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Commission des affaires sociales

Commission des affaires sociales

Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Jeudi 13 novembre 2014

Séance de 18 heures

Compte rendu n° 03

Présidence de M. Pierre Morange, coprésident

– Audition, ouverte à la presse, de M. Antoine Durrleman, président de la sixième chambre de la Cour des comptes, et M. Christophe Colin de Verdière, conseiller référendaire sur « le transport de patients » (M. Pierre Morange, rapporteur)

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

MISSION D’ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE
DES LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

Mercredi 8 octobre 2014

La séance est ouverte à onze heures dix.

(Présidence de M. Pierre Morange, coprésident de la mission)

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) procède à l’audition, ouverte à la presse, de M. Antoine Durrleman, président de la sixième chambre de la Cour des comptes, et M. Christophe Colin de Verdière, conseiller référendaire sur « le transport de patients » (M. Pierre Morange, rapporteur).

M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Nous avons le plaisir d’accueillir aujourd’hui M. Antoine Durrleman, président de la sixième chambre de la Cour des comptes, accompagné de M. Christophe Colin de Verdière, conseiller référendaire.

L’ensemble de nos auditions sur le thème du transport de patients nous a conduits à émettre plusieurs préconisations, sur lesquelles nous aimerions vous entendre, monsieur le président.

M. Antoine Durrleman, président de la sixième chambre de la Cour des comptes. La Cour des comptes a pris connaissance avec beaucoup d’intérêt des préconisations issues de vos travaux sur le transport de patients, menés dans le prolongement du rapport de la Cour sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale pour 2012.

La MECSS identifie quatre axes sur lesquels il lui semble indispensable d’agir, ce que nous ne pouvons qu’approuver. Le premier est le pilotage, que vous jugez dissocié, voire désagrégé. Vous faites ainsi le constat d’une absence de pilotage des dépenses liées au transport de patients, lesquelles devraient continuer à progresser en raison, d’une part, du vieillissement de la population, qui se traduit par une augmentation de la prévalence des maladies chroniques, et, d’autre part, de l’organisation même du système de soins, qui conduit à orienter les patients atteints de certaines pathologies vers les structures hospitalo-universitaires. Le deuxième axe sur lequel vous mettez l’accent est l’offre, dont le dimensionnement et la structure orientent fortement la demande. Dans un objectif de rationalisation des dépenses, le troisième axe concerne le contrôle et la lutte contre la fraude. Enfin, le quatrième axe est relatif à la rénovation des transports urgents pré-hospitaliers.

En ce qui concerne le pilotage, la MECSS rejoint la première de nos recommandations, en souhaitant un lien beaucoup plus fort entre les agences régionales de santé (ARS) et les caisses primaires d’assurance maladie, qui, sans dire qu’elles n’ont aucun échange, n’ont pas de stratégie commune en matière de transports sanitaires.

C’est ainsi que vous préconisez le transfert des procédures de délivrance de l’agrément des entreprises de transport sanitaire et de l’autorisation de mise en service de leurs véhicules, de l’ARS à la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM), sur délégation de compétence de l’ARS.

Vous proposez ensuite une meilleure articulation entre les procédures d’agrément et de déconventionnement des entreprises de transport sanitaire : un déconventionnement de la part de l’assurance maladie devrait entraîner un contrôle systématique par l’ARS de l’entreprise de transport sanitaire, voire un retrait de son agrément.

Vous suggérez en outre un partage des bases de données entre tous les acteurs, aux niveaux territorial et national.

Enfin, une préconisation tout à fait innovante consisterait à inclure un volet transports sanitaires dans les schémas régionaux d’organisation des soins (SROS) des ARS. Cela permettrait de faire le lien entre la restructuration de l’offre de soins – rendue nécessaire pour des raisons de sécurité et de qualité, mais aussi de rationalisation – et l’accessibilité aux soins que permet le transport sanitaire accordé sur prescription médicale. De surcroît, tous les acteurs – transports sanitaires, prescripteurs et système de soins – seraient amenés à réfléchir à leurs pratiques en matière d’orientation des patients, sachant que la règle posée par le code de la sécurité sociale du choix de l’établissement approprié le plus proche n’est pas toujours respectée. Ainsi, une réflexion dans le cadre de la préparation des SROS poserait nécessairement la question du bon usage des transports sanitaires. La MECSS a souligné le poids des dépenses de transport des patients dialysés : la Cour estime que la prise en compte de la dimension du transport au moment de l’orientation vers les centres de dialyse permettrait d’optimiser la dépense, tout en assurant une qualité de soins égale.

Mme Joëlle Huillier. J’ai reçu dans ma permanence un administré ayant subi une opération des vertèbres, avec pose de tiges métalliques, et qui s’est vu prescrire des séances de balnéothérapie, pour lesquelles le premier centre est situé à vingt kilomètres de son domicile. Il lui est interdit de conduire d’ici au mois de janvier, mais il ne s’est pas vu délivrer une prescription médicale de transport sanitaire. Un tel dysfonctionnement doit nous alerter, monsieur le président. Car faute de prise en charge du transport, l’épouse de ce patient s’est mise en congé maladie pour pouvoir l’emmener deux fois par semaine, car le taxi leur coûterait trop cher pour se rendre sur le lieu des soins ! Le coût d’un congé maladie est sans commune mesure avec celui d’un transport de patients !

M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Un bon de transport n’est pas une simple attestation administrative, c’est un acte médical. À l’évidence, la situation que vous décrivez justifie une prescription médicale de transport, la perte d’autonomie étant un des critères pris en compte par l’assurance maladie. Il faudrait saisir les responsables assurantiels.

Mme Joëlle Huillier. Ce patient s’est entendu dire qu’il n’a pas besoin d’un véhicule sanitaire.

M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Le code de la sécurité sociale indique que le médecin doit prescrire le transport le moins onéreux, adapté à l’état de santé du patient. Or la tarification du véhicule sanitaire léger (VSL) est inférieure de 50 % à celle du taxi.

Mme Bernadette Laclais. Ce problème se pose avec acuité dans les territoires ruraux et de montagne, dont je suis élue comme ma collègue Joëlle Huillier.

Que pensez-vous de l’instauration d’une petite instance d’appel à l’intention des usagers, qui permettrait de trancher ces difficultés très rapidement ? Ce lieu de concertation pourrait par la même occasion sensibiliser les patients au coût du transport de patients.

J’ai déposé un amendement au projet de loi sur l’adaptation de la société au vieillissement, visant à permettre à une infirmière de nuit l’accès dans les maisons de retraite médicalisées. En effet, une infirmière de nuit est à même de juger de l’utilité ou non de faire transporter une personne âgée aux urgences, d’autant que le trajet en milieu rural ou en zone de montagne est très long pour arriver à l’hôpital, où les gens attendent généralement plusieurs heures avant d’être pris en charge. Je suis persuadée que cette mesure permettrait de faire des économies, sans compter qu’elle améliorerait humainement la situation des personnes concernées.

Enfin, il me semble important, dans l’intérêt des usagers, des transporteurs et des collectivités territoriales, de clarifier le statut du VSL au regard de la réglementation du stationnement. Pourquoi le VSL ne pourrait-il stationner sur les places handicapées ? Pourquoi ne pas envisager des emplacements spécifiques, comme il en existe pour les arrêts d’urgence, les livraisons ou les personnes handicapées ?

M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Je suis très heureux que la MECSS se penche sur des questions qui touchent directement nos concitoyens.

Dans nos permanences respectives, nous sommes fréquemment sollicités par des administrés confrontés à un problème de prise en charge assurantielle. Il s’agit d’un élément de type organisationnel. Plutôt que d’envisager la création d’une énième instance, je pense que les services des caisses primaires d’assurance maladie devraient raccourcir le temps de traitement des demandes, qui actuellement se décline non en semaines mais en mois.

La dimension territoriale que vous évoquez renvoie au pilotage, c’est-à-dire au schéma de l’organisation de l’offre de soins et à l’articulation entre les différents acteurs de santé. En effet, la longueur des trajets et les temps d’immobilisation représentent un coût financier, sans compter le problème des pathologies iatrogènes à la suite d’explorations éventuellement surabondantes. La permanence des soins, que nous appelons tous de nos vœux, doit répondre à une logique de conciliation entre qualité et proximité, l’acteur de proximité étant le mieux à même de connaître le dossier du patient.

Les VSL n’ont pas la possibilité d’utiliser les couloirs de bus, contrairement aux taxis. Or il serait logique, au regard de leur mission, qu’ils puissent emprunter cette voie prioritaire. Il me semble également légitime qu’ils aient accès aux places pour handicapés, cette mutualisation allant dans le sens d’une rationalisation de l’action des collectivités.

Monsieur le président, mon amendement au PLFSS 2015 relatif au transfert de la procédure d’agrément des entreprises de transport sanitaire n’a pas été adopté, mais j’invite les membres de la MECSS à l’étudier car il permettrait de mettre fin à une situation schizophrénique, avec un déconventionnement automatique de la part de l’assurance maladie en cas de retrait d’agrément par l’ARS, mais sans aucun contrôle systématique par les ARS de l’entreprise de transport sanitaire en cas de déconventionnement, sans parler de la dichotomie entre le ministère des affaires sociales et de la santé et celui de l’intérieur s’agissant de l’octroi des autorisations de stationnement pour les taxis. Des marges de manœuvre sont possibles.

M. Antoine Durrleman. Au chapitre de la restructuration de l’offre, l’harmonisation des conditions de concurrence entre les différents acteurs du transport est un point majeur.

Votre préconisation consiste à parvenir à une harmonisation tarifaire du transport assis professionnalisé en rapprochant les tarifs des VSL de ceux des taxis. Les dispositions tarifaires prévues dans les conventions locales conclues entre les entreprises de taxis et l’assurance maladie ne comprendraient que la prise en charge et la tarification au kilomètre, et non plus les temps d’approche, les temps d’immobilisation ou les retours à vide.

La Cour estime que cette harmonisation des conditions tarifaires facilitera la vérification par les caisses d’assurance maladie de la prestation délivrée. En effet, le mode de tarification des taxis est loin d’être adapté à la prise en charge sanitaire : les temps d’approche, les temps d’attente et les retours à vide sont des concepts appropriés à l’usage individuel du taxi, mais pas à l’usage socialisé du taxi pour un transport de patients. Cela suppose de la part des autorités de tarification et des représentants du monde des taxis un effort important pour changer de modèle économique.

M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Entre 2004 et 2012, la part des dépenses de VSL est passée de 30 % à 20 % du total des dépenses de transport, contre une part représentant 24 % à 37 % pour les taxis. Le différentiel tarifaire a amené un certain nombre de grandes entreprises de transport sanitaire à remiser leurs VSL pour constituer une flotte de taxis dont la rentabilité est supérieure. Il est inadmissible que l’argent public, issu des cotisations sociales de nos concitoyens, finance ces mécanismes d’optimisation.

M. Antoine Durrleman. Toujours au chapitre de la restructuration de l’offre, votre deuxième proposition, qui nous semble également tout à fait importante, consiste à actualiser l’arrêté de 1995 qui fixe des plafonds d’autorisations de mise en service de véhicules en fonction des besoins sanitaires des habitants, afin de réguler l’offre et de limiter les dépassements de plafonds.

La Cour préconise un plafond pour les ambulances, d’une part, et un plafond global pour les VSL et les taxis, d’autre part. Certes, le décret du 29 août 2012 limite les transferts d’autorisation de mise en service des véhicules, mais il nous semble que ce double plafonnement départemental pour l’offre de transport assis permettrait d’échapper définitivement au risque de substitution entre les mêmes personnes physiques ou morales que fait courir un plafond global.

M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Le décret de 2012 précité a mis un frein aux vases communicants permettant de transformer des VSL en ambulances pour des considérations d’optimisation financière. Ce double plafonnement, que nous appelons de nos vœux, devrait également mettre un terme à la situation actuelle caractérisée par une offre surabondante. Je pense nécessaire de revenir à un étiage qui tienne compte de la démographie, des structures de soins et des caractéristiques territoriales. Au fond, il ne faut pas s’interdire de résorber des excédents issus de temps plus anciens où l’absence de rationalisation était la règle.

M. Antoine Durrleman. Il existe en effet des disparités considérables entre les départements, liées à la situation que vous décrivez. Traiter le transport sanitaire dans le cadre du SROS, avec une réflexion actualisée en fonction des caractéristiques démographiques et de la répartition de l’offre de soins, permettra d’analyser à la fois la demande et l’offre de transport et, ainsi, d’assurer une meilleure cohérence entre elles au regard des considérations sanitaires. L’intégration d’un volet transport dans le cadre des SROS est un élément du pilotage – c’est un outil de régulation fine –, ce qui en fait également un élément de pédagogie. Car la pédagogie auprès des patients et des prescripteurs est essentielle pour converger vers les bonnes pratiques qui, malheureusement, dépassent rarement le cadre de l’expérimentation.

M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. C’est une antienne chère à la MECSS : les bonnes pratiques visant au bon usage de l’argent public dans l’intérêt de nos concitoyens existent, mais elles ne sont malheureusement pas systématiques.

M. Antoine Durrleman. J’en viens au chapitre relatif au renforcement et à l’amélioration du contrôle.

Il faut garder à l’esprit que les dépenses de transport de patients resteront dynamiques, pour les raisons que j’ai soulignées en introduction. À cet égard, la question des référentiels de prescription est très importante. Jusqu’en 2006 aucun référentiel de prescription n’a été publié, alors qu’il était prévu par la loi dès 1986. Ce premier référentiel de 2006 constitue un premier pas, mais il est extrêmement général, mal appliqué et mal contrôlé.

Vous préconisez de rénover ce référentiel, notamment en le complétant de fiches repères élaborées par la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) et validées par la Haute Autorité de santé (HAS). La Cour voit dans ce levier de nature médicale un progrès considérable, notamment s’agissant de pathologies à l’origine de la plupart des prescriptions de transport.

M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Loin de constituer une atteinte à la liberté de prescription, les fiches repères s’apparentent à une formation professionnelle qui s’appuie sur les connaissances les plus récentes, le critère médico-économique étant la grille de lecture de la HAS lui permettant de définir les stratégies thérapeutiques. Ce sujet est central en termes de prescription de transport, comme de traitements et d’examens complémentaires. Ces fiches doivent être le cadre de référence du praticien aussi bien en médecine ambulatoire que dans les établissements hospitaliers, sachant que les prescripteurs hospitaliers sont à l’origine des deux tiers des prescriptions.

La MECSS préconise en outre de mettre à la disposition de chaque prescripteur un logiciel d’aide à la prescription couvrant tout le champ de celle-ci, de la prescription du transport au médicament, en passant par les examens complémentaires. Ce cadre d’exercice, en concrétisant la stratégie de santé validée par la HAS, permettrait d’optimiser la prescription au service de nos concitoyens. Mais encore faut-il que le praticien hospitalier soit identifiable !

M. Antoine Durrleman. Cette question de la prescription hospitalière concerne en effet le transport de patients, mais aussi d’autres domaines comme le médicament. En outre, l’identification individualisée du prescripteur hospitalier, sujet dont on parle depuis fort longtemps, est une nécessité absolue. L’enjeu est de mettre en place les outils qui permettent d’identifier chaque médecin hospitalier prescripteur. Cela est d’autant plus important que les jeunes médecins installés en libéral, et même ceux restés à l’hôpital, ont tendance à reproduire les comportements de prescription qu’ils ont pu observer.

Aussi l’individualisation des prescriptions, que vous préconisez, nous semble-t-elle beaucoup plus efficace, à terme, qu’une mise sous entente préalable des médecins hospitaliers hyper prescripteurs. D’abord, parce que l’on ne peut pas encore identifier les hyper prescripteurs hospitaliers…

M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. L’hôpital concentre des pathologies lourdes, d’où une prescription structurellement supérieure à la moyenne générale.

M. Antoine Durrleman. Dans un monde parfait, le chef de service serait l’autorité disciplinaire. La réalité est qu’il existe dans la vie hospitalière une large délégation de confiance. Mais quand bien même le chef de service retrouverait un pouvoir de régulation sur les praticiens de son service, cette individualisation de la prescription hospitalière s’avérerait tout de même nécessaire car la vision des dépenses qu’il engage est peu claire. En effet, s’il est informé par le directeur de l’hôpital du poids de son service dans le budget de l’établissement, il ignore totalement ce que représente une prescription de transport de patients ou une prescription de médicament délivré par une officine en ville. De son côté, l’assurance maladie devrait apporter aux responsables hospitaliers des informations relatives à la prescription.

À côté des leviers d’ordre médical, il existe un levier budgétaire. Tous les acteurs que nous avons rencontrés estiment qu’il serait logique de transférer de l’enveloppe soins de ville de l’assurance maladie aux budgets hospitaliers la charge des transports de patients qu’ils prescrivent. Ce sujet est délicat, car le nombre d’hôpitaux est faible par rapport à la myriade de transporteurs existants – taxis et sociétés de transport sanitaire –, d’où la crainte que le transfert sur les budgets hospitaliers ne conduise à privilégier les grosses structures. Cette crainte explique pour une part les blocages à propos de dispositions législatives sur la question au cours des dernières années. Sans doute faudra-t-il faire évoluer les choses progressivement. D’abord, les acteurs du transport sanitaire ont la possibilité de se regrouper, ce qui les amènerait à répondre collectivement à une demande de transport, à charge pour eux de régler la manière dont ils se répartiraient la demande de transport. Ensuite, des plateformes organisationnelles peuvent être créées au sein des établissements hospitaliers pour orienter vers des transporteurs référencés. Ainsi, la relation avec les acteurs de soins peut être gérée de plusieurs manières, une fois ce transfert opéré de l’assurance maladie vers les budgets hospitaliers.

M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Nos auditions ont effectivement montré que les petites entreprises risqueraient d’être broyées par les grandes structures de transport de patients. La logique de regroupement, sous une forme juridique ou une autre, est tout à fait intéressante. Par contre, avant d’en arriver à la procédure des appels d’offres, la logique du « tour de rôle » pourrait constituer une première étape aux yeux de responsables d’ARS et de directeurs d’hôpitaux auditionnés. Que pensez-vous de cette notion de tour de rôle ?

M. Antoine Durrleman. La question est de savoir qui l’organisera. Si c’est l’hôpital, les choses se feront en toute transparence. On a vu dans d’autres domaines des professionnels s’organiser eux-mêmes…

M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Nous sommes très réticents à l’idée d’une organisation mise en place par les professionnels eux-mêmes, car la répartition des marchés ne se ferait alors pas forcément sur la base de l’équité de traitement. C’est la plateforme hospitalière qui devrait organiser le tour de rôle.

M. Antoine Durrleman. La centralisation trouve tout son intérêt dans la notion de transport partagé et elle doit amener les différents acteurs à intervenir de manière différente. Si le tour de rôle se borne à faire correspondre une prestation individuelle à un véhicule particulier, les choses n’évolueront pas, alors que s’il repose sur une forme de transport partagé, un gain global se dégagera au bénéfice de l’ensemble des acteurs.

M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Ainsi, le donneur d’ordres hospitalier faciliterait le covoiturage grâce à une rationalisation de la demande.

D’autre part, cette pratique pourrait s’articuler avec l’activité des gestionnaires de lits. Cela permettrait d’organiser au mieux les entrées et les sorties d’hôpital, de réduire encore les temps d’attente pour les patients et de rationaliser l’intervention des flottes de véhicules. D’où, là encore, une optimisation financière.

M. Antoine Durrleman. En la matière, il faut lier des recommandations souvent présentées de manière dissociée. Centraliser l’offre et mieux organiser le transport, en établissant par la négociation un partage équilibré entre les différents acteurs permettrait à ces derniers, dans un premier temps, de travailler ensemble, non pas pour fausser le jeu, mais dans l’intérêt tout à la fois du patient, de l’établissement hospitalier et de l’assurance maladie.

Reste la question du contrôle des abus ou des irrégularités. La géolocalisation des véhicules a certes l’avantage de permettre une évaluation objective de leurs kilométrages, et sa généralisation se heurte davantage à des obstacles culturels que financiers, compte tenu de ce que coûte l’équipement.

M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. D’autant que nombre de taxis sont déjà équipés. Par ailleurs, ni les ambulanciers ni les chauffeurs de taxi ne semblent par principe hostiles à l’idée, les chauffeurs de taxi s’inquiétant surtout du prix du matériel, ce qui n’est pas un problème insurmontable. Il me semble donc que les esprits sont prêts à adopter une solution de bon sens, dont je dirais qu’elle est, à terme, incontournable.

M. Antoine Durrleman. L’essentiel des dysfonctionnements relèvent d’abus qui consistent, par exemple, à facturer pour treize ou quatorze kilomètres des trajets qui, en réalité, n’en excédent pas une dizaine. Indiquer de manière très précise sur le formulaire de prescription le point de départ et le point d’arrivée de la course permettrait de limiter ces excès et de mieux réguler le système, de manière à ce que l’essentiel des professionnels, qui travaillent honnêtement, ne soient pas les premières victimes de leurs collègues indélicats.

Cela étant, les fraudes organisées existent, et nous avons été frappés de constater qu’elles n’étaient que faiblement sanctionnées : non seulement elles ne font pas systématiquement l’objet de poursuites pénales, mais elles n’entraînent pas toujours le déconventionnement du transporteur fraudeur. Quant aux sanctions financières, elles restent trop faibles pour être dissuasives. L’assurance maladie doit donc faire preuve de davantage de rigueur en la matière. Des instructions fermes doivent être données, par voie de circulaire, aux directeurs de caisse primaire d’assurance maladie, qui ont souvent le sentiment de ne pas être suffisamment soutenus par leur direction dans leur lutte contre la fraude. Au-delà du cas individuel de chaque fraudeur, il en va de la régulation globale du dispositif.

M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Comme le rappelait le premier président M. Didier Migaud, le taux de recouvrement de la fraude sociale oscille entre 10 % et 15 %, pour un montant total évalué entre 20 milliards et 25 milliards d’euros. C’est dire qu’il nous reste des marges de manœuvre. Le Gouvernement a inscrit en loi de finances pour 2015 une enveloppe de 500 millions de recettes supplémentaires au titre de la lutte contre la fraude, et il est donc indispensable, si nous voulons garantir le bon usage des deniers publics, au profit de ceux qui en ont vraiment besoin, que nous nous dotions des outils permettant d’atteindre cet objectif, sachant que, pour les deux tiers, la fraude sociale est de la fraude au prélèvement, c’est-à-dire du travail clandestin. La MECSS prône donc le déconventionnement systématique en cas de fraude avérée. Nous n’avons pas ici à céder au chantage économique à l’emploi car, dans la mesure où la sanction s’applique au gérant, l’entreprise, reprise par un tiers, ne cessera pas de fonctionner et continuera d’assurer ses prestations.

M. Antoine Durrleman. Dans le domaine des transports urgents pré-hospitaliers, la Cour des comptes ne peut qu’approuver la ténacité dont fait preuve la MECSS en ce qui concerne le rapprochement des plateformes des services d’aide médicale urgente (SAMU) et des services départementaux d’incendie et de secours (SDIS). Quelques progrès ont été faits, mais nous sommes encore loin du compte en matière de regroupement géographique ou d’interconnexion immédiate des dispositifs.

M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Seuls une grosse quinzaine de départements ont aujourd’hui des plates-formes communes.

M. Antoine Durrleman. Les obstacles au rapprochement ne sont pas toujours liés aux différences de culture qui existent entre les deux structures. C’est parfois le manque de place qui empêche le regroupement. Cela étant, c’est le plus souvent la mauvaise volonté des parties qui est en cause, ce qui avait conduit la Cour à suggérer que ce rapprochement soit imposé par la loi. Quoi qu’il en soit, si l’on veut rationaliser le dispositif, la convergence est nécessaire.

En ce qui concerne la garde ambulancière, là encore le dispositif manque totalement d’efficience et exigerait que soit revu le découpage géographique et temporel des secteurs. Se pose toutefois la question de savoir s’il est indispensable d’avoir partout une garde ambulancière. De notre point de vue, elle ne se justifie qu’à certains endroits, et nous pensons que, là où elle n’est pas nécessaire, le SDIS pourrait tout aussi bien assurer cette garde, étant entendu qu’il serait pour cela spécifiquement rémunéré par l’assurance maladie.

On peut, partant, envisager de supprimer la garde ambulancière là où elle est inutile ou considérer que, dès lors qu’elle est facturée au coût réel et non plus sur la base d’un forfait et d’un abattement sur le tarif conventionnel, elle cessera d’être rentable et disparaîtra d’elle-même, ce qui suppose évidemment que le relais soit pris par d’autres structures, comme les SDIS.

M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. La facturation au coût réel ne risque-t-elle pas d’entraîner une inflation des prix ?

M. Antoine Durrleman. En bonne institution financière, la Cour a tendance à préférer les solutions algébriques. Une réorganisation en profondeur du dispositif, qui implique de redéfinir les règles du jeu est plus compliquée à mettre en œuvre, mais cela clarifiera le dispositif pour l’ensemble des acteurs. Quoi qu’il en soit, les deux solutions aboutiront, selon nous, au même résultat.

M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Instaurer des plates-formes communes entre les SAMU et les SDIS n’est nullement une remise en question des compétences du SAMU, qui ne sont plus à démontrer, et ce d’autant moins que les véhicules d’intervention des SAMU et des SDIS ne sont pas les mêmes et que les personnels ont reçu des formations différentes. Il s’agit simplement de mieux coordonner les moyens.

Que pensez-vous du coordonnateur ambulancier au sein du Centre 15 ? Il nous a été rapporté, de manière officielle ou plus officieuse, que ces coordonnateurs étaient financés par les sociétés d’ambulance, c’est-à-dire par des partenaires privés n’obéissant pas toujours aux mêmes logiques que les acteurs publics, et qu’il pouvait parfois leur arriver de privilégier certains opérateurs plutôt que d’autres.

M. Antoine Durrleman. Le risque existe sans doute, mais nous n’avons pas poussé suffisamment loin notre enquête pour le déceler. Quoi qu’il en soit, dans le cadre d’une garde ambulancière, le coordonnateur n’a pas de raison d’être, dans la mesure où le dispositif porte en lui-même sa propre régulation.

Mme Joëlle Huillier. Il semblerait que la CNAMTS soit en train de mener une étude sur les transports sanitaires. Qu’en est-il ? L’information m’a été fournie par un transporteur ayant reçu son agrément mais qui attend son conventionnement depuis plus d’un an, la caisse primaire dont il dépend lui ayant dit que celui-ci dépendrait des résultats de l’étude menée par la CNAMTS.

M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Il n’est pas impossible en effet que les travaux de la MECSS aient incité l’assurance maladie à lancer une étude sur les transports de patients. C’est un effet d’entraînement assez naturel.

Mme Joëlle Huillier. Sans conventionnement, l’agrément pour un VSL ne sert à rien.

M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. C’est la raison pour laquelle nous préconisons que l’ARS transfère aux caisses primaires d’assurance maladie, sur délégation de compétences, les procédures de délivrance d’agrément. Les caisses en effet sont mieux placées pour juger de la pertinence de ces demandes.

M. Antoine Durrleman. Au-delà des problématiques de coûts, les dépenses liées au transport de patients apparaissent de plus en plus comme un enjeu au cœur des contradictions et des difficultés d’organisation de notre système de soin. La question a longtemps été négligée, et les différences de tarification ont fortement dynamisé l’usage des taxis au détriment des VSL. Cette question fait aujourd’hui l’objet d’une véritable prise de conscience, et c’est l’un des succès de la MECSS.

M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Je ne reviendrai pas sur la question de l’harmonisation tarifaire sinon pour rappeler que, lorsque l’on fait appel à un taxi, c’est le véhicule qu’on loue et non la place, ce qui n’est pas neutre dans le cas du covoiturage et devra être pris en considération dans l’élaboration de grilles tarifaires harmonisées.

Monsieur le président, monsieur le conseiller référendaire, je vous remercie.

La séance est levée à douze heures vingt-cinq.