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Mercredi 18 juin 2014

Séance de 16 heures 45

Compte rendu n° 23

Présidence de M. Jean-Christophe Fromantin, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Pierre Veltz, président-directeur général de l’Établissement public de Paris Saclay

Mission d’information
sur la candidature de la France à l’exposition universelle de 2025

M. le président Jean-Christophe Fromantin. Monsieur le président-directeur général, nous vous souhaitons la bienvenue.

Diplômé de l’École polytechnique, ingénieur du corps des ponts et titulaire d’un doctorat en sociologie, vous avez été directeur de l’École nationale des ponts et chaussées, président de ParisTech, directeur de l’Institut des hautes études de développement et d’aménagement des territoires en Europe et vous avez dirigé la mission d’aménagement de la région capitale au sein du secrétariat d’État chargé du développement de la région capitale. Vous êtes aujourd’hui délégué ministériel pour le développement du cluster du plateau de Saclay et, depuis 2010, président du conseil d’administration de l’Établissement public de Paris-Saclay. Du fait de votre connaissance très pointue des enjeux liés à l’attractivité du territoire, il était essentiel pour nous de vous entendre dans le cadre de la préparation de la candidature de la France à l’exposition universelle de 2025.

Quelle sera, selon vous, la configuration du plateau de Saclay en 2025 ? Quel rôle ce territoire pourrait-il jouer dans le cadre d’une éventuelle exposition universelle multisites ? Que pensez-vous de ce projet de candidature ? Est-il susceptible d’avoir des effets bénéfiques sur l’innovation, l’aménagement du territoire et l’attractivité de la France ?

M. Pierre Veltz, président-directeur général de l’Établissement public de Paris-Saclay. Je suis heureux de vous présenter un grand projet, ambitieux, qui vise à accroître le rayonnement de la France dans le monde – et qui marche.

Saclay est un vaste plateau encore essentiellement agricole situé au sud de Paris, sur lequel se sont progressivement installés des établissements d’enseignement supérieur et de recherche : d’abord le Commissariat à l’énergie atomique (CEA), dans les années 1950, puis l’Université Paris-Sud, qui était à l’origine un « spin-off » de la faculté des sciences de Paris, puis de grandes écoles comme Polytechnique, Supélec ou HEC, ainsi que les centres de recherche et développement (R&D) de grandes entreprises, tels que le Technocentre de Renault ou le centre de conception de PSA et, plus généralement, la quasi-totalité des établissements faisant partie du « CAC 40 technologique ».

Ces implantations ont été réalisées sur un territoire au moins aussi grand que Paris intra-muros – ce qui explique que lorsqu’on arrive sur place, on ne prenne pas immédiatement la mesure de la quantité de matière grise qui y est rassemblée. Pourtant, le plateau concentre 15 % de la recherche publique française et un pourcentage équivalent de la R&D privée, avec des secteurs très fortement représentés, comme l’automobile, l’énergie, la défense, la santé et la biologie. On y trouve toutes les composantes d’un cluster d’envergure mondiale, de surcroît avec un spectre d’activité très large, ce qui est un atout majeur à une époque où les grandes innovations se font à la croisée des disciplines : les plus grandes universités mondiales se placent sur des créneaux de ce type, en encourageant par exemple le rapprochement entre les sciences de l’ingénierie – mathématiques, physique, électronique – et les sciences de la vie – biologie, médecine.

Ce potentiel considérable, tant en quantité qu’en qualité, pâtit toutefois d’une trop grande fragmentation des établissements ; tous sont venus pour la même raison, à savoir la volonté de desserrer des activités auparavant concentrées dans le centre de Paris, et ils se sont implantés les uns à côté des autres, sans chercher à fonctionner comme un pôle – du moins, jusqu’à une date récente.

L’ambition première du projet Paris-Saclay est de remédier à cette fragmentation. Cela se traduira par la création cette année de l’Université de Paris-Saclay, qui regroupera 26 établissements : de grands organismes de recherche tels que le CEA, l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), l’Office national d’études et de recherches aérospatiales (ONERA) et le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), les universités de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines et de Paris-Sud – auxquelles va s’associer celle d’Évry-Val d’Essonne – et une dizaine de grandes écoles, dont l’École centrale de Paris, l’École normale supérieure de Cachan, Télécom ParisTech, l’École nationale de la statistique et de l’administration économique (ENSAE), l’École nationale supérieure de techniques avancées (ENSTA) et AgroParisTech. L’objectif est de constituer une université de classe mondiale, afin d’intégrer le « Top 20 » dans les classements internationaux. Ce n’est pas l’établissement public de Paris-Saclay qui est directement chargé de cette mission, mais la Fondation de coopération scientifique du campus Paris-Saclay, qui, sous la présidence de M. Dominique Vernay, ancien responsable de la R&D chez Thales et fondateur du pôle de compétitivité Systematic, œuvre à la constitution d’une communauté d’universités et d’établissements.

Notre deuxième ambition est de stimuler le développement économique du plateau, notamment en renforçant les liens entre le monde universitaire et les entreprises, ces dernières étant implantées plutôt dans la partie yvelinoise, vers Saint-Quentin-en-Yvelines, Vélizy ou Courtabœuf ; ces deux univers ne se côtoient pas assez. L’époque où l’on se regardait en chiens de faïence est certes révolue, mais il reste des progrès à faire – ne serait-ce qu’en matière de relations interpersonnelles.

Si l’on compare le plateau de Saclay avec les zones équivalentes en Amérique du nord ou en Chine, il est évident que nous nous situons en deçà. Dans l’étude qu’elle avait réalisée à la demande du département de l’Essonne, Mme Suzanne Berger, professeure au Massachusetts Institute of Technology (MIT), s’étonnait qu’un tel potentiel n’attire pas un plus grand nombre de start-up ou d’entreprises. Cependant, les perspectives d’avenir sont encourageantes : les lieux d’innovation fleurissent et de plus en plus de jeunes diplômés se lancent dans la création d’entreprises – à l’instar de cette jeune femme issue de l’Institut d’optique qui vient de créer une société fabriquant des systèmes de stabilisation des images en 3D.

Le troisième volet de notre action concerne l’aménagement urbain. En premier lieu, l’accessibilité au plateau est insuffisante ; les établissements qui y sont implantés sont contraints de se débrouiller : les 8 000 personnes qui travaillent au CEA sont acheminées sur place par un réseau de bus mis en place dans les années 1950 ! Nous sommes par conséquent mobilisés pour obtenir, conformément aux engagements du Premier ministre Jean-Marc Ayrault, la desserte en 2023 de Saclay par le Grand Paris Express – la ligne 18 du métro ; c’est vital pour notre projet. D’autres travaux visant à améliorer l’accessibilité du plateau sont en cours : le Syndicat des transports d’Île-de-France est en train de réaliser un transport en commun en site propre et il est prévu de procéder à des réaménagements routiers.

Nous nous efforçons également de rendre le plateau plus habitable. Nous avons pris le parti, en accord avec les collectivités territoriales concernées, de réaliser une « ville campus ». Deux zones d’aménagement concerté (ZAC) viennent d’être lancées ; elles accueilleront, sur une surface totale de 500 hectares, une programmation de 1,7 million de mètres carrés, à raison d’un tiers pour l’enseignement supérieur et la recherche, un tiers pour le développement économique et un tiers pour le logement. Nous avons notamment prévu de construire un campus résidentiel de haute qualité, comme il en existe aux États-Unis, ainsi que 4 500 logements pour les familles, avec des écoles. En outre, EDF a décidé d’implanter à Saclay son centre de R&D et de formation et Safran, un centre de recherche et technologie.

Le projet, à l’échelle de la métropole francilienne, est complémentaire de celui de Paris Cité ; les chercheurs travaillent d’ailleurs souvent sur les deux sites. Paris – dans l’acception du « Grand Paris » – est aujourd’hui la première ville universitaire du monde ; elle compte plus d’enseignants-chercheurs que Londres ou New York, et à peu près autant que la Silicon Valley. Notre projet a une vocation à la fois métropolitaine, nationale et mondiale, sur le modèle des grands pôles industrialo-universitaires qui se développent un peu partout dans le monde, et qui jouent un si grand rôle dans le développement économique des États-Unis et de la Chine. Ce sont des lieux où se croisent les disciplines, le monde universitaire et le monde économique, les grandes entreprises et les petites entreprises ; en un mot, ce sont de véritables « écosystèmes ».

Notre ambition est de faire partie des dix principaux pôles industrialo-universitaires mondiaux. Un article de la MIT Technology Review nous a déjà classés parmi les huit premiers clusters mondiaux. Comme quoi, il suffit d’un peu de synergie pour franchir une étape importante !

Vous aurez compris que ce projet m’enthousiasme. Et comme celui que vous défendez vise lui aussi à accroître le rayonnement de la France dans le monde, nous devrions pouvoir rassembler nos efforts dans cet objectif.

Dans mon livre Paris, France, monde, j’en appelais à dépasser l’antinomie entre Paris et le reste de la France ; il faut une fois pour toutes tourner la page du Paris et le désert français. Le contexte a définitivement changé : la France fonctionne aujourd’hui comme une métropole tendanciellement unique, avec un cœur parisien et des villes à deux ou trois heures de TGV. Voilà ce qu’il faut montrer au monde ! C’est pourquoi je me félicite que le projet d’exposition universelle concerne non seulement Paris, mais aussi le réseau métropolitain de premier rang.

Lorsque j’étais président de ParisTech, je recevais souvent des invités chinois, qui demandaient en général à visiter deux sites : Paris et le Mont-Saint-Michel. On leur répondait que le Mont-Saint-Michel était trop loin, ce qu’ils ne comprenaient pas : pour eux, c’est juste à côté de Paris. De fait, vu de Pékin, c’est le cas !

M. Bruno Le Roux, rapporteur. Ce qu’il faut, c’est raisonner à l’horizon 2025. Dans dix ans, où en sera l’aménagement du plateau de Saclay ? L’exposition universelle est un projet structurant : des projets lancés à cette occasion pourraient ensuite être transformés en structures pérennes, afin de répondre à des besoins, par exemple en matière de développement durable ou d’écologie. De ce point de vue, l’exposition universelle n’arriverait-elle pas trop tard ?

M. Pierre Veltz. Non, au contraire, elle tomberait à pic ! En 2025, on aura bien avancé – la ligne 18 du métro devrait être mise en service en 2023 et les chantiers de construction d’écoles s’acheveront entre 2017 et 2020 –, mais le projet sera loin d’être bouclé et d’autres chantiers pourraient s’inscrire dans le timing de l’exposition universelle. Par exemple, nous souhaiterions créer un learning center, à l’instar de ceux dont disposent les universités internationales, mais vu l’état de nos financements, il ne sera peut-être pas terminé en 2025. Sur ce point, une articulation entre les deux projets pourrait être envisagée.

En matière de développement durable, nous avons des projets ambitieux. Nous souhaitons par exemple créer un réseau de production d’eau chaude et d’eau froide par géothermie, avec une boucle d’eau tempérée sur laquelle viendraient se greffer des expérimentations énergétiques ; l’objectif serait de mettre en place un réseau intelligent, un smart grid, qui pourrait ensuite être prolongé par un smart grid électrique alimenté par du photovoltaïque. En 2025, ce projet innovant devrait avoir débouché sur de premières réalisations concrètes, mais il restera certainement beaucoup à faire – de même qu’en matière numérique.

M. le rapporteur. En ce qui concerne le haut débit, avez-vous des projets ?

M. Pierre Veltz. Nous sommes à peu près connectés au réseau, mais il y a encore du travail ! Cependant, cela ne pourra pas attendre 2025.

M. Hervé Féron. Le Figaro fait état d’un éventuel « grand palais du numérique » sur le plateau de Saclay, dans le cadre de l’exposition universelle. Pourriez-vous nous donner des précisions sur ce projet ?

M. Pierre Veltz. Je n’ai pas eu connaissance de cet article – ni de ce projet.

M. Hervé Féron. Je crois que l’information est tirée d’une interview accordée par le président de notre mission.

M. le président Jean-Christophe Fromantin. Il a en effet été question d’associer des thèmes à des sites – par exemple, l’innovation pour Saclay –, selon des modalités à définir. La disponibilité foncière est-elle suffisante pour que Saclay puisse accueillir, le cas échéant, une exposition ou une animation sur le sujet ?

M. Hervé Féron. Aucune exposition universelle n’a encore été organisée sur un campus universitaire – sauf, en 1910, quand le Solbosch, futur campus de l’Université libre de Bruxelles, a accueilli une prestigieuse exposition universelle, aujourd’hui largement oubliée. Existerait-il une incompatibilité entre les deux ? Vous semble-t-il pertinent d’associer un campus à une telle manifestation ?

M. Pierre Veltz. Nous n’y avons pas encore réfléchi. Il faudrait que nous examinions ensemble quels projets liés à l’exposition universelle pourraient être accueillis à Saclay. Le timing me paraît favorable. Pour ce qui est de l’espace, le problème, c’est qu’il est très vaste : de l’École polytechnique au CEA, il y a six kilomètres, soit la distance entre les Tuileries et la Défense. Notre projet consiste d’ailleurs, non pas à procéder à un aménagement continu qui entraînerait un étalement défavorable à la desserte, mais à constituer des noyaux urbains ; dans les espaces interstitiels, il y a des possibilités pour d’autres projets. Par exemple, entre le pôle de l’École polytechnique et celui du Moulon, autour de l’ancien centre de recherches de Corbeville, nous souhaitons aménager un nouveau quartier. Vous voyez, on pourra sans mal trouver un lieu pour une réalisation emblématique !

M. le rapporteur. Existe-t-il des pays avec lesquels vous auriez d’ores et déjà engagé une relation de partenariat et qui pourraient être associés à une exposition universelle ?

M. Pierre Veltz. Des échanges ont lieu avec les grands pôles universitaires d’Europe, d’Amérique et d’Asie, mais notre campus est beaucoup moins cosmopolite que celui des grandes universités américaines. Aux États-Unis, que ce soit à la Silicon Valley ou à Boston, 70 % des doctorants sont étrangers – ce qui veut dire aussi que la science américaine est faite essentiellement par des Asiatiques et des Européens. Nous souhaiterions néanmoins accroître le cosmopolitisme de notre campus – mais les jeunes chinois, indonésiens, indiens, africains rêvent tous du MIT, de Harvard ou de Stanford ; la France, ils ne la connaissent pas ! L’une des finalités du projet est précisément de nous donner une plus grande visibilité, en créant un pôle d’attraction susceptible de stimuler l’imagination des jeunes du monde entier. De ce point de vue, l’organisation d’une exposition universelle serait de nature à nous aider ; quant à savoir s’il faut privilégier tel pays plutôt que tel autre, je ne saurais vous dire.

M. le président Jean-Christophe Fromantin. Le plateau de Saclay parle-t-il d’une seule voix ? Dans la perspective d’une exposition universelle, pourrait-on compter, sinon sur une gouvernance commune, du moins sur la convergence des efforts des différents acteurs ?

M. Pierre Veltz. J’y insiste : le périmètre concerné par l’établissement public est très vaste. Je vous ai surtout parlé du campus, qui est notre opération phare, mais le projet porte sur l’ensemble du plateau et ses environs ; il couvre le territoire de quatre intercommunalités : Versailles, Saint-Quentin-en-Yvelines, la communauté d’agglomération du plateau de Saclay et Europ’Essonne. Les deux départements de l’Essonne et des Yvelines y sont impliqués à part égale, le pôle économique étant plutôt yvelinois, le pôle scientifique plutôt essonnien. L’un des objectifs du projet est d’assurer une meilleure connexion entre eux. Le métro jouera en la matière un rôle essentiel.

Peut-être me trouverez-vous exagérément optimiste, mais il me semble que la conscience de l’existence d’un ensemble Paris-Saclay progresse rapidement. Du côté universitaire, les progrès ont été foudroyants : que l’École polytechnique conçoive un nouveau logo faisant référence à l’université de Paris-Saclay eût été difficilement imaginable il y a encore quelques années. Des signes encourageants ont aussi été enregistrés du côté des entreprises. Par exemple, les dirigeants d’Air Liquide ont décidé que le centre de recherche Claude-Delorme, installé à Loges-en-Josas, serait restructuré pour être transformé en un pôle à vocation mondiale, au motif que le centre appartient au cluster. Ils ont même proposé de le rebaptiser « centre de recherches Paris-Saclay », et ils sont prêts à utiliser notre logo ! De même, Safran s’installe sur le plateau pour profiter de la dynamique du cluster. Nous avons créé un « club » industriel, qui reste pour l’heure encore informel, mais les choses évoluent dans le bon sens : il est dans l’intérêt de tous d’avancer sous une bannière commune.

M. le président Jean-Christophe Fromantin. Monsieur le président, je vous remercie.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur la candidature de la France à l'exposition universelle de 2025

Réunion du mercredi 18 juin 2014 à 16 h 45

Présents. - M. Hervé Féron, M. Jean-Christophe Fromantin, M. Bruno Le Roux

Excusés. - M. Yves Albarello, M. Guillaume Bachelay, M. Christophe Bouillon, M. Philip Cordery