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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mission d’évaluation et de contrôle

Jeudi 18 juin 2015

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 29

Présidence de M. Pascal Terrasse, rapporteur

Les financements et la maîtrise de la dépense des organismes extérieurs de langue française

– Audition, ouverte à la presse, de M. Bernard Cerquiglini, recteur de l’Agence universitaire de la francophonie (AUF).

M. le président Pascal Terrasse. Nous poursuivons les travaux de la mission d’évaluation et de contrôle sur les financements et la maîtrise de la dépense des organismes extérieurs de langue française.

Nous recevons, ce matin, M. Bernard Cerquiglini, recteur de l’Agence universitaire de la francophonie (AUF), accompagné de M. Jacques Ballu, directeur des finances, et de Mme Aïcha Moutaoukil, chargée de mission pour les relations avec les institutions de la francophonie.

Madame, Messieurs, nous vous remercions de votre présence. Il est en effet très important pour notre mission d’avoir une vision la plus complète possible des différents intervenants de la francophonie et de pouvoir directement aborder avec vous les questions qui en sont l’objet, c’est-à-dire principalement celle de l’emploi et de l’efficacité des financements que la France consacre aux organismes qui interviennent dans le champ de la francophonie. Nous avons reçu hier Mme Michaëlle Jean, secrétaire générale de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) et le nouvel administrateur de l’organisation. Vous compterez donc parmi les dernières personnes que nous entendons, avant que nous prenions l’avis des ministres concernés.

Il ne s’agit pas pour nous de jouer les gendarmes, mais de vous entendre et de vous écouter pour réfléchir ensemble aux moyens d’améliorer les effets de votre action. Monsieur, je vous laisse d’abord la parole pour une présentation de l’agence, avant que mes collègues et moi-même ne vous posions des questions.

M. Bernard Cerquiglini, recteur de l’Agence universitaire de la francophonie (AUF). La France étant le principal bailleur de fonds de l’AUF, il est bien normal que vous nous entendiez, comme nous rendons compte régulièrement à l’ensemble de nos partenaires. Notre agence se présente comme une association d’universités qui emploient le français, au moins partiellement. Elle compte aujourd’hui 812 membres dans 104 pays, du Brésil à la Chine. Elle constitue l’une des plus grandes associations d’université au monde, et la seule qui ait été fondée sur la base d’un critère linguistique. Cette association est servie par une administration, l’AUF, opérateur de la francophonie pour l’enseignement supérieur. Nous disposons à ce titre de crédits, de personnel et de locaux. Nous avons pour but de développer la communauté scientifique internationale francophone pour que le français soit une grande langue, à travers le monde, de l’enseignement supérieur et dans la recherche, car nous croyons à la diversité linguistique y compris dans le domaine de la science.

La solidarité est au cœur de notre action. Aussi aidons-nous les universités des pays émergents à atteindre les standards internationaux. Leurs besoins ont beaucoup changé depuis 54 ans. Aux débuts, nous étions plutôt dans la substitution : les universités se créaient et l’AUF y envoyait des missionnaires. Sous le mandat de mon prédécesseur, Mme Michèle Gendreau-Massaloux, dont je salue l’action, l’AUF était une agence de programmes, qui accordait des bourses et créait des filières.

Pendant mon rectorat, les besoins ayant changé, nous sommes devenus une agence de coopération et d’expertise. Des États nous saisissent pour améliorer la gouvernance des universités ou les aider à mieux prendre en compte les nouvelles technologies de l’information et de la communication.... Ainsi, le 5 juin, à l’initiative de la France, trente ministres de l’enseignement supérieur se sont réunis pour aborder le sujet du développement de l’espace numérique francophone. L’AUF avait préparé cette réunion et en assurera le suivi. Tout au long de mes deux mandats, j’aurai eu le souci de moderniser l’opérateur, de façon qu’il rende un meilleur service d’intérêt général.

M. Jean-René Marsac, rapporteur. Je voudrais évoquer la recherche et les publications. Comment voyez-vous le paysage actuel ? Quel est l’avenir de la francophonie de ce point de vue ? Par ailleurs, l’AUF dispose de 62 implantations régionales. Quelle est leur nature, comment se coordonnent-elles et s’organisent-elles en réseau ?

M. Bernard Cerquiglini. Pour avoir été deux fois délégué général à la langue française auprès du Premier ministre français, je suis familier de ce thème du français comme langue scientifique et technique. Cela pouvait sembler un pari fou en 1989.

Sur le sujet, je suis pourtant optimiste aujourd’hui. Il y a vingt-cinq ans, les publications scientifiques se répartissaient sur un arc septentrional reliant les États-Unis au Japon en passant par l’Europe et par la Russie. L’anglais y régnait en maître. Depuis une vingtaine d’années, les Chinois veulent pouvoir publier en mandarin, tandis que le Brésil a rattrapé et même dépassé la Russie en volume de publications scientifiques. Demain, l’Afrique sera un grand acteur. La production scientifique est mondiale ; elle a lieu un peu partout. Grâce à ces nouveaux pays, qui ne veulent pas s’enfermer dans la langue d’un producteur scientifique, le plurilinguisme revient comme valeur de la communauté scientifique. Nous, les francophones, avions raison. Les adhésions à l’AUF ne cessent d’ailleurs de se multiplier, puisque, sans même avoir fait de prospection, nous comptons 812 membres.

Il faut donc répondre à la demande de soutien du français comme langue scientifique et technique. Bien sûr, l’AUF finance des publications, sous forme papier ou sous forme numérique. Un comité issu du conseil scientifique instruit les demandes d’aide ; il a récemment lancé une revue de toutes les publications scientifiques de langue française pour dresser un bilan et établir avec les Québécois une indexation scientifique. Car les entreprises d’indexation qui calculent l’impact scientifique des publications sont généralement implantées sur le territoire nord-américain, aussi ont-elles tendance à privilégier l’anglais. Il faut, d’urgence, une indexation qui calcule l’impact des publications en français.

Nous nous appuyons en effet sur 62 implantations régionales, de nature différente. Dix d’entre elles sont des bureaux régionaux. Nous avons ouvert le dernier d’entre eux au Maghreb, où nous comptons une centaine d’universités partenaires, dont 52 en Algérie. Ainsi, l’AUF est bien implantée dans ce pays qui n’appartient pourtant pas à l’Organisation mondiale de la francophonie (OIF). Car nous ne travaillons pas avec des États, mais avec des universités. C’est une forme de coopération avec l’OIF.

J’ai ouvert une antenne à São Paulo au Brésil, car ce pays est très actif dans le cadre de la francophonie universitaire. Mon successeur en ouvrira sans doute une en Chine. Les Chinois nous ont proposé la mise à disposition de locaux et de personnels ; nous comptons déjà dans leur pays sept universités adhérentes, et bientôt une vingtaine.

Au nombre des implantations régionales, nous mettons aussi les campus numériques, qui s’appuient à la fois sur du personnel et sur des machines, mais d’abord sur du personnel. Nous les avons longtemps financés sur nos propres fonds, en faisant les travaux et en installant nos machines dans les locaux mis à notre disposition. Depuis quelques années, ce sont les universités partenaires qui les financent et nous ne faisons qu’apporter notre expertise. À l’heure actuelle, les campus numériques partenaires sont devenus plus nombreux (39) que les campus numériques propres de l’AUF (37). Ainsi, certaines de nos implantations ne sont plus financées par l’AUF, qui assure de la sorte une présence fine par pays sans accroître les dépenses. À terme, nous aurons un campus par pays et un réseau de campus partenaires financés par les universités. Car les universités des pays émergents… émergent : elles ont désormais les moyens de financer leur action.

M. Jean-François Mancel, rapporteur. Comment votre organisation a-t-elle évolué depuis sa création en 1961 ? A-t-elle connu une progression linéaire ? Quelles sont ses sources de financement ?

M. Bernard Cerquiglini. Il y a quelques années, sous mon mandat, nous avons célébré le cinquantième anniversaire de notre organisation, fondée à Montréal comme Association des universités partiellement ou entièrement de langue française (AUPELF), puis devenue l’AUF. Elle a connu depuis les origines une évolution nette, mais sans rupture, épousant l’évolution des universités adhérentes.

En 1961, il s’agissait pour le Nord de venir en aide au Sud, voire, dans une certaine mesure, de se substituer à lui. Des missionnaires entièrement pris en charge étaient envoyés sur place. Ces rapports verticaux ont évolué vers des rapports plus horizontaux, au point que le soutien à la coopération entre universités du Sud est devenu l’une de nos priorités. Des coopérations importantes existent aujourd’hui entre elles.

Nous nous éloignons en outre d’une situation où l’AUF ne serait qu’une agence de programmes qui dispenserait des bourses de master ou de doctorat, qui financerait des campus numériques et viendrait en aide à des destins individuels. Certes, c’est une bonne chose. Une association des anciens boursiers de l’AUF s’est formée, qui compte plus de mille membres. Lors d’une récente cérémonie, nous avons ainsi mis à l’honneur une ambassadrice et un ancien ministre qui ont été boursiers de l’AUF. Beaucoup de personnes ont réussi dans la vie grâce à une bourse de l’AUF.

Mais nous aidons cependant moins des destins individuels que des structures, à savoir des universités. Nous accordons ainsi des bourses de doctorat dans le cadre de projets d’établissement qui permettent à des étudiants de recevoir cette aide pour devenir ensuite maîtres de conférences dans leurs universités. Nous passons ainsi de l’individu à la structuration, comme nous passons du programme à l’expertise. Le 14 décembre 2014, j’ai signé avec le ministre ivoirien chargé de l’enseignement et de la recherche une convention par laquelle la Côte-d’Ivoire nous finance à hauteur de 750 000 euros pour monter une université numérique. Nous travaillons main dans la main avec le ministère de l’Éducation nationale et sa plateforme France Université Numérique (FUN) pour mobiliser des experts. Sur ce projet, voilà un pays du Sud qui nous finance, c’est un signe des temps. Cela n’aurait pas été envisageable il y a quelques années.

Ainsi, notre action évolue, même si aucune rupture ne se fait sentir, car nous continuons à nous inspirer des principes de solidarité et de coopération internationale.

M. Jacques Ballu, directeur des finances de l’AUF. L’AUF a cinq sources de financement. Elle reçoit d’abord des contributions gouvernementales, qui sont en baisse de plus de 25 % par rapport à 2006, essentiellement du fait de la France.

Deux ministères français lui versent une subvention. La subvention prépondérante vient du ministère des Affaires étrangères et s'élevait en 2006 à 29,2 millions d’euros ; celle du ministère en charge de l’enseignement supérieur et de la recherche s’établissait la même année à 2,4 millions d’euros. Le montant total pour les deux ministères a fondu depuis cette date, puisqu’il ne s’établit plus qu’à 22,1 millions d’euros en 2015, soit une perte importante d’une dizaine de millions d’euros. La France demeure cependant la principale contributrice, comme État, au budget de l’AUF, également alimenté par le Canada – État fédéral et provinces –, par la Belgique et par la Suisse.

L’AUF tire en outre des revenus des projets qu’elle développe à la demande ou des appels d’offres auxquels elle répond. Ayant connu une progression importante, ces contributions contractuelles s’élevaient à 798 000 euros en 2006 et sont estimées aujourd’hui, dans notre budget prévisionnel, à 4,5 millions d’euros, soit une augmentation de 460 %. L’AUF dispose en outre de ressources propres, que sont les cotisations de ses membres. Leur produit s’élevait à 500 000 euros en 2006. Il s’établit en 2015 à 1,3 million d’euros, du fait d’une hausse des cotisations – la dernière ayant été adoptée en 2013 et étant entrée en vigueur en 2014 –, mais aussi d’une augmentation du nombre d’universités adhérentes.

À cela s’ajoutent les produits financiers exceptionnels, issus du placement de la subvention du ministère des Affaires étrangères. Versée d’un coup en avril, elle constitue un excédent de trésorerie pour une bonne partie de l’année ; celui-ci génère 150 000 euros de revenus annuels.

Ensuite, le budget de l’AUF prend en compte les biens et services à titre gratuit, en chiffrant la valeur représentée par les locaux gratuitement mis à disposition des campus numériques par les universités partenaires. À peu près constant sur dix ans, ce montant s’élève à 2,2 millions d’euros. Ce chiffre comprend aussi, pour un montant de 500 000 euros, le personnel mis à disposition par les universités.

M. Jean-François Mancel, rapporteur. La baisse très importante des subventions gouvernementales a-t-elle porté un mauvais coup à l’AUF ? L’Agence a-t-elle réussi à compenser, voire à augmenter ses ressources grâce à la hausse des contributions contractuelles ? Ou la réduction des moyens pèse-elle encore sur ses activités ?

M. Bernard Cerquiglini. Cette baisse fut assurément douloureuse, mais je n’irais pas jusqu’à dire qu’elle fut un « mauvais coup » car la France a des obligations à tenir. Ce changement nous a fait réagir, en nous obligeant à développer les partenariats et à réduire les coûts. Toutes les dépenses ont été vérifiées, nous faisant souvent préférer aux missions la visioconférence et nous conduisant à publier des appels d’offres plus concurrentiels.

Nous avons également dû toucher à la masse salariale. Un plan de départs volontaires a été lancé. Il a concerné 10 % de nos effectifs rien qu’en 2013. Quand j’ai commencé mon mandat, l’agence employait 450 personnes. Elles ne sont plus que 363 aujourd’hui. Or, s’il est douloureux mais relativement peu problématique de lancer un plan de départs au Québec, au Liban ou à Hanoi, cela est plus délicat en France, du fait de l’implication de l’inspection du travail et de la mise en œuvre du droit d’alerte. Cela a donc pris six mois supplémentaires dans notre pays.

Il ne faudrait pas que la France continue à réduire sa contribution à l’AUF. Certes, nous avons, tant bien que mal, réussi à amortir la baisse survenue depuis 2006. Mais nous entrons maintenant dans une zone de danger. Une réduction supplémentaire nous obligerait à toucher à notre politique. Même en développant les contrats, nous n’avons, du reste, pas réussi à compenser totalement la perte de dix millions d’euros.

M. Jacques Ballu. Entre 2006 et 2015, les ressources se seront en effet contractées d’environ quatre millions d’euros. Car la baisse d’une dizaine de millions d’euros des subventions gouvernementales n’a été compensée qu’à hauteur de quatre millions d’euros par les contributions contractuelles et que pour moins de deux millions d’euros par la hausse des ressources propres.

Grâce au plan de départs volontaires d’il y a deux ans, l’AUF a pu retrouver un niveau de dépenses de personnel à peu près équivalent à celui de 2006. Le volume des frais généraux est resté constant, voire a connu une légère baisse. Nos achats ont bien été optimisés. La réduction des coûts a pesé de manière principale sur les dépenses d’intervention.

M. Jean-René Marsac. Quelles sont les relations entre l’AUF, l’OIF et l’Université Senghor ? Leur bonne articulation permet-elle d’éviter les doublons ? J’imagine que l’Université Senghor conduit des projets avec d’autres universités francophones. Nous avons entendu hier Mme Michaëlle Jean, secrétaire générale de l’OIF. L’AUF soutient-elle également la formation professionnelle et la formation aux métiers, qui représentent aujourd’hui de fortes préoccupations pour les universités francophones, ou seulement les activités universitaires traditionnelles et la recherche ? Du point de vue de l’organisation territoriale, les réseaux régionaux des différents organismes de la francophonie coopèrent-ils pour plus d’efficacité ? Y a-t-il des temps de réflexion stratégique entre ces différentes organisations, territoire par territoire ?

M. Bernard Cerquiglini. La synergie est quotidienne entre les différents opérateurs de la francophonie. Au niveau central, il existe un conseil de coopération et nous nous voyons régulièrement au Conseil permanent de la francophonie. Le secrétaire général de l’Université Senghor, M. Albert Lourde, y évoque régulièrement notre bonne coopération quotidienne. À l’étage inférieur de leurs locaux, nous avons, du reste, établi un campus numérique, qui permet à l’AUF de proposer en commun avec l’Université Senghor des masters en présentiel et à distance.

Je siège moi-même au conseil d’administration de l’Université Senghor, qui est aussi membre de l’AUF. L’OIF siège également dans les organismes communs et j’ai déjà tenu une réunion commune avec le nouvel administrateur. Les échanges sont quotidiens. Nous développons enfin des programmes communs avec elle, telle l’initiative francophone de formation à distance des maîtres (IFADEM), réalisée par une équipe commune de l’AUF et de l’OIF. Cette grande réussite a été expertisée par des chercheurs étrangers et nous encourage à faire d’autant plus sur le programme Observation des pratiques enseignantes en relation avec les apprentissages (OPERA) ou sur l’initiative « École et langues nationales » (ELAN).

Il s’agit désormais de développer cette coopération au niveau régional. Car nous accusons peut-être un certain retard en la matière. Il est vrai que les cartes des réseaux régionaux ne coïncident pas nécessairement entre organismes francophones. Mais la situation est amenée à évoluer. Là où c’est possible, je propose à Mme Michaëlle Jean le rapprochement, voire la fusion, ainsi à Bruxelles, où les organismes francophones emploient chacun quatre personnes au total. Nous pourrions faire de même, dans un deuxième temps, en Haïti. Si la fusion est possible dans les villes où l’AUF et l’OIF ont toutes deux des implantations, une stratégie régionale commune mérite à tout le moins d’être développée ailleurs. Tel est mon état d’esprit.

Mme Michaëlle Jean a mis l’accent sur la formation professionnelle dans l’enseignement supérieur. Son initiative nous séduit et nous la soutenons. Il y a cinquante ans, les universités que nous soutenions fonctionnaient comme des petites Sorbonne, sans grande préoccupation du devenir professionnel de leurs étudiants. Depuis, au Maghreb, en Afrique subsaharienne, une nouvelle demande de professionnalisation des formations universitaires a émergé de la part des recteurs, y compris dans les humanités. Jusqu’à peu, nous avions peu d’action en ce domaine, hormis le soutien à un réseau d’écoles d’ingénieurs. Les instituts universitaires de technologie (IUT) français ne peuvent le faire, car ils dépendent d’universités qui sont déjà adhérentes. Mais les collèges d’enseignement général et professionnel, dits cégeps, du Québec adhéreront bientôt à l’AUF. Dans les années à venir, nous serons donc très dynamiques dans ce domaine. Mme Michaëlle Jean a bien perçu les choses.

M. Jean-René Marsac, rapporteur. Comment votre action s’articule-t-elle au niveau opérationnel avec l’Université Senghor ?

M. Bernard Cerquiglini. L’Université Senghor est un institut de formation permanente pour de hauts fonctionnaires africains, qui y suivent des masters dans les domaines de l’écologie, de la santé publique ou du développement. Elle travaille tantôt avec nous, tantôt avec des universités du Sud ou avec des universités françaises. Nous concevons et cofinançons des masters en présentiels ou à distance. Nous disposons en effet d’une expérience en ce dernier domaine depuis vingt-deux ans.

Grâce à nous, l’Université Senghor passe ainsi à l’enseignement à distance et se déterritorialise. M. Albert Lourde vous a présenté ce double objectif de développement de l’offre à distance et d’ouverture de Campus Senghor, qui essaiment désormais un peu partout. Quand nous avons un bureau régional dans la zone concernée, ces campus s’ouvrent bien sûr grâce à une coopération active avec nous.

M. le président Pascal Terrasse. Monsieur le recteur, vous quitterez vos fonctions dans quelques mois, mais vous laisserez à votre successeur une convention d’objectifs et de moyens valable pour plusieurs années. Comment appréhendez-vous la stratégie de partenariat de l’AUF à l’avenir, notamment avec le secteur privé ? La formation, l’éducation et les savoirs sont désormais dans un champ compétitif soumis aux lois de l’économie de marché. Certains États, telle la Suisse, en ont fait un enjeu de leur propre croissance.

Deuxième question : les barèmes des universités n’évoluent guère, le produit des cotisations ne s’élevant qu’à une participation, plutôt modeste, de 1,3 million d’euros. Vous semble-t-il possible d’aller plus loin ? Ces cotisations ne restent-elles pas trop faibles ?

Troisièmement, la francophonie soutenant le plurilinguisme, entretenez-vous des rapports avec les instituts Goethe ou les instituts Confucius ?

Enfin, avant la chute du Mur, les pays de l’Est, par exemple la Tchécoslovaquie, la Pologne ou l’Union soviétique, offraient traditionnellement des bourses aux étudiants africains éprouvant la nécessité de sortir de leur pays, pour qu’ils viennent étudier sur leur propre territoire. Comment appréhendez-vous cette stimulation à faire sortir les jeunes de leur pays ?

M. Bernard Cerquiglini. Pendant mon double mandat, j’ai modernisé l’opérateur et fait évoluer l’AUF d’une agence de programmes vers une agence d’expertise. Cela n’était pas seulement une manière de répondre à la baisse des crédits ; cela répondait à une demande interne. De toute évidence, le développement du partenariat devra être une priorité de mon successeur. Nous sommes maintenant une agence mondiale reconnue par la Banque mondiale, par l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) ou par la Banque africaine de développement. Nous passons des contrats et j’ai désormais auprès de moi un vice-recteur en charge du développement.

Une stratégie de partenariat sera dessinée d’ici l’automne. Nous venons de faire un bilan de tous nos partenariats. Ils sont gérés de manière déconcentrée par nos dix bureaux régionaux, mais nous disposons désormais d’une vue panoramique et nous connaissons les attentes de nos partenaires. Ce qui manque, c’est la communication. L’AUF garde en ce domaine une modestie de violette des bois. Si vous vous rendez aujourd’hui près de la Banque mondiale, vous devez être capable d’exposer de manière performante votre projet. Un meilleur site Internet est sans nul doute également nécessaire.

Ces partenariats méritent d’être développés non seulement avec les États et les organisations internationales, mais aussi avec des acteurs privés et des entreprises. Nous participons ainsi au Forum de Liège sur l’innovation. Il est parfois difficile de se faire connaître des entreprises. Une certaine méfiance est perceptible à l’égard de notre association, nourrie par la crainte que nous pourrions faire écran entre elles et les universités. Aussi commençons-nous par nouer des contacts avec les associations d’entreprises, les chambres de commerce et d’industrie, même si les premières démarches sont encore trop timides.

Mme Aïcha Moutaoukil, chargée de mission de l’AUF pour les relations avec les institutions de la francophonie. Il y a, en effet, encore beaucoup à faire avant d’arriver à une stratégie plus élaborée. Nous n’avançons cependant pas en terrain vierge, car nous comptons déjà parmi nos partenaires la fondation Carrefour, qui a financé certaines de nos bourses. D’autres travaux d’approche vers le secteur privé ont eu lieu, que ce soit auprès de Publicis, de Total ou d’Orange, qui est partenaire de l’IFADEM.

Il est vrai, toutefois, que si nous disposons d’un savoir-faire, il nous reste à faire savoir. Nous devons nous améliorer dans ce domaine. Notre nouvelle organisation devrait nous y aider. Mais le problème concerne toutes les institutions de la francophonie. Un partage d’expériences serait à développer.

M. Jacques Ballu. Vous nous avez interrogés sur le faible poids des cotisations, qui représentent 3,4 % de nos ressources totales. Le principal obstacle auquel nous nous heurtons est naturellement le consentement à payer. Décidée fin 2013, la dernière hausse de cotisations est entrée en vigueur en 2014. La revalorisation s’est élevée à 19 %, faisant passer à nombre d’établissements membres identique, les cotisations d’un million d’euros à 1,2 million d’euros.

Cette grille, sans doute perfectible, repose sur deux grands principes. D’abord, le niveau de cotisation d’une université partenaire est tributaire de son appartenance à l’un des trois groupes de pays distingués, à savoir le groupe de pays à revenus élevés, le groupe à revenus moyens ou le groupe à revenus faibles. Quand les membres du premier groupe paient quatre euros, ceux du deuxième groupe en paient deux et ceux du troisième n’en paient qu’un.

Ensuite, trois niveaux sont définis au sein de ces catégories. Le premier concerne les universités de moins de 10 000 étudiants, le deuxième celles de 10 000 à 20 000 étudiants et le troisième celles de plus de 20 000 étudiants. Du premier au troisième niveau, l’échelle de cotisation passe de 60 à 100. Quand la hausse des cotisations fut décidée, elle fut calculée de telle sorte qu’aucune université ne connaisse une augmentation de plus de 500 euros.

Mais les cotisations rentrent difficilement, traduisant un problème du consentement à payer. À la mi-juin 2015, seules 70 % des cotisations de 2014 sont rentrées. La plupart des difficultés de paiement se concentrent dans les universités du Maghreb.

M. Jean-François Mancel, rapporteur. Je vous remercie beaucoup, monsieur le recteur, de la concision et de la clarté de vos exposés. Puisque vous quitterez bientôt vos fonctions, votre liberté de parole n’en est que plus grande : disposez-vous de ce qu’il faut comme institution de la francophonie ? Y a-t-il encore des doublons ou un manque de coordination entre les instances existantes ? Il doit être possible d’améliorer encore la situation, même avec des moyens en baisse, grâce à une coopération accrue.

M. Bernard Cerquiglini. Comme universitaire, je jouis, de toute manière, d’une liberté de parole que j’utilise. Des améliorations pouvaient avoir lieu ; elles sont en cours grâce à Mme Michaëlle Jean et à son charisme. Le conseil de coopération sera plus dynamique ; des programmes communs se montent. Nous sommes tous décidés à travailler ensemble. Une synergie fonctionne, c’est-à-dire – au sens physiologique du terme – que chacun des muscles contribue à un mouvement général qu’il ne saurait parvenir à faire seul. Les résultats d’IFADEM et d’ELAN nous donnent bon espoir.

M. Jean-René Marsac, rapporteur. Je crois que l’IFADEM est soutenue par l’Agence française de développement (AFD). D’autres opérations sont-elles soutenues par l’AFD ?

M. Bernard Cerquiglini. Ce soutien de l’AFD est apparu au cours de mon mandat. Il se concentre désormais sur l’enseignement supérieur et sur l’Afrique. L’AUF lui apparaît alors comme un partenaire de premier plan, à travers des programmes comme l’IFADEM notamment. Des contrats nous lient aussi directement : ainsi, l’AFD nous finance-t-elle sur des projets développant la maîtrise des nouvelles technologies en Afrique subsaharienne.

Je ne vois pas de doublons entre les instances existantes, mais plutôt parfois un manque de synergie. Nous avons lancé nos programmes communs OPERA, ELAN et IFADEM. Ils fonctionnent ; aujourd’hui, nous devons être plus stricts dans leur mise en œuvre et les verrouiller davantage.

Quant au plurilinguisme, c’est mon domaine de réflexion depuis toujours. J’ai été délégué général à la langue française et aux langues de France. Mme Michèle Gendreau-Massaloux, qui m’a précédé dans mes fonctions, s’y intéressait aussi de près. Inscrire nos programmes dans le plurilinguisme est une préoccupation permanente. Au Brésil, par exemple, nous apportons notre soutien à des programmes de recherche en français et en portugais ; au Maghreb, à des programmes en français et en arabe - l’arabisation est arrêtée mais les étudiants concernés parlent arabe ; à Bucarest, à des programmes de masters en tourisme dispensés en français, en roumain et en italien.

Le plurilinguisme constitue la bonne solution et l’avenir du monde, y compris du monde scientifique. Mme Michèle Gendreau-Massaloux avait rendu en 1990 un rapport du Conseil supérieur de la langue française qui avait laissé sceptique le ministère des Affaires étrangères. Le mot était nouveau en 1990. Il est désormais largement entré dans l’usage.

En ce qui concerne la mobilité, la peregrinatio studiorum de Bologne à Paris, en passant par Salamanque, remonte au treizième siècle. Aujourd’hui, le programme Erasmus constitue l’une des plus belles réussites de l’Union européenne.

De Boujoumboura et de Montréal nous parviennent des demandes similaires relatives à la bonne gouvernance, à la maîtrise des nouvelles technologies de l’information et de la communication et à la mobilité. Chaque recteur sait que ses étudiants doivent connaître une mobilité. Nous répondons à ces dernières demandes en continuant à accorder 2 000 bourses par an, dont beaucoup de bourses de doctorats qui s’étendent sur trois années. Mais ces bourses se veulent structurantes : par exemple, sous mon mandat, nous avons privilégié leur allocation à des maîtres de conférences qui ne sont pas encore docteurs. Dans le cadre du programme « Horizon francophone », nous leur permettons d’aller faire leur doctorat dans d’autres universités – souvent du Sud – et de tisser des liens de recherche. Mais ce soutien contribue d’abord à la structuration des universités et au développement des plans d’établissement.

Mme Aïcha Moutaoukil. En matière de mobilité, le risque existe toujours d’une fuite des cerveaux. Nous travaillons donc, aussi, à faire en sorte que les jeunes nouvellement formés reviennent dans leur pays. Notre choix vise ainsi ceux qui pourront renforcer le développement de leurs universités de rattachement.

M. Bernard Cerquiglini. Je resterai en poste jusqu’au 7 décembre, mais je vous remets d’ores et déjà le dernier rapport d’activité de l’AUF publié sous mon mandat qui sera disponible à l’automne.

M. le président Pascal Terrasse. Madame, messieurs, je vous remercie.

——fpfp——