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Mercredi 21 mai 2014

Séance de 18 heures 45

Compte rendu n° 15

Présidence de M. Jean-Christophe Fromantin, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Guy Drut, ancien ministre, membre du comité international olympique

Mission d’information
sur la candidature de la France à l’exposition universelle de 2025

M. le président Jean-Christophe Fromantin. C’est avec grand plaisir, monsieur Guy Drut, que nous vous accueillons au sein de cette maison, qui a été la vôtre si longtemps, dans le cadre d’une mission d’information parlementaire dont l’objectif est d’évaluer l’opportunité et la pertinence d’une candidature de la France à l’exposition universelle de 2025. Notre mission, qui a débuté en février et qui doit s’achever en octobre, travaille à la fois sur la structuration du processus de candidature auprès du Bureau international des expositions – une structure équivalente à celle du Comité international olympique, mais intergouvernementale – ainsi que sur les atouts de la France : en quoi l’organisation d’une telle exposition pourrait-elle intéresser notre économie, notre culture ou notre urbanisme ?

Nous auditionnons également des acteurs des grands événements sportifs, comme, la semaine dernière, M. Christian Prudhomme, directeur du cyclisme d’Amaury Sport Organisation et directeur du Tour de France. Nous souhaitons vous entendre sur votre expérience au sein du CIO et recueillir vos commentaires sur ces trois expériences malheureuses qu’ont constituées les deux candidatures de Paris aux Jeux olympiques de 2008 et de 2012, et celle d’Annecy aux jeux d’hiver de 2018.

Quelle analyse critique faites-vous des processus d’influence et de décision ? Avez-vous observé un vrai manque de professionnalisme ? Avez-vous vérifié le reproche de condescendance qui est souvent fait à la France ?

Quel regard portez-vous, enfin, sur le projet d’exposition universelle ?

M. Guy Drut, ancien ministre, membre du Comité international olympique. Vous n’ignorez pas qui je suis, ayant été député durant vingt et un ans, de 1986 à 2007. J’ai arrêté ma carrière sportive une première fois en 1976, puis, après l’avoir reprise en 1980, définitivement en 1982. Après quoi, j’ai embrassé une carrière politique qui m’a tout d’abord conduit à la ville de Paris, comme adjoint chargé de la jeunesse et des sports. Je suis ensuite devenu conseiller régional de la région Île-de-France, conseiller municipal d’opposition de la ville de Meaux, puis maire de Coulommiers de 1992 à 2008. J’ai également été ministre de la jeunesse et des sports du gouvernement d’Alain Juppé de novembre 1995 à juin 1997.

Depuis 1996, je suis membre du CIO. Ma carrière et ma bonne connaissance du monde sportif international m’ont valu de participer aux différentes candidatures de la France aux Jeux olympiques.

J’ai déjà eu l’occasion de vous le dire : dès qu’il s’agit de promouvoir l’excellence française à l’étranger, vous pouvez compter sur moi. Il est ridicule d’opposer une candidature aux Jeux olympiques à une candidature à l’exposition universelle. Les deux sont complémentaires, et nous devons nous aider mutuellement. Jean-Claude Killy n’étant plus un membre actif du CIO, j’y suis devenu le membre le plus important puisque le plus ancien dans le grade le plus élevé. Je suis donc incontournable en cas de candidature aux Jeux olympiques.

L’image et le bien-être d’un pays reposent sur trois critères essentiels : son rayonnement économique, son rayonnement culturel et son rayonnement sportif. La France, qui a été une grande puissance économique, est aujourd’hui en perte de vitesse. Elle reste toutefois parmi les cinq premières puissances économiques mondiales. Sur le plan culturel, la France conserve son rang. Sur le plan sportif, contrairement à l’époque où je courais, elle obtient de bons résultats. Notre rang dans le classement des médailles est honorable, qu’il s’agisse des disciplines d’été ou d’hiver. Nous remportons régulièrement des titres de champion du monde ou d’Europe. La valeur des athlètes français, de l’école sportive française et des cadres techniques français – dont le corps a été difficilement maintenu en raison des restrictions budgétaires – est reconnue au niveau international. Il n’existe pas de problème entre les systèmes fédéraux français et international. Je tiens à rappeler que des présidents de fédérations nationales ont des postes de responsabilité au niveau international au sein des exécutifs, comme présidents ou secrétaires généraux : du reste, et on nous en félicite, la France organise régulièrement des championnats. Je citerai, outre l’Euro 2016, l’organisation cette année des jeux équestres mondiaux et, en 2017, celle des championnats de handball masculin. La France s’est également positionnée pour l’Eurobasket 2015. En revanche, le mouvement olympique français est en perte de vitesse par rapport au mouvement olympique international.

Bien qu’il soit difficile d’unir le mouvement olympique français et le corps politique, en aucune façon, je le répète, il ne faut opposer une candidature à des Jeux olympiques à une candidature à une exposition universelle. Si j’ai toujours affirmé que la France devait assumer une ambition olympique française pour la décennie 2020-2030, je n’ai jamais daté cette ambition avec précision. Il faut se rappeler que l’élection de la ville organisatrice se déroule six à sept ans avant le déroulement des jeux. La France peut, de plus, candidater non seulement pour les Jeux olympiques d’été, mais également pour les Jeux olympiques d’hiver ou pour les Jeux olympiques de la jeunesse. Sachons faire preuve de réalisme en admettant qu’il nous serait aujourd’hui beaucoup plus difficile qu’auparavant d’organiser les jeux d’été : en avons-nous encore les moyens ? Comme Jean-Claude Killy l’a souligné dans un numéro récent de L’Équipe Magazine, il nous faut rompre avec l’arrogance. Le CIO n’attend pas de leçons des Français, même si c’est le baron Pierre de Coubertin qui a ressuscité les jeux et créé le CIO : c’était dans les années 1890 ! C’est la raison pour laquelle la France ne doit pas compter organiser les jeux en 2024 au seul motif que ce sera le centenaire des jeux de Paris de 1924 : ce n’est plus un argument. Pourquoi ne pas viser l’organisation des jeux d’hiver de 2026 ou des jeux d’été de 2028 ?

Ce qu’il faut promouvoir, c’est la France : ne jouons pas, une fois de plus, aux tribus gauloises en mettant en concurrence l’organisation de Jeux olympiques avec celle d’une exposition universelle.

M. le président Jean-Christophe Fromantin. Le rythme du processus de candidature à une exposition universelle est similaire à celui d’une candidature aux Jeux olympiques : en l’espèce, dépôt des dossiers en 2016, vote en 2018 pour une organisation en 2025.

M. Guy Drut. S’agissant des Jeux olympiques, les dossiers doivent être déposés en 2015 pour un vote en 2017 et une organisation en 2024.

M. le président Jean-Christophe Fromantin. Il y a, en effet, un décalage d’un an.

L’autorité en la matière est le Bureau international des expositions, qui a été créé en 1928 et dont le siège est à Paris. C’est une structure publique composée de 170 pays. Le Bureau délègue des ambassadeurs qui élisent la ville organisatrice après avoir procédé à des auditions et s’être déplacés dans les villes candidates.

En dehors de la qualité des infrastructures sportives et de la capacité à organiser l’événement, sur quels critères les membres du CIO se fondent-ils pour arrêter leur choix ? Des critères objectifs de mobilité ou d’accueil ? Des critères subjectifs ? La France part-elle avec des handicaps structurels ?

M. Guy Drut. Les critères sont vraiment subjectifs, les villes candidates répondant aujourd’hui dans l’ensemble aux exigences techniques de l’événement. Après avoir fait partie de la commission d’évaluation des jeux de 2016, j’ai fait partie de celle des jeux de 2020, qui se dérouleront à Tokyo ; je fais maintenant partie de la commission de coordination de ces mêmes jeux. S’agissant des jeux de 2016, je dois avouer qu’un grand nombre des membres du CIO et moi-même regrettons d’en avoir accordé l’organisation aux Brésiliens : s’ils sont assurément très sympathiques, voire attendrissants – ils pleurent facilement –, ils ne remplissent pas leurs engagements.

Le processus de sélection du CIO est en cours de modification. À l’heure actuelle, dès que les villes ont fait acte de candidature, les membres du CIO n’ont plus le droit de s’y rendre, une interdiction particulièrement difficile à respecter lorsque des villes comme Paris ou Londres sont candidates. Aussi le CIO ferme-t-il le plus souvent les yeux sur de tels déplacements. De plus, aucun des membres du comité de candidature d’une ville, sauf s’ils sont eux-mêmes membres du CIO, n’a le droit de rendre visite aux membres du CIO. Là encore, devant les difficultés que pose le respect de cette interdiction, il est prévu d’assouplir le règlement.

Les dossiers des villes « requérantes » – celles qui ont fait acte de candidature – sont examinés par une commission ad hoc du CIO : celles, au nombre de trois ou quatre, dont les dossiers ont été sélectionnés, de villes « requérantes » deviennent « villes candidates ». Les États concernés doivent se porter caution et les maires, ainsi que les présidents des comités olympiques locaux, signer un engagement. Les villes ont alors neuf mois pour préparer leur dossier définitif. Au cours de cette période, elles reçoivent la visite de la commission d’évaluation, qui est composée pour moitié de membres de CIO et pour moitié d’experts, en environnement, en sécurité ou en transports. Les permanents du CIO que sont le directeur des sports et celui des candidatures font aussi partie de cette commission.

Après que la commission a rendu son rapport, aussi épais que quatre Gaffiot et donc rarement lu dans son intégralité par les membres du CIO, les villes candidates ont deux occasions de présenter leur projet : une première fois, lors d’une session ouverte à tous et à la presse, trois mois avant la session officielle d’attribution qui a lieu, pour les jeux d’été, au mois d’août ou de septembre ; une deuxième fois, au cours d’une session délibérative durant laquelle elles exposent leur projet et répondent aux questions des membres du CIO. Le jour de la session officielle d’attribution, chaque ville candidate dispose d’une heure pour convaincre – une demi-heure d’exposé et une demi-heure d’échanges – avant que le jury ne passe au vote.

La présentation du projet à la session officielle d’attribution est très importante : si les Britanniques ont remporté l’organisation des jeux de 2012 alors que Paris était jugé gagnant, c’est que leur présentation a été bien meilleure que la nôtre. Bertrand Delanoë avait fait le choix, avec lequel je n’étais pas d’accord, de faire reposer toute la présentation sur le film, qui devait parler par lui-même, et non sur des intervenants. Jacques Chirac, alors président de la République, était à Singapour : il n’a parlé que trois minutes alors qu’il était très apprécié des membres du CIO. Le maire de Paris, qui est un bon orateur, n’a lui aussi que fort peu parlé. Aucun des membres du comité national olympique et sportif français n’est intervenu : seul son président, Henri Sérandour, s’est exprimé, alors qu’il était déjà très affaibli par la maladie qui devait l’emporter. Il faut savoir aussi que le président du comité britannique n’était autre que Sebastian Coe, une icône du monde sportif, que tous les membres du CIO connaissent et qui s’exprime largement aussi bien que le maire de Paris. Sebastian Coe parlait à sa famille, contrairement à Bertrand Delanoë.

Je regrette également que personne ne nous ait demandé notre avis sur le film, qui avait été conçu par Luc Besson, un réalisateur de talent mais dans lequel peu de sportifs s’y exprimaient, ce qui est grave. Trois mois avant l’échéance finale, lors d’une réunion de dirigeants, je me rappelle très bien avoir rappelé au maire de Paris que les Britanniques présentaient une candidature sportive soutenue par les politiques alors que la France en présentait une de plus en plus politique soutenue par les sportifs. Une scène du film se déroule au Fouquet’s : on y voit deux sportifs habillés en serveurs – Jean Galfione, champion olympique du saut à la perche, et Marie-José Pérec, triple championne olympique sur 200 et 400 mètres – apporter un café à deux acteurs célèbres. C’est l’inverse qu’il aurait fallu filmer ! C’était aux stars du cinéma de servir les deux athlètes. À un autre moment, les leaders de chaque centrale syndicale s’expriment : quel intérêt pour les membres du jury du CIO, qui viennent du monde entier, de l’Uruguay comme de la Mongolie ou de la Corée du Nord ? Les Britanniques, eux, ont tenu un discours complètement orienté sur la jeunesse. C’est une des grandes raisons pour lesquelles Paris a perdu.

Mme Martine Carrillon-Couvreur. Vous n’avez pas eu votre mot à dire sur le film, avez-vous dit. Est-ce Luc Besson qui a imposé sa vision ?

M. Guy Drut. Non, c’est le maire de Paris, qui a toujours eu une conception particulière de la concertation, qui avait fait ce choix. Au départ, cela se défendait, mais il aurait quand même fallu faire parler quelques intervenants.

Jean-Claude Killy n’assistait plus aux réunions parce qu’il n’était d’accord ni avec la constitution ni avec la façon d’agir du comité de candidature.

Mme Martine Carrillon-Couvreur. Ne conviendrait-il pas d’évaluer les étapes de la candidature tout au long du processus ?

M. Guy Drut. Une telle évaluation dépend du président du comité exécutif.

M. le président Jean-Christophe Fromantin. C’est une question de gouvernance interne.

M. Guy Drut. Vous avez raison, monsieur le président.

Mme Martine Carrillon-Couvreur. Il convient pourtant de s’assurer qu’on ne commet aucune erreur plombant le projet de manière irrattrapable.

Les auditions auxquelles nous précédons nous convainquent de la nécessité d’une organisation structurée.

M. Guy Drut. Et ouverte !

M. Yves Albarello. D’un commando, nous a-t-on dit.

M. Guy Drut. Tout à fait, il faut un commando.

Mme Martine Carrillon-Couvreur.  Le terme de commando ne me choque pas, car il signifie qu’on se donne les moyens d’accompagner et de réussir le projet, notamment en tirant les leçons des échecs passés.

M. Guy Drut. La double candidature de Paris et d’Albertville pour 1992 a été examinée par le CIO en 1985, alors que François Mitterrand était Président de la République et Jacques Chirac maire de Paris – il deviendra peu après Premier ministre. Le président du CIO était à l’époque Juan Antonio Samaranch, un diplomate redoutable, qui voulait absolument que les jeux d’été se déroulent dans sa ville natale, Barcelone. Il a donc favorisé la candidature d’Albertville pour les jeux d’hiver : personne ne peut me dire le contraire ! Samaranch est allé jusqu’à inverser l’ordre du vote des jeux d’été et d’hiver – le CIO a d’abord voté pour les jeux d’hiver puis pour les jeux d’été. De plus, comme Jacques Chirac s’était montré très convaincant devant le jury dans sa plaidoirie pour les jeux d’été, Samaranch a pris peur et a repoussé au lendemain le vote alors que celui-ci a lieu ordinairement dans la foulée des auditions. Il a ainsi pu consacrer la nuit à renverser la situation. C’était de bonne guerre et, d’ailleurs, tout le monde a été content : la France a pu organiser les jeux d’hiver et Barcelone les jeux d’été.

Lorsque la ville de Lille a fait acte de candidature, j’étais ministre. Étant natif du Nord-Pas-de-Calais, je me doutais bien que, pour Pierre Mauroy, que je ne connaissais pas personnellement, il s’agissait seulement de se servir de cette candidature comme d’un outil promotionnel pour Lille et sa région. La ville n’avait, en effet, aucune chance.

Quand Jean Tiberi, alors maire de Paris, a décidé de faire acte de candidature pour l’organisation des jeux de 2008, il a commis une erreur. Nous n’avions aucune chance d’être choisis, car la ville de Pékin, devant laquelle Sidney était passée de justesse pour l’organisation des jeux de 2000, ne pouvait pas perdre l’organisation de ceux de 2008. Pékin a été choisie en 2001, année du départ de Juan Antonio Samaranch et de l’élection à la tête du CIO de Jacques Rogge.

C’est également sous l’ère Tiberi que s’est préparée la candidature de Paris pour 2012, qui, elle, avait toutes ses chances de succès. Le changement de maire intervenu entre temps n’a en rien affecté le bon déroulement du dossier, et c’est Bertrand Delanoë qui a reçu la commission d’évaluation. Or c’est précisément pendant la semaine de sa visite que les syndicats ont choisi d’organiser une grève générale ! Eu égard à l’importance de l’enjeu, la gauche aurait peut-être pu intervenir auprès des dirigeants syndicaux pour qu’ils avancent ou retardent leur mouvement social. Depuis, les membres du CIO considèrent la France comme le pays des grèves. Mes interlocuteurs me demandent régulièrement des nouvelles de la situation sociale française et de l’attitude des syndicats, que l’ancien ministre turc des sports, membre de l’AKP, n’appréciait pas – il n’a pas favorisé notre candidature !

La candidature d’Annecy est l’exemple type de ce qu’il ne faut pas faire : outre que Pyeongchang devait avoir les jeux, le président du comité a été inefficace et le comité lui-même inexistant. C’est pourquoi nous nous sommes désolidarisés. Comment mener à bien une candidature à partir du moment où les membres du CIO sentent que ceux du comité olympique du pays candidat ne sont pas motivés ?

Mme Catherine Quéré. Les membres du CIO ont-ils entre eux de vraies discussions ?

M. Guy Drut. Oui.

Mme Catherine Quéré. Tenez-vous compte des continents auxquels appartiennent les pays candidats afin d’assurer une certaine rotation ?

M. Guy Drut. Oui. Personne ne le dit, mais, bien que la règle ne soit pas écrite, les décisions du CIO favorisent la rotation des continents.

Mme Catherine Quéré. Vous avez souligné l’importance du rôle joué par Sebastian Coe dans la victoire de Londres. Or tous les pays qui ont été choisis pour organiser des Jeux olympiques n’ont pas envoyé devant le jury du CIO un sportif aussi charismatique.

Les erreurs que nous avons commises ont-elles été évaluées ?

M. Guy Drut. Ce n’est pas Londres qui a gagné, c’est nous qui avons perdu. Londres a très bien monté son dossier. Vous avez raison : le fait pour un comité de candidature de ne pas avoir pour président un champion olympique n’interdit pas de remporter la victoire. Le comité de candidature de Rio de Janeiro est présidé par Carlos Nuzman : s’il est membre du CIO et a participé à des Jeux olympiques, il n’a jamais été champion olympique ; c’est une femme de talent, Yanna Angelopoulou-Daskalaki, qui a présidé le comité organisateur grec des Jeux olympiques d’Athènes en 2004 ; Pékin était représenté par un membre du CIO qui n’était même pas un sportif ! Si avoir dans sa manche un champion charismatique représente un avantage, ce n’est pas une condition sine qua non pour gagner, contrairement à ce qu’on croit en France.

Il n’y a eu aucune évaluation de nos échecs. Je me contenterai d’une simple anecdote : Chantal Jouanno, alors ministre des sports, m’a demandé de participer à la cellule chargée de soutenir la candidature d’Annecy aux Jeux olympiques d’hiver de 2018. Lorsque j’ai souhaité consulter les archives de la candidature de Paris aux jeux d’été de 2012, aucun de ses collaborateurs n’a été en mesure de me les fournir ! Elles sont quelque part, dispersées. Les échecs de 2008 et de 2012 n’ont fait l’objet d’aucune réunion de bilan.

Mme Catherine Quéré. C’est catastrophique.

M. Guy Drut. En effet, vous avez le droit de le dire.

M. Yves Albarello. Vous êtes la troisième personne auditionnée de la journée à évoquer l’arrogance française : celle-ci doit représenter un vrai handicap pour la candidature de la France. D’où vient cette arrogance ? Comment réussir à changer de comportement ?

Pensez-vous que la France est à même de déposer deux candidatures concomitantes, la première aux Jeux olympiques et la seconde à l’exposition universelle, compte tenu de l’état des finances publiques et des projets structurants qui doivent être menés à bien ?

Un bon dossier ne doit-il pas être accompagné d’un volet mobilité ? Or l’Île-de-France ne saurait actuellement accueillir le public du monde entier : quels conseils pourriez-vous nous donner en la matière ?

M. Guy Drut. Il convient de reconnaître notre arrogance si nous voulons y remédier. Nous n’avons aucune leçon à donner à qui que ce soit en matière sportive. Si la France est le plus beau pays du monde, il faut être capable de le faire sentir à nos partenaires sans le leur dire !

S’agissant de nos insuffisances, je prendrai deux exemples.

Il faut savoir que les membres du CIO, lorsqu’ils se déplacent, sont traités comme des nababs. Or pour sortir de l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle puis se rendre à Paris, c’est un véritable parcours du combattant ! Quant au RER, il n’est pas rassurant. Il est fondamental d’améliorer la liaison entre Roissy et Paris.

Et puis, avec le nouveau métier – raboteur de quais – que les Français viennent d’inventer, comment les étrangers ne se moqueraient-ils pas de nous ? Sachons nous montrer moins orgueilleux !

De surcroît, l’évolution vers plus de complexité des structures administratives et politiques de la région Île-de-France ne plaidera pas en notre faveur : entre Paris, le Grand Paris et la région Île-de-France, il y aura beaucoup d’interlocuteurs possibles pour le CIO. Théoriquement, c’est le maire et le président du comité olympique local qui déposent la candidature avec une caution de l’État. Avec qui le comité olympique travaillera-t-il ? Avec le maire de Paris ? Avec le président du Grand Paris ? Avec le président de la région Île-de-France ? Or le dossier doit être déposé à la fin de l’année 2015 pour une candidature aux jeux d’été de 2024.

Quant à la question de la concomitance, il faut être pragmatique. Rien n’interdit de faire acte de candidature aux deux événements. Le tout est que les deux projets ne donnent pas l’impression d’entrer en concurrence. Certes, le dossier de candidature aux Jeux olympiques de 2024 doit être déposé en septembre ou en octobre 2015, mais rien n’oblige à candidater pour 2024. Peut-être serait-il préférable de viser les jeux de 2028. Quant à savoir s’il faut faire une candidature de témoignage pour 2024, c’est aux deux patrons des candidatures aux Jeux olympiques et à l’exposition universelle d’en discuter avec les plus hautes autorités de l’État.

M. Yves Albarello. Le nouveau maire de Paris serait défavorable à une candidature aux Jeux olympiques mais favorable à une candidature à l’exposition universelle. Ce n’est pas une façon de partir gagnant.

M. Guy Drut. Dans ces conditions, renonçons aux Jeux olympiques.

M. le président Jean-Christophe Fromantin. Mme Hidalgo a, en effet, été très claire sur ce point dans la presse ce week-end.

M. Guy Drut. Un succès de Paris à l’exposition universelle pourrait favoriser sa candidature aux Jeux olympiques.

Mme Catherine Quéré. Et inversement, puisque Londres s’apprête à déposer une candidature à l’organisation de l’exposition universelle alors que les Britanniques ont récemment organisé les Jeux olympiques. Un premier succès donne de la crédibilité pour organiser un nouvel événement. Ce serait, en revanche, une folie pour Paris d’envisager l’organisation des Jeux olympiques en 2024.

M. le président Jean-Christophe Fromantin. Il est surtout important d’articuler les deux événements en montrant au monde qu’ils n’entrent pas en compétition interne. Ce serait dramatique pour la France, d’autant que les deux projets peuvent s’enrichir mutuellement.

Mme Claudine Schmid. À vous entendre, le CIO prend sa décision sur la ligne d’arrivée.

M. Guy Drut. C’est ce qui s’est passé lorsqu’il s’est agi de choisir entre Londres et Paris. En revanche, le choix de Pékin s’est fait bien en amont.

Mme Claudine Schmid. Comment se fait-il que des rumeurs annoncent, des mois à l’avance, le nombre de voix qui se porteront sur telle ou telle ville candidate ? Est-ce de l’intox ? Y a-t-il des indécis ? Certains événements sont-ils de nature à renverser la situation ? Les grèves de 2005 ont joué contre Paris, avez-vous dit, tout comme la grève des éboueurs, en 2003, a favorisé Valence aux dépens de Marseille pour l’organisation de la Coupe de l’America.

Vous avez également affirmé que la rotation des continents relevait du non-dit : pourquoi le CIO ne l’officialise-t-il pas ? Cela permettrait à des villes candidates qui ne seraient pas situées sur le bon continent, compte tenu de la rotation, de ne pas nourrir de faux espoirs.

M. Guy Drut. Cette rotation demeure une règle non écrite parce que le CIO ne veut pas se priver de la possibilité de choisir successivement deux candidatures excellentes situées sur un même continent. Il ne souhaite pas figer les règles.

Une session extraordinaire du CIO, intitulée « CIO 2020 », se déroulera à Monaco en décembre prochain en vue de toiletter le règlement, notamment en matière de mode d’attribution et de limite d’âge.

Mme Catherine Quéré. Vous avez souligné que, comme la ville de Pékin n’avait pas eu les jeux en 2000, il était logique qu’elle les obtînt en 2008. Or Paris ne les a pas eus depuis 1924 et nous avons perdu plusieurs fois.

M. Guy Drut. Nous avons assurément perdu plusieurs fois, mais sans avoir les arguments de Pékin. La Chine est peuplée de plus d’1,3 milliard d’habitants. De plus Samaranch était un président très actif et il s’était engagé envers la Chine, alors que Jacques Rogge, son successeur, n’intervenait pas dans l’orientation du choix des membres du CIO. Quant au choix de Pyeongchang pour 2018, il était naturel : la Corée du Sud a de très belles montagnes et dispose de toutes les installations nécessaires. Elle avait été battue à deux ou trois voix près par Vancouver pour les jeux d’hiver de 2010 et par Sotchi pour ceux de 2014. Didier Migaud et moi étions questeurs de l’Assemblée nationale lorsqu’Annecy s’est présentée : j’ai prévenu que la candidature de Pyeongchang était très sérieuse. Il aurait peut-être fallu passer un accord avec les Coréens. Quant à Christian Estrosi, il n’a pas entendu mon appel : il aurait dû présenter la candidature de Nice pour les jeux d’hiver de 2022. C’est dommage qu’il ne l’ait pas fait, car la ville aurait eu toutes ses chances.

S’agissant d’Annecy, je suis solidaire de l’erreur du comité olympique français. Le dossier était très mal monté au départ, car le comité voulait faire plaisir à toutes les vallées ! Or cela n’était pas possible. Jean-Claude Killy est monté au créneau et le CIO a généreusement accepté de faire passer Annecy de ville requérante à ville candidate. Le comité a alors regroupé les jeux sur un nombre plus restreint de vallées – La Clusaz, Chamonix et autour du Mont-Blanc –, ce qui a permis de rendre le dossier techniquement plus acceptable.

S’agissant des rumeurs qui circulent plusieurs mois à l’avance sur le nombre de voix qui se porterait sur telle ou telle ville candidate, c’est de la pure intox ! Je connais des membres du CIO qui m’ont assuré avoir tout fait pour faire gagner la France alors que je sais très bien qu’ils n’ont pas voté pour Paris. C’est la nature humaine.

M. le président Jean-Christophe Fromantin. On évoque actuellement une candidature de l’Afrique du Sud.

M. Guy Drut. C’est encore un peu tôt pour 2024. Peut-être pour 2028.

L’Afrique du Sud peut toutefois présenter une candidature de témoignage pour prendre ses marques.

Mme Catherine Quéré. Il serait logique que l’Afrique, qui est un grand continent, organise un jour des Jeux olympiques.

M. le président Jean-Christophe Fromantin. Nous terminons avec vous nos auditions de ce jour. Je vous remercie d’avoir répondu à notre invitation.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur la candidature de la France à l'exposition universelle de 2025

Réunion du mercredi 21 mai 2014 à 18 h 45

Présents. - M. Yves Albarello, Mme Martine Carrillon-Couvreur, M. Bruno Le Roux, M. Hervé Pellois, Mme Catherine Quéré, Mme Claudine Schmid

Excusé. - M. Philip Cordery