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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mission d’évaluation et de contrôle

Les chambres consulaires, leurs missions et leurs financements

Mardi 9 juin 2015

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 26

Présidence de M. Olivier Carré, président

– Audition de M. Dominique Barrau, secrétaire général de la Fédération nationale des fédérations d’exploitants agricoles (FNSEA), accompagné de M. Éric Berton, chef de service du département syndical

Mme Catherine Vautrin, rapporteure. Notre réunion de cet après-midi est consacrée aux syndicats agricoles. Messieurs, nous souhaitons échanger avec vous, sur les questions financières et les conséquences des prélèvements qui ont été appliqués aux chambres d’agriculture, à la suite de la loi de finances pour 2015.

Nous voudrions également avoir des précisions sur les liens qu’entretient votre syndicat avec l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture (APCA), et connaître votre appréciation sur les services rendus aux agriculteurs par le réseau de ces chambres. En d’autres termes, nous cherchons à mesurer le lien existant entre le réseau des chambres et ce que j’appellerai le « client final », c’est-à-dire l’agriculteur, sur l’ensemble du territoire.

M. Dominique Barrau. Les relations entre la FNSEA et les chambres d’agriculture sont globalement bonnes.

Tous les six ans, nous participons au renouvellement des chambres consulaires et ces élections constituent un test de représentativité syndicale. Nous nous attachons à préparer ces échéances et donc les relations de travail à venir. La chambre consulaire est en effet le lieu d’application de la politique agricole qui doit être déclinée à l’échelon départemental.

C’est par ailleurs un lieu d’animation où peuvent être menés des projets de développement spécifiques aux systèmes de production du département, d’un territoire particulier, d’une région ou d’une production particulière. On peut aussi y réaliser des tests afin de mettre en application des techniques. Le développement technique dans les exploitations agricoles s’accompagne en effet le plus souvent d’une période d’appropriation sur le terrain. Les élus – ceux des chambres d’agriculture ainsi que les responsables du réseau FNSEA – sont ainsi souvent très impliqués au niveau local.

La chambre d’agriculture est également le point de départ d’une animation locale pour des projets plus économiques. Le processus est à la fois simple et complexe à mettre en œuvre. Il est simple dans la mesure où tout agriculteur souhaitant se développer ou tester un projet, que ce soit dans le domaine technique ou dans le domaine économique, peut solliciter le réseau ou les élus consulaires. Il est complexe  parce qu’un agriculteur ou même un groupe d’agriculteurs n’est pas forcément à même d’interpeller les décideurs économiques. A ce moment, le président de la chambre d’agriculture peut intervenir. En tant qu’élu du département, il a l’autorité suffisante pour solliciter des partenaires, des interlocuteurs ou des structures qui disposent de données économiques et de savoir-faire.

Enfin, et c’est un rôle que l’on a tendance à oublier, les chambres d’agriculture faisant partie du réseau consulaire, leurs services « aménagement » assistent les agriculteurs et les collectivités en matière d’urbanisme. Cela va de la consultation pour un permis de construire – par exemple, pour l’habitation de l’agriculteur – à l’élaboration d’un projet d’urbanisme, comme les schémas de cohérence territoriale (SCOT). Avant la mise en place des commissions départementales de consommation des espaces agricoles (CDCEA), cet aspect de la mission des chambres d’agriculture avait tendance à s’estomper ; plus exactement, le service offert par celles-ci dépendait de l’intérêt qu’elles portaient aux dossiers d’urbanisme. La relation de terrain risquait de se perdre. Or, nous considérons que ce type de relation est importante, que ce soit avec les agriculteurs – chaque agriculteur est la sentinelle de son territoire – ou avec les collectivités.

Au plan national, nous travaillons régulièrement avec les services et les élus de l’APCA sur des sujets de développement et de financement agricole ainsi que sur les évolutions législatives sur lesquelles nous sommes force de consultation et de proposition.

Mme Catherine Vautrin, rapporteure. Avez-vous des commentaires à faire sur les évolutions que les chambres ont dû mener en matière de régionalisation et de mutualisation ? Celles-ci ont-elles eu un impact sur les relations que les agriculteurs entretiennent au quotidien avec les chambres?

M. Dominique Barrau. Que ce soit au niveau local ou national, nous discutons avec les chambres des questions de régionalisation et de mutualisation. Il s’agit d’ailleurs plus de mutualisation que de régionalisation. Aujourd’hui, on peut constater une réelle volonté de mutualiser les services et de passer de l’échelon territorial départemental à celui de la région.

Cette démarche de mutualisation est pertinente. Ainsi, il existe à la fois des exploitations spécialisées dans une production et des exploitations pratiquant la multi-activité. Pour prendre l’exemple de la production laitière, si les chambres d’agriculture veulent organiser un service de contrôle de la performance ou un service de conseil pour les techniques d’alimentation, il n’est pas rare que le nombre de producteurs du département n’atteigne pas une masse critique suffisante pour que ce soit possible. Dans ce cadre, un schéma de mutualisation doit s’appliquer en prenant en compte à la fois les services existants et l’évolution du nombre d’agriculteurs et des systèmes de production. Ces démarches de mutualisation sont plus longues à se mettre en place, même si l’on doit reconnaître une réelle volonté de s’adapter.

Le cœur de métier des chambres d’agriculture est avant tout de conseiller les exploitants agricoles. Ainsi, toujours dans le secteur de la production laitière, se pose la question de savoir comment les services des chambres d’agriculture peuvent adapter le conseil dispensé aux utilisateurs de robots. Deux types de réponses sont possibles. Soit le vendeur de robots peut assurer ce service, soit des discussions peuvent être entamées au sein de la chambre avec les producteurs qui sont les utilisateurs potentiels. Cette dernière solution va tout à fait dans le sens des missions d’une chambre d’agriculture qui répond à la fois aux questions des exploitations et aux préoccupations des régions qui cherchent à maintenir la production laitière –activité structurante en termes d’aménagement du territoire. Il ne s’agit pas d’une approche marchande mais d’une approche de conseil.

Mme Catherine Vautrin, rapporteure. Pensez-vous que l’évolution de l’organisation territoriale aura des conséquences ? Estimez-vous qu’avec la nouvelle organisation territoriale, il sera possible de s’organiser à l’échelle d’une grande région ?

M. Dominique Barrau. Les chambres d’agriculture ont décidé de coller à la réforme territoriale applicable en 2016. La FNSEA qui a déjà une organisation régionale fait la même chose. Sur ce plan, rien ne changera, si ce n’est que nous devrons nous adapter à des régions plus grandes.

Cela dit, l’élément d’incertitude dans cette réforme territoriale est le fonctionnement basé sur les régions et les communautés de communes. La FNSEA étant organisée en communes et en cantons, comme nous ne trouvons pas dans les nouveaux cantons une logique de bassin ni de lieu de vie, nous nous tournerons directement vers les communautés de communes. C’est de cette évolution que nous discutons, notamment avec les chambres d’agriculture.

M. Charles de Courson. Ma première question concerne le statut juridique des chambres d’agriculture, qui sont des établissements publics nationaux. Que pensez-vous de l’idée de les transformer en établissements publics régionaux ? Ils dépendraient ainsi de la région, et non plus de l’État. Certains de vos collègues nous disent que compte tenu de la grande variété de l’agriculture sur les territoires, il pourrait être envisageable que les chambres d’agriculture aient des missions différenciées selon les régions.

Ma deuxième question concerne le financement des chambres d’agriculture qui est complètement archaïque. Il est fondé sur un impôt lui-même archaïque, à savoir la taxe additionnelle sur le foncier non bâti, censé être payé par le propriétaire. A défaut de disposition contraire, le propriétaire ne peut en répercuter que 20 % sur les exploitants. Or deux tiers des terres de notre territoire sont louées. Qui doit donc supporter cette taxe ? Ne pourrait-on pas en modifier l’assiette ? On pourrait se baser sur la valeur ajoutée, le revenu agricole, ou tout autre élément lié à l’activité agricole.

Ma troisième question est la suivante : peut-on avoir une politique agricole sans politique agro-industrielle ? Les chambres d’agriculture sont plutôt centrées sur les exploitants agricoles que sur l’agriculture et l’agro-industrie. Ne faudrait-il pas élargir leurs missions ?

M. Dominique Barrau. S’agissant de la première question, faut-il tout ramener à la région ? Nous souhaitons conserver un cadre national, car il permet à la France, dans le cadre de la politique européenne, d’être un acteur majeur pour les productions standardisées. Nous souhaitons toutefois disposer d’une marge de manœuvre – à peu près 20 % du budget de la politique agricole commune est aujourd’hui consacré au deuxième pilier – pour pouvoir nous adapter aux spécificités locales et territoriales. En effet, tous les territoires n’ont pas le même potentiel, la même population, les mêmes savoir-faire, le même climat, etc. Une vraie adaptation régionale est donc nécessaire pour cultiver nos différences et répondre à des demandes particulières. Cependant, dans la mesure où 80 % des produits alimentaires répondent à des normes européennes, il n’est pas question de décrocher de ce qui se passe dans les pays voisins, Allemagne, Belgique, Pays-Bas, etc. Tout le schéma d’accompagnement – déclinaison de la politique agricole commune, schéma d’accompagnement du financement des chambres consulaires – doit tenir compte de ce double impératif.

En deuxième lieu, faut-il modifier les modalités de financement des chambres d’agriculture qui repose actuellement sur le foncier ? Tout d’abord, il faut préciser que le foncier n’est actuellement pas la seule source de financement. Ainsi, les fonds du compte d’affectation spéciale pour le développement agricole et rural (CASDAR) sont en grande partie alimentés par la taxe sur le chiffre d’affaires des exploitants agricoles, pour un montant équivalent à la taxe foncière. La FNSEA n’a pas débattu de cette question et je ne peux donc pas vous donner sa position. On peut toutefois considérer que le sol restera toujours le support de la production alimentaire.

M. Charles de Courson. En Bretagne, l’agriculture hors sol est très importante, notamment en termes de revenus. Or elle ne contribue pas, en tant que telle, au financement des chambres d’agriculture de Bretagne.

M. Dominique Barrau. C’est en effet un exemple pertinent mais il n’est pas certain que, finalement, ce ne soit pas le système de production qui change le système de financement.

Aujourd’hui, en Bretagne, deux systèmes d’élevage porcin coexistent, certains élevages sont complètement hors sol tandis que d’autres sont liés au sol quand une partie de leur production de céréales provient des hectares exploitables. D’ailleurs, les entreprises qui résistent le mieux sont celles qui ont un lien avec le sol. Je pense que les orientations environnementales et agronomiques feront que le lien au sol perdurera, au moins en partie. Certes, si l’agriculture hors sol ne contribue pas pour l’instant au financement des chambres d’agriculture de Bretagne, elle contribue au développement agricole du fait de son chiffre d’affaires.

Le système actuel permet à l’agriculteur de contribuer au financement, tant des chambres consulaires que du développement agricole. Nous souhaitons rester dans un tel schéma. Nous y participons en tant qu’acteurs du développement local ou, par le biais de notre organisation interprofessionnelle, en montant des projets de développement ou en travaillant à des adaptations du système de production. C’est une orientation forte que nous souhaitons conserver. En effet, l’agriculteur en tant qu’acteur est davantage à même de garantir un développement durable qu’une agriculture industrielle.

Ces considérations m’amènent à votre troisième question sur les missions des chambres d’agriculture. La tendance des chambres d’agriculture n’est pas de s’impliquer dans un schéma dans lequel la gestion serait totalement confiée à un système industriel ou au système coopératif. Ce n’est d’ailleurs pas le modèle auquel nous aspirons car nous préférons une forte implication des agriculteurs même si les méthodes de production s’industrialisent. Le lien le plus fort doit rester le lien au sol à partir duquel se fera le développement de la production agricole et alimentaire à moins de se situer dans le cadre d’une seule politique alimentaire.

M. Charles de Courson. Il est quelque peu paradoxal qu’une partie seulement de l’agro-industrie organisée par des coopératives participe au fonctionnement des chambres d’agriculture. Ne pourrait-on charger ces chambres de l’agro-industrie, c’est-à-dire de l’aval, comme l’ont fait beaucoup d’agriculteurs qui ont créé des coopératives dans différents domaines ? Ne pensez-vous pas que cela dynamiserait les chambres d’agriculture ?

M. Dominique Barrau. Si tel était le sens de vos propos, je suis d’accord. J’ai indiqué précédemment qu’un président de chambre d’agriculture pouvait exercer une certaine autorité. Ainsi, dans le Doubs, un abattoir a été relancé en liaison avec un transformateur privé, pour répondre à des besoins départementaux. Seul le président de la chambre d’agriculture était à même de réunir autour de la table tous les acteurs. La chambre d’agriculture a même initié la démarche en apportant un début de financement.

Par ailleurs, un certain nombre d’initiatives sur le végétal et sur des actions de développement technique sont mises en œuvre entre les instituts techniques et certains transformateurs ou certains opérateurs. Il est imaginable de faire de même sur des projets de développement.

Mme Catherine Vautrin, rapporteure. La majorité a décidé, dans le projet de loi de finances pour 2015, d’opérer des prélèvements sur les fonds de roulement des chambres consulaires. Ces mesures ont-elles posé des difficultés concrètes au réseau des chambres d’agriculture ? Pensez-vous que l’on puisse aller plus loin en termes d’économies et de mutualisation, à un moment où l’argent public se fait rare ?

M. Dominique Barrau. Une chambre d’agriculture n’est pas faite pour thésauriser, mais pour fonctionner. Cela dit, il nous a semblé qu’au moment de ce prélèvement, n’avaient pas intégrés un certain nombre de nouveaux risques, ainsi le risque social alors que le nombre des collaborateurs des chambres d’agriculture est de 30 à 150 ou 170. La solution d’y aller à l’aveugle était plutôt facile à mettre en œuvre mais cela a été dommageable pour les agriculteurs.

L’État va-t-il généraliser ce prélèvement ? Ce n’est pas vraiment notre sujet de préoccupation aujourd’hui. Ce qui nous inquiète, c’est qu’il ne soit pas tenu compte de la nouvelle situation et que l’on procède de la même façon s’agissant des taxes sur le développement. Une partie de ces taxes serait ainsi utilisée pour combler les déficits publics. Mais l’aptitude des agriculteurs à être tondus a des limites !

Les collectivités et l’État doivent montrer l’exemple et les agriculteurs sont des républicains et des légalistes. Le problème est de savoir à quoi serviront ces prélèvements. Au cours des sessions des chambres d’agriculture qui ont suivi les décisions budgétaires, certains ont fait remarquer que l’État devait nous montrer la voie pour sortir de ces déficits, et pas nous entraîner dans sa chute.

Mme Catherine Vautrin. Nous avons été un certain nombre à considérer que de plus, c’était de l’argent des entreprises qui n’était pas allé vers les entreprises, ce qui nous a beaucoup dérangés. Y a-t-il un autre point que vous souhaiteriez évoquer ?

M. Dominique Barrau. Je voudrais insister d’abord sur une mission que l’Etat a déléguée aux chambres, l’installation des agriculteurs. Aujourd’hui, les agriculteurs qui veulent s’installer passent tous par un schéma de reconnaissance. Tout un travail concret est assuré au moment de l’installation. Cependant en amont, le travail relationnel avec les acteurs économiques et de terrain, qui relève totalement de la mission consulaire, n’est pas fait et les agriculteurs se trouvent livrés à eux-mêmes.

En second lieu, je voudrais exprimer une crainte. Au sein des centres de formalités des entreprises dans les chambres d’agriculture, comme dans toutes les organisations s’occupant d’agriculture ou d’élevage, des données sont recueillies. Aujourd’hui, en tant qu’éleveur laitier, figurent dans ces bases de données, mon numéro d’exploitation, mes parcelles en herbe ou non, les numéros d’animal, etc. Ce sont des éléments d’information qui accompagnent les produits et constituent donc une source de valeur. Le risque est que demain, ce soit les prescripteurs qui disposeront de toutes ces informations. Le rôle d’une chambre consulaire n’est-il pas de préserver l’autonomie de décision de l’agriculteur ?

La formation est également un aspect important du travail des chambres d’agriculture qu’il ne faudrait pas oublier à un moment où certains se demandent à quoi celles-ci peuvent servir…

Mme Catherine Vautrin, rapporteure. Je vous remercie de votre participation et de votre contribution au rapport.

——fpfp——