords sont confidentiels et dont par conséquent je tairai le nom.

M. Charles de Courson. Avez-vous acheté 100 % de la propriété de ces brevets ?

M. Jean-Charles Hourcade. C’est le cas mais avec un mode de règlement qui inclura un petit pourcentage sur les redevances futures.

Voilà donc un cas d’agrégation typique de trois sources. Mais nous travaillons également sur des cas d’agrégation bien plus ambitieux, comme dans le domaine des smart grid, la distribution intelligente de l’énergie électrique où nous négocions avec de grands opérateurs comme EDF, de grands industriels comme Alstom, Schneider, Elster, Siemens…

M. le président Alain Claeys, rapporteur. Où en est l’opération ?

M. Jean-Charles Hourcade. Je peux vous dire qu’elle continue à se construire.

Ces alliances concernent toujours un secteur donné voire un segment relativement fin.

Enfin, nous intervenons pour permettre le financement à partir de brevets : l’utilisation, par exemple, du portefeuille de brevets d’une PME ou d’une belle entreprise de taille intermédiaire – ETI – comme élément collatéral de sécurisation de financements à taux préférentiel, en arguant de ce que ces portefeuilles de brevets vont réduire le risque de l’investisseur ou du prêteur.

M. Charles de Courson. Vous devenez banquiers !

M. Jean-Charles Hourcade. Non, nous ne jouons pas le rôle d’une banque. En revanche, nous pouvons tout à fait jouer le rôle d’intermédiaire dans l’accord de financement que la société trouverait avec une institution financière.

M. Charles de Courson. En apportant une garantie ?

M. Jean-Charles Hourcade. Non, nous ne garantissons pas l’accord : c’est à l’investisseur qu’il reviendra de se faire sa religion sur la qualité de la garantie qu’il prend auprès de la société. Nous apportons seulement, pour notre part, une opinion sur la qualité du portefeuille.

M. Charles de Courson. Vous êtes donc conseil.

M. Jean-Charles Hourcade. Nous sommes conseil et nous pouvons également prendre un engagement de commercialisateur de licences sur les brevets pris en garantie, ce qui est très différent : dans un cas, vous avez une garantie sur un portefeuille de brevets sans que vous sachiez le moins du monde ce que vous allez en faire, alors que dans l’autre cas vous avez la même garantie sur le même portefeuille mais avec, de notre part, un engagement non pas de résultats mais de moyens. Nous disons : nous savons ce qu’il est possible de faire de ces brevets et voilà ce que nous pensons qu’on peut en tirer.

M. Charles de Courson. Et là, vous ne vous engagez pas…

M. Jean-Charles Hourcade. Il s’agit d’un engagement de moyens, pas de résultats.

M. Charles de Courson. Vous n’avez pas donné d’exemple sur le patent factory.

M. Jean-Charles Hourcade. J’y viens.

Le cycle de vie de l’innovation est à la base de l’organisation de notre action. Il va de la recherche publique jusqu’à l’adoption massive par le marché, en passant par des phases de recherche industrielle privée, de développement, puis d’introduction sur le marché par des pionniers industriels, en général des PME innovantes.

Nous allons principalement nous positionner sur les phases aval du cycle, les deux dernières citées. Notre expérience montre cependant que notre travail sera d’autant plus complet et profitable que nous aurons su accompagner les phases de recherche et de développement. Nous avons à cet effet signé toute une série d’accords avec les SATT ainsi qu’avec des structures comme certains pôles de compétitivité et certaines filiales de valorisation des grands organismes de recherche – France innovation scientifique transfert (FIST SA) pour le CNRS ou encore INRA-Tranfert.

M. Patrick Hetzel, rapporteur. Comment faites-vous pour ne pas doublonner avec les SATT, dont la création visait à faire traiter l’ensemble des éléments relatifs au transfert technologique au sein d’un même organisme chargé de la négociation ? Vous êtes-vous préoccupé de la question de l’articulation entre l’action des SATT et la vôtre ?

M. Jean-Charles Hourcade. Oui. Lors du dernier congrès du réseau C.U.R.I.E., nous avons même animé, avec nos collègues de la SATT Ouest, un atelier sur la question. Il s’agissait d’expliquer aux autres SATT et entités de valorisation de la recherche publique comment et pourquoi il fallait mettre en place cette articulation dans le temps.

M. Pascal Asselot, directeur du licensing et du développement de France Brevets. Prenons l’exemple du projet en cours avec l’Université européenne de Bretagne – UEB – et la SATT Ouest. Le métier de cette dernière consiste à transférer la technologie issue de l’UEB vers le premier adoptant ; France Brevets intervient bien plus tard dans le cycle pour valoriser et défendre les droits une fois que la technologie a été massivement adoptée. Un travail de fond sur la constitution du portefeuille est bien sûr nécessaire et c’est ce à quoi nous nous employons de conserve avec la SATT Ouest et l’UEB, autour d’une équipe de recherche de renommée internationale. Il s’agit en l’occurrence des codes correcteurs qui permettent une bonne réception du réseau sur les téléphones portables, et qui relèvent d’une technologie de rupture.

Le portefeuille de brevets d’une équipe de recherche française n’est pas toujours en rapport avec son expertise. Aux États-Unis, quand un chercheur a un soupçon d’idée, il dépose dix brevets alors qu’en France il faut que dix chercheurs aient une petite idée pour voir déposer un brevet. C’est donc sur la constitution de ce portefeuille de brevets que nous allons travailler dans la durée avec l’UEB, afin que, une fois fournis les efforts de développement et achevé le transfert de technologie par la SATT, nous puissions défendre les droits dans une démarche de licensing.

L’articulation est par conséquent très naturelle entre la SATT et France Brevets.

L’Institut Mines-télécom – IMT – travaille pour sa part dans le secteur des antennes. Nous accompagnerons le travail de transfert technologique, opéré par l’une de ses équipes, en constituant un portefeuille de brevets potentiellement incontournable dans les nouvelles technologies de communication de façon à pouvoir, in fine, faire un travail de licensing. Le processus sera le même avec l’Institut national de recherche en informatique et en automatique – INRIA – qui travaille dans le secteur du codage vidéo.

Le cas d’AlphaMOS est quelque peu différent. Cette PME toulousaine dispose d’un laboratoire de co-développement avec le CNRS, laboratoire qui travaille sur les technologies de capteurs, notamment d’odeurs pour l’industrie agroalimentaire. Nous faisons le pari avec elle que ces capteurs vont se retrouver à grande échelle dans les réfrigérateurs, les téléphones portables, les radiateurs... AlphaMOS ne pourra pas servir l’intégralité du marché mais sa technologie sera une technologie de base, de rupture et sera adoptée massivement. Là encore, nous tâchons de construire un portefeuille à travers un noyau commun entre le CNRS et AlphaMOS.

Intuilab, toute petite PME, dispose quant à elle d’un très beau brevet dans le secteur des interfaces sur les tablettes. Or son portefeuille de brevets est contrefait par Apple sur les I-Pad et Intuilab est absolument incapable de faire valoir ses droits. Nous travaillons donc avec elle pour enrichir son portefeuille afin, ensuite, de faire valoir ses droits vis-à-vis d’Apple.

Mobilead, plus encore qu’Intuilab, travaille sur des technologies mûres. Mobilead, c’est l’internet des objets. Sa technologie permettra une communication assez simple entre les objets manufacturés. L’horizon est assez lointain mais là encore nous allons travailler avec elle à la constitution d’un portefeuille afin de valoriser ses brevets.

Avec le projet Galileo, le CNES dispose d’un magnifique portefeuille en matière de technologies de géolocalisation. Nous avons conclu un accord de licence avec lui pour qu’il nous confie le portefeuille Galileo afin de valoriser les efforts de recherche réalisés.

Le dernier exemple concerne la NFC, déjà évoquée. Je souhaite mettre en lumière notre contribution à Inside Secure. L’adoption massive par le marché de la technologie développée par cette PME conduira à la réduction de ses parts de marché à rien : sa capacité de production ne pourra pas suivre ! Il lui faut donc choisir de valoriser sa recherche par le licensing, par le biais de France Brevets. Nous nous sommes lancés de façon intensive dans la constitution d’un portefeuille de brevets autour de la NFC afin de le valoriser auprès des grands utilisateurs de cette technologie. Les dialogues sont musclés avec des sociétés comme Samsung, Apple, LG, HTC, Huawei, Sony…

Vous avez sans doute le sentiment que notre activité est très marquée par les technologies de l’information et de la communication – TIC ; cela s’explique par la maturité de ce marché dans le domaine du brevet. On observe néanmoins que cette maturité déborde sur d’autres marchés comme l’énergie, les composants, la chimie. Notre portefeuille de programmes et d’interventions va donc accompagner cette extension du domaine. Ainsi travaillons-nous, il y a été fait allusion, dans les domaines des smart grid, des plateformes bio-sourcées ou encore de l’équipement médical. Nous restons en revanche très prudents quant à notre valeur ajoutée dans le domaine pharmaceutique : ce segment s’étant structuré autour du licensing exclusif, une intervention de notre part ne se révèle guère nécessaire.

Présidence de M. Patrick Hetzel, rapporteur

M. Jean-Charles Hourcade. Nous appréhendons en effet la biotechnologie essentiellement sous l’angle des technologies dites vertes – qui visent à l’amélioration des variétés végétales – et blanches – à savoir la production industrielle. En revanche, en ce qui concerne toutes les technologies dites « rouges » – santé humaine, thérapeutique et médicaments –, nous n’interviendrons pas du tout du fait du type des relations entre universités, start-up biotech et grande industrie, fondées sur des modèles de préfinancement et d’exclusivité – domaines où, en effet, nous n’apporterons pas de valeur ajoutée particulière.

M. Patrick Hetzel, rapporteur, président. France Brevets participe à la dynamique des investissements d’avenir. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

M. Jean-Charles Hourcade. France Brevets a été créée lors de la première vague d’investissements d’avenir à l’occasion de laquelle près d’un milliard d’euros a été mobilisé pour le Fonds national de valorisation, dont 900 millions environ pour le financement des SATT, sur une base pluriannuelle, 50 millions d’euros pour France Brevets et 50 millions pour les CVT.

Nous nous sommes dans un premier temps employés à mailler le dispositif, ainsi qu’il était prévu, avec les conventions de coopération entre France Brevets et les SATT qui se traduisent par des actions très intenses, notamment, avec la SATT Ouest, ce qui est logique eu égard à la spécificité historique de la région Bretagne en matière de technologie de l’image et de réseaux. Nous entretenons également des relations de coopération fournies avec la SATT Conectus en Alsace, en lien avec les activités de valorisation du secteur chimique menées par l’université de Strasbourg, mais aussi avec la SATT Midi-Pyrénées à Toulouse. Nous travaillons, de même, avec la SATT PACA-Corse – avec les universités d’Aix-en-Provence et de Sophia Antipolis – dans le domaine des TIC.

En ce qui concerne les CVT, nous menons une action commune avec le CVT CVSTENE, qui travaille dans le domaine du cluster des technologies de l’information et des technologies électroniques qui associe, sous le leadership de l’Institut Mines-télécoms et de l’INRIA, le CEA et les laboratoires spécialisés du CNRS.

La deuxième vague du PIA est en discussion. Nous avons été partie prenante, à la fin 2013, de discussions exploratoires avec les services de l’État concernés, visant à définir les contours de ce que pourrait être un deuxième fonds d’intervention brevets qui pourrait être davantage dédié à l’acquisition de brevets dans des secteurs stratégiques.

M. Patrick Hetzel, rapporteur, président. La commission Juppé-Rocard, à l’origine du PIA, se préoccupait du développement économique de la France. Pouvez-vous quantifier ou, du moins, formaliser la contribution de France Brevets au processus de réindustrialisation de la France ?

M. Jean-Charles Hourcade. Notre levier d’action en la matière est le renforcement du financement des activités de recherche et développement. Nous travaillons sur la base de cycles relativement longs : de cinq à dix ans. Une fois ces cycles définis, nous visons la mise en place de cercles vertueux où le processus de recherche et développement va pouvoir être partiellement – voire, à terme, totalement – autofinancé par les retours de dividendes sur brevets ; mais, j’y insiste, il faut dix ans pour amorcer le cycle.

L’industrie connaît cette logique. J’ai eu l’honneur de diriger cette activité au sein du groupe Thomson. Grâce à plusieurs décennies de travail et d’investissements patients, il a été possible de générer quelque 400 millions d’euros de redevances par an en moyenne, à partir d’un portefeuille d’environ 7 000 familles de brevets. Philips a la même expérience. Le groupe Ericsson génère pour sa part 1 milliard de dollars par an qui viennent en contribution directe de son budget de recherche et développement. Ce sont là les modèles qui permettent de pérenniser des activités de recherche et développement intenses dans la longue durée.

En ce qui concerne l’emploi industriel, son accroissement sera le résultat naturel de l’impact de l’activité de recherche et développement. Nous pouvons changer la donne en musclant et pérennisant le socle d’activités de recherche et développement.

M. Charles de Courson. Pourquoi a-t-il fallu une structure publique pour développer cela ? Comment expliquer l’absence d’initiatives privées, notamment en matière de patent factory, d’IP alliance voire d’IP finance ?

M. Jean-Charles Hourcade. J’ai dirigé cette activité chez Thomson pendant presque dix ans. Quand la Caisse des dépôts et consignations m’a proposé de créer France Brevets, j’ai répondu par l’affirmative ; si la proposition avait émané d’une banque privée je l’aurai refusée car je n’aurais pas cru à son engagement sur la durée.

M. Charles de Courson. Pensez-vous donc que la finance est court-termiste ?

M. Jean-Charles Hourcade. Absolument.

M. Charles de Courson. Toujours ?

M. Jean-Charles Hourcade. Sur le marché parisien, j’en suis convaincu, même si je peux me tromper ; en tout cas, j’aurais dit non à une banque privée.

M. Pascal Asselot. On retrouve cette caractéristique sur le plan international. Ceux qui seraient plus ou moins nos homologues aux États-Unis sont financés par des capitaux privés et recherchent des retours sur investissement excessivement courts-termistes sur les brevets, ce qui les conduit à avoir une activité très contentieuse et complètement coupée de la recherche. Ils achètent des brevets et les revendent juste après. C’est, j’y insiste, le résultat du court-termisme de leurs investisseurs.

M. Jean-Charles Hourcade. La finance aujourd’hui est en effet extraordinairement court-termiste ; c’est, je le répète, ma conviction absolue, fruit de mes vingt-cinq années d’expérience dans l’industrie.

M. Charles de Courson. Du point de vue du marché, pensez-vous avoir un rôle à jouer plutôt pour les PME ? Et, a contrario, avez-vous un vrai rôle vis-à-vis des grandes entreprises ? Ont-elles besoin de France Brevets ?

M. Jean-Charles Hourcade. Théoriquement, un grand groupe dispose des moyens financiers pour mener cette activité à bien, il peut recruter les personnels au niveau requis et il dispose du temps long. La réalité montre cependant que seule une minorité de grands groupes se sont réellement approprié cette logique, avec la constance dans le temps qu’elle exige. En France, je citerai Thomson, France Télécom-Orange, le CEA, L’Oréal, Alcatel – avec des hauts et des bas –… et c’est tout.

M. Charles de Courson. Et dans l’aéronautique, aucun ?

M. Jean-Charles Hourcade. Non : nous sommes en discussion au plus haut niveau avec Airbus qui considère que nous pouvons leur apporter non des moyens mais, d’une part, la connaissance du marché – pour cela, il leur suffirait d’embaucher le personnel adéquat qui pour l’heure leur fait défaut – et, d’autre part – et cela peut leur être vraiment précieux parce qu’irremplaçable – un positionnement commercial différent. Dans ces métiers, il est en effet parfois nécessaire d’exercer un rapport de force dur, de montrer les dents face à la contrefaçon. Or, un grand groupe peut hésiter à entrer dans ce genre de négociations à cause des risques encourus. Tel groupe renoncera par exemple à aller dans un grand pays émergent défendre ses droits de brevet dans un de ses domaines d’expertise de peur qu’en représailles ne soit pas signé un contrat industriel important dans un autre de ces domaines.

Aussi, nombre de grands groupes peuvent trouver avantage à confier à des tiers compétents la représentation de leurs intérêts dans le domaine des brevets dans certains secteurs industriels.

M. Charles de Courson. Ce rôle d’enforcement – défense des droits de brevets devant les juridictions compétentes vous amène à vous transformer en avocats spécialisés dans le droit de la propriété intellectuelle. A-t-on besoin d’une structure publique pour cela alors qu’il existe d’excellents avocats spécialisés ?

M. Jean-Charles Hourcade. Nous ne sommes pas avocats. Nous allons sous-traiter la partie purement juridique à des avocats. Ce qu’aucun cabinet d’avocats ne fera, en revanche, et que nous faisons, c’est un travail de co-élaboration de la stratégie, ce qui n’est pas si facile.

Prenons l’exemple des technologies NFC : pour parvenir à construire des accords intelligents, il faut piloter les négociations de manière que l’ensemble des acteurs dans la chaîne de valeur finissent par y trouver leur avantage et des raisons de signer. Pour cela, il est indispensable de comprendre comment ces différents acteurs se positionnent dans la chaîne de valeur. Ceux dont nous allons représenter les intérêts font partie de cet écosystème. Dans l’électronique, Samsung, Apple, vont utiliser des technologies brevetées Inside Secure ; or ce n’est pas avec Inside Secure que ces groupes vont avoir un rapport ; en effet son invention a forcément été incorporée dans un circuit intégré. Une troisième catégorie d’acteurs s’est par conséquent incorporée dans le jeu. Le fait de se saisir d’une innovation, de la coder dans une puce silicium, par exemple, et de la revendre à un équipementier, a des incidences juridiques et financières très importantes. Des garanties ont été données et reçues. Il faut comprendre l’ensemble du jeu contractuel qui ne relève pas que du droit mais également des domaines économique, industriel et parfois même commercial.

M. Charles de Courson. Vous faites-vous rémunérer pour ces conseils ?

M. Jean-Charles Hourcade. Nous ne facturons jamais aux entreprises ou aux laboratoires de recherche pour qui nous travaillons. Nous convenons en revanche de la part qui nous reviendra sur les revenus futurs. Nous ne sommes donc rémunérés qu’en cas de succès. Nous cherchons une rémunération à même de garantir l’équilibre économique de France Brevets sur l’ensemble de ses opérations : celles couronnées de succès doivent financer celles qui n’ont pas abouti.

M. Patrick Hetzel, rapporteur, président. Quels sont vos moyens humains ? comment avez-vous constitué votre équipe et quelle a été la méthode de recrutement de vos experts ?

M. Jean-Charles Hourcade. Notre équipe est composée d’une petite quinzaine de personnes qu’on peut répartir en trois catégories.

La première est celle des stratèges. Ils forment une équipe d’une demi-douzaine de négociateurs seniors dirigés par Pascal Asselot, ici présent, et possèdent une double culture, technologique et juridique, à l’instar de la nature du brevet, d’essence hybride, mi-technique, mi-juridique.

La deuxième est celle des économistes. Ceux-ci vont s’attacher à répondre à la question très difficile de savoir combien vaut un brevet. D’un point de vue financier, la valeur d’un brevet correspond à la valeur actuelle nette du flux de redevances futures. Il s’agit ensuite d’appliquer cette définition en établissant des projections du développement du segment de l’industrie concerné dans le futur. Nous allons compiler des données de marché pour les organiser en fonction de différents scénarios et les probabiliser.

La troisième traite de la compréhension de l’objet brevet lui-même qui a ses spécificités en tant qu’actif.

Un travail correct dépend donc de la réunion de ces différentes compétences – technologie, droit des brevets, procédures et économie.

Nos collaborateurs ont tous été recrutés dans l’industrie – les compétences requises se sont en effet forgées dans le quotidien des activités industrielles –, pour certains par des chasseurs de têtes et, pour la majorité, grâce à la mobilisation des réseaux qui irriguent une communauté qui n’est pas si vaste : en Europe, les experts pointus dans les domaines qui nous intéressent se comptent sur les doigts de quelques mains.

M. Patrick Hetzel, rapporteur, président. Le business plan que vous nous avez apporté montre que le résultat net escompté devrait devenir positif à partir de 2016 avec des revenus qui augmentent progressivement. Quelle méthode avez-vus utilisé pour établir cette montée en puissance ?

M. Pascal Asselot. L’objet principal de France Brevets est le programme de licensing consistant à agréger un portefeuille de brevets, le constituer soit par acquisition, soit par licence puis aller le défendre par des négociations ou l’enforcement.

Il existe trois types de programmes de licensing.

Le « très gros et très mûr », comme NFC : le programme, les brevets et le marché sont là. Ce type de programme nécessite de très gros investissements et génère d’assez importants revenus.

Nous avons ensuite les petits programmes : un ou deux brevets sont contrefaits ou potentiellement contrefaits par un segment de marché. Nous sommes ici dans une logique de défense des droits mais aussi dans un domaine où les montants engagés et le retour seront beaucoup plus faibles.

Enfin, le troisième type de programme est la continuation du patent factory. La constitution d’un portefeuille de brevets sur cinq ans nécessitera une importante dépense d’énergie et d’argent.

C’est en constituant notre action dans ces trois familles de programmes, et en probabilisant le développement de chacun d’eux, que nous avons construit notre business plan.

M. Jean-Charles Hourcade. Dès lors qu’un grand programme comme NFC est lancé, c’est-à-dire dès lors que nous avons réuni la masse critique de brevets nécessaire et que le début d’adoption par le marché a eu lieu, il n’y a plus vraiment d’incertitude sur les montants de revenus qui seront générés. En revanche, une incertitude demeure sur le moment auquel ces revenus vont apparaître, moment qui dépend essentiellement du rythme des négociations. Une négociation portant sur des montants significatifs, à savoir plusieurs dizaines de millions d’euros, prendra au moins deux ans et pourra être bouclée en moins de trois ans sur une base amiable. Mais si s’intercale dans le processus des phases de procédure contentieuse soit sur le fond soit sur des éléments de forme ou d’environnement, ce qui est très fréquent, la négociation peut prendre trois, quatre voire plus de cinq ans. Ainsi, le profil d’évolution des revenus est un peu heurté, il n’est pas linéaire. Et l’on peut se tromper facilement d’un ou deux ans – éventualité que nous avons intégrée.

M. Patrick Hetzel, rapporteur, président. La Cour des comptes, dans son rapport de mai 2013 consacré au lancement du PIA, et plus particulièrement au volet recherche et enseignement supérieur, écrit : « L’investissement devra pouvoir être arrêté si les premiers programmes de licensing ne procurent pas les revenus attendus. » Quelle est votre réponse ?

M. Jean-Charles Hourcade. On ne peut guère contester ce principe de bonne gestion selon lequel on ne saurait persévérer à l’infini dans l’erreur. Reste que je conseillerais la prudence avant d’arrêter l’investissement : il faut garder à l’esprit que, dans notre activité, le temps est probablement la matière première la plus importante. À partir du moment où certains programmes ont passé les seuils de constitution de portefeuille de brevets et où les inventions brevetées ont passé les seuils de l’adoption par les marchés, nous sommes, si je puis dire, dans le domaine de la balistique : si l’on ignore le moment où des revenus seront produits, en revanche, on connaît leur montant. Je me fais fort de communiquer cette conviction aux magistrats de la Cour des comptes…

Prenons le programme NFC : début janvier 2014, le gouvernement chinois a publié les normes nationales qui vont régir les paiements par téléphone mobile. Compte tenu de l’infrastructure fixe de l’internet en Chine, on prévoit que le paiement par téléphone portable y deviendra le mode dominant. Au cours des deux ou trois dernières années, il y a eu une floraison de tests régionaux de différentes techniques associant les réseaux télécom, les réseaux bancaires, différentes technologies de communication… Bref, les Chinois ont tout essayé et les autorités ont conclu, fin 2013, que la technologie NFC serait obligatoire à compter du 1er mai 2014. Il serait par conséquent imprudent d’arrêter ce programme dans la mesure où nous disposons des brevets fondamentaux sur cette technologie. Je ne sais pas encore quand ni comment nous parviendrons à un accord intelligent avec l’industrie chinoise pour le marché domestique chinois – sachant que certains de ces brevets sont enregistrés en Chine – mais je suis certain que nous y arriverons.

Mme Laure Fau, rapporteure de la Cour des comptes. Où en êtes-vous de l’augmentation de capital ?

M. Jean-Charles Hourcade. Cinquante millions d’euros ont été libérés sur les 100 initialement prévus. À moins que nous n’enregistrions des signatures pour au moins une dizaine de millions d’euros avant fin septembre, il est très probable que nous serons amenés à solliciter la libération d’une tranche supplémentaire avant la fin 2014. La discussion n’a toutefois pas encore été lancée sur le sujet.

M. Patrick Hetzel, rapporteur, président. Monsieur le directeur général, nous vous remercions.