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Commission des affaires sociales

Commission des affaires sociales

Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Mercredi 4 novembre 2015

Séance de 14 heures

Compte rendu n° 02

Présidence de Mme Gisèle Biémouret et de M. Pierre Morange, coprésidents

– Audition, ouverte à la presse, de M. Serge Brichet, président de la Mutualité fonction publique (MFP), et Mme Laurence Tribillac, directrice déléguée à la coordination institutionnelle et aux relations extérieures, et de M. Thierry Beaudet, président de la Mutuelle générale de l’Éducation nationale (MGEN), et M. Romain Guerry, directeur des affaires publiques, sur « la gestion du régime de l’assurance maladie obligatoire par certaines mutuelles » (M. Jean-Pierre Door, rapporteur)

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

MISSION D’ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE
DES LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

Mercredi 4 novembre 2015

La séance est ouverte à quatorze heures dix.

(Présidence de Mme Gisèle Biémouret et de M. Pierre Morange, coprésidents de la mission)

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) procède à l’audition, ouverte à la presse, de M. Serge Brichet, président de la Mutualité fonction publique (MFP), et Mme Laurence Tribillac, directrice déléguée à la coordination institutionnelle et aux relations extérieures, et de M. Thierry Beaudet, président de la Mutuelle générale de l’éducation nationale (MGEN), et M. Romain Guerry, directeur des affaires publiques, sur « la gestion du régime de l’assurance maladie obligatoire par certaines mutuelles » (M. Jean-Pierre Door, rapporteur).

M. le coprésident Pierre Morange. Je commence par annoncer le programme de travail de la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) jusqu’à la fin de la présente législature.

Le rapport de la MECSS sur la gestion du régime de l’assurance maladie obligatoire par certaines mutuelles, qui a été demandé par le groupe Les Républicains, devrait être présenté d’ici à la fin de cette année.

À la demande du groupe Socialiste, républicain et citoyen, la MECSS étudiera la question de l’hospitalisation à domicile durant le premier semestre 2016. Ce thème donnera lieu, d’ici à la fin de l’année 2015, à une actualisation par la Cour des comptes de l’insertion parue à son rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale publié en septembre 2013.

Les travaux de la MECSS sur l’accès aux données personnelles détenues par l’assurance maladie devraient s’étendre sur l’année 2016. Le système national d’information inter-régimes de l’assurance maladie (SNIIRAM) comporte plus d’un milliard de fiches de soins, dont l’exploitation constitue un enjeu éthique et financier considérable. Les mutuelles se sont d’ailleurs exprimées à plusieurs reprises à ce sujet. Nous nous intéresserons aussi au programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI). Ces travaux, dont je serai le rapporteur, s’appuieront sur un rapport de la Cour des comptes attendu pour la fin du premier semestre 2016. Dans ce cadre, la Cour a décidé de faire appel à des experts en informatique, dont l’éclairage sera très utile.

À la demande du groupe Les Républicains, la MECSS pourra étudier la politique d’achat des hôpitaux au début de la prochaine législature. Les travaux de la Cour des comptes sur ce thème s’achèveront au premier trimestre 2017. J’ai formulé cette demande, mais il ne s’agit nullement d’anticiper sur le résultat de l’élection présidentielle. En l’espèce, l’incertitude est la meilleure preuve de la transparence du scrutin et de la libre expression de chaque citoyen !

Nous poursuivons maintenant nos travaux sur la gestion du régime de l’assurance maladie obligatoire par certaines mutuelles. Je vous remercie, madame, messieurs, d’avoir répondu favorablement à notre invitation.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur. Je vous souhaite à mon tour la bienvenue. Vous avez demandé par lettre à être auditionnés dans le cadre de nos travaux. Compte tenu de l’actualité, nous avons étudié en priorité les mutuelles étudiantes, mais toutes les autres mutuelles, notamment celles de la fonction publique, entrent dans le champ de notre réflexion.

Nous sommes au cœur de l’actualité : l’Assemblée nationale vient d’adopter en première lecture le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2016. Je salue d’ailleurs la présence de notre collègue Gérard Bapt, rapporteur pour les recettes et l’équilibre général de ce PLFSS. Je commence par une question générale : quelles seront les conséquences pour vos mutuelles de l’application de l’article 39 de ce projet de loi ? Nous avons vu les réactions qu’il a suscitées au sein de la Mutualité française, dont vos organisations sont membres.

Dès lors que l’article 39 sera définitivement adopté – tout laisse à penser qu’il le sera à l’issue de la navette parlementaire –, le champ de nos travaux se réduira comme une peau de chagrin.

M. le coprésident Pierre Morange. Certes, le sujet a été quelque peu défloré par l’article 39, mais nos travaux gardent leur pertinence : en l’absence d’étude d’impact, nous avons besoin d’informations plus fournies, qui vont au-delà des échanges que nous avons pu avoir au sein de la commission des Affaires sociales. D’autre part, il nous revient de procéder à une analyse coût-efficacité des mesures prévues à l’article 39 – telle est la raison d’être même de la MECSS. Nous pourrons aussi le cas échéant, au titre de notre « droit de suite », nous assurer de leur bien-fondé au regard tant de la qualité de la prestation que de son coût. C’est en se fondant sur ces deux critères que la Cour des comptes, l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et l’Inspection générale des finances (IGF) ont émis des critiques à l’encontre du système actuel dans leurs rapports respectifs.

M. Serge Brichet, président de la Mutualité fonction publique. Le débat parlementaire n’étant pas achevé, nous avons encore des messages à faire passer : nous espérons que le texte sera adapté sur un certain nombre de points.

Nous avons noté les améliorations qui ont été apportées au texte par voie d’amendements, sous la pression d’un certain nombre de parlementaires. Pour autant, la Mutualité fonction publique (MFP) – qui est non pas un organisme gestionnaire, mais une union à caractère politique – considère que, en l’état, le texte n’apporte pas de sécurité juridique suffisante quant à la poursuite des missions de gestion que les mutuelles de fonctionnaires exercent depuis des décennies.

D’abord, à ce stade de l’examen du texte, d’autres mutuelles que les mutuelles de fonctionnaires elles-mêmes pourraient être autorisées à gérer le régime obligatoire de l’assurance maladie des fonctionnaires. Nous demandons que seules les mutuelles de fonctionnaires puissent assurer la gestion de ce régime à leur profit, que la loi Morice d’avril 1947 leur a confiée.

Ensuite, il est prévu que la délégation de gestion du régime obligatoire puisse être retirée aux mutuelles de fonctionnaires dites « défaillantes ». Or aucune précision n’est donnée sur les critères qui caractériseraient cette défaillance. Si cette disposition était maintenue, il nous semblerait important que les mutuelles susceptibles de se voir retirer la délégation de gestion soient auditionnées par une structure ad hoc avant cet éventuel retrait.

Enfin, dans la rédaction actuelle du texte, il semble que seule une partie des missions de gestion actuellement assurées par les mutuelles de fonctionnaires leur serait confiée. Actuellement, ces missions vont bien au-delà de la seule gestion des prestations : elles comprennent, entre autres, la prévention.

M. Thierry Beaudet, président de la Mutuelle générale de l’éducation nationale. Je rejoins l’analyse de Serge Brichet concernant l’article 39 : nous avons découvert un article imparfaitement rédigé, avec des zones de flou ou des manques pouvant donner lieu à interprétation.

Grâce au travail parlementaire, le texte a connu des évolutions positives : l’habilitation par la loi à gérer le régime obligatoire et les remises de gestions pour assurer cette gestion ont été rétablies. Aujourd’hui, nous demandons cependant encore une évolution majeure : qu’il n’y ait pas de migration obligée des ex-ayants droit vers la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS). Pourquoi obliger une personne sans emploi gérée par le même organisme que son conjoint ou sa conjointe à renoncer à cette facilité et à cette simplicité ? Cela n’aurait de sens ni du point de vue du gestionnaire, ni de celui de la personne elle-même, à moins qu’elle n’en décide ainsi. Nous demandons que les ayants droit aient le choix de leur organisme gestionnaire. S’ils sont couverts dans le cadre familial, avec leur conjoint ou leur conjointe, et que ce système leur convient, qu’on laisse celui-ci perdurer. Par contre, s’ils ne sont pas satisfaits de la qualité de la gestion qui leur est proposée, qu’ils puissent effectivement faire valoir un « droit à migration ».

M. le rapporteur. Combien de personnes seraient concernées par cette migration obligée à la Mutuelle générale de l’Éducation nationale (MGEN) ?

M. Thierry Beaudet. Si le texte n’évoluait pas sur ce point, dans le cadre de la protection universelle maladie (PUMA), près de 150 000 ayants droit majeurs actuellement gérés par la MGEN deviendraient des assurés et seraient donc amenés à migrer obligatoirement vers la CNAMTS. Cela aurait, vous l’imaginez bien, un impact sur l’emploi à la MGEN, mais c’est un autre sujet.

M. le coprésident Pierre Morange. Ce n’est pas un autre sujet : tout est dans tout, surtout en matière de prise en charge assurantielle ! Avez-vous calculé l’incidence financière d’une telle migration obligatoire ? Car c’est mathématique : plus le périmètre des bénéficiaires se restreint, plus le coût de gestion par bénéficiaire augmente de façon relative. D’autre part, une migration sur la base du volontariat telle que vous la proposez ne poserait-elle pas un problème de fragmentation du public des bénéficiaires, tant du point de vue des mutuelles que de celui de la CNAMTS ? On en revient toujours aux réflexions formulées par la Cour des comptes, l’IGAS et l’IGF sur le coût de gestion par bénéficiaire.

M. Thierry Beaudet. Comme d’autres mutuelles, la MGEN mesure le taux de satisfaction de ses assurés. D’après un sondage TNS Sofres commandé par la MGEN et la CNAMTS, le taux de satisfaction de nos assurés a augmenté et est désormais supérieur à 92 %. Donc, si nous laissons à nos assurés le choix de leur gestionnaire, je suis convaincu qu’ils resteront chez nous.

M. le coprésident Pierre Morange. C’est, en quelque sorte, un pari pascalien !

M. Thierry Beaudet. Je ne vois pas pourquoi les ayants droit renonceraient à la facilité et à la simplicité d’une gestion des prestations pour toute la cellule familiale par un même organisme, dès lors que celui-ci est performant.

Par ailleurs, pour être efficient en matière de gestion, il faut investir dans la formation du personnel, dans l’évolution de l’organisation et dans les systèmes d’information. Et, pour pouvoir investir, tout opérateur, quel que soit son secteur d’activité, a besoin d’une certaine stabilité, afin d’avoir le temps de bénéficier du « retour sur investissement ». Or, aujourd’hui, nous souffrons plus que tout de l’instabilité constante des règles qui s’appliquent à notre secteur. Certes, nous nous adapterons aux règles, mais il serait préférable qu’elles soient fixées une fois pour toutes et que l’on dispose ainsi de la visibilité nécessaire pour agir.

M. le coprésident Pierre Morange. Nous pourrions faire le même constat pour beaucoup d’autres secteurs dans notre pays. Et mon propos n’est pas polémique : il vaut pour tous les responsables politiques, toutes tendances confondues.

M. Thierry Beaudet. Je vous assure que c’est un véritable problème.

M. le coprésident Pierre Morange. Vous prêchez des convaincus !

M. Thierry Beaudet. Quant aux coûts de gestion qui sont affichés pour tel ou tel régime, ils sont, de mon point de vue, critiquables. Ainsi, je conteste un certain nombre d’affirmations contenues dans le rapport conjoint de l’IGAS et de l’IGF, car les périmètres retenus pour calculer les coûts de gestion en question diffèrent d’un organisme à l’autre. Je note d’ailleurs que, au cours de son audition par votre mission, M. Nicolas Revel, directeur général de la CNAMTS, a évoqué un coût de gestion par bénéficiaire actif de 60 euros à la CNAMTS, alors que le rapport avance le chiffre de 44 euros environ.

M. le coprésident Pierre Morange. Nous avions en effet noté cet écart.

M. Thierry Beaudet. Je m’interroge : à quoi correspondent les 51,10 euros évoqués dans ce rapport s’agissant de la MGEN ? Les mutuelles de la fonction publique ont un modèle particulier : elles gèrent à la fois le régime obligatoire et un régime complémentaire. C’est pourquoi elles ont mis au point, conjointement avec la CNAMTS, une méthode consistant à isoler les coûts rattachés à l’habilitation de gestion du régime obligatoire. Si on l’applique, on constate que la MGEN a réduit ses coûts de gestion de 26,5 millions d’euros entre 2009 et 2014.

M. le coprésident Pierre Morange et M. le rapporteur. Sur un total de combien ?

M. Thierry Beaudet. Le coût de gestion par bénéficiaire actif est passé de 65,20 euros en 2009 à 51,80 euros en 2014.

M. le coprésident Pierre Morange. À critères constants ?

M. Thierry Beaudet. Oui.

Selon nos calculs, en appliquant là encore la méthode élaborée avec la CNAMTS, un agent de la MGEN a géré en moyenne 2 248 bénéficiaires actifs en 2014, chiffre à rapprocher des 2 254 bénéficiaires actifs gérés par un agent de la CNAMTS. Les coûts de gestion sont donc de même niveau à la CNAMTS et à la MGEN, qui ont fait, l’une et l’autre, des efforts. Nous contestons l’a priori selon lequel les coûts de gestion seraient supérieurs à la MGEN.

Nous pouvons faire mieux, mais cela suppose notamment que nous puissions développer des collaborations étroites et sincères avec la CNAMTS au-delà de celles qui existent déjà. Par exemple, la CNAMTS a développé un portail internet performant, net-entreprises.fr, sur lequel les employeurs peuvent déclarer en ligne les arrêts de travail de leurs salariés et qui leur permet notamment de calculer simplement et efficacement le montant des indemnités journalières. La MGEN réclame, en vain, un accès à ce dispositif pour l’employeur public, à savoir l’Éducation nationale. Aujourd’hui, le moins que l’on puisse dire, c’est que l’on ne nous facilite pas les choses ! J’y insiste : on ne peut pas opposer des fins de non-recevoir aux mutuelles de fonctionnaires, en l’occurrence à la MGEN, lorsqu’elles demandent l’accès à des dispositifs qui leur permettraient d’améliorer leurs coûts de gestion, et leur reprocher ensuite une diminution insuffisante de ces coûts !

M. le rapporteur. Quelles sont, selon vous, les motivations de la CNAMTS ?

M. Thierry Beaudet. Les mutuelles de fonctionnaires, notamment la MGEN, ont le sentiment de subir en permanence des accusations à charge. Une confusion s’instaure actuellement dans les esprits entre l’universalité de la protection sociale et l’unicité de caisse, comme si le caractère universel des droits impliquait nécessairement qu’ils soient gérés en un seul endroit ou, pour le dire trivialement, que tout passe par un seul et même tuyau ! Selon nous, on sème un certain nombre d’embûches sur notre chemin pour accréditer cette idée.

J’ai des échanges réguliers avec M. Nicolas Revel, qui est sensible à ces questions. Nous sommes convenus d’aller au-delà de ce que nous faisons ensemble actuellement.

M. le coprésident Pierre Morange. Je rappelle que la MECSS a remis un rapport sur les arrêts de travail, assorti d’un certain nombre de recommandations. Je ne relancerai pas le débat sur le jour de carence dans la fonction publique, les positions des uns et des autres étant connues. Pourtant, personne ne peut contester que ce dispositif ait fait la démonstration de son efficacité lorsqu’il a été appliqué, certes de manière très temporaire. La Cour des comptes l’a reconnu publiquement au cours d’une audition par notre mission.

Le portail internet que vous avez évoqué renvoie à la question de la déclaration sociale nominative. Nous avions constaté avec stupéfaction que les entreprises, quelle que soit leur taille, n’étaient pas en mesure d’évaluer leur participation financière au titre des indemnités journalières complémentaires, alors que celles-ci représenteraient globalement 30 % des 6 milliards d’euros dépensés pour couvrir les arrêts de travail !

Le partage de l’information entre le secteur mutualiste et la CNAMTS est un problème ancien, que la MECSS abordera l’année prochaine lors de ses travaux sur la gestion des bases de données, en particulier le SNIIRAM et le PMSI. Nous nous intéresserons notamment à la qualité du « coffre-fort informatique » et du partage des données au service d’une politique sanitaire nationale. Quant au dossier médical personnel ou partagé (DMP), sa matérialisation reste dans les limbes. C’est un grand échec de la dernière décennie. Or il faudra bien avancer sur le sujet si l’on veut vraiment non seulement diminuer les coûts de gestion, mais aussi améliorer la santé de nos concitoyens.

M. Serge Brichet. Pour évaluer les conséquences financières à l’échelle de l’ensemble des mutuelles de fonctionnaires, il faut multiplier par deux les chiffres que Thierry Beaudet a évoqués pour la MGEN.

Il faut parler, selon moi, de la qualité qui va de pair avec la gestion mutualiste du régime obligatoire. Je rappelle le chiffre cité dans le rapport conjoint de l’IGAS et de l’IGF : 86 % des fonctionnaires sont satisfaits de la gestion par les mutuelles de fonctionnaires et, dans la même proportion, ils ne souhaitent pas que cette gestion soit remise en cause.

Parlons aussi d’efficacité. S’agissant des plans de maîtrise socle (PMS), les notes globales attribuées aux mutuelles de fonctionnaires gérant le régime obligatoire sont tout à fait respectables : elles se situent entre 83 % et 97 %. En matière de prévention, les chiffres donnés dans le rapport de l’IGAS et de l’IGF pour les mutuelles de fonctionnaires sont parfois supérieurs de sept points à ceux qui sont enregistrés par les caisses primaires d’assurance maladie. Par ailleurs, on observe que les fonctionnaires et les agents publics utilisent beaucoup les téléservices.

Enfin, il me paraît important de rappeler que les fonctionnaires qui gèrent ces organismes mutualistes sont viscéralement attachés à la bonne gestion des deniers publics. Ainsi que Thierry Beaudet l’a évoqué, nous recherchons toujours l’efficacité et l’amélioration des processus, malgré des budgets parfois contraints. Dès lors, pourquoi remettre en cause un dispositif qui fait la preuve de ses qualités et de son efficience sur bien des aspects ?

M. le rapporteur. Seriez-vous capables de gérer le tiers payant généralisé au titre du régime obligatoire s’il était voté ? Nous avons des échos très divers à ce sujet.

Quelles seraient les conséquences pour vos mutuelles de la généralisation de la couverture complémentaire santé ?

M. Serge Brichet. Le mouvement mutualiste est largement favorable à la généralisation du tiers payant. Les mutuelles de la fonction publique sont tout à fait capables de gérer le tiers payant généralisé, en utilisant le cas échéant les solutions applicatives de la CNAMTS pour celles qui ont recours à l’infogérance.

M. Thierry Beaudet. S’agissant de la gestion du tiers payant généralisé, la réponse est positive, sans ambiguïté et dans toutes les situations. En tant que gestionnaire du régime obligatoire, la MGEN a déjà une longue expérience de gestion du tiers payant « classique » avec divers professionnels de santé, notamment les pharmaciens. En tant que guichet unique pour le régime obligatoire et le régime complémentaire, ce qui est la particularité de notre mutuelle, nous savons aussi gérer un tiers payant coordonné.

Je mets un instant ma casquette de responsable d’un régime complémentaire. Vous connaissez la position des mutualistes et, au-delà, de l’ensemble des organismes complémentaires : il faut que les choses soient simples pour le professionnel de santé. Aujourd’hui, les solutions techniques existent pour réconcilier le flux de paiement du régime obligatoire et celui du régime complémentaire, et pour faire apparaître ces deux flux sur le poste de travail du professionnel de santé. En consultant son poste, celui-ci doit avoir instantanément une vision claire des parts apportées par les deux payeurs, car la réalité, c’est qu’il y a bien deux payeurs. À cet égard, un flux unique de paiement ou un flux de paiement unique, ce n’est pas la même chose ! Les organismes complémentaires n’entendent pas que l’on se serve de la généralisation du tiers payant pour que la part qu’ils versent disparaisse derrière celle de l’assurance maladie obligatoire. Ils n’imaginent pas que la CNAMTS puisse régler l’ensemble du dispositif et se retourner ensuite vers eux : ils seraient alors réduits au rang de simples caisses dans lesquelles on viendrait ponctionner la part qu’il leur revient de verser.

M. le rapporteur. En d’autres termes, vous craignez de rester un payeur aveugle.

M. Thierry Beaudet. Exactement : non seulement aveugle, mais invisible !

M. le coprésident Pierre Morange. Votre souci de traçabilité financière et de lisibilité est compréhensible.

La généralisation du tiers payant ouvrira la possibilité de prélever automatiquement sur le compte bancaire de l’assuré les franchises sur les consultations ou les boîtes de médicaments, ainsi que le prévoit un amendement du Gouvernement au projet de loi relatif à la santé. Ce prélèvement sera soumis à l’autorisation de l’assuré. Quelle est votre analyse à ce sujet ? Comment voyez-vous le dispositif ? Quel serait le modus operandi ? Qui, dans votre esprit, serait chargé de faire ce prélèvement ? La CNAMTS ou bien vos mutuelles, dans l’hypothèse où vous continueriez à gérer à la fois le régime obligatoire et le régime complémentaire pour vos bénéficiaires ? Quelles seraient les conséquences pour vous ? C’est un sujet très important, notamment du point de vue juridique, voire éthique. Je suis conscient de son caractère sensible.

M. Thierry Beaudet. Je ne suis pas en mesure de répondre à cette question, monsieur le président.

M. le coprésident Pierre Morange. Le sujet n’est donc pas complètement mûr.

M. Serge Brichet. Pour répondre à votre deuxième question, monsieur le rapporteur, les mutuelles de fonctionnaires expriment leurs plus vives inquiétudes quant à la généralisation de la couverture complémentaire santé pour l’ensemble des salariés. Nous craignons un « siphonnage » d’une partie de nos assurés, y compris d’actifs que nous protégeons au titre de certaines garanties et qui pourraient rejoindre le contrat collectif de leur conjoint. Cela affecterait très sensiblement les démarches de mutualisation des risques entre actifs et retraités que nous réalisons au sein de nos mutuelles complémentaires. C’est un risque majeur. J’en profite pour dire tout le mal que nous pensons de l’article 21 du PLFSS pour 2016, qui prévoit des offres de complémentaire santé spécifiques pour les personnes âgées de plus de 65 ans.

D’autre part, du point de vue du mouvement mutualiste, ce n’est qu’une pseudo-généralisation, puisqu’elle laisse de côté un certain nombre de nos concitoyens. En outre, à peine 1 % des 5 milliards d’euros d’aides publiques à l’acquisition d’une complémentaire santé bénéficie aux fonctionnaires. Autant vous dire que nous attendons avec une certaine impatience les conclusions de la mission qui a été confiée à l’IGAS sur ce sujet il y a quelques semaines – enfin !

M. le coprésident Pierre Morange. Pouvez-vous nous fournir des informations plus précises sur l’impact de la généralisation de la couverture complémentaire santé ? Peut-être ce sujet n’est-il pas, lui non plus, complètement mûr ?

M. Serge Brichet. Non, en effet.

M. le rapporteur. Nous notons en tout cas votre inquiétude sur ce point. En outre, après l’article 39, vous avez évoqué l’article 21 du PLFSS POUR 2016. N’y a-t-il donc eu aucune concertation, aucun travail du Gouvernement en amont avec vous sur ces articles ? Nous avons entendu les prises de position du président de la Mutualité française et des assureurs. Plutôt que d’avancer aussi loin, ne faudrait-il pas revoir ces sujets en relation avec les partenaires concernés ? À moins qu’on ne veuille instaurer une assurance maladie universelle et, partant, supprimer toutes les mutuelles. Mais, dans ce cas, la question doit être posée franchement.

M. le coprésident Pierre Morange. D’un point de vue strictement sémantique, une couverture complémentaire santé obligatoire, cela s’appelle l’assurance maladie ! Nous voyons bien que le secteur mutualiste est particulièrement inquiet à ce sujet : il pourrait y avoir une tentation, à terme, de siphonner tout le savoir-faire mutualiste au profit de l’assurance maladie. Au demeurant, c’est une politique qui pourrait se concevoir.

Au-delà de l’absence d’étude d’impact, un certain nombre de mesures
– généralisation du tiers payant, prélèvement automatique des franchises, mise en place du DMP, généralisation de la couverture complémentaire santé – n’ont pas vraiment fait l’objet d’un travail abouti, c’est le moins qu’on puisse dire, et semblent fragiles tant du point de vue juridique que financier. Face à cette situation, le secteur mutualiste pourrait-il envisager des recours contentieux ?

M. Serge Brichet. Les réponses que je serais susceptible de vous apporter sont contenues dans votre question, monsieur le rapporteur : inquiétude de notre part, impréparation du texte, absence de concertation, auxquelles s’ajoute l’absence d’étude d’impact que vient de rappeler M. le président. De toute évidence, le texte n’a pas été préparé avec les acteurs concernés.

Les mutuelles de fonctionnaires bénéficient de dispositifs particuliers dans leur relation avec l’employeur public s’agissant de la couverture complémentaire : le référencement et la labellisation. Or ces dispositifs seront touchés de plein fouet par l’article 21 du PLFSS pour 2016. De plus, si des offres spécifiques sont proposées aux personnes de plus de 65 ans, les organismes mutualistes ne pourront plus procéder à la mutualisation entre actifs et retraités, alors que celle-ci joue actuellement à plein dans les mutuelles de fonctionnaires : à 65 ans, l’assuré voit sa cotisation décroître bien que les risques augmentent – c’est assez remarquable dans le paysage assurantiel. Le Gouvernement n’a pas pris la mesure des conséquences collatérales de l’article 21. Il s’agit d’une segmentation supplémentaire, qui constitue, de notre point de vue, la négation des mécanismes de mutualisation.

En outre, je le répète : les aides publiques à l’acquisition d’une complémentaire santé laissent de côté des catégories entières de la population.

Mme la coprésidente Gisèle Biémouret. Si nous souhaitons la généralisation du tiers payant, c’est pour venir en aide à une population qui ne se soigne pas parce qu’elle n’en a pas les moyens. Je comprends vos remarques sur les aspects techniques, mais je rappelle que la généralisation du tiers payant se fera progressivement.

Vos mutuelles prennent en charge des personnes qui ont accès, ne serait-ce que par leur fonction, aux outils informatiques et à l’information, et qui sont à même d’assimiler cette information et de s’en servir. Or tel n’est pas le cas pour tout un pan de notre société, ne l’oublions pas. Je ne veux pas opposer les populations, bien au contraire, mais je pense avant tout à ces personnes qui, pour de multiples raisons, n’ont pas accès aux soins. Les mesures que nous prenons vont dans le bon sens pour elles.

M. le coprésident Pierre Morange. Tout cela ne fait que souligner la nécessité de l’étude d’impact que nous avons demandée.

M. Thierry Beaudet. Madame la présidente, je comprends l’intention et, à titre personnel, la partage. Mais les voies choisies vont dans le sens exactement inverse de celui que vous avez indiqué. Au moment où l’on célèbre le soixante-dixième anniversaire de la sécurité sociale, où tout le monde loue, dans un grand unanimisme, les liens de solidarité que cette construction a créés entre les personnes, je suis frappé de constater que, pour permettre aux populations d’accéder aux soins, on les segmente, en définissant des catégories qui viennent s’ajouter les unes aux autres. C’est, pour moi, profondément incompréhensible.

Selon moi, l’erreur initiale réside dans la généralisation de la couverture complémentaire santé pour les salariés telle qu’elle a été mise en œuvre dans le cadre de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013. Car ce dispositif laisse notamment de côté les retraités, les demandeurs d’emploi depuis plus de un an et les jeunes avant leur entrée sur le marché du travail – excusez du peu ! Il ne permet plus d’organiser les solidarités entre les générations ni entre les différents niveaux de revenus. Et, maintenant que l’on a créé cette situation, pour y répondre, on met en place des dispositifs catégoriels pour les gens que l’on a laissés de côté. Nous pensons profondément que ce dispositif n’est pas bon, car il sépare.

J’en viens à certains aspects financiers ayant trait aux mutuelles. On accrédite l’idée que la solution, c’est toujours le moins cher, comme si les mutuelles avaient des « matelas » ou des « réserves » – je reprends des expressions que nous avons entendues. Il faut que nos concitoyens, notamment les plus fragiles, puissent accéder à un médecin, à un dentiste et à un opticien. Mais l’amélioration de l’accès aux soins ne passe pas uniquement par la définition de paniers de garanties au prix le plus bas. La manière dont le système de santé est organisé au-delà du dispositif de protection sociale lui-même ou encore le rôle que l’on permettra aux organismes complémentaires de jouer en complément de l’assurance maladie sont des facteurs au moins aussi importants.

Parlons des « réserves indues » dont disposeraient les mutuelles. Il y a un sujet très difficile pour nous : au regard des règles européennes, nous sommes considérés comme des assureurs. Peu importe notre qualité d’organismes mutualistes : ce qui compte, c’est l’activité d’assurance santé que nous exerçons. En d’autres termes, que cette activité soit exercée par une mutuelle, une compagnie d’assurances ou un bancassureur, c’est la même chose du point de vue du droit européen. En tant qu’assureurs, nous serons soumis, à partir du 1er janvier 2016, à la directive « solvabilité II », laquelle va nous obliger à ajouter des couches de prudence aux couches de prudence, à détenir toujours plus de fonds propres afin de pouvoir faire face à nos engagements vis-à-vis de nos adhérents dans la durée. Au regard de la directive « solvabilité II » et de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) qui nous contrôle, les qualités premières d’un assureur sont la solidité, la robustesse, la solvabilité et, j’oserais même dire, la rentabilité.

Or nous avons parfois le sentiment que, du point de vue des responsables politiques, ces qualités sont des défauts, voire seraient équivalent à une forme de prédation que nous exercerions sur nos assurés. Je regrette de devoir vous dire que ces deux manières de penser, ces deux « logiciels », sont absolument incompatibles ! On ne peut pas, quand cela arrange, nous classer dans la catégorie des assureurs qui doivent répondre à toute une série d’exigences, notamment en matière de solvabilité, et, immédiatement après, nous reprocher le niveau de nos fonds propres et nous accuser de pratiquer des tarifs trop élevés !

Il existe une grande différence entre, d’une part, les mutuelles et, d’autre part, les bancassureurs et les compagnies d’assurances. Pour ces derniers et dernières, l’assurance santé est le plus souvent un élément de diversification ou une porte d’entrée afin de proposer d’autres prestations, notamment des produits d’épargne – c’est non pas un reproche que je leur adresse, mais un simple constat. Les mutuelles de santé, pour leur part, ne sont présentes que dans le domaine de la santé – peut-être est-ce d’ailleurs leur faiblesse dans le monde qui est le nôtre. Dès lors, pour elles, l’élément de diversification, c’est l’offre de soins : elles ont développé 2 500 services de soins et d’accompagnement mutualistes dans notre pays. Or, si l’on continue à exercer en permanence une pression à la baisse sur les prix et sur les marges des mutuelles, cela aura des conséquences visibles sur leurs offres de soins, qui sont ouvertes à toute la population, sur l’ensemble du territoire, dans vos circonscriptions. Je le dis avec force : si nous n’arrivons pas à faire entendre ce message, vous allez mettre le modèle mutualiste en grand danger.

M. le coprésident Pierre Morange. Rassurez-vous, nous connaissons bien ces dispositifs : « solvabilité II », « Bâle III », la composition des paniers d’actifs financiers, dont certains sont liés à la dette publique – on peut d’ailleurs se demander si c’est pertinent, tant la dette enfle, à l’image de la grenouille de la fable de La Fontaine ! De surcroît, les assureurs privés assument souvent des coûts de gestion liés au pourcentage – de l’ordre de 7 à 8 % – demandé par les agents généraux d’assurances.

Vous avez évoqué le procès d’intention qui vous est fait, notamment à propos du volume d’actifs financiers que vous devez immobiliser pour exercer votre métier d’assureur. Pouvez-vous nous préciser, le cas échéant après cette audition, le montant de vos actifs financiers immobilisés au titre de la directive « solvabilité II » ? Certains estiment qu’il est le double de ce qui serait nécessaire. Or j’aimerais, une fois pour toutes, purger la réflexion de ce sujet. Tant que l’on pourra penser que le niveau de vos immobilisations financières est excessif, on vous fera ce procès d’intention. En revanche, si vous démontrez que vous ne faites qu’appliquer les règles, nous pourrons laisser de côté ces débats idéologiques et nous concentrer sur l’analyse coût-efficacité, conformément au rôle de la MECSS.

M. Serge Brichet. Nous avons bien noté votre demande, monsieur le président, et y ferons suite.

En mettant en regard l’article 39 et l’article 21 du PLFSS pour 2016, nous constatons un véritable paradoxe : d’un côté, en matière d’assurance maladie obligatoire, on cherche à aller vers une unicité de régime ; de l’autre, en matière de couverture complémentaire santé, on souhaite « stimuler la concurrence » – ce sont des termes qui m’ont été opposés.

En ce qui concerne l’article 21, les dangers potentiels vont au-delà de la démutualisation des risques et des populations. En effet, il faut prendre en compte le fait que les retraités que nous protégeons bénéficient non seulement d’une couverture santé, mais aussi d’une couverture contre les risques longs – dépendance, handicap, décès, etc. –, laquelle risque de disparaître si le dispositif prévu par l’article 21 est mis en place. Je tenais à signaler ce point très important.

M. le rapporteur. Merci, madame, messieurs. Nous avons pu mesurer la force de vos convictions.

La séance est levée à quinze heures cinq.