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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mission d’évaluation et de contrôle

Gestion des programmes d’investissements d’avenir relevant de la mission « Recherche et enseignement supérieur »

Mardi 11 juin 2014

Séance de 17 heures 30

Compte rendu n° 21

Présidence de M. Alain Claeys, président

– Audition, ouverte à la presse, sur le thème « La gestion des programmes d’investissements d’avenir relevant de la mission Recherche et enseignement supérieur », de M. Louis Schweitzer, commissaire général à l’investissement, accompagné de M. Thierry Francq, commissaire général adjoint, M. François Rosenfeld, directeur stratégique et financier et M. Claude Girard, directeur de programme valorisation de la recherche au Commissariat général à l’investissement (CGI).

M. le président Alain Claeys, rapporteur. Monsieur le commissaire général, nous vous remercions d’avoir répondu à notre demande d’audition aussi rapidement, puisque vous avez pris vos fonctions le 23 avril.

Nous avions procédé, le 19 février dernier, à l’audition de votre prédécesseur, M. Louis Gallois, qui avait fait le point sur la gestion des programmes d’investissements d’avenir.

Les conditions dans lesquelles le Commissariat général à l’investissement (CGI) exerce son action ont toutefois évolué à la suite de la publication du décret du 16 avril 2014 relatif aux attributions du ministre de l’économie, du redressement productif et du numérique : d’une gestion interministérielle sous la responsabilité du Premier ministre, on est passé à une tutelle de ce ministère, exercée conjointement avec le ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche pour les programmes relevant de la mission interministérielle « Recherche et enseignement supérieur ». Il s’agit pour nous d’un changement majeur, d’autant que M. Gallois avait insisté sur l’importance de la tutelle du Premier ministre dans l’action quotidienne du CGI.

Nous souhaiterions, dans un premier temps, connaître votre appréciation sur ce changement de tutelle, puis que vous nous indiquiez les principales orientations que vous entendez donner à votre action.

M. Patrick Hetzel, rapporteur. Nous avons, en effet, été intrigués – le mot est faible ! – par cette modification, d’autant plus qu’elle a été suivie par la démission de MM. Michel Rocard et Alain Juppé de la présidence du comité de surveillance des investissements d’avenir, sur lequel les deux anciens premiers ministres exerçaient depuis l’origine une autorité morale. Ils ont justifié leur décision par la crainte qu’à la suite de cette évolution institutionnelle la tentation ne soit forte d’utiliser les programmes d’investissements d’avenir pour procéder à des financements récurrents et à des opérations d’aménagement du territoire – ce qui n’était pas leur objectif initial.

M. Louis Schweitzer, commissaire général à l’investissement. Ma nomination étant intervenue après le changement de tutelle du Commissariat général à l’investissement, je ne suis pas qualifié pour me prononcer sur les motivations de celui-ci. En revanche, je pense que les conséquences de cette décision sont plus limitées qu’on ne pourrait le penser – et qu’Alain Juppé et Michel Rocard ne le craignaient.

Le Commissariat est une petite structure d’une trentaine de personnes, dont la mission est définie par une loi de finances et un décret d’application. Ces textes attribuent tous les pouvoirs de décision au Premier ministre, ce dernier ayant la possibilité de les déléguer, via une délégation de signature, au commissaire général. Les actes les plus importants, comme la signature des conventions avec les opérateurs, relèvent ainsi du seul Premier ministre. De même, les décisions d’attribution des aides d’un montant supérieur à 5 millions d’euros, pour les fonds consommables, et à 20 millions d’euros, pour les fonds non consommables, sont prises par le Premier ministre ; l’attribution des aides d’un montant inférieur peut, en revanche, être déléguée au commissaire général ou au commissaire général adjoint. Le fait que le Commissariat général ait été placé sous l’autorité d’un et, pour une partie de son activité, de deux ministres ne change en rien cette structure de compétences juridiques. Toutes les décisions qui relèvent du programme des investissements d’avenir, qu’il s’agisse des conventions, des avenants aux conventions ou des décisions d’attribution d’aide, relèvent toujours soit du Premier ministre lui-même, soit, par délégation, du commissaire général.

En outre, le CGI conserve son siège au 32, rue de Babylone, dans un hôtel qui dépend du Premier ministre, et ses crédits continuent d’être gérés par les services de ce dernier, même s’ils seront à l’avenir inscrits au budget du ministre de l’économie, du redressement productif et du numérique.

À la gestion des programmes d’investissements d’avenir sont associées des procédures interministérielles, les comités de pilotage (COPIL), auxquels participent, outre le Commissariat général, des représentants de plusieurs ministères. Lorsque nous sommes en désaccord avec un ministre, nous en informons le Premier ministre, à qui il revient de trancher. De même, pour la sélection des projets, nous lançons des appels à manifestations d’intérêt ou à projets, et nous réunissons des jurys d’experts, parfois internationaux. Toutes ces procédures restent inchangées. Par exemple, pour le PIA2, le deuxième programme d’investissements d’avenir, qui prévoit, comme le premier, d’allouer des crédits à des institutions universitaires et de recherche, le jury qui sera mis en place sera exactement le même que celui qui avait été retenu pour le PIA1.

On considère traditionnellement que lorsque l’autorité sur un service passe à un nouveau ministre, c’est à ce dernier qu’il revient d’exercer l’ensemble des attributions qui relèvent de ce service. Mais le CGI est un objet particulier, qui gère une procédure relevant d’un cadre législatif précis. Or cette procédure n’est pas remise en cause. La seule nouveauté, c’est que lorsque nous transmettons un projet de décision au Premier ministre, c’est par l’intermédiaire de M. Montebourg et, le cas échéant, de M. Hamon. En revanche, la décision finale est, comme autrefois, préparée par des réunions interministérielles à Matignon.

Le processus décisionnel n’a pas changé ; il continue à reposer sur des exigences d’excellence, d’objectivité et de différenciation. Cela m’a été confirmé lors d’une réunion présidée par le Président de la République, à laquelle assistaient le Premier ministre et plusieurs ministres. Il n’y a aucune équivoque.

M. Patrick Hetzel, rapporteur. M. Marcel Pochard, président de la Cité internationale universitaire de Paris, laquelle bénéficie d’un financement au titre du PIA, m’a récemment confié qu’il n’avait plus eu d’interlocuteur durant quelques mois : manifestement, il y a eu du flottement dans les prises de décision. Que s’est-il passé ? S’agit-il d’un phénomène ponctuel ?

M. Louis Schweitzer. Je crois avoir signé, il y a quelques jours, une décision concernant la Cité universitaire de Paris. Peut-être y a-t-il eu un moment de flottement, dans la mesure où le décret de délégation n’a été signé que le 23 mai, alors que ma nomination date de la fin avril. Il faut reconnaître que la dissociation entre la procédure juridique et l’autorité sur le service n’était pas évidente au premier regard ; depuis, la situation a été clarifiée.

La base juridique n’a donc pas été changée, non plus que les principes généraux de sélection : l’exigence d’excellence subsiste. En revanche, des progrès pourraient être accomplis sur deux points – Louis Gallois avait d’ailleurs engagé des actions en ce sens.

D’abord, il convient de raccourcir les délais d’instruction, qui pouvaient aisément atteindre dix-huit mois, même pour des dossiers ne présentant aucune difficulté. Un travail a été engagé avec nos deux principaux opérateurs hors du champ de la recherche, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) et la Banque publique d’investissement, Bpifrance, pour ramener ces délais à une durée de trois à six mois. Dans un certain nombre de cas, on pourrait également simplifier les démarches, sans pour autant abaisser le niveau d’exigence.

D’aucuns ont suggéré, pour réduire les délais, de déléguer la décision elle-même à nos opérateurs, comme l’ADEME, Bpifrance ou l’Agence nationale de la recherche (ANR). Je n’y suis pas favorable ; je pense qu’il est important que le CGI, qui est responsable du bon emploi des crédits du PIA, prenne la décision finale ou, si cela dépasse ses attributions, transmette le dossier au Premier ministre. Je me suis engagé, en revanche, sur deux points : premièrement, lancer les éventuelles contre-expertises suivant une procédure parallèle, et non séquentielle ; deuxièmement, faire en sorte que le CGI rende ses décisions rapidement, dans les cinq jours suivant l’avis positif du comité de pilotage interministériel (COPIL).

M. le président Alain Claeys, rapporteur. Si l’on prend l’exemple de l’ANR, à quel stade les retards commencent-ils ? Les expertises se chevauchent-elles ?

M. Louis Schweitzer. Une succession étant en cours, il se trouve que l’ANR est, parmi nos opérateurs, le seul dont je n’ai pas encore pu rencontrer le responsable. Je laisserai, par conséquent, Thierry Francq répondre sur ce point.

M. Thierry Francq, commissaire général adjoint à l’investissement. Pour l’ANR, le principal enjeu en matière de délais porte, non pas sur les grandes décisions d’engagement, mais sur les relations courantes avec les organismes bénéficiaires. Le dispositif actuel est extrêmement complexe. Un travail est en cours.

M. le président Alain Claeys, rapporteur. Pourriez-vous être plus précis ?

M. Thierry Francq. Par exemple, comme il s’agit d’argent public, nos règlements financiers sont parfois trop tatillons, ce qui ralentit la procédure. Aujourd’hui, on sait mieux ce qui compte. On pourrait concentrer les demandes sur l’essentiel et raccourcir les délais de paiement.

En revanche, le calendrier de labellisation des nouvelles IDEX est défini par convention – il devrait être adopté prochainement. Si les délais convenus doivent être respectés, nous ne souhaitons pas accélérer la procédure : il importe de laisser du temps aux structures candidates pour préparer un dossier susceptible d’être présenté devant un jury international.

M. le président Alain Claeys, rapporteur. Monsieur le commissaire général, quelle est la spécificité des programmes d’investissements d’avenir au sein du financement de la recherche ?

À l’origine, un mot caractérisait les exigences en matière d’investissements d’avenir : l’excellence. Entre-temps a été introduit, à la demande du précédent gouvernement, un critère relatif à l’aménagement du territoire. Ces deux objectifs sont-ils conciliables ?

M. Louis Schweitzer. Avant de répondre à ces deux questions, je voudrais revenir, monsieur le président, sur notre capacité à « résister à la tentation ».

Pour ce qui est du risque de financement d’opérations qui ne répondraient pas aux critères des PIA, je vous ai indiqué que les procédures restaient inchangées. Pour le reste, c’est une affaire de personnes ; en ce qui me concerne, mon intention est bien de « résister à la tentation ».

Quant au risque de débudgétisation, il n’est pas nouveau. Je ne vous cacherai pas qu’il y a eu quelques cas où la frontière entre ce qui relevait d’un financement budgétaire et ce qui pouvait être pris en charge par le PIA était poreuse ; par exemple, les avances accordées à Airbus ont été financées dans la période récente par le PIA, alors qu’elles l’étaient antérieurement par le budget de l’État. C’est une vraie question, mais qui n’est pas liée au changement de tutelle.

En matière de recherche, les programmes d’investissements d’avenir ont une double spécificité. D’abord, leur objectif premier est la recherche de l’excellence sur des critères non seulement nationaux mais aussi internationaux, avec une volonté de favoriser les transferts de la recherche vers l’industrie. À cela s’est ajoutée une seconde spécificité, qui est de placer l’exigence non seulement sur le projet, mais aussi sur les structures qui le présentent. Nous avons ainsi utilisé le PIA comme un levier pour inciter les établissements universitaires et de recherche à ne pas travailler à l’excellence chacun de son côté, mais à créer pour cela des structures communes. Cet effort a, je le crois, été globalement suivi d’effet.

En résulte-t-il des structures toujours parfaitement lisibles et efficaces ? C’est ce que nous devrons évaluer en 2016, à l’occasion du réexamen après quatre ans de l’affectation des dotations non consumptibles, qui sont notre principal mode d’intervention en direction des établissements d’enseignement et de recherche. Dans un esprit d’indépendance et sous l’autorité du jury, nous vérifierons alors que les rapprochements structurels et les réorganisations annoncés n’ont pas été de pure forme.

M. le président Alain Claeys, rapporteur. Est-ce à cette aune que vous évaluerez les communautés d’universités et d’établissements ?

M. Louis Schweitzer. Absolument.

Il se trouve qu’avant d’être nommé commissaire général à l’investissement, je siégeais aux conseils d’administration de la Fondation nationale des sciences politiques (FNSP) et de l’Université de la Sorbonne nouvelle, deux institutions rassemblées, d’abord dans un pôle de recherche et d’enseignement supérieur (PRES), puis dans une communauté d’universités et d’établissements. J’ai donc été de l’autre côté de la barrière. Si les réorganisations suscitent quelques protestations – c’est une litote ! –, c’est qu’elles changent réellement les choses, notamment pour les formations doctorales. Nous évaluerons les résultats du processus en même temps que les programmes des universités.

Cette double exigence d’excellence et de réforme structurelle est spécifique au secteur universitaire. A contrario, par exemple, la réalisation d’un éco-quartier « zéro carbone » dans une grande ville française nécessitera seulement un investissement innovant. On voit bien que, dans ce cas, la différence entre l’investissement d’avenir et le crédit consenti dans le cadre budgétaire habituel est ténue : il ne s’agirait pas de croire qu’en temps normal, l’État ne finance que des investissements banals !

Quant aux deux critères que sont l’excellence et l’aménagement du territoire, je ne pense pas que le second dispense du premier. Nous devons distinguer les champions, et non pas le régional de l’étape. Il se peut que ce dernier soit un champion, mais en aucun cas le critère d’excellence ne doit être atténué par un souci d’aménagement du territoire.

Dans le premier appel d’offres concernant les regroupements universitaires et les initiatives structurantes innovation-territoires-économie (ISITE), le jury international avait jugé excellents au moins deux projets qu’il n’avait toutefois pas pu retenir, car les organismes concernés ne présentaient pas le degré de polyvalence exigé par le cahier des charges. Nous avons décidé qu’à l’avenir des projets qui seraient excellents, comporteraient la dimension structurelle que nous demandons, mais ne seraient pas totalement pluridisciplinaires, pourraient être retenus.

M. Patrick Hetzel, rapporteur. Le PIA2 prévoit de nouveaux financements d’IDEX. Dans le PIA1, le critère qui avait prévalu était l’excellence et un cahier des charges avait été transmis en ce sens aux établissements et aux jurys. Ce cahier des charges sera-t-il reconduit pour la sélection des IDEX au titre du PIA2 ?

M. Louis Schweitzer. Du fait de la transition en cours à l’ANR, et parce que l’urgence est moindre – la première vague de programmation est achevée et la deuxième n’est pas prévue avant 2015 – , il m’est difficile de répondre à cette question ; je laisserai Thierry Francq le faire.

Je préciserai simplement que, quelques jours avant son départ, Louis Gallois avait signé avec Mme Fioraso une lettre définissant la philosophie des PIA dans le secteur de l’université et de la recherche. Le projet de convention que nous venons de transmettre au Premier ministre pour la mise en œuvre du PIA2 est dans la ligne de ce texte.

Le seul changement que nous opérerons par rapport à l’ancien cahier des charges répond à la préoccupation que je viens d’évoquer : nous laisserons aux jurys une certaine souplesse d’appréciation afin qu’ils puissent retenir comme initiatives d’excellence des dossiers dont la pluridisciplinarité serait moins nette.

M. Thierry Francq. À titre indicatif, sur une enveloppe globale de 3,1 milliards d’euros pour le PIA2, 2 milliards devraient être consacrés à des IDEX, avec un cahier des charges sinon identique, du moins répondant à la même logique que celui du PIA1. Nous tenons à votre disposition le projet de convention, qui est assez prolixe sur le sujet.

Les ISITE sont des initiatives d’excellence dont le spectre scientifique est moins large ; elles permettront à des pôles d’excellence implantés dans des territoires qui ne disposent pas d’une offre scientifique complète de faire acte de candidature. Une certaine souplesse est introduite dans le cahier des charges à cette fin ; en revanche, l’exigence d’excellence reste la même.

Si modification il y a, elle consistera, y compris pour les IDEX, à renforcer les liens avec le territoire, notamment avec le monde économique.

M. Patrick Hetzel, rapporteur. Comment les ISITE se positionneront-elles par rapport aux IDEX, aux LABEX et aux IRT, mis en place par le PIA1 ?

M. Thierry Francq. À la différence des LABEX et des IRT, qui se consacrent exclusivement à la recherche – ou à l’ingénierie de formation –, l’enjeu des ISITE est, comme pour les IDEX, le regroupement d’organismes à la fois d’enseignement et de recherche, à des fins, par exemple, de concentration ou de rationalisation des masters.

M. Louis Schweizter. En résumé, rien ne changera pour les LABEX et les IRT. En revanche, les ISITE viennent « compléter » les IDEX, qui ne permettaient pas à certaines universités et établissements à spectre moins large de se regrouper – ce qu’avait déploré le jury international. Désormais, elles en auront la possibilité.

Mme Laure Fau, rapporteure à la Cour des comptes. Les projets Programme d’avenir Lyon Saint-Étienne (PALSE) et Hautes Études-Sorbonne-Arts et Métiers (HESAM) pourraient donc être candidats au titre du premier volet des IDEX ?

M. Thierry Francq. Ces deux projets sont des cas spécifiques déjà « repêchés » lors du PIA1. Ils doivent encore faire leurs preuves pour devenir des IDEX de plein exercice. Dans le cadre du PIA2, leurs candidatures seront donc soumises au jury dans les mêmes conditions que les autres, aucun droit d’accès particulier au statut d’IDEX ne leur a été accordé.

M. le président Alain Claeys, rapporteur. Existe-t-il un débat avec les ministres à ce sujet ?

M. Patrick Hetzel, rapporteur. La décision finale reviendrait-elle au Premier ministre si les points de vue de M. Benoît Hamon et de M. Arnaud Montebourg ne convergeaient pas ?

M. Louis Schweizter. La loi a donné au Premier ministre un pouvoir qu’il a délégué dans certaines matières au commissaire général à l’investissement. Les décisions relèvent donc soit du Premier ministre en personne, soit du commissaire général. Si celui-ci est en désaccord avec l’un des deux ministres qui se partagent l’autorité sur son service, il fait part de son opinion au Premier ministre. Paradoxalement, celui-ci peut me déléguer des pouvoirs qu’il ne peut déléguer aux deux ministres concernés.

M. le président Alain Claeys, rapporteur. Qui présidera le comité de surveillance du CGI ?

M. Louis Schweizter. Je rêverais qu’Alain Juppé et Michel Rocard acceptent de le présider à nouveau. Je souhaite, en tout cas, que le principe d’une coprésidence soit maintenu, et que les personnalités retenues appartiennent l’une à la majorité, l’autre à l’opposition. Je sais que c’est également le vœu du Gouvernement et du Président de la République.

Les nouveaux coprésidents devront avoir une légitimité comparable à celle de leurs prédécesseurs, qu’ils tireront non plus de leur qualité de  fondateurs, mais de leurs compétences économiques et de leur dimension d’hommes d’État. Un tel choix confirmerait utilement la continuité du Commissariat général à l’investissement, face à ceux, trop nombreux, qui pensent que la spécificité du programme des investissements d’avenir a disparu. Je n’ai pourtant pas été nommé dans cet esprit.

M. Patrick Hetzel, rapporteur. Gardez-vous l’espoir d’un retour des anciens premiers ministres ? Leur démission constitue malgré tout une rupture symbolique qui ne manque pas de nous chagriner. Vos deux prédécesseurs, René Ricol et Louis Gallois, pouvaient avantageusement adosser leur action au comité de surveillance, dans la mesure où ses présidents incarnaient, en quelque sorte, le rapport Juppé-Rocard de 2009, à l’origine même de la création du CGI et du positionnement de son action dans le cadre d’une vision stratégique pour la France à moyen et long terme, affranchie des alternances politiques et de leur calendrier.

M. Louis Schweizter. Ces démissions me chagrinent également, d’autant plus qu’elles sont intervenues avant qu’Alain Juppé et Michel Rocard aient pu analyser complètement les limites de la réforme opérée. Si j’avais pu leur expliquer les choses, leur décision aurait sans doute été différente. Je crains cependant qu’il soit difficile pour un responsable politique de revenir sur une position publique.

M. Patrick Hetzel, rapporteur. Au mois de février dernier, votre prédécesseur, Louis Gallois, nous indiquait qu’un bilan du fonctionnement des sociétés d’accélération du transfert de technologies (SATT) était en cours. Quand pourrons-nous en disposer, sachant que nous allons bientôt commencer à travailler sur le projet de loi de finances pour 2015 ?

M. Louis Schweizter. Je n’ai moi-même pas encore reçu ce bilan. D’ores et déjà, il est clair que les SATT couvrent quasiment tout le territoire national, celles de Saclay et de Grenoble étant en voie de finalisation – sachant que la Normandie n’en a pas. La difficulté des SATT, c’est qu’elles constituent des sortes de coopératives de brevets. Or, ce mode d’organisation n’est pas forcément très pertinent pour réunir des fournisseurs de tailles très inégales. L’intérêt d’une participation à une coopérative n’est pas évident pour un très gros fournisseur. J’attends, moi aussi, ce bilan avec intérêt, car si je ne doute pas de l’efficacité des SATT pour les producteurs moyens, comme les universités, nous devons savoir si elles n’ont pas un peu compliqué la vie d’organismes qui déposent un très grand nombre de brevets, comme le CEA. Si tel était le cas, nous n’hésiterions pas à procéder aux aménagements nécessaires. Nous ne pourrions pas nous considérer comme un organisme d’innovation si nous refusions de tester l’efficacité de structures que nous mettons en place, et si nous n’en tirions pas les conséquences pour l’améliorer.

Mme Laure Fau, rapporteure à la Cour des comptes. Ce bilan correspond-il à l’évaluation qu’il était prévu de mener trois ans après la création des SATT ?

M. Claude Girard, directeur de programme valorisation de la recherche au Commissariat général à l’investissement. Tout à fait. Dans le cadre du contrat entre les SATT et l’ANR, cette évaluation devait servir de base à la fixation du montant de la deuxième tranche de financement de ces sociétés.

Un comité national de gestion des SATT est chargé de définir les modalités de ce bilan, qui s’appuiera sur l’ANR pour ce qui relève de l’analyse scientifique et technologique, sur la Caisse des dépôts – qui porte l’actionnariat de l’État dans les SATT – en matière financière et comptable, et sur un organisme tiers, désigné par appel à projets, qui sera chargé d’auditer la gouvernance, la gestion des ressources humaines et l’organisation de ces sociétés. Ce bilan devrait offrir une bonne vision des cinq premières SATT à avoir été créées.

M. Patrick Hetzel, rapporteur. Nous nous interrogeons sur la nécessité d’introduire une certaine souplesse pour les SATT dont le fonctionnement obéit à un cahier des charges rigide. En Alsace, par exemple, Conectus fonctionne bien dans ce cadre, mais ce n’est pas le cas de toutes les SATT sur le territoire.

M. Louis Schweizter. Dès lors qu’un organisme nouveau est créé, distinguer, parmi les critiques qui le visent, celles qui sont fondées sur des imperfections réelles de celles qui traduisent une résistance au changement n’est pas un exercice facile, surtout dans les milieux de l’université et de la recherche. Pourtant, alors que les premières doivent inciter à remédier aux difficultés signalées, les secondes constituent plutôt la preuve qu’il faut poursuivre dans la même voie.

M. Thierry Francq. Le caractère monolithique des SATT a déjà été écorné puisque celles de Grenoble et Saclay, où le CEA joue un rôle très important, ont un statut dérogatoire, avec assouplissement des règles en matière de propriété intellectuelle.

M. Claude Girard. La dimension monolithique originelle est liée à la notion d’exigence et d’excellence de la valorisation de la recherche. Au moment du lancement de l’appel à projets, il était question de créer six à dix SATT. Le dispositif a ensuite évolué pour tenter de couvrir la totalité du territoire, dont certaines parties se prêtent peut-être moins bien au système d’excellence. Il faut sans doute aujourd’hui adapter les exigences. En tout état de cause, les SATT du premier lot, dont est issue Conectus, fonctionnent très bien aujourd’hui. Pour les SATT dérogatoires, comme Saclay et Grenoble, le dispositif a été fortement adapté à des spécificités locales. Certains projets retenus après ceux du premier lot ne l’auraient peut-être pas été si les recommandations du jury d’origine avaient été suivies.

M. le président Alain Claeys, rapporteur. Monsieur le commissaire général, le débat entre financement de la recherche sur projet et financement récurrent a-t-il encore un sens aujourd’hui dans notre pays ?

M. Louis Schweizter. Je ne puis que vous donner une opinion personnelle qui n’est pas celle d’un expert et n’engage en rien le Commissariat général. J’ai le sentiment que le choix entre ces deux options suit un mouvement de balancier : on en expérimente une, on en constate les défauts, puis on l’abandonne pour aller vers l’autre, dont on constatera les défauts, et ainsi de suite.

Pour ma part, je considère que tout système de recherche doit comporter des parties libres et des parties sur projet. Il serait, à mon sens, déraisonnable de faire prédominer les unes sur les autres. Aujourd’hui, – je mets à part la recherche appliquée, où, bien sûr, le projet prime forcément –, il me semble que le financement sur projet est privilégié peut-être un peu à l’excès. Il est vrai que lorsque les financements privés sont sollicités, il est plus facile de mettre en avant un projet qu’une participation à des dépenses générales ; un financeur préférera associer son nom et son argent à un projet précis et identifiable plutôt que de se dire contributeur au travail général de tel ou tel organisme. Il serait sans doute préférable – mais c’est difficile – de maintenir un équilibre entre les deux types de financement. Cela dit, il s’agit là d’une opinion personnelle que je n’ai jamais exprimée au sein du Commissariat général.

M. Patrick Hetzel, rapporteur. Si la mission d’évaluation et de contrôle s’interroge sur l’équilibre du financement de la recherche depuis la mise en place de l’ANR, puis du PIA, c’est que, en tant que législateurs, ses membres sont saisis du volet récurrent de ce financement par le biais du budget.

Quelle est l’importance pour le CGI de la dimension internationale ? J’ai été frappé de constater que l’enseignement supérieur a connu une très forte croissance dans le monde au cours de la dernière décennie. Alors que le nombre total d’étudiants français est estimé à 2,4 millions, la population mondiale post-bac explose, s’accroissant de 2,7 millions de personnes chaque année. En matière de recherche également, l’intensité et le degré de l’investissement consenti, notamment par le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine, ont une incidence considérable. Considérant que des effets de taille critique peuvent jouer, il serait sans doute souhaitable que notre pays étudie les possibilités de convergences européennes pour renforcer l’efficacité du financement public de la recherche.

M. Louis Schweizter. Nous prenons la dimension internationale en compte dans nos évaluations ; les projets d’IDEX notamment sont sélectionnés par un jury international. Même si notre approche privilégie le territoire français, nous ne mesurons pas l’excellence au niveau national. Nous constatons cependant que, dans le cadre du concours mondial d’innovation, qui n’est pas réservé à des équipes nationales, l’immense majorité des lauréats sont français.

À part de très grands projets comme le CERN, il me semble que les systèmes européens fonctionnent mieux sur la base d’échanges et d’irrigations croisées qu’à partir de plateformes institutionnellement européennes ou internationales. Outre qu’elles sont lourdes à créer, ces dernières acquièrent une dimension politique qui leur confère une force d’inertie telle qu’elles ne peuvent que très difficilement être remises en cause. Le programme européen de Lisbonne privilégie d’ailleurs la recherche de l’excellence au niveau européen à travers des actions nationales.

J’ajoute que, même si certains le déplorent, la pratique d’une langue commune, qui n’est pas le français, facilite l’échange entre les chercheurs de tous les pays, et qu’il s’agit d’un très puissant facteur d’internationalisation des équipes et des projets.

M. Thierry Francq. Les outils créés par le PIA, comme les SATT ou les IRT, se sont progressivement construit une image internationale. Alors que le poids des organismes de recherche constituait une spécificité française, ces outils trouvent souvent leur équivalent dans les pays européens, ce qui facilite les partenariats. L’IRT Jules Vernes de Nantes a ainsi pu signer, en mars dernier, un accord de collaboration internationale avec une Fraunhofer Gesellschaft allemande. Les SATT peuvent aussi dialoguer avec les offices de transfert de technologie anglais : la SATT idfinnov de Paris a signé le mois dernier un accord de partenariat stratégique avec Isis Innovation, l’office de transfert de technologie de l’Université d’Oxford. Les outils créés par les PIA sont donc aussi des vecteurs de collaboration avec les pays européens.

La visibilité internationale constitue pour les IDEX un enjeu qui doit permettre de produire des partenariats.

M. Louis Schweizter. Dans un système d’échanges internationaux en développement, notre position sera d’autant plus forte que nos structures nationales seront puissantes et attractives. Finalement, la loi de programme pour la recherche du 18 avril 2006, qui créait les pôles de recherche et d’enseignement supérieur, et la loi relative à l’enseignement supérieur et à la recherche qui les transformait en communautés d’universités et établissements poursuivaient toutes deux ce même objectif.

M. le président Alain Claeys, rapporteur. Messieurs, nous vous remercions.