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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mission d’évaluation et de contrôle

Jeudi 21 mai 2015

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 22

Présidence de M. Pascal Terrasse, rapporteur

Les financements et la maîtrise de la dépense des organismes extérieurs de langue française

– Audition, ouverte à la presse, de M. Albert Lourde, recteur de l’Université Senghor d’Alexandrie.

M. Pascal Terrasse, président. Nous auditionnons ce matin M. Albert Lourde, recteur de l’Université Senghor d’Alexandrie.

M. Albert Lourde, recteur de l’Université Senghor d’Alexandrie. L’Université Senghor est une institution mal connue, sinon méconnue. C’est pourquoi je vous remercie de me donner l’occasion de la présenter auprès de cette mission.

Créée par le Sommet de Dakar en mai 1989, elle a été dotée d’une double nature non seulement d’université de la Francophonie, reconnue d’utilité publique internationale, mais également, aux côtés de l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF), de l’Association internationale des maires francophones (AIMF) et de TV5 Monde, d’opérateur direct et reconnu des sommets francophones qui lui ont donné pour objectif de former et de perfectionner des cadres de haut niveau capables d’impulser et d’accompagner le développement africain.

Dans un contexte régional caractérisé notamment par la crise des universités africaines et la fermeture relative des pays du Nord aux étudiants de la région, l’Université Senghor, qui propose des formations pluridisciplinaires consacrées au développement durable dans le contexte de la mondialisation, remplit une mission essentielle : former en français, sur place, des cadres de haut niveau des secteurs publics et privés, dans des conditions optimales comparables à celles d’une grande école. La mission première que les sommets francophones ont confiée à l’université Senghor est de constituer, au cœur du développement de l’Afrique, un corps de fonctionnaires et d’experts d’élite.

Pour répondre à cette mission, l’Université Senghor propose à Alexandrie des formations hautement spécialisées qui ne concurrencent pas, mais complètent les cursus offerts dans les pays africains par leurs universités nationales. Senghor est une université professionnelle. Il s’agit d’un master professionnel en développement qui se décline en neuf spécialités : gestion du patrimoine culturel, gestion des industries culturelles, communication et médias, gestion de l’environnement, gestion des aires protégées, santé internationale, politiques nutritionnelles, management de projets, gouvernance et management public.

L’Université Senghor forme également, à distance, les formateurs de directeurs d’établissements scolaires – lycées et collèges – avec son master « gestion des systèmes éducatifs » qui complète le projet d’initiative francophone pour la formation à distance des maîtres (IFADEM) de l’AUF et de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) dans l’enseignement primaire. Actuellement, cette formation compte 163 formateurs diplômés.

Notre master en développement fonctionne conformément au système LMD, ce qui favorise sa reconnaissance internationale, notamment par le Conseil africain et malgache pour l’enseignement supérieur (CAMES). Nous avons multiplié les accords interuniversitaires avec les universités françaises, européennes, canadiennes et africaines, prévoyant notamment des co-diplomations et des co-tutelles de thèse. Un de nos objectifs, maintenant atteint, a été la mise en place à Senghor d’un collège doctoral : plusieurs thèses ont déjà été soutenues à l’université.

Senghor est un rassemblement performant et souple de compétences, un corps professoral sans équivalent sur le continent. En dehors de ses quatre directeurs de département, elle ne dispose pas d’un corps de professeurs permanents. Chaque année, une centaine de professeurs, avec des professionnels de très haut niveau, venus de l’ensemble des pays francophones, y dispensent des enseignements spécialisés en faisant partager leur expérience pratique. La diversité des approches pédagogiques, la variété des contenus scientifiques, les conceptions différentes du développement durable énoncées par les professeurs français, canadiens, suisses, algériens, québécois et béninois favorisent le développement de l’esprit critique et de la réflexion.

Telles sont les raisons pour lesquelles notre master a suscité en 2013, en dépit des difficultés que traverse l’Égypte, 3 008 candidatures provenant de pays différents. En 2015, nous en avons enregistrées 2 787, pour 160 places.

Senghor est une université d’excellence comparable à une grande école. Nos étudiants doivent passer un concours très sélectif pour être admis : en juillet 2013, sur 3 008 candidats, 1 490 ont été admis à passer l’écrit, 810 à passer l’oral ; 165 étudiants ont été finalement retenus dans notre dernière promotion, représentant 5,5 % du nombre de candidats. Soixante-cinq femmes ont été admises, soit 40 % des effectifs.

Cette université de troisième cycle n’a pas vocation à accueillir des étudiants en masse, mais elle a donné à plus d’un millier de cadres africains de trente-deux nationalités différentes un master reconnu au niveau international et une conception globale de la bonne gouvernance et du développement dans les domaines de la santé, de la culture, de l’administration et de l’environnement. Nous offrons non seulement une formation technique, mais aussi une formation au service public et à l’intérêt général. D’ailleurs, lorsque, il y a quelques jours au Burkina Faso, la sécheresse a entraîné une catastrophe pour les animaux et la disparition de plusieurs espèces, les étudiants du campus Senghor de Ouagadougou ont envoyé une lettre collective au ministre de l’environnement du pays pour se mettre à la disposition de son ministère et tenter de résoudre ce problème. Nos étudiants ne se contentent pas d’apprendre leurs cours : ils veulent participer activement au développement de leur pays.

Senghor offre non seulement des formations en master, mais aussi un ensemble de formations courtes hautement spécialisées dispensées dans les pays africains, durant dix à quinze jours, dans des domaines pointus pour lesquels les spécialistes font défaut. Ces cinq dernières années, nous avons ainsi formé plus de 3 200 cadres, déjà titulaires de diplômes de niveau Bac + 5, et avons pour objectif de former 3 000 cadres supplémentaires. Ces formations continues sont très largement autofinancées.

L’université Senghor est une institution originale sans équivalent sur le continent. Les étudiants y bénéficient, sous conditions sélectives, d’une bourse d’études prenant en charge leur séjour en Égypte pendant deux ans : ils y sont logés, nourris, véhiculés et soignés. Ils ont ainsi tout le temps de se consacrer à leurs études. Plusieurs centaines de cadres administratifs, de chefs d’entreprise, de responsables et d’acteurs économiques profitent chaque année de nos formations.

En réunissant des cadres venus de différents horizons africains, en les faisant vivre et travailler ensemble pendant deux ans, l’université Senghor favorise l’émergence d’une coopération administrative interafricaine francophone. Les étudiants béninois, sénégalais, algériens, marocains ou burkinabés passent deux ans ensemble à réfléchir à l’avenir de l’Afrique et forment un corps. Les diplômés de l’université Senghor sont regroupés en associations nationales, elles-mêmes réunies au sein d’une association internationale dont le siège est à Yaoundé. L’annuaire en ligne des Senghoriens met à la disposition des entreprises et de tous les opérateurs de la Francophonie un réseau de responsables particulièrement utile.

En proposant des formations sur place, sur le continent africain, Senghor œuvre à endiguer le fléau de la fuite des cerveaux. En mettant en rapport permanent les acteurs africains de l’université, de l’administration, de la culture, de la santé et de l’environnement, elle contribue à favoriser les échanges Sud/Sud et à forger, par là-même, une communauté de compétences autour du développement.

Dans les prochaines années, le continent africain va connaître une révolution démographique qui portera sa population, selon les spécialistes, à 2 milliards d’habitants. Les besoins de formation vont dès lors être immenses. C’est pourquoi l’université de la Francophonie pour l’Afrique aborde naturellement une évolution, une adaptation, rendue indispensable, afin d’apporter, à sa place et selon ses moyens, une réponse efficace à ces nouveaux besoins.

Contrainte, lors de chaque campagne de recrutement, de refuser plus de 2 000 candidatures, notre université a entrepris de se rapprocher des publics qui ne peuvent pas ou qui ne souhaitent pas, pour des raisons diverses, venir en Égypte, en ouvrant des formations tant au Maghreb que dans la partie subsaharienne du continent.

L’Université Senghor s’externalise donc sur des « campus Senghor » qui ont vocation à accueillir et à former, sur place, des étudiants de haut niveau, dans une période où les déplacements du sud au nord sont rendus très difficiles. Cette formule permet, par sa souplesse, de décupler et d’adapter l’offre de formation aux besoins du terrain sans jamais sacrifier notre exigence d’excellence. Les campus Senghor sont des modèles d’excellence en Afrique tant en raison de la qualité de l’enseignement qui y est dispensé que parce que nos emplois du temps sont impératifs et non indicatifs. L’Université Senghor d’Alexandrie garde le contrôle total du pilotage, l’entière maîtrise académique, pédagogique, administrative et financière de ses externalisations dans une construction rationnelle, cohérente et solidement articulée.

En mutualisant les coûts entre établissements partenaires et en facilitant l’accessibilité des formations aux étudiants et aux cadres du public et du privé, qui font l’économie d’un déplacement coûteux et incertain en Europe ou en Amérique du Nord, les campus Senghor offrent encore plusieurs atouts majeurs. Ils font ponctuellement appel aux ressources professorales et à l’expertise professionnelle locale, assurant ainsi l’entière adéquation des enseignements dispensés aux réalités nationales et le désenclavement des professeurs africains désormais reliés aux réseaux universitaires de Senghor. Ils forment les spécialistes qui font défaut aux universités africaines. Nous partons des formations dont le pays a besoin et qu’il ne parvient pas à mettre en place faute des spécialistes adéquats. Nous montons alors une formation en master doctorant avec les professeurs locaux qui peuvent y intervenir et nous faisons venir les autres professeurs du monde francophone. Cette coopération porte en elle-même sa propre fin puisque, une fois formés, ces spécialistes peuvent remplacer ceux des campus Senghor. Nous partons lorsque les besoins sont satisfaits.

Ainsi, à la rentrée, nous allons ouvrir au Togo, en collaboration avec le Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) et l’École internationale d’urbanisme et d’architecture de Lomé, un master de mobilité urbaine afin de former des cadres qui soient capables de concevoir des politiques de transports urbains. Et lorsque, au bout de trois ans, nous aurons formé une cinquantaine de personnes, le campus fermera, car nous souhaitons seulement former des personnes susceptibles d’être recrutées par le ministère des transports, par les sociétés de transport ou par la municipalité de Lomé. La plupart de nos étudiants sont d’ailleurs déjà dans l’administration : nous comptons parmi eux des médecins, des avocats et des contrôleurs des finances qui souhaitent se perfectionner. Nous allons ainsi accueillir en master de santé publique un professeur agrégé de médecine, chirurgien à l’hôpital de Lomé, souhaitant se porter candidat à l’Organisation mondiale de la santé. Tous les étudiants qui rentrent à l’Université Senghor ont au minimum une expérience professionnelle d’un an. Quatre Campus Senghor sont actuellement ouverts à Abidjan, à Ouagadougou, au Maroc et à Djibouti. Des pourparlers sont en cours pour Saint-Louis du Sénégal, Tunis, le Bénin et le Niger. Ces campus sont autofinancés. Nos ressources ne nous permettraient pas de leur apporter des subventions étatiques.

Compte tenu des missions qui lui ont été confiées et de son développement accéléré, l’administration de l’Université Senghor relève davantage de l’administration de mission que d’une structure classique.

L’université est dirigée par un président et un recteur, tous deux nommés par un conseil d’administration comprenant quinze administrateurs représentants des États contributeurs et bénéficiaires, et l’Organisation internationale de la francophonie (OIF). Un conseil académique adresse ses recommandations et conseils au recteur sur les plans pédagogique et scientifique. Conseil d’administration et conseil académique se réunissent deux fois par an : une fois à Paris, une fois à Alexandrie. Le président est un facilitateur auprès des autorités égyptiennes ; il exerce des fonctions de représentation. C’est le recteur qui dirige l’université : il met en œuvre son plan stratégique, assure l’ordonnancement des dépenses et des recettes et recrute le personnel. À son cabinet est rattachée la cellule de décentralisation et des campus, qui gère les formations externalisées depuis 2014. Elle est dirigée par un professeur d’université.

Sur le plan académique, sous l’autorité du recteur, quatre directeurs coordonnent les activités des départements pédagogiques de l’université : administration-gestion, environnement, santé et culture. Ils sont nommés par le recteur et disposent d’un secrétariat pour les assister. Un cinquième département assure des missions transversales dans le secteur des formations à distance (FOAD) et technologies de l’information et de la communication (TICE) ; il est étroitement imbriqué avec le campus numérique de l’Agence universitaire de la francophonie (AUF). L’essentiel du financement de ce département - son matériel et son personnel - est assuré par l’Université Senghor.

Sur le plan administratif et technique, l’université est organisée autour d’un service intérieur, d’une comptabilité et d’un service du personnel et des achats, chacun dirigé par un directeur. L’administration de l’université Senghor apparaît dès lors peu importante eu égard à la multiplication de ses tâches, qui résulte de son développement accéléré : alors que nous avions 140 étudiants en 2009, nous en comptons aujourd’hui 1 022, campus inclus. L’objectif présenté par l’Université Senghor au Conseil permanent de la Francophonie (CPF) est de former 10 000 cadres supérieurs africains au cours de la prochaine décennie – contribution modeste, mais importante à la fois. Car ce sont des cadres de très haut niveau qui sortent de l’Université Senghor avec une formation technique, mais aussi éthique.

M. Pascal Terrasse, président. Existe-t-il un réseau d’anciens élèves de l’Université Senghor ? Celle-ci en assure-t-elle un suivi ?

M. Albert Lourde. Bien sûr. Ce réseau existe et les Senghoriens ont un esprit de corps : ils sont très fiers de la formation d’élite qu’ils ont reçue ; ils le font même parfois peut-être un peu trop savoir dans leur pays. Ils sont réunis dans une trentaine d’associations nationales elles-mêmes regroupées au sein d’une fédération internationale (AIDUS) qui siège à Yaoundé. Nous sommes en relation étroite avec ces étudiants. Moi-même, lorsque je me rends dans un pays, je suis accueilli par son association nationale.

Nous comptons des ministres parmi nos anciens étudiants, comme le ministre de l’environnement de Guinée. Toutes les structures ministérielles ont une charpente constituée par les étudiants de l’Université Senghor. Le ministre de l’environnement de Côte d’Ivoire m’a indiqué que son ministère avait été constitué d’anciens étudiants de notre établissement, le seul à offrir des formations très spécialisées dans le domaine de l’environnement. Nous comptons aussi parmi nos anciens étudiants des directeurs de cabinet ministériel, de musée ou de port. Plusieurs d’entre eux sont chefs d’entreprise, car nous proposons aussi une formation à l’entrepreneuriat. Par exemple, les étudiants en master de gestion des entreprises culturelles doivent présenter comme mémoire un projet de création d’une industrie culturelle dans leur pays ; la plupart d’entre eux intègrent ensuite le ministère de la culture de leur pays ou créent une société.

M. Jean-René Marsac, rapporteur. Disposez-vous d’outils de suivi de vos anciens étudiants ?

M. Albert Lourde. Nous avons demandé aux promotions les plus récentes de s’inscrire sur une plateforme et tenons nous-mêmes un annuaire des étudiants. Nous recourons parfois à nos anciens étudiants pour dispenser certains enseignements, lorsqu’ils ont le niveau requis, ou pour jouer le rôle d’experts ou de tuteurs dans le cadre de nos enseignements à distance. Nous invitons aussi d’anciens étudiants à venir s’exprimer à la table ronde sur les formations professionnelles que nous organisons dans le cadre du Forum de la jeunesse à Liège. L’OIF les mobilise également.

M. Pascal Terrasse, président. J’ai relevé dans le rapport du commissaire aux comptes et les travaux comptables émis par votre université que les engagements financiers de la France en faveur de votre établissement restaient très élevés par rapport à ceux des États tiers. Néanmoins, pourquoi l’Égypte, pays francophone, membre de l’OIF, ne participe-t-elle pas financièrement au fonctionnement de l’université ?

Votre établissement a-t-il signé une convention d’objectifs et de moyens, comme la plupart des institutions financées par l’État français ? Ne fait-il pas double emploi avec l’AUF ? En quoi s’en distingue-t-il ?

Je relève aussi que dans son tout dernier rapport, le commissaire aux comptes québécois chargé de certifier votre comptabilité a émis de nombreuses remarques – même si je ne vous interrogerai pas aujourd’hui à ce sujet dans la mesure où ce rapport date d’il y a quelques jours à peine…

M. Albert Lourde. Notre conseil d’administration n’en a effectivement pas encore pris connaissance. Je vous l’ai néanmoins envoyé pour vous informer.

M. Pascal Terrasse, président. …mais peut-être pourrez-vous nous indiquer par la suite ce que vous comptez lui répondre.

Enfin, vous nous avez indiqué que les formations délivrées dans les campus Senghor étaient autofinancées. Vos ressources servent donc essentiellement à financer les 175 étudiants qui suivent un cursus à Alexandrie : rapportées à cet effectif, celles-ci vous paraissent-elles satisfaisantes ?

M. Albert Lourde. La contribution française a baissé : de 1,65 million d’euros en 2013, elle est passée à 1,4 million en 2015. Elle représente 52 % de notre budget total, contre 74 % en 2010, car nous avons reçu des ressources complémentaires et réussi à convaincre la Fédération Wallonie-Bruxelles de financer notre institution à hauteur de 62 000 euros annuels depuis 2013. Comme l’a souligné le commissaire aux comptes dans son rapport, entre 2010 et 2014, les ressources de l’université résultant de subventions sont restées relativement stables.

Quant à l’Égypte, elle héberge gratuitement l’Université Senghor dans des locaux provisoires depuis vingt-cinq ans : nous sommes installés dans un grand immeuble en centre-ville, juste à côté du Consulat de France. On parle régulièrement de nous donner un terrain dans la banlieue d’Alexandrie et d’y construire un immeuble, mais ces propositions n’ayant jamais été suivies d’effet, nous préférons rester là où nous sommes, eu égard à la situation sécuritaire de l’Égypte. Cette situation nous pose d’ailleurs problème, car, ces derniers mois, de nombreux professeurs venant de l’extérieur, notamment du Canada, se sont vus refuser l’autorisation de venir en Égypte. Songez que, il y a un mois, ce sont dix-neuf bombes qui ont explosé en une seule journée à Alexandrie.

On constate cependant un changement dans la politique égyptienne : souhaitant se tourner vers l’Afrique, l’Égypte a compris que l’Université Senghor pourrait être un instrument de sa politique étrangère dans la mesure où nous amenons dans le pays des centaines de cadres supérieurs qui peuvent en repartir en amis ou, au contraire, mécontents. C’est pourquoi, lors de la cérémonie de remise des diplômes en 2009, la secrétaire d’État aux affaires étrangères nous a promis que l’Égypte allait accorder des bourses à nos étudiants.

Dans la convention d’objectifs et de moyens que nous avons conclue avec le ministère des Affaires étrangères, nous nous étions engagés à limiter nos coûts de fonctionnement et à trouver des ressources innovantes au lieu de nous contenter de subventions. Et c’est effectivement ce que nous avons fait. Nous avons d’abord réalisé des économies considérables, la rémunération des heures de cours étant passée de 200 à 70 euros. J’ai supprimé les heures d’encadrement qu’assuraient les professeurs auprès des élèves pour 200 euros de l’heure – ce qui m’a valu l’hostilité de plusieurs enseignants. J’ai diminué les indemnités de stage de 1 000 à 800 euros par mois pour les étudiants se rendant en Europe, les alignant sur les montants de l’AUF, et de 800 à 600 euros par mois pour les étudiants effectuant leur stage en Afrique. J’ai aussi réduit la durée de stage d’un trimestre à deux mois et demi. D’autre part, pour les jurys d’examen et les recrutements, j’ai privilégié les vidéo-conférences par rapport aux déplacements individuels qu’effectuaient les directeurs à la fin de l’année. Cela nous a évité des dépenses. Alors que, avant mon arrivée, tous les deux ans en période de stage, il était retiré entre 250 000 et 300 000 euros sur le fonds de réserve, je n’ai pour ma part jamais touché à ce fonds. Ce fonds représente 1,1 million d’euros. Nous avons décidé que le recteur ne pouvait y toucher, mais, chaque année, j’y ajoute un excédent – il s’élève à 466 000 euros cette année.

M. Jean-René Marsac, rapporteur. Dans le document comptable qui nous a été remis, les dépenses administratives représentent la moitié de votre budget.

M. Albert Lourde. C’est une question de présentation, car le poste « personnel administratif » inclut les frais de mission et de transport des professeurs qui se déplacent pour enseigner, ainsi que le budget de restauration et d’hébergement de nos étudiants. Ce poste inclut aussi les salaires de nos quatre directeurs de département, qui sont eux-mêmes professeurs à raison de soixante heures de cours et qui contrôlent le bon fonctionnement de nos campus. Le salaire des personnels associés apparaît sur une ligne budgétaire distincte.

M. Pascal Terrasse, président. Combien y a-t-il de personnels rattachés à l’université ? Quel ratio représentent-ils dans votre budget ?

M. Albert Lourde. En 2015, l’université emploie cinquante-neuf Égyptiens en contrat à durée indéterminée, contre cinquante-six en 2005, et six expatriés. La rémunération des personnels égyptiens n’est guère élevée : elle varie entre 115 euros par mois pour les gardiens et les femmes de ménage, et 1 900 euros pour les directeurs égyptiens. En 2014, le personnel expatrié a coûté 464 964 euros et le personnel égyptien, 354 234 euros. J’aimerais me séparer de certains personnels expatriés mais, étant donné la situation de l’Égypte, je ne trouve personne pour les remplacer à leur niveau d’expérience. Je suis donc obligé de retarder certains recrutements.

S’agissant des financements innovants, les campus Senghor nous ont rapporté 659 000 euros, puisqu’ils ne nous coûtent rien. Quant aux formations continues, elles nous ont rapporté 1 782 607 euros depuis 2010 : elles ont en effet coûté au total 2,051 millions, dont seuls 268 393 euros ont été financés par l’Université Senghor. Le reste a été payé par divers organismes, qui n’étaient pas nécessairement concernés par la Francophonie : Sanofi, l’Université de Johannesburg, la mairie de Port-Bouët, l’Association nationale des chirurgiens-dentistes du Burkina Faso, le groupement des associations francophones dentaires, l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), la Wildlife Conservation Society (WCS), l’Union africaine et la Bibliotheca Alexandrina.

Les campus Senghor s’autofinancent en imposant des droits d’inscription, qui s’élèvent à 2 600 euros par étudiant. Nous considérons qu’une formation est financée dès lors que quinze à vingt étudiants y sont inscrits. Nous envoyons une facture à tous les candidats à nos formations, qui cherchent alors des financements auprès de différentes sources. Les ambassades de France préfèrent ainsi payer une bourse annuelle de 3 000 euros à un étudiant de l’Université Senghor plutôt qu’une bourse beaucoup plus élevée à cet étudiant en France. Les ministères financent également des bourses pour leurs propres cadres. Certaines entreprises participent aussi, de même que des organismes comme l’UICN et l’Institut francophone de développement durable, organe de l’OIF, qui ont financé notre master de droit et politique de l’environnement à Ouagadougou. Le ministère des finances burkinabé a quant à lui intégralement financé en 2013-2014 le master d’audit et de contrôle de gestion des services publics basés sur le risque, que nous avions mis en place à l’École nationale des régies financières de Ouagadougou. Il s’agissait d’un financement indirect assuré par la Banque mondiale.

Nous n’ouvrons de formation dans un pays que lorsque nous sommes assurés de disposer de financements couvrant tous nos coûts. Nous offrons actuellement quatorze formations à l’extérieur, contre neuf à l’Université Senghor. Il est donc possible à la Francophonie de se développer sans financement étatique supplémentaire. Pour cela, il faut proposer des formations spécialisées, correspondant aux besoins des différents pays et qui conduisent à l’emploi. Nous sommes demandés partout, tant les besoins sont considérables, car les formations traditionnellement proposées en Afrique sont généralistes – en droit public, droit privé, sociologie, relations internationales – et ne conduisent pas à l’emploi, contrairement aux nôtres. J’ai pu ouvrir des masters à Djibouti qui a, pour ce faire, obtenu des financements de la Banque mondiale. Nous aidons différents pays à former les spécialistes dont ils ont besoin, c’est-à-dire que nous formons des formateurs. Ces formations viennent en appui des politiques de modernisation des systèmes d’enseignement supérieur africains, et c’est pourquoi nous avons l’appui des autorités ministérielles locales.

M. Jean-François Mancel, rapporteur. Comment vous assurez-vous que les étudiants qui viennent étudier à Alexandrie restent ensuite en Afrique ?

M. Albert Lourde. D’abord parce qu’ils ne quittent pas l’Afrique. J’ai constaté une évolution notable. D’habitude, c’est en Europe ou au Canada que nos étudiants demandent à effectuer leur stage. Or, en 2014, 90 % d’entre eux ont demandé à partir en l’Afrique : c’est la preuve d’un changement d’attitude. Moi-même, lorsque j’étais étudiant, j’avais des collègues africains et maghrébins qui, après leurs études, pouvaient très bien rester en France, puisque l’on connaissait le plein emploi dans les années 1960. Or, ils préféraient eux aussi rentrer dans leur pays et contribuer à son développement. Lorsque, à l’époque de la dernière révolution, j’enseignais au Burkina Faso, les cadres m’ont dit avoir tout essayé – le capitalisme, le libéralisme, le socialisme, la révolution –, mais que rien ne fonctionnait. Cet accablement les a poussés à vouloir quitter leur pays, en l’absence de solution collective. Mais, aujourd’hui, avec les perspectives de développement de l’Afrique, une croissance moyenne de 6 % et des possibilités d’emploi, les étudiants reviennent dans leur pays, car leur patriotisme n’a jamais failli. Les cadres, à qui nous donnons une formation très pointue, n’ont aucun problème pour trouver un emploi. Certains retrouvent même leur ministère d’origine en bénéficiant d’un avancement.

Quant à l’AUF, dont j’ai été directeur régional en Asie dans les années 2000, c’est une institution très différente de l’Université Senghor. L’AUF est une association d’universités qui ne délivre pas de diplômes, mais qui accorde des subventions afin de financer des mobilités, de la recherche, des colloques et des réseaux de chercheurs. Elle n’exerce aucune autorité sur les universités dont elle est partenaire. Si elle est sollicitée pour monter une formation, elle doit faire appel aux bonnes volontés au sein de son réseau et c’est assez compliqué. Senghor est une université fonctionnant comme une grande école spécialisée dans le développement africain. Lorsqu’on me demande de monter un master, je le fais dans les trois mois. Nous fonctionnons de façon très peu bureaucratique, très légère et par conséquent très efficace. Cela étant, l’AUF est très utile, car elle apporte des financements : c’est notamment grâce à elle que la mobilité des enseignants est possible en Afrique. Elle finance également les préparations au CAMES et aux concours d’agrégation.

M. Pascal Terrasse, président. Recevez-vous des financements de l’OIF et d’autres organismes ?

M. Albert Lourde. Oui. Nous entretenons une coopération très étroite avec différents opérateurs. Le Conseil de coopération de l’OIF se réunit très régulièrement en présence de sa Secrétaire générale afin de déterminer ce que ces opérateurs peuvent faire ensemble. J’étais notamment hier à l’OIF afin de mettre en place un master de gestion des industries culturelles à Saint-Louis, dont l’OIF financera la moitié. Notre université contrôle de façon centralisée toutes ses formations externes du point de vue scientifique, pédagogique et financier. Par sécurité et pour plus de visibilité, il n’est pas question que nos campus perçoivent directement sur place les bourses et les droits d’inscription de leurs étudiants. Nous participons également à certains projets. Par exemple, la Direction de la langue française de l’AUF ayant conçu un répertoire des médias francophones, c’est l’université Senghor qui en a réalisé la partie consacrée aux médias francophones africains. Nous entretenons des relations quotidiennes avec l’AUF, surtout au Moyen-Orient, l’Université Senghor ayant notamment accueilli la réunion de l’école doctorale de droit du Moyen-Orient, organisée par l’AUF. Cette dernière finance un module de notre master à distance de gestion hospitalière.

Nous entretenons des liens avec l’AIMF, avec laquelle nous avons organisé un colloque sur les finances locales et le développement à Alexandrie. À cette occasion, nous avons élaboré, en 2013, un guide de la démocratie participative à destination des élus locaux. L’AIMF nous aide également à trouver des stages pour nos étudiants dans les collectivités territoriales.

Quant à TV5 Monde, elle nous assiste pour faire connaître nos offres de master et nos concours de recrutement. La chaîne a également diffusé deux grandes émissions sur notre université, l’une réalisée par Denise Epoté en 2010, l’autre par Ivan Kabacoff en 2014, intitulée « Destination Alexandrie ».

M. Pascal Terrasse, président. Pourriez-vous compléter vos réponses par écrit, une fois que votre conseil d’administration se sera réuni ?

M. Albert Lourde. Bien sûr. Je tenais simplement à ajouter que les travaux du commissaire aux comptes étaient l’une des contributions du Québec à notre projet.

M. Pascal Terrasse, président. Nous vous remercions d’avoir bien voulu participer à nos travaux.

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