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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mission d’évaluation et de contrôle

Gestion des programmes d’investissements d’avenir relevant de la mission « Recherche et enseignement supérieur »

Mercredi 25 juin 2014

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 25

Présidence de M. Alain Claeys, président

– Audition, ouverte à la presse, sur le thème de la gestion des programmes d’investissements d’avenir relevant de la mission « Recherche et enseignement supérieur », de M. Bruno SAINJON, président-directeur général de l’ONERA, accompagné de MM. Thierry MICHAL, directeur technique général, Thierry STOLTZ, directeur des affaires économiques et financières et Jacques LAFAYE, chargé de mission auprès du président.

M. le président Alain Claeys, rapporteur. Nous recevons aujourd’hui le président-directeur général de l’ONERA, l’Office national d'études et de recherches aéronautiques.

Monsieur le président-directeur général, bienvenue. Dans le cadre de ses travaux sur la gestion des programmes d’investissement d’avenir relevant de la mission « Recherche et enseignement supérieur », la mission d’évaluation et de contrôle a souhaité recevoir les principaux acteurs de la filière aéronautique. En effet, celle-ci est l’une des trois filières – avec la filière spatiale et la filière nucléaire – à avoir été spécifiquement bénéficiaire des financements au titre des programmes d’investissement d’avenir : 1,5 milliard d’euros au titre du PIA1, et 1,22 milliard d’euros au titre du PIA2.

Nous avons récemment reçu le directeur général de l’aviation civile, M. Patrick Gandil. Aujourd’hui, nos questions porteront sur le rôle de l’ONERA, notamment par rapport au CORAC, le Conseil pour la recherche aéronautique civile, dans le choix des actions à lancer, le suivi de leur conduite et même l’organisation de ce suivi, puisque, ce qui est tout à fait notable, ces actions sont conduites par des industriels privés, sur la base de conventions conclues avec l’ONERA.

Nous nous intéressons aussi aux relations nouées par l’ONERA en matière de recherche fondamentale avec les structures créées par le PIA. Quelles relations l’ONERA entretient-il avec les IDEX ? Est-il partie prenante dans certains LABEX ? A-t-il contribué au financement de certains EQUIPEX ?

Enfin, l’ONERA entretient-il des relations avec les organismes créés par le PIA pour la valorisation de la recherche ?

M. Patrick Hetzel, rapporteur. Monsieur le président-directeur général, nous sommes aussi particulièrement intéressés par l’identification des actions qui, dans le secteur aéronautique, n’auraient pu être conduites si le PIA n’avait pas existé, ou qui auraient dues être menées différemment.

M. Bruno Sainjon, président-directeur général de l’ONERA. Monsieur le président, Monsieur le rapporteur, merci de cette invitation.

Comme vous l’avez rappelé, Monsieur le président, le PIA aéronautique, en tout cas dans son volet numéro 1, c’est une enveloppe de 1,5 milliard d’euros.

Le volet aéronautique du PIA comporte deux modalités d’intervention. La première est un soutien sous forme d’avances remboursables aux programmes d’avions et d’hélicoptères de nouvelle génération (l’Airbus A350 XWB et l’hélicoptère X4) ainsi qu’au nouveau cœur de turbine aéronautique TPH (Turbo-Propulseur Hybride). Si le PIA n’avait pas été mis en place, le projet d’Airbus A350 aurait fait l’objet de conventions d’avances remboursables telles qu’elles existent classiquement, passées directement entre la direction générale de l’aviation civile (DGAC), la délégation générale de l’armement (DGA) et les industriels.

M. le président Alain Claeys, rapporteur. Le PIA a-t-il pu accélérer le programme ?

M. Bruno Sainjon. Je ne crois pas. Pour autant que j’en sache, le choix entre une convention d’avances remboursables et une inscription au titre du PIA relève d’une question de calendrier.

La deuxième modalité d’intervention est une participation à des démonstrateurs techniques sous forme de subvention ; six projets de démonstrateurs ont été sélectionnés.

L’action « Aéronautique » fonctionne donc selon des modalités particulières par rapport à d’autres actions du PIA. La façon dont notre industrie aéronautique est structurée et organisée lui a en effet permis de proposer rapidement des projets en phase avec les préoccupations des autorités publiques et des utilisateurs. C’est aussi une structure industrielle fédérée autour d’un organisme, le Gifas (Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales), qui a par ailleurs été très présent dans les débats menés lors du « Grenelle de l’Environnement » – de façon générale, notre industrie a veillé à prendre en compte très tôt les effets environnementaux. Enfin, dès 2008, en vertu d’engagements pris en 2007, un Conseil pour la recherche aéronautique civile (le CORAC) a été mis en place pour regrouper l’ensemble des acteurs pertinents : avionneurs, chercheurs, compagnies aériennes, gestionnaires d’infrastructures… Une des missions du CORAC a été d’élaborer et de promouvoir une feuille de route technologique pour la recherche aéronautique civile française qui permette à notre industrie de conserver un rang de dimension mondiale. Notre secteur est en effet l’un des rares secteurs industriels où la France est un leader mondial, avec ce que cela peut représenter comme enjeux industriels, technologiques, économiques, et comme emplois.

Chacun des programmes de R&D doit contribuer de manière quantifiable à l’accroissement de la maîtrise de l’empreinte environnementale du transport aérien du futur. Chaque projet comporte une liste d’indicateurs permettant d’évaluer son bénéfice environnemental et son impact économique.

Pour cette action, l’opérateur qui a été retenu par l’État est l’ONERA : il a été jugé que son statut d’EPIC (établissement public industriel et commercial) lui conférait la réactivité souhaitée par le Commissariat général à l’investissement (CGI) pour la contractualisation des activités liées à ces projets. Comme l’a exposé M. Patrick Gandil lors de son audition, cette action associe dans le cadre d’une convention trois acteurs : l’ONERA, la DGA et la DGAC, réunis dans ce qu’il a décrit comme une « équipe programme mixte ». Par ailleurs un Comité de pilotage (COPIL) a été mis en place : il réunit en plus de ces trois acteurs le CGI et la Direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services (DGCIS). Ce COPIL est assisté par des experts en tant que de besoin.

Le parcours type qu’effectue un projet se décompose en trois phases.

Dans une première phase, l’industriel porteur soumet pour évaluation initiale un dossier complet de son projet à l’équipe de programme mixte, qui rédige un rapport.

S’ensuit une phase d’instruction au cours de laquelle ce rapport est soumis à l’avis du COPIL. Le COPIL transmet ensuite son analyse au CGI, qui a la responsabilité de proposer au Premier ministre la décision d’autoriser le financement.

Dans le cas d’une réponse positive arrive ensuite la phase de contractualisation. Elle est menée par l’équipe de programme mixte. Celle-ci intègre la demande de soutien à l’industrie, rédige la convention soumise au COPIL et donne finalement l’autorisation de signer à l’ONERA.

Parallèlement, l’équipe de programme mixte constitue également pour chaque projet un dossier de demande d’autorisation à la Commission européenne.

Contrairement à ce qu’on a pu parfois entendre, c’est bien l’industriel porteur qui soumet son projet et non le CORAC. Par ailleurs, bien que les projets ne fassent pas l’objet d’un appel d’offres formel – contrairement à la plupart des autres actions du CGI – il existe bien, en interne à chaque projet, un appel d’offres pour sélectionner les meilleurs contributeurs.

En résumé, le rôle de l’ONERA en tant qu’opérateur de l’État, c’est d’être le « chef de file » – selon le terme consacré – de la gestion administrative et financière des contrats ainsi que de l’évaluation ex post des programmes de l’action aéronautique ; c’est aussi un contributeur de la définition de la structure du dossier et des critères, ainsi que du suivi des projets.

Au 31 mars 2014, sur les 1,5 milliard d’euros de dotation de l’action « Aéronautique », 1,185 milliard avait été contractualisé avec les porteurs de projet. Hors programme A350, qui constitue l’essentiel de ce montant, 121,5 millions d’euros sont alloués à des prestations extérieures, lesquelles sont réalisées à 87 % par des entreprises de taille intermédiaire (ETI) et des PMI. Par ailleurs, 4,7 % du financement est allé vers des laboratoires de recherche académiques ; cela constitue un faible pourcentage par rapport aux autres actions du PIA.

L’ONERA est autorisé, en tant qu’opérateur, à prélever des frais de gestion. Je voudrais souligner son caractère très économique : sur 2012-2013, les frais de gestion facturés ont été de 306 986 euros ; le prévisionnel 2014 est inférieur à 150 000 euros. Pour mémoire, alors que le pourcentage plafond des frais de gestion prévue par la convention est de 0,2 %, la réalité est plutôt de l’ordre de 0,2 ‰. On peut donc dire que le coût d’intervention de l’ONERA est particulièrement faible.

M. le président Alain Claeys, rapporteur. Pour le suivi des financements, quels sont votre rôle, celui du COPIL et celui du CGI ?

M. Thierry Stoltz, directeur des affaires économiques et financières de l’ONERA. Le COPIL se réunit tous les 6 mois environ. Une première phase a été consacrée à l’étude des dossiers, pour permettre au Premier ministre de décider des différents choix ; aujourd’hui le COPIL est en phase de suivi de ces projets.

M. le président Alain Claeys, rapporteur. Vous nous assurez que la décision est toujours du ressort du Premier ministre ?

M. Thierry Stoltz. Jusqu’à maintenant, la phase de décision s’est déroulée effectivement sous l’autorité du CGI, qui rapportait au Premier ministre. L’ONERA est en relation directe avec le CGI, qui convoque le COPIL – en liaison avec la DGAC puisque c’est le directeur général de l’aviation civile qui pilote ce COPIL.

M. le président Alain Claeys, rapporteur. Lors de son audition, le Commissaire général à l’investissement a démontré que, quelles que soit les compétences attribuées à tel ou tel ministre, l’interministériel demeurait.

M. Bruno Sainjon. La capacité de vision de l’ONERA s’arrête au CGI et au DGAC.

M. Thierry Stoltz. Nous sommes donc maintenant dans une phase de suivi d’exécution de la contractualisation, y compris pour la partie technique. Une description de l’avancement des projets est faite lors de chaque COPIL. Deux formats de COPIL alternent : un format de COPIL « étatique » – où sont présents DGA, DGAC, ONERA et DGCIS – et un format élargi, où les pilotes industriels des plateformes viennent détailler l’avancement des projets. Dans ce deuxième format, le CGI peut interroger les industriels pour s’assurer que les projets sont conformes au dossier que l’équipe programme mixte a pu présenter à l’origine au COPIL. Le suivi est donc à la fois financier et technique.

M. Patrick Hetzel, rapporteur. Qui intervient sur les projets pour lesquels vous avez eu recours au PIA ? Comment s’organise la chaîne décisionnelle ?

M. Thierry Stoltz. Cette chaîne vient d’être décrite par notre président-directeur général, M. Bruno Sainjon. Tout commence par un projet soumis à l’équipe programme mixte par des industriels associés. L’intérêt du PIA a été d’amener des industriels – les grands industriels du secteur aéronautique : Airbus, Safran, Thalès, Dassault – à s’associer entre eux, même s’ils n’avaient pas l’habitude de travailler ensemble. Il leur a été demandé de passer des accords de coopération pour que les projets soient conjoints. Une fois le projet déposé par les industriels, il est instruit par l’équipe programme mixte – au départ essentiellement la DGAC, pour l’analyse de l’incitativité du soutien, et la DGA, pour l’analyse de la partie plus technique et la vérification de l’historique de certains projets, afin d’éviter qu’ils soient redondants avec d’autres et de s’assurer qu’ils ne bénéficient pas d’autres financements par ailleurs. Une fois achevée, l’instruction est présentée au CGI : le CGI conduit alors des échanges avec l’équipe programme mixte, mais aussi directement avec les industriels ; le CGI peut au passage s’assurer aussi de l’indépendance de l’équipe programme mixte.

Une fois la décision prise, la contractualisation est effectuée directement entre les industriels et l’équipe programme mixte. La convention entre l’État et l’opérateur prévoit cependant une information préalable du CGI lorsque la convention dépasse un certain montant.

M. le président Alain Claeys, rapporteur. Après cela, c’est l’opérateur qui est maître du jeu ?

M. Thierry Stoltz. Oui, pour ce qui concerne la contractualisation.

M. Patrick Hetzel, rapporteur. Comment l’équipe programme mixte est-elle constituée ?

M. Thierry Stoltz. Cette équipe programme mixte regroupe la DGAC, la DGA et l’ONERA. La DGAC y est représentée par le directeur des constructions aéronautique, la DGA, par deux unités de management (UM) de la Direction des opérations, chargée l’une de l’aéronautique civile et l’autre des hélicoptères, et enfin l’ONERA par son président-directeur général, M. Bruno Sainjon, qui me délègue la gestion contractuelle, financière et administrative.

M. Bruno Sainjon. Il faut souligner un élément souvent méconnu : le travail de négociation, de discussion technique et administrative des conventions passées avec les industriels mais aussi avec d’autres organismes, dont l’ONERA, en vue du montage des avances remboursables « classiques », est effectué, non pas par la DGAC mais, pour le compte de celle-ci, par la DGA, plus précisément par les deux unités de management dont vient de parler M. Thierry Stoltz. C’est la DGA qui contractualise avec les industriels ou les opérateurs. Dans le cadre du programme d’investissement d’avenir (PIA), il n’était pas possible de recourir à cette organisation habituelle : en effet la DGA n’est pas un opérateur. C’est ainsi que l’ONERA est entré dans la boucle. L’ONERA est donc, en quelque sorte, une « pièce rapportée » par rapport au montage habituel. De ce fait l’ONERA est plutôt cantonné dans un rôle de gestionnaire, même si il peut apporter son expertise technique et son savoir-faire. L’ONERA souhaiterait cependant être plus impliqué dans la définition des thématiques.

M. le président Alain Claeys, rapporteur. De quelle façon souhaitez-vous être plus impliqués ?

M. Bruno Sainjon. D’abord, au titre du PIA 1, il est prévu une évaluation des projets ex post. Plus précisément, les conventions prévoient un rôle pour l’opérateur dans cette activité. Or, l’ONERA dispose de compétences et de capacités très fortes, pour ne pas dire uniques, pour tenir ce rôle. Nous espérons donc bien participer à ce travail, qui n’a pas encore eu lieu mais qui est prévu.

Par ailleurs, sur ce volet particulier du PIA, et contrairement à ce qui a été décidé pour d’autres volets, on a opté pour des démonstrateurs, autrement dit des actions à Technology readiness level (TRL) – ou Niveau de maturité technologique – relativement élevé. Nous souhaiterions que le PIA 2 concerne des activités situées plus en amont, de façon à irriguer de la recherche plus fondamentale, à l’instar de ce qui a été décidé dans d’autres domaines. Cela permettrait aussi à l’ONERA de remplir le rôle primordial pour lequel il a été créé en 1946, c'est-à-dire mener des recherches en propre très en amont dans le domaine de l’aviation civile (avions et hélicoptères) et irriguer le monde académique et les laboratoires.

M. Patrick Hetzel, rapporteur. Dans votre présentation, vous nous indiquez que 4,7 % du financement est allé vers des laboratoires de recherche académiques. Si on compare ce taux à celui d’autres projets, s’agit-il d’un taux plutôt supérieur ou éventuellement en deçà, et quelle conclusion êtes-vous susceptible d’en tirer ?

M. Jacques Lafaye, chargé de mission auprès du président-directeur général de l’ONERA. La valeur de 4,7 %, peut effectivement paraître faible. Les montants concernés ne concernent de plus que la partie qui a été en quelque sorte sous-traitée pour prestations extérieures. Mais cela illustre les propos de notre président-directeur général : les projets de démonstrateurs du PIA 1 se situent à des niveaux de TRL relativement élevés puisqu’un des souhaits du CGI est que les actions labellisées au titre du PIA se retrouvent clairement à moyen terme dans des produits : ces démonstrateurs ont vocation à programmer de manière très directe des produits qui seront intégrables à de nouveaux avions ou de nouveaux hélicoptères. Dans ces conditions, la part dévolue à la recherche fondamentale académique ne peut qu’être relativement faible. Le montant d’activités de l’ONERA lui-même, non plus comme opérateur mais cette fois comme centre de recherche, prévu au titre de cette partie aéronautique du PIA 1 n’est que de l’ordre de 7 millions d’euros. Compte tenu de notre spécialisation cela peut sembler assez faible, et encore plus quand on sait que la nature de notre recherche est souvent moins académique que celle des laboratoires académiques.

M. Thierry Michal, directeur technique général de l’ONERA. Au-delà du chiffre brut des 4,7 %, il faut rappeler que ces actions sont la conséquence d’une contractualisation par l’industriel, qui en cofinance une partie : cette contractualisation avec les laboratoires est donc orientée vers des technologies qui sont plutôt dans la fin de cycle du programme de développement d’une « technologie amont ». De même, les actions contractualisées avec l’ONERA vont majoritairement soit vers les grands moyens techniques que sont nos souffleries, qui constituent des moyens de soutien en début du développement, autrement dit à la limite de la R&D – recherche et développement – et de la R&T – recherche et technologie –, soit vers des départements qui se situent le plus en aval, comme par exemple le département d’aérodynamique appliquée, qui est le plus en relation directe avec l’industrie. Les départements de l’ONERA qui préparent davantage l’avenir ne sont donc pas directement mis à contribution.

Ce point a du reste été souligné par un rapport sur les modalités de soutien à la R&T élaboré l’an dernier par le Gifas. Celui-ci a conclu que l’organisation en mode démonstrateur, certes efficace et efficiente, conduit de fait, à la fin, à laisser de côté un certain nombre de technologies. Comme elles ne trouvent pas leur aboutissement dans le calendrier de la feuille de route lorsqu’on les y insère, elles ne sont, de ce fait, même pas initiées. En commun accord, toutes les parties prenantes de ce groupe de travail sur la R&T, qui réunissait les industriels du Gifas, ont considéré que, indépendamment des projets, il faudrait essayer de consacrer une part du financement à des sujets à TRL relativement bas, de façon à s’assurer que l’on continue à nourrir le portefeuille de technologies susceptibles d’être in fine intégrés dans des démonstrateurs.

M. Bruno Sainjon. Un rapport récent du sénateur Courteau, au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, soulève également la question du financement de la science en amont pour préparer l’action aéronautique des années 2030-2040. Celle-ci se prépare aujourd’hui : si la France est encore un acteur majeur mondial dans les différents domaines aéronautiques et spatiaux, c’est bien grâce au travail conduit en amont depuis nombre d’années. Il évoque aussi le financement de l’ONERA. L’ONERA est détenteur d’un capital assez unique, un parc de souffleries très performant dont chacun nous dit qu’il est indispensable à l’Europe. Or, nous avons beaucoup de mal à obtenir des aides pour son entretien.

M. le président Alain Claeys, rapporteur. Pensez-vous que cette recherche fondamentale est un peu sacrifiée aujourd’hui ?

M. Thierry Michal. Je ne pense pas. Il y a chez les acteurs de la R&T au sein des groupes industriels une vraie conscience de la nécessité de faire perdurer cette recherche fondamentale. Simplement, l’organisation en termes de grands programmes, de grands démonstrateurs, avec des échéances calendaires qui exigent des responsables des projets qu’ils déterminent très en amont les technologies qu’ils vont retenir dans leur feuille de route, conduit à faire des choix, et éventuellement des impasses, sur des technologies qui mériteraient de continuer à être développées mais pour lesquelles les outils commencent à manquer.

Mme Nadia Bouyer, conseillère référendaire à la Cour des comptes. Il nous semblait que l’objectif du PIA était justement d’aller vers des TRL plus avancés, et que le PIA a comblé le financement qui manquait pour des démonstrateurs.

Je comprends à votre réponse à la question de M. Patrick Hetzel que l’A350 aurait été financé de toute façon, PIA ou pas. Il y avait un engagement de l’État. La première convention date de juin 2009 et l’avenant avec l’ONERA pour le montage du fond de concours de 2011. Mon analyse consiste plutôt à dire que le PIA sécurise le financement du programme. La question porte donc plutôt sur les démonstrateurs : auriez-vous engagé leur construction en l’absence du PIA ? Autre question, avoir financé le PIA a-t-il conduit à moins financer, par voies classiques, la recherche fondamentale ?

M. Bruno Sainjon. En l’absence de PIA l’hélicoptère X4 aurait lui aussi été financé sur la base de conventions d’avances remboursables classiques. En revanche, les financements du PIA ont effectivement asséché les activités de la DGAC. L’ONERA n’est aujourd’hui plus financé par la DGAC, mais seulement par une subvention du ministère de la défense. Cette situation rendait très délicat pour nous de cofinancer un démonstrateur relevant d’une activité civile, plutôt en aval de surcroît. Cela a de facto orienté l’activité de l’ONERA vers un double rôle de gestionnaire et de notaire, ainsi que de sous-traitant de l’industrie – pour les 7 millions d’euros évoqués par M. Thierry Michal –, au détriment de sa mission d’irrigation de la recherche plus fondamentale.

M. Thierry Michal. À mon sens, le PIA a structuré un premier effort conduit par l’industrie, à travers le CORAC, pour harmoniser les programmes de recherche des industriels et mettre en évidence les thématiques sur lesquels il fallait qu’ils se concentrent. Par exemple, ce qui a été fait au niveau de la plateforme EPICE (Engin Propulsif Intégrant des Composantes Environnementales) sous forme d’une collaboration entre Safran et Airbus, sur des thématiques sur lesquelles ces sociétés n’étaient pas forcément si enclines à collaborer, a créé la base d’une force française relativement efficace dans l’organisation des projets et la définition des feuilles de route. A mon sens, l’ONERA a toute sa place dans le CORAC ; il y participe de plus en plus, notamment pour intégrer au sein des feuilles de route la partie la plus amont. La mise en commun des réflexions et l’habitude d’un travail commun plutôt en confiance a été ressenti de façon très positive par les acteurs de la filière aéronautique. La mise en place du CORAC, antérieure à l’arrivée du PIA, a permis que les projets proposés dans le cadre du PIA soient déjà des projets mûris, réfléchis, résultats de compromis entre les industriels et procédant d’analyses de ce qu’il était nécessaire de faire – la seule réserve de l’ONERA étant que les industriels les ont construits sous forme de plateformes à vocation plutôt technologique ? avec un horizon plus court-termiste que ce que l’ONERA aurait fait en tant qu’établissement de recherche.

M. Patrick Hetzel, rapporteur. Vous avez décrit le processus de façon séquentielle. Mais si, dans le prolongement du rapport Juppé-Rocard, l’objectif poursuivi par le PIA était de fournir une impulsion d’un Etat stratège, il était aussi de veiller à ce que la France, aujourd’hui, en 5e ou 6e position mondiale sur ce secteur, selon les cas de figure, ne décroche pas en termes d’agilité, d’innovation, de recherche et de compétitivité par rapport à de nouveaux arrivants de plus en plus présents. Par conséquent comment percevez-vous les choses en termes de temps ? Y a-t-il eu un effet de ralentissement, d’accélération ou bien encore l’effet du PIA a t-il été neutre dans ce domaine ?

M. Thierry Michal. Mon expérience de terrain m’amène à considérer que des projets de l’ampleur d’EPICE ou de l’avion composite n’auraient pas pu être menés dans un délai aussi resserré en s’appuyant sur les seuls financements, récurrents et annuels, dévolus à la DGAC – et ce même dans ses années les plus fastes. En poussant les industriels à créer des co-projets et en leur donnant la possibilité d’acquérir des habitudes de travail en commun, au lieu de conduire des actions plus limitées, où un industriel allait discuter seul avec la DGAC, le PIA a vraiment créé un effet de masse. Ces nouvelles habitudes de travail ont permis le développement d’analyses plus collégiales pour la mise en évidence des priorités, et donc la définition, au niveau du CORAC, du besoin d’utilisation des financements issus de la DGAC, même si ensuite, bien entendu, chacun fait ses propres propositions à la DGAC.

Il y a vraiment, désormais, une véritable action, tout à fait efficace, d’animation de la filière, en particulier pour sa R&T, sous l’égide du CORAC. Par l’importance des moyens qu’il a octroyés d’un seul coup, le PIA a indéniablement créé un effet de levier en ce sens.

M. Bruno Sainjon. Je voudrais maintenant aborder le volet de la valorisation.

Lors de son audition, M. Patrick Gandil n’a quasiment cité l’ONERA à propos de la mise en œuvre des projets du PIA 1 que lorsqu’il a évoqué l’équipe de programme mixte. En revanche, lorsqu’il a abordé la valorisation, il a indiqué que l’aéronautique présentait, dans ce domaine un paysage très fédéré, qu’il fallait préserver, avec un acteur central, l’ONERA.

Non seulement l’ONERA est labellisé Carnot – il n’est pas le seul à l’être dans le secteur aéronautique – , mais, dans le cadre de l’action initiée en 2012 sous l’égide du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche pour mieux fédérer le réseau Carnot, il a l’intention de se positionner comme leader et chef de file de la partie aéronautique de ce réseau.

Sur les SATT, je crois que la bonne approche consiste à être pragmatique, en fonction de la dynamique que l’intervention d’une SATT peut apporter à la maturation d’un projet. Le conseil d’administration de l’ONERA a ainsi récemment autorisé une concession de licence en s’appuyant sur la SATT de Toulouse, en considérant que celle-ci était sûrement l’outil le plus actif dans la région toulousaine pour porter le projet qui lui était présenté.

M. Patrick Hetzel, rapporteur. La mise en œuvre des projets du PIA dans le secteur aéronautique a-t-elle eu une influence sur la recherche duale ?

M. Bruno Sainjon. En aéronautique, la recherche est essentiellement duale ! Cela dit, la présence de la DGA dans la boucle de la sélection et de la conduite des projets du PIA est sûrement la meilleure garantie pour la Défense que ses préoccupations, d’ordre aussi bien technique qu’industriel, sont bien prises en compte. Ainsi, des discussions sont actuellement en cours sur le X4 entre l’industrie et l’équipe mixte, et notamment la DGA, pour des raisons d’ordre industriel, relatives plus précisément à la place à donner au sein du projet à des industriels non français par rapport à Thales et à Sagem.

M. le président Alain Claeys, rapporteur. Souhaitez-vous aborder plus en détails les programmes ?

M. Bruno Sainjon. Nous avons déjà évoqué l’A350 et le X4. Il ne reste dès lors que le TPH de Turbomeca. Le document que nous vous avons remis le décrit. Ce projet est actuellement soumis à la Commission européenne.

M. Thierry Michal. Notre fonction d’opérateur inclut une activité finançable au même titre que les frais de gestion, qui est une activité technique d’évaluation, en particulier des bénéfices environnementaux. Il s’agit de déterminer dans quelle mesure les éléments développés dans le cadre des plateformes financées par le PIA apportent un bénéfice environnemental. L’évaluation n’est pas facile : il faut en effet faire la part des choses entre ce qui aurait existé sans le PIA et ce qui existe grâce au PIA. L’ONERA a déjà mené une évaluation de ce type : nous avons en effet été responsables du projet d’évaluation technologique Technology Evaluator au sein du programme européen Clean Sky qui vise à développer des technologies permettant de réduire l’impact du transport aérien sur l’environnement. Nous avons donc développé dans les années 2005-2009 une plateforme d’évaluation, et nous comptons bien outiller l’évaluation que nous effectuerons dans le cadre du PIA sur la base de cette plateforme. Cette évaluation présente aussi une difficulté liée à la garantie de la confidentialité des résultats et des avancées industrielles, que chaque industriel veille à ne pas voir mis sur place publique. L’ONERA, notamment de par son habitude de traiter des problématiques de défense, a la capacité à gérer cette confidentialité et cette sécurité des informations. Nous souhaitons donc être chargés de cette évaluation ; nous l’avons de nouveau indiqué lors du dernier comité de pilotage. Maintenant que de premiers résultats ont été obtenus, il est temps de la lancer.

M. Bruno Sainjon. Monsieur le président Monsieur le rapporteur, l’ONERA vous accueillera avec plaisirs dans ses locaux si vous souhaitez constater de visu la richesse de ses savoir-faire, de ses outils et, surtout, de ses personnels.

M. le président Alain Claeys, rapporteur. Messieurs, nous vous remercions.