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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mission d’évaluation et de contrôle

Les chambres consulaires, leurs missions et leurs financements

Mercredi 4 mars 2015

Séance de 14 heures 

Compte rendu n° 2

Présidence de M. Olivier Carré, président

– Auditions, ouvertes à la presse, de M. André Marcon, président de CCI France, M. Pierre Goguet, président de la CCI de Bordeaux, président de la commission des finances de CCI France, Mme Judith Jiguet, directrice générale de CCI France, et M. Bernard Falck, directeur général délégué à CCI France.

Mme Catherine Vautrin, présidente, rapporteure. Nous avons souhaité recevoir les chambres de commerce et d’industrie (CCI) dès le début de nos travaux. Notre mission nous donne l’occasion de faire le point sur leurs financements après les mesures de la dernière loi de finances, sur leurs missions, dont les contours devront être pris en compte au vu du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), et sur l’organisation du réseau lui-même, dont la régionalisation a été décidée en 2010.

M. André Marcon, président de CCI France. Je vous remercie de votre invitation, à laquelle nous sommes sensibles. Nous avons le souci que la mission agisse avec objectivité et efficacité, tant pour le réseau des chambres que pour l’appui aux entreprises sur le territoire.

Certains pensent que les élus nationaux sont des apparatchiks. Je suis un territorial de souche. J’ai créé et repris un certain nombre de petites entreprises, et je suis maire d’un petit village de montagne qui compte 240 habitants. J’ai présidé la CCI du Puy en Velay/Yssingeaux, puis la chambre régionale de commerce et d’industrie (CRCI) d’Auvergne, elle aussi de petite taille, avant d’exercer la présidence de CCI France. Pierre Goguet, qui m’accompagne, est chef d’entreprise dans le domaine de l’expertise comptable.

CCI France représente 4 800 élus bénévoles répartis sur l’ensemble du territoire et 26 000 collaborateurs qui défendent les intérêts de 2,5 millions d’entreprises.

Le réseau des CCI se modernise à bas bruit. Toutes les initiatives individuelles territoriales ne remontent pas à la surface et il n’entre pas dans les habitudes des consulaires de les faire connaître. Cependant, et contrairement à ce que prétendent certaines caricatures, voilà deux ans que notre réseau a fait de sa modernisation une priorité. En 2013, il a adopté une « Démarche de progrès » qui trace les lignes de sa réorganisation. Fin 2014, il a voulu aller encore plus loin, en adoptant le projet de la « CCI de demain ». Les chambres seront connectées, pour répondre vingt-quatre heures sur vingt-quatre aux besoins des entreprises. Elles seront collectives, c’est-à-dire moins axée sur le « faire » que sur le « faire avec » et seront réactives, faisant preuve de souplesse et d’adaptabilité.

Le réseau consulaire poursuit sa rationalisation. La loi de 2010 l’a modifié considérablement en l’engageant dans un processus de rationalisation, de régionalisation et de mutualisation. Cela n’a pas été sans difficulté. On ne passe pas d’un coup de baguette magique de 150 employeurs à vingt-deux, et toutes les réformes de structure ont un coût pendant leurs premières années d’application.

Avant 2017, donc en deux mandatures, nous passerons de 150 CCI territoriales à moins d’une centaine. Nous avons souvent anticipé les évolutions des collectivités territoriales. Ainsi, depuis la loi de 2010, nous organisons une double élection territoriale et régionale, comme celle qui sert à désigner le conseiller territorial. Nous soutenons aussi l’émergence des CCI métropolitaines et constatons la volonté de fusion entre les deux CCI de région normandes.

Avec le ministre Emmanuel Macron et la secrétaire d’État Carole Delga, nous travaillons sur de nouvelles mesures législatives et réglementaires qui permettront d’adapter le réseau à la réforme territoriale en cours de discussion et de l’engager dans une nouvelle étape de réforme. Notre assemblée générale du 24 février a validé à une majorité de 76,6 % notre feuille de route pour sa réorganisation.

Dès la prochaine mandature, fin 2016, nos chambres de commerce et d’industrie régionales (CCIR) correspondront aux nouvelles régions. Des dizaines de CCI devraient fusionner par décision des élus sans pour autant renoncer à l’exigence d’un service de proximité pour les entreprises, qui est inscrit dans notre ADN.

Notre réseau s’est professionnalisé. Depuis la réforme de 2010, il s’est doté d’outils nationaux qui constituent autant d’avancées. Il a élaboré une stratégie nationale via le pacte de confiance et le contrat d’objectifs et de performance. Il a consolidé, grâce au « cube », les données relatives aux finances et à l’activité de l’ensemble du réseau. Il a mis en place un système commun de gestion comptable. Il a conforté l’identité commune, en adoptant un logo commun à toutes les CCI. Il a adopté des normes d’intervention. Il a mis en place un système d’information et de gestion des ressources humaines (SIRH). Enfin, il a doté le personnel d’un nouveau statut national, pour l’élaboration duquel nous aurions souhaité davantage de soutien de la part de la tutelle…

Le réseau des CCI est fier de ce qu’il apporte aux entreprises. Il tente de mener à bien les missions identifiées par la loi de 2010. C’est dans ce cadre que les CCI s’organisent pour répondre aux attentes des entreprises. Les futures conventions d’objectifs et de moyens, signées dans les territoires avec les préfets de région, devraient confirmer ces missions.

Le réseau s’est engagé dans un processus d’évaluation. Le contrat d’objectifs et de performance a proposé, pour évaluer l’action des CCI en toute transparence, des indicateurs de performance et d’activités sur lesquels nous n’avons toujours pas de retour de notre tutelle.

Les résultats contribuent à répondre aux défis que notre pays doit relever en matière de croissance et d’emploi. Chaque année, nous accompagnons 160 000 porteurs de projets de création d’entreprise, nous formons 100 000 apprentis, ce qui fait des CCI le premier formateur de cette voie d’excellence, et nous accompagnons près de 7 000 entreprises à potentiel avec de nouveaux projets d’export.

Notre réseau, qui est le deuxième formateur de France après l’éducation nationale, continue à gérer des équipements essentiels à l’attractivité des territoires. Cosignataire de près de 2 000 conventions et contrats avec les collectivités locales, il veut aller plus loin dans le « faire avec » en systématisant le conventionnement régional.

Le réseau plaide aussi pour une trajectoire d’économies réaliste et équitable. Je me dois de rappeler que le réseau des CCI ne coûte pas cher aux entreprises. La taxe pour frais de chambres consulaires (TFC) représente à peine plus de 400 euros par entreprise, et cette moyenne cache de fortes disparités. La TFC est en effet un outil de péréquation au profit des TPE-PME : ce sont les grandes entreprises qui contribuent le plus à cette ressource fiscale, qui bénéficie en priorité aux petites entreprises sous la forme de services d’accompagnement.

Les CCI ont toujours considéré qu’elles devaient participer à l’effort collectif de redressement budgétaire, mais le Gouvernement n’a pas retenu les propositions qu’elles ont formulées l’an dernier à cet effet.

En ce qui concerne le prélèvement de 500 millions d’euros opéré en 2015 sur fonds de roulement, nous nous devons d’accepter la décision du Parlement. Nous constatons cependant qu’il s’agit d’un prélèvement sur les fonds propres destinés aux investissements. Sur la méthode, nous avions demandé un délai de deux mois, qui nous a été refusé, pour étudier la répartition la plus équitable.

Comment croire qu’en 2015, la baisse de 20 % de la TFC n’aura d’impact ni sur le service rendu aux entreprises, ni sur notre engagement pour développer l’apprentissage, ni sur notre personnel ? Aucun acteur public n’a connu une telle baisse de ses dotations, et celle-ci ne permet pas de reconstituer les fonds propres indispensables à l’investissement.

Nous avions plaidé pour une baisse normale et équitable de nos ressources, qui pèse moins sur nos actions au service des entreprises, et n’obère pas totalement les investissements dans les territoires. Nous l’avons fait entendre cet automne lors de l’examen de la loi de finances pour 2015. L’Assemblée nationale semble avoir partagé nos convictions, puisqu’elle a voté à deux reprises – en première et en deuxième lecture – une baisse maîtrisée des ressources des CCI, mais le Gouvernement a refusé tout compromis, préférant passer en force.

Aujourd’hui, le réseau est à nouveau debout, et décidé à aller de l’avant. Il est dirigé par des chefs d’entreprise qui ont l’habitude de s’adapter et de se remettre en cause. Des pistes intéressantes figurent dans le rapport sénatorial de l’an dernier. Elles visent à garantir une visibilité pluriannuelle sur la ressource fiscale des CCI, à renforcer la tête de réseau CCI France et à généraliser les conventionnements entre CCIR et régions. C’est un message que nous avons entendu.

D’autres mesures législatives et réglementaires sont nécessaires pour mieux formaliser l’esprit de la loi de 2010 et son adaptation à la loi NOTRe.

Enfin, d’autres pistes méritent d’être ouvertes sans tabou, comme le rapprochement, voire la fusion entre CCI et chambres de métiers et de l’artisanat. Sur ce sujet, seul l’intérêt des entreprises doit être pris en compte.

En conclusion et pour répondre en quelques mots à la question qui a motivé l’audition : oui, la réforme de 2010 est difficile à mettre en musique – on ne passe pas sans casser d’œufs d’un système indépendantiste séculaire à un système collectif régional – ; oui, il y a toujours des tensions çà et là entre le niveau territorial et le niveau régional, voire le réseau national. Mais notre réseau peut être fier du chemin parcouru, de ses projets et de sa volonté de s’adapter toujours mieux aux besoins comme aux contraintes des entreprises et des territoires.

Les élus chefs d’entreprises bénévoles qui consacrent une belle partie de leur temps au service de l’économie doivent à ce titre être respectés. On doit conserver les moyens financiers qui leur permettent d’assumer leurs missions définies par la loi.

Mme Monique Rabin, rapporteure. Identifiez-vous une marge d’amélioration de votre réseau ? Lors de l’Assemblée générale du 24 février, au cours de laquelle la réforme tendant à créer la « CCI de demain » a été approuvée, vous avez notamment proposé des actions permettant d’améliorer votre rapport à la tutelle. Votre rôle consiste à animer le réseau, dont les chambres de commerce et d’industrie territoriales (CCIT) ou régionales n’ont pas toujours l’impression de faire partie. Ce modèle vous satisfait-il ou souhaitez-vous que le législateur accompagne certaines évolutions ?

M. André Marcon. Les difficultés que nous pouvons rencontrer ne proviennent pas d’une absence de force du niveau national. Notre organisation est indépendantiste, comme le sont les communes. Chaque CCI vote ses propres ressources et ne rend compte de ses actions qu’à la tutelle. Cependant, la loi de 2010, que nous approuvons, nous prescrit de renoncer à une pratique séculaire et d’adopter une organisation régionale. Il est normal que certains grincements – dus à la culture, aux hommes, aux habitudes – se fassent entendre.

Tout en conservant à chaque chambre territoriale l’initiative individuelle sur son territoire, ainsi que le droit de contractualiser, qui a produit les bonnes pratiques du réseau, nous souhaitons coordonner davantage le service aux entreprises, en sachant que celui-ci ne sera jamais parfaitement homogène dans l’ensemble du pays.

La loi de 2010 a installé le niveau régional comme niveau de décision stratégique, mais elle n’est pas allée jusqu’au bout de ce principe. Si elle a souhaité qu’un schéma directeur soit appliqué aux chambres, elle ne l’a pas rendu prescriptif, puisque sa mise en place peut être compromise par l’opposition d’une seule chambre, au sein d’une région qui en regroupe une dizaine. Une adoption à la majorité des deux tiers serait plus raisonnable.

Par ailleurs, la loi a proposé de mutualiser les fonctions support. Nous pensons qu’il faut aussi mutualiser les services à l’intérieur d’une région. Faute d’être prescriptif, le texte a été interprété partout différemment. La volonté centralisatrice de certains élus, qui veulent que tout remonte vers la région, s’est heurtée à la volonté indépendantiste des autres, qui souhaitent que chaque chambre conserve une partie des services.

Contraint de travailler, en tant que maire, avec la communauté de communes, je sais de ce que signifie apprendre à vivre ensemble. Il est déjà beau que nous soyons parvenus à accomplir aussi vite des progrès considérables. Pour la gestion des ressources humaines, nous nous sommes dotés d’un logiciel unique dont dépendent 30 000 collaborateurs, préretraités inclus, répartis sur tout le territoire. La mesure votée en 2011 s’est appliquée le 1er janvier 2015, sans qu’il y ait ni bug ni mouvement social. Le réseau sait réagir, quand les systèmes sont bien mis en place.

Chaque chambre avait une comptabilité propre, qu’elle ne souhaitait pas toujours partager avec les autres. Le « cube » permet désormais une lecture consolidée et centralisée des comptes, qui nous permet de nous comparer utilement. De telles évolutions sont intervenues en quatre ans.

En 2017, c’est sur « CCI de demain » que porteront nos efforts. Les chambres d’hier, individualistes, étant remises en cause par la nouvelle organisation territoriale et les nouveaux entrants de l’économie, nous devons limiter les doublons, d’où la connexion, la réactivité et le « faire avec ». Nous déclinerons ces concepts dans des opérations pragmatiques.

L’enjeu de l’assemblée générale du 24 février était d’améliorer la loi de 2010 et de nous positionner dans les nouvelles régions de 2017. Nous avons voté un schéma directeur et un schéma organisationnel prescriptifs. Nous avons supprimé le plafond de 40 % d’élus des CCIT siégeant à la CCIR. En ce qui concerne l’infradépartemental, nous avons décidé que toute chambre de plus de 10 000 ressortissants est suffisamment importante pour conserver le statut de CCIT. Par ailleurs, nous accordons à toutes les CCIT la possibilité d’appliquer les mesures que la loi avait prévues pour les CCI départementales d’Île-de-France. Nous étendons ainsi les bonnes pratiques imaginées par les élus du terrain.

M. le président Olivier Carré. Pourquoi souhaitez-vous que la loi rende prescriptifs des actes qui pourraient relever de votre seule volonté ? Vous êtes des chefs d’entreprise, responsables et habitués à vous adapter. Pourquoi vouloir en laisser l’initiative au législateur ?

Mme Catherine Vautrin, rapporteure. En 2010, dans un but de rassemblement et de conciliation, nous avons cherché le plus petit dénominateur commun. Je suis heureuse de vous entendre dire aujourd’hui que la loi n’est pas allée assez loin. C’est le signe que vous avez envie d’avancer.

Mme Rabin vous a interrogé sur le lien entre le local et le national, qui ne joue pas le rôle de tutelle. Pour ma part, j’aimerais connaître le lien financier entre le terrain et CCI France.

M. André Marcon. Avant 2010, nous jouissions d’une totale liberté, que la loi a réduite, pour la bonne cause. Désormais, le budget de chaque chambre est déterminé au niveau régional. Je me suis efforcé de persuader les chefs d’entreprise qu’il fallait être encore plus vertueux, et aller encore plus loin que ne le demandait la loi. Cependant, on ne peut nier le principe de réalité. Dès lors que nous sommes un établissement public, il faut que la législation évolue si nous voulons avancer sur certains points, par exemple réunir toutes les CCI du Nord en une seule. D’autre part, l’adoption des schémas directeurs et sectoriels doit être davantage encadrée, afin que le système ne puisse être grippé par l’opposition d’un seul.

C’est par souci d’efficacité, parce qu’ils sont conscients qu’il faut prévoir des garde-fous, que les membres du réseau ont voté à 76 % les mesures que j’ai préconisées. Quand deux CCI ne sont distantes que de dix kilomètres, elles doivent respecter une certaine discipline, même si chaque élu représente la communauté des entreprises. Nous ne proposons pas le Grand soir, mais nous n’avancerons utilement que si l’on modifie la législation, d’autant que, lorsqu’un élu propose une évolution non prévue par la loi, notre tutelle ne lui donne jamais gain de cause.

M. Pierre Goguet, président de la CCI de Bordeaux, président de la commission des finances de CCI France. Le budget que CCI France établit en fonction de ses ressources et de ses objectifs accuse depuis trois ans une baisse annuelle de 5 %. L’an dernier, il s’est établi à 29 millions. Notre effectif est passé de 180 personnes à 160. Le budget est soumis à une commission des finances, puis voté poste par poste par l’assemblée générale. Il est ensuite précompté aux CCIR, qui acquittent ainsi leur contribution nationale.

Mme Catherine Vautrin, rapporteure. Sur quelles bases les CCIR le votent-elles ?

M. Pierre Goguet. Sur la base de la TFC. Leur contribution dépend de leur poids économique, mesuré par la pesée. Celle-ci, qui n’a pas été actualisée depuis 2010, le sera prochainement en vue de la préparation des prochaines élections. CCI France n’exerce pas de pression particulière, mais le réseau attend que nous réduisions notre budget, ce qui peut nous mettre en défaut sur des missions nouvelles. Toutefois, en cas de besoin, une action ponctuelle peut faire l’objet d’un vote spécifique. La mise en place du logiciel de paie, généralisé dans toute la France, a été financée par une enveloppe dédiée, hors budget global, et fait l’objet d’un suivi spécifique.

La commission des finances réunit des représentants de quasiment toutes les régions. Ses membres sont des professionnels, qui se montrent extrêmement actifs. Depuis l’origine, nous n’avions jamais bénéficié d’un outil de pilotage aussi complet. La commission des finances soumet à l’assemblée des propositions de normes. L’an dernier, notre pilotage était fondé sur quarante indicateurs d’activité concernant toutes les chambres. Cette année, leur nombre dépasse quatre-vingts. Il augmentera encore l’an prochain.

Nous suivons ainsi l’activité de toutes les chambres dans leur volume et dans leur détail, ce qui nous permet de comparer leurs performances. Le « cube » constitue les agrégats financiers. Le suivi des indicateurs concerne non seulement les chambres mais les organismes associés – associations et filiales –, ce qui nous permet une vision consolidée, puisque le plus important ne se produit pas nécessairement dans la chambre elle-même.

D’ores et déjà, nous sommes capables d’évaluer l’effet qu’aura, fin 2015, sur le fonds de roulement des chambres, le prélèvement de 500 millions voté dans la loi de finances. Nous avons également imposé en commission des finances la mise en place de plans pluriannuels d’investissement (PPI). Le programme est normé. Nous connaissons le programme de financement et d’investissement sur cinq ans au niveau régional et national. En somme, notre tableau de bord nous permet de savoir à quelle vitesse roule la voiture, jusqu’où elle peut aller et de combien de carburant elle dispose.

Mme Catherine Vautrin, rapporteure. Quel sera l’impact du prélèvement de 500 millions, voté dans la loi de finances ?

M. Pierre Goguet. Les prélèvements ont été calculés sur les comptes de 2013. Depuis deux ans, deux prélèvements ont été effectués, et une baisse de la TFC est intervenue. Quelque 140 chambres, dont les plus importantes, ont répondu sur la situation de 2015 après prélèvement. Le fonds de roulement pondéré du poids relatif de chaque chambre s’établira alors à 37 ou 38 jours, contre près de 180 en 2013. Ce montant intègre la suite des évolutions déjà amorcées, les remboursements d’emprunts déjà contractés et quelques investissements déjà engagés, la plupart des autres ayant été suspendus.

Mme Catherine Vautrin, rapporteure. Avez-vous évalué le montant des projets qui ont été arrêtés ?

M. Pierre Goguet. Le train d’investissement global était compris entre 500 et 600 millions par an. Ce montant a été au moins divisé par deux. Cependant, les investissements déjà lancés se poursuivent, ce qui crée un effet ciseaux pour beaucoup de chambres dont la trésorerie a été prélevée.

Ma CCI avait lancé des appels d’offres, en lien avec l’État, sur des projets importants. Il a fallu revoir le préfet pour savoir si la réduction de notre capacité de remboursement nous permettrait de les poursuivre.

M. André Marcon. Il y a cinq ans, la CCI du Puy-de-Dôme avait acquis des terrains pour réaliser un nouveau campus. On lui a prélevé 16 millions qu’elle avait économisés peu à peu et qu’elle destinait au projet – ce qui l’a obligée à renoncer. Brest, en revanche, a pu réaliser le sien, car l’investissement destiné au campus des métiers avait été provisionné en 2012, et que les travaux avaient commencé en 2013.

Par précaution, certaines CCIR avaient mis en place en 2013 un fonds de péréquation qui permettait une mutualisation régionale. Après le passage du couperet, il n’est plus possible d’utiliser ce dispositif, qui aurait pourtant été fort utile.

M. Pierre Goguet. À l’issue de l’enquête qui nous a permis de calculer les trente-sept ou trente-huit jours de trésorerie restant, nous avons identifié vingt-neuf CCI, notamment dans le Languedoc-Roussillon, qui prévoient avant la fin 2015 une impasse de trésorerie, c’est-à-dire une impossibilité d’effectuer des paiements à échéance.

Mme Monique Rabin, rapporteure. Dans un souci de clarification, il serait bon que vous nous adressiez un récapitulatif de la situation réelle. J’ai beaucoup travaillé avec le Gouvernement pour trouver un espace de dialogue. Il était difficile d’obtenir des CCI des chiffres exacts, établis en fonction des mêmes critères sur tout le territoire. Je me réjouis des avancées accomplies par CCI France pour nous donner une information plus juste.

Je me souviens du cas de la CCI du Puy-de-Dôme, dont le fonds de roulement se montait à 18 millions, et dont les élus avaient défendu un important projet en matière de formation. Le groupe de travail souhaitait épargner ce type de chambre. J’apprends que cela n’a pas été fait. Une information plus détaillée nous permettra de travailler en confiance.

M. le président Olivier Carré. Il nous faudrait un tableau détaillé, précisant le montant de l’actif global, du prélèvement, de la trésorerie et du coût de chaque projet. Par exemple : « campus prévu : 25 millions, dont 16 millions d’apports ; remis en cause du fait du prélèvement. » Nous disposerions ainsi d’une vision exhaustive et factuelle de son impact.

M. André Marcon. Nous vous transmettrons ces chiffres, mais la mise en place du « cube » nous a demandé beaucoup de temps. Nous avions réclamé deux mois pour étudier la meilleure façon de répartir le prélèvement, car le fait que le couperet tombe en 2012 ou en 2013 crée nécessairement des gagnants et des perdants. Le raisonnement consistant à maintenir les investissements d’avenir déjà fléchés n’est pas mauvais. Malheureusement, Clermont venait seulement de lancer l’appel à concours d’architectes. Je pourrais citer d’autres exemples comparables.

Mme Catherine Vautrin, rapporteure. Quels sont les rapports entre les CCI et leur tutelle ? Quels sont les éléments qui fonctionnent et ceux qui vous empêchent d’avancer ?

M. André Marcon. Nous regrettons que la tutelle, très sollicitée, n’assume pas toujours sa responsabilité. Les chambres avaient l’habitude de remonter directement à Bercy quand elles avaient des états d’âme sur un sujet. Lorsque nous formulons une proposition pour faire avancer le réseau, la tutelle cite toujours un endroit où la mesure a mal fonctionné. On se souvient de l’opération emblématique des chalutiers de Cherbourg, menée avec les collectivités territoriales. Si celle-ci a échoué, ce n’est pas du fait de la CCI. On se rappelle aussi ce qui s’est passé en Guyane.

Veut-on un autre exemple ? Lors du passage en chambre paritaire régionale (CPR) d’un texte relatif au dialogue social, une organisation syndicale s’est opposée à un règlement intérieur que nous avions négocié avec les deux autres. Alors que trois partenaires sur quatre étaient d’accord, la tutelle a mis plus de trois mois à rendre sa réponse, reculant systématiquement la date de la commission paritaire nationale, ce qui nous a fait perdre un temps précieux.

La négociation paritaire se joue entre trois parties : employeurs, salariés et tutelle. Statutairement, celle-ci ne prend pas part au vote, mais convoque la réunion et effectue le relevé de décisions. Elle a donc la possibilité de tout empêcher. J’ajoute que sa position n’est pas toujours claire sauf sur certains points – nous savons par exemple qu’elle est défavorable à l’augmentation du point. Cette incertitude freine le travail remarquable des organisations syndicales et des présidents. Certes, depuis quelques mois, nous avançons sur certains sujets, mais, en règle générale, nous aimerions que la tutelle fasse plus de cas des 76 % qui ont voté la « CCI de demain » que de ceux qui se plaignent de manquer d’indépendance.

Mme Monique Rabin, rapporteure. Notre mission porte non seulement sur des CCI mais aussi des chambres d’agriculture et des chambres de métiers et de l’artisanat (CMA). Quels liens entretenez-vous avec ces dernières ? D’autre part – pardon si cette question vous dérange –, quelle est votre légitimité auprès des entreprises, sachant que la participation aux élections ne dépasse pas 20 % ? Cette légitimité doit-elle être renforcée ? Enfin, quelles relations aurez-vous demain avec les régions ?

M. André Marcon. Je suis le militant de l’interconsulaire. J’ai notamment présidé l’interconsulaire du Massif central, réunissant CCI, CA et CMA. Dans les territoires, la collaboration se passe toujours bien, en dépit d’inévitables conflits humains. C’est au niveau national que les réseaux se séparent, ce qui est regrettable. On réaliserait des économies en travaillant davantage ensemble, d’autant que la moitié des ressortissants des chambres de métiers sont également ressortissants des CCI.

M. le président Olivier Carré. Et ils paient la double cotisation.

M. André Marcon. Les TPE paient une cotisation plus élevée à la CMA qu’à la CCI, puisqu’elles ne sont pas soumises à la taxe additionnelle sur la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Nous serions plus forts si nous réunissions nos moyens.

Votre question sur notre légitimité ne me dérange pas. Le taux de participation de 20 % des inscrits n’a rien de surprenant. Les scrutins portent souvent sur une liste unique, qui a été préparée, ce dont nous nous félicitons. Si les électeurs ne participent pas à certaines élections, c’est qu’ils sont satisfaits du résultat. Moi-même, je ne vote jamais pour désigner mes représentants à ma mutuelle d’assurance, car je considère qu’elle fonctionne bien. La faible participation est un hommage au travail des équipes, qui, lorsqu’elles proposent ensemble un vrai projet au service des entreprises et des territoires, prennent le risque de diminuer le nombre d’électeurs potentiels.

M. Olivier Carré. À cette nuance près que vous n’êtes pas un syndicat.

M. André Marcon. En effet ! Nous sommes élus par l’ensemble des entreprises.

Mme Catherine Vautrin, rapporteure. Concrètement, comment pensez-vous faire progresser l’interconsulaire ?

M. André Marcon. Soyons pragmatiques : il faut avancer chantier par chantier. Dans le Massif central, nous avons commencé par l’aménagement interrégional, en liaison avec l’Europe. Nous devions nous unir pour réussir à bâtir des conventions entre l’Europe, l’État et la région. Pour faire avancer les dossiers, les agriculteurs ont des moyens de contrainte supérieurs aux nôtres. Nous avons développé des actions dans le cadre du Fonds européen de développement régional (FEDER), du Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) et du Fonds européen d’orientation et de garantie agricole (FEOGA). De même, nous avons conduit des projets avec les chambres de métiers, notamment sur les filières bois, mécanique et pierre, la filière bois concernant aussi les agriculteurs. À mon sens, toute alliance commence par un projet. Quand on a commencé à travailler ensemble, se fédérer ou fusionner ne pose plus de problème.

M. Pierre Goguet. Il faut appliquer le principe de subsidiarité : le projet doit être porté par celui qui possède le plus de crédibilité et d’expertise. Dans la région Aquitaine, nous avons construit autour de l’international une équipe commune avec le conseil régional. En la matière, le réseau consulaire a peut-être plus de ressources et d’expertise que la région. Autour de l’innovation, en revanche, c’est sans doute le conseil régional, avec l’agence ADI (Aquitaine développement innovation), créée par le président de région Alain Rousset, qui est le plus compétent. Nous nous reposons donc sur lui pour conduire l’opération French Tech, qui concerne beaucoup d’entreprises. La CCI, Alain Rousset et Alain Juppé travaillent ensemble pour construire de véritables packs territoriaux. C’est ainsi qu’on porte un effort territorial collectif et qu’on fait naître des solidarités.

Les managers du commerce des collectivités territoriales de la Gironde ont été formés et supportés par la CCI de la Gironde. Le réseau MANACOM apporte à des intervenants isolés le partage d’expérience et des fonctions support. Pour être crédible, il faut savoir où se trouve l’expertise et la porter collectivement. Cette position fait l’unanimité, ce qui explique que nous trouvions beaucoup de collaborations, parfois sur des microprojets.

Les alliances peuvent aussi être interrégionales. Bordeaux et Marseille, dont l’école de commerce n’avait pas la taille critique pour attirer 60 % d’étudiants étrangers, ont créé conjointement la Kedge Business School, qui figure parmi les dix premières écoles de commerce. Sur un projet avec le Québec, Bordeaux s’est rapproché de Nantes, qui était en avance. Il faut encourager le plus possible cet esprit, qui est celui des pôles de compétitivité. La disparition des carcans qui empêchent d’agir est la source de la créativité.

M. le président Olivier Carré. Je vous remercie pour cette belle conclusion.