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Commission des affaires sociales

Commission des affaires sociales

Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Mardi 5 avril 2016

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 10

Présidence de Mme Joëlle Huillier, rapporteure, puis de M. Pierre Morange, coprésident, puis de Mme Joëlle Huillier, rapporteure

Audition, ouverte à la presse, sur l’hospitalisation à domicile (Mme Joëlle Huillier, rapporteure) :

– Dr François Simon, président de la section Exercice professionnel du Conseil national de l’Ordre des médecins, et M. Francisco Jornet, directeur juridique

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

MISSION D’ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE
DES LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

Mardi 5 avril 2016

La séance est ouverte à seize heures quarante.

(Présidence de Mme Joëlle Huillier, rapporteure,
puis de M. Pierre Morange, coprésident de la mission,
puis de Mme Joëlle Huillier, rapporteure)

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) procède à l’audition, ouverte à la presse, du Dr François Simon, président de la section Exercice professionnel du Conseil national de l’Ordre des médecins, et de M. Francisco Jornet, directeur juridique, sur l’hospitalisation à domicile (Mme Joëlle Huillier, rapporteure).

Mme Joëlle Huillier, présidente, rapporteure. Je vous prie de bien vouloir excuser le président Pierre Morange, retenu dans l’hémicycle par l’hommage à l’une de nos collègues récemment décédée.

La MECSS a souhaité vous auditionner pour un éclairage sur la place du médecin traitant dans l’hospitalisation à domicile (HAD). L’HAD est une alternative à l’hospitalisation classique, que le ministère a souhaité développer mais dont l’essor semble freiné. Quels sont, selon vous, les principaux freins ?

Dr François Simon. Je vous prie à mon tour de bien vouloir excuser le Dr Patrick Bouet, président du Conseil national de l’Ordre des médecins, retenu au cabinet de la ministre des Affaires sociales et de la santé.

Selon la Cour des comptes, le médecin traitant n’a pas la place qu’il devrait avoir au sein de l’HAD. J’ai interrogé sur cette question plusieurs médecins, dont ceux de la section Exercice professionnel du Conseil national de l’Ordre des médecins, le président du conseil régional de l’ordre du Limousin, et la médecin coordonnatrice d’une HAD brestoise. Globalement, les avis sont partagés : si certains estiment que le mouvement est bien engagé, d’autres déplorent une mauvaise communication. Il semble que les HAD dépendant d’établissements de santé importants fonctionnent par elles-mêmes, sans implication des médecins traitants.

Plusieurs freins peuvent être identifiés :

– l’HAD est mal connue, notamment car les jeunes médecins suivent une formation très centrée sur l’hôpital. Les premières HAD étaient finalement mieux connues, du fait du dynamisme de leurs créateurs, qui les popularisaient auprès des généralistes. Dans le Limousin, les jeunes s’engagent moins que les médecins plus expérimentés ; mais ce n’est pas le cas partout, puisque les jeunes médecins s’impliquent à Brest ;

– il existe plusieurs zones de flou : sur l’identité des prestataires, ou encore sur les conditions du recours à l’HAD (quels sont les critères d’éligibilité ? quel est le mode de rémunération des médecins traitants ?) ;

– les médecins traitants peuvent ressentir une certaine perte d’indépendance en participant à une HAD ;

– cette participation est chronophage, a fortiori dans un contexte démographique difficile.

Si l’on retire des 106 000 hospitalisés en HAD en 2014 les patients « péri-hospitaliers », chaque médecin a deux patients par an en HAD, et il est sans doute consulté sur l’un des deux seulement.

L’HAD me rappelle finalement le contexte d’un hôpital local, qui ne peut fonctionner que grâce à l’engagement personnel des médecins.

Mme Joëlle Huillier, rapporteure. L’HAD est-elle évoquée dans les études médicales ?

Dr François Simon. Peu.

(Présidence de M. Pierre Morange, coprésident de la mission)

M. le coprésident Pierre Morange. Et dans la formation médicale continue ?

Dr François Simon. Pas suffisamment. Concrètement, il s’agit le plus souvent d’une intervention du médecin coordonnateur.

Mme la rapporteure. Pouvez-vous confirmer que les prescriptions d’HAD sont rarement le fait des médecins traitants ?

Dr François Simon. Les premières HAD étaient à 100 % prescrites par des établissements de santé. Désormais, c’est environ 70 %. On peut notamment relever la progression de l’HAD en établissements d’hébergement des personnes âgées dépendantes (EHPAD).

M. le coprésident Pierre Morange. Avez-vous identifié des problèmes juridiques relatifs à l’assurance des médecins, ou encore à la continuité des soins ? Cela pourrait être le cas du fait du cloisonnement entre l’hôpital et la médecine de ville, constituant ainsi un frein au développement de l’HAD.

M. Francisco Jornet. Ces questions ne sont pas celles qui nous sont prioritairement posées. La question des traitements dispensés en HAD « à l’insu » du médecin traitant est plus fréquente, rejoignant la problématique plus générale du défaut de communication.

M. le coprésident Pierre Morange. Avez-vous connaissance de contentieux sur ce sujet ?

M. Francisco Jornet. Il n’y a pas eu à notre connaissance de mise en cause de la responsabilité d’un médecin traitant. La question pourrait se poser du fait de l’obligation de permanence des soins pesant sur l’HAD, qui doit s’articuler avec les contraintes propres aux médecins traitants. Un décret sur les conditions techniques de fonctionnement est en cours de préparation.

M. le coprésident Pierre Morange. Savez-vous qui pilote l’élaboration de ce décret, dont nous n’avions pas connaissance jusqu’ici ?

M. Francisco Jornet. Il s’agit de Mme Isabelle Prade, à la direction générale de l’offre de soins. Il me semble que vous l’avez auditionnée. Les travaux sont en cours depuis juillet 2014. Le décret a plusieurs objectifs : le premier consiste à clarifier le rôle du médecin traitant, et à préciser les capacités d’intervention du médecin coordonnateur, au-delà de la seule coordination.

M. le coprésident Pierre Morange. Je vous prie de m’excuser, mais l’agenda de l’Assemblée nationale prévoit parallèlement à cette audition l’examen par la commission des Affaires sociales du projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs et les votes solennels sur le projet de loi organique et le projet de loi de modernisation des règles applicables à l’élection présidentielle. Je vais devoir vous laisser entre les mains de notre excellente rapporteure.

(Présidence de Mme Joëlle Huillier, rapporteure)

M. Francisco Jornet. Le deuxième point est l’intégration dans le projet de décret des pratiques du médecin coordonnateur ; le troisième point concerne la continuité des soins. Cette liste n’est pas exhaustive, mais ce sont là les points essentiels du projet de décret en ce qui concerne l’activité des médecins libéraux et des médecins coordonnateurs au sein de l’HAD.

Mme Joëlle Huillier, présidente, rapporteure. Seriez-vous favorable à un renforcement des pouvoirs du médecin coordonnateur ?

Dr François Simon. La situation au sein de l’HAD présente un certain parallélisme avec celle existante au sein des EPHAD ; l’HAD est une solution alternative à l’hospitalisation, au domicile du patient, et participe du virage ambulatoire de notre politique de santé. C’est une prise en charge qui est centrée sur le patient lui-même. Le pivot du système, officiellement, reste le médecin traitant.

Mme Joëlle Huillier, présidente, rapporteure. Officiellement…

Dr François Simon. La plupart du temps, cela reste le cas. Et c’est autour de cet ensemble que vont se créer des plateformes d’appui. Il ne s’agit pas de recréer des hôpitaux à domicile, car cela irait à l’inverse des résultats attendus. À court terme, nous sommes dans un creux démographique ; à long terme, d’ici dix à vingt ans, les hôpitaux vont faire leur mutation et le nombre des médecins va évoluer : on passera de 1 200 à 3 000 ou 4 000 médecins généralistes formés chaque année. On ne sait pas encore quelle sera leur activité : généralistes, médecins coordonnateurs, etc., mais d’ici dix ans, le paysage médical aura fondamentalement changé. Des techniques comme la télémédecine vont se développer, certainement beaucoup plus vite que ce que l’on imagine. Le modèle sera celui d’une santé centrée sur le patient, avec comme pivot le médecin traitant.

Il y a des perspectives d’amélioration à terme : mais il faut que les médecins connaissent et s’impliquent dans l’HAD. La part de prescription se rééquilibre progressivement en faveur des médecins traitants, qui devraient en assurer la moitié : mais cet équilibre ne pourra être atteint que si le médecin généraliste connaît la structure d’HAD et a noué un certain nombre de liens avec son équipe médicale de façon à dédramatiser cette modalité de prise en charge. S’il y a une vraie volonté, les choses peuvent évoluer tout à fait favorablement. Le médecin traitant conserve un rôle fondamental comme pivot du dispositif.

Mme Joëlle Huillier, présidente, rapporteure. Pour résumer, la situation actuelle est caractérisée par un nombre insuffisant de médecins traitants, avec une méconnaissance de l’HAD. Demain, il y aurait plus de médecins traitants…

Dr François Simon. Demain nous formerons chaque année 3 000 ou 4 000 médecins généralistes ; j’espère qu’ils feront de la médecine générale, qu’ils exerceront comme médecins traitants, mais également comme médecins coordonnateurs.

Mme Joëlle Huillier, présidente, rapporteure. Demain, il y aurait plus de médecins traitants, des services d’HAD qui auront fait leur travail d’information, et des médecins bien informés qui pourront prescrire de l’HAD. Mais quel rôle voyez-vous pour les infirmiers, qui pourraient se voir transférer certaines missions de la part des médecins, qu’ils soient libéraux ou salariés d’un service d’HAD ? Une consultation à domicile rémunérée à hauteur de trente euros ne permet pas d’envisager que le médecin traitant passe trois fois par semaine au domicile de son patient, alors que c’est le rythme de présence que réclame souvent l’HAD.

Dr François Simon. La question des honoraires ne relève pas des prérogatives de l’Ordre des médecins, mais je pense que l’acte à domicile est aujourd’hui sous-rémunéré. Le suivi et la coordination de l’HAD sont plus contraignants qu’une simple visite au chevet d’un patient. Il faudrait une rémunération adaptée à ces prestations chronophages. Si on imaginait indemniser des frais de déplacement, ce serait une explosion des coûts afférents. Il faudrait déjà améliorer l’information et la communication.

Mme Joëlle Huillier, présidente, rapporteure. Et en ce qui concerne les infirmières ?

Dr François Simon. L’HAD se fait dans le cadre d’une équipe de soins, au sein de laquelle les médecins travaillent avec les infirmières et les professionnels médico-sociaux. Au sein de l’équipe de prise en charge, des évolutions peuvent se faire.

M. Francisco Jornet. Des expérimentations ont lieu dans le domaine des soins chroniques à Nantes, par télémédecine, avec des infirmières qui viennent sur place et transmettent à un dermatologue qui confirme ou infirme le diagnostic au vu des éléments transmis.

Mme Joëlle Huillier, présidente, rapporteure. Vous connaissez la complexité du système existant des autorisations qu’il faut mettre en place pour arriver à ce résultat.

Dr François Simon. Nous allons y arriver. Les protocoles proposés dans le cadre de l’article 51 de la loi du 21 juillet 2009, portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (HPST) sont examinés par la section de l’exercice professionnel du Conseil de l’Ordre. Les financements et le dispositif restent compliqués.

En matière de télémédecine, nous avons proposé de modifier le décret n° 2010-1229 du 19 octobre 2010 relatif à la télémédecine. À l’époque, nous en étions à l’expérimentation, avec des financements exceptionnels de l’assurance maladie. Il faut désormais passer à la vitesse supérieure, que la télémédecine relève des pratiques courantes, avec possibilité de rémunérer des actes effectués à distance, et non de protocoles exceptionnels que l’ARS financera ou non.

M. Francisco Jornet. Dans le cadre de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016, le Conseil de l’Ordre avait proposé d’appliquer la tarification courante à l’acte effectué à distance en télémédecine. Le parlement a examiné cette suggestion et l’a rejeté, ce qui traduisait une certaine frilosité devant l’impossibilité de voir vers où cela conduirait.

Mme Joëlle Huillier, présidente, rapporteure. Quelle est pour vous la place des aidants familiaux dans le cadre d’une HAD ?

Dr François Simon. Pour nous, la place de l’aidant est centrale et fondamentale. On ne pourrait pas faire sans eux. C’est l’interlocuteur privilégié du médecin.

M. Francisco Jornet. Pour les soins palliatifs, il est impossible d’effectuer un retour au domicile sans des aidants familiaux, et surtout si ces aidants ne sont pas soutenus.

Mme Joëlle Huillier, présidente, rapporteure. On a l’impression que la France n’est pas au niveau dans le soutien aux aidants familiaux. On les reconnaît désormais, mais on ne se préoccupe pas suffisamment de leur santé dans la continuité. Dans l’hospitalisation à domicile, il manque un volet sur les aidants familiaux.

Dr François Simon. Au niveau stratégique, ce sujet est négligé alors qu’il est fondamental. On en a parlé davantage s’agissant de la fin de vie et des personnes en perte d’autonomie. La place de l’aidant est fondamentale. Il faut organiser le partage de l’information utile.

Mme Joëlle Huillier, présidente, rapporteure. De votre point de vue, faut-il développer les référentiels d’activité comme le propose la Cour des Comptes ou privilégier une approche plus générique dans laquelle l’HAD serait un mode d’hospitalisation ?

Dr François Simon. Nous sommes plutôt favorables à une approche générique car la complexité des référentiels risque d’être rédhibitoire pour les médecins.

Mme Joëlle Huillier, présidente, rapporteure. C’est aussi la position de la Haute autorité de santé. On voit bien qu’il y a ici une opposition entre une réflexion médicale et une réflexion plus normative.

Dr François Simon. Les EHPAD sont dans une situation compliquée, surtout dans des zones rurales. Ils sont parfois d’une taille insuffisante pour avoir une infirmière la nuit. Des solutions peuvent être trouvées du côté des regroupements ou de davantage de prérogatives laissées aux aides-soignantes. Mais la HAD permettrait de conserver dans ces établissements des personnes en fin de vie. Actuellement, on voit dans les hôpitaux, en fin de semaine, des afflux de patients venant d’EHPAD en raison du manque de personnel soignant.

Mme Joëlle Huillier, présidente, rapporteure. Y a-t-il le même problème pour les personnes handicapées ?

Dr François Simon. Il existe dans ces établissements les mêmes réflexes d’envoi vers l’hôpital. Mais une inversion totale des mentalités peut avoir lieu d’ici dix ans. L’essentiel, c’est de ne pas chercher des solutions à court terme et qui ne mèneront qu’à des impasses.

Mme Joëlle Huillier, présidente, rapporteure. Avez-vous d’autres observations à nous présenter ?

Dr François Simon. Certains médecins sont dans des régions où ça se passe très mal. Cependant, les choses devraient aller en s’améliorant, notamment en raison de l’évolution des perspectives démographiques : nous allons avoir de nouveaux médecins qui vont naturellement aller vers l’HAD et s’y impliquer à condition qu’on leur laisse le temps de souffler, qu’ils soient accueillis, qu’ils soient correctement informés lorsqu’un patient est pris en charge en HAD – trop souvent, le médecin traitant est mis devant le fait accompli. Il faudra également des médecins et des infirmières coordonnateurs, ces dernières étant souvent les principales interlocutrices.

Mme Joëlle Huillier, présidente, rapporteure. Merci d’avoir accepté notre invitation.

La séance est levée à dix-sept heures trente.