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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mission d’évaluation et de contrôle

Mercredi 3 juin 2015

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 24

Présidence de M. Pascal Terrasse, rapporteur

Les financements et la maîtrise de la dépense des organismes extérieurs de langue française

– Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Claude JACQ, secrétaire général de la Fondation Alliance Française.

M. Pascal Terrasse, rapporteur. Nous poursuivons les travaux de la mission d’évaluation et de contrôle sur les financements et la maîtrise de la dépense des organismes extérieurs de la langue française.

Nous recevons aujourd’hui, M. Jean-Claude Jacq, secrétaire général de la Fondation Alliance Française, Mme Marie Grangeon-Mazat, déléguée Afrique, Amérique latine et Caraïbes, en charge des partenariats institutionnels, et M. Zahid Cassam-Chenai, responsable administratif.

Je salue la présence à mes côtés du rapporteur Jean-François Mancel, qui connaît bien l’Alliance française, puisqu’il a été le rapporteur des crédits de l’action extérieur de l’État.

Je rappelle que la Fondation Alliance française anime et coordonne le réseau mondial des Alliances françaises, qui ont pour mission d’assurer des cours de français mais aussi, plus largement, de diffuser la culture française.

Notre mission d’évaluation et de contrôle porte moins sur les missions de l’Alliance française que sur les enjeux budgétaires liés à son développement. Nous attendons de vous que vous nous fassiez part des points négatifs comme des points positifs, concernant notamment l’engagement de l’État.

M. Jean-Claude Jacq, secrétaire général de la Fondation Alliance Française. L’Alliance française est sans doute moins connue en France qu’à l’étranger, puisque l’essentiel de nos missions sont orientées vers l’étranger. L’institution, créée en 1883, a pris, en 2007, un tournant important, avec la création de la Fondation Alliance française, qui s’est vu confier les activités internationales de l’Alliance française de Paris. Le fait qu’il y ait désormais, d’une part, l’Alliance française Paris Île-de-France, sise boulevard Raspail, qui propose des cours de langues comme toutes les autres Alliances dans le monde et, d’autre part, la Fondation, qui s’occupe uniquement du réseau mondial, a beaucoup clarifié les choses par rapport aux pouvoirs publics et aux partenaires, et le bilan de cette évolution est globalement positif, que ce soit en termes financiers, en termes d’image ou en termes d’efficacité de nos missions.

Il est important de souligner par ailleurs que l’Alliance française s’inscrit, depuis la chute du mur de Berlin, dans un monde en mutation et que les évolutions géopolitiques de ces dernières années nous ont conduit à nous développer très fortement dans la partie orientale du monde, alors que nous étions, jusqu’alors, principalement implantés en Amérique latine, en Amérique du Nord, en Afrique et en Europe, notre présence en Asie et en Océanie étant concentrée en l’Inde, en Thaïlande en Australie et en Nouvelle-Zélande.

Compte tenu de l’importance croissante de la Chine, la France a fait, il y a une quinzaine d’années, le choix, pour y développer son réseau culturel d’y favoriser la réouverture d’Alliances françaises – réouverture car il en existait une à Shanghaï avant la disparition de l’Empire. Les Chinois n’étant pas disposés à accueillir des établissements relevant des ambassades, pas davantage qu’ils ne souhaitaient d’associations, nous avons opté pour la solution suivante : les Alliances françaises sont abritées par les universités chinoises et composées d’un conseil comprenant quatre membres chinois désignés par le président de l’université et quatre membres désignés par la Fondation, ce qui fait de la Chine le seul pays où la Fondation est organiquement impliquée dans la gestion des Alliances françaises. L’ambassadeur nous a récemment signalé d’autres demandes d’ouverture ; si elles sont viables, nous devrions poursuivre notre expansion dans ce pays.

Nous nous sommes également implantés en Mongolie, à Oulan-Bator, au Kazakhstan, au Kirghizistan, en Ouzbékistan où l’Alliance française de Tachkent a pris la relève de l’Institut français : tous ces pays, où les Alliances françaises sont pratiquement les seuls organismes internationaux à être présents, offrent, comme en Europe centrale, un potentiel de développement considérable, du fait notamment de leur expansion démographique.

M. Jean-François Mancel, rapporteur. Y a-t-il une Alliance française à Bakou ?

M. Jean-Claude Jacq. Non, mais il me semble qu’il y a un centre culturel français.

Cela étant, la Fondation Alliance française est un des rouages essentiels de la présence française dans les pays émergents et notamment dans les BRICS, d’autant plus utile que son coût est bien moindre pour l’État que celui que représenterait un établissement public.

M. Pascal Terrasse, rapporteur. Pourriez-vous nous apporter quelques éléments sur la structuration budgétaire de votre établissement et son évolution récente ? En plus des dotations financières qui vous sont accordées, bénéficiez-vous également de dotations en nature, sous la forme, par exemple, de mises à disposition ?

M. Jean-Claude Jacq. Il faut commencer par rappeler que les Alliances françaises ne sont pas des antennes de la Fondation. Entièrement autonomes, elles disposent de leur propre budget, et la Fondation n’intervient pas dans la gestion de leur personnel : lorsqu’il y a mise à disposition d’expatriés, c’est le ministère qui passe directement une convention avec l’Alliance locale. Pour notre part, nous ne sommes que douze, tous salariés par la Fondation, sans mise à disposition, ce qui fait de nous l’une des plus petites structures internationales.

Nous bénéficions en revanche d’une subvention de l’État, qui comptait à l’origine pour un tiers de notre budget, un autre tiers émanant de produits immobiliers et le troisième de produits financiers. Aujourd’hui, la subvention du ministère des Affaires étrangères compte pour 30 % de notre budget, 44 % étant assurés par des revenus immobiliers provenant de la location d’une partie des bâtiments du boulevard Raspail à l’Alliance française de Paris et à d’autres organismes. À cela s’ajoutent enfin les revenus de nos placements financiers, la levée de fonds effectuée au moment de la création de la Fondation nous ayant permis de constituer un capital de près de 6 millions d’euros.

Notre statut de fondation ne nous permet pas de beaucoup diversifier nos ressources. Pour accroître ces recettes, nous menons, notamment auprès des notaires, une politique de recherche de legs et de dons. En effet, s’il était possible, avant la crise, d’obtenir l’aide de certaines entreprises, c’est devenu très difficile depuis 2008.

M. Pascal Terrasse, rapporteur. Pouvez-vous nous en dire davantage sur les dons et les partenariats ?

M. Jean-François Mancel, rapporteur. Comment ont évolué les subventions de l’État et le nombre de personnels détachés auprès des Alliances ?

M. Jean-Claude Jacq. La subvention versée à la Fondation s’est légèrement érodée, surtout depuis deux ou trois ans. Modeste, elle s’élevait à 800 000 euros et a diminué annuellement de 7 à 8 % ces deux dernières années. Ces chiffres s’entendent hors délégations générales, car l’une des originalités de notre système est que nous ne gérons pas directement les délégués généraux qui sont des directeurs d’Alliance affectés par le ministère des Affaires étrangères (MAE) et qui ont reçu mandat de représenter, à titre bénévole, la Fondation dans le pays où ils exercent, avec mission de promouvoir nos valeurs.

Le nombre des personnels détachés, qui comprend les directeurs expatriés et les volontaires internationaux (VI), est aujourd’hui de 280, soit une baisse de 19 % entre 2005 et 2014, avec une forte accélération en 2013 puisque nous avons perdu 17 postes. Il faut rapporter ce chiffre aux 495 membres dont se composait le réseau lorsque j’y suis entré il y a une trentaine d’années.

M. Pascal Terrasse, rapporteur. D’autres ministères comme le ministère de l’Éducation nationale détachent-ils également des personnels auprès des Alliances françaises ?

M. Jean-Claude Jacq. Non, les personnels de l’Éducation nationale qui travaillent dans les Alliances sont d’abord détachés auprès du MAE, qui les détache ensuite auprès du réseau.

Quoi qu’il en soit, nous avons, en un quart de siècle, perdu la moitié de notre encadrement détaché – et donc payé – par l’État, ce qui est considérable. Les Alliances ont dû s’adapter à cette diminution, qui n’a pas été neutre en termes de charges et s’est traduite pour elles par une perte d’expertise. Mais je vous parle ici d’une tendance qui touche l’ensemble des services culturels à l’étranger et pose des questions de fond sur l’avenir de ces services.

M. Jean-François Mancel, rapporteur. Comment mesureriez-vous la nocivité de ce désengagement de l’État ? Au-delà des difficultés qu’il a fait naître n’a-t-il pas obligé les Alliances à des évolutions bénéfiques dans leur mode de fonctionnement ?

M. Jean-Claude Jacq. Le désengagement de l’État a eu des effets positifs et négatifs. Dans la mesure où les subventions ont diminué, les Alliances ont dû arithmétiquement augmenter leur autofinancement, lequel est passé en dix ans de 75 % à 96 %, ce qui les a contraintes à rechercher de nouvelles ressources, par le biais de partenariats, de levées de fonds, d’un développement de leur offre de cours ou d’une diversification des services et produits proposés. Dans le même temps, dans un contexte de concurrence accrue dans l’enseignement des langues, les Alliances ont besoin de conforter leur légitimité par rapport aux cours de langues privés, ce à quoi contribue grandement la présence à leur tête de personnels détachés, qui incarnent la culture française, valident la qualité de l’enseignement et nous permettent de surcroît de faire le lien entre les ambassades et les conseils d’administration soucieux de leur indépendance.

Nous avons par exemple constaté qu’aux États-Unis, les Alliances dans lesquelles ces postes ont été supprimés ont eu tendance à décliner. Plus globalement, et de manière très schématique car il y a des exceptions, on pourrait répartir les Alliances françaises en trois tiers : la première catégorie, composée des Alliances les plus importantes, gérées par du personnel détaché, qui sont en général celles qui fonctionnent le mieux ; la seconde, composées d’Alliances qui ne disposent pas de ce personnel et fonctionnent de manière autonome avec une activité de moindre ampleur mais significative ; la troisième enfin, composée de petites Alliances dans lesquelles l’activité d’enseignement est quasi inexistante et qui s’apparentent d’avantage à des clubs ou à des cercles d’amitié.

Je conçois que l’on soit tenté de supprimer des postes de directeurs expatriés, mais l’idée parfois évoquée d’une suppression systématique perturberait inéluctablement la coordination du réseau et compliquerait le rôle de la Fondation, qui consiste à veiller à ce que les Alliances œuvrent dans le sens défini par l’État pour notre politique culturelle extérieure. Il y a donc un équilibre à trouver pour préserver la légitimité et le dynamisme du réseau, et il ne serait pas raisonnable de descendre en deçà du ratio actuel. Le relativement peu qu’apporte l’État français est précieux.

Mme Marie Grangeon-Mazat, déléguée Afrique, Amérique latine et Caraïbes, en charge des partenariats institutionnels. La diminution des moyens affectés a également pour effet pervers de pousser les Alliances à développer des modèles économiques plus ou moins contestables. Ainsi, pour sauver l’équilibre budgétaire de son établissement menacé par la diminution drastique des subventions, le directeur détaché de l’Alliance française de Bangui a-t-il été contraint de se lancer dans la construction de maisons que l’Alliance va louer. Même s’il s’agit d’un chantier-école, privilégiant les matériaux durables et équitables, on est très loin, avec un tel projet, des valeurs portées par l’Alliance française ; mais que faire lorsqu’il faut choisir entre le discours officiel de la Fondation et le risque de voir fermer des établissements ?

M. Pascal Terrasse, rapporteur. Le statut des délégations générales varie-t-il en fonction du droit local ?

M. Jean-Claude Jacq. Il n’existe pas de délégation générale à proprement parler mais des mandats de délégués généraux – quarante-deux à ce jour – confiés à des directeurs expatriés d’Alliance – en général, celle de la capitale. En tant que délégués, ces directeurs n’ont ni personnalité morale ni personnalité juridique et ne peuvent donc ni recruter ni signer de contrat ; ce sont de simples représentants. Nous disposons d’une enveloppe budgétaire du ministère que nous répartissons en sous-comptes entre ces délégués généraux, et c’est la Fondation qui gère cet argent qu’ils dépensent par délégation de signature du président pour coordonner les actions, favoriser les formations...

M. Pascal Terrasse, rapporteur. Qu’en est-il de la réserve parlementaire ? Connaissez-vous le montant global affecté aux Alliances françaises ?

M. Jean-Claude Jacq. Nous bénissons tous les matins la réserve parlementaire mais nous ne sommes pas toujours informés des fonds affectés sur des initiatives individuelles. Ils se montent selon moi à une centaine de milliers d’euros au total, mais je ne peux l’affirmer avec certitude.

M. Pascal Terrasse, rapporteur. J’aurais pensé qu’en incluant le Sénat les montants alloués étaient plus importants.

Pourriez-vous nous citer des Alliances exemplaires et d’autres qui connaissent, au contraire, de grandes difficultés ?

M. Jean-Claude Jacq. Les Alliances situées dans des grandes villes en développement se portent bien en général. La santé des établissements est souvent liée au dynamisme de leur environnement. Cela étant, nous sommes surpris aujourd’hui par le succès de l’Alliance française de La Havane, qui est devenue, à la suite de Lima, Bogota ou Mexico, la première Alliance française du monde. Cela s’explique par le fait que nous sommes le seul organisme culturel étranger implanté à Cuba, où ne sont représentés ni le British Council ni le Goethe-Institut. Ce privilège est le fruit de l’histoire, Che Guevara ayant défendu auprès de Fidel Castro l’idée qu’il fallait maintenir l’Alliance française parce qu’elle était de droit cubain. Nous disposons de trois superbes bâtiments, mis à disposition par les autorités cubaines ; le dernier en date, le Palacio Gomez, vient d’être inauguré par le Président François Hollande. Beaucoup de Cubains souhaitent faire apprendre le français à leurs enfants, et les listes d’attente s’étalent sur plusieurs années.

Mme Marie Grangeon-Mazat. On constate en général un lien entre l’expansion du pays et celle du réseau. Mais la relation s’inverse parfois, comme au Venezuela, où l’Alliance de Caracas a connu une croissance de 20 %, liée au fait que les gens souhaitent massivement émigrer vers des zones francophones.

À Bogota, l’Alliance française a fêté ses soixante-dix ans et inauguré un siège magnifique entièrement rénové, grâce à un investissement sur fonds propres de plus de 1 million d’euros.

Au rang des réseaux qui rencontrent des difficultés, il faut mentionner les Alliances du Brésil, avec une baisse de 5 %, effet direct de la crise que traverse le pays, mais surtout les réseaux africains, victimes de l’effet conjugué, depuis deux ans, des crises militaires et de la réduction des moyens affectés. Jusqu’à présent, la très faible solvabilité des publics africains était compensée par un fort investissement de l’État, par le biais notamment des fonds de solidarité prioritaire (FSP). Or, la clôture d’un FSP a des répercussions immédiates sur les effectifs : ainsi est-on passé en 2014 à Djibouti de neuf cents à trois cents apprenants, ce qui fragilise l’équilibre financier de l’Alliance, sachant qu’on ne peut, dans ces régions, compter asseoir le développement sur des fonds propres. Tout ceci nous amène à penser que le modèle des Alliances françaises n’est peut-être pas le mieux adapté à l’Afrique.

M. Jean-Claude Jacq. En tout cas à certains pays d’Afrique, car les Alliances françaises marchent très bien dans les pays d’Afrique anglophone.

Mme Marie Grangeon-Mazat. Au Kenya, les Alliances souffrent beaucoup actuellement de la situation politique, notamment à Mombasa, qui vivait beaucoup du tourisme. Notre développement au Nigeria et en Afrique du Sud est en revanche très satisfaisant.

L’une de nos principales difficultés dans les pays francophones est que nous nous adressons à des populations qui se pensent francophones – alors que notre ambassade en République démocratique du Congo estime, de manière très optimiste, que 14 % de la population maîtrise le français –, à laquelle il est, dès lors, fort compliqué de vendre des cours de français… Les Alliances doivent donc se positionner soit sur le marché des certifications soit sur l’enseignement du français professionnel, ce qui nous éloigne encore de nos missions statutaires.

M. Pascal Terrasse, rapporteur. Dans le cadre de ces missions statutaires, existe-t-il des partenariats avec les institutions locales, notamment pour la formation des cadres ou des élus ?

M. Jean-Claude Jacq. Les FSP étaient souvent destinés à la formation mais il faut surtout souligner dans ce domaine le rôle important joué par l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), qui finance des formations à destination des diplomates ou des fonctionnaires internationaux. Cependant l’OIF a également vu ses budgets réduits, ce qui, par ricochet, entraîne des difficultés pour un certain nombre d’Alliances dans la mesure où elles doivent vivre de leurs propres ressources mais où les publics à qui sont destinées ces formations ne sont pas prêts à les payer de leur poche.

Plus globalement, alors que nous avions connu en dix ans une croissance de plus de 50 % des effectifs des Alliances, depuis trois ans la tendance est, en moyenne mondiale, à un tassement général, ce qui est préoccupant. Cette situation concerne aussi les instituts français. Il conviendrait que le ministère des Affaires étrangères s’interroge avec nous sur les causes de cette stagnation : s’agit-il d’une évolution conjoncturelle, liée à la crise, ou d’une tendance à plus long terme, qui reflète une perte d’influence ?

M. Pascal Terrasse, rapporteur. J’ai constaté un peu partout la multiplication des instituts Confucius. N’est-ce pas le signe que, pour des raisons économiques, les gens se tournent davantage vers l’apprentissage du chinois que vers celui du français ?

M. Jean-Claude Jacq. Au Brésil, nous subissons la forte concurrence de l’espagnol. En ce qui concerne le chinois, je ne suis pas persuadé qu’il concurrence le français, l’espagnol ou l’anglais, car on imagine mal que cela devienne une langue de masse internationale, même si son apprentissage, qui demande par ailleurs un investissement considérable, a fortement progressé, notamment au sein des élites.

Mme Marie Grangeon-Mazat. J’ajoute que les États-Unis commencent à fermer les instituts Confucius, car le modèle est contesté.

M. Jean-Claude Jacq. Ils fonctionnent de manière très particulière et se sont développés rapidement et massivement en choisissant non pas de s’appuyer sur des comités locaux mais en s’installant au sein des universités, à qui est finalement échu le soin de les gérer, ce qui n’est pas toujours sans difficulté.

M. Jean-François Mancel, rapporteur. Vous êtes-vous ouvert de vos inquiétudes concernant la baisse des effectifs auprès du ministère des Affaires étrangères ?

M. Jean-Claude Jacq. Le ministère des Affaires étrangères siège à notre conseil d’administration, et le rapport d’activité que nous avons produit l’an dernier comportait une analyse des raisons susceptibles d’expliquer ce tassement - qui intervient après une quinzaine d’années où nous avons connu une progression annuelle de l’ordre de 2 à 4 %. Il y a à mon sens un problème d’image derrière ce phénomène. Une langue séduit beaucoup grâce au pays qui la porte. Or, la presse internationale reflète aujourd’hui une Europe en souffrance, où la France est tout particulièrement à la peine. Les gens s’interrogent donc sur la pertinence d’apprendre le français, malgré le prestige dont jouit encore notre pays. L’effort, notamment financier, d’apprendre une langue exige, à la fois, un intérêt professionnel et une attraction particulière du pays.

M. Jean-François Mancel, rapporteur. Avez-vous une idée de la manière dont évoluent vos homologues anglais ?

M. Jean-Claude Jacq. Les Anglais ont renoncé à mettre l’accent sur les cours de langue car, compte tenu de sa diffusion, cela n’est pas nécessaire. Le British Council est devenu un gros organisme de coopération, dont les missions sont assez proches de celles opérées par la Direction générale de la mondialisation, du développement et des partenariats (DGM) de notre ministère des Affaires étrangères. Il monte des projets, distribue des bourses… En réalité, nous sommes plus proches de la démarche des Espagnols, ou des Allemands qui rencontrent eux aussi des difficultés.

M. Pascal Terrasse, rapporteur. La Cour des comptes considère que vous avez 486 Alliances conventionnées, là où le MAE en comptabilise 383. Pourquoi cette différence ?

M. Jean-Claude Jacq. Je l’ignore, car les conventions avec les Alliances sont passées par les ambassades sans qu’elles nous en avertissent. En réalité, je pense d’ailleurs que le chiffre réel est bien inférieur, car, dans certains cas, nos vérifications nous ont permis d’établir que des Alliances qu’on présentait comme conventionnées ne l’étaient pas en réalité. Peut-être le ministère a-t-il tendance à penser que, dès lors qu’une Alliance bénéficie d’une aide, sous la forme d’un détachement ou d’une subvention, il y a automatiquement convention. Il devrait en effet en être ainsi mais, dans la réalité, ce n’est pas le cas.

M. Pascal Terrasse, rapporteur. Je pensais que c’était la Fondation qui accréditait les Alliances.

M. Jean-Claude Jacq. Non. Chaque ambassade décide souverainement des crédits dont elle va doter une Alliance française et passe ou non convention avec elle.

M. Pascal Terrasse, rapporteur. Il n’existe donc pas de modèle d’accréditation national, reposant sur une grille de critères spécifiques ?

M. Jean-Claude Jacq. Ce sont l’ambassadeur et ses collaborateurs qui organisent leur programmation comme ils le souhaitent et décident qui ils doivent soutenir et dans quel but. Cela correspond à la philosophie du ministère des Affaires étrangères.

M. Jean-François Mancel, rapporteur. Dans quelle mesure êtes-vous informés de l’évolution des détachements et du nombre de personnes mises à disposition des Alliances par le Quai d’Orsay ?

M. Jean-Claude Jacq. Le ministère des Affaires étrangères nous consulte, ainsi que les ambassades, sur sa politique d’affectation. À partir de nos avis, dont il tient compte le plus souvent, il décide ensuite des postes qu’il supprime ou qu’il crée.

M. Jean-François Mancel, rapporteur. En cas de remplacement, c’est donc à l’Alliance française locale de procéder au recrutement ?

M. Jean-Claude Jacq. Non, le recrutement des expatriés se fait à Paris, lors de ce qu’on appelle le « mouvement », quand sont publiés les appels à candidature. Une commission les examine.

M. Jean-François Mancel, rapporteur. Mais que se passe-t-il lorsque le poste est supprimé ?

M. Jean-Claude Jacq. C’est alors à l’Alliance française locale de procéder à un recrutement sur place. Nous n’intervenons pas dans cette procédure puisqu’elle est indépendante.

M. Jean-François Mancel, rapporteur. D’où parfois, comme vous l’évoquiez, le recrutement de personnels moins qualifiés.

M. Pascal Terrasse, rapporteur. La Fondation Alliance française participe-t-elle financièrement à des actions de fonctionnement ?

M. Jean-Claude Jacq. Nous ne sommes engagés dans aucune action de fonctionnement. Nous finançons en revanche des actions de formation. Nous avons ainsi élaboré une démarche qualité ainsi que des outils de professionnalisation des acteurs locaux, définis, selon une approche bottom-up, à partir des demandes exprimées par les Alliances. Les projets retenus sont financés par la Fondation, grâce à la subvention du ministère ; en neuf ans, ce sont plus de six mille personnes, recrutées localement, qui ont pu bénéficier de ces stages de professionnalisation.

À un niveau certes beaucoup plus modeste que l’Institut français qui, lui, reçoit pour cela une dotation de l’État, nous finançons également des actions culturelles, grâce à des accords avec les collectivités territoriales ou la mairie de Paris. Cela représente une dépense annuelle de 70 000 euros, et autant pour nos partenaires, soit 140 000 euros, qui permettent à de petites Alliances sans gros moyens d’organiser des expositions ou des conférences.

Nous ne finançons pas l’immobilier parce que nous n’en avons pas les moyens.

M. Zahid Cassam-Chenai, responsable administratif. Nous pouvons néanmoins fournir une aide à l’équipement, par exemple pour des tableaux interactifs ou du matériel de ce type.

M. Jean-Claude Jacq. Au total, nous consacrons 300 000 euros par an à la formation, 80 000 euros à des projets de professionnalisation et 70 000 euros à des actions culturelles.

M. Pascal Terrasse, rapporteur. Existe-il un dispositif d’aide ou des outils d’accompagnement pour faciliter, dans chaque poste, la recherche et la conclusion de partenariats ? En d’autres termes, existe-t-il à Paris une structure qui pourrait faciliter les relations entre les Alliances françaises et les grandes entreprises qui travaillent à l’international ?

M. Jean-Claude Jacq. Nous avons rencontré la quasi-totalité des entreprises du CAC 40. Aucune d’entre elles ne souhaite s’engager à un niveau mondial, car elles considèrent que leurs antennes locales sont mieux placées pour répondre de manière pertinente aux demandes de partenariat. Chaque Alliance organise donc seule sa recherche de financements extérieurs, dans un contexte - je tiens à le préciser - de plus en plus tendu car tous les services culturels cherchent de l’argent et, en l’absence de concertation, les entreprises se voient parfois sollicitées à tort et à travers.

M. Pascal Terrasse, rapporteur. Percevez-vous, dans certains pays, une forme de concurrence entre les formations dispensées par le réseau des Alliances et celles dispensées par d’autres acteurs institutionnels français ? Je pense en particulier aux lycées français, qui peuvent proposer des formations continues ou des cours du soir pour adultes assez proches dans leurs contenus de ce que propose l’Alliance française.

M. Jean-Claude Jacq. Les cas de concurrence sont tout à fait marginaux – cela a notamment été signalé à Pondichéry – et, en règle générale, les relations entre les Alliances et les lycées sont bonnes, jusqu’à déboucher sur des partages de locaux ou l’organisation d’opérations communes.

M. Pascal Terrasse, rapporteur. Le montant de la masse salariale affectée aux expatriés dans les alliances françaises avoisine les 31 millions d’euros par an. Nous confirmez-vous qu’elle est en diminution ?

M. Jean-Claude Jacq. Elle l’est automatiquement du fait des suppressions de postes décidées par le ministère. Une mission d’expatrié ne dure que quatre ans, aux termes desquels son titulaire peut ne pas être remplacé. C’est la souplesse du système, et une part aussi de sa vertu, face à des institutions plus administratives, comme les instituts français, quand bien même ces derniers sont parfois mieux adaptés à certains environnements. Il faut nous considérer comme deux structures complémentaires.

M. Christophe Premat. La visibilité de notre réseau culturel est parfois brouillée par la multiplicité des acteurs de terrain. Vous avez évoqué la question du mécénat, qui ne fonctionne plus ; il est parfois difficile, aussi, pour nos partenaires de se repérer entre les Alliances françaises, les services de coopération et d’action culturelle des ambassades (SCAC) et les instituts français - qui sont par ailleurs très innovants et proposent de la France et de la francophonie une image décomplexée. Il existe déjà, ici et là, des conventions entre les Alliances, l’Agence pour l'enseignement français à l’étranger (AEFE) ou l’Institut français, mais ne pensez-vous pas que nous gagnerions, en particulier sur un plan budgétaire, à pousser plus loin l’union entre l’Alliance française et l’Institut français ?

J’aimerais par ailleurs connaître votre opinion sur l’état du réseau culturel en Europe. On a tendance en effet à se focaliser sur les Alliances implantées dans les pays émergents, qui offrent le plus grand potentiel de développement, au risque de transformer les Alliances européennes – à quelques exceptions - en une arrière-garde sur le déclin.

M. Jean-Claude Jacq. Il importe de distinguer entre, d’une part, l’Institut français installé à Paris, qui est un établissement public ayant pour mission d’aider l’ensemble du réseau – instituts et Alliances – à développer des actions culturelles, et, d’autre part, les instituts français locaux, qui relèvent du ministère des Affaires étrangères. À l’étranger, il est très rare que les Alliances et les instituts soient implantés dans une même ville, et il n’y a donc aucune raison de les marier.

Le problème que vous soulevez concerne davantage les rapports entre les Alliances et les services culturels des ambassades, désignés eux aussi sous le nom d’instituts français - ce qui crée une confusion. Par ailleurs, si les Alliances et ces services ont des champs d’action bien distincts, ils sont en concurrence dès lors qu’il s’agit d’obtenir des financements. Cela génère des tensions d’autant plus préjudiciables aux Alliances que les conseillers culturels, qui sont de facto les supérieurs hiérarchiques des directeurs d’Alliance détachés, peuvent choisir de se réserver telle ou telle source de financement. Il serait donc souhaitable que le ministère établisse des règles de répartition du mécénat.

En ce qui concerne le réseau des Alliances en Europe, il est en effet dense mais fragile, pour la simple raison qu’il est sous-encadré : l’Europe est en effet le continent qui compte le plus grand nombre d’Alliances françaises et le moins de directeurs détachés parce que la France a choisi de créer des instituts français dans presque toutes les capitales. Lorsque la capitale possède un institut français d’importance, les Alliances sont reléguées en province où, privées de la locomotive de la capitale, sans gros moyens et installées dans des villes parfois peu porteuses, elles doivent faire avec les moyens du bord.

Cela étant, le ministère a déjà commencé, il y a une dizaine d’années, à réduire le nombre des instituts en Europe, comme ce fut le cas en Allemagne mais aussi à Gênes, à Turin ou à Porto, villes où des Alliances les ont remplacés. Les équilibres sont donc en train de se modifier, mais il est clair que les Alliances gagneraient à s’implanter davantage dans les capitales à partir desquelles elles peuvent entraîner le reste du réseau.

Il faut néanmoins se garder d’imaginer que l’Alliance française pourrait miraculeusement se substituer partout aux instituts. À Édimbourg, par exemple, nous avons refusé de le faire, car l’État doit comprendre qu’il ne peut confier à une Alliance toutes les missions d’un institut en faillite sans lui en transférer les moyens ! En l’espèce, les trois détachements et la subvention étaient supprimés mais l’on nous proposait l’usage des locaux… contre loyer. À Turin ou à Gênes en revanche, l’opération a pu se faire grâce à l’aide de l’ambassade et des municipalités. Les décisions se prennent donc au cas par cas, en fonction de la viabilité financière des projets. Nous avons ainsi renoncé à ouvrir une Alliance à Luxembourg, par manque de ressources, car les Luxembourgeois bénéficient par ailleurs de cours gratuits organisés par l’État.

M. Pascal Terrasse, rapporteur. Madame et messieurs, il me reste à vous remercier.

——fpfp——