Accueil > Contrôle, évaluation, information > Les comptes rendus de la mission d’évaluation et de contrôle

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mission d’évaluation et de contrôle

Mercredi 6 mai 2015

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 14

Présidence de M. Pascal Terrasse, rapporteur

Les financements et la maîtrise de la dépense des organismes extérieurs de langue française

– Audition, ouverte à la presse, sur les financements et la maîtrise de la dépense des organismes extérieurs de langue française, de Mme Anne Crozat, sous-directrice des Affaires européennes et internationales, et de M. Jean-François Baldi, délégué général adjoint à la Langue française et aux langues de France, du ministère de la Culture et de la communication

M. Pascal Terrasse, président, rapporteur. Poursuivant ses travaux sur les financements et la maîtrise de la dépense des organismes extérieurs de langue française, la mission auditionne deux responsables du ministère de la Culture et de la communication, un interlocuteur incontournable des organismes extérieurs œuvrant au développement la francophonie.

M. Jean-François Baldi, délégué général adjoint à la Langue française et aux langues de France. La Délégation à la langue française et aux langues de France est un petit service. Son effectif est de vingt-neuf équivalents temps-plein et son budget n’atteint pas 3 millions d’euros. Son rôle politique et symbolique est néanmoins important. Ses missions, qui concernent principalement l’emploi du français dans notre pays, sont fixées par un arrêté du 17 novembre 2009.

La première des missions, qui est régalienne, consiste à veiller à l’application de l’article 2 de la Constitution, aux termes duquel « la langue de la République est le français ». De cette disposition découle un cadre légal, dans lequel s’inscrit la loi Toubon du 4 août 1994. Nous veillons sinon à son application – notre effectif ne nous le permet pas –, du moins à la coordination de cette application et au suivi des évolutions législatives, dont nous rendons compte dans un rapport que le Gouvernement remet chaque année au Parlement.

Une deuxième mission concerne l’enrichissement de la langue française. La France, comme le Québec, dispose d’un dispositif spécifique, qui propose dans tous les domaines – sciences, techniques, économie, sports –, des termes correctement définis en français, qui seront employés par les prescripteurs d’opinion et l’administration.

La sensibilisation des publics est une autre mission essentielle, car l’emploi du français est le fait de chacun. La Délégation est l’auteur de publications de référence, sur nombre de questions.

Enfin, elle coordonne les actions qui ont trait à la valorisation de la diversité linguistique de notre pays. Dans son rapport de 1999 sur les langues de France, Bernard Cerquiglini a dénombré soixante-quinze langues régionales. Nous veillons à leur promotion, voire parfois à leur survie, dans la vie sociale, culturelle et économique, conformément à notre cadre constitutionnel.

Mme Anne Crozat, sous-directrice des Affaires européennes et internationales. La sous-direction des Affaires européennes et internationales a pour mission de coordonner l’action internationale du ministère de la culture et de la communication. Elle dispose d’un budget d’intervention d’un montant de 3,6 millions d’euros sur le programme 224 « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture ». Ce budget d’interventions permet de soutenir des projets à caractères internationaux répondant aux objectifs du ministère, que ces projets se déploient dans un cadre bilatéral ou international, qu’ils soient portés par des acteurs institutionnels ou associatifs. Il permet ainsi de soutenir les saisons culturelles étrangères en France et d’accueillir, dans le cadre de programmes annuels, des professionnels de la culture étrangers.

Sur le plan de la francophonie, la sous-direction intervient financièrement de deux manières. Elle verse à l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) une subvention fléchée vers des projets liés à la diversité culturelle et met en œuvre des programmes d’accueil spécifiques à destination des professionnels de la culture du monde francophone. Ces programmes d’accueil permettent ainsi de créer un réseau de spécialistes de la culture francophone.

M. Pascal Terrasse, président, rapporteur. Quelle place la Délégation à la langue française et aux langues de France occupe-t-elle au sein du ministère ?

M. Jean-François Baldi. Le ministère de la culture est organisé autour de trois grandes directions générales : celle des patrimoines, celle de la création artistique et celle des médias et industries culturelles. Il comprend aussi une Délégation générale à la langue française et aux langues de France. On peut considérer que notre service a le rang d’une direction générale, mais le terme de délégation met en valeur le caractère politique de notre action.

Le délégué général est nommé en Conseil des ministres. Toutefois, le poste est vacant depuis le 22 décembre, date de la nomination de Xavier North au poste d’inspecteur général des affaires culturelles.

M. Pascal Terrasse, président, rapporteur. Comment votre action se coordonne-t-elle avec celle du ministère des Affaires étrangères ? De quels moyens disposez-vous ? Quelles relations avez-vous avec les grandes institutions que sont l’OIF, l’Assemblée parlementaire de la francophonie (APF), l’Association internationale des maires francophones (AIMF), l’Agence universitaire de la francophonie (AUF), l’université Senghor ou TV5 Monde ? Dans quel cadre et selon quelle procédure s’organisent-elles ? Les 3 millions de subventions que vous versez sont-ils sanctuarisés, ce qui réduirait votre marge de manœuvre ?

M. Jean-François Baldi. Alors que la promotion de la langue française dans le monde dépend du ministère des Affaires étrangères et du développement international, notre terrain d’action est la France. Nous ne contribuons à la politique en faveur de la francophonie, que dans la mesure où notre pays mène sur son territoire une politique de défense et de promotion du français. Les évolutions de notre cadre institutionnel et légal sont en effet considérées avec attention par les quatre-vingts États membres de l’OIF, surtout par ceux – une trentaine en tout –, qui ont le français comme langue officielle.

En la matière, la France doit jouer un rôle prescripteur. Le Québec éprouve un sentiment très négatif quand il a l’impression que nous baissons la garde. Nous ne versons pas d’argent à l’OIF, mais collaborons avec l’organisation dans un partenariat stratégique, que nous avons également noué avec l’AUF et TV5 Monde.

Nous sommes ainsi entrés en discussion lorsque le projet de loi sur l’enseignement supérieur, défendu par Mme Fioraso, a prévu des exceptions à l’usage du français dans l’enseignement supérieur. Ces dispositions, dont nous ne nions pas qu’elles contribuent à mettre le droit en harmonie avec certaines pratiques, ont été heureusement encadrées par des amendements parlementaires. Néanmoins, M. Abdou Diouf, alors secrétaire général de l’OIF, et M. Bernard Cerquiglini, recteur de l’Agence universitaire de la francophonie (AUF), ont formulé de fortes réserves compte tenu du rôle que doit jouer la langue française dans la transmission des savoirs.

Notre langue peut exprimer toutes les réalités du monde contemporain. Si l’on modifie trop le cadre légal, les exceptions à l’emploi du français se multiplieront même dans l’enseignement secondaire. Les Pays-Bas ou les pays nordiques, où l’enseignement en master s’effectue à 95 % en anglais, sont confrontés à certaines difficultés. Si l’on enseigne la médecine uniquement en anglais, dans quelle langue les médecins parleront-ils à leurs patients ? Sur ces sujets, nous sommes en symbiose avec l’AUF et l’OIF.

M. Pascal Terrasse, président, rapporteur. Jugez-vous pertinentes les actions menées par ces organismes ? Les moyens mobilisés par la France vous semblent-ils à la hauteur des enjeux ?

M. Jean-François Baldi. J’ignore quelle est la contribution du ministère des Affaires étrangères à ces organismes. Je pense toutefois que la langue française doit rester au nombre des priorités politiques, stratégiques et budgétaires de l’OIF, car il s’agit du socle commun sur lequel s’est bâtie cette organisation.

Pour illustrer le risque d’éloignement de ce lien fondateur, je rappellerai que le Forum mondial de la langue française organisé au Québec en 2012 était centré sur le rôle de notre langue dans les expressions culturelles et le développement économique ; celui qui se tient cette année à Liège est surtout consacré à la jeunesse et à la créativité francophones. Le risque est de perdre un peu de vue le sujet langue française (sa promotion, son évolution, ses relations avec les langues partenaires), alors qu’elle devrait rester au cœur des préoccupations exprimées dans ce type de manifestation populaire.

M. Jean-René Marsac, rapporteur. Comment votre action s’articule-t-elle avec celle du ministère et comment participez-vous à l’évaluation et, éventuellement, à la réorientation des actions des acteurs de la francophonie ?

M. Jean-François Baldi. S’il n’y pas vraiment de coopération stratégique entre la Délégation et le ministère des Affaires étrangères, nous nouons avec lui (et souvent d’autres acteurs) une collaboration confiante sur des projets précis.

Par exemple, le ministère des Affaires étrangères, l’OIF, le ministère de la Ville, de la jeunesse et des sports ainsi que l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (INSEP) travaillent avec nous pour assurer la présence du français, qui est une langue olympique, pendant les épreuves des Jeux. Nous préparons en partenariat un lexique francophone des sports olympiques, auquel chaque acteur contribue financièrement.

De même, nous travaillons main dans la main avec le ministère des Affaires étrangères pour rédiger le rapport au Parlement sur l’emploi de la langue française dans les institutions européennes et celles des nations unies.

J’ai cependant l’impression que nos relations avec le ministère des Affaires étrangères sont moins denses qu’au moment où je suis arrivé à mon poste il y a une dizaine d’années. La langue française n’est peut-être pas une de ses priorités.

M. Pascal Terrasse, président, rapporteur. Quels sont vos rapports avec le secrétariat d’État au développement et à la francophonie ?

M. Jean-François Mancel, rapporteur. Selon vous, l’OIF a perdu l’idée que la langue était le premier objectif de la francophonie. Est-ce le cas des autres organismes que nous avons cités ?

M. Jean-François Baldi. Nous soutenons régulièrement la Fédération internationale des professeurs de français (FIPF), qui regroupe 900 000 professeurs du monde entier. Notre aide se monte chaque année à 30 000 euros. S’il est modeste, ce montant est important à notre échelle. Cette association, de droit français, doit se réformer car elle attend beaucoup trop de la France, mais il s’agit d’un outil d’influence déterminant, qui permet de toucher des États où il existe une francophonie dormante ou une francophilie très active. Elle organisera un congrès à Liège l’an prochain.

Peut-être cette fédération devrait-elle être adossée à l’OIF, même si le périmètre dans lequel travaillent ces professeurs de français excède largement ses quatre-vingts États membres ?

M. Jean-Claude Buisine. Quels sont vos moyens d’action vis-à-vis des autres administrations et notamment de Bercy dont les documents comprennent un très grand nombre d’anglicismes ?

M. Jean-François Baldi. Le décret du 25 mars 2015 vient de moderniser notre dispositif d’enrichissement de la langue française. En lien étroit avec le secrétariat général du Gouvernement, nous avons simplifié une organisation sans doute trop complexe, qui comprenait une commission générale et plusieurs commissions spécialisées.

Notre rôle consiste à proposer à l’administration, notamment à celle de Bercy, des équivalents français précis et bien définis aux termes étrangers. Les services de l’État ont obligation d’employer ces équivalents dans tous les textes officiels et d’en assurer la promotion à l’écrit comme à l’oral.

Une circulaire du Premier ministre, en date de 25 avril 2013, rappelle que leur emploi est prescrit dans les administrations. Même s’il n’existe aucun pouvoir de sanction, on trouve dans chaque ministère des hauts fonctionnaires de terminologie qui peuvent, le cas échéant, rappeler l’administration à l’ordre.

Nous avons regroupé 7 000 termes français dans la base de données FranceTerme, d’accès libre. Bon an mal an, nous proposons quelque 300 termes français dans toutes les disciplines du savoir, comme la pétrochimie, l’ingénierie nucléaire ou le sport. Nous avons développé des outils modernes grâce auxquels les internautes peuvent formuler des propositions, que nous soumettons ensuite aux commissions. Nous adoptons une attitude d’ouverture plus que de censure.

M. Jean-Claude Buisine. Des actions pédagogiques sont-elles menées dans le primaire ou au collège, afin de limiter l’utilisation des anglicismes ?

M. Jean-François Baldi. Nous nous heurtons au principe de la liberté d’expression, au nom duquel le Conseil constitutionnel a censuré la disposition de la loi Toubon visant à imposer aux médias audiovisuels l’utilisation d’une terminologie officielle.

M. Jean-François Mancel, rapporteur. Le système de pénalités envisagé n’a pas fonctionné.

M. Jean-François Baldi. Quoi qu’il en soit, ces ressources devraient être mieux connues par nos concitoyens, car les anglicismes sont souvent sources de malentendus dans les négociations. À l’acronyme MOOC (massive open online course) on peut préférer celui de CLOM (cours en ligne ouvert et massif), proposé par la commission générale de terminologie. Nous n’avons rien contre l’anglais en lui-même, mais s’adresser aux Français dans la langue de la République est un enjeu de citoyenneté.

Mme Anne Crozat. Vous m’avez interrogée sur les financements que le ministère de la Culture accorde aux organismes assurant la promotion de la francophonie hors de France. Celle-ci est limitée, si on laisse à l’écart la contribution à l’audiovisuel extérieur de la France.

Sa participation à l’OIF a diminué de 190 000 euros en 2014 à 180 000 en 2015. Cette contribution volontaire – la contribution obligatoire étant versée par le ministère des Affaires étrangères – va au fonds multilatéral unique de l’OIF, qui reçoit tous les crédits de l’Organisation. Le versement est fléché vers son programme « Diversité culturelle et développement des industries culturelles et créatives ».

Ce financement a connu une baisse sensible, passant de 675 000 euros en 2004 à 250 000 en 2013, auxquels s’est ajoutée, cette année-là, une participation aux Jeux de la francophonie, qui se sont déroulés à Nice.

Le ministère a aidé les jeux de Nice à hauteur de 750 000 euros, sachant que la participation globale de l’État, qui a couvert 50 % des frais, s’est montée à presque 4 millions d’euros. Notre engagement a permis de couvrir les dépenses de la délégation française en matière culturelle et une dizaine d’épreuves culturelles.

La baisse de notre participation, qui s’établit, je le rappelle, à 180 000 euros en 2015, est imputable à deux raisons. D’une part, les crédits de subvention du ministère à la transmission des savoirs ont sensiblement diminué depuis 2012. D’autre part, nous nous sommes interrogés sur le fléchage de nos crédits. Chaque année, nous rencontrons les responsables de l’unité « Diversité culturelle » de l’OIF pour évoquer les programmes menés l’année précédente et ceux qu’ils prévoient pour l’année à venir. Nous signons ensuite une convention de financement annuelle.

Nous fléchons notre contribution non vers des projets spécifiques mais vers un objectif : le soutien à la diversité culturelle et à la formation des professionnels francophones. Cependant, nous souhaiterions une plus grande coordination entre nos propres actions de soutien à la formation des professionnels étrangers - un axe important de nos financements - et celles de l’OIF.

Notre budget est peu flexible. Presque 90 % de nos crédits d’intervention, qui se montent à 3,6 millions, sont contraints. Nous finançons l’Institut français pour l’organisation des saisons culturelles - à hauteur de 660 000 euros par an en 2015 - et soutenons le Fonds international pour la diversité culturelle de l’Unesco. Nous aidons aussi régulièrement diverses associations : l’Office national de diffusion artistique, la Maison des cultures du monde, une association qui organise des événements culturels permettant de faire connaître le patrimoine immatériel des civilisations asiatiques ou africaines : spectacles de danses, de chants rituels ou de musique sacrée...Près d’un tiers de notre budget est consacré à l’accueil de professionnels étrangers.

M. Pascal Terrasse, président, rapporteur. Ces projets ne concernent pas la francophonie.

Mme Anne Crozat. Non. En matière de francophonie, nous ne finançons que l’OIF et la moitié des programmes destinés à l’accueil de professionnels étrangers, qui se montent à 1 million d’euros, concerne des personnels francophones. Ce sont nos seules actions ciblées en matière de francophonie.

M. Pascal Terrasse, président, rapporteur. Comment sont affectées les 10 % de subventions qui restent disponibles ?

Mme Anne Crozat. C’est une décision que prend le Secrétariat général, après que les services ont pointé les demandes et rencontré les solliciteurs.

M. Pascal Terrasse, président, rapporteur. Vous souhaitez pouvoir bâtir avec l’OIF des missions, peut-être pluriannuelles, plus coordonnées avec vos propres actions. Pour l’heure, savez-vous comment le montant de 180 000 euros que vous lui allouez est utilisé ?

Mme Anne Crozat. Nous lisons le rapport annuel de l’OIF et nous rencontrons chaque année la directrice ou la sous-directrice du programme « Diversité culturelle », ce qui nous permet d’être informés de l’emploi des fonds et de formuler des vœux.

Au-delà, cette contribution nous permet d’avoir un lien naturel et fort avec l’OIF sur laquelle nous nous appuyons dans le cadre des négociations internationales, par exemple au sein de l’UNESCO. Nous tentons actuellement de décliner dans le domaine numérique la convention de 2005 relative à la promotion et à la protection de la diversité culturelle qui prévoit l’exception culturelle. Pour ce faire, nous nous appuyons sur l’Organisation. Le versement de la subvention à l’OIF nous permet de créer des contacts dont nous profitons également dans d’autres cadres.

M. Pascal Terrasse, président, rapporteur. D’autres gouvernements membres de l’OIF versent-ils une contribution volontaire, en plus de la contribution obligatoire ?

Mme Anne Crozat. Oui. La diversité culturelle, le soutien aux industries culturelles et créatives, ainsi que la formation des professionnels sont des thèmes d’actualité. D’autres pays, comme le Québec et le Canada, se positionnent sur ces actions indispensables au développement de certains pays francophones, notamment ceux de l’Afrique subsaharienne.

M. Pascal Terrasse, président, rapporteur. J’imagine que Mme Jean, Secrétaire générale de l’OIF, est très sensible à ce sujet.

Mme Anne Crozat. En effet, mais le Québec s’est intéressé à ces sujets avant son élection.

M. Pascal Terrasse, président, rapporteur. Je vous remercie.

——fpfp——