Accueil > Contrôle, évaluation, information > Les comptes rendus de la mission d’évaluation et de contrôle

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mission d’évaluation et de contrôle

Jeudi 7 mai 2015

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 17

Présidence de M. Pascal Terrasse, rapporteur

Les financements et la maîtrise de la dépense des organismes extérieurs de langue française

– Audition de M. Yves Bigot, directeur général, M. Thomas Derobe, secrétaire général et Mme Liliane Delassaussé, secrétaire général adjoint, directrice de la gestion et des finances de TV5 Monde.

M. Pascal Terrasse, rapporteur. Je vous remercie d’avoir répondu à l’invitation de notre mission qui s’intéresse aux organismes contribuant au rayonnement de la francophonie dont fait évidemment partie TV5.

M. Yves Bigot, directeur général de TV5 Monde. Je tiens d’abord à préciser que les éléments de réponse que nous pouvons vous apporter étaient valables jusqu’au 8 avril, à vingt et une heures. Depuis la cyberattaque dont TV5 Monde a été victime, nous sommes dans une zone grise.

Au vu de l’enquête de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI) qui doit s’achever dans une dizaine de jours, il est acquis que cette attaque était destinée à nous détruire. Nous devons à un concours de circonstances d’exister encore aujourd’hui. En effet, le 8 avril était le jour de lancement de la nouvelle chaîne consacrée à l’art de vivre à la française – TV5 Monde style HD – destinée à la zone Asie-Pacifique ainsi qu’au Maghreb et au Moyen-Orient. C’est la présence d’esprit des équipes techniques sur place pour l’occasion qui leur a permis de nous déconnecter du réseau internet et ainsi de préserver une partie de la chaîne. Sans leur intervention, tous les systèmes auraient été détruits et nous n’aurions pas pu reprendre les émissions, comme nous l’avons fait, sur la totalité des réseaux, huit heures après l’attaque.

Aujourd’hui, quinze experts de l’ANSSI travaillent encore dans nos locaux. Si tout se passe bien, nous serons en mesure de nous reconnecter au réseau internet le 12 mai prochain. Nous espérons retrouver un fonctionnement normal d’ici la mi-juillet.

Le coût du remplacement des matériels détruits et du renforcement de la protection informatique est en cours de chiffrage. Il représente plusieurs millions d’euros. Les perspectives financières de TV5 Monde dépendent de l’aide que les États partenaires consentiront à lui apporter pour passer ce cap difficile.

Le cap budgétaire sera double : il faudra assumer d’une part, en 2015, les frais importants pour la restauration et l’achat de matériels, la formation des personnels à la nouvelle hygiène informatique ainsi que le nouveau dispositif de surveillance informatique sans laquelle l’ANSSI ne nous autorisera pas à nous reconnecter au réseau internet ; d’autre part, pour les exercices suivants, nous aurons à faire face aux frais structurels liés à la nouvelle protection indispensable à notre survie dont le coût est estimé entre 2 et 2,5 millions d’euros par an à partir de 2016.

Le financement est assuré par les cinq États bailleurs de fonds selon une répartition en neuvième : six neuvième pour la France, un neuvième pour la Fédération Wallonie-Bruxelles, un neuvième pour la Suisse et un neuvième partagé entre le gouvernement du Canada, pour deux tiers, et l’État du Québec, pour l’autre tiers.

M. Thomas Derobe, secrétaire général de TV5 Monde. TV5 Monde compte neuf chaînes généralistes et deux chaînes thématiques – une chaîne jeunesse payante, diffusée aux États-Unis et financée par le marché américain et une chaîne sur l’art de vivre à la française qui a été lancée le 8 avril.

Toutes ces chaînes sont diffusées depuis TV5 Monde à Paris et font partie de la société anonyme (SA). Seule TV5 Québec Canada est gérée par un opérateur au Québec avec lequel la SA n’a pas de lien juridique. La même charte s’applique toutefois aux deux entreprises.

M. Yves Bigot. Cette situation très particulière crée parfois une confusion, notamment sur les marchés. Nous fournissons à TV5 Québec Canada 80 % de ses programmes. Les 20 % restants sont produits directement par eux ou achetés sur les marchés à des prix parfois plus élevés que ce que paie TV5 Monde pour les droits pour le reste du monde. Cette dichotomie a tendance à faire grimper les prix du marché, à notre détriment.

M. Pascal Terrasse, rapporteur. L’avantage que représente l’installation du siège social et de la production à Paris a été avancé pour justifier la participation financière plus importante de la France. Qu’en est-il de l’avantage tiré par le Québec d’une production locale ?

M. Yves Bigot. Il est vrai que cette chaîne est particulière. D’ailleurs, au Canada, elle est appelée TV5, ce qui ne va pas sans poser quelques difficultés.

M. Pascal Terrasse, rapporteur. Réalisent-ils des productions en interne ?

M. Yves Bigot. Non. Ils travaillent avec des producteurs indépendants. Ils ont lancé une deuxième chaîne UNIS, fortement financée par le Québec – mais sans lien aucun avec TV5 Monde – à destination des francophones du Canada. La création de cette chaîne nous a préoccupés.

M. Pascal Terrasse, rapporteur. J’espère que cette chaîne n’est pas distribuée à l’étranger…

M. Yves Bigot. Pour l’instant, elle est diffusée exclusivement à l’intérieur du Canada. Nous souhaitons qu’elle le reste. Toutefois, nous savons que le délégué général du Québec en Louisiane avait pour objectif de diffuser la chaîne dans cette région.

L’analyse de la grille des programmes de TV5 Québec Canada permet de constater qu’un seul programme français est diffusé en prime time : Envoyé spécial. Le prime time est occupé par des programmes québécois et canadiens. On pourrait penser que la mission de TV5 Québec Canada est d’offrir les programmes du reste de la francophonie au public canadien. Or, elle diffuse principalement des programmes québécois à l’attention des Québécois. Cette chaîne est très cousine de TV5 Monde mais elle fonctionne différemment.

M. Pascal Terrasse, rapporteur. Quels sont les liens financiers entre la TV5 SA et TV5 Québec Canada ?

Mme Liliane Delassaussé, secrétaire général adjoint, directrice de la gestion et des finances de TV5 Monde. Depuis la réforme des structures de 2011, TV5 Québec Canada ne reçoit plus aucun financement de la part des partenaires européens. Auparavant, l’essentiel des frais communs de la chaîne étaient financés par les trois États européens tandis que TV5 Québec Canada gérait les signaux Amérique latine et États-Unis.

Avec la réforme de 2001, TV5 Monde devient l’opérateur mondial, à l’exception du Canada et du Québec. Cette exception est due aux conditions de licence devant le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes mais aussi à la volonté des Canadiens de ne pas perdre la face politiquement. TV5 Québec Canada n’opère plus que le signal pour le Canada et ne bénéficie d’aucun financement. Les frais de siège sont pris en charge uniquement par le Canada.

La chaîne est financée indirectement par le biais de la libération des droits pour 80 % de sa programmation.

M. Thomas Derobe. Jusqu’à peu, un lien financier demeurait car TV5 Québec Canada était le prestataire de TV5 Monde pour le sous-titrage en espagnol, portugais et anglais. Nous avons réussi à leur faire admettre lors de la conférence ministérielle que le coût de leurs prestations était supérieur au prix du marché. Nous avons ainsi pu réaliser des économies substantielles en passant de nouveaux marchés pour ces prestations.

Mme Liliane Delassaussé. Entre 2006 et 2015, les contributions françaises à TV5 Monde ont augmenté – hors taxe sur les salaires – de 10,86 %, soit deux fois moins que les ressources budgétaires totales. Cette différence est due à l’augmentation des contributions des autres partenaires dans le cadre de l’opération de rééquilibrage consécutive à l’accord de 2008. Depuis 2008, leurs contributions ont crû de 65 %, à partir de montants modestes toutefois.

Nous sommes parvenus fin 2012 à un équilibre dans le financement des frais communs en y réintégrant des dépenses qui n’avaient jusqu’alors pas été autorisées par les partenaires. Le lancement du signal au Moyen-Orient a été décidé unilatéralement par la France, dans l’urgence alors que Canal France International (CFI) connaissait des problèmes de diffusion sur Arabsat. Dès lors que les partenaires n’avaient pas été consultés, conformément à la charte, seule la France se devait de payer.

En 2008, toutes les décisions – y compris les décisions politiques françaises qui contraignaient la France à assumer seule certaines dépenses – ont été remises à plat pour un partage effectif en neuvième.

Depuis 2012, les partenaires ont continué à accroître les ressources de TV5 car ils croient en cette chaîne qui donne une visibilité mondiale à leurs programmes. Les téléspectateurs potentiels sont très peu nombreux en Suisse ou en Belgique (1,6 million et 4,5 millions) alors qu’avec TV5 ils peuvent espérer toucher 270 millions de foyers.

Mais aujourd’hui, les partenaires ne peuvent pas donner davantage sauf à créer un nouveau déséquilibre, compte tenu du retard pris par la France qui n’a pas augmenté sa subvention depuis un moment. En 2014, la France a commencé à combler son retard ; il était prévu que le rattrapage soit achevé à la fin du plan stratégique, en 2016. Actuellement, les partenaires augmentent leur contribution par le biais des frais spécifiques, en participant au financement de projets ciblés pour éviter d’aggraver le retard français.

L’augmentation de 10,86 % de la contribution française reste plus faible que l’inflation. Les progrès extraordinaires que nous avons réalisés au cours des dix dernières années l’ont été grâce à des redéploiements budgétaires.

Entre et 2015, nous avons réussi à faire à budget presque constant : le déménagement, le renouvellement intégral à deux reprises du dispositif technique – le passage à la V2 numérique en 2006 et la V3 en 2013, avec la transformation en média global et la dernière phase du passage à la HD. Pendant la même période, nous avons également lancé TV5 Pacifique, TV5 Brésil, des web TV, le 16/9 et la HD. Enfin, depuis 2008, le volume de sous-titrage a triplé.

Le plan stratégique 2009-2012 a été financé à 50 % par l’arrêt de la diffusion en analogique sur l’Europe.

Le lancement de la chaîne sur l’art de vivre, en HD, sur deux territoires, occasionne des coûts importants liés notamment à la diffusion satellitaire et au sous-titrage, en mandarin et en anglais.

M. Pascal Terrasse, rapporteur. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette chaîne ?

M. Yves Bigot. La chaîne a été lancée le 8 avril dernier. Sa création figurait dans le plan stratégique mais elle est revenue au premier plan lorsque le portefeuille du ministère des affaires étrangères s’est enrichi du tourisme et du développement international des entreprises. En réponse au souhait de ce dernier d’accompagner les entreprises françaises à l’étranger et de renforcer l’attractivité touristique de la France, nous avons proposé le lancement de la chaîne.

La chaîne est diffusée dans l’ensemble de la région Asie-Pacifique, avec pour objectif premier la Chine. Le ministre des affaires étrangères sera en Chine le 15 mai, notamment pour signer des accords et poursuivre des discussions, en particulier sur le soutien à la diffusion en Chine continentale.

La chaîne est également diffusée dans le monde arabe, du golfe Persique au Maroc. L’objectif, si le succès est au rendez-vous, est ensuite de la développer aux États-Unis et en Amérique latine.

La chaîne a été lancée à effectif et budget constant, grâce à des redéploiements. Elle bénéficie d’un budget de 2,2 millions d’euros en 2016. Elle est destinée à attirer des parrainages et de la publicité – elle doit pouvoir intéresser un certain nombre de marques françaises et francophones – afin de trouver à terme une part d’autofinancement.

Sa grille est majoritairement constituée de programmes sur l’art de vivre – de la gastronomie à la mode en passant par le patrimoine. Elle diffuse des magazines de ses chaînes partenaires, principalement de France Télévisions, ainsi que des documentaires achetés sur le marché et mutualisés avec les chaînes généralistes de TV5. Nous avons commandé deux magazines spécifiques, l’un consacré à la mode, l’autre aux tendances parisiennes.

Au vu des réactions enthousiastes des distributeurs, nous fondons des espoirs dans cette chaîne.

M. Pascal Terrasse, rapporteur. Vos ressources propres s’élèvent à 9 millions d’euros. La part de la publicité est très faible voire inexistante, de l’ordre de 2,7 millions d’euros. Le développement de partenariats privés est-il envisagé ?

M. Thomas Derobe. S’agissant des recettes publicitaires, la principale difficulté vient de ce que les marchés publicitaires sont nationaux. La publicité transnationale est presque inexistante, elle se concentre sur un marché européen sur lequel les chaînes leader – Eurosport, CNN et BBC – captent les recettes.

Quant à la publicité mondiale, elle n’existe pas. Bien que mondiales, les marques essaient d’adapter leurs produits ou le marketing de ces derniers aux consommations locales. Alors que TV5 Monde améliore sa capacité à accueillir des ressources publicitaires, les marchés se localisent et se nationalisent de plus en plus.

À cet égard, l’absence de TV5 sur la TNT en France a été un coup rude. Heureusement, un marché transnational subsiste encore en Afrique francophone. Ce marché représente la première zone de recettes après l’Europe. Mais, avec le développement de la TNT, les marchés vont devenir nationaux. C’est la raison pour laquelle la présence de TV5 sur la TNT en Afrique constitue un enjeu stratégique majeur.

TV5 est opérateur officiel de l’OIF. Le soutien politique qui nous est apporté à chaque conférence par les chefs d’État peut nous aider à obtenir auprès des gouvernements des pays membres la reprise de la chaîne sur la TNT.

Afin de mettre toutes les chances de notre côté et d’accompagner le marché, nous devons investir dans des études qui nous permettront d’aller chercher des budgets publicitaires locaux en TNT et de trouver des dispositifs pour diffuser de la publicité nationale et non plus transnationale.

M. Pascal Terrasse, rapporteur. Quelle est votre stratégie pour accéder à la TNT en Afrique ?

M. Yves Bigot. TV5 est déjà présente sur la TNT dans neuf pays – notamment le Burundi, le Cap Vert –, mais qui ne sont pas nécessairement francophones.

Pour garantir notre présence future sur la TNT dans les autres pays, nous travaillons avec les représentants du CSA local ainsi qu’avec le ministère de l’information dans chaque pays. Nous veillons à l’application du principe du must carry – cette obligation est renouvelée tous les deux ans par les chefs d’État membres de l’OIF – mais cela ne va pas sans poser certains problèmes. La Roumanie considère ainsi que si elle a l’obligation de diffuser, nous devons payer pour cette diffusion. Nous leur opposons la gratuité comme corollaire du principe de must carry.

Pour l’Afrique, les négociations sont menées par la directrice Afrique qui travaille régulièrement avec les gouvernements africains et les représentants des régulateurs locaux. Dans la plupart des pays, les autorités nous assurent que la présence de TV5 sur la TNT est une évidence du fait de la demande du public.

En revanche, nous rencontrons des difficultés dans les pays dans lesquels les gouvernements sous-traitent à des sociétés privées l’attribution des canaux de la TNT, comme au Cameroun. Ces sociétés ne sont pas friandes du must carry, elles cherchent à le monnayer, à défaut de pouvoir nous évincer.

Jusqu’à présent, même si les discussions sont parfois délicates, nous n’avons pas vécu de situation d’éviction ou d’échec.

Ce qui complique la donne, ce sont ces sociétés de consultants, souvent françaises, qui démarchent l’État pour gérer la TNT. Elles viennent polluer la relation directe entre les États et TV5 et nous obligent à répéter nos démarches auprès des chefs d’État. Nous n’avons cependant pas été confrontés à des blocages pour l’instant.

M. Thomas Derobe. Parallèlement, nous menons une action de lobbying auprès des télévisions nationales qui pourraient voir d’un mauvais œil l’arrivée de TV5 sur la TNT. Nous leur proposons une assistance technique pour le passage à la TNT. Dans la perspective de recettes publicitaires à venir sur la TNT, nous essayons de les convaincre de participer à la construction d’une étude de référence pour l’Afrique francophone, à l’instar d’Africascope, à laquelle seraient associés Canal+ et Havas Media. Avec cette étude, ils disposeraient d’éléments d’étude fiables et récurrents sur la TNT pour des coûts marginaux. Nous leur proposons de jouer avec nous, et non pas contre nous, le jeu de la recherche de recettes publicitaires.

M. Yves Bigot. Nous travaillons également avec les chaînes publiques africaines en leur offrant des programmes à diffuser sur leurs propres canaux. Par ailleurs, les autorités sont sensibles à la diffusion panafricaine et mondiale des interventions des chefs d’État quand ils sont en Europe qui est offerte par TV5.

M. Pascal Terrasse, rapporteur. Quelle est la fiabilité d’Africascope ?

M. Thomas Derobe. Compte tenu des moyens financiers dont nous disposons et des dispositifs techniques en place sur le continent africain, il n’existe pas d’étude plus fiable. Mais, il est vrai que, comparée aux mesures d’audience qui sont réalisées en Europe dont la méthodologie diffère, sa fiabilité est moindre. Africascope est toutefois plus fiable que l’étude EMS ; dans le panel de cette dernière destinée à CNN et BBC, on constate une surreprésentation des cadres dirigeants ayant reçu une éducation anglophone et travaillant dans un environnement anglophone.

M. Pascal Terrasse, rapporteur. Quel est le nombre d’auditeurs hebdomadaires de TV5 ?

M. Thomas Derobe. En audience cumulée, ce nombre s’est établi entre 24 et 26 millions en 2014. L’Afrique francophone représente le premier bassin d’audience de TV5, la République démocratique du Congo occupant la première place, avec des pics à 7 millions, devant la Côte d’Ivoire et le Mali.

Mme Liliane Delassaussé. Plus que le nombre d’auditeurs, c’est la durée d’écoute qui importe. Elle se situe aux alentours d’une heure par jour en Afrique.

M. Yves Bigot. Le véritable indicateur est en effet la combinaison du nombre de téléspectateurs et du temps passé devant la télévision.

M. Pascal Terrasse, rapporteur. Quelles sont aujourd’hui vos relations avec France 24 ? La différenciation éditoriale entre les deux chaînes est-elle bien établie ?

M. Yves Bigot. Depuis 2013, je suis convaincu que notre devoir est de démontrer aux contribuables et aux responsables français la différence entre les deux chaînes. Nous avons donc depuis deux ans entrepris un travail pour nous démarquer de France 24 et nous positionner par rapport à une chaîne d’information en continu qui émet en trois langues. Nous sommes un diffuseur francophone multilatéral et culturel. Nous proposons une information multilatérale : à cet effet, nous avons créé le journal « 64 minutes le monde en français », premier journal francophone quotidien au monde ainsi que le magazine « 200 millions de critiques ». Nous avons une mission de diffusion d’œuvres et de programmes de création. Tous nos programmes sont diffusés en français et sous-titrés en douze langues. Les lignes éditoriales de TV5 et de France 24 sont désormais différenciées et complémentaires.

M. Pascal Terrasse, rapporteur. Qu’en est-il des partenariats avec les autres organisations de la francophonie, comme l’OIF, l’APF ou l’AUF ?

M. Yves Bigot. Ces partenariats sont permanents.

Puisque nous sommes l’un des opérateurs de l’OIF, nous sommes présents dans toutes les commissions de financement des programmes du sud afin de peser sur les choix. Nous sommes également opérateurs des sommets de l’OIF : nous avons ainsi proposé une couverture inédite du dernier sommet de Dakar. En outre, nous accompagnons l’OIF dans la plupart de ses missions et interventions. Avec l’AUF, nous produisons une émission « merci professeur » sur les expressions de la langue française.

Les partenariats sont multiples. Nous serons très présents au deuxième forum mondial de la langue française qui se tient du 18 au 21 juillet à Liège, organisé par l’AIMF. Nous travaillons aussi avec la mairie de Paris. Nous faisons un travail quotidien et permanent avec les organisations internationales mais aussi avec les instituts français ou les alliances françaises ainsi que leurs équivalents belges, canadiens ou suisses.

M. Pascal Terrasse, rapporteur. L’OIF participe financièrement à la production de programmes pour TV5 ?

M. Yves Bigot. Non. Des représentants de TV5 siègent au sein des commissions de financement de l’OIF pour sélectionner des projets que TV5 finance ensuite. Un seul programme, à vocation éducative, est financé directement par l’OIF : « 7 jours sur la planète ».

M. Pascal Terrasse, rapporteur. Quelle sera votre implication dans la COP21 ?

M. Yves Bigot. Nous faisons partie des partenaires officiels. Nous avons créé depuis janvier une case hebdomadaire en prime time, baptisée « oxygène », qui diffuse des programmes sur l’écologie et le climat. Nous invitons de nombreuses personnalités dans nos émissions pour aborder ces sujets. Nous serons présents au Bourget du 30 novembre au 12 décembre depuis lequel nous avons prévu d’organiser de nombreux directs.

M. Thomas Derobe. S’agissant des inquiétudes sur notre capacité à mettre en œuvre la suite du plan stratégique 2013-2016 : depuis le 8 avril, la situation budgétaire est très incertaine. Auparavant, le plan était construit sur une hypothèse : TV5 devait dégager des économies pour financer les nouveaux dispositifs ; c’est ainsi que la renégociation des contrats de sous-titrage a permis de faire un million d’économies annuelles.

Mme Liliane Delassaussé. Le coût du sous-titrage s’élève à 5,8 millions d’euros par an, en intégrant la chaîne Style HD.

M. Yves Bigot. Ce poste est très conséquent mais nous sommes astreints à une obligation d’excellence. Nous devons faire appel à des prestataires haut de gamme car nous ne pouvons pas nous permettre des erreurs de traduction ou des approximations de langage.

M. Thomas Derobe. Nous économisons également un million d’euros sur le loyer à la suite des négociations avec notre bailleur.

Ces deux millions d’euros d’économies annuelles pérennes, sous réserve que la France rattrape son retard par rapport aux pays partenaires, devaient, avant le 8 avril, nous permettre de réaliser le plan stratégique et de financer l’ensemble des opérations lancées. Depuis cette date, nous ne sommes pas en mesure de nous prononcer sur le devenir de nos activités.

M. Pascal Terrasse, rapporteur. Quel est le montant du retard de la France dans le versement de sa contribution ? À quoi correspondent les 2,4 millions d’euros de provisions ?

Mme Liliane Delassaussé. Le retard de la France s’élève à 700 000 euros. Quant aux provisions, ce ne sont pas des réserves. Cette somme correspond au montant des demandes ainsi qu’aux charges sociales afférentes dans les procès qui nous sont intentés aux prud’hommes.

M. Pascal Terrasse, rapporteur. Ce montant me paraît astronomique pour une vingtaine de salariés.

M. Thomas Derobe. TV5 présente historiquement un fort taux de précarité, supérieur à 30 %. Outre l’aspect économique, cela tient au fait que les intermittents et les pigistes étaient imputés sur les frais communs de la chaîne, tandis que les permanents l’étaient sur les frais spécifiques français, compte tenu des règles de siège.

Fin 2013, dans un contexte général d’intégration sur le marché audiovisuel public, les syndicats nous ont alertés sur l’intention de nombreux salariés – dont les liens avec la CGT sont établis – d’attaquer l’entreprise devant les prud’hommes pour demander une intégration assortie d’indemnités pour le préjudice résultant de la non-intégration prolongée.

M. Pascal Terrasse, rapporteur. Dans les exemples de France Telecom et de La Poste, la jurisprudence limite les obligations de l’employeur au paiement des charges sociales afférentes à la titularisation mais pas des salaires.

M. Thomas Derobe. La jurisprudence dans l’audiovisuel ne nous est pas très favorable car les condamnations sévères de Canal+, TF1 et France Télévisions ont aiguisé les appétits.

Le risque de contentieux porte sur 60 ETP – environ 20 journalistes et 40 intermittents, pour lesquels le turn over est plus important. Cela représente un risque très important pour l’entreprise. Lorsque nous avons été informés du contentieux à venir, notre objectif essentiel était d’éviter la contagion et une généralisation des demandes d’intégration. Nous aurions alors subi la double peine : une condamnation sur la non-intégration et l’incapacité à conserver tous les personnels intégrés qui nous conduirait à engager un plan social.

Nous avons donc lancé un plan d’intégration en deux parties : pour les journalistes pigistes, un ETP correspondait peu ou prou à une personne. Douze journalistes à ce jour ont été intégrés dans de bonnes conditions, un seul, qui était l’auteur d’un recours, a refusé notre proposition. Il reste huit contentieux en cours, la première audience devant se tenir le 2 octobre prochain.

La situation est presque stabilisée pour les journalistes pigistes. Ceux qui nous avaient menacés de contentieux n’ont pas donné suite. Le risque d’un effet boule de neige nous semble désormais limité.

Pour les intermittents, nous n’avons pas encore pu lancer le processus d’intégration de douze intermittents que nous envisageons car des négociations préalables avec les syndicats sont nécessaires. Sept intermittents nous ont attaqués mais, depuis un an, aucune nouvelle demande n’est venue s’y ajouter car nous avons réussi, je crois, à construire un dialogue.

Afin de préserver les intérêts de TV5 Monde et d’éviter une multiplication des recours contentieux, nous avons souhaité fixer une règle applicable à tous et suffisamment juste pour éviter l’effet d’entraînement : l’intégration est réalisée au prorata du temps travaillé à TV5 ; nous proposons un CDI à temps partiel, ce que la jurisprudence nous permet de faire. Cela permet de rassurer les salariés qui ne seraient pas intégrés. L’intégration est aussi rendue moins attrayante par la perte du régime d’intermittents qui l’accompagne. En matière salariale, nous nous appuyons sur la méthode de reconstitution des salaires : nous faisons évoluer l’intermittent comme s’il avait été un permanent. Or, à TV5, l’évolution est faible ; l’augmentation de salaire est très inférieure à ce que promettent les avocats. Cette solution a eu un effet pédagogique.

Avant le 8 avril, ce contentieux était le principal risque financier pesant sur l’entreprise. Nous espérons que notre méthode sera validée de nouveau par les tribunaux et que nous réussirons à limiter le risque contentieux en rassurant les salariés.

Par précaution, nous avons provisionné l’intégralité du risque, soit 2,9 millions d’euros. Nous espérons que le coût pour TV5 sera moindre mais nous ne pouvons pas écarter l’hypothèse que d’autres employés décident d’attaquer. L’aléa judiciaire est tel que nous étions contraints de provisionner l’intégralité des demandes des avocats, d’autant que les décisions en la matière sont exécutoires.

M. Pascal Terrasse, rapporteur. Je suppose que vous comptez sur le rattrapage du retard de l’État ainsi que sur une atténuation du risque contentieux pour financer la sécurisation informatique et le remplacement du matériel rendus nécessaires par l’attaque du 8 avril.

Je reste étonné par le montant de la provision pour un contentieux concernant quinze personnes.

M. Thomas Derobe. La provision porte sur 17 personnes au total, dont quinze pour l’intégration, sur 60 ETP – correspondant à un risque contentieux sur une centaine de personnes. Les avocats ont présenté des demandes rétroactives portant sur des salaires qui intègrent les avantages du régime des intermittents. Ce sont donc des sommes très importantes.

M. Pascal Terrasse, rapporteur. Les salariés de TV5 ont un statut de droit privé. Je suppose qu’ils sont soumis à la convention collective de l’audiovisuel.

M. Thomas Derobe. Ils l’étaient jusqu’à très récemment. Désormais, ils sont soumis à la convention d’entreprise TV5 Monde qui est assez proche de celle de France Télévisions.

M. Yves Bigot. La question posée aujourd’hui est simple : les cinq États partenaires nous aideront-ils à couvrir les dépenses induites par l’attaque du 8 avril ? Quelles seront les conséquences si ce n’est pas le cas ? Nous travaillons actuellement au chiffrage des besoins et nous présenterons aux cinq tutelles les conséquences opérationnelles et sociales d'un éventuel défaut de financement.

Jusqu’au 8 avril, tout allait bien…

——fpfp——