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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mission d’évaluation et de contrôle

Les chambres consulaires, leurs missions et leurs financements

Mercredi 6 mai 2015

Séance de 14 heures 15

Compte rendu n° 12

Présidence de Mme Monique Rabin et de Mme Catherine Vautrin, rapporteures

– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant des représentants des chambres de métiers et de l’artisanat : M. Yves Petitjean (Aquitaine), M. Pierre Cormorèche (Ain), M. Serge Crabié (Midi-Pyrénées), Mme Brigitte Geoffriault (Midi-Pyrénées), M. Gérard Morin (Centre), M. Jean-Pierre Freudenreich, (Centre), M. Joël Fourny (Loire-Atlantique), M. Philippe Seguin (Pays de la Loire), M. Dominique Klein (Moselle), M. Dominique Degois (Bourgogne), et M. Paul-Henri Bard (Franche-Comté)

Mme Monique Rabin, rapporteure. La crise ouverte lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2015 a montré qu’un dialogue approfondi devait être engagé avec les chambres consulaires. Au-delà des perspectives budgétaires, il s’agit, dans le cadre de cette mission, de se pencher sur les réformes à entreprendre, sur les souhaits des élus, ainsi que sur la valorisation de leurs actions. Malgré le contexte budgétaire et la réduction des dépenses publiques qui devrait encore se poursuivre dans le budget pour 2016, nous devons porter une grande attention à ceux qui représentent les entreprises créatrices de richesses. Cette table ronde nous permet d’accueillir les représentants des chambres de métiers et de l’artisanat dans leur diversité.

Nous vous remercions de votre présence et souhaiterions savoir comment vous avez vécu les dernières réformes. Nous sommes à l’écoute de vos propositions destinées à améliorer le fonctionnement de vos chambres.

Mme Catherine Vautrin, rapporteure. Je joins mes remerciements à ceux de ma collègue. Il nous importe de bien connaître les conséquences des décisions prises lors de l’adoption de la loi de finances pour 2015. Plus nous disposerons d’exemples concrets relatifs à ce que vous n’avez pas été en mesure de réaliser ou ce à quoi vous avez dû renoncer, plus nous serons à même d’étayer nos réflexions et nos conclusions en nous appuyant sur des faits.

M. Yves Petitjean, président de la chambre de métiers et de l’artisanat de région Aquitaine. De façon générale, les relations avec nos tutelles sont apaisées car nous sommes en phase avec elles pour défendre la proximité et les territoires. Notre ambition étant d’être au plus proche des entreprises. La modification de la carte des régions aura un impact réel sur l’activité de notre réseau. Avec le Limousin et Poitou-Charentes, l’Aquitaine appartiendra à la plus grande région de France. Cela exige de nous un travail considérable, mais nous y voyons une chance de nous doter de services support très efficaces tout en conservant une réelle proximité au niveau départemental. Demain, dans nos structures, les élus pourront avant tout s’occuper du terrain et agir auprès de leurs collègues artisans et auprès des élus politiques des divers territoires qu’il faut faire vivre. C’est sans doute encore plus une nécessité dans le monde rural que dans les métropoles qui disposent de davantage de moyens et de structures.

Nous devons relever un véritable défi pour conserver voire créer des emplois et inciter les jeunes à se former à nos métiers. Les entreprises artisanales ont toujours formé les nouvelles générations et aidé les jeunes en difficulté. La situation de ces derniers est souvent meilleure quand ils sortent de chez nous parce que nous avons fait naître chez eux l’envie d’un métier.

Ces missions suffiront à occuper les élus que nous sommes ainsi que nos collaborateurs. Les compétences techniques de ces derniers sur lesquelles nous nous appuyons sont particulièrement essentielles dans cette période de mutation qui nécessitera beaucoup d’habileté pour transformer notre système de gouvernance et en diminuer le coût tout en respectant les personnels en place. Nous devrons proposer à ces derniers un plan pour leur carrière, et il nous faudra traiter l’ensemble des points les concernant. D’une façon générale, c’est un grand bonheur de pouvoir participer à une telle évolution.

Mme Catherine Vautrin, rapporteure. Vous évoquez la tutelle avec laquelle vous entretenez d’excellentes relations : pensez-vous à l’assemblée permanente des chambres de métiers et de l’artisanat (APCMA) ou aux services de l’État ?

M. Yves Petitjean. Je faisais référence à la tutelle directe, c’est dire aux préfets et aux directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE). Cela dit, j’aurais mauvaise grâce à ne pas faire le même constat s’agissant de nos relations avec l’APCMA dont je suis vice-président !

M. Pierre Cormorèche, président de la chambre de métiers et de l’artisanat de l’Ain. L’Ain compte 650 000 habitants. De très nombreuses entreprises petites et moyennes qui relèvent de l’industrie et de multiples secteurs de l’artisanat y sont actives.

Je préside la chambre de métiers et de l’artisanat de l’Ain depuis plus de quinze ans. Notre chambre a la particularité de ne pas gérer directement de centre de formation d’apprentis (CFA). Cela explique peut-être que nous nous soyons engagés au service des entreprises il y a déjà plus de vingt-cinq ans. En 1992, nous avons, par exemple, embauché un ingénieur des arts et métiers afin d’aller à la rencontre des entreprises de production pour les aider à se développer. Ce choix, qui a surpris le préfet de l’époque, constituait en fait la meilleure porte d’entrée possible dans ce type d’entreprises ; il nous a permis d’enregistrer de vrais succès et de passer des accords avec la région en matière d’innovations technologiques. Ces actions nous ont donné une légitimité en matière d’accompagnement des entreprises, activité qui ne se pratiquait pas encore. À cette période, la chambre de commerce et d’industrie avait tendance à se limiter à sa fonction régalienne. Au fil du temps, ayant constaté nos résultats, elle s’est engagée dans des actions similaires aux nôtres.

Je considère que la régionalisation mise en place par la réforme de juillet 2010 s’est traduite par une perte d’efficacité au niveau local. Même en ayant choisi le schéma qui permet aux chambres départementales de conserver un certain nombre de responsabilités, je constate qu’au niveau régional environ 90 % de notre temps est maintenant consacré à gérer les structures au lieu de travailler sur des projets d’accompagnement des entreprises. Lors de mes deux premiers mandats, avant la réforme de 2010, nous nous réunissions au niveau régional afin de mettre en route des projets pour aider les entreprises ; aujourd’hui, cela n’est plus possible. Nous ne faisons plus que gérer le quotidien.

En raison des contraintes financières, notre effectif est passé de 47 à 42 ; nous avons été dans l’incapacité de remplacer cinq personnes dont la mission consistait à aider directement les entreprises et qui ont pris leur retraite. Dans le même temps, les nouvelles charges confiées par l’État nous obligent à avoir plus de personnels se consacrant à l’exercice de fonctions régaliennes. Pour ce qui est de l’aide aux entreprises, nous sommes donc d’ores et déjà beaucoup moins performants. Dans ces conditions, comment ferons-nous dans le cadre des nouvelles régions ? Aux huit départements que compte actuellement la région Rhône-Alpes, il faudra en ajouter quatre avec ceux de l’Auvergne. La future région ira d’Aurillac à Genève en passant par Montélimar. Comment voulez-vous motiver les élus pour qu’ils s’investissent dans une telle structure ?

Mme Monique Rabin, rapporteure. Vous constatez que la CCI a suivi l’action de votre chambre. Nous avons le souci d’une harmonisation entre les activités des CCI et des CMA et nous nous demandons même s’il ne faudrait pas aller vers une mutualisation.

Le fait de ne pas gérer de CFA directement constitue-t-il une chance ? Comment les élus et les responsables que vous êtes réagissent-ils sur ce sujet ?

M. Pierre Cormorèche. Je précise que nous avons un CFA interconsulaire géré par la chambre de métiers et de l’artisanat et la chambre de commerce et d’industrie sous une forme associative.

M. Joël Fourny, président de la délégation Loire-Atlantique de la chambre de métiers et de l’artisanat de région. Les ressortissants du réseau des CMA ont la particularité d’être des entreprises de petite taille avec une spécificité artisanale dans des secteurs d’activité très diffus, qui n’ont pas les compétences nécessaires pour leur permettre un développement cohérent ni sur le volet économique ni sur le volet formation.

Je ne partage pas entièrement l’avis de mon collègue de l’Ain. La loi de juillet 2010 nous a amenés à renforcer le niveau régional. Les Pays de la Loire sont passés en régionalisation totale sous la forme d’une chambre des métiers et de l’artisanat de région (CMAR) depuis le 1er janvier 2015. Cela nous a conféré une capacité considérable grâce aux agents des cinq chambres consulaires de proximité que sont les délégations départementales. Nous pouvons proposer une offre globale de services relativement étoffée mais aussi cohérente et homogène sur tout le territoire régional grâce à la mutualisation de certains outils. Nous répondons ainsi aux attentes de 53 000 entreprises, quel que soit leur lieu d’implantation.

Nous disposons de cinq CFA qui forment 5 300 apprentis tous les ans sur l’ensemble du territoire ligérien. Notre savoir-faire en la matière est d’ailleurs largement reconnu par la région qui est notre principal partenaire financier direct et avec laquelle nous entretenons de bonnes relations. Pour notre part, nous sommes plutôt favorables à l’élaboration de contrats régionaux de développement économique (CRDE) avec la région, tant sur le volet économique que sur le volet formation. Pour les cinq CFA, nous avons d’ailleurs fait appel à un financement régional pour de futurs investissements afin de mettre aux normes les établissements et même de reconstruire l’un d’entre eux. Nous avons aussi déposé un plan d’investissement commun sur l’ensemble de la région des Pays de la Loire, en étroite collaboration avec le conseil régional, afin de bénéficier du programme d’investissements d’avenir (PIA). L’intérêt de la régionalisation est évident : séparément, il nous aurait été beaucoup plus difficile de défendre aussi efficacement nos projets d’investissement pour chaque CFA. La régionalisation a aussi permis d’harmoniser la carte des formations. Nous avons travaillé à partir de la ville centre d’Angers en construisant deux triangles, l’un avec les villes de Laval et du Mans, et l’autre avec Nantes et La Roche-sur-Yon de façon à répondre aux demandes de formation tout en ne déstabilisant pas les différents pôles de formation.

Très attachés à la proximité, les présidents de la CMAR et les présidents des délégations départementales reconnaissent aussi l’intérêt de la régionalisation. Sur le terrain, il est fondamental de contractualiser avec les collectivités locales. L’engagement au niveau régional sur le volet économique et le volet formation est important, mais il est aussi essentiel de travailler en étroite collaboration avec les autres collectivités locales et avec les intercommunalités afin d’assurer l’aménagement du territoire et de développer les outils et les actions nécessaires à chaque territoire grâce à une contractualisation spécifique, car ces derniers n’ont évidemment pas tous les mêmes besoins.

Mme Catherine Vautrin, rapporteure. À quel type de contractualisation pensez-vous lorsque vous évoquez les autres collectivités que la région ?

M. Joël Fourny. Très concrètement, les entreprises artisanales ont souvent besoin qu’on les accompagne en matière d’immobilier d’entreprise, ou pour répondre à des appels d’offres lors de marchés publics.

M. Serge Crabié, président de la chambre régionale de métiers et de l’artisanat Midi-Pyrénées. Je préside la chambre régionale des métiers et de l’artisanat de Midi-Pyrénées et je suis également président de la chambre de métiers et de l’artisanat du Lot. Nous comptons 68 000 entreprises et 115 000 salariés et nous formons tous les ans 7 000 apprentis.

Permettez-moi tout d’abord de revenir sur les propos qu’a tenus devant vous le président de l’APCMA, M. Alain Griset, lors de son audition du 11 mars dernier. Je suis totalement d’accord avec ce qu’il a dit sur l’apprentissage, sur la spécificité des chambres de métiers, sur la fiscalité et la baisse des ressources des chambres ainsi que sur l’indispensable élan de modernisation qui doit être le nôtre. Je suis en revanche en total désaccord concernant l’objectif du passage à treize chambres de région qu’il vous a présenté. Il ne s’agit pas de la position prise par la très grande majorité des présidents des chambres de métiers réunis les 2 et 3 décembre derniers. En séance, nous avons voté pour le choix offert entre chambre de métiers et de l’artisanat de région et chambre régionale de métiers et de l’artisanat. Le président de l’APCMA a d’ailleurs porté ce choix avec loyauté.

La région Midi-Pyrénées compte huit départements. Ses caractéristiques sont donc différentes des régions qui en comptent seulement trois ou quatre, d’autant que notre chambre gère sept CFA en direct, un huitième étant géré en association. Cela représente, en moyenne, cent emplois par département. Malgré la difficulté de la tâche, ces spécificités l’ont poussée à engager une mutualisation. Grâce au logiciel de l’APCMA, un gros travail a été effectué en matière de paie. Les besoins ont été analysés pour mutualiser le pôle comptabilité. Pour ce qui concerne l’informatique, du personnel a été recruté au niveau régional et des salariés ont été repris aux chambres départementales, notamment dans le Tarn. La mutualisation porte également sur les achats. Un processus s’est progressivement mis en marche qui doit permettre de mieux servir nos ressortissants tout en faisant des économies. Ces deux objectifs ne sont pas antinomiques.

Midi-Pyrénées est déjà une grande région : imaginez ce qu’il en sera lorsque nous aurons fusionné avec le Languedoc ! Il faudra faire huit cents kilomètres pour rallier les deux extrémités du territoire. Les chambres départementales devront alors constituer l’interface indispensable avec les collectivités locales et jouer un rôle à la fois politique et dynamique. Dans le département du Lot, grâce à un partenariat avec le conseil départemental, nous avons par exemple construit une plateforme pour accompagner les entreprises artisanales en matière de développement et de transmission. La participation des diverses collectivités concernées, dont le conseil régional, nous a permis d’obtenir plus de 1 million d’euros de subventions qui sont reversées directement aux entreprises. Nous ne serions jamais parvenus à un tel résultat si nous n’avions pas été présents sur le terrain.

La proximité est encore plus indispensable pour les chambres départementales qui gèrent les CFA – je suis intimement convaincu que la formation initiale des chefs d’entreprise de demain fait partie des missions essentielles de nos chambres. Elle est d’autant plus nécessaire et justifiée que la région sera grande.

Nos relations avec l’APCMA sont très bonnes, tant dans son rôle de conseil et d’animation ; il en est de même avec la tutelle.

M. Paul-Henri Bard, secrétaire général de la chambre de métiers et de l’artisanat de région Franche-Comté. M. Paul Grosjean, que je représente, présidait la plus petite chambre de métiers de France tout en étant le plus « départementaliste » de ses pairs. Aujourd’hui la chambre de métiers et de l’artisanat du Territoire de Belfort n’existe plus : elle a fusionné dans la chambre de région au 1er janvier 2015. Les élus ont décidé de cette fusion après avoir constaté que, pour faire face à la baisse des moyens, la mutualisation des fonctions support et ingénierie était la seule façon de conserver des capacités opérationnelles.

Dans les chambres, cela s’est traduit par un véritable big bang : 50 % de l’encadrement a été supprimé et les personnels concernés ont été affectés à des fonctions opérationnelles, tandis qu’étaient créés un pôle téléphonique et un centre de formalités uniques. Aujourd’hui, les artisans nous disent que cela fonctionne plutôt mieux qu’auparavant et les élus sont plutôt satisfaits.

Je partage l’analyse du président Cormorèche sur la difficulté de mobiliser les artisans sur de vastes territoires. Il s’agit d’un enjeu majeur de l’évolution en cours car la force de nos structures repose sur les élus. Vous trouverez toujours des collaborateurs compétents ; ce sera plus difficile de mobiliser des élus présents sur le terrain qui font un véritable travail de proximité. Nous avons entrepris ce travail depuis dix ans – il constitue d’ailleurs l’une des différences profondes entre les réseaux – et je constate qu’il a considérablement affaibli les mouvements contestataires et poujadistes de tous types. Nos élus ont joué un véritable rôle d’intermédiation : les artisans qui sont confrontés à des difficultés, tout en ayant du mal à s’adresser à l’administration ou au régime social des indépendants (RSI), vont facilement trouver leurs propres collègues. Les présidents de nos chambres rencontrent deux à trois artisans par semaine pour les aider. Je suis personnellement convaincu que nous avons une mission d’accompagnement des artisans qui connaissent souvent de très grosses difficultés sociales. En toutes circonstances, nous devons être à leur côté. Je me souviens d’un artisan qui est venu nous voir il y vingt-huit ans en nous disant qu’il ne savait pas compter ; aujourd’hui, il est à la tête d’une entreprise de quatre-vingts salariés dans le Haut-Jura parce qu’il a pu être accompagné.

Gérer directement un CFA constitue une chance car cela permet aux élus de peser très fortement sur la politique de formation. Pour le CFA de l’un de nos départements, nous n’avons constaté depuis trois ans qu’une baisse de 1,5 % du nombre d’apprentis, ce qui est très faible. Ce CFA est à l’équilibre et le conseil régional considère qu’il est l’un des mieux géré – il faut dire que les élus sont investis. En revanche, le CFA relevant de la chambre de métiers de Haute-Saône, chambre qui avait été mise sous tutelle, a dû fermer un internat, ce qui, en zone rurale, se traduit immédiatement par la perte de 15 % des effectifs – avec des enfants dont nous savons qu’ils ne seront pas affectés dans un autre CFA et restent sur le bord de la route.

La gestion des CFA par les chambres est assez exemplaire. En général, lorsque des transferts ont lieu, nous observons, après quelques années, que le personnel est en augmentation mais pas l’activité. La raison en est simple : nos CFA sont gérés par des artisans présents sur le terrain et attentifs, comme dans leur entreprise, à ce que toutes les dépenses soient efficaces.

Mme Monique Rabin, rapporteure. Pourquoi un CFA se retrouve-t-il en difficulté ?

M. Paul-Henri Bard. D’une région à l’autre, le taux de prise en charge par le conseil régional peut varier fortement…

Mme Monique Rabin, rapporteure. En l’espèce, vous nous avez parlé de deux CFA qui se trouvent dans la même région.

M. Paul-Henri Bard. Dans le cas que j’ai cité, la fermeture de l’internat explique la chute des effectifs.

Mme Catherine Vautrin, rapporteure. Savez-vous pourquoi l’internat a été fermé ?

M. Paul-Henri Bard. Il s’agissait d’une décision de la tutelle. La mission de contrôle a considéré que ce CFA avait assez peu de raison d’exister. Il propose pourtant à Vesoul, où l’on trouve peu d’offre de formation, des apprentissages aux métiers classiques de l’artisanat : boucherie, boulangerie, coiffure… J’assume mes propos : les personnes qui sont venues faire une inspection n’avaient pas connaissance du terrain et ils ont pris une décision que nous avons tous considérée comme catastrophique pour l’avenir.

Ceci dit, nos relations avec les tutelles sont vraiment excellentes.

Mme Catherine Vautrin, rapporteure. Vous avez évoqué le retour de 50 % des personnels vers les activités opérationnelles. Quels systèmes de réorientation et de formation avez-vous adoptés ?

M. Paul-Henri Bard. Je ne parlais que de l’encadrement constitué de personnes qui s’étaient déjà trouvées préalablement sur le terrain. Il n’a donc pas été difficile de leur demander d’y retourner. Mais nous avons aussi vu 26 % du personnel changer de métier en trois mois.

Mme Catherine Vautrin, rapporteure. Tout cela à effectif constant ?

M. Paul-Henri Bard. Nous sommes globalement à effectif constant même si une petite baisse a été enregistrée en raison des départs à la retraite. Les personnels opérationnels sont un peu plus nombreux et ceux chargés de l’encadrement un peu moins.

Mme Catherine Vautrin, rapporteure. Pourriez-vous nous donner un exemple de l’amélioration de la qualité de service que vous évoquiez ?

M. Paul-Henri Bard. La création d’une plateforme téléphonique unique a permis de professionnaliser les personnels et de proposer des horaires d’ouverture plus larges. La productivité de notre centre de formalité des entreprises (CFE) a progressé de 23 % en quatre mois depuis que les personnels ne font plus que traiter les dossiers. C’est peut-être un peu moins passionnant pour eux, mais c’est efficace.

M. Joël Fourny. En complément de ce qui vient de nous être dit, je veux insister sur la fonction même de l’élu. Au-delà de la gestion structurelle de notre chambre départementale, le fait de travailler à un échelon régional nous amène à assumer pleinement notre fonction d’élu sur des missions comme l’économie ou la formation. Nous constituons des binômes entre présidents de chambre départementale et chambre régionale. Dans ce cadre, la proximité et la relation directe avec les entreprises permettent de mieux appréhender leurs besoins.

Nous avons évidemment redéployé les agents vers des postes opérationnels, ce qui nous a permis d’aller vers nos ressortissants alors que, par le passé, nous attendions parfois qu’ils s’adressent à nous. Au-delà des fonctions régaliennes que nous continuons d’assurer, cette démarche crée une relation entre les entreprises et la chambre. La mutualisation nous a donné une nouvelle liberté d’action.

Pour répondre à la question sur les difficultés de financement des CFA, il faut identifier la répartition de la taxe d’apprentissage. Il suffit de constater que les réseaux des chambres forment 30 % des apprentis et reçoivent environ 3 % de la taxe.

M. Gérard Morin, président de la chambre régionale de métiers et de l’artisanat du Centre. Et ils en percevront sans doute encore moins avec la nouvelle réforme !

M. Joël Fourny. Il appartient aux conseils régionaux de se poser des questions sur ces sujets alors que le réseau s’engage en matière de formation en investissant sur ses fonds propres.

Mme Monique Rabin, rapporteure. Nous partageons votre réflexion sur l’importance des élus. Nous sommes toujours particulièrement heureux de vous rencontrer sur le terrain et de renvoyer une image positive de vos actions.

Mme Catherine Vautrin, rapporteure. Nous mesurons effectivement le travail que vous accomplissez. Dans mon département de la Marne, nous échangeons beaucoup avec vos collègues, notamment sur les problèmes de formation. De nombreux maîtres de stage nous expriment leurs difficultés, voire leur découragement. Nous rencontrons aussi régulièrement des jeunes qui ont du mal à trouver un stage, circonstances dans lesquelles on peut faire appel à vos homologues.

De notre côté, nous nous nourrissons de ce que nous vivons sur les territoires et nous comprenons très bien vos propos quand vous parlez d’équilibre dans vos équipes entre l’action de terrain et l’approche administrative.

Il reste qu’il faudra à un moment où un autre que nous nous interrogions sur le rapport entre conseil régional, CFA et éducation nationale. Nous aurons aussi besoin de réfléchir à l’adéquation entre l’offre et la demande. Je suis toujours frappée de rencontrer dans certains bassins d’emploi des responsables d’entreprise qui me disent ne pas parvenir à recruter des personnels formés alors que, sur le même territoire, les jeunes ne trouvent pas de travail. Nous avons des efforts à accomplir afin d’évoluer plus rapidement pour apporter des réponses qui correspondent aux attentes locales. En la matière, vous jouez sans doute un rôle charnière en raison de votre connaissance de la demande.

M. Dominique Klein, secrétaire général et directeur des services de la chambre de métiers et de l’artisanat de la Moselle. Si quelques spécificités découlent du droit local, la chambre de métiers de la Moselle, présidée par M. Christian Nosal, considère qu’elle appartient au réseau avec lequel elle partage l’objectif de servir pleinement et efficacement les entreprises pour lesquelles elle travaille.

Le réseau n’a pas attendu la réforme de juillet 2010 pour entamer sa mutation en matière d’offre de services à l’attention des artisans et l’améliorer. Nous avions déjà entamé, il y a plus de dix ans, une réflexion fondée sur une enquête de satisfaction qui nous avait montré la nécessité de nous orienter vers un travail de proximité et de terrain. À la lecture de cette enquête, il apparaissait clairement que les artisans attendaient un accompagnement concret répondant à leurs préoccupations quotidiennes de chefs de petite entreprise. Pour satisfaire ce besoin à moyens constants, nous n’avons pas eu d’autre solution que de réorganiser complètement notre fonctionnement. En recherchant une plus grande professionnalisation et plus d’efficacité dans les tâches administratives, nous avons réorienté les moyens libérés vers l’accompagnement des entreprises et l’amélioration de notre offre de formation.

Cette évolution a donné naissance à notre plateau multifonctions d’accueil téléphonique et physique qui constituait l’une des premières expériences de ce type dans le réseau. Il a rapidement prouvé son efficacité. En dix ans, à effectif constant, nous sommes parvenus à doubler le nombre annuel de « contacts physiques » avec les entreprises, qui est passé de 5 000 à plus de 10 000. Nos collaborateurs ont en effet été déchargés des missions répétitives qui sont désormais effectuées par la plateforme qui assure de façon transversale l’enregistrement des contrats d’apprentissage, le service de formalités, le premier niveau d’information en matière de création d’entreprise, de formation et d’apprentissage, ainsi que l’accueil téléphonique. Les enquêtes qualitatives montrent désormais que le taux de satisfaction globale des artisans concernant l’offre de services de la chambre de métiers de Moselle s’élève à 97 %.

Le réseau a donc eu le souci de répondre aux priorités et aux besoins réels des entreprises au quotidien sur de multiples sujets : recherche d’apprentis, mise en relation entre cédants et repreneurs, accompagnement économique, investissements, accompagnement des entreprises en difficulté, ce dernier point étant particulièrement important en cette période de crise… Ce choix de mettre des forces vives à la disposition des entreprises s’est révélé judicieux puisque le secteur a continué sa progression en nombre d’entreprises – sur la même période de dix ans, elles sont passées de 13 000 à 18 000 – et en nombre de salariés – ils sont passés de 75 000 à un peu plus de 100 000 aujourd’hui. Nous avons actuellement 100 000 contacts téléphoniques par an et nos interlocuteurs ne sont pas uniquement les 18 000 entreprises artisanales de notre réseau mais également les jeunes en recherche de formation, les parents d’élèves, les chômeurs qui souhaitent se réorienter professionnellement…

Chargé également de la gestion de la chambre régionale de métiers et de l’artisanat de Lorraine présidée par M. Pascal Kneuss, je considère que la régionalisation constitue une chance pour le réseau. Nous avons constaté que la mutualisation permet de professionnaliser davantage les fonctions support au bénéfice des plus petites chambres, comme celle de la Meuse, qui ne disposaient pas des moyens de se doter des compétences nécessaires en matière de ressources humaines ou de gestion financière. Le passage au niveau régional leur permet d’être plus efficaces. Il permet aussi d’améliorer les rapports avec les collectivités territoriales : depuis la régionalisation, nous travaillons de manière beaucoup plus opérationnelle avec le conseil régional qui préfère disposer d’un interlocuteur unique coordonnant les actions sur l’ensemble de son territoire. Du fait de cette évolution, plusieurs conventions ont été signées qui n’auraient pas vu le jour dans une autre configuration.

La chambre de métiers de la Moselle est viscéralement attachée à la gestion de ses trois CFA. Cette gestion directe constitue une véritable chance qui vaut d’abord pour les jeunes car les chambres de métiers sont en position de faire le lien entre ces derniers et les entreprises. Par ailleurs, qui mieux que les artisans serait à même d’identifier les bonnes orientations à donner à une politique de formation ? Gérer un CFA consiste aussi à s’appuyer sur nos élus pour savoir dans quelles directions il faut aller en matière de qualifications et de moyens afin que les formations soient les plus efficaces possible au service des entreprises. Certes, cette gestion est une mission difficile qui absorbe environ 50 % du budget des chambres qui l’assurent en direct et plus de la moitié de leurs effectifs. Il n’en demeure pas moins qu’elle est bénéfique pour toutes les parties concernées.

Mme Catherine Vautrin, rapporteure. Comment appréhendez-vous l’intégration à une région de la taille de la Belgique lors de la nouvelle étape de la régionalisation ?

M. Dominique Klein. Très sereinement ! J’estime que notre expérience réussie d’intégration d’une chambre de droit local au sein d’une chambre régionale de droit général doit pouvoir servir de référence. En l’espèce, la nouvelle région accueillera quatre chambres de droit général et deux chambres de droit local.

Le travail a déjà commencé. L’histoire commune entre l’Alsace et la Moselle facilite les contacts, et nous avons d’excellentes relations avec nos collègues de Champagne-Ardenne avec lesquels nous avons engagé les premières discussions pour avancer dans le schéma de future grande région. Ce sera un défi et l’opération sera lourde sur un territoire étendu où la diversité des situations est très grande, mais l’expérience des uns servira aux autres et, globalement, la compétence du réseau ne pourra qu’être renforcée.

M. Gérard Morin, président de la chambre régionale de métiers et de l’artisanat du Centre. Le périmètre de la région Centre-Val de Loire, dont je préside la chambre régionale de métiers, ne sera pas modifié. Depuis plus de vingt ans déjà, les six départements qui la composent travaillent ensemble sur des thématiques comme la création d’entreprises, l’environnement et le développement durable. Depuis la loi de 2010, des efforts importants de mutualisation ont été mis en œuvre sous l’impulsion du secrétaire général de la chambre régionale. Nos moyens financiers et humains restent toutefois limités pour une tâche à accomplir lourde et qui est de plus particulièrement coûteuse durant les premières années. La mutualisation des fonctions support progresse cependant très bien au niveau régional, soit qu’elle soit déjà arrivée à son terme, soit qu’elle soit en cours dans divers domaines : informatique, gestion de la relation client, site internet, paie, ressources humaines, comptabilité…

La baisse de ressources de nos chambres pose en revanche de gros problèmes pour la gestion des CFA. Pour citer un exemple, je ne parviens pas à finaliser le financement de la rénovation d’un atelier de mécanique. La région alloue 80 % du financement nécessaire mais où trouver les 20 % manquants ? Avec des ressources en recul, comment rénover les bâtiments qui en ont besoin ? Si je ne trouve pas ce financement, cet atelier fermera, et quatre cents jeunes se retrouveront en pâtiront.

M. Jean-Pierre Freudenreich, secrétaire général de la chambre régionale de métiers et de l’artisanat du Centre. Finalement, nous constatons que le statut n’est pas aussi déterminant que le projet commun visant à mieux servir les artisans dans un environnement toujours plus complexe en forte mutation. La loi NOTRe constitue un élément supplémentaire. Il faut chercher des solutions car, sur le terrain, les artisans attendent que leur chambre leur apporte des services, et ne soit pas seulement une structure de gestion. Nous avons tiré les leçons de l’expérience d’autres chambres, comme celle que Dominique Klein vient de nous présenter. En Indre-et-Loire, petit département, nous avons par exemple créé une plateforme qui reçoit 40 000 appels par an et une vingtaine de visites d’artisans par jour. Cela montre bien à quel point la proximité est fondamentale.

Nous sommes dans une période charnière. Hier, nous étions dans un système relativement bien irrigué financièrement qui s’adressait à un public très ciblé. Aujourd’hui, nous sommes confrontés à une concurrence et l’État a réduit une grande partie de nos ressources directes. Dans notre chambre, depuis cinq ans, nous avons constaté une baisse de 10 % de notre budget : 5 % du fait de la baisse des ressources et 5 % du fait de l’augmentation mécanique des charges. Il nous est dit que la mutualisation des fonctions support permettra de régler ce problème, mais je ne partage pas ce point de vue. Ces fonctions support pèsent environ 10 % de nos budgets : même si nous économisions 20 ou 30 % grâce à leur rationalisation, on voit bien que le compte n’y sera pas.

L’enjeu est pourtant d’aller plus loin avec les artisans. Nous devons mutualiser notre action dans de nombreux domaines : l’ingénierie de projets, le développement des formations en commun, la mise en place de la modularisation et l’individualisation dans le cadre du compte personnel de formation (CPF). Nous avons commencé à traiter le sujet en région Centre. Pour ce qui concerne la relation avec les collectivités locales, nous venons de développer une offre de services complètement partagée sur la base d’un outil statistique et informatique régionalisé qui permet de présenter des statistiques avec des volets gratuits et des prestations qui peuvent être rémunérées par les collectivités.

Vous imaginez bien que le passage d’un modèle à un autre exige des investissements. Les équipes doivent par exemple être formées : deux cents jours de formation ont ainsi été prévus pour l’évolution des collaborateurs, que ce soit en matière d’action commerciale ou pour assurer la professionnalisation nécessaire à la mise en place de la plateforme.

En cinq ans, nous avons fait de gros progrès alors que notre ressource s’est tarie et que les flux ont continué à augmenter – le volume de formalités a triplé notamment du fait des micro-entreprises qui pénalisent par ailleurs la formation en apprentissage à laquelle elles ne participent pas. Alors que les flux sont deux fois et demie plus importants qu’il y a dix ans et que la charge liée aux missions régaliennes a au moins augmenté dans les mêmes proportions, nous avons maintenu les mêmes effectifs que par le passé, ce qui signifie que nous devons réduire le nombre des personnes chargées des missions de proximité. Nous n’avons par exemple pas les moyens de remplacer le collaborateur qui s’occupait des métiers d’art ou celui qui était chargé des secteurs de la production, de l’export et de la commercialisation…

Mme Monique Rabin, rapporteure. Nous souhaitons réfléchir en tenant compte de l’ensemble des réseaux consulaires. Pour les fonctions que vous venez de citer, comme celle de l’export, peut-être existe-t-il une ressource au sein de la CCI qui pourrait être plus développée que chez vous ?

M. Jean-Pierre Freudenreich. Nous coopérons déjà avec la CCI en matière d’export. Mais il faut bien être conscient qu’il est parfois difficile d’articuler une mutualisation horizontale avec un réseau qui est déjà en phase de mutualisation verticale. Nous travaillons avec les chambres de commerce mais localement, selon les positions des uns et des autres, les choses se passent plus ou moins bien.

Pour ce qui est du secteur de la production, le non-remplacement d’un collaborateur est regrettable pour l’artisanat car c’est dans ces domaines que vous entendez dire que l’on ne trouve pas de salariés : il y a, en la matière, de vrais problèmes de formation.

Pourquoi nous a-t-on écrêtés l’année dernière de 5 % de nos budgets de conseil en formation alors que c’est un secteur qui forme cinq à six fois moins ses équipes et ses artisans que l’industrie ? Ce genre de décision mériterait d’être ajustée. Voilà l’un des points qu’il faut faire évoluer. Comment se fait-il que les organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA) se plaignent tous aujourd’hui de la baisse de leurs ressources alors que la formation est considérée comme un enjeu national ?

M. Dominique Degois, secrétaire général de la chambre de métiers et de l’artisanat de région Bourgogne. Le président Pierre Martin m’a demandé de le représenter et vous prie de bien vouloir excuser son absence.

La Bourgogne est devenue une CMAR le 1er janvier 2011 et, pour avoir été précédemment secrétaire général de la chambre régionale, je suis en mesure de témoigner de ce qu’apporte ce changement. Depuis que la chambre de région a été créée à l’initiative des quatre chambres départementales qui ont pris une délibération en 2010, le lien de proximité avec les entreprises artisanales n’a en aucune manière été supprimé. Il a même plutôt été maintenu, voire renforcé si l’on considère que les fonctions support sont prises en charge par la chambre de région alors que les plus petits départements auraient sans doute eu beaucoup de difficultés à maintenir leur offre de services compte tenu des restrictions budgétaires que nous avons connues depuis 2011.

Les relations avec les conseils départementaux ont pu également être maintenues et celles avec les intercommunalités se sont développées. Les quatre départements de Bourgogne contribuent à des actions au bénéfice des entreprises artisanales de leur territoire. Le lien avec la tutelle régionale a par ailleurs été renforcé, que ce soit avec la DIRECCTE ou avec le conseil régional en raison de responsabilités de ce dernier en matière de développement économique, de formation professionnelle et d’apprentissage, sujets qui sont au cœur de l’activité des chambres de métiers et de l’artisanat La mise en place d’une gouvernance régionale a permis de renforcer l’interface et les échanges avec le conseil régional qui voit favorablement la mise en place d’une politique régionale négociée en matière de formation initiale ou de développement économique.

Nous participons à des associations de gestion de CFA mais nous n’en gérons pas directement – peut-être aurais-je dû ajouter « malheureusement » car une gestion directe aurait encore renforcé notre position par rapport au conseil régional.

L’évolution des ressources nous a amenés à engager des démarches que nous appelons « objectif client », qui n’avaient pas été initiées précédemment par les chambres départementales. Il s’agit d’amener nos collaborateurs à être beaucoup plus en phase avec les besoins des entreprises artisanales. Des enquêtes de besoins ont été mises en œuvre ainsi que la définition d’une nouvelle offre de services. Il a aussi fallu former les collaborateurs afin qu’ils puissent dialoguer directement avec les entreprises, ces fonctions s’ajoutant évidemment aux fonctions régaliennes.

Nous discutons aujourd’hui avec la Franche-Comté avec laquelle nous formerons demain une grande région. Les deux régions actuelles ont vu l’intérêt qu’elles avaient à passer au modèle de la chambre de région, seul le calendrier fait l’objet de débats. Sans doute est-ce parce que nous avons une expérience en la matière, mais nous souhaiterions pour notre part que cela se fasse dès le 1er janvier 2016.

Mme Catherine Vautrin, rapporteure. Vos nombreux témoignages sur la question de la mutualisation déjà en cours dans vos chambres sont éclairants mais vous nous avez assez peu parlé de questions budgétaires. Pourrions-nous aborder plus directement les sujets financiers ?

Mme Monique Rabin, rapporteure. Pour ma part, j’aurais aussi souhaité que vous nous indiquiez quelles actions innovantes peuvent être entreprises en matière de mutualisation. Les spécificités locales sont réelles et que nous avons affaire à trois réseaux différents : les chambres d’agriculture, les chambres de commerce et d’industrie et les chambres de métiers et de l’artisanat. Pourriez-vous nous en dire plus sur ce qui peut diviser les chambres de votre réseau et sur la façon dont vous travaillez avec les autres chambres consulaires ?

M. Philippe Seguin, directeur régional du développement économique et territorial à la CMAR des Pays de la Loire. Je souhaitais évoquer l’une des spécificités de notre réseau : l’accueil des créateurs et des porteurs de projet. Nous recevons des personnes dont la culture est celle de la production mais beaucoup plus rarement celle de l’entreprise. Le stage préparatoire à l’installation est en quelque sorte un sas qui permet aux artisans d’acquérir les informations nécessaires à la création d’une entreprise et constitue un service essentiel. Il permet aussi de fidéliser les porteurs de projet et de leur donner l’envie de revenir nous voir. Dans le département dans lequel j’exerçais mon activité avant la régionalisation du 31 décembre dernier, nous enregistrions, parmi les entreprises des personnes que nous avions ainsi fidélisées, un taux de survie après trois ans de plus de 80 %. Ce taux est tout à fait remarquable par rapport aux statistiques nationales même si, après cinq ans, il passait à 75 %.

Une autre spécificité de notre réseau tient au sentiment d’appartenance de ses membres. Le travail manuel se délite aujourd’hui en raison des nouveaux modes de production, mais les artisans ressentent très fortement le fait qu’ils appartiennent à un secteur spécifique – et cela est également vrai chez une partie des jeunes, notamment grâce à leur passage par les CFA.

Entre 2008 et 2014, sur le plan budgétaire, nous avons enregistré en Vendée une chute de nos recettes de 10 %, ce qui est considérable. Pour compenser de telles pertes, nous avons dû non seulement nous tourner vers de nouveaux marchés, par exemple en proposant certaines opérations aux collectivités territoriales afin de dynamiser leur artisanat local, mais nous avons aussi réalisé des économies d’échelle. C’est d’ailleurs pourquoi, contrairement à ce que j’entends dire, la régionalisation ne constituera pas vraiment une piste pour faire des économies à l’avenir, notamment sur les back offices, parce que ces économies ont déjà été faites, comme vient de le constater la chambre régionale des comptes pour ce qui nous concerne.

Il me semble qu’il y a une certaine contradiction à nous demander de faire plus – nous accueillons plus d’artisans et le nombre des formalités augmente fortement – alors que nos ressources se tassent et que les collectivités locales connaissent de leur côté les mêmes problématiques de financement. En Vendée, les contrats avec les collectivités représentent 1,5 % de nos ressources. Cette situation financière nous pose des problèmes. Nous sommes aujourd’hui dans l’obligation de rogner sur nos effectifs pour faire face aux impératifs budgétaires. Le désengagement enregistré en matière de taxe d’apprentissage à destination des CFA nous oblige à consentir des efforts supplémentaires sur nos ressources propres. Cette contradiction génère une inquiétude : ne serons-nous pas, à terme, amenés à limiter les services de conseil aux entreprises, dont la demande augmente pourtant, pour financer nos CFA, indispensables à l'avenir de ces dernières et à l’image de l’artisanat dans le département ?

M. Serge Crabié. Je préside un groupe de travail qui a notamment procédé à l’évaluation de la réforme de 2010. L’un de ses objectifs consistait à faire des économies grâce à la mutualisation. Or d’après les chiffres, il n’y a pas une grande différence sur ce plan entre chambres de région et chambres régionales.

Nous avons nos spécificités et je suis totalement opposé à une fusion avec nos partenaires des CCI. Nous pouvons, en revanche, travailler ensemble sur certains points comme la transmission-reprise, le guichet unique ou le marketing de nos futures régions communes.

Pour en venir à la question des finances, laissez-moi prendre l’exemple de la dotation DEVECO qui finance des actions au bénéfice des entreprises artisanales. En région Midi-Pyrénées, il y a cinq ans, nous percevions à ce titre 878 000 euros ; aujourd’hui, seulement 240 000. La baisse est de 70 %. Pour compenser le recul des ressources nous cherchons évidemment à faire des économies.

Nous n’enregistrons pas de baisse notable de la taxe pour frais de chambres de métiers. Nous faisons pourtant face à une situation préoccupante en raison de la place que prennent les micro-entreprises – notre région en compte aujourd’hui 10 000. Elles sont en train de déstructurer l’artisanat à moyen terme. C’est un fléau ! Je suis partisan de la mise en place de la micro-entreprise, mais il aurait fallu limiter l’existence de ces structures à deux ans. Aujourd’hui, elles font une concurrence déloyale à des entreprises artisanales qui emploient des salariés et se retrouvent dans l’obligation de licencier. La majorité de mes collègues partagent ce souhait d’une limitation à deux ans de la durée de vie de la micro-entreprise.

M. Pierre Cormorèche. Nous avons incontestablement un problème de financement. Dans l’Ain, la CCI collecte 7 millions d’euros et la chambre de métiers 2 millions. Il faut savoir que nous faisons le même travail auprès des mêmes clients… Dans ces conditions, ne serait-il pas utile de redéfinir les compétences des uns et des autres ? La CCI a donné 1,5 million d’euros pour l’agrandissement d’un parc d’exposition auquel, faute de moyens, nous n’avons pas pu participer. Parce qu’elle disposait de réserves, elle a aussi consacré 2 millions d’euros au schéma départemental de développement économique dans le cadre d’un contrat signé pour trois ans avec le conseil général, et elle vient enfin de verser 5,5 millions d’euros à l’État au titre du surplus des trois mois de fonctionnement.

En matière de perception de taxe, il serait sans doute judicieux de rechercher un nouvel équilibre entre les CMA et les CCI. Dans mon département, qui compte 25 000 entreprises, 12 000 sont inscrites dans la première et 18 000 dans la seconde – certaines ayant une double inscription. Elles paient toutes des taxes destinées aux chambres et la question de l’usage qui est fait de cet argent se pose. Ces sommes doivent-elles servir à financer les investissements publics comme les aéroports ou les ports ? C’est la politique des CCI : elle était peut-être judicieuse à une certaine époque, mais il n’est pas inutile de s’interroger aujourd’hui à ce propos. À mon avis, le rôle premier des chambres consulaires est bien d’aider les entreprises dans leur développement afin de créer des richesses. On peut même se demander si la taxe pour frais de chambre doit financer l’apprentissage. On pourrait par exemple imaginer deux lignes distinctes de financement. Les apprentis sont des jeunes comme les autres qui bénéficient d’une formation initiale.

Pour ma part, je suis plutôt favorable à une fusion des CCI avec les CMA départementales. Elles constitueraient des chambres économiques de proximité autonomes disposant de moyens financiers et facturant des prestations. Ainsi, elles ne seraient pas obligées de mendier auprès de la région, du département et de l’État pour percevoir 10 000 euros de subventions.

M. Joël Fourny. Je ne partage pas l’avis de mon collègue et je suis opposé à une fusion des chambres consulaires. L’agriculture a sa spécificité tout comme l’industrie ou l’artisanat. La CMA a une culture de l’artisanat dont ne dispose pas la CCI. Si un réseau propre a été créé en 1925, c’était bien dans l’intérêt des entreprises artisanales qui souhaitaient défendre des approches spécifiques.

Je ne suis en revanche pas du tout opposé à des mutualisations entre réseaux. Dans le département de Loire-Atlantique, elles ont d’ores et déjà été engagées avec des CCI. Il faut toutefois que le rôle de chacun soit parfaitement établi et qu’il soit équilibré. Il nous est par exemple arrivé d’aider des très petites entreprises artisanales du département à participer à une démarche mutuelle avec la CCI dans la reconnaissance de marchés étrangers. Nous savions que nous n’avions pas besoin par la suite de développer nos outils d’accompagnement à l’export sachant que la CCI de région disposait de tous les moyens nécessaires. De la même façon, il y a quelques années, lorsqu’il a fallu ouvrir une maison de l’apprentissage sur le territoire de Saint-Nazaire, plutôt que de nous engager seuls, nous avons investi avec la CCI pour répondre aux besoins. C’est encore le cas dans le champ du développement et de l’aménagement commerciaux sur lequel nous ne nous aventurons pas seuls : nous passons des conventions et des chartes commerciales avec les collectivités locales en étroite collaboration avec la CCI.

Dans des conditions de respect mutuel, je ne suis absolument pas opposé au développement de nos collaborations d’autant que nous disposons déjà de portails communs en matière de responsabilité sociale et environnementale des entreprises (RSE) ou d’accueil des porteurs de projet.

M. Jean-Pierre Freudenreich. Dans le Centre, alors que nous enregistrions un résultat positif d’environ 1,6 million d’euros, il y a sept ans, nous avons connu cette année, comme l’année dernière, un résultat négatif de moins 700 000 euros.

Cette évolution n’est pas due à la dégradation de la situation budgétaire des quatre CFA, mais à celle des sièges dont les résultats sont passés de 2 millions à moins 400 000 euros. Dans une région qui soutient fortement l’apprentissage, cette situation place les chambres dans l’incapacité d’apporter une contribution financière à un certain nombre de projets – le président Morin évoquait l’un d’eux dans son intervention.

Nous travaillons beaucoup avec les autres chambres consulaires. Dans le cadre de conventions que nous signons en ce moment avec les communautés de communes, la CCI intervient en matière de marketing territorial et de promotion du territoire et la chambre de métiers et de l’artisanat en matière d’appui de proximité au développement des entreprises. Les chambres de notre réseau collaborent aussi très souvent avec les chambres d’agriculture, par exemple pour la promotion du terroir, l’organisation d’événements comme les salons autour de l’agroalimentaire, le développement de filières… Nous avons beaucoup en commun avec ces chambres. Dans ma région, la chambre d’agriculture qui a peu d’apprentis, s’apprête à nous demander si nous pourrions prendre en charge son service d’apprentissage pour éviter qu’une structure ne gère que soixante-dix jeunes.

Tout cela varie évidemment en fonction des contextes locaux et des hommes en présence.

Mme Brigitte Geoffriault secrétaire générale de la chambre régionale de métiers et de l’artisanat Midi-Pyrénées. J’ai pris mes fonctions il y a un mois et j’occupais auparavant le poste de directrice de la formation professionnelle au conseil régional de Midi-Pyrénées.

Dans le nouveau contexte institutionnel avec le redécoupage des collectivités territoriales et la redéfinition de leur rôle respectifs, l’artisanat a une place importante et sa représentation au plan départemental jouera un rôle central en raison du renforcement des pôles métropolitains et d’un affaiblissement potentiel de la représentation rurale – même si l’intercommunalité lui fait une place. L’interface entre le réseau des chambres de métiers et de l’artisanat et ses interlocuteurs au plan départemental reste essentielle pour le développement économique rural et pour les équilibres territoriaux qui sont à la fois humains, sociaux et économiques. Je ne veux pas opposer métropolisation et ruralité : il y a une place à occuper en matière de développement économique et de développement social en milieu rural, et il y a aussi, pour l’artisanat, une place à occuper dans la reconfiguration des pôles métropolitains. L’artisanat doit également jouer un rôle essentiel dans les négociations avec les futurs conseils régionaux reconfigurés puisque certains schémas seront prescriptifs.

J’ai pu observer des mutations profondes de l’artisanat liées aux personnes qui créent des entreprises et aux acquisitions de compétence par l’apprentissage. Toutes ces raisons, lourdes d’enjeux majeurs pour l’artisanat de demain, font partie de ce qui m’a motivé pour rejoindre le réseau.

Mme Monique Rabin et Mme Catherine Vautrin, rapporteures. Nous vous remercions vivement pour votre participation à cette table ronde.

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