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Commission des affaires sociales

Commission des affaires sociales

Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Mercredi 24 juin 2015

Séance de 14 heures

Compte rendu n° 13

Présidence de Mme Gisèle Biémouret et de M. Pierre Morange, coprésidents

– Audition, ouverte à la presse, de M. Antoine Durrleman, président de la sixième chambre de la Cour des comptes, M. Pascal Samaran, conseiller maître, et Mme Delphine Champetier de Ribes, conseillère référendaire, sur « la gestion du régime de l’assurance maladie obligatoire par certaines mutuelles » (M. Jean-Pierre Door, rapporteur)

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

MISSION D’ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE
DES LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

Mercredi 24 juin 2015

La séance est ouverte à quatorze heures.

(Présidence de Mme Gisèle Biémouret et M. Pierre Morange, coprésidents de la mission)

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) procède à l’audition, ouverte à la presse, sur « la gestion du régime de l’assurance maladie obligatoire par certaines mutuelles » de M. Antoine Durrleman, président de la sixième chambre de la Cour des comptes, M. Pascal Samaran, conseiller maître, et Mme Delphine Champetier de Ribes, conseillère référendaire.

M. le coprésident Pierre Morange. La MECSS aborde une nouvelle thématique : la gestion du régime obligatoire de l’assurance maladie par certaines mutuelles, laquelle fait l’objet des chapitres XVII et XVIII du rapport de la Cour des comptes sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale de septembre 2013. Nous avons le plaisir d’accueillir à nouveau M. Antoine Durrleman, président de la sixième chambre de la Cour des comptes, accompagné de M. Pascal Samaran, conseiller maître, et Mme Delphine Champetier de Ribes, conseillère référendaire.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur. Comme l’indique votre rapport de 2013, monsieur le président, les coûts de gestion de l’assurance maladie obligatoire par les mutuelles étudiantes sont très supérieurs à ceux qui seraient supportés dans le cas d’une gestion directe par les caisses primaires d’assurance maladie (CPAM). Quelles économies potentielles apporterait une réforme de ce système ? En cas de maintien de celui-ci, quelles évolutions seraient alors nécessaires ? Pouvez-vous nous indiquer les raisons qui sous-tendent vos recommandations ?

M. Antoine Durrleman, président de la sixième chambre de la Cour des comptes. M. Pascal Samaran, conseiller maître, a été rapporteur de l’enquête sur les mutuelles étudiantes, et Mme Delphine Champetier de Ribes, conseillère référendaire, rapporteure de l’enquête sur les mutuelles de fonctionnaires, toutes deux publiées en 2013. M. Pascal Samaran a par ailleurs réalisé une enquête sur le dispositif de référencement lié à la protection sociale complémentaire au bénéfice des agents de l’État, laquelle a donné lieu en 2012 à l’envoi d’un référé du Premier Président de la Cour aux autorités ministérielles concernées.

S’agissant des mutuelles étudiantes, notre constat est sans appel : le système est à bout de souffle.

Il l’est, en premier lieu, au regard du service rendu. Si nous avons pointé les difficultés récurrentes de La mutuelle des étudiants (LMDE), nous avons constaté que les onze mutuelles étudiantes régionales connaissaient, à des degrés variables, les mêmes difficultés. De manière systématique, la qualité du service rendu au bénéfice des étudiants est notablement inférieure à la qualité du service rendu par les caisses primaires d’assurance maladie.

Nous avons documenté de plusieurs manières ces difficultés, d’abord, en termes de délai d’affiliation qui se matérialise par l’envoi tardif d’une carte Vitale à l’assuré. Grâce à un sondage réalisé par Internet, nous avons en effet pu constater l’acuité de ce problème, à savoir des délais d’affiliation considérables, inadmissibles, se traduisant pour un certain nombre d’étudiants par des renoncements aux soins qui peuvent être graves. De son côté, le Défenseur des droits a mis en lumière, dans un rapport de mai 2015, la situation très dégradée de ce qu’on appelle, à tort, le régime étudiant – il s’agit en réalité d’une dévolution de gestion du régime général de l’assurance maladie à des mutuelles étudiantes.

Au demeurant, la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) n’est pas assez exigeante sur la qualité du service. Les contrats pluri-annuels de gestion liant la CNAMTS aux mutuelles étudiantes prévoient des indicateurs, mais dont les champs ne sont pas centrés sur le cœur de l’activité et sont, en quelque sorte, auto-justifiés par les mutuelles sans contrôle approfondi de la part des auditeurs des CPAM.

Ensuite, en termes de réponse aux questions posées par les étudiants, la Cour des comptes a également noté des insuffisances. Ce point était particulièrement marqué à la LMDE lors de notre contrôle : non seulement le service n’est pas rendu, mais aucune explication n’est apportée et aucun moyen n’existe pour obtenir une réponse à des questions légitimes.

C’est donc un service très insatisfaisant, profondément dégradé, que nous avons constaté à la LMDE, mais aussi au sein du réseau EMEVIA, avec une qualité de service des différentes mutuelles dites « régionales » extrêmement hétérogène.

M. le coprésident Pierre Morange. Votre constat est parfaitement lucide : une qualité de service dégradée, nullement à la hauteur des attentes légitimes des étudiants, avec comme conséquence un renoncement à certains soins. Ce renoncement aux soins pourrait impliquer une responsabilité de ces mutuelles, tant au civil qu’au pénal. Des actions en justice ont-elles été intentées ?

M. Antoine Durrleman. Nous n’avons pas documenté ce point. Néanmoins, à la suite de la publication de notre rapport, certaines familles ont fait état, notamment sur les réseaux sociaux, de l’impossibilité d’assurer des soins particulièrement coûteux pour des pathologies graves, ce qui a conduit, au moins dans un cas, à un décès – il s’agissait d’un jeune homme. Nous n’avons pas contrôlé cette information, cela n’entre pas dans nos compétences. D’autres familles ont pointé des retards de remboursement parfois considérables, à l’origine d’un renoncement aux soins, tout comme la délivrance très tardive de la carte Vitale, qui est un frein à l’accès aux soins.

Nous avons documenté le plus objectivement possible ces dysfonctionnements, cette discontinuité, ainsi que l’absence de réponses que ce soit par les plateformes téléphoniques ou par courrier. Au surplus, le système de guichets s’est lui-même recroquevillé, compte tenu des difficultés économiques récurrentes de la LMDE, sans compter qu’il ne correspond pas forcément aux zones de densité des étudiants – certains guichets sont ouverts dans des lieux où la présence étudiante est moindre.

M. le coprésident Pierre Morange. Les exemples cités dans votre rapport à propos de la LMDE donnent le vertige : un appel téléphonique sur quatorze a une chance d’aboutir, 200 000 courriers ne sont pas ouverts. Derrière les chiffres, il y a des tragédies humaines, des tragédies sanitaires.

M. Pascal Samaran, conseiller maître. À partir des données communiquées à la Cour par les mutuelles, nous avons envoyé un mail à 80 000 affiliés et obtenu 3 000 réponses. En plus des réponses aux questions proprement dites, un certain nombre de personnes ont éprouvé le besoin de nous expliquer les difficultés auxquelles elles étaient confrontées, notamment le temps perdu. Le pronostic vital n’est heureusement pas toujours engagé, mais ces témoignages ont montré que les gens perdaient un temps incroyable pour essayer d’obtenir une couverture sociale, en étant amenés à se déplacer dans des lieux éloignés de leur domicile.

Lors de notre contrôle, un affilié sur quatorze avait une chance de pouvoir joindre la LMDE par téléphone, ce qui dit tout de la situation : téléphoner sans que jamais personne ne décroche peut être terriblement exaspérant. Sur la qualité de service, la LMDE était donc particulièrement concernée, même si les autres mutuelles étudiantes de manière générale n’avaient pas un bon taux de décroché.

M. le rapporteur. Vous évoquez dans votre rapport le stock de courriers non ouverts à la LMDE : 300 000 en mars, 200 000 en juin, 80 000 en novembre. Comment expliquer de tels volumes ? Y a-t-il un manque de personnels ?

M. Pascal Samaran. Si les étudiants ne parviennent pas à joindre un opérateur au téléphone, n’obtiennent aucune réponse à leurs courriels ou sont obligés de faire la queue pendant trois heures dans le froid pour rencontrer un guichetier, les gens écrivent – et ils écrivent même deux fois puisqu’ils n’obtiennent pas de réponse à leur premier courrier. Pour traiter tous ces courriers, la LMDE a été obligée de faire travailler ses salariés plusieurs week-ends de suite, mais nous n’avons pas eu la garantie que tous ont été traités, notamment les plus anciens dont nous ne savons pas s’ils ont été traités ou détruits.

M. Antoine Durrleman. Ce qui nous a semblé extrêmement choquant dans cette désorganisation générale, ce sont les coupe-files dont bénéficiaient les étudiants de parents affiliés à la Mutuelle générale de l’Éducation nationale (MGEN) – laquelle garantissait financièrement la LMDE à l’époque – et qui leur permettaient d’obtenir des réponses plus rapides, par courrier ou par téléphone, au détriment de tous les autres étudiants. Ces pratiques sont totalement contraires aux principes du service public applicables dans le cadre de la gestion d’un régime obligatoire de sécurité sociale, qui excluent tout passe-droit.

M. le coprésident Pierre Morange. Quelque 1,8 million d’étudiants sont pris en charge, pour 800 millions d’euros de remboursement et des coûts de gestion quatre à cinq fois supérieurs à ceux de l’assurance maladie. Cela pose question au regard des valeurs de solidarité et d’équité de traitement, sachant qu’une partie des bénéfices a été redistribuée sous forme d’intéressement, votre rapport évoquant une somme de 2 millions d’euros.

M. Antoine Durrleman. Je ne crois pas que nous ayons évoqué des redistributions de sommes. Notre contrôle s’est étroitement circonscrit au champ de nos compétences, en l’occurrence la gestion du régime obligatoire de l’assurance maladie. Nous n’avons pas examiné la gestion des régimes complémentaires qui ne sont pas obligatoires, que ces mutuelles assurent par ailleurs, même si nous avons constaté les limites d’une comptabilité analytique qui tend à faire porter les charges, d’abord, sur la gestion du régime obligatoire et, très marginalement, sur la gestion de la couverture complémentaire, ce qui déforme naturellement la structure des coûts.

En termes de relations avec les usagers, nous avons constaté le très insuffisant développement des plateformes pour répondre aux courriers électroniques. Tous les régimes obligatoires de sécurité sociale sont aujourd’hui dotés de capacités de réponses très opérationnelles aux courriels envoyés par les assurés. Les mutuelles étudiantes, au moment de notre enquête fin 2012 début 2013, n’avaient pas du tout atteint le même niveau de maturité en matière de dématérialisation, puisque nous avons constaté des pratiques quasiment préhistoriques et un réel retard de modernisation, la part du papier restant très importante dans le traitement des remboursements, le mode de communication avec l’assuré restant très traditionnel et nullement adapté aux difficultés rencontrées par cette population.

M. le coprésident Pierre Morange. Je me permets de revenir sur ma dernière remarque. Dans un autre ouvrage, il est indiqué que, selon la Cour des comptes, 2,2 millions d’euros d’intéressement ont été versés aux salariés entre 2007 et 2011, alors que la LMDE perdait dans le même temps 3,8 millions d’euros.

M. Antoine Durrleman. Cela est tout à fait exact : ces chiffres figurent dans notre rapport. Ce dispositif d’intéressement mis en place par la LMDE était fondé sur la vente des contrats complémentaires, alors que cette logique d’intéressement ne comportait aucun critère lié à la qualité de la gestion de l’assurance maladie obligatoire. Cela nous a semblé totalement anormal : une logique d’intéressement pour des salariés dont la mission première est la gestion du régime obligatoire implique que le critère prioritaire soit lié à la gestion de ce régime obligatoire, et non à la progression des ventes de contrats complémentaires.

M. le rapporteur. Vous notez que seuls 26 % des étudiants ont acquis une complémentaire, cette garantie étant financièrement peu intéressante.

M. Pascal Samaran. Malgré les efforts des mutuelles étudiantes pour proposer ces produits, une minorité d’étudiants souscrit une garantie complémentaire. Heureusement, la plupart des étudiants ne sont pas malades, si bien qu’ils n’ont pas forcément le réflexe de souscrire une couverture complémentaire. Ainsi, les produits des mutuelles sont peu commercialisés et, contrairement à ce que les mutuelles prétendent, ils ne sont pas particulièrement bon marché.

Les difficultés rencontrées par la LMDE ont entraîné une détérioration de ses résultats. Pour éviter une baisse de l’intéressement due à cette détérioration, la formule d’intéressement a été changée pour maintenir la motivation des salariés.

M. le coprésident Pierre Morange. Cela est totalement paradoxal. Les problématiques de comptabilité analytique ont, semble-t-il, par ailleurs abouti à une mauvaise lisibilité en la matière. Sans l’entrée en vigueur de la directive européenne dite « solvabilité II », la transparence en matière d’informations financières aurait pu être renvoyée à plus tard. Quel est votre sentiment sur le sujet ?

M. Antoine Durrleman. C’est le deuxième point de notre constat, à savoir des coûts de gestion excessifs, car largement supérieurs à ceux des caisses primaires d’assurance maladie.

La comptabilité analytique des mutuelles étudiantes tend à faire porter sur la gestion des régimes obligatoires l’essentiel des coûts de gestion. Au fond, les mutuelles considèrent l’activité des complémentaires comme leur cœur de métier et l’activité de gestion du régime général comme une activité en plus, si bien qu’elles font porter sur cette dernière l’essentiel des coûts, jugeant les coûts spécifiques à l’activité des complémentaires marginaux. En réalité, les mutuelles étudiantes sont de fausses mutuelles : elles ont été créées uniquement pour gérer le régime obligatoire au bénéfice des étudiants – leur offre de complémentaires, au demeurant de qualité moyenne, est intervenue assez tardivement et constitue ainsi une activité supplémentaire. Dans ce contexte, on constate à une sous-évaluation des coûts de gestion des complémentaires et une surévaluation des coûts du régime obligatoire – surévaluation utilisée par l’ensemble des mutuelles comme levier de négociation vis-à-vis de la CNAMTS pour négocier leurs remises de gestion.

Ainsi, nous avons constaté que la rémunération versée aux mutuelles ces dernières années était avantageuse au regard du coût unitaire de gestion des CPAM, d’autant plus avantageuse qu’une série d’abattements sur les coûts de gestion des mutuelles fausse la comparaison entre coûts de gestion des CPAM et coûts de gestion des mutuelles étudiantes.

M. le coprésident Pierre Morange. Un rapport de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) de 2011 indique que les mutuelles disposent en actif dans leur bilan de 25 milliards d’euros de placements – composé aux trois-quarts d’obligations, et le reste d’actions et d’actifs immobiliers –, soit 208 % de la valeur de leurs provisions, bien au-delà de ce que la réglementation impose en matière prudentielle. À titre de comparaison, les instituts de prévoyance ont un taux de placement de 121 % de leurs provisions et les sociétés d’assurance de l’ordre de 110 %.

Ainsi, des bénéfices tout à fait considérables sont dégagés du fait de l’importance des masses financières placées. Avez-vous pu vérifier ce point ?

M. Antoine Durrleman. Nous n’avons pas contrôlé organiquement toutes ces mutuelles. S’agissant de la LMDE, la question des réserves ne se posait pas : elle n’avait que des dettes, ce qui a amené l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution à la mettre sous tutelle en juillet 2014, malgré la garantie apportée par la MGEN.

M. le coprésident Pierre Morange. Une estimation patrimoniale des biens des mutuelles a-t-elle été réalisée ?

M. Antoine Durrleman. Nous n’avons pas documenté ce point.

M. le rapporteur. La page 525 de votre rapport montre un tableau présentant les coûts de gestion unitaires de l’assurance maladie obligatoire par catégories d’organisme. De quoi s’agit-il exactement ?

M. Antoine Durrleman. Il s’agit du coût de gestion annuel par assuré social, en euros.

M. le rapporteur. Quel est le coût moyen d’un dossier d’assurance maladie ?

Mme Delphine Champetier de Ribes, conseillère référendaire. À l’époque où nous avons réalisé le contrôle, le coût moyen d’un dossier d’assurance maladie de la CNAMTS s’élevait à 43,07 euros. Pour les mutuelles des fonctionnaires, ce coût était de 51 euros pour la MGEN, de 63 euros pour la MFP (Mutuelle fonction publique) Services, et de 54 euros pour la MNH (Mutuelle nationale des hospitaliers). Je ne dispose pas des données équivalentes pour les mutuelles étudiantes.

M. le rapporteur. S’agissant des mutuelles étudiantes, le coût était cependant beaucoup plus élevé.

M. Antoine Durrleman. Nous avons effectivement noté un coût beaucoup plus élevé : la remise de gestion, c’est-à-dire les frais de gestion que la CNAMTS accepte d’acquitter pour la gestion effectuée par ces mutuelles, était beaucoup plus élevée qu’elle n’aurait dû l’être. Dans une logique de sous-traitance, la CNAMTS devrait acheter le service au prix de son propre fonctionnement, ce qui n’est pas du tout le cas avec les mutuelles où elle paie beaucoup plus cher que si elle gérait elle-même.

M. le rapporteur. Cela représente donc un coût pour l’assurance maladie.

M. Antoine Durrleman. Le coût est réel pour l’assurance maladie. Nous l’avons chiffré à 70 millions d’euros.

M. le coprésident Pierre Morange. Votre rapport indique effectivement que la CNAMTS estime à 69 millions d’euros l’économie qui résulterait pour l’assurance maladie, si elle gérait elle-même le régime obligatoire étudiant, soit les deux tiers des remises de gestion actuelles.

M. Antoine Durrleman. Depuis, ce dossier a évolué à deux titres. La première évolution est liée à la renégociation du montant de la remise de gestion. Cette remise de gestion était beaucoup trop élevée, d’autant plus qu’avait été rajoutée au tarif fixé à 52 euros par assuré une participation complémentaire de l’assurance maladie de 2,77 euros par assuré pendant deux ans. En 2011-2012, ce bonus de frais de gestion donnait donc une somme de 54,77 euros. À la suite de notre rapport, la CNAMTS a renégocié cette remise de gestion des mutuelles étudiantes afin de la ramener, par palier jusqu’en 2017, à 46 euros par dossier. Néanmoins, de notre point de vue, compte tenu des progrès de productivité réalisés dans le même temps par les caisses primaires d’assurance maladie, même à 46 euros, cette remise de gestion laisse perdurer un coût pour l’assurance maladie.

M. le coprésident Pierre Morange. Dans le cadre d’un effort de rationalisation de ses dépenses, la LMDE a décidé une contraction de sa masse salariale à raison de 150 personnes. Ces dernières ont bénéficié, au titre des indemnités de sortie, de gratifications importantes correspondant au double des prévisions. Or j’ai cru comprendre que les 150 personnes ont été quelques mois plus tard remplacées. Finalement, cette opération équivaut à une double pénalité.

M. Pascal Samaran. Dans le cadre d’un effort de réorganisation, la LMDE a engagé un cabinet de conseil qui a monté une opération de restructuration afin de lui permettre de se séparer d’un certain nombre de salariés, notamment de tous ceux qui refusaient de travailler dans les nouvelles conditions instaurées. In fine, la LMDE a payé des indemnités de licenciement relativement élevées, tout en gardant le même nombre de salariés qu’auparavant. Effectivement, c’est une opération perdante.

M. Antoine Durrleman. La LMDE n’est pas la seule mutuelle étudiante à avoir été confrontée à de graves difficultés de gestion. La mutuelle régionale VITTAVI a connu également une situation financière très compromise dans les années 2008-2012 : elle s’est retrouvée en cessation de paiement, ce qui a conduit à la nomination d’un administrateur provisoire et à la nécessité d’une restructuration. Les autres mutuelles étudiantes sont également dans une situation fragile, même si certaines le sont moins que d’autres.

M. le coprésident Pierre Morange. Votre argumentaire est particulièrement sévère s’agissant des mutuelles étudiantes. Qu’en est-il des mutuelles de fonctionnaires, qui représentent quelque 7 milliards d’euros de dépenses de santé pour 6 millions de bénéficiaires ?

M. Antoine Durrleman. Les mutuelles de la fonction publique – d’État, territoriale ou hospitalière – posent des questions à la fois semblables et différentes.

Ces mutuelles sont plus puissantes. Historiquement, elles représentent un réseau antérieur à la création de la sécurité sociale – les mutuelles étudiantes ont été créées seulement après en 1948, afin de gérer le régime étudiant. Le compromis de 1945, qui a présidé à la création de la sécurité sociale, a permis aux mutuelles de la fonction publique de gérer le régime obligatoire de l’assurance maladie et, dans le même temps, de développer une offre de couverture complémentaire, ce qui présentait l’intérêt pour les fonctionnaires de s’adresser à une seule caisse et de recevoir un seul décompte de remboursement. Pour autant, ces dispositifs connaissent aujourd’hui des difficultés.

Ces difficultés sont, pour partie, du même ordre que celles des mutuelles étudiantes. D’abord, la qualité de service est très inégale, certaines mutuelles fonctionnant bien, d’autres beaucoup moins.

Mme Delphine Champetier de Ribes. Lors du contrôle de la Cour, certaines mutuelles présentaient une qualité de gestion satisfaisante à l’inverse d’autres. Parmi celles dont la qualité de gestion et de service était beaucoup moins satisfaisante, l’exemple le plus marquant était la mutuelle de la Ville de Paris, avec un accueil des usagers très limité, des délais de traitement des dossiers particulièrement longs par rapport aux autres mutuelles et au réseau de la CNAMTS notamment en raison d’une gestion artisanale, qui privilégie le format papier et présente peu de réactivité dans la réponse aux usagers.

M. Antoine Durrleman. Nous avons également noté une mauvaise qualité de la liquidation, c’est-à-dire du traitement des prestations d’assurance maladie obligatoire par les mutuelles. Dans le cadre de la certification des comptes du régime général de sécurité sociale, nous sommes amenés à maintenir une réserve sur la qualité de la gestion de ces mutuelles. Pour l’exercice 2014, le rapport de la Cour, qui vient d’être remis au Parlement, indique que « les dispositifs visant à sécuriser la liquidation des prestations en nature par les mutuelles gestionnaires du régime obligatoire (7,9 milliards d’euros) ne permettent pas de disposer d’une assurance raisonnable sur l’efficacité du contrôle interne mis en œuvre par les mutuelles. Les résultats des tests réalisés sur deux systèmes d’information distincts de celui de la CNAMTS, couvrant près de 70 % des bénéficiaires, font apparaître une fréquence d’anomalies significative qui crée une incertitude sur la fiabilité de la liquidation des prestations en nature. » Ainsi, cette fiabilité insuffisante engendre des risques financiers, des risques d’erreurs et d’anomalies, possiblement de fraude, lesquels ne sont absolument pas maîtrisés par les mutuelles. Nous soulignons cet élément d’année en année, pour faire pression à la fois sur la CNAMTS et sur les mutuelles, car nous considérons que la CNAMTS ne contrôle pas suffisamment la qualité de traitement des prestations par ses délégataires. Voilà pourquoi nous maintenons systématiquement un élément de réserve sur les comptes de la branche maladie depuis l’exercice 2012.

Pour autant, la situation n’est pas aussi dégradée que celle que nous avons observée pour les mutuelles étudiantes, même si certaines petites mutuelles de fonctionnaires rencontrent de vraies difficultés à assurer convenablement leur mission.

Deuxième constat similaire avec les mutuelles étudiantes : les remises de gestion des mutuelles des agents publics restent avantageuses. Certes, elles ont baissé, et beaucoup plus nettement que celles des mutuelles étudiantes. Néanmoins, il existe une course-poursuite entre les progrès de productivité des mutuelles des agents publics et les progrès de productivité considérables de la branche maladie de la CNAMTS. Par conséquent, en quelque sorte, plus l’horizon semble se rapprocher, plus en réalité il s’éloigne… Or un grand nombre de ces mutuelles étant de très petite taille, il leur est de plus en plus difficile de poursuivre cette course à la productivité. En particulier, les coûts de leurs systèmes d’information deviennent asphyxiants, les traitements informatiques devant non seulement être extrêmement puissants, mais aussi évoluer en permanence du fait des modifications permanentes de la réglementation.

M. le coprésident Pierre Morange. Avez-vous pu examiner en détail les coûts informatiques des mutuelles ?

Mme Delphine Champetier de Ribes. Leur situation incite certaines mutuelles de fonctionnaires à utiliser le dispositif d’Infogérance de la CNAMTS, moyennant une évaluation différente de leur coût de remise de gestion. Pour elles, c’est le seul moyen de maîtriser un peu mieux leurs coûts de gestion.

Les coûts informatiques les conduisent à réfléchir à une mutualisation de leurs moyens, en particulier à la création éventuelle d’un niveau supplémentaire de coordination. Des systèmes d’information couvrant davantage de bénéficiaires devraient leur permettre de limiter leur coût global.

M. le rapporteur. La Cour est-il favorable à ce regroupement des mutuelles de fonctionnaires ?

M. Antoine Durrleman. Il ne nous appartient pas de dire aux mutuelles ce qu’elles doivent faire. Nous constatons que dans la mesure où elles sont dans une situation financière extrêmement fragile, la plupart d’entre elles ne pourront pas rester autonomes, n’ayant plus les moyens de financer les développements informatiques nécessaires aux évolutions qui s’imposent à elles. Par conséquent, soit elles se regrouperont, soit elles disparaîtront.

Le dispositif d’Infogérance est, pour nous, une question très problématique – car il semble que tout change pour que rien ne change… En réalité, la CNAMTS va continuer de payer des remises de gestion à une mutuelle qui va sous-traiter le traitement de ses prestations à une caisse primaire d’assurance maladie, laquelle va lui tarifer ce service à un coût marginal. En effet, une caisse primaire est tout à fait capable, grâce à ses gains constants de productivité, d’absorber cette tâche complémentaire avec un surcoût marginal. À titre d’exemple, la Mutuelle nationale des hospitaliers (MNH) a transféré à une CPAM la gestion des prestations en nature de ses assurés. Elle reçoit une remise de gestion et est ainsi fortement bénéficiaire. C’est du maquillage de façade, si vous me permettez cette expression !

M. le coprésident Pierre Morange. L’assurance maladie a-t-elle la capacité d’assurer la prestation de cette Infogérance pour l’ensemble du paysage mutualiste ?

M. Antoine Durrleman. Elle le fait pour certaines mutuelles et elle va l’assurer pour la LMDE. En effet, dans quelques semaines, elle reprendra la gestion du régime obligatoire des 900 000 étudiants de la LMDE, en concentrant les dossiers sur trois caisses primaires, ce qui lui permettra de rétablir l’émission de cartes Vitale dans des délais serrés, d’assurer les remboursements avec la même célérité que pour les autres assurés, et de faire bénéficier les étudiants d’une ligne téléphonique dédiée. Bref, elle va rétablir un service tel qu’il aurait dû exister. En contrepartie, elle va intégrer dans ses effectifs 480 salariés de la LMDE, qui vont conserver leur statut, et dont en réalité elle n’a pas besoin.

En termes de capacité de traitement, la CNAMTS serait capable d’intégrer, éventuellement par paliers, les 6 millions de personnes couvertes par les mutuelles de fonctionnaires. En revanche, se pose la question du devenir des agents qui gèrent actuellement ce régime d’assurance maladie obligatoire au sein de ces mutuelles. En effet, 480 salariés par rapport aux quelque 80 000 agents de l’assurance maladie régime général, c’est l’ « épaisseur du trait », mais si l’on prend en compte la totalité des agents affectés au traitement des prestations des fonctionnaires, c’est différent ! Mais cela est possible dans le temps.

M. le coprésident Pierre Morange. À combien s’élèverait le nombre total des agents de l’ensemble des mutuelles à réintégrer, en tenant compte de la pyramide des âges ?

M. Antoine Durrleman. Nous n’avons pas fait ce calcul. Notre recommandation est d’aller dans cette direction, sans doute par paliers. Nous pensons que le nombre d’agents serait de 5 000 ou 6 000, mais ce point mérite d’être étudié.

Dans le cadre de sa convention d’objectifs et de gestion 2014-2017, la CNAMTS s’est engagée à rendre de nouveau des emplois. Elle le fait depuis plusieurs années. De cet organisme, au sein de la sécurité sociale, elle est plutôt le bon élève de la classe.

M. le coprésident Pierre Morange. Il y a dix ans, plus de 100 000 personnes travaillaient à l’assurance maladie. En tant que président du conseil de surveillance de la CNAMTS, j’avais demandé le non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux du fait de la télétransmission.

M. Antoine Durrleman. Il reste des marges qui sont progressivement dégagées.

En termes de simplification de gestion, la diminution des coûts de gestion globaux de l’assurance maladie nous semble importante. En effet, malgré des efforts indéniables, les coûts de gestion globaux sont encore élevés, en raison notamment de la multiplicité des régimes d’assurance maladie. On ajoute des coûts à des coûts, alors que les capacités de traitement actuelles permettent de comprimer fortement ces coûts de gestion.

Mme la coprésidente Gisèle Biémouret. Les mutuelles gèrent aussi une protection sociale complémentaire. Les remboursements se font-ils en temps voulu ? J’ai entendu dire que des établissements de santé publics refusaient certaines complémentaires sachant qu’ils seront remboursés dans des délais excessifs. J’ignore si les mutuelles dont nous parlons aujourd’hui ont ce problème, mais en tout cas, cela peut pénaliser l’usager.

M. Antoine Durrleman. Il existe une trentaine de mutuelles de la fonction publique – une vingtaine pour les fonctionnaires d’État, une dizaine pour les agents hospitaliers et territoriaux. Les situations sont assez différentes.

Du fait de l’évolution des systèmes d’information, le couplage du remboursement des dépenses du régime obligatoire et du régime complémentaire, qui était l’un des avantages du système des mutuelles de fonctionnaires, tend à disparaître. En effet, l’assurance maladie a développé une logique un peu autonome, dont se plaignent les mutuelles, logique nouvelle à l’origine de cette tendance à la dissociation de ces deux remboursements. En principe, un système de normes permet de faire le lien entre part obligatoire et part complémentaire. Néanmoins, un certain nombre de dysfonctionnements ont, en effet, été constatés.

M. le rapporteur. S’agissant des mutuelles étudiantes, vous avez formulé dans votre rapport quatre recommandations.

La première est de reconsidérer la situation. Nous avons compris, au travers de votre propos, que cela devrait être réglé dans les semaines à venir.

Dans la deuxième, vous hésitez entre le maintien du rattachement des étudiants au régime de leurs parents et l’affiliation à la sécurité sociale étudiante. Votre argumentaire signifie-t-il qu’il faudrait opter pour la première solution ?

M. Antoine Durrleman. Non, la recommandation prioritaire de la Cour est la reprise de la gestion du régime d’assurance maladie obligatoire des populations concernées – étudiants comme fonctionnaires – par l’assurance maladie. C’est seulement si l’on pense que c’est trop violent, que nous proposons la version intermédiaire que vous venez d’indiquer.

M. le coprésident Pierre Morange. Nous aurons l’occasion de vous entendre prochainement sur l’open data médical, mais aussi la sécurité informatique des systèmes des mutuelles, sujet sur lequel nous souhaiterions avoir une contribution écrite de votre part.

M. Antoine Durrleman. Je vous ferai savoir si nous sommes en mesure de répondre sur ce dernier point, car cela dépendra des audits informatiques que nous faisons réaliser dans le cadre de la certification des comptes de la sécurité sociale qui se met progressivement en place.

La séance est levée à quinze heures.