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Commission des affaires sociales

Commission des affaires sociales

Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Mercredi 16 septembre 2015

Séance de 14 heures

Compte rendu n° 16

Présidence de M. Pierre Morange, coprésident

– Audition, ouverte à la presse, de M. Jacques Toubon, Défenseur des droits, accompagné de Mme Christine Jouhannaud, directrice du département Protection sociale, travail et emploi, M. Adrien Cagniard, chargé de mission au pôle Protection sociale et solidarité, et Mme France de Saint Martin, chargée des relations avec les élus, sur « la gestion du régime de l’assurance maladie obligatoire par certaines mutuelles » (M. Jean-Pierre Door, rapporteur)

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

MISSION D’ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE
DES LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

Mercredi 16 septembre 2015

La séance est ouverte à quatorze heures dix.

(Présidence de M. Pierre Morange, coprésident de la mission)

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) procède à l’audition, ouverte à la presse, sur « la gestion du régime de l’assurance maladie obligatoire par certaines mutuelles » de M. Jacques Toubon, Défenseur des droits, accompagné de Mme Christine Jouhannaud, directrice du département Protection sociale, travail et emploi, M. Adrien Cagniard, chargé de mission au pôle Protection sociale et solidarité, et Mme France de Saint Martin, chargée des relations avec les élus.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur. Monsieur le Défenseur des droits, je vous remercie d’avoir répondu favorablement à notre invitation. La MECSS mène une mission d’information sur la gestion du régime de l’assurance maladie obligatoire par certaines mutuelles, parmi lesquels les mutuelles étudiantes, mais également celles de la fonction publique.

M. le coprésident Pierre Morange. Le sujet a défrayé la chronique et suscité nombre de rapports. La Cour des comptes s’est notamment penchée sur la question. Je vous remercie, monsieur le Défenseur des droits, d’avoir bien voulu vous prêter à cette audition et vous prie d’excuser la coprésidente de la MECSS, Mme Gisèle Biémouret, qui n’a pu être présente.

En mai 2015, vous avez rendu un rapport intitulé « Accès des étudiants aux soins : leur protection sociale est-elle à la hauteur des enjeux ? » dans lequel vous analysez plus d’un millier de témoignages et formulez plusieurs préconisations. Nous souhaiterions en avoir une présentation synthétique.

M. le rapporteur. Dès les premières phrases du résumé de ce rapport récent, vous indiquez avoir reçu des « réclamations » de la part des étudiants ou de leurs familles et constaté l’existence de « sérieuses défaillances » dans ce système. Vous poursuivez en pointant les « ruptures de droits » à la sécurité sociale qui « ne sont pas anodines » et qui « aboutissent à des situations de renoncement aux soins de la part des étudiants ». Quelles sont les principales difficultés rencontrées par les mutuelles étudiantes et à quels dysfonctionnements donnent-elles lieu ? Que préconisez-vous pour y remédier ?

M. Jacques Toubon, Défenseur des droits. Je suis très sensible au fait que vous ayez pris en considération le travail effectué par le Défenseur des droits. Après avoir reçu de nombreuses réclamations, nous avons lancé un appel à témoignages, nous inspirant de ce que nous avions fait il y a quelques années sur la question de l’accès aux cantines scolaires. La synthèse des témoignages recueillis entre fin 2014 et février 2015 a donné lieu à un travail qui traduit ce qui nous a été communiqué.

Les principales difficultés – et les principales recommandations, car les deux sont liées – sont de deux types : il faut d’une part s’interroger sur l’effectivité de l’accès des étudiants aux droits sociaux, et de l’autre, se demander, si du fait de la gestion particulière de leurs mutuelles, les étudiants bénéficient de moins de droits que les autres assurés sociaux.

En matière d’effectivité de l’accès aux droits, les difficultés renvoient d’abord au processus d’affiliation – l’entrée dans le système de la protection sociale –, marquée par des délais trop longs, des ruptures du parcours de soins coordonnés qui aboutissent à des sanctions injustifiées pour les étudiants et à la situation préoccupante des étudiants atteints d’affections de longue durée (ALD). Ensuite, il existe des défaillances dans la gestion de ces mutuelles : production de cartes Vitale inutilisables, retards de remboursements et risques particuliers pour les étudiants étrangers ou les étudiants français à l’étranger. L’effectivité des soins n’est donc pas toujours assurée dans la mesure où le processus d’affiliation des étudiants à leur sécurité sociale propre est émaillé de ruptures de droits totales ou partielles.

Je recommande tout d’abord aux mutuelles étudiantes de mettre en œuvre toute solution permettant d’améliorer les délais d’affiliation des étudiants à la sécurité sociale. L’affiliation court normalement du 1er octobre d’une année au 30 septembre de l’année suivante et doit être renouvelée chaque année. Il ressort de l’examen des réclamations et de l’appel à témoignages que nous avons lancé que les mutuelles étudiantes ne sont pas en mesure d’affilier l’ensemble des étudiants à leur sécurité sociale au 1er octobre. Certains étudiants attendent même parfois plusieurs mois avant d’obtenir leur affiliation. Or un étudiant non affilié se trouve en rupture de droits à la sécurité sociale : il ne pourra pas obtenir le remboursement de ses dépenses de santé, ni se servir de sa carte Vitale, ni bénéficier du tiers payant, ni obtenir la délivrance d’une attestation de droits à la sécurité sociale – document qui lui sera demandé lorsqu’il fera des stages dans le cadre de son cursus universitaire. Il s’agit donc d’un défaut majeur et il faut parvenir à faire respecter la date du 1er octobre.

Le non-respect du parcours de soins coordonnés conduit également les étudiants à être injustement sanctionnés. Nous recommandons donc d’assurer l’effectivité de la transmission des informations relatives à l’étudiant au moment du transfert de son dossier, notamment en matière de déclaration de médecin traitant et surtout en cas d’ALD. Le parcours de soins coordonnés impose de déclarer son médecin traitant ; or selon une circulaire de la direction de la sécurité sociale (DSS), si l’étudiant l’avait déjà fait auprès du régime de sécurité sociale dont il dépendait avant le début de ses études, il appartient à la mutuelle – qu’on appelle « caisse prenante » – d’aller chercher elle-même cette information auprès de la « caisse cédante », sans solliciter l’intervention de l’assuré. L’appel à témoignages a révélé qu’à peu près 20 % des étudiants avaient éprouvé des difficultés à déclarer leur médecin traitant auprès de leur mutuelle – fait que confirment les dossiers de réclamation dont nous disposons. Soit la mutuelle ne prend pas en compte, au moment de la mutation entre les régimes, la déclaration de médecin traitant déjà effectuée par l’étudiant auprès de sa précédente caisse de sécurité sociale, en méconnaissance de la circulaire, soit elle égare ou ne prend pas en compte la déclaration que lui communique l’étudiant. Celui-ci n’est alors plus considéré comme respectant le parcours de soins coordonnés et subit donc des sanctions telles que la minoration du montant de ses remboursements.

La situation des étudiants atteints d’ALD est particulièrement préoccupante. Ces étudiants bénéficient évidemment, comme tout autre assuré dans ce cas, de la prise en charge à 100 % et du tiers payant – dispositifs indispensables. Mais pour faire valoir leurs droits, ils doivent être affiliés sans retard à leur sécurité sociale. Or d’une part, ces étudiants pâtissent des retards d’affiliation déjà mentionnés et s’ils ne sont pas affiliés en temps utile, ils se trouvent privés de tout droit à la sécurité sociale, ce qui est dramatique lorsqu’on est atteint d’une ALD. Ils doivent soit payer eux-mêmes pour leurs soins, soit renoncer à se soigner. D’autre part, ils se voient souvent délivrer par erreur une attestation de droits à la sécurité sociale classique et non une attestation spécifique ALD ; ils se retrouvent alors en rupture partielle de droits. Ainsi, ils ne bénéficient pas du tiers payant et doivent demander le remboursement de leurs frais par un formulaire papier.

En matière de gestion de l’assurance maladie et maternité des étudiants, les défaillances sont également persistantes. Il a été beaucoup question dans la presse des cartes Vitale inutilisables. À seize ans, tout assuré social se voit délivrer une carte Vitale qui a vocation à être conservée tout au long de l’affiliation à la sécurité sociale, même en cas de changement de régime. Les assurés qui entrent dans le régime étudiant devraient normalement effectuer une simple mise à jour de leur carte – des machines sont disponibles à cet effet dans les pharmacies – de manière à être pris en charge à partir du 1er octobre. En réalité, les mutuelles étudiantes peinent à exploiter les cartes Vitale dont disposent les étudiants et invitent ceux-ci à s’en faire établir de nouvelles. Les 1 500 réponses recueillies au travers de l’appel à témoignages – un échantillon conséquent même si non statistiquement représentatif – révèlent que 36 % des personnes ayant répondu ont éprouvé des difficultés pour obtenir une carte Vitale opérationnelle, et les réclamations individuelles confirment ce constat. Cela conduit à une inflation des démarches administratives : l’étudiant doit transmettre un formulaire, une photographie, une copie de sa pièce d’identité, etc. Dans l’attente de sa nouvelle carte, il doit demander le remboursement de ses soins de santé à l’aide de formulaires papier, avec toutes les difficultés que cela implique ; il ne peut pas bénéficier du tiers payant, ce qui constitue une circonstance aggravante lorsqu’il souffre d’une ALD ou bien lorsqu’il est bénéficiaire de la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C).

Les retards de remboursement, pénalisants pour les étudiants et les professionnels de santé, représentent un autre point préoccupant. Ainsi, 57 % des étudiants qui ont répondu à l’appel à témoignages avaient souffert de difficultés dans ce domaine. La carte Vitale permet d’être remboursé dans un délai de cinq jours ; en son absence, les étudiants sont obligés d’utiliser des formulaires papier et les délais s’allongent. Les réclamations individuelles portent bien souvent sur l’absence de remboursement à la suite de la transmission de ces formulaires. En effet, le caractère automatique des remboursements via la carte Vitale est un système plus efficace. Les étudiants sont donc pénalisés, s’agissant du remboursement de leurs dépenses, à la fois par le retard de leur affiliation et – lorsqu’ils sont affiliés – par celui de la possibilité d’utiliser une carte Vitale. Cela touche également les professionnels de santé qui doivent faire, à la demande des étudiants, de la paperasse supplémentaire, alors que leur relation avec les patients devrait porter sur des questions médicales. En effet, l’étudiant sera obligé de les solliciter pour obtenir des duplicatas de prescriptions ou de feuilles de soins égarées par la mutuelle. Certains professionnels de santé refusent d’accorder le bénéfice du tiers payant aux étudiants, compte tenu des difficultés qu’ils éprouvent à obtenir le paiement de leurs prestations de la part des mutuelles. Ce problème est, là encore, particulièrement aigu pour les étudiants atteints d’ALD et les bénéficiaires de la CMU-C.

Enfin, la gestion de ces mutuelles présente des risques particuliers pour les étudiants étrangers ou en formation à l’étranger. Nous recommandons d’assurer le traitement rapide des demandes de cartes européennes d’assurance maladie (CEAM) et, dans l’attente, de délivrer sans délai une attestation provisoire de droits. Nous préconisons également de mettre en œuvre un dispositif spécifique d’information à l’intention des étudiants étrangers hors Union européenne qui souhaitent s’affilier à la sécurité sociale, compte tenu de la complexité et du coût des démarches qu’ils doivent réaliser à cette fin. Les étudiants français qui partent à l’étranger se heurtent à des difficultés pour obtenir la CEAM ; quant aux étudiants étrangers qui viennent étudier en France, ils doivent se faire immatriculer – c’est-à-dire se faire délivrer un numéro de sécurité sociale – avant de pouvoir s’affilier à la sécurité sociale étudiante. Pour y parvenir, ils doivent traduire des documents, apostiller ou légaliser leur pièce d’état civil ; ces procédures sont longues et complexes, et l’immatriculation de l’étudiant étranger se produit parfois alors qu’il a déjà quitté l’établissement français où il a étudié ! Pendant toute cette période, ces étudiants sont bien entendu en rupture de droits à la sécurité sociale, ce qui est inadmissible.

Ces difficultés en matière d’affiliation et de gestion de ces mutuelles montrent que l’effectivité des droits est loin d’être toujours assurée. Reste à se demander si, en tant qu’usager du service public de la sécurité sociale, l’étudiant affilié à une mutuelle étudiante bénéficie de moins de droits que les autres assurés sociaux. D’abord, contacter sa mutuelle représente une opération pleine d’embûches : les réponses sont insuffisantes et le contrôle des décisions, mal assuré ; les étudiants ignorent de quelles voies de recours ils disposent. Ensuite, l’information des étudiants sur leurs droits à la sécurité sociale n’est pas satisfaisante : l’information institutionnelle est variable et lacunaire ; de plus, on ne peut que s’interroger sur la compatibilité entre la mission de service public confiée à ces mutuelles et les activités marchandes qu’elles sont par ailleurs autorisées à réaliser.

Tout d’abord, les réponses apportées par les mutuelles ne sont pas à la hauteur des attentes des étudiants, tant sur le plan quantitatif – leurs démarches restent trop souvent sans réponse ou non suivies d’effet, l’étudiant ne recevant qu’une réponse automatique – que sur le plan qualitatif. Le constat reste le même quels que soient les moyens de communication utilisés par l’étudiant : appel téléphonique, visite à une agence, courriel ou courrier postal. De nombreux étudiants nous indiquent que leurs interlocuteurs au téléphone disposent d’un accès très limité à leur dossier et ne sont donc pas en mesure de les renseigner. Les échanges de pièces qui s’effectuent entre les étudiants et les mutuelles concernent régulièrement des documents originaux : prescriptions, feuilles de soins, déclaration de médecin traitant. Or lorsque ces derniers sont égarés, il est particulièrement difficile à l’étudiant de prouver leur envoi ; dès lors, il doit s’en procurer de nouveaux, en sollicitant le professionnel de santé. Ainsi, une des mutuelles concernées envoie systématiquement ce courriel aux étudiants qui se manifestent après qu’une première demande de remboursement est restée sans réponse : « Nous vous invitons à bien vouloir patienter pendant un délai de quinze jours. Au-delà de ce délai, si vous ne constatez aucun remboursement de notre part, nous vous invitons à nous faire parvenir un duplicata de vos feuilles de soins, à réclamer auprès du professionnel de santé ayant émis l’original. » Kafka n’est pas loin ! La mutuelle ne remplit pas ses obligations et demande à l’étudiant de faire son travail à sa place. C’est pourquoi nous préconisons, dans notre recommandation n° 7, d’engager une réflexion sur la possibilité de remettre aux étudiants un récépissé sous forme papier ou électronique, attestant des démarches accomplies par téléphone ou par une visite en agence. Il serait souhaitable d’étendre ce récépissé aux envois de demandes de remboursement de soins. Notre recommandation n° 8 – renforcer la formation du personnel des mutuelles étudiantes pour améliorer significativement la qualité des réponses apportées – devrait répondre à cette même difficulté.

Le contrôle hiérarchique ou juridictionnel des décisions prises par les mutuelles représente un autre sujet important. L’information en matière de voies de recours s’avère insuffisante et doit être développée. Dans les régimes de sécurité sociale classiques, tels que le régime général, le régime social des indépendants (RSI) ou la mutualité sociale agricole (MSA), les assurés peuvent saisir une commission de recours amiable au niveau de la caisse, puis le tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS). Parmi les étudiants qui ont répondu à l’appel à témoignages, 84 % indiquent qu’aucune information ne leur a été délivrée en matière de voies et délais de recours pour contester une décision de rejet prise par la mutuelle, dont ils auraient fait l’objet. Par ailleurs, il semblerait que les mutuelles étudiantes ne gèrent pas elles-mêmes leurs contentieux, mais les délèguent aux caisses primaires d’assurance maladie (CPAM) de leur ressort. Il ne s’agit pas de judiciariser tous les conflits qui peuvent survenir, mais d’informer sur les voies de recours et de créer un dispositif efficace qui permettrait aux étudiants, lorsqu’aucune réponse ne leur est apportée ou lorsque celle-ci n’est pas suivie d’effet ou qu’elle est négative, d’engager une action auprès d’un tiers afin d’obtenir rapidement le traitement de leur dossier. Il faudrait trouver un moyen d’instaurer une médiation.

De même, l’information des étudiants sur leurs droits à la sécurité sociale est particulièrement lacunaire, et quelquefois inexistante. Cela concerne en particulier les nombreux étudiants qui exercent une activité professionnelle parallèlement à leurs études et ceux qui se trouvent en fin de cursus universitaire. La gestion du dossier d’un étudiant à la sécurité sociale étudiante implique plusieurs intervenants : l’université, au moment de leur inscription, les mutuelles, au moment de leur affiliation, les CPAM, tout au long de la période de couverture, et les Urssaf qui sont compétentes pour les remboursements de cotisations de sécurité sociale étudiante. Les difficultés en matière d’information ont principalement été relevées au moment de l’affiliation, en sortie de régime – à la fin des études – et pour les étudiants qui exercent une activité professionnelle.

Tout d’abord, les étudiants éligibles aux aides sociales – telles que la CMU-C ou l’aide au paiement d’une complémentaire santé (ACS) – ne bénéficient pas d’une information suffisante. Ils doivent adresser leur demande de CMU-C à une CPAM qui n’est pas leur interlocuteur habituel ; de plus, compte tenu de la complexité de ces dispositifs, ni les services d’inscription universitaires ni les mutuelles étudiantes ne semblent en mesure d’assurer une information de qualité en la matière. Cette absence d’interlocuteur identifié et compétent représente un facteur aggravant du taux de non-recours à la CMU-C et à l’ACS. Le non-accès et le non-recours aux droits constituent un des chevaux de bataille du Défenseur des droits ; nous essayons de mesurer et de corriger, par une action de promotion, l’écart qui existe entre les droits, le recours aux droits et l’effectivité des droits. Vous rencontrez certainement cette difficulté dans vos circonscriptions.

M. le coprésident Pierre Morange. En effet, M. le Premier président de la Cour des comptes a rappelé ce matin que l’écart entre la population éligible à ces aides et celle qui en est bénéficiaire se chiffre en centaines de milliers, voire en millions.

Ce cahier de doléances que vous avez établi peut potentiellement donner lieu à des recours par la voie procédurale ; avez-vous des données statistiques sur le nombre de saisines des TASS ?

Vos observations sur les mutuelles étudiantes rejoignent celles de la Cour des comptes qui pointe une qualité de service dégradée et des coûts de gestion disproportionnés. Les étudiants – notamment atteints d’ALD – vivent des situations dramatiques, marquées par le retard de soins et l’absence de prise en charge thérapeutique. Cette perte de chances de traitement médical nécessaire a-t-elle abouti à des contestations plus lourdes que les saisines des TASS ? En effet, la situation semble explosive !

M. Jacques Toubon. La Haute Autorité de santé (HAS) dispose peut-être d’éléments statistiques sur ces recours ; quant à nous, nous n’avons pas eu connaissance de procédures juridictionnelles, au civil ou au pénal, engagées antérieurement ou postérieurement à la réalisation d’un dommage. Toutefois, je considère à titre personnel que s’il y a une époque de la vie où l’on doit prendre soin de sa santé, c’est bien l’adolescence et la jeunesse. En effet, même si les plus grands consommateurs de soins et de médicaments sont les personnes âgées, c’est entre quinze et vingt-cinq ans que l’on constitue le socle de sa santé pour le reste de sa vie. Laisser, du fait de ces difficultés, des filles et des garçons sans soins ou sans prévention, c’est prendre un risque pour leur santé future. Notre réflexion, qui porte sur les droits, renvoie donc à une question de santé publique qui aura un jour des conséquences sur les comptes de la sécurité sociale.

Pour revenir à mon propos, à la sortie du régime étudiant, les difficultés sont les mêmes qu’à l’affiliation : le 30 septembre, les étudiants ne reçoivent aucune information sur le fait qu’ils quittent un régime particulier et doivent s’affilier au régime correspondant à leur activité professionnelle nouvelle ou à une CPAM de leur ressort si leur activité professionnelle est insuffisante ou s’ils sont au chômage. Après avoir connu une situation de rupture de droits à cause du retard de leur affiliation, ces étudiants se trouvent à nouveau en rupture de droits parce qu’à la sortie du régime étudiant, ils ne s’affilient pas à un autre régime. Notre recommandation n° 10 consiste donc à réclamer une information complète dans ce domaine.

Les étudiants qui exercent une activité professionnelle en parallèle sont en principe exonérés de la cotisation de sécurité sociale étudiante lorsqu’ils sont pris en charge par le régime correspondant à leur emploi. Mais cette exonération n’est possible que si l’étudiant est en contrat à durée indéterminée ou s’il bénéficie d’un contrat courant exactement du 1er octobre au 30 septembre – la période de couverture de la sécurité sociale étudiante. Dans tous les autres cas – un contrat à durée déterminée inférieure à la durée de la couverture étudiante –, ils doivent faire l’avance de leur cotisation d’assurance maladie, puis en demander le remboursement à l’issue de l’année universitaire. Pour cela, ils doivent fournir divers documents à leur mutuelle qui leur délivre alors une attestation de radiation. L’étudiant doit ensuite transmettre ce document à l’Urssaf qui procède au remboursement de la cotisation. Or, s’il existe une information à destination des étudiants salariés – qui relèvent du régime général – sur la procédure à suivre pour demander ce remboursement, aucune information n’est mise à disposition de ceux qui ne relèvent pas du régime général, à l’instar des assistants d’éducation, affiliés à la MGEN, ou des étudiants relevant du RSI (régime social des indépendants). Cette situation est naturellement source de difficultés.

La dernière question est celle de la double activité des mutuelles étudiantes : investies d’une mission de service public – gestion du régime obligatoire de l’assurance maladie pour les étudiants –, elles proposent également des produits complémentaires qui relèvent d’activités marchandes. Nous recommandons évidemment de garantir que l’exercice de ce type d’activités n’altère pas la qualité des informations délivrées aux étudiants sur leurs droits à la sécurité sociale, notamment lorsqu’ils bénéficient déjà d’une assurance santé complémentaire en qualité d’ayants droit ou lorsqu’ils sont éligibles à la CMU-C.

Les mutuelles proposent des assurances santé complémentaires facultatives, mais aussi des assurances habitation, des assurances pour les voitures ou pour les scooters. D’après l’appel à témoignages, 55 % des étudiants se seraient vu proposer un contrat d’assurance santé complémentaire par une mutuelle. Beaucoup d’entre eux considèrent les pratiques commerciales des mutuelles comme agressives. La DSS (direction de la sécurité sociale) a d’ailleurs rappelé aux établissements d’enseignement supérieur de veiller « à ce que la pluralité des mutuelles ne conduise pas à des pratiques contraires aux intérêts des étudiants, notamment à l’exercice simple et rapide de leurs droits », preuve du caractère réel du problème.

Deuxième préoccupation : les mutuelles étudiantes pourraient abuser de leur position d’organisme chargé de la gestion d’un régime obligatoire d’assurance maladie afin de commercialiser leurs contrats d’assurance santé complémentaires facultatifs en laissant entendre aux étudiants que leur souscription serait obligatoire.

Enfin, il apparaît légitime de s’interroger sur la qualité des informations délivrées aux étudiants dans la mesure où durant la période des inscriptions universitaires – juillet, septembre et octobre –, les mutuelles recrutent des salariés en contrat temporaire, dont les compétences en matière de sécurité sociale peuvent être limitées. La volonté de ces employés de commercialiser un maximum de contrats d’assurance santé complémentaire pourrait les conduire à négliger l’information des étudiants sur le régime de base, à faire souscrire des contrats inutiles à ceux qui bénéficieraient déjà d’une assurance santé complémentaire ou encore à négliger l’information des étudiants les plus fragilisés, qui pourraient éventuellement bénéficier de la CMU-C.

À la suite de l’accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2013, puis de la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi, la couverture en matière d’assurance maladie complémentaire devrait être étendue. Dans cette perspective, les étudiants deviendraient alors les ayants droit de leurs parents. La souscription d’une assurance complémentaire auprès d’une mutuelle étudiante deviendrait alors inutile.

Comment expliquer ces défaillances ? D’après nos informations, la réglementation n’est pas en cause. Les difficultés relèvent des retards – d’affiliation ou de délivrance de cartes Vitale –, mais les règles relatives à la sécurité sociale des étudiants, si elles sont appliquées correctement et en temps opportun, ne paraissent pas en elles-mêmes fautives. C’est leur mise en œuvre qui doit retenir notre attention. La priorité absolue doit être donnée au processus d’affiliation et à la mise à jour des cartes Vitale. Si l’affiliation se fait au 1er octobre et que les cartes sont délivrées ou mises à jour dans les délais, la plus grande partie des difficultés disparaîtra.

Enfin – question plus politique –, quelles seraient les évolutions nécessaires si le système particulier en place pour le régime de la sécurité sociale étudiante était maintenu ? Il ne m’appartient pas de prendre parti dans ce débat ; nos préconisations peuvent orienter les solutions, mais c’est au Gouvernement et au Parlement, à la suite de votre mission, de décider s’il convient de les rattacher au régime général, ou au système de sécurité sociale de leurs parents. Cette dernière solution posera toutefois la question du droit à la confidentialité – domaine où nous avons récemment obtenu des progrès pour les adolescents atteints du VIH.

Vous m’avez également demandé ma position sur la reprise de la gestion de la LMDE par la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS). La question excède le champ de mes compétences, mais je me demande pourquoi, dans ce cas, la CNAMTS n’a pas repris toutes les activités de la LMDE, et en particulier la mission d’affiliation des étudiants – un point pourtant particulièrement problématique ? La mission d’information devrait y réfléchir.

S’agissant de l’information des étudiants sur le système de sécurité sociale, la création du portail de la vie étudiante (PVE) dans le cadre du Plan national de vie étudiante apparaît comme une mesure positive. Elle permettra de délivrer aux étudiants une information centralisée, coordonnée et indépendante des mutuelles.

Comment homogénéiser sur l’ensemble du territoire la procédure d’affiliation des étudiants ? Cette procédure utilise des données collectées par les services d’inscription des établissements d’enseignement supérieur, soit sous forme papier, par l’intermédiaire du formulaire Cerfa « Déclaration en vue de l’affiliation à la sécurité sociale des étudiants », soit sous forme dématérialisée, les établissements rassemblant des informations relatives à leurs étudiants dans des fichiers informatiques qui sont ensuite transmis aux mutuelles. Celles-ci ne font donc qu’une partie du travail, l’établissement vérifiant notamment que l’étudiant est inscrit à la sécurité sociale étudiante. Confier cette gestion aux mutuelles pour décharger les services des inscriptions des universités de cette partie du processus d’affiliation reviendrait à dissocier inscription et affiliation à la sécurité sociale, augmentant le risque de voir certains étudiants privés de couverture. En effet, l’inscription représente une sorte de verrou qui sauterait si l’on dissociait les deux opérations, remettant aux mutuelles la totalité du processus d’affiliation. Mais ce n’est naturellement pas à moi de me prononcer sur l’option à privilégier. Pour citer Stendhal, ce sont de « petits faits vrais », mais je ne saurais dépasser ma mission.

L’existence, l’égalité et l’effectivité des droits représentent une priorité fondamentale pour le Défenseur des droits : tout un chacun doit être affilié à la sécurité sociale et bénéficier de ses prestations, en particulier en cas de maladie. La distance entre le droit et la réalité est cependant source d’une grande préoccupation dont je ferai prochainement état dans un rapport sur la situation des droits des étrangers en France, notamment par rapport à l’accès aux soins.

M. le rapporteur. Votre analyse, fondée sur les 1 500 témoignages que vous avez reçus, est claire et concrète. Vous avez répondu à toutes les questions et en tant que rapporteur, je reprendrai certaines de vos recommandations dans notre rapport.

Seule petite question pratique : votre recommandation n° 7 concerne le problème du récépissé. Lorsqu’on reçoit la carte Vitale, elle est accompagnée d’un document qui reprend des informations sur l’assuré. Les étudiants ne le recevaient-ils pas ?

M. Adrien Cagniard, chargé de mission au pôle Protection sociale et solidarité. L’attestation d’affiliation, document qui acte l’ouverture des droits à la sécurité sociale de l’étudiant, est à distinguer de la carte Vitale qui permet les échanges dématérialisés. Quant au récépissé, il devrait être délivré aux étudiants à l’occasion de leurs démarches, en particulier de réclamation. Cela permettrait que leurs lettres ne soient pas perdues et qu’ils reçoivent une réponse rapide – une nécessité compte tenu de l’urgence de l’accès aux soins.

M. Jacques Toubon. L’idée est d’éviter à tout prix les ruptures de droits. Lorsque je perds ma carte d’identité et que j’en demande une autre, on me donne un récépissé pour que je puisse, en cas de contrôle, attester de cette démarche. L’étudiant devrait toujours disposer d’un justificatif lui permettant de ne pas connaître de ruptures dans la prise en charge de ses soins.

M. Christophe Premat. Je me permets d’intervenir alors que je ne fais pas partie de la MECSS. La question des étudiants étrangers a été abordée lors de l’examen du projet de loi relatif au droit des étrangers ; victimes de précarité administrative, ceux-ci doivent bénéficier d’une information à un stade précoce de leur parcours. Vos propositions sur la dissociation entre affiliation et inscription, et en amont, la mobilisation des opérateurs tels que Campus France permettraient de simplifier les choses.

Cet été, Mme Hélène Conway-Mouret a remis au Premier ministre un rapport sur le retour en France de Français ayant résidé à l’étranger. La plupart d’entre eux ont du mal à retrouver rapidement leurs droits à la sécurité sociale puisqu’ils perdent leur carte Vitale lorsqu’ils partent à l’étranger, et quand ils reviennent, ils se voient imposer un délai de trois mois pour bénéficier à nouveau de l’assurance maladie. Je suis souvent sollicité dans ma permanence à ce sujet. Est-il possible de recommander de créer une dérogation afin de réduire ce délai ? Ce rapport pointe la rupture des droits et la précarisation – même courte – qui en résulte. En effet, l’affiliation à la sécurité sociale conditionne la réinscription à l’université pour les étudiants qui ont résidé à l’étranger et qui reviennent pour finir leur parcours universitaire.

M. Jacques Toubon. Merci, j’en prends note !

M. le coprésident Pierre Morange. Nous aurons certainement le plaisir, monsieur le Défenseur des droits, de vous inviter à vous exprimer sur d’autres thèmes devant cette mission.

M. Jacques Toubon. Je suis à votre disposition dans le cadre de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Chaque année, nous formulons des recommandations ; en effet, 40 % des 73 000 dossiers que j’ai instruits en 2014 portent sur la protection sociale. Seul écueil : on me répond systématiquement que mes propositions sont onéreuses, alors que les lois de financement de la sécurité sociale recherchent des économies…

M. le coprésident Pierre Morange. Après cette mission, la MECSS se penchera sur le sujet de l’hospitalisation à domicile. Au deuxième trimestre 2016, une mission dont je serai le président rapporteur portera sur l’open data, un milliard et demi de données de santé contenues dans les fichiers de l’assurance maladie, qui seront multipliées par cinquante au travers des objets connectés – une véritable bombe à retardement. La démarche commerciale des mutuelles, que vous évoquez, s’inscrit aussi dans cette logique.

M. Jacques Toubon. Ayant travaillé avec M. Thierry Mandon lorsqu’il était secrétaire d’État à la réforme de l’État et à la simplification, je conclurai en rappelant que nous pouvons vous apporter des éléments en matière de médiation avec les services publics.

La séance est levée à quinze heures dix.