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Mercredi 5 février 2014

Séance de 18 heures

Compte rendu n° 3

Présidence de M. Jean-Christophe Fromantin, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Pierre Lafon, ambassadeur de France, président honoraire du Bureau international des expositions (BIE), et de M. Pascal Rogard, chef de la délégation française auprès du BIE

Mission d’information
sur la candidature de la France à l’exposition universelle de 2025

La mission d’information entend M. Jean-Pierre Lafon, ambassadeur de France, président honoraire du Bureau international des expositions (BIE), et M. Pascal Rogard, chef de la délégation française auprès du BIE.

M. le président Jean-Christophe Fromantin. Nous nous réjouissons d’accueillir, pour notre deuxième audition, M. Jean-Pierre Lafon, ambassadeur de France. Après une riche carrière diplomatique, vous avez, monsieur l’ambassadeur, présidé le Bureau international des expositions (BIE) et avez donc eu à vous prononcer sur la candidature de pays volontaires pour organiser des expositions universelles ou internationales ; aussi pourrez-vous nous faire partager votre connaissance intime de cette institution et de son fonctionnement. Nous sommes également heureux d’accueillir M. Pascal Rogard, aujourd’hui conseiller à la représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne après avoir été sous-directeur au ministère de l’économie, des finances et de l’industrie, et qui dirige la délégation française auprès du BIE.

Notre mission d’information, créée en janvier dernier par la Conférence des présidents, doit nous éclairer sur l’évolution des expositions universelles, sur le processus de candidature et de décision, sur les raisons du succès ou de l’échec d’une candidature. Plus précisément, sur quels atouts une candidature française pourrait-elle s’appuyer et de quels éléments de vulnérabilité pourrait-elle pâtir ? Bref, quelles seraient nos chances et comment pourrions-nous en jouer au mieux pour mener à terme un projet aussi grandiose ?

M. Jean-Pierre Lafon, ambassadeur de France, président honoraire du Bureau international des expositions. Je vous présenterai l’exposition universelle sous trois aspects : d’abord, je passerai en revue ses effets ; ensuite, j’examinerai la faisabilité d’un tel projet ; enfin, j’exposerai la stratégie électorale à adopter pour convaincre l’assemblée générale du BIE.

Sur le premier point, pour qu’une candidature soit retenue par les plus hautes autorités françaises, il faut que soit attesté l’effet de l’exposition universelle sur la croissance du pays. Pour cela – et conformément, d’ailleurs, à l’esprit de ces manifestations –, il convient de mettre l’accent sur l’innovation. Celle-ci est une préoccupation de nos gouvernements successifs depuis six ou sept ans, quelle que soit leur orientation politique : en témoignent les programmes d’investissements d’avenir, l’installation de la commission présidée par Anne Lauvergeon comme les 34 projets soutenus par le ministre du redressement productif. L’innovation devra donc, sous une forme ou sous une autre, déterminer le thème de l’exposition, mais aussi être mise à contribution pour son organisation, car nous ne devons pas oublier que nos points forts incluent, à côté de la recherche et de l’industrie, les services.

La culture et l’art de vivre correspondent à un autre domaine de compétence français dont la thématique retenue devra tenir compte. C’est en effet en ces matières que nous pourrons nous distinguer de l’Allemagne, qui cherche à s’imposer en Europe comme étant le pays de la technologie – le slogan d’Audi, Vorsprung durch Technik, est tout à fait représentatif de cette ambition. Quatre-vingt-dix ans plus tard, ne se souvient-on pas davantage de l’Exposition internationale des Arts décoratifs, organisée à Paris en 1925, que des Jeux olympiques de 1924 ?

C’est donc sur ces thèmes qu’il faudra s’appuyer pour organiser l’exposition universelle, et c’est en fonction d’eux qu’il conviendra d’en étudier l’effet sur la croissance, une mission que je serais d’avis de confier à un petit groupe d’économistes.

L’effet de l’exposition universelle, c’est aussi son effet sur l’opinion, qui suppose de mettre l’accent sur les sujets qui motivent celle-ci. On pourrait avoir l’impression qu’elle s’intéresse peu aux progrès de la recherche, de l’industrie ou des services, mais l’exemple du Téléthon montre le contraire en matière de recherche médicale. Tout dépend donc de la politique de communication choisie.

Une exposition universelle peut aussi influencer l’image que la France a d’elle-même : grâce à elle, la France devrait reprendre confiance en elle, se voir de nouveau comme un pays d’avenir, d’innovation, de recherche et, bien sûr, de culture, comme un foyer de rayonnement. Cet objectif doit sous-tendre votre réflexion sur la thématique de l’exposition.

Mais l’exposition universelle est également susceptible d’influencer l’image internationale de la France. Je sais d’expérience que nous passons souvent pour arrogants. La réussite de l’exposition universelle supposerait que nous accueillions les autres au lieu de chercher à nous affirmer face à eux. J’y reviendrai à propos de la politique de lobbying mais, après tout, n’est-ce pas conforme à notre tradition ? En peinture, l’École de Paris réunissait Matisse, Dufy, Braque, mais aussi Picasso, Soutine, Juan Gris, Modigliani ! Par le passé, nous avons su nous ouvrir aux autres. Avec l’Exposition universelle, nous accueillerons leurs innovations, leurs arts de vivre. Je ne parle pas seulement des pays européens et des grands pays asiatiques, mais aussi des pays en voie de développement, qui représentent la moitié des pays membres du BIE. Nous devrons mettre l’innovation à leur service et recueillir leur sentiment sur ce que doit être l’exposition.

Sur ce premier aspect, je n’ai pas de suggestion particulière à formuler. Mais, parmi les projets proposés par quelques universités et grandes écoles sur votre invitation, monsieur le président, j’ai été très frappé par celui du centre Michel Serres pour l’innovation sur le thème du génie du corps – ce qui peut recouvrir aussi bien les transformations du corps sous l’effet des biotech et des medtech que la place du corps dans la culture – danse, théâtre, etc. – ou encore les conceptions qu’en ont les différentes civilisations.

J’en viens à mon deuxième point : la faisabilité d’un projet d’exposition universelle à Paris. Elle ne va pas de soi : nous ne sommes plus en 1900, moins encore en 1855, date de la première exposition universelle organisée dans notre capitale et le projet est d’autant plus complexe qu’il devrait s’inscrire dans la dynamique du Grand Paris.

C’est d’abord l’implantation territoriale qui risque de poser un problème. Les universités et grandes écoles consultées ont proposé une exposition éclatée entre différents sites. Mais ce cas serait sans précédent s’agissant des pavillons internationaux. Certes, lors de l’exposition de 1937, des annexes avaient été aménagées et, à Aichi, les ONG étaient installées dans une zone à part, directement reliée par télécabine au centre de l’exposition. À Shanghai, l’exposition était traversée par le fleuve, mais un tunnel souterrain avait été percé et toute la représentation internationale officielle était installée sur la même rive ; sur l’autre était située la zone des meilleures pratiques, désormais prévue dans toutes les expositions universelles, et où des villes, des entreprises et des universités peuvent être représentées. Abstraction faite des problèmes logistiques qu’elle poserait, une exposition dispersée risque d’être déroutante pour le jury. De plus, il importe d’assurer l’égalité d’accès aux pavillons ; or, si la Chine ou l’Allemagne pourront à la rigueur avoir un pavillon dans chaque zone, ce ne sera sûrement pas le cas du Pérou, du Panama ou de l’Angola, sans parler de la République de Kiribati ou de Tuvalu.

Je plaide donc en faveur de l’unité et de la continuité de l’exposition, qui ne seront pas faciles à assurer. À cette fin, j’ai proposé de mettre à profit l’axe Seine, qui peut être complété par le canal Saint-Martin et le canal Saint-Denis, grâce à une connexion qu’il faudra étudier de très près et qui utilisera la voie d’eau. Ainsi l’exposition pourrait-elle s’étendre en partie sur le Grand Paris.

Si l’exposition est éclatée, la fréquentation risque aussi de varier d’une zone à l’autre. Ce problème s’est posé à Shanghai, où les directeurs des pavillons dédiés aux meilleures pratiques se sont plaints au bout de deux jours du fait que la fréquentation n’atteignait pas leur zone. Nous avons alors pu admirer la réactivité des Chinois : quarante-huit heures après que nous les avons avertis, deux entrées ont été ajoutées, dont les points de contrôle avaient été aménagés dans la nuit.

S’agissant des pavillons eux-mêmes, vous avez proposé, monsieur le président, qu’ils soient installés dans des monuments ou des lieux emblématiques de Paris. C’est certainement réalisable dans quelques lieux, mais pas pour les 168 États membres du BIE. En outre, il faudrait tester l’installation au préalable. On peut vouloir mettre une gare à la disposition d’un pays, mais celui-ci sera-t-il d’accord ? Les pays, comme les hommes, ont un ego. Ils veulent construire eux-mêmes leur pavillon ; ils veulent avoir leur propre verre, quitte à ce que celui-ci soit plus petit ! En tout cas, si l’on envisage de mettre la gare du Nord à disposition, il faudra en discuter avec le président de la branche Gares & Connexions de la SNCF.

Des pavillons sur mesure, loués ou provisoires sont également concevables, sur le modèle de la Foire internationale d’art contemporain. Pour cela, nous pouvons proposer des facilités. Mais, là encore, il faudra décider où installer les très nombreux pavillons nécessaires.

Les tout petits États pourront, comme en Chine, être regroupés dans des halls respectivement dédiés à la zone caraïbe, à l’Océanie, aux petits États d’Amérique latine et à ceux d’Afrique. Leur installation sera à notre charge.

La zone des meilleures pratiques désormais prévue par le règlement des expositions constitue une opportunité pour les villes – Lyon était représentée à Shanghai ; Paris aussi, mais beaucoup plus modestement –, pour les grandes entreprises, mais aussi pour les universités – Harvard, Stanford, Tsinghua – et les grands instituts de recherche, acteurs de la vie mondiale.

J’en viens à l’échéancier. Le respect des délais n’est pas notre point fort. En 1937, le chantier n’était pas terminé lorsque l’Exposition a ouvert ! La France a alors demandé au BIE de prolonger la durée de la manifestation, en vain. Mais c’est un défaut dont nous n’avons pas le monopole : songeons au retard pris par le chantier de l’aéroport de Berlin. Dans ce domaine aussi, la Chine peut nous servir d’exemple : l’ouverture de l’exposition universelle a fait l’objet d’un test grandeur nature, avec 500 000 personnes, dix jours avant l’échéance.

Le dernier problème qui se pose à propos de la faisabilité est celui du coût : coût de la campagne, coût du plan d’aménagement, puis coût de fonctionnement pendant six mois – abstraction faite des frais induits, dont la sécurité et les logements. Il faudra payer les volontaires, qui étaient 50 000 à Shanghai ; financer les animations, l’accueil, le protocole pour les chefs d’État invités. Il faudra aussi et surtout prévoir un plan d’aide aux pays les moins avancés. C’est la précision de leur plan d’aide, destiné en particulier à l’Afrique, qui a permis aux Italiens de l’emporter face à la Turquie. C’était aussi un atout de Dubaï. Ce plan, requis pour toute candidature, n’engendrera pas nécessairement un coût supplémentaire mais supposera de réorienter la politique de coopération et les crédits de l’Agence française de développement vers de nombreux États membres de l’assemblée générale du BIE. Ce qui aurait l’avantage de nous faire découvrir des régions que nous connaissons mal : l’Afrique anglophone, la zone caraïbe, au sein de laquelle nos départements d’outre-mer gagneraient à être mieux intégrés, ou l’Océanie et ses îles qui entourent la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie – Fidji, la Micronésie, Tuvalu, Kiribati. Sur tous ces points, M. Loscertales, secrétaire général du BIE, pourra utilement vous éclairer lors de son audition.

À supposer que nous ayons choisi la thématique de manière à proposer un projet attractif, qui aura un effet positif sur l’opinion française et sur l’image de la France, à supposer que nous ayons surmonté tous les problèmes de faisabilité que je viens d’énumérer, il restera à mettre en œuvre une stratégie pour gagner l’élection. D’abord, il nous faut savoir qui nous aurons face à nous. Nous ne le savons pas encore, mais si d’aventure Londres était dans la course, nous nous trouverions en position difficile.

Les 168 pays du BIE ont besoin non seulement d’aide, mais aussi de considération. Il faudra donc que les plus hautes autorités du ministère des affaires étrangères leur accordent à tous la même attention. La République de Kiribati, qui dispose d’une voix comme la Chine et comme l’Espagne, doit bénéficier du même intérêt que ces deux États. Il est nécessaire d’y veiller dès la conception de l’exposition, en allant trouver tous les pays pour leur dire : « Voici nos idées. Quelles sont les vôtres ? Nous élaborerons l’exposition en fonction de vos propositions. » Nous devrons ensuite bâtir notre stratégie à la lumière de leurs réponses. D’autre part, il est exclu de se limiter au français et à l’anglais : il nous faudra employer l’espagnol, le portugais, le chinois, le japonais, l’arabe. Bref, jusque dans nos documents, nous devrons aller vers les autres pays.

Dubaï, qui ne peut s’appuyer sur un long passé, a misé sur cette stratégie. L’un des films promotionnels qu’il a présentés montrait ainsi des Asiatiques, des Africains, des Latino-Américains qui, tous, soutenaient sa candidature.

Évoquant dans ses Souvenirs le moment où, en 1849, il prit le ministère des affaires étrangères, Tocqueville écrit : « Trois hommes, par le rang qu’ils avaient occupé jadis, se croyaient surtout en droit de diriger notre politique étrangère : c’étaient M. de Broglie, M. Molé et M. Thiers. » Il alla donc les voir, raconte-t-il, pour prendre leur avis ; celui-ci ne lui fut d’aucune utilité, il ne le suivit en aucune manière ; mais, conclut-il, « je leur agréais davantage en leur demandant leur avis sans le suivre, que si je l’avais suivi sans le leur demander ».

M. le président Jean-Christophe Fromantin. Merci, monsieur l’ambassadeur, pour ces propos fort diplomatiques… et qui nous seront très utiles.

M. Pascal Rogard, chef de la délégation française auprès du BIE. Pour compléter les propos de M. Lafon, c’est plutôt sous l’angle économique que j’aborderai pour ma part la question.

Qu’est-ce qu’une exposition universelle aujourd’hui ? A-t-elle encore un sens ? C’est une question que l’on se pose beaucoup au ministère de l’économie. Enfin, quels seraient les atouts et les faiblesses d’une candidature française ?

Par le passé, ces expositions ont surtout servi de vitrines du savoir-faire industriel. Les premières, organisées pour la plupart en Europe ou, dans une moindre mesure, aux États-Unis, étaient destinées à démontrer la puissance des pays organisateurs en la matière et leur capacité d’innovation technologique. À partir de 1990, cet état de fait a changé, en raison de la concurrence des nombreuses foires et salons spécialisés. Dès lors, le BIE a davantage recherché l’universalisme, en mettant l’accent sur des thèmes transversaux. Ce tournant est manifeste dans les thématiques des expositions de Shanghai, de Milan et de Dubaï, mais celle de Hanovre en témoignait dès 2000. Une candidature française devra nécessairement en tenir compte.

Les expositions universelles restent-elles d’actualité ? Oui, sous réserve qu’elles se conforment à cette logique. La réorientation des thématiques, vers 1990, a été suivie d’un passage à vide : près de huit ans se sont écoulés sans exposition universelle après celle de Séville, en 1992, puis une décennie entière, entre 2000 et 2010. Un nouvel engouement, vraisemblablement lié au succès de l’exposition de Shanghai, s’est ensuite emparé des États : pour l’exposition de 2020, cinq candidatures ont été déposées, ce qui était tout à fait nouveau puisque deux candidats seulement étaient en lice pour 2000 comme pour 2015. En outre, les États occidentaux traditionnels n’étaient plus représentés parmi les pays candidats puisque les cinq étaient Dubaï, la Turquie, le Brésil, la Russie et la Thaïlande – qui a finalement retiré sa candidature pour des raisons qu’il serait d’ailleurs intéressant d’étudier.

Chef de la délégation française depuis 2009, j’ai vécu, outre la campagne pour l’organisation de cette exposition universelle de 2020, celle qui a opposé Astana, au Kazakhstan, à Liège, en Belgique, en vue de l’exposition spécialisée de 2017. Toutes deux montrent que ce sont les pays les plus mobilisés qui l’emportent, et de loin. L’ambassadeur de Belgique a ainsi qualifié devant moi de « claque » la très nette victoire d’Astana sur Liège – par 107 voix contre 37 si je me souviens bien. Pour 2020, la Russie et la Turquie, qui ont plusieurs millénaires d’histoire derrière elles, se sont inclinées devant un pays vieux d’un demi-siècle à peine, puisque l’exposition coïncidera avec le cinquantenaire des Émirats arabes unis. Voilà qui conduit à relativiser le poids du facteur historique et culturel dans le choix de tel ou tel pays, au regard des arguments économiques. Le Royaume-Uni, premier pays à s’être prononcé, très tôt, en faveur de Dubaï, a obtenu en échange la rénovation du port de Londres par les Émirats. Alors que Rome avait promis son soutien à la Russie, le président du conseil italien a finalement choisi lui aussi Dubaï… à la veille du sommet italo-russe de novembre 2013.

J’ai eu personnellement l’impression que l’émir de Dubaï s’était beaucoup plus investi dans cette affaire que les autres chefs d’État. De fait, pour qu’un pays l’emporte, il faut que sa candidature soit défendue au plus haut niveau de l’État, appareil diplomatique et économique compris. C’est facile à Dubaï, où tous les ministres sont cousins, où les entreprises sont tenues par des membres de la famille royale et où il n’existe aucune dissension sur le sujet. À en croire le conseiller diplomatique du Président de la République, lorsque l’émir rencontrait ce dernier, il lui parlait uniquement de l’exposition universelle et des contrats susceptibles d’être signés, alors que l’exposition n’était qu’un sujet parmi d’autres dans les échanges que pouvait avoir le Président avec ses homologues russe et turc.

Quelles sont à mes yeux les forces et les faiblesses d’une éventuelle candidature de Paris ? Du côté des forces, il y a évidemment le rayonnement de la France, qui a accueilli 50 millions de personnes lors de l’exposition de 1900, ce qui fait d’elle le troisième pays en nombre de visiteurs lors d’une exposition universelle, après la Chine – avec 73 millions – et Osaka, au Japon – 64 millions. Nous restons également le premier pays d’accueil des touristes, avec 80 millions de visiteurs par an, dont une bonne partie passe par Paris.

La candidature française peut également s’appuyer sur notre réseau diplomatique.

En revanche, nos deux candidatures avortées – en 1989, alors que nous avions demandé, pour pouvoir organiser l’exposition, une modification des statuts du BIE que son assemblée générale avait majoritairement approuvée, puis en 2004 – ne plaident guère en notre faveur.

Comment convaincre un nombre suffisant d’États membres du BIE de voter pour nous ? Pouvons-nous leur proposer des contrats ? Bien que le vote soit secret, je sais que de nombreux États membres de l’Union européenne ont voté pour Dubaï. Parmi eux, l’Espagne, comme l’Italie, a opéré un revirement puisqu’elle avait initialement annoncé son soutien au Brésil. Pourquoi ? Parce qu’il y a eu des tractations. Que pouvons-nous offrir de comparable ?

L’équilibre géopolitique pose un autre problème, même si M. Loscertales ne partage pas mon point de vue à cet égard. Après le choix de Hanovre en 2000 et de Milan pour 2015, quelles sont les chances d’une nouvelle candidature européenne face à l’Amérique du Sud ou à l’Asie du Sud-Est, dans une économie bien plus globalisée où les candidatures se multiplient ?

Il faut également tenir compte du coût de l’exposition. Sur ce point, nous ne disposons pas d’informations limpides. Selon les éléments que j’ai pu recueillir auprès des organisateurs et des agences de communication, une campagne de candidature coûterait entre 5 et 25 millions d’euros. Cela correspond à la somme que la France devrait dépenser entre 2015 et novembre 2018, date du vote à l’assemblée générale du BIE. On peut discuter de la question de savoir s’il faut y inclure les déplacements des personnalités qui soutiendront la candidature mais en poursuivant simultanément d’autres objectifs. Quoi qu’il en soit, il s’agit, semble-t-il, d’un montant incompressible. S’agissant de Dubaï, j’ai entendu les chiffres les plus fantaisistes, mais l’on m’a dit que la campagne aurait coûté un à deux milliards d’euros. La somme dépensée par le Kazakhstan serait légèrement inférieure, mais reste élevée.

Le coût de l’exposition elle-même oscillerait aujourd’hui entre 2 et 6 milliards d’euros – et atteindrait même 6,5 milliards pour Dubaï. Les expositions passées, du moins celles à propos desquelles nous disposons de chiffres, ont souvent généré des pertes, qui ont atteint plusieurs centaines de millions de pesetas pour Séville, en partie à cause d’une double dévaluation de cette monnaie après un emprunt en dollars. D’une manière générale, il est rare que l’opération génère des bénéfices, tout au moins financiers.

Mais comment déterminer le coût de l’exposition ? Se limite-t-il au financement des seuls travaux liés directement à celle-ci ou s’étend-il à celui des infrastructures associées ? À Milan, l’organisateur a préféré prendre à sa charge certaines infrastructures d’accès pour s’assurer que les délais prévus seraient respectés, mais ces aménagements peuvent aussi être compris dans le plan directeur d’une région ou d’un État.

S’agissant du site, je confirme qu’il doit être unique. À Shanghai, la partie située de l’autre côté du fleuve a été peu fréquentée, malgré les méthodes employées par les Chinois – que nous aurions bien du mal à imiter, du reste. De même, à Osaka où l’exposition était également divisée, la fréquentation de la zone la moins accessible a été très faible. D’autre part, il faut que toutes les délégations aient le sentiment d’être traitées de la même manière.

Un site multiple aurait deux inconvénients majeurs. D’abord, il démultiplierait le coût, puisqu’il faut filtrer toutes les entrées ; ensuite, il aggraverait les inconvénients pour la population, puisque l’on devrait « neutraliser » plusieurs endroits dans la ville. Or la population doit pouvoir s’approprier l’exposition, y trouver son compte, ce qui ne sera pas le cas si elle se trouve bloquée dans des embouteillages monstrueux.

Qu’est-ce qui détermine tel ou tel État à participer à une exposition universelle ? Sur les 170 États qui sont venus à Shanghai, 70 ont véritablement construit leur pavillon, 70 se sont installés dans un cluster construit par les Chinois, et les autres ont accepté, faute de moyens, un pavillon déjà construit qu’ils payaient au mètre carré à des conditions plutôt favorables. Il faut dire que les Chinois tenaient à une forte participation. Aujourd’hui, Milan est à la traîne. Même si 130 États ont fait part de leur intérêt, seuls 40 devraient construire leur propre pavillon ; des clusters abriteront là aussi plusieurs pays, mais les Italiens n’ont pas prévu de construire des bâtiments qu’ils fourniraient à d’autres États, de sorte que le nombre de participants ne devrait finalement pas dépasser une centaine.

M. Bruno Le Roux, rapporteur. Vos propos sont passionnants. Alors que la perspective d’une exposition universelle suscite plutôt l’euphorie, vous nous ramenez d’emblée à la réalité. Sans doute avez-vous, autant que nous, envie que notre pays se lance dans l’aventure, avec succès. Mais cela aurait-il un sens pour la France ? L’organisation d’une exposition universelle est souvent liée à la volonté de prendre une nouvelle place dans le monde – voyez Shanghai ou Dubaï – ou à un aménagement urbain, comme à Shanghai encore ou à Séville. Or la France est déjà la première destination touristique ; elle bénéficie d’un rayonnement mondial ; quant à l’aménagement urbain, ses enjeux, s’agissant par exemple du Grand Paris, ne sont pas comparables à ceux de la Chine.

M. Pascal Rogard. L’exposition universelle pourrait réveiller Paris, que l’on qualifie souvent de « belle endormie », par opposition à Londres ou à Berlin. Paris a besoin de rompre avec son image traditionnelle pour se tourner vers l’innovation et les nouvelles technologies. En outre, elle pourrait bénéficier de la rénovation urbaine, des modernisations, des extensions qui accompagnent tout projet d’exposition universelle.

M. le président Jean-Christophe Fromantin. Qu’en est-il du point de vue diplomatique, monsieur l’ambassadeur ? Le regain d’intérêt pour les expositions universelles n’est-il pas l’expression d’une nouvelle diplomatie, fondée sur le soft power ? La France ne devrait-elle pas, par sa candidature, s’inscrire dans ce nouveau rapport de forces caractéristique de la mondialisation ?

M. Jean-Pierre Lafon. Je répondrai à la première question en citant Sartre : c’est le projet qui révèle l’être. Depuis que le projet existe, des suggestions sont formulées que l’on n’aurait pas imaginées auparavant. Le fait d’associer au projet toutes les forces vives de la nation est décisif, de même que l’accueil réservé aux initiatives des autres pays, qui nous permettra, comme je l’ai dit, de changer notre image.

Il est exact que nous pouvons définir ainsi une nouvelle diplomatie, dont relèvent la découverte de zones que nous connaissons mal, la réorientation de notre politique de coopération, la promotion de nos entreprises, de nos laboratoires de recherche, de nos universités, en lien avec les initiatives prises depuis quelques années au plus haut niveau – investissements d’avenir, propositions de concours de la commission Lauvergeon, projets retenus par le ministre du redressement productif.

Un tel projet provoquerait un sursaut au bénéfice non seulement de Paris, mais de tout le pays, et serait un catalyseur. Voilà pourquoi il est indispensable d’en évaluer l’effet sur la croissance ainsi que les modalités financières. Il pourrait également être opportun de désigner, en vue de la campagne, des ambassadeurs thématiques chargés de visiter certaines régions, sur le modèle italien, et, sur le modèle chinois, un conseil international destiné à recueillir les suggestions de représentants de très nombreux pays. Car c’est aussi cela, la France : les exemples que j’ai cités en peinture – mais l’on pourrait aussi en trouver dans le monde de la recherche – témoignent de ce que notre pays doit aux étrangers.

Mme Claudine Schmid. Vous l’avez rappelé, monsieur l’ambassadeur, on nous dit souvent arrogants. Indépendamment du montage du dossier, qui ne devrait pas poser de problème, le ministère des affaires étrangères est-il conscient du fait qu’il doit dès à présent commencer de défendre notre candidature lors de ses échanges avec ses homologues ? Plus généralement, lorsque l’un de nos ministres se déplace à l’étranger, est-il conscient de l’image qu’il donne, par exemple quand il annule ses rendez-vous à la dernière minute ? Cette question sera moins déterminante lorsque notre candidature aura été acceptée, si elle doit l’être : le ministère des affaires étrangères pourra alors se mettre en retrait.

Monsieur Rogard, pensez-vous que nous puissions nous mettre d’accord avec nos partenaires de l’Union pour que le dossier français soit le seul dossier européen présenté ?

M. Jean-Pierre Lafon. Sur le premier point, le ministre des affaires étrangères, qui, comme son prédécesseur, possède une grande expérience en matière de relations internationales, est parfaitement conscient de l’enjeu. Je ne suis pas certain qu’il en aille de même des autres autorités, hauts fonctionnaires compris. Parmi les ambassadeurs eux-mêmes, ceux qui savent écouter ne représentent pas la majorité. « L’extrême plaisir que nous prenons à parler de nous-mêmes, disait pourtant La Rochefoucauld, doit nous faire craindre de n’en donner guère à ceux qui nous écoutent ». Ce don trop rare devra faire partie des critères de sélection de ceux que nous enverrons défendre notre candidature.

M. Pascal Rogard. Pouvons-nous attendre le soutien de nos 27 partenaires ? Du point de vue juridique, non ; du point de vue politique – si le chef de l’État travaille à convaincre ses homologues –, oui. De toute façon, je doute qu’une autre ville européenne que Paris envisage de présenter sa candidature. Aucune ne l’a d’ailleurs fait pour l’exposition de 2020.

M. Alexis Bachelay. Puisque nous sommes là pour poser les questions qui fâchent, je me demande si une candidature française ne serait pas prématurée. Les dernières candidatures de Paris à de grands événements, dont les Jeux olympiques, n’ont pas été couronnées de succès. L’image traditionnelle dont la capitale pourrait pâtir n’est pas sans lien avec le fait que les projets présentés se limitent toujours à Paris intra muros, alors que c’est au-delà du périphérique que l’on trouve aujourd’hui innovation et développement culturel, économique et technologique, ne serait-ce que parce que le prix du foncier parisien y chasse les investisseurs. Malheureusement, s’agissant du Grand Paris, nous avons pris du retard. Le réseau de transports est vieilli et saturé, les embouteillages s’aggravent, et même si nous avons tenté de mettre les bouchées doubles, le réseau Grand Paris Express ne sera peut-être pas bouclé avant une vingtaine d’années. 2025, n’est-ce pas dès lors un peu tôt ? La desserte de Roissy par CDG Express est un autre point faible : rien ne dit qu’elle fonctionnera avant 2025. Peut-être une candidature inciterait-elle à accélérer le rythme, mais ce n’est pas certain.

La constitution de la gouvernance du Grand Paris, désormais fixée au 1er janvier 2016, a également tardé car chacun défendait ses propres intérêts. L’existence d’une métropole parisienne pourrait être un atout dans toute candidature à un grand événement, mais pourrons-nous refaire notre retard de manière à être prêts en 2025 ?

M. Jean-Pierre Lafon. Les problèmes que vous posez sont réels. Au rythme actuel d’avancement des travaux, le réseau Grand Paris Express ne devrait pas être achevé avant 2027. Quant à la liaison entre l’aéroport de Roissy et le centre-ville, elle doit évidemment être réalisée et testée au plus tard quelques semaines avant le début de l’éventuelle exposition. C’est donc une question de priorité politique. Un projet d’une telle ampleur ne peut aboutir que si le chef de l’État prend les choses en main, comme pour le bicentenaire de la Révolution française ou pour le Grand Louvre. La faisabilité de l’exposition universelle dépend de la résolution de ces problèmes ; mais, quand le vin est tiré, il faut le boire !

M. Bruno Le Roux. La mission d’enquête du BIE établit-elle un rapport que nous pourrions consulter afin de nous informer sur les différents critères de sélection ?

M. Pascal Rogard. Voici comment se déroule une mission d’enquête – j’ai participé à celle qui s’est rendue à Dubaï. Pendant cinq jours, la ville candidate présente son projet, ses infrastructures, ses services de santé, justifie ses hypothèses de fréquentation – c’était particulièrement nécessaire à Dubaï, où l’on attend 25 à 30 millions de personnes en plein désert –, explique comment sera géré le flux des entrées. Le rapport qui en est issu se compose de quelque 800 pages.

M. le président Jean-Christophe Fromantin. Monsieur l’ambassadeur, vous avez mentionné la volonté politique, essentielle à la réalisation d’un tel projet. Le volontarisme économique des entreprises est tout aussi fondamental, comme le montrent les exemples de Shanghai et de Dubaï. À l’heure où nos grandes entreprises, particulièrement présentes à l’étranger, stimulent la croissance, comment concevez-vous leur apport au système d’influence qui se construit autour d’une candidature ? Si Shanghai a réussi, n’est-ce pas parce que l’exposition universelle permettait aux entreprises étrangères de venir à la rencontre des consommateurs chinois ? Nos entreprises, dont celles du CAC 40 que nous avons l’intention d’auditionner, s’intéressent d’ailleurs de près à la candidature française. Dans quelle mesure peuvent-elles contribuer à préparer le pays en temps voulu et, plus généralement, à faire aboutir sa candidature ?

M. Jean-Pierre Lafon. Vous devez associer d’emblée à votre réflexion les grandes entreprises, dont, sans doute, celles qui sont chargées des grands projets de la commission Lauvergeon. Ne pouvant les voir toutes, vous devriez composer un échantillon représentatif de leur diversité. Certaines sont à la pointe de l’innovation, par exemple Schneider s’agissant de la ville connectée. D’autres ont réussi dans le secteur des services, comme Bolloré avec les ports et avec Autolib’. D’autres encore, qu’il ne faut pas oublier, contribuent à l’art de vivre à la française. Ce domaine connaît lui aussi l’innovation. Sur ce sujet, je vous conseille d’auditionner le président de la commission internationale du comité Colbert, qui regroupe les entreprises du secteur. Vous aurez intérêt à présenter à vos interlocuteurs deux ou trois pistes de réflexion sur la thématique, puis à entretenir un lien avec eux au-delà d’une audition purement consultative.

Vous devriez également associer à votre démarche les représentants des salariés, les forces sociales, car toutes les forces vives de la nation doivent contribuer au projet, par-delà les options politiques, syndicales ou partisanes. N’oubliez pas que ce sont les grèves qui ont retardé l’ouverture de l’Exposition en 1937 !

Pourquoi ce projet ? demandait M. le rapporteur. Parce que c’est un catalyseur.

M. Pascal Rogard. Il serait opportun de mettre également à contribution les grandes entreprises étrangères présentes partout dans le monde et en France, qui seront elles aussi d’excellentes ambassadrices.

M. le président Jean-Christophe Fromantin. Il est utile de le rappeler à l’heure où l’on étudie la fusion de l’AFII, l’Agence française des investissements internationaux, et d’Ubifrance. Peut-être devrons-nous d’ailleurs auditionner le nouveau pôle qui en naîtra.

« Sursaut » et « catalyseur », voilà deux mots que nous retiendrons ! Merci, messieurs, de votre disponibilité.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur la candidature de la France à l'exposition universelle de 2025

Réunion du mercredi 5 février 2014 à 18 h

Présents. - M. Alexis Bachelay, M. Christophe Bouillon, M. Hervé Féron, M. Jean-Christophe Fromantin, M. Jean-François Lamour, M. Michel Lefait, M. Bruno Le Roux, M. Michel Lesage, Mme Martine Martinel, M. Hervé Pellois, Mme Catherine Quéré, Mme Claudine Schmid

Excusés. - M. Yves Albarello, Mme Marie-Odile Bouillé