Accueil > Travaux en commission > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Mercredi 19 février 2014

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 5

Présidence de M. Jean-Christophe Fromantin, Président

– Table ronde sur la mise en perspective historique et l’héritage des expositions universelles, avec M. Sylvain Ageorges, photographe, responsable du service iconographique du Bureau international des expositions, Mme Christiane Demeulenaere-Douyère, conservateur général du patrimoine et M. Pascal Ory, professeur d’histoire contemporaine à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne

Mission d’information
sur la candidature de la France à l’exposition universelle de 2025

M. le président Jean-Christophe Fromantin. Au cours de cette table ronde, nous demanderons à nos trois invités de revenir sur les facteurs qui ont fait le succès des expositions universelles organisées par la France entre 1855 et les premières décennies du XXe siècle. Nous aimerions vous entendre dire, madame, messieurs, si la mise en perspective historique et l’héritage des expositions universelles permettent de penser que l’accueil d’une exposition universelle en 2025 serait un atout pour la France.

M. Pascal Ory, professeur d’histoire contemporaine à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne. Je mettrai en avant devant vous les huit fonctions communes aux expositions universelles telles que je l’ai exposé à un public chinois en 2009 avant l’Exposition universelle de Shanghai, puis devant un public franco-chinois lors de l’Exposition. Je précise que si, à mon sens, cette grille de lecture s’applique à toutes sans exception, mon expertise au sujet des expositions universelles à l’étranger est très relative. Aussi les exemples qui pourraient me venir à l’esprit seront-ils plutôt empruntés aux expositions françaises, et donc parisiennes, puisque qui dit « exposition universelle » en France dit « exposition universelle à Paris », comme n’ont pas manqué de le faire régulièrement observer les parlementaires de province dans les années précédant ces expositions.

L’exposition universelle résulte de la rencontre du modèle anglais de l’exposition de produits d’art et d’industrie, qui date du XVIIIe siècle finissant, et du modèle français de l’exposition nationale, inventée à Paris sous la Révolution française. On l’a oublié, mais au lendemain de la révolution de 1848, le projet de tenir une première exposition internationale à Paris avait été formé. Des intérêts industriels et commerciaux s’y étant opposés, ce sont les Anglais qui l’ont finalement organisée ; cela a ensuite contraint la France à s’aligner sur le modèle anglais, et il y a sans doute là des leçons à tirer.

Quelles que soient les conjonctures, on peut isoler les fonctions caractéristiques des expositions universelles. La première, présente d’emblée, est la fonction d’exhibition technologique. La Tour Eiffel est un exemple extrême mais, dès 1855, ce sont des expositions spectaculaires où s’exhibe la modernité technologique. Au XIXe siècle déjà, la technique se mettait en scène, par exemple dans les « galeries des machines ». Il s’agissait à la fois de montrer ce que l’on faisait de plus pointu – on peut donc imaginer une approche équivalente au XXIe siècle – et d’éblouir les foules. On voit aussi ce que la démarche avait d’ambigu : on « vendait » aux foules la modernité, avec une dose de pédagogie, tout en leur disant : « Admirez l’étendue du génie humain sans trop chercher à comprendre »… Cette dimension fondatrice aurait, pour certains des premiers organisateurs, pu être la seule : sans rattacher à toute force la création des expositions universelles au saint-simonisme, on voit qu’est à l’œuvre dans ces réalisations une pensée du progrès résolvant tous les problèmes de l’humanité. Elle se retrouve dans l’affichage des expositions modernes.

L’autre fonction présente dans l’esprit des fondateurs, mais au second rang, est celle de foire commerciale. Ces expositions ont, dès l’origine, supposé une coopération entre secteur public et secteur privé et il y a toujours eu une compétition entre sociétés privées et regroupements nationaux d’entreprises. Cela explique aussi que les pavillons qui restent puissent être des pavillons privés. Ainsi, lors de l’Exposition internationale de 1937, est exposée au pavillon de l’électricité La Fée Electricité de Raoul Dufy, dite à l’époque « la plus grande toile jamais peinte » ; c’est une commande privée, pour l’Exposition, de la Compagnie parisienne de distribution d’électricité. La dimension commerciale de l’exposition universelle, version modernisée des foires médiévales, permet donc, selon des formes variables, une coopération entre public et privé, mais c’est la puissance publique qui donne le branle, dessine le cadre et donne les récompenses – les médailles des expositions.

Autre fonction de l’exposition universelle : l’exercice architectural. Le Crystal Palace élevé pour l’Exposition de 1851 à Londres avait connu un succès considérable, et l’idée s’est peu à peu enracinée dans l’esprit du public et des organisateurs successifs que l’on ne pouvait en rester à une foire éphémère. L’Exposition devait être l’occasion de montrer des prototypes architecturaux – ce qui rejoignait la première fonction, la promotion de la technique – mais aussi des bâtiments durables. L’évolution est progressive, car les premiers organisateurs pensaient plutôt à des constructions éphémères. Le Crystal Palace lui-même avait été conçu de la sorte ; sa pérennisation, qui n’allait pas de soi, a été due à son succès, et il en fut de même pour la Tour Eiffel. Au moment où une exposition s’achève, il faut analyser attentivement ce qui a marché et en tirer les conclusions appropriées pour les expositions suivantes. L’histoire de l’architecture est très liée aux expositions universelles : des solutions techniques à des problèmes architecturaux sont montrées à un très large public et valorisent le génie architectural des nations, celui de la nation organisatrice en particulier. Et si la commande publique se tourne plutôt vers les architectes « classiques » de chaque époque considérée, l’avant-garde architecturale n’est pas complétement absente ; ainsi, le Palais de Chaillot n’est pas précisément dans son style, mais Le Corbusier est présent à l’Exposition de 1937 avec le pavillon des Temps nouveaux.

La quatrième fonction est celle de levier urbanistique. L’unité de lieu étant, en raison des contraintes spatiales, assez vite remise en cause, le choix politique d’installer l’exposition sur plusieurs sites entraîne un remaniement urbain d’abord improvisé puis de plus en plus anticipé. Le meilleur exemple d’anticipation est celui de la première ligne du métro parisien, inaugurée lors de l’Exposition de 1900 : les embouteillages subis lors de l’Exposition de 1889 avaient été tels qu’il était inconcevable de ne pas reprendre le serpent de mer de l’édification du « chemin de fer métropolitain ». Mais le promeneur de Paris du XXIe siècle qui marche aux alentours de la gare Lyon, de la gare Saint-Lazare ou de la gare d'Orsay déambule dans des quartiers qui ont été entièrement remodelés pour les Expositions, comme l’ont été les ponts et les quais de Seine. Elles ont aussi entraîné un type d’urbanisme spécifique, avec certains bâtiments à caractère culturel, dont les musées. Tout cela participe du défi que représente une exposition universelle : on ne peut se permettre, sous le regard de l’étranger, de laisser les problèmes urbanistiques irrésolus.

La cinquième fonction, celle d’exposition d'art, a souvent été mise en avant par les historiens d’art. Cela n’allait pas de soi, puisque, au départ, les expositions nationales étaient conçues comme celles du monde économique se montrant à lui-même. Mais la France, dès l’Exposition de 1855, a tenu à rétablir l’équilibre par la présence des « beaux-arts ». La rétrospective, une manifestation fréquente aujourd’hui mais révolutionnaire à l’époque, a été inventée à cette occasion avec l’exposition comparée Ingres-Delacroix. Ce mouvement s’est amplifié par la suite avec de grandes expositions d’art plastique rétrospectives sur la décennale ou la centennale de l’art français ou international. Au-delà, une exposition universelle est un chantier de commandes d’œuvres d’art et aussi, en période de crise, de lutte contre le « chômage intellectuel » ; des centaines d’artistes, dont de grands noms, ont travaillé pour l’Exposition nationale de 1937, et la commande publique n’est en rien négligeable. Cela vaut pour le pays organisateur, pour les pavillons nationaux et pour les pavillons privés. Là encore, si les artistes « bien en cours » ou représentant une esthétique familière à la plupart des décideurs sont privilégiés, les artistes d’avant-garde ne sont pas complétement absents, ou ils tirent leur épingle du jeu. Ainsi Courbet et Rodin, excellents entrepreneurs de leur propre gloire, profitent-ils des Expositions pour se mettre en valeur. Le discours selon lequel on y aurait systématiquement privilégié le conservatisme esthétique est donc quelque peu convenu.

Sixième fonction d’une exposition universelle : « garden-party » de la puissance invitante. D’évidence, le gouvernement, le régime, la majorité politique aux affaires au moment de la tenue de l’Exposition se mettent en valeur à cette occasion. Cette dimension géopolitique prend une importance particulière en 1889 et en 1900 pour la République française qui, encore très isolée diplomatiquement en 1889 – moins en 1900 –, cherche à se replacer au centre du débat et à affirmer que son modèle est viable. Par ailleurs, les valeurs du régime sont illustrées par ce qui est supposé être l’unité de la nation organisatrice autour de cet événement. Ensuite, pour mesurer la réussite de la manifestation, intervient assez vite la notion de la fréquentation : dès le XIXe siècle sont installés des tourniquets, systèmes de comptage des visiteurs. L’obsession du chiffre est donc ancienne, comme l’obligation de faire mieux que les prédécesseurs – elle s’imposait encore à Shanghai, où l’on tenait à ce que l’affluence dépasse celle d’Osaka ; ce fut le cas.

La septième fonction d’une exposition universelle est celle de « société des nations ». Si cette confrontation semble aller de soi aujourd’hui, à l’origine les Expositions ne se présentent pas sous la forme de pavillons nationaux mais sous celle d’une grande halle. Mais en 1878 déjà est organisée une « Rue des nations » et, onze ans plus tard, chaque pays dispose de son propre pavillon, théâtre de mises en scène qui captivent le public autant qu’elles intéressent l’historien.

Enfin, la huitième fonction d’une exposition universelle est celle de fête populaire, d’abord mise sous le boisseau : pour les organisateurs, le propos était la pédagogie et la communion dans la religion du progrès et non le divertissement, le glissement vers le Luna Park – lequel est au demeurant une des conséquences de l’Exposition universelle de Chicago, en 1893. De fait, la dimension ludique des Expositions est celle que le public retiendra : on présente une production à caractère économique, un progrès technique, mais tout cela doit passionner, surprendre et intriguer, si bien que, finalement, la leçon s’efface quelque peu derrière l’attraction, qui peut être architecturale ou technologique.

Pour conclure, l’espace-temps des expositions universelles me paraît être une utopie, mais une utopie qui laisse des traces matérielles. Tous les organisateurs se demandent ce que laisse l’exposition, une fois achevée. Il me paraît normal qu’au XXIe siècle on s’interroge sur la durabilité urbanistique d’une exposition universelle – une utopie, soit, mais une utopie concrète qui doit résonner durablement.

Mme Christiane Demeulenaere-Douyère, conservateur général du patrimoine. J’adhère à cet exposé éloquent, dont je soulignerai certains points. Le premier est le lien étroit que Paris a entretenu avec les expositions universelles : cinq expositions se tiennent dans la capitale entre 1855 et 1900. À cela s’ajoutent d’autres expositions bien connues : l’Exposition des arts décoratifs de 1925 et l’Exposition internationale des arts et techniques de 1937, ainsi que l’Exposition coloniale internationale de 1931, qui a laissé un souvenir très vif à ceux qui l’ont visitée. Les Anglais, inventeurs des expositions universelles, y ont renoncé beaucoup plus tôt que les Français : après en avoir organisé deux, ils sont passés à une autre formule dès 1870.

J’insiste sur le rôle marqué de l’architecture qui, souvent, rejoint la prouesse technique. La Tour Eiffel, monument qui sort de l’ordinaire, est construite pour marquer les esprits, mais c’est essentiellement un bâtiment technique. De même, le contenu des « galeries des machines » est important mais la technique du contenant est frappante en soi, avec une architecture de métal et de fer dont ces galeries contribuent à faire la publicité.

Bien qu’internationales et même si leur organisation est dictée par une philosophie humaniste – on pense que la prospérité partagée permettra au monde de vivre dans la paix et la concorde –, les expositions universelles sont aussi des manifestations dans lesquelles on attache un grand prix à la mise en valeur du savoir-faire national ; de ce point de vue, il s’agit souvent d’une concurrence entre les nations. Ainsi l’Exposition des Arts décoratifs de 1925 a-t-elle été décidée pour mettre en valeur les savoir-faire des artisans d’art français – couturiers, parfumeurs, joailliers – et une tendance architecturale, le mouvement Art Déco, qui a ensuite rayonné à travers le monde.

Un autre élément déterminant est la place faite, dès les premiers temps, au secteur privé. Les expositions universelles sont des initiatives publiques, mais elles fonctionnent selon le système de la concession : une partie de l’espace est louée à des industriels, des manufacturiers et des commerçants qui sont censés l’animer. La place des concessions a grandi au fil du temps, car il faut aussi entendre par là les spectacles, forte dimension des expositions universelles et internationales. Les visiteurs veulent surtout se distraire, se dépayser, rêver ; comme les organisateurs souhaitent rentabiliser la manifestation au mieux, l’intérêt de tous est de faire venir le public le plus nombreux possible, grâce à des attractions. C’est le sujet de l’exposition consacrée à l’exotisme dans les expositions universelles que j’avais organisée aux Archives nationales. L’exotisme était très marqué dans la culture du public du XIXe siècle, comme le montre l’empreinte de l’orientalisme. Au fil des expositions, on est allé vers des attractions de plus en plus sensationnelles et grandioses – mais cela a pour limite qu’un moment vient où l’on ne peut aller plus loin !

Comme l’a indiqué M. Pascal Ory, une exposition universelle est aussi l’occasion d’un renouvellement urbain, par l’aménagement de nouveaux quartiers, de nouvelles infrastructures – la création de la gare d’Orsay, par exemple, est liée à l’Exposition universelle de 1900 –, de nouveaux hôtels – tel le Grand Hôtel du Louvre, construit par les frères Pereire à l’occasion de l’exposition universelle de 1855 – ou de nouveaux musées, qu’il s’agisse de Musée d’ethnographie du Trocadéro, inauguré à l’occasion de l’Exposition universelle de 1878, ou du Musée de l’Homme, ouvert au Palais de la découverte au moment de l’Exposition internationale de 1937.

Autre aspect des expositions universelles, et non le moindre : leur dimension géopolitique. Elles permettent d’une part à la puissance invitante de compter ses alliés et, dans certains cas, d’en acquérir, d’autre part de se faire légitimer. Ce fut le cas pour Napoléon III, arrivé au pouvoir dans des conditions contestables et qui a profité de deux expositions universelles pour se légitimer et pour légitimer sa dynastie. C’était aussi l’occasion pour certains pays d’exprimer une revendication nationale, politique ou même indépendantiste ; ainsi l’Égypte et la Tunisie se sont-elles très habilement servies de l’Exposition universelle de 1867 pour prendre leurs distances avec la puissance suzeraine de l’époque, l’Empire ottoman.

Mon approche des expositions universelles est particulière, puisque je suis conservateur général du patrimoine. Pendant douze ans, aux Archives nationales, j’ai eu le grand honneur d’être responsable des archives produites par les commissaires des expositions universelles, une production très nombreuse et très chaotique, car si les organisateurs ont toujours besoin de leurs archives, ils n’ont jamais le temps de les classer. Ces fonds sont extrêmement riches. Je ne sais si, dans l’hypothèse où une exposition universelle aurait lieu en France en 2025, on produira des documents qui donnent de quoi rêver comme le font ceux que j’ai eu la chance de conserver et d’essayer de préserver. Quoi qu’il en soit, le patrimoine est une dimension très importante des expositions universelles.

M. Sylvain Ageorges, photographe, responsable du service iconographique du Bureau international des expositions. Paris est des villes du monde celle qui a organisé le plus grand nombre d’expositions universelles. La première était située un peu plus haut que la place de la Concorde, entre la Seine et les Champs-Élysées. Le bout du bâtiment était à l’emplacement de l’actuel Petit Palais. Ce « Palais de l’industrie » entendait rivaliser avec le Crystal Palace londonien, mais il n’est finalement resté du modèle que le plafond de verre : le reste du bâtiment a été ceint de pierres de taille, avec un effet d’une particulière laideur.

Long de 300 mètres, il n’a servi que six mois pour les besoins de l’exposition, mais il a eu par la suite bien d’autres usages. Comme il empiétait sur l’emplacement prévu pour l’édification du Petit Palais à l’occasion de l’Exposition universelle de 1900, et considérant qu’il ne servait à rien, il a été décidé de le détruire. Il ressort pourtant de mes recherches que le bâtiment abritait en 1896 un musée des colonies, un musée des arts décoratifs, un dépôt de peintures et de sculptures, le service des tirages des emprunts de la ville de Paris, un magasin de décors du théâtre de l’Odéon, des bureaux de l’administration des Beaux-Arts, un commissariat de police, un poste de pompiers, un débit de tabac et des logements de concierges… En résumé, ce bâtiment supposé « ne servir à rien » avait trouvé bien des emplois.

De surcroît, ses pierres ont servi à la construction du Grand et du Petit Palais actuels. Cette réutilisation est ce qui fait la différence avec l’architecture moderne : les matériaux utilisés à l’époque étaient soit du bois chevillé qui se démonte très facilement, soit des pierres de taille que l’on savait désassembler, soit du métal que l’on savait dériveter. Tout comme l’un des pavillons Baltard a été démonté puis remonté à Nogent-sur-Marne, les structures de la Galerie des machines de l’Exposition universelle de 1878 ont été réutilisées pour plusieurs usages et en différents lieux : le long du bassin de La Villette pour construire des bâtiments métalliques – deux subsistent, dans lesquels sont installés les cinémas MK2 ; pour édifier ce qui est la halle de l’actuel gymnase Jean-Jaurès dans le XIXe arrondissement de Paris ; pour monter, à Meudon, le Hangar Y d’où est parti le premier ballon dirigeable. Les bâtiments construits pour les expositions universelles étaient donc assez souvent réutilisés.

Le Palais des machines, construit en 1889 sur un Champ de Mars dont la configuration n’était pas celle que nous connaissons aujourd’hui, a été la plus grande structure édifiée à l’occasion d’une exposition universelle à Paris. Il occupait, sur trois cents mètres de long, l’espace compris entre l’avenue de Suffren et l’avenue de La Bourdonnais. Le bâtiment a été ensuite utilisé comme vélodrome jusqu’à ce qu’il soit démonté en 1910 parce qu’il était trop grand ; l’immensité d’un bâtiment n’est donc pas le gage de sa pérennité.

S’il y a eu beaucoup d’expositions universelles à Paris, c’est aussi parce que de nombreux sites s’y prêtaient : les Champs-Élysées, le Champ de Mars, les Invalides et les bords de Seine constituaient un espace modulable. Je doute que l’on puisse construire maintenant les bâtiments abritant une exposition universelle au Champ de Mars : l’espace est bien plus réduit qu’il ne l’était à l’époque, il faudrait couper des arbres et l’emprise de la Tour Eiffel compliquerait les choses.

Il est dit que 50 millions de visiteurs sont venus à l’Exposition universelle de 1900. Même si ce nombre est incertain car les tourniquets qui comptabilisaient les entrées ne tenaient pas compte des abonnements ni, donc, des entrées multiples, ce qui était une gageure est devenu un beau succès si l’on considère que la France de l’époque comptait 40 millions d’habitants. L’entrée principale du bâtiment était située place de la Concorde, et l’une des sorties derrière le Village suisse – ainsi appelé car c’était l’emplacement du pavillon de la Suisse, d’ailleurs resté en l’état pendant quelques années après l’Exposition. On pouvait donc parcourir 4,5 kilomètres, au plus direct, à l’intérieur de l’exposition, sur un seul site, en longeant la Seine sur ses deux rives. L’Exposition universelle de 1900 a été la plus grande de toutes les expositions parisiennes : elle s’étendait sur les deux rives de la Seine, les Invalides, la colline du Trocadéro et le bas des Champs-Élysées.

M. Pascal Ory. Le transport fluvial, à mon sens actuellement sous-utilisé à Paris, est très lié à l’histoire des expositions universelles. Ainsi, si les bateaux-mouches portent ce nom, c’est que la concession du transport fluvial des passagers pour l’Exposition de 1867 a été remportée par un industriel lyonnais qui les a fait construire dans ses ateliers du quartier de la Mouche à Lyon. De même, il faudrait recourir au transport fluvial pour la partie intra muros d’une nouvelle exposition universelle.

M. Sylvain Ageorges. L’Exposition universelle de 1867 s’est tenue uniquement au Champ de Mars ; celle de 1878 sur la colline de Chaillot, après l’édification du palais du Trocadéro par Gabriel Davioud. La structure, flanquée de deux minarets, contenait un auditorium dont l’acoustique était, paraît-il, exécrable.

M. Pascal Ory. On connaît le même phénomène dans les collectivités locales où des salles polyvalentes, parce qu’elles doivent servir à tout, ne servent à rien de bien, en tout cas en matière acoustique…

M. Sylvain Ageorges. On retrouve au sein du musée de l’architecture, dans l’actuel palais du Trocadéro remodelé par Jacques Carlu pour l’exposition universelle de 1937, de magnifiques fers forgés provenant de l’Exposition de 1878.

M. Pascal Ory. C’est que le seul moyen de respecter les délais de construction d’une exposition universelle était de vampiriser les constructions de la précédente.

M. le président Jean-Christophe Fromantin. Je vous remercie pour ces indications passionnantes. Au regard des huit fonctions d’une exposition universelle définies par M. Pascal Ory, considérez-vous que l’organisation par la France d’une nouvelle exposition universelle en 2025 serait justifiée ?

M. Pascal Ory. L’analyse des expositions universelles qui ont eu lieu dans les dernières décennies du XXe siècle et au début du XXIe montre qu’une bonne partie des États organisateurs avaient quelque chose à prouver au monde : leur entrée dans le club ! C’est flagrant pour l’exposition d’Osaka, qui s’est tenue en 1970, époque qui correspond précisément à l’affirmation de la puissance économique japonaise. Il en est allé de même pour le Canada en 1967, et aussi pour l’Espagne et le Portugal, qui signaient ainsi leur entrée dans la démocratie.

Qu’aurions-nous donc à prouver en organisant une nouvelle exposition universelle ? La France peut-elle être « émergente » de quelque manière ? Plus modestement, ou de manière complémentaire, une exposition universelle tend à répondre à certains défis contemporains. Mais l’on pourrait penser qu’aujourd’hui c’est plutôt au Sud que se situerait la demande : Dubaï aura quelque chose à nous dire en 2025, et l’on peut se demander quand le Brésil ou l’Inde se mettront en branle. Mais ce n’est pas une raison pour penser que la France n’a rien à dire !

Mme Christiane Demeulenaere-Douyère. Une exposition universelle serait effectivement l’occasion pour la France de dire qu’elle a des arguments à faire valoir et des savoir-faire techniques et technologiques de pointe à mettre en valeur, plutôt que de se complaire dans la morosité, de battre sa coulpe ou de se persuader qu’elle n’est pas compétitive.

M. Pascal Ory. J’ajoute que le passé hégémonique de la France est aussi lié à une ouverture aux influences étrangères. Si la cuisine française continue, quoi que l’on en dise, à être une cuisine de référence, c’est parce qu’elle a été extraordinairement ouverte à ces influences. L’organisation d’une exposition universelle dans notre pays ne doit en aucun cas signifier que la France se dresserait sur ses ergots : il s’agit de montrer que l’on peut être Français et ouvert sur le monde, comme nous l’avons toujours été et comme nous voulons le montrer une nouvelle fois.

Mme Catherine Quéré. L’art de vivre participe des nouveaux indicateurs qui tendent à quantifier le bien-être des peuples. Ne pourrait-il y avoir là le thème d’une exposition universelle montrant ce qu’est notre qualité de vie, par le biais de l’alimentation et de la cuisine ?

Mme Christiane Demeulenaere-Douyère. Très certainement. Les expositions universelles ont aussi été des éléments fédérateurs de la nation. Elles ont souvent eu lieu dans des moments historiques compliqués, et les archives montrent nettement qu’elles ont permis de fédérer les élans : on y lit l’extraordinaire enthousiasme des organisateurs des expositions et de ceux qui travaillent autour d’eux. Ils n’avaient peur de rien !

M. Pascal Ory. J’ai eu la chance de visiter une partie de l’exposition de Shanghai. Le moins que je puisse dire est que le pavillon de la France ne m’a pas convaincu. À l’inverse, on voyait au pavillon italien tout ce que nous aurions dû faire : l’Italie y vendait à merveille son art de vivre, la qualité de ses métiers d’art, son côté « glamour », sa mode
– toutes choses que le pavillon français ignorait absolument. L’édifice lui-même, qui avait la forme d’un grand intestin, était glacial, se visitait en un instant, et n’avait de remarquable que le restaurant des frères Pourcel, au demeurant réservé aux élites chinoises. Je rageais. J’espère qu’en 2025, la notion d’art de vivre à la française, souvent moquée mais qui attire pourtant de très nombreux étrangers en France, sera mise en avant. Ce thème n’a rien d’anecdotique, car il se décline en terme de métiers : nous avons des chausseurs, des parfumeurs, des restaurateurs d’exception, et bien d’autres. Nous devons le faire savoir.

M. Yves Albarello. On évalue à quelque 50 millions le nombre de visiteurs de l’Exposition universelle de 1900, à une époque où les moyens de communication étaient infiniment moins puissants qu’ils ne le sont au XXIe siècle. Comment expliquer un tel nombre de visiteurs en 1900, et 70 millions de visiteurs « seulement » à Shanghai, en 2010, à l’heure de la communication toute puissante ?

M. Sylvain Ageorges. En 1899 déjà, tous les buralistes et tous les bureaux de poste de France menaient une grande campagne de vente de tickets d’entrée à l’Exposition universelle prévue un an plus tard, couplés avec des billets de train et des réservations d’hôtels. Cette publicité considérable faisait rêver. Or, le rêve a une très grande dimension dans ces manifestations, de même que la rencontre avec l’autre. Les expositions universelles passées suscitaient une grande curiosité que la généralisation de l’Internet a certainement atténuée.

Mme Christiane Demeulenaere-Douyère. Notre réseau diplomatique, qui avait également été mis à contribution, s’est montré très efficace. Il lui revenait de faire venir les exposants étrangers, et chaque pays mettait un point d’honneur à envoyer à Paris ce qu’il avait de mieux et de plus beau. Ainsi l’empereur du Siam a-t-il expédié les extraordinaires productions de ses manufactures personnelles, qui sont d’ailleurs restées en France au terme de l’exposition. Les chambres de commerce françaises à l’étranger, elles aussi mobilisées, ont réalisé un travail considérable.

M. Hervé Féron. L’organisation d’une exposition universelle suppose donc, très en amont, l’appropriation collective du projet et un enthousiasme partagé. Pour que l’ensemble de la population se sente concernée, une nouvelle exposition universelle, même si elle a lieu à Paris, devrait donc être une exposition de toute la France. Et, pour éviter que les visiteurs ne soient déçus, il convient de faire valoir savoir-faire et innovations. Enfin, ne conviendrait-il pas d’insister sur la qualité de vie par le biais du développement durable ?

M. Pascal Ory. Certainement. Chaque exposition universelle est le miroir grossissant des valeurs dominantes de l’époque et, actuellement, les questions environnementales sont au centre des réflexions. Les Chinois eux-mêmes avaient consacré une partie de l’exposition de Shanghai au développement durable. D’autre part, on est frappé par l’accélération de l’individualisation au sein d’une société mondiale largement occidentalisée. Il faudra donc insister sur l’appropriation individuelle de l’innovation et de l’art de vivre, en trouvant le moyen de s’adresser subtilement à chacun des 75 millions de visiteurs en particulier.

M. Jean-François Lamour. L’engouement que traduit la présence de 50 millions de visiteurs signale un plein succès et une véritable fête populaire. Mais quelle était l’opinion publique avant, pendant et après les expositions universelles ? Comment l’idée même de l’exposition était-elle perçue au moment où l’on commençait de la préparer ? Si des réticences se manifestaient dans la presse, l’État réagissait-il, et comment ? A posteriori, l’opinion publique jugeait-elle positivement l’organisation ? Enfin, à périmètre comparable, le coût des expositions universelles a-t-il grandi au fil des ans, compte étant tenu de l’héritage laissé en matière d’urbanisme ?

M. Pascal Ory. Des objections s’expriment toujours pendant la période de préparation d’une exposition universelle. Elles émanent notamment des représentants des provinces, et des voix, dont celle de Maurice Barrès, se sont élevées pour dire : « Une fois de plus, Paris se sert ». Il faut anticiper ce type de discours en définissant clairement qui organise l’exposition : est-ce Paris, ou est-ce la France ? Par ailleurs, si les opposants tordent toujours un peu le nez, en règle générale le bilan est plutôt positif et l’on constate un ralliement progressif, qui se mesure parfois au résultat des élections. Ainsi, en 1889, les élections législatives ont eu lieu à l’automne, dans une période « ascendante » de l’exposition universelle, qui s’est tenue de mai à novembre. Alors qu’au début de l’année, la République était très menacée par le boulangisme, l’élection de septembre a été un succès pour la majorité sortante, et certains, à l’époque, ont parlé d’un effet « Exposition ». On note enfin des critiques récurrentes sur le retard pris dans l’achèvement des travaux.

Mme Christiane Demeulenaere-Douyère. Il se produisait en effet couramment que, le jour de l’inauguration, le chef de l’État ne visite que la partie prête de l’exposition, cependant que de multiples chantiers se poursuivaient à l’arrière-plan. Aucune opposition à l’Exposition ne risquait de se manifester sous le second Empire… Quant aux expositions suivantes, elles ont eu la faveur de tous les acteurs économiques. Seuls des écrivains et des artistes protestent, au moment de l’Exposition de 1889, quand ils voient s’édifier la Tour Eiffel, qui les chagrine beaucoup. Mais ils ont beau pétitionner, emmenés par Charles Garnier, cela n’empêche pas l’exposition de se faire ! Les premiers grincements véritables ne se font entendre qu’au moment de l’Exposition coloniale, en raison de son thème, d’autant qu’elle coïncide avec la montée des mouvements indépendantistes dans les colonies ; une contre-exposition est montée, les surréalistes s’insurgent et les communistes leur emboîtent le pas. Auparavant, on ne perçoit pas d’opposition majeure aux expositions universelles.

M. Pascal Ory. Une des raisons pour lesquelles les Anglais ont très vite décidé d’en finir, c’est qu’ayant fait leurs calculs, ils ont constaté que les expositions universelles leur coûtaient plus cher qu’elles ne leur rapportaient. La France, elle, a considéré que le déficit faisait partie de l’ensemble… Plus tard, une grande polémique a eu lieu au Canada, et singulièrement au Québec, après l’Exposition de Montréal de 1967, gouffre financier. Mais, comme vous l’avez dit, il faut tenir compte, dans le calcul des coûts, des réaménagements en matière d’urbanisme intervenus à l’occasion des expositions universelles.

M. Sylvain Ageorges. Quelques mots de l’empreinte des expositions universelles sur l’urbanisme parisien. La gare de Lyon a été modernisée pour l’Exposition universelle de 1900 ; la gare d’Orsay fut inaugurée à la même occasion, mais ce fut un fiasco, les voyageurs devant descendre à la gare d’Austerlitz et traverser la Seine dans un train électrique passant sous le fleuve. Le boulevard Saint-Germain a été percé en urgence pour l’une des expositions universelles, et la colline de Chaillot remodelée. Quant à la Tour Eiffel, son démontage, d’ailleurs jamais chiffré, fut un mythe dès l’origine puisque Gustave Eiffel avait obtenu une concession de vingt ans ; de surcroît, il a offert le dernier étage de la Tour à l’armée en 1892… Le parc des Buttes-Chaumont et le parc Montsouris ont été créés pour l’Exposition universelle de 1867 et les bois de Vincennes et de Boulogne réaménagés à cette occasion. Ces grands travaux participent-ils du coût des expositions, ou constituent-ils un bénéfice pour Paris ? Enfin, la ligne 1 du métro parisien a été mise en service lors de l’Exposition de 1900. Le chantier ayant pris du retard, la ligne n’était pas prête lorsque l’Exposition s’est ouverte en avril, et elle fut inaugurée en juillet dans l’indifférence générale. Retard de trois mois, donc ; mais il avait été fermement décidé que la ligne devrait être ouverte pour l’Exposition universelle et, plus d’un siècle plus tard, nous en profitons toujours.

M. Bruno Le Roux, rapporteur. L’organisation d’une exposition universelle répond au besoin d’offrir une vitrine au progrès technique ; elle est aussi sous-tendue par de fortes motivations en termes d’aménagement et de transport. Quel besoin satisferait l’organisation par la France d’une exposition en 2025 ? Serait-ce l’occasion de démontrer que notre pays est l’un des premiers en matière d’innovation et de matérialiser cette excellence ? Ou serait-ce que nous avons besoin de nouveaux aménagements – mais en ce cas, lesquels ? Quels facteurs pourraient assurer le succès d’une nouvelle exposition universelle à Paris ?

M. Pascal Ory. Mme Christiane Demeulenaere-Douyère a donné une indication à ce sujet. Elle et moi sommes de ceux qui, très nombreux en France, souhaitent entendre un discours positif. Je rentre d’un séjour de plus de deux mois à New York, et j’ai ressenti un plaisir immense à me trouver au milieu de gens souriants et optimistes – ceux-là même qui ont pourtant subi les effets dévastateurs de l’ouragan Sandy il y a un an, et dans un pays où le taux de chômage était de 10 % il y a quatre ans ! La très importante motivation d’une exposition universelle pourrait être d’extraire ce qu’il y a d’énergie positive dans notre pays et de l’afficher, pour la gouverne des Français eux-mêmes et des étrangers qui pourraient être sceptiques sur cette France qui fut glorieuse et qui ne l’est plus. Il y aurait, à cette occasion, quelque chose à dire sur notre art de vivre, reconnu à l’étranger. Il conviendrait de moderniser cette notion et d’expliquer que nous voulons faire partager cet art de vivre aux visiteurs – pris individuellement, je le redis – de manière que le monde entier y participe. L’objectif d’une exposition universelle devrait être d’appréhender notre situation de manière positive, presque hédoniste, et de montrer que cette approche se traduit par des métiers et des dispositifs techniques à propos desquels la France peut afficher quelque chose.

Mme Christiane Demeulenaere-Douyère. Une exposition universelle à Paris doit s’entendre dans le Grand Paris. Résoudre les problèmes des banlieues sera l’un des défis majeurs des quelques années à venir, et une exposition universelle pourrait être un projet fédérateur pour des gens qui se sentent actuellement marginalisés. Ce pourrait aussi être l’occasion de revoir et d’améliorer l’aménagement du Grand Paris en mobilisant, en banlieue, les énergies, très fortes et prêtes à s’exprimer, et des savoir-faire multiples dont on n’a pas tout à fait conscience. On créerait ainsi un élan fédérateur qui permettrait de mieux vivre ensemble.

M. Pascal Ory. J’approuve ce point de vue sans réserve : l’Exposition universelle de 2025 devrait être une étape dans l’histoire du Grand Paris.

M. Bruno Le Roux, rapporteur. Peut-on concevoir une exposition universelle éphémère, qui ne laisserait aucune trace architecturale ?

M. Sylvain Ageorges. C’est la trace architecturale qui symbolise l’exposition universelle. Qu’il s’agisse de l’Atomium, de la Tour du soleil ou du Pavillon chinois, c’est l’architecture qui importe. À l’heure où un téléphone portable permet de disposer de toutes les informations possibles, ce qui fait l’intérêt d’une exposition universelle, c’est la rencontre avec l’autre et l’architecture : parler de la ville d’Astana avec des étudiants kazakhs qui s’essayeront à vous répondre en français, aller déjeuner au pavillon allemand…

M. Bruno Le Roux, rapporteur. Qu’il faille une trace architecturale, je n’en disconviens pas, mais elle peut être éphémère.

M. Sylvain Ageorges. Il n’y a rien d’éphémère. Le Grand Palais, construit par l’État, comme le petit Palais, construit par la Ville de Paris, étaient prévus pour rester, de même que l’Atomium, la Tour Eiffel, etc. Et si le parti pris était celui de l’éphémère, le geste architectural devrait néanmoins être beau.

M. Pascal Ory. La dernière exposition nationale suisse a été conçue pour être entièrement éphémère ; elle a laissé un souvenir mitigé.

M. Yves Albarello. Tous les membres de notre mission d’information sont enthousiastes à l’idée qu’une exposition universelle se tienne à Paris en 2025. Mais pour susciter pareil enthousiasme chez nos collègues, il nous faudra user de notre pouvoir de conviction : le risque est que tous ne se sentent pas concernés par un projet qu’ils pourraient considérer comme parisien alors qu’il s’agit d’un projet d’intérêt national.

J’ai souligné, lorsque notre mission a auditionné le secrétaire général du Bureau international des expositions (BIE), l’atout que représentera le projet Grand Paris Express, ses quelque 200 kilomètres de lignes de métro automatique et ses 72 nouvelles gares dessinées par de grands architectes, et dont la mise en service est prévue en 2025. Ces matériels seront construits par des sociétés françaises leaders sur ce marché ; ce serait l’occasion de montrer au monde notre savoir-faire technologique.

M. Pascal Ory. On peut imaginer qu’en 2025 une exposition universelle organisée en France ne soit pas limitée au seul Grand Paris mais se déroule dans plusieurs autres métropoles. Cela suppose de trouver les dispositifs qui permettront d’impliquer Bordeaux, Marseille ou Strasbourg. Pour l’Exposition internationale de 1937, la solution trouvée était très simple : un espace regroupait les pavillons des provinces, qui formaient le Centre régional de France. En 2025, on pourra vraisemblablement se transporter pour une journée, en train ou en avion, dans les métropoles régionales.

Mme Catherine Quéré. L’un des responsables du pavillon français de l’Exposition universelle de 2015 à Milan nous demande de solliciter les régions afin qu’elles viennent présenter leurs réalisations. Cette approche permettrait aussi d’intéresser les régions à une exposition universelle sise dans le Grand Paris.

M. Bruno Le Roux, rapporteur. Que reste-t-il des expositions universelles dans la mémoire des peuples ? Certains éléments de cet héritage sont-ils révolus ? Inversement, de nouveaux enjeux peuvent-ils être mis en lumière ?

M. Pascal Ory. Les expositions universelles suscitent un sentiment récurrent de fierté nationale, après que l’on a vu affluer le monde entier. À cet égard, étant donné la concentration des manifestations, la gestion des files d’attente n’est pas un mince problème
– à Shanghai, on attendait communément plusieurs heures sous un soleil de plomb… D’autre part, l’idée de démonstrations d’ordre technique n’est pas complétement obsolète ; l’intérêt d’une appropriation individuelle, sur place, par le biais de la rencontre, demeure, comme demeure l’intérêt du dialogue.

Mme Christiane Demeulenaere-Douyère. Au nombre des importantes fonctions des expositions universelles, il faut citer l’appropriation des techniques. Au XIXe siècle singulièrement, il fallait que les gens s’approprient les techniques nouvelles – elles les effrayaient, car ils étaient conscients qu’elles menaçaient leurs emplois. En montrant les techniques à l’œuvre, on les a fait entrer dans une culture partagée. Sur un autre plan, parce que l’on voyage et que l’on regarde la télévision, l’utilité d’une exposition universelle pour rencontrer des gens venus de l’autre bout du monde est moindre aujourd’hui qu’elle ne le fut, mais le dialogue demeure fondamental.

M. le président Jean-Christophe Fromantin. Pendant les six mois de l’exposition, il pourrait être envisagé de mettre à la disposition de certains pays plusieurs de nos monuments afin qu’ils les réinvestissent à leur manière, ainsi que les 72 gares du Grand Paris Express, qui pourraient être autant de pavillons étrangers. Cette idée vous paraît-elle judicieuse ? D’autre part, les expositions universelles, vous l’avez montré, ont toujours été l’occasion de repenser les modalités de la mobilité. Si l’éclatement de la manifestation était possible, il nous semblerait de bonne pratique d’étendre l’exposition au Grand Paris, et de prévoir des satellites dans les métropoles régionales ; qu’en pensez-vous ?

Mme Christiane Demeulenaere-Douyère. C’est une très belle idée que de mettre à disposition d’autres pays des bâtiments patrimoniaux pour confronter les regards, mais je ne saurais dire comment réagiront les conservateurs… La question de la mobilité est très importante. Une exposition devra, par des moyens que je n’ai pas la compétence d’imaginer, impliquer tout le territoire situé autour de la Ville de Paris. On ne peut concevoir une « exposition des riches », les pauvres étant laissés sur le bord de la route. Ce serait une faute.

M. Sylvain Ageorges. Proposer l’usage de monuments emblématiques ne sera pas sans poser problème. On peut être sûr que chacun des 167 pays membres du BIE voudra la Tour Eiffel, mais lequel préférera à Versailles la gare d’Ivry ou celle de Montreuil ? Tel chef d’État peu connu pour sa souplesse acceptera-t-il facilement que son voisin dispose du Trocadéro pendant six mois ? En revanche, on peut imaginer faire se dérouler des événements, y compris de nature technique, à Versailles ou à la Tour Eiffel ; la durée d’une exposition universelle laisse le temps de montrer autre chose que des danses folkloriques.

M. Pascal Ory. La solution peut effectivement être de privilégier l’événementiel en plusieurs lieux de prestige. Utiliser les gares permettrait de proposer 72 solutions à autant de pays ; c’est sans doute moins intimidant et moins lourd que de se voir confier le parc de Versailles pour six mois, avec les problèmes diplomatiques que cela provoquera en prime. Enfin, certains monuments, ceux qui ont un parc par exemple, se prêtent mieux que d’autres à l’exercice.

M. le président Jean-Christophe Fromantin. Les huit fonctions des expositions universelles que vous avez décrites forment la trame, finalement très contemporaine, des objectifs que nous voulons définir et des principes qui doivent nous guider. L’audace du XIXe siècle doit nous inspirer. Nous vous avons entendus : nous ne devons pas décevoir, en laissant se déliter nos avantages comparatifs, les pays émergents qui voient la France comme un modèle, et la redynamisation de nos avantages culturels, architecturaux et techniques que permettrait l’organisation d’une exposition universelle a un sens.

Madame, messieurs, je vous remercie d’avoir permis ces échanges éclairants, que nous serons peut-être amenés à approfondir.

M. Pascal Ory. Et si tel n’est pas le cas, rendez-vous en 2025 !

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur la candidature de la France à l'exposition universelle de 2025

Réunion du mercredi 19 février 2014 à 17 heures

Présents. - M. Yves Albarello, M. Alexis Bachelay, M. Thierry Benoit, M. Hervé Féron, M. Jean-Christophe Fromantin, M. Jean-François Lamour, M. Bruno Le Roux, Mme Martine Martinel, Mme Catherine Quéré, Mme Claudine Schmid

Excusés. - Mme Marie-Odile Bouillé, M. Christophe Bouillon

Assistait également à la réunion. - Mme Sophie Dessus