Accueil > Contrôle, évaluation, information > Les comptes rendus de la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission des affaires sociales

Commission des affaires sociales

Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Jeudi 4 décembre 2014

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 05

Présidence de Mme Gisèle Biémouret, coprésidente

Auditions, ouvertes à la presse, sur « la dette des établissements publics de santé » (Mme Gisèle Biémouret, rapporteure) :

– M. Jean Debeaupuis, directeur général de l’offre de soins (DGOS) au ministère des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes

– M. Yves Gaubert, responsable du pôle « Finances et Banque de données hospitalière de France » de la Fédération hospitalière de France (FHF)

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

MISSION D’ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE
DES LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

Jeudi 4 décembre 2014

La séance est ouverte à neuf heures trente.

(Présidence de Mme Gisèle Biémouret, coprésidente de la mission)

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) procède d’abord à l’audition, ouverte à la presse, de M. Jean Debeaupuis, directeur général de l’offre de soins (DGOS) au ministère des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, sur la dette des établissements publics de santé (Mme Gisèle Biémouret, rapporteure).

Mme la coprésidente Gisèle Biémouret, rapporteure. Monsieur Debeaupuis, pourriez-vous nous présenter la direction générale de l’offre de soins (DGOS) ?

Quel constat général dressez-vous sur les conditions de financement du secteur public hospitalier ? Connaissez-vous le montant de la dette des établissements publics de santé à la fin 2013 ?

M. Jean Debeaupuis, directeur général de la direction générale de l’offre de soins (DGOS) au ministère des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. La DGOS est chargée de l’ensemble de l’offre de soins, c’est-à-dire de tous les professionnels de santé des établissements publics et privés. Son action intègre aussi bien l’organisation des soins, que la coopération, la formation initiale et continue, le droit des autorisations, le financement. Elle travaille en lien avec les autres directions du ministère et sous l’autorité de la ministre Mme Marisol Touraine.

La DGOS comprend trois sous-directions. La sous-direction de la régulation de l’offre de soins, chargée de la construction de la politique de premier recours et de la synthèse organisationnelle et financière. La sous-direction du pilotage de la performance des acteurs de l’offre de soins, qui suit la situation financière de chaque établissement, en particulier leurs investissements, évalue la performance des systèmes d’information, et veille à la qualité et à la sécurité des soins. Enfin, la sous-direction des ressources humaines du système de santé, dont la mission essentielle est de veiller à l’adéquation des ressources humaines – des professionnels, libéraux ou salariés – aux besoins de la population.

La DGOS est particulièrement vigilante sur la situation financière des établissements, en particulier sur la dette hospitalière. En lien avec la direction générale des finances publiques, qui centralise les comptes des établissements publics de santé et le dernier suivi infra-annuel disponible au premier trimestre de l’année suivante, nous établissons la synthèse des comptes d’exploitation principaux et annexes des établissements, ainsi que de leurs tableaux de financement et de leur bilan. Cela nous permet de suivre l’évolution de l’investissement et les modes de financement correspondants – autofinancement, emprunt ou subventions.

C’est afin de remédier à la problématique de la nécessaire modernisation des hôpitaux – développement de la médecine ambulatoire et renouvellement des équipements –, que le plan « hôpital 2007 » et le plan « hôpital 2012 » ont été mis en œuvre. Le premier, parti du constat d’une grande vétusté dans de nombreux établissements, prévoyait le financement de 10 milliards d’euros d’investissement sur cinq ans, grâce à une aide nationale de 6 milliards, dont 1 milliard a été versé sous forme de capital par le Fonds de modernisation des établissements de santé publics et privés, et 4,7 milliards sous forme d’aide en fonctionnement, c’est-à-dire par le versement d’une part de dotation permettant de couvrir des annuités de remboursement des emprunts des établissements.

Ce mécanisme, qui n’était pas celui initialement prévu par le gouvernement de 2002, puisqu’une part plus large en capital avait été envisagée, s’est révélé efficace en termes de modernisation des installations, de regroupement de sites, d’amélioration de l’hôtellerie hospitalière, de renouvellement des plateaux techniques. En revanche, il a présenté l’inconvénient majeur, pointé tant par les acteurs de santé que par les pouvoirs publics et la Cour des comptes, d’alimenter l’endettement des établissements, qui s’est accru sur la période.

Pour le plan suivant, « hôpital 2012 », qui prévoyait également 10 milliards d’euros d’investissement sur cinq ans, le gouvernement de l’époque n’en a lancé que la première tranche, à hauteur de 4,6 milliards d’euros, dont 2,2 milliards d’euros d’aides versés avec des ratios légèrement améliorés en part en capital, à hauteur de 626 millions d’euros, et le reste également sous forme d’aide couvrant le coût du recours à l'emprunt.

Le gouvernement actuel a établi le constat que les plans induisent des effets d’accumulation ou des effets d’aubaine et, par conséquent, des à-coups dans la gestion des dossiers d’investissement. Il a donc pris la décision d’abandonner cette logique de plan, ce qui a amené la ministre à installer, fin décembre 2012, le Comité interministériel de la performance et de la modernisation de l’offre de soins hospitaliers (COPERMO), chargé de la supervision financière des établissements. Cet organisme étudie l’accompagnement des établissements les plus en difficulté sur le territoire national, de préférence les plus gros, en termes de performance et de retour à l’équilibre financier – les plus petits étant davantage suivis par les agences régionales de santé. Le nombre d’établissements concernés au niveau national est très limité, puisque nous en suivons 45, dont une vingtaine sont accompagnés activement. Le retour d’expérience montre que l’accompagnement actif des établissements les plus en difficulté, avec l’aide de l’IGAS (Inspection générale des affaires sociales) et des ARS (agences régionales de santé), se révèle efficace, en leur permettant de revenir à une situation plus soutenable en termes de fonctionnement et d’investissement.

Ce comité traite également des opérations majeures d’investissement pour deux types d’établissements. D’une part, les établissements en difficulté financière qui ne sont pas capables d’autofinancer leurs opérations majeures, en particulier celles présentant des risques particuliers – risque sismique en outre-mer, risque lié à l’amiante –, ce qui nécessite des reconstructions complètes. Ces dossiers sont fortement soutenus par les pouvoirs publics et font l’objet d’un examen très attentif. D’autre part, les établissements investis dans des opérations exemplaires en termes de reconfiguration de l’offre de soins, très fortement tournées vers l’ambulatoire et qui préfigurent l’hôpital de demain, comme l’opération de reconstruction majeure du CHU de Nantes. La vingtaine d’opérations financées par le COPERMO dans ce cadre concernent des établissements dont la situation financière est correcte et l’effort de modernisation important.

Le COPERMO tient des réunions tous les deux mois sur le volet « investissement », en alternance avec celles consacrées au volet « performance ». De la sorte, l’effet d’accumulation est évité. Les dossiers sont instruits régulièrement en lien avec les ARS, lesquelles soutiennent les opérations moyennes et petites, c’est-à-dire qui correspondent à leur capacité financière.

À ce jour, 26 opérations majeures ont été approuvées par le Gouvernement, et ce dans un cadre interministériel puisque tous les projets d’investissement ont été soumis à un processus d’évaluation socio-économique préalable, sous l’autorité du Premier ministre et la supervision du Commissariat général à l’investissement.

L’effet d’accumulation des dossiers d’investissement s’est traduit entre 2002 et 2009 par un doublement du niveau d’investissement des établissements publics de santé, qui est ainsi passé de 3 milliards à 6,6 milliards d’euros sur la période. Ce pic historique de 2009 s’est révélé insoutenable, si bien que la ministre a prévu, pour la période 2012-2022, de ramener ce niveau à 4,5 milliards d’euros par an. Il devrait être atteint en 2014, après avoir progressivement décru, à 5 milliards d’euros en 2013.

L’endettement des établissements résulte, d’une part, des souscriptions d’emprunts nouveaux, et, d’autre part, des emprunts précédents. Au sein de cette dette à long terme, la part obligataire est marginale. Ce moyen de financement, à échéance de dix ans et parfaitement sécurisé, a été utilisé en premier lieu par l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, puis un certain nombre de CHU ont procédé à trois émissions obligataires.

Sur la période 2008-2013, les remboursements d’emprunt ont été à peu près stables, à hauteur de 2 milliards d’euros, mais le niveau des emprunts nouveaux souscrits par les établissements a régulièrement décru, passant de 5 milliards d’euros en 2008-2009 à 3 milliards d’euros en 2013. Ainsi, le niveau d’endettement des établissements a progressivement ralenti : le solde net des emprunts nouveaux – de 3 milliards d’euros en 2008-2009 – a également décru pour atteindre 1 milliard d’euros en 2013, pour une dette qui est passée de 28 milliards à 29 milliards d’euros en 2013. Ces chiffres provisoires, issus de l’analyse des bilans des établissements et utilisés par la Cour des comptes pour son rapport 2012, seront publiés sur le site du ministère dans les semaines à venir. Cette progression de l’endettement de 28 à 29 milliards d’euros, soit moins de 3 % d’augmentation, correspond à la progression des produits d’exploitation des établissements. Je rappelle à cet égard que, conformément au décret du 14 décembre 2011 relatif aux limites et réserves du recours à l’emprunt par les établissements publics de santé, le recours à l’emprunt par les établissements dont la situation financière présente au moins deux caractéristiques sur les trois mentionnées par ce décret est subordonné à l’autorisation préalable du directeur général de l’agence régionale de santé. Ces caractéristiques sont : un encours de la dette, rapporté au total de ses produits toutes activités confondues, supérieur à 30 % ; un ratio d’indépendance financière, qui résulte du rapport entre l’encours de la dette à long terme et les capitaux permanents, excédant 50 % ; et une durée apparente de la dette excédant dix ans.

Mme la coprésidente Gisèle Biémouret, rapporteure. Que pensez-vous de la proposition du rapport de l’IGF (Inspection générale des Finances) de mars 2013 préconisant de supprimer l’accès au crédit de court terme pour les hôpitaux ? Cela ne risque-t-il pas de mettre les établissements en difficulté ?

M. Jean Debeaupuis. Les financements à court terme relèvent de la gestion de trésorerie des établissements. En accumulant des déficits année après année, certains établissements détériorent leurs paramètres financiers fondamentaux, mais aussi leur trésorerie car ils sont contraints de « piocher » dans leur fonds de roulement. Ils finissent par ne plus trouver plus d’établissement bancaire pour leur consentir des prêts à court terme comme à long terme. En effet, les établissements bancaires sont devenus plus sélectifs et refusent de financer les établissements dont la situation est très dégradée. D’où la démarche d’accompagnement des établissements visant à les ramener progressivement et sur une durée raisonnable à un mode de financement soutenable à la fois sur le court terme et le long terme.

Mme la coprésidente Gisèle Biémouret, rapporteure. Pouvez-vous présenter la stratégie de désensibilisation des encours sensibles pour les hôpitaux publics ?

M. Jean Debeaupuis. Selon la dernière enquête réalisée sur la dette des établissements, 84 % de l’encours de la dette – soit 24,5 milliards sur 29 milliards – correspondent à des emprunts non structurés, c’est-à-dire sans risque, à la fin 2013.

Les emprunts structurés au sens large, y compris ceux dépourvus de risque, représentent ainsi seulement 16 % de l’encours de la dette. Quant aux emprunts structurés à risque, ils représentent 10 % de la dette, soit 2,9 milliards d’euros – les plus risqués, dénommés « hors charte Gissler », atteignent 1 milliard d’euros, soit 3,4 % de la dette des établissements.

La part des emprunts les plus dangereux est en baisse. D’une part, parce que le nombre d’établissements concernés est relativement limité – ils sont 70 à avoir souscrit ces emprunts, à des hauteurs très variables, parmi lesquels de grands comme de petits établissements. D’autre part, parce que la stratégie mise en place par le ministère, en lien avec les organismes bancaires – Banque postale, Caisses d’épargne, mais aussi Banque européenne d’investissement – permet de conseiller et d’accompagner les établissements pour sortir de ces prêts à risque. Cette stratégie se décline en deux actions conjointes.

La première, particulièrement adaptée aux « gros » établissements, consiste à faire évoluer les taux d’intérêt pour sortir de ces prêts structurés, notamment à l’occasion de la souscription d’un nouvel emprunt. En effet, la souscription d’un nouveau prêt permet à l’hôpital de négocier avec l’établissement bancaire, notamment la Société de financement local (SFIL), la sortie du mode structuré afin de sécuriser la dette. Cette action est progressive, mais efficace, auprès d’un certain nombre d’établissements. Une vingtaine seulement ont engagé un contentieux.

La deuxième action, davantage ciblée sur les petits établissements, est la mise en place d’un fonds d’intervention de 100 millions d’euros, sur trois ans, dont 25 millions d’euros seront apportés par les banques elles-mêmes. Ce dispositif, annoncé au printemps dernier, sera finalisé à la fin de l’année, comme l’a confirmé la ministre, qui a fait le choix de l’orienter plus spécialement vers les petits hôpitaux, dont les moyens techniques et les capacités de négociation sont limités par rapport à ceux des plus gros établissements. Cela ne résoudra pas tous les problèmes, mais aidera ceux en grande difficulté à sortir de ces emprunts sensibles. Néanmoins, la ministre n’exclut pas un accompagnement complémentaire pour les établissements grands ou moyens confrontés à des difficultés spécifiques.

Mme la coprésidente Gisèle Biémouret, rapporteure. Pouvez-vous détailler l’évolution de la tutelle des agences régionales de santé s’agissant des décisions de financement des établissements de santé ? Comment les ARS ont-elles pu laisser les établissements s’endetter à ce point ? Leurs missions doivent-elles évoluer ?

M. Jean Debeaupuis. Les investissements en vue de reconstructions complètes, portées par l’ensemble de la communauté hospitalière, sont des décisions lourdes validées par les pouvoirs publics. En effet, les agences régionales de santé approuvent l’état prévisionnel de recettes et de dépenses (EPRD) des établissements, ainsi que leur plan global de financement pluriannuel (PGFP) qui détermine, sur une période de cinq à dix ans, leur trajectoire financière et permet de vérifier la soutenabilité des opérations d’investissement.

Les conditions de soutenabilité pour un établissement sont doubles. Il s’agit, d’abord, de préparer l’avenir, en assurant sa modernisation ou sa reconversion, ce qui s’avère très souvent nécessaire au regard de l’offre de soins. Ces décisions ont une légitimité forte, mais elles doivent s’inscrire dans une trajectoire financière soutenable, même si le modèle de financement des établissements peut évoluer en fonction des décisions politiques – fin de la dotation globale, tarification à l’activité, politique d’investissement, etc.

Il s’agit, ensuite, d’assurer à l’établissement un cycle d’exploitation équilibré et sécurisé. Le fait de s’endetter modérément peut être soutenable, pour peu que les conditions d’exploitation soient solides. À l’inverse, cumuler un endettement excessif, éventuellement lié à des emprunts structurés, et des déficits budgétaires est fatalement insoutenable.

En 2012, la ministre a souhaité que l’ensemble des opérations d’investissement portées en région soient désormais inscrites dans un schéma régional d’investissement en santé (SRIS), élaboré par le directeur général de l’ARS, dans l’objectif d’identifier les priorités les plus importantes de chaque région. C’est la première action des ARS.

La deuxième, qui s’est imposée en 2011 en raison de la crise financière et du risque d’endettement, est la mise en place des comités régionaux de veille active sur la situation de trésorerie des établissements publics de santé. Ces comités réunissent non seulement le directeur général de l’ARS, mais aussi toutes les autorités compétentes en matière de financement – organismes de sécurité sociale, direction régionale des finances publiques (DRFIP) notamment.

Ainsi, le travail de vigilance et de prévention, premier pilier de la soutenabilité, est réalisé par les ARS soit au titre de l’autorisation explicite des emprunts pour les établissements entrant dans les critères prévus par le décret de 2011, qui représentent 35 % des établissements ; soit au titre de la surveillance de la trésorerie, grâce au réseau des comités régionaux qui font remonter aux ARS et aux DRFIP, voire au niveau national, les difficultés des établissements. En tout état de cause, dans le cadre du soutien de trésorerie assuré par la ministre depuis fin 2012, l’accompagnement est strictement calibré pour ceux qui en ont le plus besoin.

Cette action préventive est primordiale au regard du risque de défaillance potentielle des établissements.

Je rappelle que la situation des établissements, après une période de déficits importants dans les années 2008 à 2011, s’est traduite par un quasi-équilibre en 2012 et 2013 – les chiffres pour 2014 ne sont pas encore disponibles. En effet, le résultat global – tous budgets confondus – des établissements publics s’établit plus ou moins à 0,1 % du budget hospitalier.

Ainsi, cette action renforcée depuis 2012, et davantage ciblée sur les établissements ayant accumulé des difficultés particulières entre 2008 et 2011, a permis d’obtenir des résultats tout à fait probants. Les dispositifs d’accompagnement peuvent aller jusqu’à l’administration provisoire. Ce dispositif d’exception, appliqué à la demande de l’ARS et dans lequel un membre de l’IGAS ou un autre fonctionnaire assure provisoirement, pour une durée de six à douze mois, voire de dix-huit mois, l’administration d’un établissement dont la situation est devenue ingérable pour les pouvoirs publics, permet de préparer les conditions du retour à l’équilibre de l’établissement.

Mme la coprésidente Gisèle Biémouret, rapporteure. Que pensez-vous de la formation des équipes dirigeantes des hôpitaux en matière financière ?

Dans les petits hôpitaux, le directeur assume toutes les fonctions. En tout cas, celui de l’hôpital dont je suis présidente du conseil de surveillance assure la direction des ressources humaines, la direction financière, la direction des soins. Cela est très lourd et compliqué. Mais j’imagine que les problèmes sont démultipliés dans les grands hôpitaux.

M. Jean Debeaupuis. L’École des hautes études en santé publique (EHESP) de Rennes dispense la formation de directeur d’hôpital et celle de directeur d’établissement sanitaire, social ou médicosocial. Ce sont des métiers exigeants, pour lesquels la formation inclut de nombreux modules : qualité et sécurité, gestion des ressources humaines, gestion budgétaire et financière, gestion des fonctions logistiques, médicales, techniques, économiques, etc.

Les plus petits établissements ne sont pas nécessairement les plus en difficulté, et il faut avoir une approche différenciée des catégories d’établissement. C’est la raison pour laquelle la ministre a fait adopter dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015 un dispositif dérogatoire selon lequel les hôpitaux de proximité – dont font partie les ex-hôpitaux locaux – qui ne peuvent assurer leur soutenabilité en raison d’un volume d’activité insuffisant bénéficient d’un financement mixte sous la forme de tarifs nationaux des prestations et d’une dotation forfaitaire. Ce dispositif sera déployé en 2015 et 2016.

Une autre orientation, déjà largement mise en œuvre, est la coopération entre les établissements de toute taille et la mutualisation des compétences sur les territoires, en matière de qualité et de sécurité, de traitement de l’information, de logistique, d’achats, de finances. Cette logique est proposée dans le cadre du projet de loi de santé, à travers les groupements hospitaliers de territoire, où les établissements conserveront leur personnalité morale. La pratique des années récentes a, en effet, montré que le développement des directions communes et la mutualisation des compétences permettent de sécuriser le fonctionnement des établissements.

Mme la coprésidente Gisèle Biémouret, rapporteure. La Cour des comptes propose de permettre l’expérimentation, par les trois plus grands centres hospitaliers régionaux, de l’émission de billets de trésorerie. Cette proposition vous semble-t-elle pertinente ? Quels seraient les avantages et les inconvénients de telles émissions, dont le coût de gestion – du fait des frais accessoires à l’émission – est jugé élevé par la direction du Trésor que nous avons auditionnée la semaine dernière ?

M. Jean Debeaupuis. J’en profite pour compléter ma réponse sur votre question relative à l’accès au crédit de court terme. Comme je vous l’ai dit, les financements à court terme contribuent au bon fonctionnement des établissements, comme pour tout acteur économique. Le ministère de la santé ne voit donc aucune raison d’interdire les lignes de trésorerie aux établissements, sauf difficulté particulière – je vous ai rappelé les différents points de vigilance assurés conjointement par le réseau des ARS, des DRFIP et par le niveau national.

Les billets de trésorerie, pour les financements de court terme, sont l’équivalent des émissions obligataires pour les financements à long terme. Ce type de financement très spécifique est autorisé pour des acteurs économiques publics ou privés de grande taille, notamment les collectivités locales, conformément au code monétaire et financier. Comme pour les émissions obligataires, l’émission de billets de trésorerie requiert un volume de demandes qui soit suffisant.

À la demande du ministère de la santé, la loi bancaire a modifié le code monétaire et financier pour inclure les établissements publics de santé dans la catégorie des acteurs autorisés à émettre des billets de trésorerie. Nous sommes en discussion avec la direction du Trésor pour déterminer les conditions d’application de cette disposition, qu’elle souhaite restreindre aux trois plus grands établissements de santé. Nous plaidons pour une application plus large – pas nécessairement à la totalité des centres hospitaliers régionaux – car cela irait dans le sens de cette mutualisation des compétences dont j’ai parlé. En effet, le retour d’expérience sur les émissions obligataires montre que les établissements sont obligés de se grouper – seule l’AP-HP a la taille suffisante pour émettre seule sur le marché obligataire. Aussi, pour les billets de trésorerie, une action groupée du même type devrait-elle être possible. Au demeurant, le critère de bonne situation financière vaut autant, à notre sens, que le critère de taille. J’ajoute que les billets de trésorerie, comme les émissions obligataires, sont totalement exempts de risque, du fait de la supervision du ministère des finances et de la Banque de France.

Mme la coprésidente Gisèle Biémouret, rapporteure. Comme beaucoup de Français, je suis très attachée à l’hôpital public et à la qualité de soins. Les difficultés financières de certains hôpitaux – soixante-dix sont dans cette situation – peuvent-elles peser sur leur offre de soins et les amener à abandonner des activités ou des spécialités ?

M. Jean Debeaupuis. Le système de soins français repose, à la fois, sur l’offre de premier recours et les plateaux techniques des établissements de santé publics et privés. L’offre hospitalière en France est plutôt dense, y compris en comparaison avec les pays européens. Dans le cadre du projet de loi santé, la ministre a indiqué que le système de santé devait évoluer vers davantage de prévention, de coopération entre les professionnels autour du parcours de soins, et entrer dans une nouvelle phase de développement de la démocratie sanitaire.

Par définition, l’organisation des soins ne peut pas être figée. Si les investissements hospitaliers visent à moderniser les établissements pour les vingt-cinq ans à venir, l’art médical se transforme : les modes de prise en charge se tournent de plus en plus vers l’ambulatoire, les traitements évoluent. Les chimiothérapies, par exemple, seront le plus souvent orales à l’avenir, même si elles resteront prescrites en établissement. Dans le cadre des groupements hospitaliers de territoire, le premier recours sera davantage assuré par les hôpitaux de proximité, mais l’accès aux plateaux techniques restera possible si une prise en charge l’exige. En tout état de cause, un système de santé où les patients pourront retourner à leur domicile, bénéficier de soins de suite ou de proximité, ne s’en portera que mieux.

Ainsi, l’action du ministère vise depuis deux ans à soutenir les établissements dont l’offre de soins sur le territoire est indispensable. En revanche, cela ne dispense pas les établissements d’évoluer, de réorganiser leurs activités, de coopérer entre eux. De cette façon, la qualité et la sécurité des soins seront maintenues, sachant que certains établissements peu attractifs, qui ont du mal à assurer ces standards de qualité et de sécurité des soins, sont contraints d’abandonner certaines activités. Celles qui exigent une certaine technicité, par exemple la chimiothérapie ou la chirurgie, devraient être réalisées soit en coopération avec un établissement plus important, soit sur un plateau technique un peu plus éloigné, mais où la qualité et la sécurité des soins seront mieux garanties.

Mme Joëlle Huillier. Cette crise de l’endettement n’est-elle pas l’élément déclencheur permettant d’amener les hôpitaux publics à stopper leur fuite en avant pour recentrer leur offre de soins ?

M. Jean Debeaupuis. Toute l’action de la ministre vise à graduer l’offre de soins sur les territoires. Les notions de régionalisation et de territorialisation de l’offre de soins – reprises par le projet de loi de santé – signifient que les établissements ne peuvent pas faire tout et n’importe quoi dans leur coin. D’où la nécessité d’une politique régionale, d’une part, et d’une coopération au niveau des territoires, d’autre part, gages de qualité et de sécurité des soins au bénéfice des patients.

Les établissements de proximité, au nombre de 300 sur les 700 établissements de court séjour, assureront des soins davantage tournés vers la gériatrie et la médecine courante. Ils représentent une première échelle de soins gradués.

Mme Joëlle Huillier. Je suppose que vous parlez de l’hôpital local.

M. Jean Debeaupuis. Je parle des ex-hôpitaux locaux, dont l’appellation a disparu en 2009. La ministre a proposé celle d’« hôpital de proximité », qui correspond aux établissements assurant moins de 1 000 séjours de médecine par an, incluant les anciens hôpitaux locaux.

Le deuxième niveau est celui des établissements moyens, voire des têtes de département, qui disposent d’un plateau technique plus important et proposent une offre de soins développée.

Enfin, les 32 établissements dits « régionaux », lieux de formation et de recherche, constituent le recours le plus élevé.

Cette dimension de coopération et de gradation des soins, qui s’est imposée depuis de nombreuses années, est très importante. Chacun peut y trouver sa place, mais personne ne peut être exonéré d’une adaptation permanente aux besoins de la population. C’est tout le sens des projets régionaux et des projets territoriaux de santé, portés par le texte du projet de loi, avec un accent plus fort sur la prévention et le parcours de soins. Les manques ou les ruptures dans le parcours de soins seront ainsi évités grâce à une coopération accrue entre les différents réseaux d’établissement.

Mme la coprésidente Gisèle Biémouret, rapporteure. Pensez-vous utile que la MECSS auditionne le directeur de l’EHESP sur la formation des directeurs d’hôpitaux ?

M. Jean Debeaupuis. Tout à fait son actuel directeur, M. Laurent Chambaud pourrait vous apporter des précisions sur la formation des directeurs et des autres professionnels, à la fois en matière de santé publique et de management, sachant que le volet sur les aspects financiers est régulièrement actualisé – il intègre des enseignements sur la tarification à l’activité, l’analyse financière et les acteurs bancaires notamment. Ainsi, les compétences des directeurs d’établissement sont tout à fait solides sur ces aspects. Connaître les conditions de soutenabilité financière à court et long termes est indispensable lorsqu’on assume une telle responsabilité. Pour en avoir discuté avec lui, je peux vous dire que le directeur de l’EHESP y est particulièrement attentif.

Mme Joëlle Huillier. Il faudrait prévoir une formation analogue pour les ex-inspecteurs des DDASS et des DRASS (directions départementales et régionales des affaires sanitaires et sociales), qui travaillent aujourd’hui dans les ARS. Pour avoir exercé une tutelle hospitalière pendant quarante ans, je peux vous dire que mes anciens collègues se sentent incompétents en matière financière : ils savent globalement ce qu’est un budget, mais ils n’ont pas de connaissances sur la capacité d’un établissement à faire face au remboursement du capital et des intérêts – ils n’en avaient pas non plus sur les emprunts toxiques au moment où cette problématique a émergé.

M. Jean Debeaupuis. Vous pourrez utilement poser la question à M. Chambaud, puisque son école forme également les fonctionnaires du ministère exerçant leurs fonctions dans les ARS.

Sans doute les compétences dans les ARS sont-elles inégalement réparties. Ce métier de supervision nécessite un grand professionnalisme. Les personnels des agences ont beaucoup appris avec la mise en place des EPRD (état des provisions de recettes et des dépenses), la crise financière, le risque structuré. Les directeurs généraux d’agence et les équipes avec lesquelles je travaille sont particulièrement mobilisés et actifs sur ce point. Mais il est vrai que les compétences devraient être actualisées par le biais de la formation initiale dispensée par l’EHESP.

Mme la coprésidente Gisèle Biémouret, rapporteure. Et la formation continue également. Quel est le poids de l’intérim dans le budget hospitalier ? Notre collègue M. Olivier Véran a rédigé un rapport important à ce sujet.

M. Jean Debeaupuis. Ce rapport fournit des estimations sur l’intérim à l’hôpital. Le montant et les coûts unitaires étant jugés trop élevés, la ministre a proposé une mesure correctrice dans le projet de loi de santé. La dépense en intérim médical ou paramédical des établissements les moins attractifs est très élevée. Il convient de la ramener à un niveau plus normal, ce qui suppose d’améliorer l’attractivité des établissements.

Mme la coprésidente Gisèle Biémouret, rapporteure. Merci, monsieur le directeur général, de votre contribution, que nous vous demanderons de compléter par un questionnaire écrit.

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) procède ensuite à l’audition, ouverte à la presse, de M. Yves Gaubert, responsable du pôle « Finances et Banque de données hospitalière de France » de la Fédération hospitalière de France (FHF), sur la dette des établissements publics de santé (Mme Gisèle Biémouret, rapporteure).

Mme la coprésidente Gisèle Biémouret, rapporteure. Monsieur Yves Gaubert, après nous avoir présenté brièvement la Fédération hospitalière de France (FHF), nous souhaiterions que vous nous donniez votre sentiment sur l’état de la dette des établissements publics de santé, et sur les instruments financiers mis en place par le ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes pour aider ces établissements et les accompagner dans leur sortie des emprunts structurés.

M. Yves Gaubert, responsable du pôle Finances et Banque de données hospitalière de France de la Fédération hospitalière de France (FHF). La Fédération hospitalière de France, association relevant de la loi de 1901, a vocation à représenter les établissements publics de santé. La totalité des établissements du secteur sanitaire adhère de fait à l’association. Je suis adjoint au délégué général, en charge du « pôle financier et banque de données ».

La dette des hôpitaux est devenue préoccupante à partir de 2003-2004. Depuis cette période, les gouvernements ont promu des plans d’investissements qui ont fait passer son montant de 10 à 30 milliards d’euros en dix ans. Pour les hôpitaux publics, le financement de ces grands plans, par exemple ceux de 2007 et 2012, reposait quasiment exclusivement sur des dettes contractées auprès du secteur bancaire classique à des taux d’intérêt supérieurs d’environ 1 % à ceux de la dette publique.

Ces prêts avaient de plus une durée longue puisque leur durée de vie résiduelle est actuellement de dix-huit ans. Ils obèrent en conséquence une partie de la capacité d’autofinancement des hôpitaux : 2,5 milliards d’euros sur les 3,5 milliards d’autofinancement dégagés annuellement sont aujourd’hui destinés à l’amortissement de la dette. Ce sont autant de fonds qui manquent pour la modernisation et la restructuration des établissements.

Il y a deux ans, nous estimions que 1,5 milliard d’euros sur les 30 milliards était souscrits sous la forme d’emprunts toxiques ou très risqués. Même si ce montant a baissé, il reste préoccupant, notamment pour un certain nombre d’établissements. Malgré le vote de la loi du 29 juillet 2014 relative à la sécurisation des contrats de prêts structurés souscrits par les personnes morales de droit public, nous continuons d’orienter ces établissements vers le contentieux. La mise en place d’un fonds de soutien de 100 millions d’euros nous a finalement assez peu rassurés puisque ce montant est financé à 75 % par une forme de mutualisation d’une enveloppe destinée aux hôpitaux – le système bancaire contribuant à hauteur de 25 millions d’euros. D’autant que, contrairement à ce qui avait été annoncé, nous constatons également un désengagement de la Société de financement local (SFIL) en matière d’aide aux plus petits hôpitaux.

Aujourd’hui, la capacité d’investissement des grosses structures hospitalières suscite des inquiétudes. Si l’on applique les ratios d’endettement classique, l’on s’aperçoit que la moitié d’entre elles ont déjà atteint les limites admissibles en termes d’endettement alors même que les besoins d’investissements sont plus forts en période de restructurations et de modernisation médicale. La faiblesse des capacités d’autofinancement constitue un véritable handicap dont l’explication se trouve dans l’application du système de tarification à l’activité (T2A) fondé essentiellement sur le volume des actes. Dans ce cadre, les établissements qui se situent dans des zones à faible croissance démographique ne parviennent pas à générer l’activité minimale permettant de leur allouer des ressources suffisantes pour couvrir leurs besoins de financement.

Annoncé par la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, le plan de 45 milliards d’euros sur dix ans aurait pu nous rassurer, mais ses modalités de financement ne nous ont pas convaincus. Elles reposent en effet sur une dotation en capital d’environ 2,1 milliards et, pour le reste, sur l’emprunt, à hauteur de 19 milliards d’euros, et sur l’autofinancement. Compte tenu de la dette en cours, ces 19 milliards d’euros constituent un objectif très ambitieux. De la même façon, les marges d’autofinancement de l’hôpital ne semblent pas permettre de dégager annuellement 2,4 milliards d’euros.

La Fédération hospitalière de France préconise en conséquence de déconnecter au moins le financement des investissements lourds du modèle de la tarification T2A qui dépend trop aujourd’hui du volume d’activité alors que, dans certains territoires, il est indispensable de maintenir une offre de soins même si le dynamisme démographique ne permet pas d’engranger les recettes nécessaires.

Mme la coprésidente Gisèle Biémouret, rapporteure. Monsieur Gaubert, il est inutile que je vous dise notre attachement à l’hôpital public. Pour ce qui le concerne, l’offre de soins actuelle pourra-t-elle être maintenue ? Nous avons conscience que l’on peut raisonner en termes d’offre globale, mais il nous importe de mesurer l’impact des difficultés financières que rencontre l’hôpital public sur son avenir.

M. Yves Gaubert. Des problèmes se posent déjà dans un certain nombre de territoires même si l’on tient compte de la totalité de l’offre de santé – d’autant que l’offre commerciale choisit de s’installer où elle le veut.

Nous ne contestons pas la nécessité de regrouper les plateaux techniques mais, sur le terrain, il n’est pas possible de raisonner uniquement en termes d’activité. De nombreux établissements se trouvent dans la situation de celui avec lequel j’étais en contact il y a quelques jours. Dans un environnement plutôt rural, ce centre hospitalier, site pivot de territoire, constitue la seule offre majeure à 90 kilomètres à la ronde et correspond donc à une offre minimale de soins. En termes démographiques, sa perspective de progression est quasi nulle pour l’obstétrique et de 1,5 point au maximum pour le reste de son activité essentiellement en raison du vieillissement de la population locale. Cette progression d’activité ne correspond pas aux exigences minimales de notre modèle actuel de financement, soit 2,8 % pour 2014. Dans le système en vigueur, un tel établissement ne pourra en conséquence jamais générer une ressource suffisante pour investir et se moderniser. Cet exemple montre qu’il faut cesser de ne considérer que la seule régulation économique au travers de la T2A, pour assurer que l’investissement corresponde aux nécessités réelles d’équipement du territoire en fonction des besoins de la population.

Mme la coprésidente Gisèle Biémouret, rapporteure. Existe-t-il une typologie des établissements en difficulté ? Les mêmes causes ont-elles eu les mêmes effets pour tous les hôpitaux ?

M. Yves Gaubert. Une situation déficitaire est généralement causée par la conjonction de plusieurs facteurs. Par exemple, certains investissements ont parfois été supérieurs à ce qui était nécessaire. Certains effectifs pouvaient supporter une rationalisation – aujourd’hui ils sont globalement stabilisés alors même que l’activité croît de 2 à 3 %.

Une constante existe cependant pour tous les établissements concernés : la déconnexion entre les produits de l’activité et les coûts de fonctionnement minimaux. Il est en effet impossible de descendre sous certains seuils de dépenses sans cesser de répondre aux besoins de la population et l’obliger à parcourir des distances supérieures à 60 ou 70 kilomètres.

Aujourd’hui, la voilure se réduit partout : l’enveloppe annuelle est respectée, et les ONDAM (objectif national de dépenses de l’assurance maladie) successifs se situent sous l’évolution naturelle des charges – qui est moins le fait des coûts de personnel désormais maîtrisés que des dépenses liées aux progrès médicaux et notamment aux produits très innovants.

Mme la coprésidente Gisèle Biémouret, rapporteure. Comment expliquer que les hôpitaux publics aient pu souscrire des emprunts toxiques ?

M. Yves Gaubert. Les petites structures ont probablement été poussées à choisir des produits qu’elles ne maîtrisaient pas. Les plus grosses ont sans doute été tentées, en situation financière tendue, par un allégement des frais financiers sur la première période de ces engagements alors qu’elles allaient faire face à de fortes dépenses d’équipement et de fonctionnement liées à leur reconstruction ou leur restructuration. Globalement, les hôpitaux n’ont pas été plus sujets que les collectivités locales à cette vision de court terme destinée à accompagner des modernisations nécessaires.

Évidemment, aujourd’hui, notre analyse de ces choix a évolué. Rappelons qu’en leur temps, ces options n’ont pas été prises sans une large contribution des pouvoirs publics, des agences régionales de l’hospitalisation (ARH) de l’époque, puis des agences régionales de santé (ARS). Jusqu’en 2005, ces emprunts étaient même soumis à la tutelle. Et puis, je le répète : les comportements des hôpitaux ont été assez semblables à ceux des collectivités territoriales.

Mme la coprésidente Gisèle Biémouret, rapporteure. Ces dernières ont reçu une aide substantielle de l’État pour sortir des emprunts structurés – nous avons appris aujourd’hui que le département de Seine-Saint-Denis venait de renégocier la partie la plus toxique de sa dette. Estimez-vous que le soutien de l’État aux établissements hospitaliers se situe au même niveau ?

M. Yves Gaubert. Aujourd’hui il est clair que ce n’est pas le cas. Les 100 millions d’euros dégagés ne permettent pas de régler le problème posé par 1,5 milliard d’euros de dettes. En fait, il s’agirait surtout de « désensibilisation » car, pour les hôpitaux, les coûts de sortie des emprunts seraient exorbitants et correspondraient quasiment à l’encours de la dette. Pour régler le problème du milliard et demi, il faudrait dépenser 2 ou 3 milliards d’euros, ce qui ne serait pas raisonnable. Cela dit, même pour désensibiliser les emprunts les plus risqués, 100 millions d’euros, c’est un peu juste, d’autant que, je le rappelle, 75 % des sommes engagées proviendront des enveloppes hospitalières globales et seront en conséquence indisponibles pour l’investissement.

C’est bien pourquoi nous incitons encore les établissements, en particulier les petites structures, à engager des contentieux. Je rappelle que ces dernières reçoivent de moins en moins le soutien de la SFIL qui les aidait à couvrir le différentiel entre le taux de l’usure et celui des emprunts toxiques.

Mme la coprésidente Gisèle Biémouret, rapporteure. Connaissez-vous le nombre d’établissements hospitaliers qui ont engagé un contentieux ?

M. Yves Gaubert. Ils sont peu nombreux à ce jour : une vingtaine, voire une trentaine. Certains attendaient beaucoup du fonds. À l’avenir, il existe un risque qu’ils s’inscrivent en nombre dans cette démarche.

Mme Joëlle Huillier. Qui est concerné par ces contentieux ?

M. Yves Gaubert. Les établissements engagent des contentieux contre les banques qui leur ont prêté. La SFIL gère les dossiers impliquant Dexia.

Mme la coprésidente Gisèle Biémouret, rapporteure. La formation des équipes dirigeantes des hôpitaux en matière financière vous paraît-elle suffisante ?

M. Yves Gaubert. Pour avoir participé à l’enseignement de l’École des hautes études de santé publique (EHESP), j’estime que le niveau de formation est aujourd'hui objectivement tout à fait satisfaisant.

L’argument ne me semble pas pouvoir être utilisé pour expliquer les choix des directeurs d’établissements hospitaliers qui n’ont pas réagi autrement que les directeurs de service des nombreuses collectivités locales ayant souscrit des emprunts toxiques. Et puis, je vous l’ai déjà indiqué, les équipes dirigeantes n’étaient pas seules : les tutelles étaient engagées – au début du plan Hôpital 2007, il existait même une mission ministérielle chargée de suivre les investissements.

Puisque j’évoque ce plan, il faut également dire que les choses se sont faites à l’époque dans une certaine précipitation. Au-delà de la volonté de moderniser les hôpitaux, il s’agissait, en 2007, d’afficher des résultats en termes de relance économique. Les premiers dossiers de ce plan ont donc été lancés extrêmement rapidement, parfois par des structures qui ne disposaient pas d’autofinancement. On peut parler d’une fuite en avant. Une fois le projet mis en œuvre, il fallait bien le faire fonctionner ce qui, surtout à l’époque, était encore plus coûteux qu’aujourd’hui car on ne lésinait pas sur les mètres carrés. Ces conditions expliquent que la volonté de diminuer la charge de la dette en première période ait conduit à la souscription d’emprunts dangereux.

Mme la coprésidente Gisèle Biémouret, rapporteure. Quel regard portez-vous sur la tutelle des ARS par rapport aux décisions de financement des établissements hospitaliers ? Leurs missions doivent-elles évoluer ?

M. Yves Gaubert. En 2005, le contrôle était plus léger, puis le balancier est reparti dans l’autre sens. Aujourd’hui, l’investissement est très encadré. Pour les investissements lourds, l’ARS sert de relais vers le comité interministériel de la performance et de la modernisation de l’offre de soins hospitaliers (COPERMO). Ces contrôles donnent des résultats puisque l’investissement décroît très rapidement : il est passé de 6,5 à 5 milliards d’euros en trois ans.

Mais les ARS doivent aussi jouer un rôle en termes de stratégie, et favoriser les investissements qui, selon les territoires, répondront aux besoins actuels et futurs de la population. Or les leviers utilisés par les ARS sont aujourd’hui extrêmement réduits puisque prédomine le modèle de financement à l’activité. Elles ne disposent donc pas des moyens qui pourraient leur permettre d’aider les établissements à investir.

Mme la coprésidente Gisèle Biémouret, rapporteure. Le contrôle financier exercé par les ARS serait-il au contraire devenu trop strict ?

M. Yves Gaubert. Tout dépend des ARS, mais il est vrai qu’il a pu être reproché à certaines d’entre elles de trop s’immiscer dans la gestion quotidienne des établissements au détriment de la stratégie, et de ne pas assez soutenir ceux qui, pour se moderniser, avaient besoin d’aide pour accéder au financement.

Mme la coprésidente Gisèle Biémouret, rapporteure. Des réformes vous paraissent-elles nécessaires afin d’améliorer les contrôles en matière de financement des établissements de santé ?

M. Yves Gaubert. Aujourd’hui, les risques de dérapage financier sont quasi-nuls. Je crois qu’en matière de contrôle on ne peut guère faire plus, sauf à bloquer totalement le système.

Les évolutions à venir devraient plutôt concerner l’investissement hospitalier. À ce sujet, nous attendons beaucoup des travaux du comité de réforme de la tarification hospitalière (CORETA) au sein duquel nous siégeons.

Mme la coprésidente Gisèle Biémouret, rapporteure. Les ARS jouent-elles leur rôle en matière de stratégie ? Celles qui sont mises en œuvre répondent-elles vraiment aux besoins des populations des territoires ?

M. Yves Gaubert. Les résultats des stratégies d’incitation au regroupement sont variables.

Globalement, les ARS ne disposent pas véritablement des moyens pour aider les restructurations sur la durée. Certains financements manquent de pérennité et les ressources font défaut alors que l’amortissement d’une modernisation ne se fait pas sur le court terme. On se souvient par exemple qu’au moment de la création du Fonds d’intervention régional (FIR), en 2012, des engagements fermes pris par les ARH concernant des restructurations n’avaient pas pu être tenus.

Mme la coprésidente Gisèle Biémouret, rapporteure. Pouvez-vous nous en dire plus sur le CORETA ?

M. Yves Gaubert. Installé par la ministre, en décembre 2012, le CORETA a vocation à faire des propositions concernant l’évolution du système de tarification hospitalière.

La tarification à l’activité a des mérites – elle a notamment permis de redynamiser l’hôpital public en particulier en ce qui concerne la chirurgie – mais, comme tout système de financement, elle a des effets pervers, car il n’en est pas d’idéal. D’une part, elle favorise les zones à évolution démographique dynamique, d’autre part, elle crée une prime au volume qui peut générer un certain nombre d’activités inutiles. Ce constat a poussé la ministre à créer le CORETA pour lui faire des propositions d’évolutions concernant en particulier le mode de régulation. Ses travaux se poursuivent même si à ce jour aucune évolution majeure du système n’a été proposée. Vous votez chaque année des ajustements, et des modes de régulation nouveaux sont proposés – la notion de « pertinence » a ainsi été introduite par amendement dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015. Le CORETA, constatant par exemple l’évolution rapide des médicaments de la liste dite « en sus » malgré la régulation par les prix et par les contrats de bon usage, a aussi imaginé un troisième mode de régulation.

Ce qui est sorti du comité jusqu’à aujourd’hui a sans doute souvent ajouté un peu à la complexité du système sans que l’essentiel du dossier n’ait encore été abordé. Sans rompre le lien entre activité et financement, nous considérons qu’il ne faut pas donner uniquement une prime au volume. Il faut pouvoir examiner la situation géographique et démographique de chaque territoire et sortir de l’approche exclusive qui est aujourd’hui en vigueur. Dans les conditions actuelles, aucune réponse ne peut être apportée aux besoins spécifiques des populations – l’installation médicale est évidemment aussi en cause. Nous ne disposons pas aujourd’hui de moyens de correction pour favoriser l’égalité d’accès aux soins, et des « files d’attente » se forment dans certaines zones pour prendre rendez-vous avec des spécialistes.

Mme la coprésidente Gisèle Biémouret, rapporteure. Le coprésident de la MECSS, M. Pierre Morange, vous aurait sans doute interrogé sur l’évaluation du patrimoine des hôpitaux publics. Une telle évaluation permettrait-elle de mieux apprécier la situation financière des établissements ?

M. Yves Gaubert. Le patrimoine non affecté aux soins est beaucoup moins considérable que certains ont tendance à l’imaginer. Ce patrimoine est important s’agissant de Paris et de Lyon – dans le passé, il l’était à Marseille ou à Beaune. En tout état de cause, il se réduit de façon rapide. À Paris, le déclassement et la revente progressive ont eu lieu – Boucicaut, Broussais et Laennec ont permis de construire l’hôpital Georges Pompidou – ou sont en cours. À Lyon, la vente du patrimoine « privé » se fait progressivement pour ne pas déséquilibrer le marché. En dehors de ces deux territoires, je crains que nous n’ayons affaire à un patrimoine limité. La valorisation de cette dotation non affectée est par ailleurs complexe et dépend des règles d’urbanisme et de dispositions légales comme celles de la loi Duflot, qui obligent à vendre à des prix inférieurs à ceux du marché…

Le patrimoine affecté est en cours de recensement. Dans le cadre d’une future certification des comptes, les plus gros hôpitaux devront valoriser leurs actifs, ce qui peut poser de nombreux problèmes. Comment valoriser un actif historique inestimable comme l’Hôtel-Dieu au centre de Paris ?

Mme Joëlle Huillier. Les hôpitaux détiennent-ils encore beaucoup de bons du Trésor ?

M. Yves Gaubert. Les excédents de trésorerie des hôpitaux peuvent être placés auprès du Trésor public. Les grosses structures hospitalières ont aujourd’hui peu de trésorerie alors que les plus petits établissements disposent d’une trésorerie abondante. Après la crise de liquidités de 2012, nous sommes un peu revenus du dogme de la trésorerie zéro qui était encore enseigné il y a peu de temps. La trésorerie circulante, tous établissements confondus, peut être importante – l’impossibilité de diriger cet argent vers l’investissement fait partie de l’inconvénient de la séparation de l’ordonnateur et du comptable –, mais il n’existe pas de patrimoine immatériel dont nous pourrions attendre un réel secours financier.

Mme la coprésidente Gisèle Biémouret, rapporteure. Monsieur Gaubert, nous vous remercions pour vos interventions.

La séance est levée à onze heures trente-cinq.