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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mission d’évaluation et de contrôle

Les chambres consulaires, leurs missions et leurs financements

Mercredi 27 mai 2015

Séance de 14 heures 30

Compte rendu n° 23

Présidence de M. Olivier Carré, président

– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant des représentants des organisations patronales : M. Jean Vaylet, président du comité chambres de commerce et d’industrie du Mouvement des entreprises de France (MEDEF), M. Philippe Guillaume, vice-président de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) en charge de la coordination des unions, M. Henry Brin, président du conseil de l’artisanat de la Fédération française du bâtiment (FFB), et M. Pierre Burban, secrétaire général de l’Union professionnelle artisanale (UPA).

Mme Monique Rabin, rapporteure. Nous avons engagé une réflexion sur les chambres de commerce à la suite des décisions budgétaires que nous avons prises à leur égard lors de l’adoption de la loi de finances pour 2015. Il s’agit de dissiper une forme d’incompréhension qui a pu exister entre le Parlement et les chambres de commerce, et de mieux mesurer l’impact des prélèvements qui ont été décidés. Après avoir rencontré les organisations syndicales de personnels, nous désirions vous entendre dans le cadre de cette mission d’évaluation et de contrôle.

M. Philippe Guillaume, vice-président de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) en charge de la coordination des unions. Je précise tout d’abord que je suis chef d’entreprise et président de la chambre de commerce et d’industrie (CCI) de Moselle. Au nom de la CGPME, je tiens à exprimer notre attachement aux corps intermédiaires que sont les CCI et les chambres de métiers et de l'artisanat (CMA) et je tiens à signaler que nous cherchons à favoriser le rapprochement entre les deux réseaux.

Les récentes décisions budgétaires nous inquiètent en ce qu’elles remettent en cause les moyens humains et financiers dont ces chambres sont dotées. Les corps intermédiaires sont des amortisseurs nécessaires à la vie des entreprises, en particulier à celle des petites et moyennes entreprises (PME) et des très petites entreprises (TPE). De telles décisions budgétaires les transforment en simples établissements secondaires de l’État : les budgets sont fléchés et les chambres n’ont plus guère d’autonomie alors qu’elles jouent un rôle important pour les PME. Après ce choc, on peut imaginer que nous allons revenir à une situation plus supportable pour les uns et les autres.

Certes, certaines chambres avaient tendance à thésauriser, ce qui n’était peut-être pas acceptable, mais d’autres, beaucoup plus vertueuses, étaient de vraies alliées pour les collectivités territoriales et les entreprises. À défaut de pouvoir revenir sur la réduction des fonds propres déjà effectuée, il va falloir freiner ce mouvement à l’avenir, sinon les chambres finiront par ne plus exister.

Sur le plan national, la CGPME reste attentive au maintien de ces corps intermédiaires et des moyens dont elles disposent. Les ponctions réalisées sur les fonds pérennes des chambres constituent une fiscalisation déguisée puisqu’une partie de ces prélèvements est revenu à l’État et non pas aux entreprises. En outre, cette mesure budgétaire va se traduire par un plan social probablement sans précédent. Ce n’est pas aux organisations professionnelles de le souligner mais, en tant que président de chambre, je vous indique que des plans sociaux sont déjà en cours, notamment dans les CCI de Lorraine où plus de 140 emplois de cadres ont déjà été supprimés.

D’un point de vue politique, la CGPME estime que les chambres consulaires doivent conserver les moyens suffisants pour assurer aux PME le service qu’elles attendent et entretenir avec elles un lien de proximité. Ce sont des structures qui jouissant d’une certaine autonomie, qui étaient gouvernées par des chefs d’entreprise pour des chefs d’entreprise, mais nous sommes en train de changer de régime. La CGPME nationale réaffirme la nécessité de revoir cette réforme qui a des conséquences néfastes sur les PME et les TPE.

Dans votre questionnaire, vous nous interrogez sur nos liens avec le réseau des CCI et sur notre appréciation de la relation que nous avons avec la fédération CCI France. Nous avons des représentants dans CCI France ; trente-cinq CCI et une vingtaine de CMA sont gérées par des membres de la CGPME, en partenariat avec nos camarades et collègues du MEDEF et de l’UPA. Ce lien entre le réseau des chambres consulaires et les organisations patronales est fort et permanent, mais il s’est probablement distendu. Nous devons le restaurer au travers de nos élus et veiller à ce que l’idée d’une culture du résultat prospère au sein du réseau.

Nos relations ont toujours été fondées sur l’échange de bonnes pratiques : la fédération CCI France nous a présenté, lors de notre assemblée générale, la CCI du futur, ses objectifs, sa capacité à impulser une nouvelle dynamique. Nous pensons d’ailleurs qu’il faudrait renforcer le rôle de CCI France en matière d’orientation stratégique des CCI.

Quelle est notre appréciation de la qualité des services rendus aux entreprises par le réseau des CCI ? Le réseau se soucie d’offrir un maximum de services aux entreprises, surtout aux TPE et PME qui n’ont pas forcément, en interne, les moyens d’assurer leur développement. Faire grandir nos entreprises, c’est un défi national. Encore faut-il que le réseau de CCI ait les moyens humains et matériels d’y répondre, ce qui n’est pas le cas actuellement. D’où notre inquiétude.

Quelles sont les principales missions que les CCI doivent remplir pour accompagner les entreprises dans leur activité ? Quelles pistes d’amélioration pourraient-elles être envisagées ? Au niveau national, nous avons tous mobilisé nos forces pour conduire des actions utiles aux PME et TPE, mais nous sommes confrontés à un problème budgétaire important. Certaines chambres accompagnent des réseaux d’entreprises, favorisent des mutualisations, aident des associations à grandir dans tous les secteurs d’activité. Cette mission d’appui direct est désormais remise en cause. De même, la relation de proximité que le réseau consulaire doit entretenir avec les entreprises est menacée par la construction des grandes régions. Pour reprendre l’image du jet d’eau de Bergson, plus on monte en puissance, plus on s’éloigne de la base. Nous devons donc rester attentifs aux CCI territoriales (CCIT).

Cela étant, nous ne pouvons pas reprocher à l’État son millefeuille administratif si nous ne sommes pas capables nous-mêmes de faire des efforts de rationalisation : la création d’une grande région doit permettre la suppression, au moins, de l’échelon régional actuel. Il est urgent de redéfinir les périmètres afin de simplifier le maquis existant et de rendre l’organisation plus lisible pour les entreprises. D’après le sondage que nous avons fait réaliser, les chefs d’entreprise ont une opinion favorable, voire très favorable, du réseau consulaire. J’appelle votre attention sur le fait qu’ils seront très attentifs aux mesures qui pourraient être prises à l’égard de ces corps intermédiaires.

S’agissant de la régionalisation, je reste attaché à quelques idées : il ne faut pas reproduire le millefeuille administratif et la proximité doit rester une préoccupation permanente. Le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) doit être adopté pour que nous puissions organiser nos réseaux car la création de grandes régions aux périmètres non définis au préalable nous met dans un trouble certain.

Enfin, la CGPME souhaite que l’on revienne sur plusieurs dispositifs. Certaines chambres ne peuvent atteindre la taille critique que via des regroupements et d’autres ont un poids économique important qui leur permettra d’être les vraies locomotives d’une région. Pour autant, il ne faudrait pas s’en tenir au seul périmètre des anciennes régions, trop clivant et inadapté aux entreprises qui raisonnent en termes de bassin de vie et d’activité pour élaborer leur stratégie. L’Association des maires de France (AMF) et l’Assemblée des communautés de France (AdCF) travaillent sur cette notion de bassin de vie.

Mme Catherine Vautrin, rapporteure. Vous nous avez beaucoup parlé de l’organisation des CCI – peut-être ès qualités puisque vous en présidez une – mais assez peu de leurs missions. Certaines missions vous semblent-elles plus importantes que d’autres ?

À la lumière de la loi NOTRe, vous plaidez – comme quelques homologues de votre département – pour des chambres départementales qui soient à l’échelle des bassins de vie. D’autre part, vous exprimez votre inquiétude à la suite de décisions budgétaires que je qualifierais d’unilatérales. Vous ont-elles obligé à renoncer à certains projets ?

M. Philippe Guillaume. Ces décisions budgétaires nous ont mis dans des situations extrêmement périlleuses et nous pourrions vous dresser une liste d’investissements qui sont de ce fait devenus impossibles.

La restructuration de sites militaires, notamment en Lorraine, porte sur des espaces fonciers considérables dont il faut assurer la garde puis le développement autour de projets précis et pertinents. La CCI n’a plus les moyens d’intervenir en tant que partenaire de cette restructuration car, fidèle à sa politique d’accompagnement permanent des projets locaux, elle a utilisé tous ses fonds : nous avons notamment investi 6 millions d’euros pour développer le fret sur le fleuve Moselle, contribué à la création de palais des congrès, etc.

Nous avons toujours été des partenaires pour les maires et les présidents de communauté auxquels nous voulions apporter notre regard particulier de chefs d’entreprise sur l’investissement territorial et régional. Tous les élus n’ont pas une vraie connaissance de l’entreprise, ce que l’on peut comprendre, et nous leur apportions cette dimension. Nous pouvions contribuer, même modestement, à des projets structurants pour des territoires.

Quant aux TPE et PME, elles ont besoin qu’on les aide à développer des filières et des centres de recherche. Avec Jean Vaylet et Jean Therme, le directeur de la recherche technologique du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA-Tech), nous avons constitué un partenariat extraordinaire afin de créer en Moselle un centre dédié à la recherche appliquée. Nous n’aurons plus les moyens de participer à ce genre de projets et de porter notre regard d’entrepreneur sur des dispositifs politiques, au sens noble du terme. Devenus des établissements secondaires de l’État, nous ne serons plus aussi actifs et dynamiques.

Mme Monique Rabin, rapporteure. Que pensent les autres représentants d’organisations patronales de ce qui vient d’être dit ? Nous n’avons que peu d’informations concrètes sur les investissements réellement abandonnés après avoir connu un début de réalisation sous la forme d’études, de travaux, etc. Nous sommes très intéressés par des exemples précis en la matière.

M. Philippe Guillaume. En ce qui concerne le palais des congrès, il s’agit d’un investissement de 2,5 millions d’euros.

M. Jean Vaylet, président du comité CCI du Mouvement des entreprises de France (MEDEF). Vous m’avez déjà auditionné en ma qualité de président de la CCI de Grenoble et je reviens devant vous avec ma casquette du MEDEF, puisque j’y suis notamment conseiller de Pierre Gattaz.

À quelques différences marginales près, je suis d’accord avec tous les propos que vient de tenir mon ami Philippe Guillaume. Pour le MEDEF, les CCI sont des partenaires privilégiées : elles sont notre bras armé sur le terrain national ou local.

Au niveau local, 75 % des CCI sont présidées par des membres du MEDEF, parfois de manière conjointe avec des membres de la CGPME. Le MEDEF est donc très impliqué dans la vie et les instances des CCI, et les relations sur le terrain sont très efficaces. Au niveau national, depuis 2013, Philippe Guillaume et moi-même, nous sommes entrés au comité directeur de CCI France, en tant qu’observateurs, ce qui montre bien le lien qui peut exister entre nos organisations et le réseau des chambres. Nous y donnons le point de vue de nos organisations professionnelles sans participer à la prise de décision. En outre, les présidents des différentes organisations se rencontrent environ trois fois par an pour faire le point.

Cette relation est très étroite car nous menons le même combat – le développement des territoires et donc celui des entreprises qui y sont implantées – même si les modes d’action sont un peu différents et complémentaires puisque le MEDEF et la CGPME se placent sur un terrain politique alors que les CCI sont des structures opérationnelles.

Quelle est notre appréciation de la qualité des services rendus aux entreprises par le réseau des CCI ? Comme le montre l’enquête évoquée par Philippe Guillaume, les entreprises apprécient les services des CCI quand elles les connaissent, mais les chambres consulaires doivent améliorer leur communication. Ce travail d’information est déjà engagé et il prendra une nouvelle ampleur dans les CCI de demain, telles qu’imaginées par le réseau. Ces nouvelles CCI, complètement révolutionnaires, marqueront une rupture par rapport au passé.

Quelles sont les principales missions que les CCI doivent remplir pour accompagner les entreprises dans leur activité ? Les CCI remplissent d’abord une mission de formation puisqu’elles arrivent en deuxième position dans ce domaine, après l’éducation nationale. Elles jouent un rôle en matière d’information par le biais de leurs observatoires économiques, de leurs études et publications. Elles constituent aussi un appui pour les entreprises qu’elles aident notamment dans leur développement à l’international, une nécessité pour les PME et les entreprises de taille intermédiaire (ETI). Par exemple, CCI International s’est allié à Business France et à MEDEF International pour leur proposer Stratexio, un programme d’accompagnement sur trois ans. Voilà un travail concret de mutualisation destiné à aider les entreprises.

Les CCI suivent en quelque sorte deux modèles : certaines agissent comme des sociétés de services, c’est-à-dire qu’elles vendent des prestations, apportent une valeur ajoutée et peuvent, dans certains cas, jouer un rôle important de développement économique ; d’autres se situent davantage dans l’accompagnement des entreprises, en contrepartie de la taxe perçue. Or la baisse des financements remet en cause l’accompagnement gratuit et pousse au développement de services à valeur ajoutée, donc rémunérés, notamment dans l’aide à la conquête de marchés à l’étranger. J’ai en tête l’exemple d’une métropole qui a confié au réseau des CCI l’accompagnement à l’international de ses entrepreneurs. Dans ce genre de cas, il est normal que les CCI soient rémunérées.

Dans la réforme des territoires en cours au niveau de l’État, l’accent est mis sur les régions, qui représentent un poids économique important. Les CCI, tout comme le MEDEF, devront calquer leur organisation sur ces nouvelles régions pour que les échanges puissent se faire aux bons niveaux, tout en conservant un contact de proximité avec les entreprises. Pour travailler tout à la fois à l’échelon régional et en proximité, dans un contexte de baisse de financements, les CCI vont devoir rationaliser leur fonctionnement : mutualiser certains services, spécialiser certaines structures, etc. Dans la nouvelle région Rhône-Alpes, par exemple, il va y avoir dix-sept CCI dont seulement trois ou quatre feront de l’appui au développement international.

La réforme territoriale et la baisse des financements conduisent donc à une mutation profonde du réseau des CCI, qui n’ira pas sans périodes pénibles et plans sociaux.

S’agissant des mesures adoptées dans le cadre des deux dernières lois de finances, le MEDEF est totalement en phase avec la CGPME. Pour compléter le propos, je précise que nous ne sommes pas opposés à une diminution de la taxe puisque nous plaidons pour une réduction des charges qui pèsent sur les entreprises. En revanche, nous sommes choqués par la brutalité de ces mesures qui ont mis les CCI dans une situation où elles n’ont plus les moyens d’assurer leurs missions de base. Pousser les CCI à faire un effort de rationalisation n’a rien d’anormal aux yeux des chefs d’entreprise que nous sommes. Cette approche nous semble naturelle à condition que les évolutions aient un sens et qu’elles s’effectuent après un préavis minimum. Quant aux 500 millions d’euros prélevés sur les réserves des CCI, ils sont peut-être nécessaires au financement du budget de l’État, mais nous aurions apprécié qu’ils soient affectés au monde économique.

M. Henry Brin, président du conseil de l’artisanat de la Fédération française du bâtiment (FFB). Notre fédération a la particularité d’être présente à la fois dans les CCI – nous y avons 800 élus et dix-huit présidents – et dans les CMA. Alors que se pose la question de la mutualisation de certaines fonctions dans le réseau géographique des CCI, nous pouvons témoigner, à la lumière de notre pratique de terrain, que les expériences inter-consulaires sont positives et que des actions conjuguées peuvent être proposées dans certains domaines. Nous constatons tous qu’il est nécessaire de garder un lien avec nos ressortissants et que 60 % d’entre eux sont à la fois dans les CCI et les CMA. Or les CCI sont parfois vues comme le diable au niveau national, surtout dans le réseau des CMA. Les CCI et les CMA ont pourtant intérêt à développer une coopération qui est appréciée par leurs financeurs que sont les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) et les conseils régionaux.

Le travail en commun se révèle aussi très positif dans le champ des ressources humaines, quand il s’agit d’apporter une aide aux TPE et aux artisans confrontés à la complexité des contrats de travail. Dans le domaine de la formation, nous constatons les effets bénéfiques d’un double accompagnement des apprentis : le taux de persévérance s’accroît tandis que le taux d’échec diminue et les chefs d’entreprise ont tendance à reprendre des apprentis.

Sur des thèmes qui vous sont chers, tels que la traçabilité et la création de filières, les pratiques inter-consulaires ont toute leur place. Une chambre d’agriculture, une CCI et une CMA se sont ainsi alliées pour créer une filière du pain qui est reconnue et qui fait la fierté d’un territoire. Tout en gardant leurs spécificités, artisans et commerçants doivent parvenir à travailler ensemble, à élaborer des missions communes sur des problématiques générales. Pour conserver des relations de proximité avec nos ressortissants et ouvrir des délégations sur les territoires, ces alliances sont d’autant plus nécessaires que les dotations diminuent.

Venons-en au plan politique. Le réseau des CMA compte six systèmes de fonctionnement différents, ce qui n’est lisible ni par nos financeurs ni par nos ressortissants. Dans l’étude réalisée par Fiducial et l’Institut français d'opinion publique (IFOP), 70 % de nos ressortissants parlent de fusion des réseaux. Nous n’en sommes pas là, car nous cherchons seulement à travailler ensemble, mais nous devons être attentifs aux réactions de nos ressortissants. Rappelons qu’à peine 20 % de notre corps électoral va voter, ce qui pose un problème de légitimité.

Nous devons être innovants et coller à la réalité. Dans le monde de l’entreprise, la simplification n’est pas une mode, c’est une réalité. Nous devons travailler ensemble sur le territoire. D’ailleurs, nous sommes entendus quand nous adressons ce message aux artisans, commerçants et chefs d’entreprise.

En matière de gouvernance régionale, le monde politique a montré l’exemple : il existe des listes électorales départementales mais avec un projet régional fédérateur. Nous devons nous appuyer sur ce modèle pour mener ensemble la réforme de la régionalisation : nous devons conserver nos spécificités départementales tout en œuvrant à un projet commun. Dans la loi qui nous est présentée, il n’y a pas de corrélation entre les différents projets départementaux. Dans ces conditions, comment pourrions-nous être en ordre de marche et surtout rendre service aux entreprises ? Nous souhaitons que cette réflexion soit menée à bien parce que notre raison d’être est d’aider les entreprises à progresser, à créer des emplois et à faire vivre notre pays.

Mme Catherine Vautrin, rapporteure. Alors que M. Guillaume raisonnait en termes de bassins d’emploi, vous partez d’une vision régionale avec ces déclinaisons département par département.

M. Henry Brin. Il ne faut pas opposer ces deux visions, bien au contraire, car la régionalisation peut favoriser la proximité.

Mme Catherine Vautrin, rapporteure. Vous avez chacun votre manière d’exprimer la proximité : l’un la relie au bassin de vie, l’autre à une carte plus administrative mais vous avez tous les deux une approche régionale avec des déclinaisons locales. Je remarque que, dès lors que ce sont des professionnels qui s’expriment, ils ont tendance à revenir sur l’organisation des chambres consulaires.

M. Jean Vaylet. Loin de s’opposer, ces deux plans sont très complémentaires. Mais il faudra laisser une certaine souplesse aux régions qui diffèrent par leur taille, le poids de l’activité agricole ou industrielle dans leur économie, etc. Plutôt que de chercher à décliner un modèle unique national, il faut laisser aux régions la capacité de trouver des solutions adaptées à leur profil.

M. Pierre Burban, secrétaire général de l’Union professionnelle artisanale (UPA). Si l’UPA est davantage concernée par les CMA – 80 % de nos ressortissants en font partie – elle ne s’est jamais désintéressée des CCI et elle participe à la gestion de certaines d’entre elles, souvent en partenariat avec la CGPME et le MEDEF. Pour autant, nous restons attachés au maintien des deux réseaux pour une raison qui vaut depuis 1926, année de la création des CMA : hormis dans les départements très ruraux, les CCI ne s’occupent pas forcément des très petites entreprises, celles qui ont sans doute le plus besoin d’aide.

L’UPA plaide aussi pour une complémentarité entre les organisations professionnelles et les chambres consulaires. Nous avons trop souvent vu des organismes qui vivaient sur eux-mêmes et, à un moment où il faut faire des économies, ceci n’est plus possible. Le président Brin a insisté sur la recherche de complémentarité. Nous avons travaillé dans ce sens avec les CMA et, même si ce n’est pas parfait, nous sommes parvenus à une certaine répartition des missions : les organisations professionnelles s’impliquent dans les ressources humaines tandis que les chambres consulaires investissent le domaine économique. Nous pensons qu’il faut travailler de cette manière à l’avenir.

Mme Monique Rabin, rapporteure. Pourriez-vous nous donner des exemples et des contre-exemples ?

M. Pierre Burban. Tout ce qui concerne les ressources humaines sera traité par les organisations professionnelles – voire interprofessionnelles – de branche. En revanche, l’urbanisme commercial, par exemple, sera l’apanage des CMA. Nous avons négocié une répartition des services afin d’éviter les redondances et les concurrences et de rationaliser le système.

Nous n’avons pas attendu l’État pour rationaliser les réseaux : dès 2005, lors des élections aux CMA, nous avions donné des consignes en ce sens. Nous ne pouvons pas demander à l’État et aux collectivités territoriales de faire des économies si, de notre côté, nous ne veillons pas à l’usage que nous faisons de l’argent des entreprises et du contribuable. Chacun doit se montrer responsable à l’endroit où il se situe. Avant même l’adoption de la loi sur la régionalisation des chambres, nous avions donc encouragé la mutualisation.

Dans le domaine économique, il est évident que la région est, plus que jamais, le niveau d’action le plus adapté. Les chambres consulaires, en particulier les CMA, interviennent beaucoup dans le domaine de la formation professionnelle, de l’apprentissage. Or les dernières réformes vont renforcer le rôle du conseil régional en matière d’apprentissage.

Nos consignes ont-elles été suivies ? Autant qu’elles pouvaient l’être dans un réseau, quel qu’il soit, mais les CMA sont bien allées dans le sens de la mutualisation, de la régionalisation. Pour nous, il est évident qu’il faut passer de vingt-deux à treize régions. Cela étant, si nous sommes favorables à la régionalisation et à la mutualisation, nous considérons qu’il ne faut pas oublier un principe de base : la proximité est fondamentale, particulièrement pour les plus petites entreprises.

Le MEDEF, la CGPME et l’UPA ont défendu ces principes que je viens d’évoquer – la mutualisation au plan régional, la complémentarité et le maintien de la proximité – lors de la régionalisation des Unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF). L’État doit donner des impulsions, accompagner la rationalisation. Face aux syndicats de salariés, nous avons des scrupules à dire ce que cela signifie : réduire les coûts de fonctionnement, c'est-à-dire faire aussi bien – voire mieux – avec moins. Mais nous avons de plus en plus l’impression que l’État et nos organismes de tutelle considèrent que nous ne participons pas à l’effort collectif.

Nous avons tous conscience que nous vivons au-dessus de nos moyens depuis trente ans et que, malheureusement, cela ne pourra pas durer. Si nous voulons conserver des systèmes qui fonctionnent, que ce soit dans la sphère consulaire, dans le domaine de la Sécurité sociale ou autre, nous devons y aller tous ensemble, comme un pack au rugby.

M. Henry Brin. Nous devons y aller tous ensemble. Il ne suffit pas de le dire, il faut aussi créer les conditions d’un travail collectif qui doit être impulsé du plus haut niveau. Il faut savoir ce que le Gouvernement et les élus veulent faire de nos réseaux ? Certains rapports du Parlement ou de la Cour des comptes ne donnent pas une vision idyllique de notre fonctionnement. En période de crise, la volonté des hommes joue un rôle important et, autour de cette table, vous avez des personnes qui veulent aller de l’avant. La spécificité de chacun de nos réseaux ne doit pas nous empêcher de travailler ensemble, ni d’avoir une gouvernance lisible et efficace.

Attention, avec moins 20 % de votants aux élections consulaires, le risque est de voir émerger des mouvements populistes, un peu spontanés et formés de gens qui agitent un drapeau rouge, comme nous l’avons constaté dernièrement lors des manifestations sur le régime social des indépendants (RSI). Avec des moyens réduits, nous peinons à être présents dans les domaines de l’apprentissage, de la formation continue, de l’aménagement du territoire. Ne nous dépouillez pas trop, ne nous laissez pas dans l’incertitude si vous ne voulez pas que certaines chambres consulaires soient bientôt gérées par des gens plus opportunistes que réalistes.

Mme Catherine Vautrin, rapporteure. Nous sommes tous conscients de la nécessité de réduire la dépense publique dans sa globalité, comme M. Burban vient de le dire. L’objet de cette mission est avant tout d’évaluer le choc qu’ont représenté les récentes mesures budgétaires pour vos réseaux, et les conséquences que pourraient avoir les projets de loi de finances à venir. À juste titre, certains d’entre vous ont mis en avant le fait que de l’argent pris aux entreprises est allé vers ce que l’on pourrait qualifier de puits sans fond, la dette globale de l’État.

Nous sommes aussi tous conscients de la nécessité d’en finir avec les doublons, ce qui suscite la question suivante : quelles sont les missions des uns et des autres ? À un moment où l’argent public se faire rare, chaque euro doit être utilement dépensé ; il n’est plus possible de dupliquer les actions comme cela a pu être le cas à une époque dans le domaine de l’aide au développement international, un secteur qui comptait de nombreux acteurs.

Pour en revenir à notre mission, les acteurs responsables que nous sommes doivent parvenir à y voir clair sur la manière dont les évolutions territoriales en cours peuvent se traduire sur vos organisations. Certaines collectivités, comme les villes et les EPCI, n’ont pas forcément les moyens d’assumer une démarche économique. Comment s’inspirer d’initiatives qui existent dans certains départements pour faire mieux ? Nous avons envie d’avancer avec vous sur ces points.

Mme Monique Rabin, rapporteure. Je vais abonder dans le sens de ma collègue, même si j’ai une sensibilité différente.

Tout d’abord, je voudrais revenir sur les licenciements annoncés dans telle ou telle chambre au début de l’année. Cette réforme était déjà en marche car j’ose croire que ces licenciements ne résultent pas directement d’une décision applicable au 1er janvier 2015. Il serait intéressant d’avoir une appréciation plus juste sur ce point. Tout en étant sensibles à l’impact de ces mesures sur les chambres consulaires, nous devons bien admettre que des économies sont nécessaires. Rassurez-vous, monsieur Burban, l’État y prend sa part ; D’aucuns se plaignent, d’ailleurs, de n’avoir plus d’interlocuteurs dans nombre d’administrations.

Ensuite, j’aimerais en entendre davantage sur des mots forts que vous avez employés : légitimité et lisibilité. Quand moins de 18 % de chefs d’entreprise viennent voter dans les chambres de commerce, on peut s’interroger sur ces notions. Lors d’un récent stage en entreprise – de ceux qui nous sont souvent réclamés par le monde économique – j’ai été amenée à rencontrer de multiples chefs d’entreprise. Quand je leur posais la question, ils me répondaient tous qu’ils ne s’intéressaient pas à la vie des chambres. En tant qu’élus et responsables, nous devons nous interroger sur la lisibilité, l’utilité, l’efficience des réseaux consulaires.

Enfin, nous sommes ici parce que nous voulons comprendre quelles sont les missions fondamentales des chambres qui devront, quoi qu’il arrive, être confortées.

M. Pierre Burban. La manière dont s’effectuent les prélèvements pose problème. D’une loi de finances à l’autre, nous constatons que des fonds dédiés sont réaffectés au budget de l’État, ce qui est totalement incompréhensible. À la longue, cela favorise ce qui décrivait le président Brin : l’émergence de mouvements contestataires très forts, un peu à l’image de la Confédération de défense des commerçants et artisans (CDCA) dans les années 1990.

Comment expliquer que des taxes payées par les entreprises et normalement affectées à un usage précis sont, en fait, reversées au budget de l’État ? Tous les établissements considérés comme des opérateurs de l’État – notamment le Fonds d'assurance formation des chefs d'entreprises artisanales (FAFSEA) pour rester dans le domaine de l’artisanat – subissent le même sort. C’est une politique de Gribouille, excusez-moi de le dire de cette manière.

L’UPA, je le répète, estime qu’il faut réduire les coûts de fonctionnement, que l’on se trouve dans la sphère publique ou dans des structures telles que les nôtres. Mais si nous sommes d’accord sur l’objectif à atteindre, nous contestons une méthode qui revient à céder à la facilité.

Mme Catherine Vautrin, rapporteure. Revenons aux missions à privilégier dont parlait ma collègue. Pour être un peu provocatrice, je vais dire que chacun veut bien une réforme, mais pas chez lui où tout fonctionne déjà comme il faut et que c’est aux autres de faire des efforts. En disant cela, je ne vise pas une structure particulière, je tiens à le préciser.

C’est pour cela que nous essayons, d’une manière que nous jugeons constructive, de réfléchir avec vous sur les missions et les actions prioritaires. Vous l’avez reconnu vous-même, le modèle est à bout de souffle. À partir de là, comment fait-on pour préserver l’essentiel dans un contexte où les dépenses publiques sont limitées ?

M. Henry Brin. Nous pouvons avoir des sensibilités différentes tout en ayant un bon sens en commun. Les mesures concrètes dont vous parlez peuvent être prises. J’aime bien regarder ce qui se fait dans le monde politique. Lors de la création des EPCI, des financements supplémentaires étaient accordés aux communes qui s’engageaient dans cette démarche.

La bonne gestion et la mutualisation devraient aussi être considérées comme des sources de valeur ajoutée. Nos deux chambres consulaires pourraient s’entendre dans des domaines comme la transmission ou la création d’entreprises, la formation professionnelle et l’accompagnement de l’apprentissage – mission qui nous tient particulièrement à cœur – pour élaborer des mesures concrètes et efficaces.

Même dans le domaine du soutien aux entreprises qui veulent exporter, les CMA peuvent jouer un rôle. Dans ma région, les trois chambres consulaires ont joint leurs efforts pour créer Sud de France, une marque de produits viticoles et agroalimentaires. Quand il s’agit d’aller défendre nos couleurs en Asie, en Amérique ou ailleurs, ça fonctionne. Ne cherchons pas à inventer ce qui existe déjà ; soyons concrets et efficaces. Si nous voulons nous battre contre les courants un peu extrémistes, nous devons apporter des réponses simples et concrètes, et éviter de construire des usines à gaz.

Parlons d’économies. Dans la réforme électorale des CMA, il est prévu cinquante élus par département, c’est-à-dire que près de 150 personnes devront faire deux à trois heures de route pour se déplacer au niveau régional. C’est inacceptable et surtout inefficace : les gens vont être démotivés. Il faut faire le choix de la région et l’assumer. Mais dans le monde consulaire comme dans le milieu politique, il est difficile de faire bouger les lignes. Nous devons oser.

M. Jean Vaylet. Le modèle des CCI doit être conforté par la régionalisation, la proximité et la mutualisation, et ce travail doit être partagé avec les autres structures. Pour ma part, je suis partisan de rapprochements tels que celui que nous avons opéré à Grenoble, en créant une structure commune avec la CMA, à la faveur du départ à la retraite d’une personne. Il faut généraliser les expériences de ce type. Il faut bien sûr renforcer la lisibilité en profitant de la mise en place des métropoles et des nouvelles régions pour éliminer les doublons.

Enfin, je tenais à rappeler un principe sur lequel nous sommes certainement tous d’accord : nos institutions doivent être gérées par des chefs d’entreprise. À nos yeux, c’est une garantie. Il est important que les réseaux soient dirigés par des gens qui connaissent le monde de l’entreprise et ses impératifs.

M. Philippe Guillaume. L’action politique a un sens et, quand on prend une décision, il faut en assumer les conséquences. Madame la députée, si nous avons licencié 140 personnes en Lorraine, c’est parce que nous avons anticipé la baisse de nos ressources consécutive aux choix que vous avez faits. Nous avons commencé par des licenciements doux sur l’exercice 2014 : nous avons évité la casse en utilisant des mesures telles que les départs en retraite. Au cours des prochains exercices, nous allons entrer dans le dur. Vos choix budgétaires vont aussi avoir une conséquence sur les entreprises car, si nous voulons survivre, nous devrons facturer toutes nos prestations.

Quant au principe rappelé par Jean Vaylet, j’y adhère évidemment : les corps intermédiaires sont faits pour les chefs d’entreprise, gérés par les chefs d’entreprise. Cette ligne politique que nous avons toujours soutenue n’est pas remise en cause, à moins que vous n'utilisiez l’outil budgétaire au point d’aboutir à la suppression des corps intermédiaires. Il s’agit d’un vrai débat politique. Si vous faites ce choix, les organisations professionnelles reprendront la main, d’une manière ou d’une autre, pour rétablir un dialogue.

Qu’en est-il de nos capacités à aller dans le sens de l’histoire ? Les réseaux ne sont sans doute pas prêts à quelque chose d’aussi violent qu’une fusion entre les CCI, les CMA et les chambres d’agriculture. Peut-être faudra-t-il l’envisager à terme ? Sans aller jusque-là, il est possible de réaliser des économies substantielles en mutualisant des fonctions supports : l’informatique, la gestion des paies, etc.

Venons-en à la définition des périmètres. À mon avis, la future grande région doit donner les impulsions stratégiques, tandis que les chambres territoriales doivent assumer un rôle opérationnel et se charger d’adapter les services proposés aux besoins des territoires, des bassins d’emploi et des PME. Voilà un schéma sur lequel nous pourrions travailler. Nous aurions pu vous faire des propositions, mais nous attendons l’adoption de la loi NOTRe pour savoir comment nous pouvons nous adapter à la nouvelle organisation territoriale.

Mme Catherine Vautrin, rapporteure. Cette approche est-elle soutenue par la majorité du réseau, à défaut de faire l’unanimité ?

M. Philippe Guillaume. Vous savez, tout le monde aime bien être président, ce qui rend les arbitrages difficiles, et le syndrome du chapeau à plumes est très répandu, jusque dans les organisations patronales. Pourtant, quand il s’agit de conduire de grandes réformes, le président d’une organisation, quelle qu’elle soit, doit trancher. Ne pas le faire, dans le contexte actuel, serait une erreur politique très préjudiciable qui donnerait du champ à des mouvements que le président Brin qualifiait de populistes.

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