Accueil > Travaux en commission > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Mercredi 28 mai 2014

Séance de 16 heures 45

Compte rendu n° 16

Présidence de M. Jean-Christophe Fromantin, Président

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Claude Revel, déléguée interministérielle à l’intelligence économique

Mission d’information
sur la candidature de la France à l’exposition universelle de 2025

M. le président Jean-Christophe Fromantin. Nous accueillons Mme Claude Revel, déléguée interministérielle à l’intelligence économique.

Madame Revel, vous êtes ancienne élève de l’ENA et possédez une double expérience publique et privée dans le domaine international. Depuis 2004, vous vous partagez en trois activités : le conseil en relations internationales, l’enseignement et les conférences, ainsi que la rédaction d’ouvrages, dont Nous et le reste du monde – les vrais atouts de la France dans la mondialisation. Vous avez été nommée en mai 2013 à la tête de la délégation interministérielle à l’intelligence économique, qui a pour mission d’être un centre d’alerte, d’impulsion et d’accompagnement au service des intérêts économiques de la France et de sa compétitivité.

Notre mission est d’étudier en quoi la candidature de notre pays à l’exposition universelle de 2025 a un sens. Votre regard sur la situation actuelle et la manière dont la France est perçue nous intéresse, de même que votre approche du rôle que pourrait avoir une telle opération dans notre insertion dans la mondialisation.

Mme Claude Revel, déléguée interministérielle à l’intelligence économique. J’évoquerai cinq points principaux.

En premier lieu, l’intelligence économique est un principe de gouvernance né de l’affrontement à la concurrence internationale. Aujourd’hui, tous les États sont en concurrence, au même titre que les entreprises.

Ce principe se décline en trois volets : d’abord, le volet de veille et d’anticipation, lequel implique de comprendre son environnement extérieur, d’en identifier les forces et les acteurs clés, puis d’anticiper – ce qui, à la différence de la prospective, suppose une action sur ce qui va se passer dans 20 ans. Avec l’information ouverte, on dispose déjà de beaucoup de données. Deuxième volet : la sécurité économique, qui ne peut s’obtenir que sur la base des informations recueillies. Il s’agit de risques immatériels, liés à la propriété intellectuelle, au savoir-faire, aux données, à l’image ou à la réputation. Enfin, troisième volet : l’influence ou la manière d’agir sur son environnement, au lieu de le subir. Elles peuvent porter sur l’image ou les règles du jeu internationales – afin de convaincre nos partenaires de les adapter à nos besoins.

Par ailleurs, il y a lieu de sensibiliser les acteurs à se consacrer à l’intelligence économique, car celle-ci ne se décrète pas.

Deuxièmement, le projet d’exposition universelle de 2025 peut être une composante importante du bloc d’attractivité de la France.

Au-delà des investissements physiques, la dimension immatérielle est fondamentale et permet d’améliorer ceux-ci. Elle renvoie au domaine de l’image et de la perception, dans lequel la France dispose d’un capital d’influence, fondé sur notre histoire et nos valeurs, malgré l’existence d’un certain « French bashing ». Mais ce capital est un peu dormant, après avoir connu pourtant un fort développement à une certaine époque. Nous disposons aussi de réseaux, diplomatiques, mais aussi des conseillers du commerce extérieur, des hommes d’affaires, ou d’anciens élèves ou d’anciens scientifiques.

Or l’image sert l’influence. Si on n’a pas d’image crédible, on aura du mal à être influent dans les enceintes internationales, sachant qu’on ne peut mentir sur celle-ci. En sens inverse, l’influence sert l’image : il faut revenir à un cercle vertueux ambitieux à cet égard, ce qui repose sur un apport d’idées et un lobbying touchant à la perception.

Le projet d’exposition universelle de 2025 est très lié à l’image, aux territoires et aux infrastructures ; il est également crédible au regard de la perception que les étrangers peuvent avoir de la France, car il correspond bien à l’idée d’universalité et d’ouverture sur l’extérieur que nous portons.

Troisièmement, ce projet fait largement appel à l’intelligence collective, dans son but comme ses modalités. D’abord, parce qu’il permet de fédérer les citoyens autour d’un but commun dans un esprit de cohérence. Ensuite, car il est conçu en collaboration, avec un éclatement dans le temps et dans l’espace, et s’inscrit dans le nouvel esprit numérique actuel. Il fait résonner, ce faisant, tous ces aspects d’innovation numérique que nous avons en France, parfois peu connus à l’étranger.

Quatrièmement, il s’agit d’un projet non exclusif d’autres projets, comme celui des Jeux olympiques. Au contraire, une dynamique pourrait être créée entre les deux, y compris d’un point de vue financier. Ce projet concerne l’ensemble de l’action d’influence qui est la nôtre. Sa préparation pourrait fortement contribuer au début d’une relance dans ce domaine. Il pourrait à cet égard nous permettre de remonter dans certains classements internationaux. Je rappelle que, dans les classements d’image, nous sommes en baisse, entre la 3e et la 7e place.

Cinquièmement, la délégation interministérielle à l’intelligence économique pourrait contribuer à la réalisation d’une veille concurrentielle et à s’assurer que certaines idées ne soient pas copiées.

Comme le Bureau international des expositions (BIE) est composé d’États, il faudra que l’État s’en mêle, avec des outils de lobbying adaptés. Nous pouvons aider à l’ingénierie de lobbying et d’information et à la création d’alliances – les alliés pouvant être des porteurs de projet.

Il faut en tout cas éviter la dispersion et les interventions désordonnées, en se dotant d’un chef de file.

Nous ne ferons de toute façon rien sans votre accord.

M. le président Jean-Christophe Fromantin. Quels sont les grands outils d’influence utilisés par la France pour améliorer son image, résoudre des crises ou anticiper des décisions d’investissement ? Recourons-nous toujours à des méthodes classiques, fondées sur la diplomatie ou les rencontres internationales, ou à d’autres moyens ?

Mme Claude Revel. Mettre en place des outils d’influence réels est une des tâches auxquelles je m’attelle. Si nous disposons de multiples réseaux, il faut les orchestrer grâce à une ingénierie adaptée. Nous avons déjà essayé de le faire pour quelques projets, comme la loi sur le secret des affaires, qui nécessitait de trouver des alliés à Bruxelles, compte tenu de la directive européenne existant dans ce domaine.

Si je n’ai pas eu de crises à gérer, je pense que la plupart d’entre elles peuvent être anticipées et que l’on devrait se doter d’un outil à cet effet. Il reste encore beaucoup de travail à faire dans ce domaine.

M. le président Jean-Christophe Fromantin. On voit bien que les médias numériques et d’information instantanée rendent nécessaire un outil de gestion de crise dans un projet comme l’exposition universelle. Malgré toute l’énergie et la coordination que l’on peut mettre en place, il suffit qu’un adversaire exploite une grève ou un petit événement en France pour créer un buzz mondial susceptible de décrédibiliser notre candidature.

Mme Claude Revel. En effet. Parmi les outils que nous allons lancer, nous allons mettre en place une veille d’« e-réputation » pour notre pays, grâce notamment au balayage des réseaux sociaux et électroniques, mais aussi des réseaux physiques – entreprises, administrations, ambassades, etc. Nous pourrions faire de même pour votre projet.

Nous pourrions aussi avoir une sorte de think tank diffusant du concept et de l’image français. Les Britanniques disposent par exemple du Wilton Park, qui est un château élisabéthain dans lequel ils invitent tous les mois des personnes de tous les pays, qui sont des relais d’opinion, pour valoriser l’action de leur gouvernement. On pourrait s’en inspirer.

M. Yves Albarello. S’agissant des conflits qui pourraient survenir, l’ancien champion olympique Guy Drut, que nous avons auditionné la semaine dernière, nous disait qu’à l’occasion de la candidature de Paris, lorsque la délégation internationale est venue visiter nos installations, tout le monde était en grève ! En l’espèce, il convient donc de bien finaliser le projet avant de se porter candidat.

Je considère comme vous que cette exposition universelle aura plus d’impact pour la France que les Jeux olympiques, en raison de sa durée, de l’intelligence qu’elle sous-tend et de l’image que peut projeter ainsi notre pays à travers le monde. Je rappelle qu’en matière d’attractivité, Le Figaro de ce matin révèle que nous aurions perdu deux places et que nous nous situerions derrière l’Allemagne et le Royaume-Uni.

Nous avons aussi besoin de faire rêver nos générations futures, ce que permettrait une telle exposition.

Il nous faut en effet orchestrer nos réseaux, que nous agissions tous ensemble et que la diplomatie française s’investisse. Je rappelle que quasiment personne ne s’est vraiment occupé de l’exposition de Shanghai.

M. Guillaume Bachelay. Parmi nos atouts, nous disposons de la deuxième surface maritime du monde, de la troisième langue utilisée sur Internet, ainsi que de six Prix Nobel et trois médailles Fields pour la recherche en dix ans. Par ailleurs, s’agissant des classements, une étude rendue publique ce matin montre les performances françaises en matière de projets d’investissement sur notre territoire.

La coordination des réseaux d’intelligence économique avait été soulignée dans le rapport Gallois, qui faisait le constat de structures dispersées et éloignées des instances décisionnelles. Depuis, des mesures ont été mises en œuvre pour y remédier, notamment dans le cadre de votre délégation.

Pour développer la dimension collaborative du projet, vous avez souhaité faire résonner toutes les dimensions du numérique : pouvez-vous préciser votre pensée ?

Mme Claude Revel. En évoquant cela, je pensais à ce que j’avais entendu de votre projet : les étrangers qui le souhaitent pourraient s’approprier des monuments, tout ne se passerait pas forcément à Paris et, grâce au numérique, certains aspects pourraient être organisés en province. En outre, dans la préparation du projet, il est prévu de beaucoup recourir au numérique, notamment pour faire travailler les gens ensemble, ce qui est très important.

Cela s’inscrit dans cette nouvelle manière de voir, fondée sur les données ouvertes, la collaboration et les plateformes collaboratives. Mais cela pose de gros problèmes de propriété intellectuelle. Reste que cette approche permet de développer un esprit collectif à l’intérieur de la France et entre nos partenaires étrangers et nous, qui peut grandement contribuer à améliorer notre image.

M. le président Jean-Christophe Fromantin. Compte tenu de cette porosité des Français avec le reste du monde au travers de l’usage que les jeunes font des réseaux sociaux, du trafic d’internautes sur les sites marchands ou des entreprises françaises, ou de la consultation de bases de données françaises et d’open data que les services publics peuvent mettre à disposition, votre délégation est-elle à même de cartographier l’influence française sur le numérique ? Est-on en retard ou en avance dans ce domaine ? Mettrez-vous à disposition les outils dont vous disposez en la matière ?

Mme Claude Revel. Les grands outils collaboratifs sont aujourd’hui plutôt américains, dans la mesure où ils ont été développés dès les années 1980 et 1990 aux États-Unis pour anticiper la mondialisation.

Si nous n’avons pas encore mesuré notre influence sur le numérique, d’après ce que je vois, nous sommes considérés par les experts de ce domaine comme des producteurs d’idées, en avance. Mais nous devons être davantage présents sur la production de normes : tous les jours, de nouveaux services sont en effet offerts sur les smartphones ou autres supports numériques. Cette production se fait par des standards de fait ou des organismes de standardisation, la plupart du temps basés aux États-Unis. Les autres le sont souvent en France, ce qui est un très bon signe. Une partie de la gouvernance d’Internet est ainsi basée à Sophia Antipolis – outil d’influence que l’on n’utilise pas du tout d’ailleurs.

Nous devons donc mobiliser les expertises. D’autant que nous en avons aussi une à apporter sur le cadrage juridique du numérique, qui est à la croisée d’approches différentes, sur les droits d’auteur, la propriété industrielle, le secret des affaires ou la protection des données. Il y a une demande dans ce domaine à l’heure actuelle, où prévaut la vision anglo-saxonne.

Si nous arrivons à montrer que nous dominons le numérique, que nous sommes capables de mettre en place des instruments et des projets fondés sur celui-ci, nous serons d’autant plus crédibles pour aller défendre ensuite des règles de propriété intellectuelle qui nous sont favorables, qu’il s’agisse de la protection des données personnelles ou économiques.

M. le président Jean-Christophe Fromantin. Dans un projet comme le nôtre, quel système de protection faut-il prévoir ? J’étais l’autre jour chez Renault, qui me disait que si l’exposition universelle se déroulait dans la ville, ce serait pour lui une vitrine formidable pour promouvoir l’automobile connectée et faire émerger des prototypes et des projets d’avenir. Faut-il choisir l’ouverture totale afin de constituer le point d’atterrissage d’une chaîne collaborative d’innovations, de propositions et de contributions mondiales, ou jouer davantage de l’effet de surprise, de manière à ce que, quand le monde se déplace chez nous, il bénéficie de toute une série de découvertes, comme c’était le cas au XIXsiècle ? Bref, faut-il inviter le monde à co-innover pour fabriquer ensemble l’exposition universelle de demain ou à apporter sa propre innovation dans l’idée de surprendre chacun ?

Mme Claude Revel. Il s’agit d’un véritable choix stratégique. Cela dit, je ne crois pas que l’on puisse opter pour l’ouverture totale. Si nous développons des schémas innovants, nous risquons en effet d’être copiés. Il faudrait travailler de façon confidentielle sur les éléments clés et innovants du projet, tout en faisant croire qu’on agit de façon très ouverte, en associant nos partenaires étrangers sur certains éléments non stratégiques.

M. Yves Albarello. S’agissant des investissements physiques, quelle est votre approche pour 2025 ? Estimez-vous que Paris est aujourd’hui suffisamment équipé en termes de réseaux, d’hôtels ou d’accueil ?

Mme Claude Revel. Je n’ai pas de données chiffrées à vous donner sur ce point.

Mais, pour avoir les équipements nécessaires, il faut faire participer les entreprises et tous les acteurs économiques. Ceux-ci doivent s’impliquer personnellement, y compris financièrement, sachant que les acteurs économiques étrangers peuvent aussi être associés. L’État pourrait alors intervenir comme soutien politique et à des fins de lobbying, voire sur certains aspects matériels.

S’agissant des lieux d’hébergement, j’ai lu que vous aviez songé à développer par exemple l’hébergement chez l’habitant, ce qui est de plus en plus pratiqué avec succès aux États-Unis pour les élites étrangères. Cette « Citizen Diplomacy », ou « diplomatie citoyenne », repose sur l’idée que les citoyens participent à l’effort national d’accueil. C’est une bonne mesure car elle participe du travail d’innovation et de l’image d’ouverture que l’on veut donner.

M. le président Jean-Christophe Fromantin. Tout ce qui est participatif est important. Un des vecteurs d’innovation pour un tel projet est d’ailleurs le financement participatif, un peu à l’instar de ce qu’on a connu au XIXe siècle au travers des bons de souscription, avec une faible intervention de l’État. Il permet aussi de mettre en réseau les Français et le monde.

Mme Claude Revel. Parmi les acteurs économiques au sens large, je pensais à aussi à tous ceux qui offrent une prescription intellectuelle, comme les cabinets de conseil, les avocats ou les notaires.

M. le président Jean-Christophe Fromantin. Je vous remercie.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur la candidature de la France à l'exposition universelle de 2025

Réunion du mercredi 28 mai 2014 à 16 h 45

Présents. - M. Yves Albarello, M. Guillaume Bachelay, M. Jean-Christophe Fromantin

Excusés. - Mme Marie-Odile Bouillé, Mme Catherine Quéré, Mme Claudine Schmid