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Commission des affaires sociales

Commission des affaires sociales

Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Mardi 20 janvier 2015

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 06

Présidence de Mme Gisèle Biémouret et de M. Pierre Morange, coprésidents

Auditions, ouvertes à la presse, sur « la dette des établissements publics de santé » (Mme Gisèle Biémouret, rapporteure) :

– M. Didier Hoeltgen, vice-président du Syndicat national des cadres hospitaliers (CH-FO), directeur du centre hospitalier intercommunal de Villeneuve-Saint-Georges, M. Guillaume Wasmer, représentant le Syndicat des manageurs publics de santé (SMPS), directeur des centres hospitaliers de Juvisy, Longjumeau et Orsay, M. Michel Rosenblatt, secrétaire général du Syndicat des cadres de direction, médecins, dentistes et pharmaciens des établissements sanitaires et sociaux publics et privés (SYNCASS-CFDT), et M. Éric-Alban Giroux, directeur d’hôpital, et M. Jean-Luc Gibelin, représentant l’Union fédérale des médecins, ingénieurs, cadres et techniciens (UFMICT-CGT)

– M. Frédéric Boiron, président de l’Association des directeurs d’hôpital (ADH), et M. Christophe Got, vice-président

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

MISSION D’ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE
DES LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

Mardi 20 janvier 2015

La séance est ouverte à neuf heures quarante.

(Présidence de Mme Gisèle Biémouret et M. Pierre Morange, coprésidents de la mission)

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) procède d’abord à l’audition, ouverte à la presse, de M. Didier Hoeltgen, vice-président du Syndicat national des cadres hospitaliers (CH-FO), directeur du centre hospitalier intercommunal de Villeneuve-Saint-Georges ; M. Guillaume Wasmer, représentant le Syndicat des manageurs publics de santé (SMPS), directeur des centres hospitaliers de Juvisy, Longjumeau et Orsay ; M. Michel Rosenblatt, secrétaire général du Syndicat des cadres de direction, médecins, dentistes et pharmaciens des établissements sanitaires et sociaux publics et privés (SYNCASS-CFDT), et M. Éric-Alban Giroux, directeur d’hôpital ; et M. Jean-Luc Gibelin, représentant l’Union fédérale des médecins, ingénieurs, cadres et techniciens (UFMICT-CGT).

Mme la coprésidente Gisèle Biémouret, rapporteure. Messieurs, nous vous remercions d’avoir répondu à notre invitation.

Avant de vous laisser vous présenter, je vous rappelle que la MECSS souhaite vous interroger sur la dette des établissements publics de santé. C’est un dossier très technique. Les chiffres sont froids et montrent les difficultés des établissements.

M. Guillaume Wasmer, représentant le syndicat des manageurs publics de santé (SMPS), directeur des centres hospitaliers de Juvisy, Longjumeau et Orsay. Je représente le syndicat des manageurs publics de santé qui a été récemment affilié à l’Union nationale des syndicats autonomes (UNSA) et qui regroupe l’ensemble des manageurs de santé, qu’ils soient directeurs d’hôpital, directeur d’établissement médico-social, ingénieurs, cadres techniques et administratifs. Je suis par ailleurs directeur des centres hospitaliers de Juvisy, Longjumeau et Orsay.

M. Michel Rosenblatt, secrétaire général du syndicat des cadres de direction, médecins, dentistes et pharmaciens des établissements sanitaires et sociaux publics et privés (SYNCASS-CFDT). Le syndicat des cadres de direction, médecins, dentistes et pharmaciens des établissements sanitaires et sociaux publics et privés (SYNCASS-CFDT) représente 42 % des directeurs d’hôpital et 52 % de l’ensemble des membres des corps de direction.

M. Éric-Alban Giroux, directeur d’hôpital. Je suis directeur des finances et de la stratégie au centre hospitalier d’Argenteuil, affilié SYNCASS-CFDT, président de la conférence des directions des affaires financières (DAF) de la région Île-de-France.

M. Jean-Luc Gibelin, représentant l’Union fédérale des médecins, ingénieurs, cadres et techniciens (UFMICT-CGT). Je représente les directeurs affiliés à la CGT qui relèvent de l’ensemble du champ sanitaire, médico-social et social, public et privé.

Mme la coprésidente Gisèle Biémouret, rapporteure. Quel constat dressez-vous sur les conditions de financement du secteur public hospitalier ? Quelle comparaison faites-vous avec le secteur privé ? Qu’en est-il de la formation des cadres et directeurs en matière financière ?

M. Michel Rosenblatt. La dette hospitalière a été multipliée par trois en dix ans, passant de 10 milliards d’euros à la fin de 2003 à 30 milliards à la fin de 2012. Une partie de cette dette est constituée d’emprunts structurés. Les évolutions récentes, notamment du fait des changements de parité du franc suisse, peuvent inquiéter.

L’un des thèmes qui vous intéressent concerne la capacité des hôpitaux publics à emprunter et à rembourser, les deux sujets étaient bien évidemment liés. Les prêteurs ne vous prêtent que s’ils ont une certitude raisonnable de revoir leur argent, majoré des intérêts.

Pourquoi la situation est-elle tendue aujourd’hui ? L’endettement des hôpitaux n’est pas né par hasard. C’est la conséquence d’un choix déterminé de relance des investissements hospitaliers à partir de 2002 à travers le plan « Hôpital 2007 » qui a été prolongé par le plan « Hôpital 2012 ». Le constat était à l’époque que les hôpitaux qui avaient, pour des raisons essentiellement financières, limité leurs efforts d’investissements en infrastructures et en équipement, étaient dans une situation de désolation et qu’il fallait donc relancer la machine, ce qui pouvait d’ailleurs contribuer à relancer la croissance, soit par des subventions d’investissements, soit par le recours à l’emprunt, soit par des partenariats public-privé (PPP).

Les subventions d’investissements ont essentiellement bénéficié aux cliniques. C’était la formule la plus avantageuse puisqu’elle permettait de s’affranchir des suites, notamment dans le temps.

Les PPP ont été assez rapidement abandonnés ou réduits en raison de leurs surcoûts. Ils avaient l’avantage de faire échapper les établissements à l’endettement puisque ces partenariats pouvaient donner lieu à un loyer et non à une dette, y compris lorsque l’établissement prenait des engagements de très longue durée. Au regard des ratios comptables de la France et de l’endettement global du secteur public, les PPP permettaient d’échapper au périmètre de la dette.

Les hôpitaux publics ont été très fortement concernés par le recours à l’emprunt. Ensuite, la machine s’est emballée parce que le mécanisme a été doublement pervers. D’une part, les investissements ont été organisés sur des paramètres économiques considérés comme stables alors qu’en définitive ils ne l’étaient pas. D’autre part, tout a incité à faire trop grand. On a ainsi conçu des usines à déficit.

On a privilégié le financement par l’emprunt par rapport à la dotation directe en capital parce que cela permettait un effet de levier ; et on a imposé des normes techniques très optimistes et exagérément exigeantes, ce qui fait qu’on a construit trop grand et trop cher. La compensation du coût des investissements qui était promise n’a pas été assurée. Les dotations des missions d’intérêt général et à l’aide à la contractualisation (MIGAC) devaient compenser le surcoût des amortissements et des frais financiers. Or cela a très souvent été oublié, notamment lorsqu’on est passé à l’intégration dans les fonds d’intervention régionale (FIR). Souvent, des promesses de financement sur le long terme – dix, vingt, voire trente ans – se sont perdues en cours de route lors du changement de système. Les hôpitaux se sont retrouvés sans l’assurance des ressources qui leur étaient promises.

La T2A (tarification à l’activité) évolue chaque année à la baisse, ce qui impose des volumes d’activité croissants pour conserver le même niveau de ressources. Lorsque le territoire ne permet pas cette augmentation d’activité, on se retrouve avec des diminutions de ressources et donc des déficits, à dépenses inchangées.

Le système s’est dégradé sensiblement assez rapidement et la situation actuelle n’incite pas à davantage d’optimisme. On peut estimer que la moitié des hôpitaux connaissent actuellement des difficultés d’investissements au regard des trois ratios imposés : le résultat déficitaire du compte de résultat principal qui doit rester inférieur à 2 % des recettes ; la capacité d’autofinancement qui doit être supérieure à 2 % du total des produits ; la capacité d’autofinancement qui doit être supérieure au coût du remboursement de la dette. À cela s’ajoute ce que la Cour des comptes a préconisé, à savoir un taux de marge brute supérieur à 8 %. Ces paramètres sont de moins en moins assurés, et l’effet de ciseau qui s’est produit fait que la situation est aujourd’hui durablement dégradée. Les perspectives à venir – le plan triennal et les autres mesures – conduisent à penser que la situation ne s’améliorera pas.

M. Éric-Alban Giroux. Du temps de la dotation globale hospitalière, la part liée aux investissements « exceptionnels », c’est-à-dire les investissements de renouvellement des parties immobilières, n’était pas prévue. Avec la T2A, c’est exactement la même chose. Dans la construction initiale de la T2A, les tarifs n’intégraient pas la part liée aux investissements qui devaient être négociés dans le cadre des Contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM). Il devait s’agir de nouvelles dotations exclues des tarifs. Aujourd’hui, le système nous demande de dégager des marges permettant de réaliser nos investissements. Mais ces marges n’ont jamais été intégrées aux tarifs. On est donc face à un système qui se « mord la queue ».

M. Guillaume Wasmer. Je partage assez largement l’analyse qui vient d’être faite. Se concentrer sur la dette des hôpitaux sans la mettre en perspective revient un peu à soigner les symptômes d’une maladie sans s’interroger sur ses causes.

Le patrimoine hospitalier est relativement vaste puisqu’il représente 47 millions de mètres carrés, contre 24 millions de mètres carrés pour la défense et 15 millions pour les universités.

M. le coprésident Pierre Morange. Il me semble que c’est plutôt 60 millions de mètres carrés et non 47 millions de mètres carrés.

M. Guillaume Wasmer. On arrive peut-être à 60 millions en intégrant les cliniques privées.

À mon sens, le triplement de la dette est la conséquence d’une double résultante.

D’une part, celle de la nécessité absolue d’investir. Les plans « Hôpital 2007 » et « Hôpital 2012 » ont été décidés pour répondre à la vétusté du patrimoine hospitalier. Investir, c’est survivre d’une certaine façon. Les normes qui nous sont imposées en matière de sécurité incendie, de sécurité électrique, de ratio de personnels, le progrès médical notamment dans sa dimension diagnostic mais aussi en ce qui concerne l’évolution des thérapies ciblées, nous imposent d’investir pour maintenir un niveau de qualité de prise en charge élevé. Si nous ne le faisons pas, notre investissement biomédical devient rapidement vétuste, nos médecins partent, nos recettes baissent et nous entrons dans une spirale relativement infernale. L’investissement est donc une nécessité absolue pour assurer la survie des établissements, d’autant qu’avec la T2A, le système est devenu concurrentiel.

D’autre part, la dette est la résultante d’un système « pousse au crime », puisque les plans « Hôpital 2007 » et « Hôpital 2012 » n’ont pas été des plans d’investissement au sens strict, mais des plans d’aide à l’emprunt. Sur les 6 milliards d’euros du plan « Hôpital 2007 », il n’y avait qu’un milliard sous forme de subventions. On a donc poussé les établissements à s’endetter. Les agences régionales de santé qui avaient une marge de manœuvre qui n’a pas grand-chose à voir avec ce qu’elle est aujourd’hui ont accompagné le système avec exactement le même type de financement, c’est-à-dire non sous forme de subventions mais sous forme d’aide au remboursement des seuls frais financiers. Les dossiers ont été choisis sur des critères de rapidité de réalisation et non d’endettement. On souhaitait en effet que les projets puissent voir le jour dans les cinq ans. La façon dont ont été retenus les projets n’avait pas grand-chose à voir avec l’idée selon laquelle il fallait désendetter les structures hospitalières sur une longue période.

À côté de la tutelle réglementaire prévue par les textes est en train de s’instaurer une forme de tutelle bancaire. Les banquiers considèrent que les structures hospitalières sont des moutons à cinq pattes car si elles sont autonomes et qu’elles ont le droit de recourir à l’emprunt, elles ne peuvent pas fixer librement leurs tarifs. Par ailleurs, 70 % de leurs dépenses sont constituées par la masse salariale qui est très encadrée et sur laquelle ils n’ont pas vraiment la main puisqu’elle relève de la fonction publique.

Les hôpitaux ne sont pas faits pour supporter un endettement lourd puisque ce sont des structures avec des capitaux propres peu importants. Pour un banquier, prêter à un établissement, même si c’est une structure publique, comporte un certain risque. Les taux des prêts accordés aux hôpitaux sont supérieurs à ceux consentis aux collectivités locales par exemple.

M. le coprésident Pierre Morange. La MECSS a évoqué à de nombreuses reprises, et avec une certaine perplexité, la méconnaissance sidérale de la valeur patrimoniale des hôpitaux publics français. On ne peut être que frappé par les affirmations de la direction générale du Trésor dont nous avions sollicité l’expertise, qui estimait le patrimoine hospitalier français à plusieurs dizaines de milliards d’euros. Cette formulation nous avait plongés dans des abîmes de réflexion. C’est la raison pour laquelle nous nous étions tournés vers la Cour des comptes. Une estimation du patrimoine privé des hôpitaux publics a été réalisée – il est de l’ordre de 0,5 milliard – mais il n’y a pas eu de véritable valorisation foncière de leur domaine public. On ne peut être que surpris, quand on a pour vocation à contracter un emprunt, de ne pas avoir connaissance de son propre patrimoine. Il n’est pas illogique qu’une démarche, qui se fait normalement sans trop de difficultés à titre individuel, puisse se faire à titre collectif.

Vous évoquez les contraintes et les particularités des établissements hospitaliers qui sont dans une posture où ils ne contrôlent pas véritablement leurs recettes du fait de l’encadrement et de toutes les inerties liées notamment à la masse salariale et aux autorités de tutelle. À tout le moins, il est surprenant qu’une personne morale ne s’intéresse pas à la valeur patrimoniale réelle de ses propres biens dans la mesure où elle engage fondamentalement son avenir à travers des emprunts.

Vous indiquez être en position de faiblesse. On l’est d’autant plus lorsque l’on ne connaît pas la valeur de son patrimoine. Quelles mises en concurrence recherchez-vous ?

M. Guillaume Wasmer. Le patrimoine des hôpitaux s’est constitué au cours des siècles. Il y a de véritables pièces d’histoire qui sont très difficilement estimables, mais ce n’est pas propre aux hôpitaux. Je ne suis pas sûr que la connaissance du patrimoine historique de certains ministères soit beaucoup plus étayée.

M. le coprésident Pierre Morange. Ce n’est pas le genre de réponse que nous attendons. Je préférerais que vous nous disiez que vous n’avez pas eu les moyens de procéder à cette évaluation plutôt que de vous comparer à d’autres qui ne feraient pas mieux.

M. Guillaume Wasmer. Je crois que chaque structure connaît relativement bien la valeur de son propre patrimoine. Pour ce qui concerne les hôpitaux que je dirige, je pourrais vous donner une estimation de la valeur des différents logements de fonction par exemple, des différents terrains ou des différentes structures. C’est peut-être le cumul de ces différentes valeurs qui n’est pas fait. Cela dit, les chiffrages sont certainement assez difficiles à faire en ce qui concerne les anciens hôtels-Dieu par exemple. Mais, à mon sens, la grande majorité des établissements français connaît assez bien la valeur de son patrimoine.

M. le coprésident Pierre Morange. N’est-il pas possible d’additionner cette connaissance qui est finalement assez fine, pour reprendre votre propos ? On peut imaginer que c’est une opération mathématique simple.

M. Guillaume Wasmer. Sauf erreur de ma part, ces chiffres existent dans le cadre des schémas régionaux immobiliers qui ont été réalisés par les agences régionales l’an dernier, qui sont disponibles.

M. Éric-Alban Giroux. La réponse que je vais vous proposer ne vous conviendra pas forcément plus, mais c’est ce que je pense.

La certification des comptes des hôpitaux est une obligation récente, ce qui n’est pas le cas pour les structures privées qui doivent le faire depuis leur constitution. Cette certification nous oblige à réaliser une évaluation de notre patrimoine, ce qui est particulièrement difficile. Tous les responsables hospitaliers doivent mettre des casques et des lunettes de fond pour reconstituer le chiffrage historique de leur patrimoine. Dans le champ de la certification, on ne cherche pas à avoir le patrimoine valorisé à la valeur du jour mais le patrimoine tel qu’il a été valorisé il y a deux, trois, cinq siècles en écus, en sols, voire en sel… lorsque les biens s’y sont progressivement incorporés.

Je crois que vous souhaitez plutôt savoir quelle est la valorisation actuelle du patrimoine, le problème étant qu’elle ne nous est pas demandée. Au titre de la certification, on nous demande la valeur historique que nous sommes tous en train de chercher. Avant-hier, nous n’avions pas à procéder à cette valorisation. Au moment où je vous parle, je ne suis pas sûr que nous soyons capables de vous donner la valorisation des Hospices de Beaune à l’époque où ils ont été construits. C’est un vrai problème qui ne se pose pas pour un hôpital neuf ou récent, monolithique et implanté sur un terrain foncier limité. Mais c’est sûrement un sérieux casse-tête pour l’AP-HP (Assistance publique-Hôpitaux de Paris) par exemple.

On peut s’étonner de notre incapacité à procéder ou non à cette évaluation, mais les règles que l’on nous demande d’appliquer pour ce faire sont parfois étonnantes.

M. le coprésident Pierre Morange. Vous nous dites que vous n’étiez pas tenus à cet exercice de spéléologie foncière, ce qui signifie que l’ensemble des emprunts qui ont été contractés ne sont pas adossés sur un minimum de connaissances de la valeur du patrimoine de vos établissements. Je vous dis cela parce que votre collègue vient de nous dire à l’instant que la plupart des directeurs d’établissement en avaient une connaissance relativement bonne. Je me permets donc de souligner le caractère qui me semble contradictoire de votre propos. Il ne s’agit ici que d’un questionnement légitime de la part des représentants de la Nation.

J’ai déjà abordé cette question en séance publique puisque j’avais déposé un amendement sur ce sujet. Mme la ministre m’avait répondu en séance que les établissements étaient supposés remplir spontanément le logiciel OPHELIE, qui devait être actualisé pour l’année 2016. Je ne peux pas imaginer que ce ne soit pas le cas, puisque c’est la ministre elle-même qui le dit, mais cela me semble une gageure dans la mesure où la spéléologie à laquelle vous nous conviez dans le cadre de l’estimation foncière me semble difficile à intégrer dans l’agenda cité par la ministre.

M. Michel Rosenblatt. Il n’y a pas eu de réévaluation des actifs pendant des décennies, y compris dans des périodes de très forte inflation. Je suis persuadé que si l’on demandait à un certain nombre d’agents immobiliers de venir expertiser ce que les bâtiments peuvent représenter, leur appréciation ne serait pas liée aux investissements passés mais plutôt à la valeur du marché. C’est le rôle de France Domaine aussi que d’apporter sa contribution.

Si vous avez le sentiment qu’il y a une certaine négligence, elle tient peut-être au fait que les responsables hospitaliers n’ont guère eu la main sur le bâti ancien dont la réutilisation s’est avérée soit difficile, soit coûteuse en termes de transformation, parce que le devenir des bâtiments historiques a toujours été considéré avec attention, à la fois par l’État et les responsables des collectivités territoriales.

M. le coprésident Pierre Morange. Nous sommes d’accord. Nous connaissons nous aussi l’histoire de la constitution du patrimoine hospitalier qui est issu de legs et qui était conditionné notamment par le respect de leur affectation. Nous avons en mémoire un certain nombre de cas particuliers où des opérations de valorisation foncière au travers de cessions de bâtiments anciens n’ont pas pu être réalisées parce que les conditions du legs exigeaient que ces bâtiments soient affectés à un objectif précis ayant pour vocation la protection sanitaire et sociale. Il est évident que cela dévalorise de fait le bien.

Comprenez que la MECSS se soit toujours interrogée sur ce sujet dans la mesure où il n’est pas suffisamment clarifié. C’est en tout cas ce qui a été dit par les uns et par les autres. Le terme de spéléologie qui a été employé ici sous-entend la nécessité d’un effort de recherche, ou du moins une connaissance insuffisante qui nécessite d’être approfondie.

M. Michel Rosenblatt. Les pratiques et les règles comptables ont été moyennement adaptées à l’usage. Les investissements et les acquisitions ont souvent été financés sur le long terme alors qu’ils relevaient du moyen terme. On a dû parfois finir de rembourser des opérations alors que l’équipement en question avait cessé d’être utile.

M. Éric-Alban Giroux. Le calendrier dont fait état la ministre est calé sur celui des certifications hospitalières puisque l’écrasante majorité des hôpitaux seront certifiés en 2016. Les deux calendriers n’ont peut-être pas été montés au hasard.

M. Didier Hoeltgen, vice-président du syndicat national des cadres hospitaliers (CH-FO), directeur du centre hospitalier intercommunal de Villeneuve-Saint-Georges. Les emprunts sont essentiellement adossés au budget d’activité, c’est-à-dire à la valeur travail qui représente la création de richesse de l’établissement. Actuellement, la valeur patrimoniale ne sert pas à adosser les emprunts.

Le patrimoine des établissements est d’ailleurs extrêmement inégal. On ne peut pas comparer les Hospices civils de Beaune et l’hôpital de Villeneuve-Saint-Georges par exemple. L’évaluation de notre patrimoine, en dehors de la possibilité classique que cela soit fait par France Domaine, suppose aussi l’évaluation d’un outil de travail. Or l’outil de travail de l’hôpital public est relativement spécifique et son évaluation en tant que structure qui permet de « produire » des soins avec le cortège de productions annexes qui leur sont liées n’est pas aisée. On ne peut pas l’évaluer comme un patrimoine traditionnel d’un ministère ou d’une activité traditionnelle. C’est l’une des problématiques que l’on rencontrerait si l’on se penchait plus précisément sur cette question.

M. Jean-Luc Gibelin. Nous sommes des établissements autonomes et nous avons des histoires, des trajectoires et des réalités très différentes. Il n’y a jamais eu de volonté ministérielle de sortir de cette situation. Qu’il y ait un intérêt à additionner les valeurs est certain, mais je note que cette démarche n’a jamais été entreprise. Je rappelle que les établissements n’ont pas eu d’autres solutions que d’emprunter. Aujourd’hui, on peut s’interroger sur la façon dont l’histoire a été écrite, penser légitimement qu’on n’aurait pas dû faire les choses de cette manière, mais je me souviens, pour avoir été dans des équipes de direction, que la latitude de choix était nulle. On nous disait : si vous n’avez pas de crédits d’aide à l’emprunt vous ne pourrez pas investir et si vous n’investissez pas, vous tombez sous le coup d’une constatation de non-conformité avec le risque de l’arrêt de l’activité. Voilà comment cela s’est traduit concrètement sur le terrain. J’indique au passage que les projets de reconstruction lancés par les établissements ont tous été approuvés par leur autorité de tutelle. Aucun établissement n’a réalisé de projet de reconstruction sans l’accord financier et architectural des ARH (agences régionales de l’hospitalisation) puis des ARS (agences régionales de santé).

M. le coprésident Pierre Morange. Vous avez raison. Je me souviens d’une opération particulière qui a été validée par ces mêmes autorités de tutelle qui ensuite en ont contesté l’évidence. Cela montre bien leur hypocrisie et leur incompétence. Je parle d’une certaine ARS d’Île-de-France. L’exemple est historique et particulièrement exemplaire. J’ajoute qu’il s’inscrivait dans un fond particulier de manque d’orthodoxie budgétaire, pour ne pas parler d’orthodoxie judiciaire.

M. Jean-Luc Gibelin. Il y a eu d’autres affaires dans d’autres régions.

Les représentants des directeurs d’établissements que nous sommes ne peuvent pas, quelle que soit notre appréciation sur ces différentes lois, être considérés comme les responsables de la situation. Certes, ce sont eux qui ont organisé les opérations, mais parce que c’était leur travail, et ils l’ont fait dans un cadre tout à fait contrôlé et validé, à la fois au plan financier mais aussi architectural puisque les ARH puis les ARS avaient fait valider les projets importants par l’ingénieur régional qui confirmait le dimensionnement des établissements. Qu’on nous dise ensuite que c’était trop grand, pas adapté, qu’il ne fallait pas, d’accord, mais tout cela a été décidé par les représentants de l’État.

M. Didier Hoeltgen. Au niveau de l’avant-projet sommaire.

M. le coprésident Pierre Morange. Je suis tout à fait d’accord. Et je pense, là encore, à l’exemple que je viens de rappeler.

M. Guillaume Wasmer. Pour résumer, si vous nous demandez si les hôpitaux connaissent la valeur de leurs terrains, la réponse est oui. Si vous nous demandez s’ils connaissent la valeur des logements et de leur patrimoine privé, la réponse est oui. Si vous nous demandez s’ils connaissent globalement la valeur de leur outil de travail, et s’ils sont capables de la valoriser très précisément, la réponse est non. Si vous nous demandez s’ils sont capables d’estimer des pièces d’histoire qui ont plusieurs siècles, la réponse est non.

La connaissance de notre patrimoine n’est donc pas exhaustive, d’une part, parce que c’est très difficile à faire, d’autre part, parce que cela ne nous a pas été demandé jusqu’à maintenant.

M. le coprésident Pierre Morange. Nous aspirons à ce que cette agrégation de données comptables simples soit faite dans de brefs délais.

Il faut que vous compreniez que la MECSS n’est pas une chambre d’inquisition. C’est un organe parlementaire qui a vocation à comprendre puis à tirer des enseignements afin de les décliner sur le plan législatif ou réglementaire. Nous avons parfaitement compris que le sujet ne peut pas se réduire à la responsabilité d’un directeur d’établissement mais qu’il se trouve inscrit dans une chaîne d’autorité dans laquelle chacun doit prendre sa part de responsabilité.

M. Michel Rosenblatt. Vous l’avez parfaitement formulé.

Permettez-moi un clin d’œil : Il y a eu la génération des directeurs bâtisseurs, celle des Trente Glorieuses. Elle est maintenant à la retraite depuis un nombre respectable d’années. Elle avait vu grand en phase d’expansion, de croissance économique et de croissance de la population. Elle a laissé des établissements relativement peu endettés, parce que les robinets étaient encore largement ouverts et que l’inflation a gommé une partie de la dette des établissements. Puis le contexte est devenu totalement différent. Aujourd’hui, on est davantage à guichets fermés, avec l’inertie de la machine et la pression de la nécessité. Comme je l’ai dit tout à l’heure, on a fait trop grand et on a construit des usines à déficit. Mais j’insiste aussi sur le fait que les règles ont été modifiées en cours de route. Des dossiers économiquement équilibrés ont été élaborés et validés comme tels. Ensuite les établissements ont suivi les modifications de ces paramètres économiques, et ils se retrouvent dans des situations complexes et parfois désespérées.

M. Éric-Alban Giroux. Les plans « Hôpital 2007 » et « Hôpital 2012 » ont été vécus comme un soutien davantage au monde bancaire qu’au monde hospitalier public. Le privé a bénéficié de subventions tandis que le public a eu le droit d’emprunter moyennant la couverture de ses intérêts d’emprunt ou de faire des partenariats public-privé. En fait, on a demandé au public, soit de s’endetter définitivement sur une longue période, soit de supprimer complètement son titre IV, c’est-à-dire les amortissements et les frais financiers, au profit d’un bâtisseur privé, c’est-à-dire d’avoir les pieds et poings liés à un bâtisseur privé qui faisait payer cher le moindre changement de cloison. Par bonheur pour lui, le secteur privé a eu du cash. Nous sommes tous désolés de ne pas avoir eu le même traitement de faveur. Peut-être fallait-il le faire – ce n’est pas à moi d’en juger –, mais d’une certaine manière il s’est agi d’un détournement de l’argent de la Sécurité sociale vers des fonds bancaires qui ne sont pas des fonds publics.

En ce qui concerne le dimensionnement des structures, les « sages de la rue Cambon » disent qu’à l’excès d’optimisme de la tutelle s’est ajouté un excès d’optimisme des dirigeants hospitaliers sur le devenir de leurs structures. Plusieurs de mes collègues ont rappelé que l’excès d’optimisme a souvent été dû à l’exigence du respect des normes. Soyons très clairs : quand on impose à un secteur des normes dispendieuses, il ne faut pas s’étonner ensuite qu’elles le soient ! La plupart des dirigeants hospitaliers sont choqués par le niveau de sécurité incendie exigé, le nombre de mètres carrés demandé par chambre, le ratio de personnel qu’on nous impose. Que faut-il faire ? Fermer toutes les structures publiques en refusant catégoriquement d’assumer ce que l’on nous impose ? Car si l’on ne suit pas les normes, on n’ouvre pas. Donc, on les assume. Ensuite, il est légitime de calculer le retour sur investissement (ROI return on investment). C’est ce que font le public et le privé. Le public n’a pas attendu bien longtemps pour faire ses propres business plans. Chez nous, cela s’appelle un état de prévision des recettes et des dépenses (EPRD), un plan global de financement pluriannuel (PGFP), une programmation pluriannuelle des investissements (PPI). Le système est exactement calé sur les mêmes principes que ceux appliqués par le secteur privé et cela dénote la même volonté de projection. On nous dit que nous avons mal calculé, que nous avons été trop optimistes. Nous avons en effet été optimistes sur l’appréciation des augmentations d’activités mais, au bout du compte elles se sont cependant avérées justes : vieillissement de la population, démographie médicale en berne en ce qui concerne la médecine libérale de ville, afflux massif de la population peu « monétisable » aux urgences, ainsi que de personnes âgées, de patients polypathologiques, avec éventuellement des problèmes sociaux. Pardonnez-moi de dire que l’on sait où va cette population : elle vient chez nous. En réalité, nous n’avons pas été optimistes, nous avons calculé que nous affronterions cet afflux massif de population et c’est ce qui s’est produit. Et ce n’est pas fini : les projections que l’on peut faire sur les quinze ans à venir montrent que ce phénomène continuera.

Comme on a construit trop grand, on n’arrive pas à avoir un bon retour sur investissement, il faut en effet tenir compte du mécanisme dit de l’effet prix-volume. Je vous l’explique : dans le mécanisme de la T2A, on prend par exemple comme année de référence l’année 2014 et l’on dit que la Nation autorise la réalisation de dix prothèses de hanche payées chacune 10 euros. L’ONDAM hospitalier pour l’année 2014 pour les prothèses de hanche est donc de 100 euros et on n’a pas en principe le droit de le dépasser. Mais à la fin de l’année, s’il s’avère que l’on a fait non pas dix mais douze prothèses de hanche, on a donc dépassé l’ONDAM de vingt euros. Premier mécanisme : en 2015, on réduit la valeur de l’opération pour la prothèse de hanche de dix euros à huit euros, c’est-à-dire que l’on diminue le prix de l’unité pour conserver un volume d’ONDAM inchangé. Deuxième mécanisme : on demande de rendre les deux euros dépensés en plus. Cet effet prix-volume, qui était un système de régulation de l’ONDAM, n’est pas lié à une attractivité qui serait magique des dirigeants hospitaliers mais à l’augmentation des besoins de populations qui sont venues massivement et de plus en plus vers les structures d’urgence. Cet effet prix-volume a fait chuter complètement nos bases de calcul de ROI. Pour notre part, nous avions prévu les augmentations de populations, mais l’ONDAM n’a pas été relevé en conséquence.

M. le coprésident Pierre Morange. Nous savons naturellement ce qu’est un effet prix-volume.

Vous avez évoqué l’inertie liée à la masse salariale et son impact sur les budgets hospitaliers. La Cour des comptes a publié des rapports sur ce sujet, évoquant les disparités d’effectifs pour les mêmes disciplines, les mêmes pathologies, qui sont bien évidemment à prendre en compte.

Un certain nombre de structures et d’agences ont identifié des méthodologies de travail que l’on ne peut pas contester et qui peuvent aboutir, au travers d’une meilleure utilisation tout à la fois des locaux et des matériels, éventuellement à un redimensionnement des équipements hospitaliers. C’est tout de même l’une des conclusions majeures de ce type d’expérimentation qui, si elle était généralisée, ne conduirait pas nécessairement au parc hospitalier actuel, dont l’ampleur a été accentuée dans la mesure où l’on a souhaité mettre en place une logique de parcours de soins avec une articulation entre l’ambulatoire et l’hospitalier.

Actuellement, les taux d’intérêt sont particulièrement bas. Cela vous a-t-il conduits à renégocier les taux d’intérêt élevés qui vous avaient antérieurement été imposés par le secteur bancaire et avez-vous retrouvé des marges de manœuvre ?

Quelles procédures utilisez-vous dans le cadre de la passation de ces emprunts, en termes de mise en concurrence ? Y a-t-il une sorte de cahier des charges standard pour des appels d’offres, ou bien chaque établissement hospitalier a-t-il ses méthodes particulières ?

Bien évidemment, les emprunts structurés ne recouvrent pas le total de la dette de 30 milliards d’euros – mais seulement environ 1 milliard. Savez-vous quelle est l’incidence du récent « déplafonnement » du franc suisse par rapport à l’euro sur les emprunts à taux variable indexés sur des parités monétaires impliquant cette monnaie ? Avez-vous déjà fait « marcher vos calculettes » après ce dernier événement ? Le sujet est en effet dans toutes les têtes, qu’il s’agisse des hôpitaux, des communes, des syndicats intercommunaux qui se sont hasardés parfois de façon parfaitement opaque à utiliser ces espèces d’hydres tentaculaires incontrôlables que sont les prêts toxiques.

M. Guillaume Wasmer. Lorsque les établissements sont amenés à emprunter, ils élaborent bien évidemment un cahier des charges et mettent en concurrence l’ensemble des partenaires bancaires. Mais je ne parle là que pour les hôpitaux dans lesquels j’ai travaillé. Parmi les trois établissements dont j’ai pris récemment la direction, l’un avait contracté des emprunts structurés indexés sur la parité du franc suisse. On avait imaginé un mécanisme de sortie de ces emprunts fondé notamment sur la fusion de deux établissements, qui aurait pu permettre de désensibiliser une partie des emprunts toxiques en faisant porter de nouveaux investissements par une structure plus importante et avec une demande au fonds de soutien qui a récemment été créé par les pouvoirs publics. Ce fonds de soutien, doté de 100 millions d’euros sur trois ans, je crois, est financé majoritairement par le FIR…

M. Éric-Alban Giroux. Il est donc financé à 100 % par l’assurance maladie.

M. Guillaume Wasmer. …alors qu’il est de 1,5 milliard d’euros sur dix ans pour les collectivités territoriales.

Bien évidemment, les conséquences de l’appréciation du franc suisse par rapport à l’euro remettent en cause une partie des éléments qui avaient été préparés. Nous sommes en train de réfléchir à la façon dont nous allons pouvoir faire évoluer ce processus de fusion pour les établissements que je viens d’évoquer. Ce qui est presque certain, c’est que le dispositif envisagé qui nous semblait déjà très sous-dimensionné avec 100 millions d’euros n’a plus aujourd’hui aucune signification par rapport aux montants en jeu. Les conséquences de ce qui s’est passé la semaine dernière vont être redoutables.

M. le coprésident Pierre Morange. Les prêteurs étaient-ils des établissements bancaires français ou étrangers ?

M. Guillaume Wasmer. Des établissements français.

M. le coprésident Pierre Morange. Est-ce la règle ?

M. Guillaume Wasmer. Il s’agit très majoritairement de Dexia et des Caisses d’épargne.

M. Éric-Alban Giroux. L’enjeu de la problématique hospitalière de l’emprunt structuré était la semaine dernière de 3 milliards d’euros, mais aujourd’hui on ne sait plus. Par ailleurs, il convient de rappeler que ces 100 millions d’euros sont prélevés dans nos propres poches puisqu’ils proviennent de l’assurance maladie, des hôpitaux et du FIR.

M. Michel Rosenblatt. Nous nous sommes empressés de lire l’instruction interministérielle du 22 décembre 2014 qui régit le fonds évoqué pour le secteur hospitalier. Elle prévoit qu’il est possible de bénéficier de l’enveloppe de 100 millions d’euros à condition que le capital ne soit pas libellé en devises étrangères. Il faut donc vérifier le périmètre exact du dispositif tel qu’il a été mis en place par l’instruction interministérielle. Nous nous demandons également si le délai de traitement des dossiers prévu pourra être réellement tenu dans la mesure où il se fera à marche forcée après avoir eu une longue période de réflexion pour l’élaboration du dispositif.

Il est tout à fait paradoxal que dans la période passée, alors qu’il aurait fallu une planification fine, on se soit contenté d’une logique de simple régulation de l’offre, ce que nous avions critiqué du point de vue syndical. Nous avions dit qu’il fallait, au contraire, définir de manière plus stricte et plus précise les modalités et les décisions de répartition de l’offre sanitaire sur le territoire. La régulation a conduit à préparer des contrats pluriannuels alors même que les ARS n’avaient connaissance de leurs capacités financières que chaque année successivement. Les modalités de travail étaient donc structurellement peu opérationnelles. Très souvent, nous ne connaissons nos ressources qu’après le 31 décembre de l’année. Il ne faut donc pas s’étonner que les capacités de prévision fine des gestionnaires hospitaliers soient parfois insuffisantes.

Quand un bâtiment a été conçu d’une certaine manière, par exemple en réalisant des unités de trente lits, il est difficile ensuite de revenir en arrière. Les coûts de revient et de personnel sont en effet cristallisés pour longtemps.

Au sein de la dette, il convient également de distinguer ce qui relève du marché obligataire et ce qui relève davantage du marché monétaire, ce qui est à long terme pour financer les investissements et ce qui est à court terme pour des lignes de trésorerie ou pour une dette qu’il s’agit de rembourser rapidement. Là encore, les paramètres diffèrent évidemment.

Bien sûr, les établissements ont tenté toutes sortes de modalités. Certains procèdent à des mises en concurrence et sont heureux lorsqu’ils ont ne serait-ce qu’une réponse. Dans un passé récent, certains centres hospitaliers ont parfois peiné à trouver un prêteur pour achever leur programme de construction alors que les murs étaient debout, que le gros œuvre était terminé, qu’il fallait mobiliser des crédits pour construire une autre tranche. Mais après la crise financière, il n’y avait plus personne pour prêter de l’argent. Nous n’étions pas alors en position de force pour négocier. Certains CHU (centres hospitaliers universitaires) se sont alors regroupés pour essayer de lever des fonds en commun dans des conditions financières plus favorables. L’imagination peut aussi être mobilisée.

M. Éric-Alban Giroux. Lorsque l’on cherche à emprunter, on recourt à une procédure d’appel d’offres. Suivant le moment où on le fait, on peut ne pas obtenir de réponse. La situation s’est améliorée, et c’est tant mieux. Était-ce dû à la frilosité des banques à prêter aux établissements publics ou à une stratégie de groupe leur permettant d’augmenter leur point de base sur leurs marges ? Je ne le sais pas. Je me souviens qu’avant le mois de septembre 2008, je négociais entre cinq et sept points de base de marge bancaire et que depuis, on est subitement passé à 100, 200, jusqu’à 350 points de base de marge financière pour les banques alors que je n’ai pas connaissance – mais peut-être me trompé-je – de défaut de paiement d’un établissement public hospitalier en France auprès d’une banque. Le prêt d’argent d’une banque à un établissement hospitalier public de santé est sécurisé. Je ne sais donc pas à quoi était réellement due la frilosité des banques après la crise. À la nécessité d’une recapitalisation pour respecter les ratios prudentiels ? Peut-être. Mais je n’ai pas l’impression que c’était juste en raison d’un défaut de connaissance patrimoniale ou d’une insécurité financière croissante de nos structures.

Mme la coprésidente Gisèle Biémouret, rapporteure. Y a-t-il des établissements qui sont à la limite de ne plus pouvoir continuer à exister ?

M. Éric-Alban Giroux. Nous vous répondons tous les cinq : oui !

Mme la coprésidente Gisèle Biémouret, rapporteure. Vous éclairez la question sous un jour un peu différent de ce que l’on a entendu jusqu’à maintenant. Notre souci est d’essayer de trouver des solutions. Vous demandez un soutien financier plus important de l’État, et je le comprends parfaitement car je ne vois pas objectivement comment sortir de cette situation autrement.

Pour ma part, je suis très attachée à l’hôpital public. Je suis présidente du conseil de surveillance d’un petit centre hospitalier qui, s’il n’a plus de plateau technique, a encore des urgences. J’ai vu ce qui s’est passé pendant plusieurs années et je retrouve les mêmes difficultés à avoir un soutien efficace des tutelles que celles que vous soulignez. Le soutien technique de cet établissement est d’autant plus important que c’est une petite structure. Il a connu quelques déboires. Heureusement, le premier directeur général de l’ARS de Midi-Pyrénées nous a beaucoup aidés.

Comment certains établissements peuvent-ils aujourd’hui continuer à fonctionner ?

M. Didier Hoeltgen. Oui, il y a un nombre significatif d’établissements qui sont dans une situation d’impasse ou de très grande difficulté.

S’agissant du titre IV, l’incidence de la situation de l’endettement est majeure, ce qui conduit à ce que nous n’ayons plus de marge de manœuvre. Bien sûr, de ce fait les investissements à venir sont obérés. Pourtant, il faut adapter le service public à de nouvelles activités. On ne peut pas travailler dans des services d’urgences qui ont été conçus pour 30 000 visites s’il y en a 90 000 par an. Cette augmentation d’activité conduit à adapter, rénover nos locaux, y compris pour répondre aux mises aux normes qui ont un effet inflationniste marqué. Il faut savoir qu’au bout de dix ou quinze ans, les locaux hospitaliers sont dans un grand état de vétusté du fait de la nature de l’activité et de l’ampleur des flux qui se présentent aux portes de nos hôpitaux.

La situation a un impact sur la section de fonctionnement à un point tel que nous n’avons plus du tout, soit de capacité d’amortissement, soit de marges de manœuvre, ce qui, par définition, a des répercussions sur l’investissement à venir. Parfois, certaines ARS nous empêchent même formellement d’investir. Mon établissement devait investir pour répondre aux normes d’incendie, mais j’ai reçu l’injonction de ne plus le faire parce que ma section d’investissement ne me le permettait plus.

Cela a également un impact sur la qualité des soins parce que, quand on n’a pas de marge de manœuvre, le poids de l’investissement est porté directement par l’exploitation : ainsi, là où l’on devrait avoir une infirmière et deux aides-soignantes la nuit pour trente-quatre lits et alors qu’il y a chaque nuit entre six et huit entrées, on n’a plus qu’une infirmière et une seule aide-soignante. Nous sommes à la corde de la corde. La qualité s’en ressent, sans oublier l’épuisement du personnel et l’absentéisme éventuellement consécutif.

Des tensions sociales apparaissent également au sein de l’établissement. Quand on n’a pas de marge de manœuvre, un déménagement devient un véritable problème. Cela crée aussi des tensions avec l’ARS puisque la relation avec l’ARS n’est pas une relation d’accompagnement, même s’agissant de nos grands investissements. Lors de la reconstruction d’un hôpital par exemple, nous aurions pu mettre en place pendant quelques années une équipe de reconstruction avec l’ARS à côté de l’équipe de fonctionnement nécessaire pour continuer d’assurer le tout-venant. Mais ce type d’accompagnement technique n’existe pas. Nous avons plutôt un rapport de tutelle et de défiance qui vient complexifier les choses. J’ajoute que le partenariat est certainement gage de qualité et qu’il permet de résoudre des problèmes extrêmement complexes, ce qu’une équipe de quatre, cinq ou six adjoints avec un ou deux ingénieurs ne peut pas faire.

Le grand groupe qui reconstruisait mon hôpital avait mobilisé quatorze ingénieurs, alors que, pour ma part, je n’en disposais jusqu’alors que d’un. J’en ai recruté un autre pour faire face à ces quatorze ingénieurs. Mais le service public hospitalier n’était pas en mesure de contrôler efficacement l’ingénierie proposée par ce grand groupe. Cela explique que nous étions structurellement « à la remorque » pour réagir aux solutions techniques qu’il proposait.

Si un établissement qui se reconstruit pour un budget d’environ 200 millions d’euros avait la possibilité de recourir à une banque d’investissement ou à une forme de bonification, cela lui permettrait de bénéficier d’un taux d’emprunt de l’ordre de 2 % et donc de dégager chaque année une marge de manœuvre de 4, 5, voire 10 millions. Le dispositif a permis à certaines collectivités locales d’emprunter et de participer à la relance globale de l’activité économique de la Nation. Le recours à une banque d’investissement spécifique à l’hôpital permettrait de participer à la relance de l’économie, tout en assurant aux banques une rémunération satisfaisante.

M. le coprésident Pierre Morange. Nous avons conscience de la situation extrêmement tendue de nombre d’établissements hospitaliers. Certains sont même obligés d’emprunter pour payer les salaires.

Tout cela a des incidences sur les investissements au quotidien, soit de matériel, soit de mise aux normes. Certains établissements ont d’ailleurs reçu des services des sapeurs-pompiers des avis de conditions de sécurité défavorables mais ils continuent à être ouverts.

Il existe aussi des hôpitaux qui sont amiantés, ce qui fait peser une responsabilité pénale sur le directeur. Les mises aux normes conduiraient à réaliser des travaux, donc à percer des cloisons ce qui libérerait de l’amiante. Ce sont des mélanges de « collèges Pailleron » et de Jussieu sanitaires auxquels vous êtes confrontés. Vous partagez cette responsabilité pénale avec le directeur de l’ARS.

M. Éric-Alban Giroux. Non, la responsabilité est entièrement hospitalière.

M. le coprésident Pierre Morange. C’est la raison pour laquelle les directeurs généraux d’ARS vous y obligent avec autant de facilité.

M. Didier Hoeltgen. Ou nous interdisent d’investir.

M. le coprésident Pierre Morange. Je vous ai demandé s’il y avait eu renégociations d’emprunts compte tenu du fait que les taux d’intérêt actuels sont exceptionnellement bas. En raison de vos rapports un peu particuliers avec les établissements bancaires, quelles sont vos marges de manœuvre ? Le volume des refinancements octroyés par la Banque centrale européenne ayant été favorable aux établissements bancaires, il paraît étonnant qu’ils ne prêtent pas une oreille plus attentive à vos préoccupations.

M. Éric-Alban Giroux. Bien sûr, il y a des renégociations au vu des taux d’intérêt extrêmement bas. Nous négocions. Seules les grandes structures ont toutefois la possibilité de mettre en place un dispositif de veille sur les taux d’intérêt et les renégociations.

M. le coprésident Pierre Morange. Sur les quelque 30 milliards d’euros qui constituent globalement la dette des hôpitaux français, savez-vous si ces renégociations ont permis de dégager une marge significative à l’échelle nationale, de redonner un ballon d’oxygène à l’échelon local et d’engager de nouvelles opérations d’investissement, ne serait-ce que pour le fonctionnement quotidien des établissements de soins ?

M. Éric-Alban Giroux. Je vous ferai la même réponse que s’agissant du patrimoine. Au niveau local, on sait quels sont nos encours d’emprunts et quel argent on doit débourser quand on veut renégocier, mais on ne sait pas ce qu’il en est au niveau national. Il faudrait faire cette somme algébrique qui, au bout du compte, s’avère plus compliquée qu’il n’y paraît.

M. le coprésident Pierre Morange. La somme de 1,5 milliard d’euros intègre-t-elle les pénalités de sortie ou non ?

M. Éric-Alban Giroux. Non. Pour sortir de ces emprunts, jusqu’à la semaine dernière, il fallait ajouter 1,5 milliard d’euros. Mais depuis, on ne sait plus.

M. le coprésident Pierre Morange. Mais dans l’hypothèse de conditions stables des marchés financiers, la somme de 1,5 milliard intègre-t-elle les pénalités de sortie ?

M. Éric-Alban Giroux. Non.

M. le coprésident Pierre Morange. En fait, il s’agit donc d’un volume minimal sans comptabiliser les pénalités de sortie, les soultes liées à ces emprunts toxiques. Je n’ai pas l’impression que cette question a été abordée par les experts financiers lors des auditions auxquelles nous avons procédé précédemment.

M. Éric-Alban Giroux. Cela change tous les jours ! Pensez à ce qui s’est passé la semaine dernière.

M. le coprésident Pierre Morange. Lorsque les emprunts structurés étaient estimés à 1,5 milliard d’euros, a-t-on mesuré quelles seraient les pénalités de sortie ?

M. Michel Rosenblatt. Les dirigeants hospitaliers ne pouvaient pas le faire eux-mêmes. C’est l’autorité publique centrale qui peut collecter les données. Or, celle-ci s’est plutôt efforcée de brouiller les cartes dans la mesure où personne ne devait être responsable de tout cela, et où était jugée préférable la discrétion. Et nos autorités nous ont interdit d’aller au contentieux. Certains collègues souhaitaient aller au contentieux, y compris contre Dexia par exemple, mais ils ont eu la ferme instruction de n’en rien faire.

M. le coprésident Pierre Morange. On vous a interdit d’utiliser la fameuse casuistique d’atteinte au devoir d’information. Voilà qui est intéressant ! Je suppose que ce genre de consigne est toujours oral ?

M. Michel Rosenblatt. Pour conclure, je dirai qu’il n’existe pas une catégorie unique d’hôpitaux avec un type unique de problèmes. Certains hôpitaux sont dynamiques, et leur taille est adaptée à leur territoire. Ils ont un recrutement médical suffisant parce qu’ils sont adaptés à la situation de là où ils se trouvent, ils suivent une dynamique de développement et sont éventuellement en situation de monopole sur leur territoire. Ils recrutent, équilibrent leur budget et remboursent. Mais d’autres sont déficitaires et endettés, soit parce qu’ils sont surdimensionnés, soit parce qu’ils sont vétustes, soit parce qu’ils connaissent des difficultés de recrutement médical liées à la faible attractivité ou au manque de médecins sur leur territoire, soit encore parce qu’ils sont soumis à une concurrence plus forte. Ceux-là suppriment des emplois, ce qui entraîne des rigidités sociales très fortes qui bloquent les évolutions. Bien évidemment, entre ces deux extrêmes, il y a une gradation intermédiaire. Mais cela veut dire que chaque fois que l’on raisonne en faisant des moyennes, on se trompe et on passe à côté de la diversité de la gravité des situations.

Peut-être faut-il nous autoriser et autoriser d’autres interlocuteurs à faire preuve d’imagination. Certains établissements publics n’ont pas le statut bancaire mais collectent des fonds et peuvent réaliser des placements financiers dans la durée. Je pense, par exemple, à l’Établissement de retraite additionnelle de la fonction publique (ERAFP) qui recueille des cotisations pour des montants élevés et qui doit diversifier ses placements. Il est bien évident que l’on pourrait, sous réserve d’adapter la loi, imaginer des « circuits courts » pour financer la dette à long terme des hôpitaux par des placements à long terme de l’ERAFP.

M. Didier Hoeltgen. De même pour les prêts de trésorerie.

M. Michel Rosenblatt. N’oublions pas non plus les caractéristiques propres au secteur médico-social public qui affrontent, à beaucoup plus petite échelle, les mêmes difficultés. Ils ont peut-être moins souvent contracté des emprunts structurés parce qu’ils n’avaient pas la taille critique, mais certains ont aussi un niveau d’endettement élevé et un niveau de ressources qui s’est tari au cours des dernières années.

Mme la coprésidente Gisèle Biémouret, rapporteure. Lorsque je vous écoute, je me rends compte que les aspects financiers sont compliqués. La formation des directeurs d’hôpitaux est-elle suffisante pour vous permettre de faire face à toutes ces problématiques financières ?

M. Didier Hoeltgen. Vous avez raison, un problème de formation se pose. L’univers financier n’est pas non plus facile à aborder et il requiert beaucoup de rapidité et de conseils dans des délais très courts.

Cependant, nous ne travaillons pas seuls, mais en nous appuyant sur des conseils. Nous travaillons aussi parfois avec les services déconcentrés du Trésor public. Nous bénéficions également de multiples audits, accompagnements comptables, contrôles, etc., qui mériteraient peut-être d’être plus orientés dans une perspective de soutien.

Par ailleurs, nous pouvons nous appuyer sur l’expérience de collègues. Par exemple, au sein de la Fédération hospitalière de France, un groupe de travail nous aide à mieux appréhender des difficultés qui ne sont pas seulement locales.

L’une des caractéristiques du métier de directeur d’hôpital tient à ce qu’il doit être un généraliste alors que ses interlocuteurs sont toujours spécialistes. Par exemple, vous pourrez aussi bien travailler avec un ingénieur spécialisé en climatisation qu’avec un médecin anesthésiste. C’est ce qui fait que ce métier est intéressant mais aussi parfois difficile, ce qui pourrait justifier plus de soutien de la part des pouvoirs publics.

M. Guillaume Wasmer. Je partage les propos de M. Hoeltgen. Globalement, les directeurs des affaires financières sont bien formés et ont toutes les compétences nécessaires pour assurer la gestion quotidienne des établissements et mettre en œuvre des formules financières que je qualifierai de classiques.

Dès lors que vous êtes confrontés pour la première fois à des PPP ou à des emprunts structurés, qui par définition sont des montages complexes, alors que nos interlocuteurs les manient en permanence et savent faire preuve d’une certaine opacité, vous êtes un peu démunis.

De la même façon que la communauté hospitalière a su se structurer pour créer la Société hospitalière d’assurances mutuelles (SHAM), la société d’assurance, ou la Mutuelle nationale des hospitaliers (MNH), la complémentaire santé, je pense que nous pourrions collectivement mettre en place des services transversaux nous permettant de faire face à des situations complexes.

Il est également un peu facile de se demander, dix ans après, ce qui s’est passé alors qu’entre-temps les règles ont changé. Si l’on a voulu un plan d’aide à l’endettement plutôt qu’un plan d’aide à l’investissement, c’était un choix permettant de « saupoudrer » un peu dans tous les établissements plutôt que de donner seulement à quelques-uns, pour maintenir le maillage hospitalier français. Souhaite-t-on maintenir le maillage hospitalier français tel qu’il existe aujourd’hui ? Si la réponse est oui, alors il faut soit accepter un fort niveau d’endettement, soit subventionner les établissements, auquel cas il faudra faire preuve d’imagination.

S’agissant des emprunts structurés, la réponse ne peut pas être individuelle. Comme j’ai la chance de diriger trois établissements, j’ai essayé d’en fusionner deux pour permettre une désensibilisation des emprunts de l’un dans un ensemble plus large. Mais il faudrait à la limite envisager ce même système sur l’ensemble de l’investissement français, pour qu’une réelle solidarité hospitalière s’exerce. De la même façon, pour les décisions d’investissements lourds on pourrait aussi mettre en place des outils pour faire face à des montages complexes. Sur le plan technique, on pourrait aussi avoir une équipe d’ingénieurs, de techniciens, qui soit centralisée par région ou au niveau national et qui pourrait intervenir sur certaines opérations particulières. On a essayé de le faire, au niveau des tutelles. Or, cela devrait être plutôt fait au niveau des dirigeants hospitaliers car les tutelles doivent rester, à mon sens, dans le champ de la régulation et du contrôle beaucoup plus que dans celui de l’appui. Elles ne peuvent pas jouer à la fois le rôle de régulateur et d’accompagnant.

M. Jean-Luc Gibelin. Je souhaiterais revenir sur la question de la formation. Nous sommes souvent face à la conséquence de décisions politiques, et pas seulement face à des questions techniques ou à l’appréciation du comportement des chefs d’établissement ou de leurs adjoints. Les formations ont cependant été renforcées et aujourd’hui les équipes en place sont capables de faire face. Elles peuvent surtout avoir recours à des conseils pertinents quand c’est utile. Mais nous pensons qu’on ne pourra sortir de la situation actuelle sans des décisions politiques qui soient du même niveau que celles qui ont conduit à ce qu’elle est.

Ne doit-on pas par ailleurs dissocier le coût de l’investissement hospitalier de celui des soins ? Ne doit-on pas considérer que l’investissement hospitalier relève de l’État et qu’il n’a pas à interférer avec le coût des soins ? Nous n’avons pas de solution miracle, mais nous pensons que des évolutions sont nécessaires surtout au vu de ce qui s’est passé la semaine dernière.

M. Éric-Alban Giroux. Cette dernière remarque est extrêmement juste et elle renvoie à ce que je vous disais tout à l’heure, à savoir que l’investissement hospitalier n’a jamais fait partie ni de la T2A ni de la dotation globale hospitalière.

M. Michel Rosenblatt. L’École des hautes études de santé publique assure la formation financière de base des promotions qui s’y succèdent. Jean-Luc Gibelin et moi-même sommes administrateurs de l’école et nous suivons ces questions de près. Les enseignants et les formations dispensées sont de qualité. Je pense que nos collègues sortent de cette école en disposant des outils de base leur permettant de faire face à leurs responsabilités quelle que soit leur affectation. D’ailleurs, ils acquièrent une spécialisation dans la dernière période de formation au sein de l’école en fonction du poste qu’ils vont occuper à leur sortie.

L’endettement est la conséquence de difficultés qui se situent en amont. Il ne suffit pas de dire qu’il faut mobiliser davantage d’argent pour en sortir. Ce raisonnement serait simpliste. Ce qu’il faut, c’est un système enfin stable. Pour faire une prévision solide dans un monde plein d’incertitudes, il faut un certain nombre de points fixes sur lesquels construire cette prévision. C’est ce qui nous fait finalement le plus défaut.

Comme le contexte va continuer à changer, il faut disposer d’une souplesse juridique dans les limites du raisonnable, une souplesse organisationnelle et managériale, la capacité à évoluer et à supprimer certaines rigidités excessives. Les solutions durables au problème de l’endettement ne relèvent pas en premier lieu de la finance, mais de l’organisation, de la conception, de la planification et de l’activité.

Mme la coprésidente Gisèle Biémouret, rapporteure. Si nous avons besoin d’autres éléments, nous vous demanderons de compléter par un questionnaire écrit. Nous nous déplacerons sûrement aussi sur le terrain pour rencontrer des chefs d’établissement.

M. le coprésident Pierre Morange. Notre collègue Martine Carrillon-Couvreur a réalisé un remarquable travail pour notre travail sur la CNSA (Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie), ses modalités de fonctionnement et son évolution depuis sa création. Elle a mis clairement en évidence la méconnaissance complète à la fois du patrimoine immobilier du secteur et de ses coûts de gestion. L’architecture complexe et hétérogène du secteur médico-social – qui associe des structures associatives, privées, mais aussi des structures liées aux collectivités territoriales – fait que la carence est évidente, ce qui nous renvoie au manque d’outils de gestion, de gouvernance, qui aboutit là encore à des situations financières potentiellement fragiles. Si la question de la dette des hôpitaux publics est prégnante, il n’est pas interdit pour autant d’espérer progresser dans son analyse, comme nous l’avons fait pour la CNSA.

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) procède ensuite à l’audition, ouverte à la presse, de M. Frédéric Boiron, président de l’Association des directeurs d’hôpital (ADH), et M. Christophe Got, vice-président.

Mme la coprésidente Gisèle Biémouret, rapporteure. La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale aimerait vous entendre, monsieur Boiron, monsieur Got, sur les solutions à apporter au problème de la dette des établissements publics de santé, problème si profond qu’il menace aujourd’hui la poursuite de l’activité de certains d’entre eux.

M. le coprésident Pierre Morange. Nous avons le plaisir d’accueillir M. Frédéric Boiron, président de l’Association des directeurs d’hôpital (ADH) et M. Christophe Got, qui en est le vice-président.

Au-delà de l’analyse brute des données chiffrées, les différentes auditions que nous avons menées nous ont fait prendre la mesure de la gravité du problème de la dette des hôpitaux : le taux de dépendance financière place certains établissements dans des situations de quasi-asphyxie, qui met en question leur capacité même à fonctionner. De surcroît, la complexité du système hospitalier français tend à restreindre plus encore les marges de manœuvre. Les gouvernements successifs prônent, depuis plusieurs années voire plusieurs décennies, une concentration et une rationalisation. Diverses structures comme l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (ANAP) ont fait émerger, à travers des expérimentations, des bonnes pratiques pour une meilleure utilisation des matériels et des locaux ainsi qu’une meilleure affectation des personnels, sachant que les dépenses de personnel représentent 60 % du budget des établissements.

Compte tenu de la situation des comptes sanitaires et sociaux de la Nation qui rend hypothétique une aide supplémentaire de l’État, quels leviers pourraient selon vous être actionnés ? Le volume des aides ne peut suffire aux établissements pour sortir de leurs emprunts structurés, dont les taux ont tendance à déraper du fait de l’évolution du change, particulièrement depuis l’envolée récente du franc suisse. Ne ressentez-vous pas la nécessité d’une accélération des réformes structurelles prônées de longue date ? Nous le savons, le système hospitalier est marqué par une grande inertie et aussi, pour dire les choses de manière policée, par quelques résistances, qui ont pu aboutir à pérenniser la situation financière fragile des établissements.

M. Frédéric Boiron, président de l’Association des directeurs d’hôpital (ADH). Permettez-moi tout d’abord, madame la présidente, monsieur le président, de vous présenter l’Association des directeurs d’hôpital : réunissant les élèves et anciens élèves de l’École nationale de la santé publique devenue École des hautes études en santé publique, elle s’est réformée au tournant des années 2000 pour devenir une association professionnelle s’intéressant au système de santé avec pour domaine de prédilection l’hôpital public, institution parmi les plus emblématiques de notre pays puisqu’elle est fondée sur le principe de solidarité, particulièrement structurant dans notre République. Notre association s’est toujours efforcée de tenir un discours le moins corporatiste possible sur les thématiques liées à la modernisation du service public, qui ne saurait être pour nous synonyme d’inefficacité, de surcoût et de problèmes financiers.

L’ADH a aussi tenté de contribuer au débat sur l’endettement des établissements de santé dans le milieu hospitalier. Vous avez souligné le poids de la dette, sujet amplement abordé par votre mission sur lequel il n’est sans doute pas utile pour nous ici de revenir en détail. C’est un phénomène que je connais bien puisque le centre hospitalier universitaire (CHU) de Saint-Étienne dont je suis directeur est l’un des plus concernés par l’endettement, notamment par l’endettement toxique.

Il me paraît important de souligner que la dette n’est pas mauvaise en soi. Bien géré, un endettement correspond au financement d’un investissement qui constitue un pari sur l’avenir. Il est consubstantiel au système de santé : en effet, a contrario les hôpitaux et autres structures de santé qui n’investissent pas ou qui n’investissent plus disparaissent ou deviennent inutiles. La santé nécessite un effort d’investissement qui passe forcément, entre autres moyens, par un financement complété ou assuré majoritairement par de l’endettement, ce qui a été le cas dans les années 2000.

M. le coprésident Pierre Morange. La dette est cependant mauvaise en soi si elle sert à financer des dépenses de fonctionnement.

M. Frédéric Boiron. En effet, l’endettement qui aurait vocation à financer des dépenses de fonctionnement courant engendre bien des problèmes. C’est d’ailleurs une question que se pose l’État lui-même dans son propre fonctionnement et dans ses relations avec les institutions européennes.

Une dette bien gérée ou supportable, même si, comme toute dette, elle comporte une part de risque, contribue à l’évolution positive du système hospitalier et permet de développer des technologies innovantes et de nouvelles modalités de prise en charge des problèmes de santé ou des problèmes associés aux thématiques sanitaires, notre activité s’étendant, au-delà des soins en tant que tels, au domaine social.

Puisque vous nous suggérez d’évoquer des pistes de travail, je soulignerai l’importance qu’il y a à distinguer dans le pilotage de l’investissement hospitalier – et donc potentiellement de l’endettement –, l’investissement dans le biomédical et l’investissement immobilier, qui a été l’un des éléments les plus lourds de l’endettement ces dernières années. Si les difficultés financières actuelles persistent, nous pourrions nous retrouver dans dix à quinze ans devant la nécessité de rénover de manière massive l’immobilier des établissements de santé. Pour éviter les écueils du passé, il importe d’établir des modalités spécifiques pour le financement des dépenses consacrées au biomédical, à l’informatique, aux investissements courants, qui sont liées au développement de la mission principale des établissements, et, d’autre part, pour le financement des investissements immobiliers lourds qui ne peut reposer – les années récentes nous en ont apporté la démonstration – exclusivement sur l’endettement et sur les tarifs de prestation de soins. Ces derniers n’ont pas vocation à supporter les charges immobilières. Cette question se pose dans des pays voisins comme l’Allemagne qui connaît une problématique similaire du fait du développement de la tarification à l’activité.

Les plans d’investissement hospitalier sont intervenus à une époque où les hôpitaux avaient besoin de rénover leur patrimoine pour restreindre le nombre de chambres à quatre ou trois lits ou pour permettre une mise aux normes de confort, voire de sécurité. Ce nécessaire investissement, qui s’est traduit par une amélioration significative pour les patients, a eu pour cadre des schémas qui encourageaient assez fortement à l’emprunt. La logique de l’endettement a été portée par l’ensemble du système, sans que l’on puisse identifier de responsabilités particulières, ce qui, du reste, ne servirait pas à grand-chose.

Toutefois, l’ADH tient à souligner l’aspect immoral du contenu de certains contrats de prêts structurés. Les banques, dans leur ensemble, ne sont pas coupables ou condamnables d’avoir prêté, pas plus que les établissements hospitaliers ne le sont d’avoir emprunté. Le fonctionnement du système nécessite des établissements hospitaliers solides et bien armés pour gérer leurs finances comme il nécessite des banques solides et bien armées pour soutenir l’activité.

Des dysfonctionnements ont toutefois conduit certaines banques, à l’époque la plus critique du développement des prêts structurés, à suivre des stratégies commerciales – que la Cour des comptes a pointées bien mieux que nous ne le ferions – visant à placer des produits comportant un niveau de risque excessif par rapport à l’intérêt des établissements de santé. C’est une responsabilité sociale partagée que de considérer qu’il ne faut pas faire courir de risques inutiles à de grandes structures de service public qui servent la population dans un objectif non pas marchand mais d’intérêt général. L’endettement et l’investissement hospitaliers ne sont pas seulement l’affaire des hôpitaux et des autorités de tutelle qui les entourent, c’est aussi l’affaire des institutions financières, qui doivent contribuer à une gestion raisonnable de nature à diminuer les risques pour nos établissements.

Faisons un parallèle sanitaire. Un patient demande à un médecin hospitalier d’être ouvert au dialogue et de le considérer comme un acteur de son parcours de soins mais il lui demande aussi d’être un expert, à même de lui fournir tous les éléments nécessaires à un consentement éclairé, désormais inscrit dans le droit. De même, en matière de gestion financière, l’institut bancaire doit fournir tous les éléments permettant aux établissements de prendre des décisions éclairées.

M. le coprésident Pierre Morange. Nous en sommes d’accord. Un simple principe de bon sens veut que tout responsable de deniers publics se doit de les gérer dans l’intérêt général et sans aucune prise de risques, en bon père de famille, par exemple en souscrivant des prêts à taux fixe. Cela n’a malheureusement pas été le cas dans toutes les collectivités territoriales de France. Les exemples ne manquent pas.

De façon concrète, monsieur Boiron, vous qui dirigez un important CHU, quelles ont été les conditions dans lesquelles les emprunts structurés que vous avez évoqués ont été contractés ? Quel est votre plan pour essayer d’en sortir, compte tenu de la situation extrêmement instable des marchés monétaires ? Quel est le coefficient multiplicateur de ces emprunts ? Est-il supérieur aux valeurs de 1, 2 ou 3 que l’on rencontre habituellement ?

M. Frédéric Boiron. Précisons tout d’abord que je n’ai pas moi-même contracté les emprunts structurés que je suis amené à gérer à la tête du CHU de Saint-Étienne, remarque qui n’emporte pas de jugements sur les décisions qui ont été prises par le passé, dans un contexte bien particulier.

Les contrats structurés toxiques comportent deux phases. La première inclut la vente d’options financières assises sur des variations de taux de change, sans aucun rapport avec l’activité de soins : entre le dollar et le yen, par exemple, ou encore entre l’euro et le franc suisse, comme c’est le cas pour l’un des contrats que je gère, ce qui a engendré une explosion des coûts financiers en quarante-huit heures la semaine passée, du fait de l’envolée du franc suisse. Ces options, une fois vendues, servent à bonifier la première phase des contrats. Certains d’entre eux ont été « capés » et limités pour réduire ensuite les effets des coefficients multiplicateurs, d’autres ne l’ont pas été, ce qui est le cas de contrats signés par mon établissement. Le taux d’intérêt peut alors excéder 20 % à 25 % sur la durée restante.

M. le coprésident Pierre Morange. Je connais le cas d’un syndicat intercommunal de traitement des déchets urbains pour qui le taux est monté jusqu’à 70 %.

M. Frédéric Boiron. Pour l’anecdote, je préciserai que l’un des contrats en question s’intitulait « Tofix » : prononcé à l’anglaise – « to fix » –, il signifie « à fixer » ; mais à la française, il se rapproche du rassurant « taux fixe ».

Ces contrats constituent une leçon pour l’avenir. Certes, la charte dite « Gissler » et bien d’autres dispositions sont intervenues depuis. Mais il faut aussi mettre en avant une dimension morale impliquant une responsabilité commune de la société : les instruments financiers doivent permettre aux établissements hospitaliers de rendre le service public qui est attendu d’eux, notamment à travers des argumentaires construits selon des règles déontologiques.

Certains contrats ont pu devenir explosifs. Ma collègue du centre hospitalier d’Arras m’informait ces derniers jours que le changement de politique de la Banque centrale helvétique avait engendré un coût supplémentaire de 800 000 euros pour l’emprunt structuré que son établissement a contracté à hauteur de 8 millions d’euros. Pour le CHU de Saint-Étienne, les récentes variations de la parité entre l’euro et le franc suisse ont entraîné un surcoût de 2,5 millions d’euros pour un seul contrat.

M. le coprésident Pierre Morange. Quel est son coefficient multiplicateur ?

M. Frédéric Boiron. Il repose sur une formule plus complexe, qui comprend des variations de change entre l’euro et le franc suisse. Le taux d’intérêt atteint près de 20 %.

M. le coprésident Pierre Morange. A-t-il été conclu avec une société prestataire de services ou avec une banque ?

M. Frédéric Boiron. L’ensemble des emprunts structurés de cet établissement a été souscrit auprès d’une banque bien connue, la banque Dexia, qui a proposé des refinancements successifs sur plusieurs années à partir d’argumentaires construits sur le thème de la « sécurisation des aléas » ou de « l’amélioration du taux de la dette sur la longue période ».

Il n’y a pas de jugements à formuler mais simplement des leçons à tirer. Ces instruments financiers complexes ont appelé le développement de compétences nouvelles. L’ingénierie financière a beaucoup changé en vingt ans : les banques proposent aujourd’hui des produits qu’elles ne proposaient pas il y a vingt ans et les gestionnaires se sont adaptés à ces évolutions. De la même manière, les directeurs d’établissements hospitaliers doivent s’y adapter.

Dans les années 2000, de nombreux responsables hospitaliers, mais aussi d’autres structures publiques, ont souscrit des emprunts structurés en pensant qu’ils étaient utiles. Il faut se replacer dans le contexte de l’époque : les établissements devaient investir pour se moderniser mais ils ne recevaient que des aides pour l’amortissement de l’endettement et pas de subventions en capital. La logique commandait qu’ils optimisent l’intérêt de la dette. Or plus le taux d’intérêt est facialement intéressant, plus la marge supplémentaire pour investir est grande. C’est pour ces raisons – outre les effets de mode qu’il ne faut pas négliger – que ces contrats structurés ont attiré les responsables, séduits par la possibilité de consacrer des millions supplémentaires à l’investissement et non pas à l’amortissement.

Mme la coprésidente Gisèle Biémouret, rapporteure. Ces décisions, les chefs d’établissement ne les ont pas prises seuls ; ils devaient les soumettre à leurs autorités de tutelle.

M. Frédéric Boiron. Effectivement. L’un des crédos de l’ADH est qu’à l’hôpital, on ne fait rien seul. C’est une activité de service public quasi-entrepreneuriale dont le fonctionnement n’est pas pyramidal ou autocratique. Nombre de dossiers font l’objet de discussions. L’investissement et l’endettement, questions plus complexes, concernent sans doute moins d’acteurs, mais ont toujours fait l’objet de validations, selon des modalités changeantes depuis le début des années 2000. Après une phase où tous les emprunts faisaient l’objet d’une délibération en conseil d’administration a succédé une courte période de grande autonomie des chefs d’établissement à la fin des années 2000. Aujourd’hui, le conseil d’administration a été transformé en conseil de surveillance et les emprunts, dans un grand nombre d’établissements, doivent faire l’objet d’une autorisation préalable, opération par opération. Le processus de verrouillage est, on le voit, poussé assez loin.

Avec d’autres, Christophe Got et moi-même appelons de nos vœux une évolution de la réglementation. Nous considérons que le dispositif gagnerait en efficacité si le contrôle s’exerçait non plus sur chaque emprunt individuellement, mais sur une année, voire sur plusieurs années s’agissant de grosses opérations, avec possibilité de reports et de modifications de la décision si nécessaire. Cela permettrait à la politique de gestion de la dette d’être active tout en étant bornée.

À ma connaissance, les décisions d’emprunt n’ont jamais été prises dans le secret d’un bureau par un homme seul, même si l’on peut dire – et l’ADH ne s’est jamais gênée pour le souligner – qu’il y a eu des comportements individuels déviants ou anormaux chez certains directeurs d’hôpital comme il y en a eu parmi les responsables d’autres structures publiques ou d’établissements financiers.

Les décisions d’emprunt ont donc fait l’objet de discussions : soumissions à autorisation, délibérations au sein d’instances, validations par les autorités dites de tutelle de l’état prévisionnel des recettes et des dépenses ou du plan global de financement pluriannuel. Plus récemment, elles ont été soumises à autorisation préalable dans la plupart des cas.

M. le coprésident Pierre Morange. Considérez-vous que le dispositif du Comité interministériel de performance et de la modernisation de l’offre de soins (COPERMO) est trop rigide ?

M. Frédéric Boiron. Selon nous, il apporte une amélioration par rapport à la situation antérieure, marquée par le morcellement des comités – comité des risques financiers, comité des investissements, etc. Il rassemble l’ensemble des acteurs au plus haut niveau et exerce un suivi mieux ciblé sur un petit nombre d’établissements, les plus concernés. L’expertise en est renforcée tout comme la possibilité de la partager. Nous considérons donc qu’il s’agit d’un bon dispositif dans son principe et, souvent, dans son fonctionnement.

Nous avons toutefois ce défaut en France de vouloir mettre en place un système parfait après qu’il y a eu des dysfonctionnements. Or le système parfait n’existe pas, ce dont on peut se réjouir d’une certaine manière car cela nous permet de continuer à évoluer. Il ne faudrait pas que cette instance aille trop loin dans le détail de la gestion des opérations de redressement financier qui, pour être efficaces, doivent être pilotées par les acteurs locaux.

Ainsi, un plan de retour à l’équilibre mis en place contractuellement avec l’État et l’agence régionale de santé ne devrait pas fixer à l’avance intangiblement les opérations nécessaires au redressement financier car elles sont appelées à varier. Il faut que le management et la communauté médicale puissent se montrer réactifs et procéder à des ajustements, dans les limites des fourchettes préétablies, en fonction de l’évolution de la technique ou de la demande.

C’est ce risque d’entrer trop dans le détail qu’il nous paraît important de souligner à l’ADH, que ce soit dans les relations avec le COPERMO ou avec les agences.

Mme la coprésidente Gisèle Biémouret, rapporteure. Que pensez-vous de la stratégie d’investissement à l’échelle du territoire ? Fait-elle l’objet d’une concertation approfondie ?

M. Frédéric Boiron. Je ferai une comparaison entre le système actuel et celui que j’ai connu en commençant ma carrière, il y a une vingtaine d’années à Paris. Il y a eu beaucoup de progrès dans la possibilité d’avoir une approche territoriale ou régionale. Les outils de la concertation restent complexes – est-il nécessaire qu’un plan régional d’organisation et de santé comporte mille pages ? – car il y a toujours cette tendance à l’exhaustivité, mais, de manière générale, les structures de discussion sont plus nombreuses.

Peut-on dire qu’il y a moins d’établissements poursuivant des stratégies autonomes ? Oui, sans doute, mais il me semble que l’on peut aller plus loin. À l’ADH, nous estimons que les établissements doivent résolument suivre l’évolution qu’a connue le modèle communal, qui, même s’il n’est pas parvenu au plein développement de ses potentialités, a su apporter de la valeur ajoutée aux communes et à la population grâce à une bonne association des responsabilités et une bonne répartition des compétences.

Nous devons être les coauteurs de cette évolution car si les établissements résistent à la coopération, cela générera des délais. Il faut oser le dire. Cela suppose de renoncer à certaines prérogatives et à certains symboles parfois artificiels d’autonomie. Dans le système de santé, les hôpitaux ont besoin les uns des autres : il faut que le petit puisse s’appuyer sur le gros et inversement. Les équipements de biologie médicale, chers et de plus en plus complexes en raison des normes de certification, ne peuvent être déployés partout. Nous avons intérêt à regrouper nos plateaux de biologie et à définir le niveau de compétence de tel établissement par rapport à tel autre.

Ces politiques territoriales appellent des décisions qui débordent le seul cadre des établissements. Les autorités dites de tutelle – un terme que nous n’apprécions guère car il renvoie pour nous à la notion de majeurs sous tutelle, autrement dit d’incapables majeurs –, qui sont nos partenaires, doivent pouvoir arbitrer. Et les élus eux-mêmes doivent accepter que des autorités mises en place par l’État fassent des choix de répartition territoriale d’activités qui peuvent être vécus comme défavorables au niveau local mais qui sont justifiés au niveau national. Dans dix ans, nous pourrions envisager des regroupements hospitaliers associant plateaux techniques coûteux et établissements dont la prise en charge n’impliquera pas ce type d’équipement, ce qui aura un impact sur la gestion de l’investissement et de l’endettement.

Mme la coprésidente Gisèle Biémouret, rapporteure. La loi dite HPST pour « Hôpital, patients, santé, territoires » a modifié la gouvernance des établissements : d’une part, le directeur d’établissement peut fort bien ne pas tenir informé le président du conseil de surveillance ; d’autre part, le président du conseil de surveillance ne peut plus exercer la même pression qu’auparavant sur le directeur.

M. Frédéric Boiron. Un directeur d’établissement qui imaginerait pouvoir vivre dans la confrontation avec le représentant de la population du bassin qu’il dessert se tromperait de métier, tout comme un directeur d’établissement qui imaginerait pouvoir être en guerre avec le représentant des médecins de l’établissement.

Toute la difficulté de notre métier est de trouver un équilibre entre la capacité à prendre des décisions – et à en assumer les conséquences, le cas échéant – et la qualité de la relation avec le représentant de la population. Cette qualité, il est normal que le directeur d’un hôpital la recherche ; il est normal aussi, d’un autre côté, que le président du conseil de surveillance n’ait pas à intervenir trop directement dans la gestion interne de l’établissement, n’en étant pas responsable, même s’il peut, à tout moment, se faire communiquer des informations s’y rapportant. Des deux côtés, il convient d’entretenir une relation saine, reposant sur la confiance.

Mme la coprésidente Gisèle Biémouret, rapporteure. Parlons franchement : il n’est pas impossible de penser que, compte tenu de l’enjeu que présente un établissement hospitalier au niveau local, il y ait eu avant la loi HPST des pressions exercées par les élus, notamment concernant l’emploi. Les responsables politiques doivent aussi assumer leurs responsabilités dans la dégradation de la situation de certains établissements.

M. Frédéric Boiron. Il est certain que de telles pressions ont existé s’agissant de l’emploi. Aujourd’hui, le représentant légal de l’établissement est le chef d’établissement, cela n’a pas toujours été le cas. Il est bon qu’il y ait une clarification des responsabilités mais il est nécessaire aussi que les directeurs exercent leur métier selon des principes moraux, qui impliquent notamment d’établir un lien de confiance avec le représentant, élu, de la population. L’hôpital est dans la cité, il est dans les territoires. La répartition de responsabilités étant maintenant plus claire, il est possible pour un maire ou un président de conseil de surveillance d’exercer une influence, au bon sens du terme, sur des projets et de participer à des décisions.

M. Christophe Got, vice-président de l’Association des directeurs d’hôpital. Certaines personnes que vous avez auditionnées vous l’ont déjà dit mais je tiens à le redire au nom de l’ADH : on ne saurait se satisfaire d’une approche strictement financière en matière d’endettement, lequel doit aussi soutenir la nécessaire capacité des établissements hospitaliers à investir.

Le COPERMO a fixé comme critère d’éligibilité un taux de marge de 8 % – on sait comme cette contrainte peut être douloureuse lorsqu’elle est opposée à des communautés ayant travaillé durant des mois à des plans de redressement leur ayant permis difficilement d’atteindre 6 %. Mais nous considérons que les établissements hospitaliers de service public n’ont pas pour seule vocation de viser un certain niveau de taux de marge comme un grand groupe privé se doit de le faire à l’égard de ses actionnaires.

Certains établissements, du fait de leur isolement géographique – zones de montagne, territoires ruraux –, d’une démographie médicale particulièrement faible, ou du poids des décisions passées, n’ont plus la capacité d’investir. N’investissant plus, ils risquent de devenir vétustes.

Mon expérience m’a permis de mesurer l’incidence des choix en matière d’investissement.

J’ai exercé dans un CHU situé au nord de la Loire, d’un budget annuel de 600 millions d’euros, dont les responsables, qui s’étaient fait vertu de ne pas dépenser l’argent qu’ils n’avaient pas, n’allaient voir les banques que pour affiner un plan de financement. Résultat de ce refus de l’endettement : chambres à trois lits, absence de moyens pour investir dans un plateau ambulatoire digne de ce nom nécessitant de casser des murs et de regrouper des spécialités, incapacité à assurer le renouvellement des équipements pour attirer de très bons médecins et conserver les chefs de clinique en fin de formation. Autrement dit le choix de la vertu financière a conduit l’établissement à une forme de vétusté dont la population a subi les conséquences.

Aujourd’hui, j’exerce dans un établissement qui a rattrapé un très grand retard en matière d’équipement dû à une absence d’investissement. Il y a une dizaine d’années, quand un nouveau directeur est arrivé, il a trouvé des chambres délabrées et des ascenseurs ne montant plus jusqu’au dernier étage. Il a alors ouvert les vannes de l’investissement pour rénover – ce qui est sa mission. Il a été encouragé dans cette voie par les plans nationaux successifs – « Hôpital 2007 » « Hôpital numérique », « Hôpital 2012 » – et par l’État qui offrait un effet de levier avec la fameuse couverture des frais financiers d’amortissement. L’endettement a augmenté alors que le taux de l’ONDAM est passé en quelques années de 5 % à 2 %. Résultat : cet établissement figure parmi les trois les plus endettés de France. Le poids de la dette y est asphyxiant. Dans la mesure où les recettes liées à l’activité stagnent, les marges de manœuvre sont extrêmement restreintes : le budget est principalement consacré à payer l’augmentation annuelle des charges de personnel de 1,5 % à 2 %, laquelle n’est pas décidée localement par le directeur mais au niveau national, et à supporter la charge galopante des frais financiers.

Le COPERMO a été créé dans le but de ralentir certains projets. À cette fin, il a mis au point plusieurs critères, dont le fameux taux de marge de 8 % auquel ne peuvent se conformer que les établissements en bonne santé : les subventions sont finalement ainsi octroyées à ceux qui ont la capacité d’être autonomes. Que deviennent dans ce schéma les hôpitaux isolés, ceux qui ont une activité restreinte du fait d’une faible démographie médicale ou ceux qui ont un patrimoine vétuste n’attirant plus les patients ? S’ils ont en plus la malchance d’être endettés, on ne peut leur prédire un avenir très brillant.

Cette situation me contrarie. Dans une même ville, il peut exister d’autres établissements dont les règles de fonctionnement sont totalement différentes. Tel établissement privé se verra attribuer 20 millions d’euros pour sa rénovation par un grand groupe coté en bourse, doté de capitaux australiens et italiens. Tel établissement de santé privé d’intérêt collectif (ESPIC) pourra, comme il en a le droit, choisir les segments de clientèle lui permettant d’équilibrer les plans de retour sur investissements exigés par le COPERMO. L’hôpital public, lui, n’a ni les facilités de l’actionnaire, ni les facilités du choix : il devra continuer à prendre en charge l’ensemble des pathologies. Toutes les études de la Fédération hospitalière de France le montrent, les hôpitaux publics reçoivent des patients plus âgés, plus précaires, plus isolés socialement, et couvrent le plus large éventail de groupes homogènes de séjour (GHS).

Si les établissements publics veulent rester fidèles à leur vocation, qui est de soigner tout le monde sans discrimination, en assurant l’accessibilité financière et géographique aux soins, ils n’ont pas d’autre choix que d’investir pour maintenir des activités sous-rentables. Or, aujourd’hui, si un équilibre peut être établi à travers la compensation entre tarifs excédentaires et tarifs non excédentaires voire déficitaires, cela ne vaut pas pour l’investissement qui n’est guère possible. La tarification à l’activité ne pouvant soutenir les investissements immobiliers, certains hôpitaux publics sont donc condamnés à la vétusté et à la fuite des patients.

M. Frédéric Boiron. Or, on ne doit pas faire supporter à ces tarifs les gros investissements immobiliers mais on ne doit pas non plus réaliser des investissements qui ne seraient pas légitimes. En dehors des cas particuliers qui nécessitent de maintenir un service dans les établissements isolés, ces problématiques doivent faire l’objet d’une approche territoriale. Un petit établissement se trouvant dans la situation décrite par Christophe Got a besoin de partenaires pour se restructurer.

Mme la coprésidente Gisèle Biémouret, rapporteure. J’espère que cette mission nous permettra de trouver des solutions aux problèmes que vous soulevez et à maintenir au plus près des citoyens le service public hospitalier, dont la mission repose sur une valeur – l’égalité de l’accès aux soins – qui structure notre pays.

M. Frédéric Boiron. Permettez-moi pour finir d’évoquer le fonds de soutien mis en place pour sortir des emprunts structurés. Avec beaucoup d’autres, nous estimons que le niveau de sa dotation est absolument insuffisant. Il suffit pour s’en convaincre de comparer son montant, 100 millions d’euros, aux 19 millions d’euros qui seraient nécessaires à l’institut de cancérologie dont j’assure depuis plus d’un an la direction par intérim pour sortir d’un seul des deux petits emprunts structurés qu’il a contractés. Il est indispensable que la dotation du fonds de soutien soit augmentée.

L’ADH estime également que les institutions financières ayant vendu ces contrats de prêts structurés doivent être appelées à contribuer. Les recettes qu’ils retireront des variations de parité entre l’euro et le franc suisse pourraient aussi servir à débarrasser tous les établissements hospitaliers de ces mauvais contrats de prêt.

Mme la coprésidente Gisèle Biémouret, rapporteure. Nous vous remercions, monsieur Boiron, monsieur Got, pour vos contributions.

La séance est levée à douze heures trente.