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Mission d'information commune sur l’application de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques

Mercredi 25 novembre 2015

Séance de 14 heures 45

Compte rendu n° 1

Présidence de M. Richard Ferrand, Président-rapporteur

– Audition de M. Emmanuel MACRON, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique

– Présences en réunion

La mission d’information commune entend M. Emmanuel MACRON, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique.

M. le président Richard Ferrand, rapporteur. Je vous remercie, monsieur le ministre, de votre présence à ce rendez-vous.

Je vous rappelle le sens de notre démarche : nous avons souhaité installer une mission d’information chargée du suivi de l’application de la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité de chances économiques, que vous avez défendue et que nous avons adoptée, afin de veiller à ce que les textes d’application paraissent dans des délais raisonnables et à ce que leur contenu soit fidèle à l’intention du législateur. La Conférence des présidents a donné son plein accord à cette initiative.

À ce stade, nous avons les uns et les autres interrogé plusieurs ministres et administrations, qui nous ont rappelé que, sous la VRépublique, le règlement relève de la compétence exclusive du Gouvernement – principe qui est enseigné dans les facultés de droit dès la première année – et que, par conséquent, nous devrions nous contenter de faire la loi. Nous pouvons comprendre cette réaction, certes fondée en droit, mais nous sommes, en l’espèce, dans une situation un peu différente : pendant tout le processus d’élaboration de ce projet de loi, vous avez fait part de votre souhait de travailler avec nous dans un esprit de co-construction, dans la longue durée, jusqu’au terme de l’application de la loi. Le Premier ministre a lui-même eu l’occasion d’exprimer sa volonté en ce sens.

À l’heure où nous parlons, certains d’entre nous ont déjà mené des auditions, et un certain nombre de textes ont été publiés. Je diffuserai à l’ensemble des membres de la mission – vingt-quatre collègues issus de tous les bancs de l’Assemblée nationale – les projets de décrets que nous avons reçus. Notons toutefois que ceux-ci nous parviennent en général après les réunions d’arbitrage interministérielles, c’est-à-dire une fois que la messe est dite. Nous souhaiterions que la concertation en amont s’organise un peu mieux que cela n’a été le cas jusqu’à présent. J’appelle votre attention sur ce point de méthode.

Sur le fond, nous souhaitons faire un point avec vous sur les textes d’application qui ont déjà été produits, ainsi que sur le calendrier prévisionnel du Gouvernement pour la publication des autres textes.

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique. Je me réjouis d’avoir cet échange avec vous sur l’application de la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques. Je prends bonne note des difficultés dont vous m’avez fait part et m’engage, en tout cas pour ce qui me concerne, à fluidifier les choses au maximum. Le Secrétariat général du Gouvernement a relevé qu’il était difficile de communiquer des textes qui sont encore provisoires. Nous pouvons sans doute améliorer le travail sur les points les plus sensibles et aller ainsi dans le sens que vous souhaitez.

Je partage l’esprit qui vous a animés en installant cette mission. Il importe de s’assurer non seulement du respect du calendrier, mais aussi du fait que nous ne dénaturons pas, par des textes d’application, l’ambition initiale de la réforme. Il convient, en outre, d’évaluer. Tel n’est pas l’objet de cette audition, mais j’espère que les travaux de votre mission seront suivis par un travail d’évaluation. Pour ma part, j’ai saisi une commission indépendante ainsi que l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) pour procéder à une évaluation a priori des premières mesures. J’ai néanmoins une préférence pour les évaluations a posteriori, que je mettrai à votre disposition. L’évaluation fait partie, selon moi, de notre démarche collective.

Dans ce propos introductif, je me propose de faire un point détaillé sur l’avancée des travaux concernant l’application de la loi.

Faisons tout d’abord le compte des mesures contenues dans la loi. Environ 60 % d’entre elles étaient d’application directe. Les 40 % restants nécessitent la publication de 84 décrets, dont 46 sont pilotés par mon ministère. Ces derniers seront tous pris avant la fin de l’année, sauf ceux qui portent sur la loyauté des plateformes, sur les modalités relatives au statut de zone fibrée et sur le capital des sociétés d’exercice des professions du droit, en raison des consultations en cours.

Sur les 84 décrets précités, treize ont déjà été pris, onze sont dans le circuit de signature et seront donc publiés très prochainement, et huit sont actuellement examinés par le Conseil d’État. La plupart des décrets restants seront pris avant le début de l’année 2016. Toutefois, compte tenu des délais d’instruction normaux devant le Conseil d’État, un certain nombre d’entre eux seront plutôt publiés d’ici à la fin du mois de janvier, soit dans le délai des six mois après la promulgation de la loi au terme duquel on fait traditionnellement le point sur la bonne application des textes.

À titre de comparaison, si l’on s’en tient à une approche purement quantitative, trois mois après la promulgation de la loi de modernisation de l’économie, seuls deux décrets avaient été publiés, alors que 57 articles de la loi nécessitaient des mesures d’application. Nous n’avons donc pas à rougir de notre bilan : nous nous sommes mis en ordre de bataille et nous ne sommes pas en retard par rapport à des textes comparables, quelles que soient les législatures considérées. Nous devons poursuivre à ce rythme et avec le même degré d’ambition.

Quelles sont les mesures qui sont entrées en vigueur et dont les Français peuvent constater l’effectivité ? Je ne cite que les principales d’entre elles : la création du service universel du permis de conduire ; la généralisation de la conduite accompagnée ; la création des zones touristiques internationales (ZTI) ; les accords de maintien dans l’emploi (AME) défensifs ; la sécurisation des procédures de licenciement collectif ; la réforme de la fiscalité de l’actionnariat salarié ; une partie de la réforme – attendue – des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) ; les certificats de projet ; le suramortissement fiscal ; l’extension des attributions de l’Autorité de sûreté nucléaire aux questions relatives à l’exportation ; les délais de paiement ; la faillite de l’entrepreneur ; la modification des sanctions associées au délit d’entrave ; la réforme du régime des impatriés ; les relations entre les hôteliers et les plateformes de réservation ; la lutte contre le travail détaché illégal ; l’essentiel de la réforme des retraites chapeau.

Cette salve de mesures a été presque immédiatement complétée par deux avancées importantes, qui ont déjà produit des effets tangibles.

Première avancée : le développement du transport par autocars, grâce à l’ouverture des lignes sur les distances inférieures à 100 kilomètres – le décret correspondant a été pris –, mais aussi avec l’entrée en vigueur des règles environnementales Euro 5 et Euro 6, ainsi que des normes sur les éthylotests et sur l’accessibilité des personnes à mobilité réduite. Nous avons pu mesurer tout de suite l’impact de ces mesures : un peu plus de 80 villes françaises sont desservies par de nouvelles lignes d’autocar ; près de 300 000 passagers ont été transportés depuis l’ouverture de ces lignes, contre 110 000 sur l’intégralité de l’année 2014 ; en quelques mois, plus de 1 000 emplois ont été créés dans ce seul secteur.

Deuxième avancée : le travail le dimanche. L’arrêté définissant les ZTI a été pris en un peu plus d’un mois, après consultation des élus. Les négociations permettant concrètement l’ouverture dominicale des commerces de détail sont en cours. Des négociations de branche sont également en cours sur l’ouverture des grands magasins le dimanche. Je rappelle que les référendums qui se sont tenus sur ce sujet n’avaient qu’un caractère indicatif. En tout cas, on peut trouver un accord lorsqu’il est négocié au bon niveau avec les bons niveaux de compensation.

La grande majorité des autres textes nécessaires à l’application de la loi devraient être publiés avant la fin de l’année. Examinons la situation secteur par secteur.

S’agissant du transport par autocar, il nous reste à prendre une ordonnance sur les gares routières. J’ai organisé une réunion de lancement des travaux, à laquelle ont participé les préfets de région et l’ensemble des services concernés, ainsi que deux parlementaires qui s’étaient fortement impliqués sur cette question, le député Gilles Savary et la sénatrice Fabienne Keller. Les préfets ont reçu pour mission de répertorier les situations de blocage sur le territoire. L’objectif de cette ordonnance est de permettre le déploiement des gares routières en bon ordre, dans les villes ou aux abords des villes. De nombreuses gares existent déjà, mais, lorsqu’elles appartiennent ou sont gérées par un transporteur donné, il convient d’organiser leur mise à disposition aux autres transporteurs. Le projet d’ordonnance sera transmis au Conseil d’État en décembre après consultation formelle de l’ensemble des acteurs. Avec ce texte, la réforme du secteur des autocars sera parachevée.

Pour ce qui est du permis de conduire, les premiers textes ont été pris, ainsi que je l’ai indiqué. Cinquante postiers sont déjà en formation en vue de faire passer l’épreuve pratique. J’ai fait le point la semaine dernière avec le président-directeur général de La Poste et les choses se passent très bien. Le projet de décret relatif à l’épreuve théorique est actuellement examiné par le Conseil d’État et sera publié d’ici à la fin de l’année.

Le texte d’application portant sur l’ouverture des données – open data – sera transmis au Conseil d’État au début du mois de décembre. Quant aux codes de conduite en cours de discussion avec les acteurs, ils seront d’application directe.

Concernant les professions réglementées du droit, le projet de décret réformant le texte de 1944 sur les tarifs des actes vient d’être finalisé. Il a fait l’objet d’un important travail, qui a permis d’arrêter une méthodologie plus opérationnelle que celle que prévoyait initialement l’Autorité de la concurrence. Les consultations avec les professionnels vont commencer. Le décret sera publié avant la fin de l’année, puis les arrêtés suivront au tout début de l’année 2016, pour une application à partir du mois de février. Les textes d’application concernant l’installation seront transmis au Conseil d’État dans les prochains jours. Ils ont fait eux aussi l’objet d’un travail considérable du ministère de la justice. Ils ont vocation à s’appliquer au début de l’année prochaine.

La réforme de l’épargne salariale sera totalement parachevée d’ici à la fin de l’année. Les derniers textes sont en train d’être pris.

S’agissant de l’État actionnaire, les décrets d’application sur la composition de la Commission des participations et des transferts, sur les actions spécifiques – golden shares – et sur Nexter ont été publiés.

La publication du décret créant les tribunaux de commerce spécialisés est imminente.

En matière de droit du travail, nous avons saisi en octobre le Conseil d’État de la plupart des projets de décret concernant la délivrance de la carte d’identification professionnelle des salariés du bâtiment et des travaux publics (BTP), l’objectif étant de les publier d’ici à la fin de l’année. S’agissant du développement de l’emploi des personnes handicapées, nous saisirons le Conseil d’État en novembre. Quant aux ordonnances relatives à l’inspection du travail et aux contrats d’insertion outre-mer, l’objectif est de les finaliser avant la fin de l’année. Pour ce qui est des mesures relatives à la loi de sécurisation de l’emploi, la publication est prévue en novembre.

Nous achevons actuellement la concertation avec les représentants des collectivités et les opérateurs sur les dispositifs de couverture mobile – recensement des communes et mise en place du guichet de couverture à la demande. L’ensemble des mesures seront prises d’ici à la fin de l’année, conformément à la volonté du législateur. L’arrêté recensant les centres-bourgs qui ne sont pas couverts par la 2G a été publié au début du mois de novembre. Une réunion est prévue au début du mois de décembre pour organiser le recensement des collectivités ne bénéficiant pas d’une couverture satisfaisante par la 3G et pour définir des zones prioritaires de déploiement. L’objectif est, je le rappelle, une couverture totale du territoire par la 2G à la fin de l’année 2016 et par la 3G à la mi-2017. Dans les zones prioritaires, conformément au souhait des élus, les travaux d’installation des antennes relais seront à la charge des opérateurs. Ceux-ci ont signé l’été dernier une convention dans laquelle ils s’engagent à les financer, pour un coût de 800 millions à 1 milliard d’euros.

Pour ce qui est de la réforme du droit d’information préalable, la consultation est close et le décret sera donc signé prochainement.

La publication des textes donnant aux hôpitaux la possibilité de créer des filiales pour valoriser leur expertise hospitalière à l’international est imminente.

Pour finir, l’ordonnance portant sur la constitution de la filiale commune entre Aéroports de Paris et SNCF Réseau pour la réalisation du CDG Express devrait être prête d’ici à la fin de l’année.

Il restera plusieurs points à aborder en 2016.

Concernant les professions réglementées du droit, il s’agit de l’interprofessionnalité des professions du droit et du chiffre, des formes de sociétés, des règles concernant le capital et de l’application de la libre installation – à cet égard, la carte de l’Autorité de la concurrence sera mise en consultation en février, l’arrêté des ministres compétents devant être publié en mars. Pour tous ces sujets, l’objectif est d’aboutir au premier trimestre 2016.

Compte tenu des consultations prévues par la loi ou par d’autres textes auxquels nous devons nous plier, les textes d’application nécessaires seront également pris au premier trimestre 2016 pour les mesures suivantes : le défenseur syndical ; l’élargissement du financement participatif – crowdfunding – à l’intermédiation des bons de caisse et les dispositions relatives au crédit interentreprises ; l’entrée en vigueur des nouvelles mesures de régulation du secteur des autoroutes ; le statut de zone fibrée – qui doit faire l’objet de négociations ; l’entrée en vigueur de l’obligation d’équiper en fibre optique l’ensemble des maisons et des lotissements neufs ; les mesures relatives au droit de l’urbanisme faisant suite au rapport Duport et les travaux de rénovation du dialogue environnemental ; le « permis unique » pour les installation classées pour la protection de l’environnement ; les retraites chapeau.

Enfin, la loi a prévu des délais d’entrée en vigueur différés pour certaines mesures qui nécessitent des investissements importants de la part des entreprises. Ainsi, les dispositions relatives à la mobilité bancaire et à la couverture de toutes les communes par la 3G seront appliquées en 2017, même si les textes nécessaires seront pris bien avant, à l’issue des consultations adéquates.

M. le président Richard Ferrand, rapporteur. Merci, monsieur le ministre, pour cet état des lieux. Vous avez rappelé très utilement que plus de la moitié des dispositions de la loi n’appelaient pas de mesures réglementaires et ont donc trouvé leur pleine application dès la promulgation du texte.

M. Philippe Houillon. En réaction aux propos liminaires du président-rapporteur, je soulève une question pratique.

Cette mission d’information peut avoir pour objet, classiquement, de surveiller la parution des décrets dans le délai imparti par la loi ou, à défaut, dans un délai raisonnable. Conformément au règlement de l’Assemblée nationale, elle pourra être ultérieurement chargée, en aval, d’évaluer l’application de la loi.

Aujourd’hui, j’entends beaucoup parler de « co-construction ». Ainsi que le président l’a évoqué, cette « co-construction » implique que les parlementaires membres de cette mission aient connaissance en amont des avant-projets de décret, qu’ils puissent les évoquer au sein de la mission, le cas échéant après quelques auditions, et que la mission vous fasse part de ses éventuelles observations, monsieur le ministre, afin que vous en teniez compte dans la rédaction définitive des décrets.

Or, Cécile Untermaier et moi-même avons auditionné hier le président du Conseil supérieur du notariat (CSN), et j’ai vécu un moment surréaliste ! Le président du CSN a, lui aussi, parlé de « co-construction », sauf que ni lui ni nous n’avions connaissance du projet de décret. Nous avons compris qu’il avait eu en mains un texte qui ne nous avait pas été communiqué et qu’il voulait réserver la primeur de ses observations à la garde des sceaux plutôt qu’à nous, bien que ce texte ne fût plus d’actualité. Pardon de poser la question de manière brutale : cette mission sert-elle à quelque chose ? Nous sommes restés une heure avec le président du CSN pour rien ! On a fait perdre leur temps aux parlementaires et à leurs interlocuteurs, alors que les uns et les autres ont un emploi du temps très chargé.

Compte tenu du calendrier relativement serré que vous nous avez annoncé – dont nous ne pouvons que nous féliciter –, quelle méthode entendez-vous employer concrètement pour cette « co-construction » ? Ou bien s’agit-il simplement de mots pour laisser penser qu’il existe une forme de concertation ? L’exécutif n’est d’ailleurs pas tenu à une telle concertation, ainsi que le président l’a rappelé. De deux choses l’une : soit on nous répond que seul le Gouvernement exerce le pouvoir réglementaire, et nous ne pouvons que l’accepter, puisque la Constitution en dispose ainsi ; soit on nous indique que nous sommes dans une démarche de « co-construction », c’est-à-dire que l’on demande l’avis du Parlement pour que les textes réglementaires respectent bien l’intention du législateur – je reprends les termes employés par le président –, ce qui est positif, mais cela exige alors de faire les choses dans l’ordre et avec un minimum de méthode.

M. le président Richard Ferrand, rapporteur. C’est aussi le charme de l’innovation ! Car nous essuyons les plâtres. Depuis notre initiative, certains collègues ont souhaité la création de missions semblables à la nôtre, notamment pour suivre l’application de la loi relative à la transition énergétique. Je l’ai dit tout à l’heure au ministre amicalement et en toute franchise : nous sentons bien que, culturellement, les administrations ne sont pas rodées – c’est un euphémisme – au partage de l’information lorsqu’elles élaborent des textes réglementaires. Pour répondre à la question existentielle que vous avez posée avec raison, monsieur Houillon, je crois que nous servons à quelque chose : nous faisons bouger les choses sur ce point ; nous avons appelé la vigilance des services de l’État non seulement sur la célérité avec laquelle ils doivent travailler, mais aussi sur le fait que le contenu des textes doit être fidèle à l’intention du législateur. Comme vous, je souhaite que la concertation soit mieux organisée, en amont des arbitrages qui sont rendus. Je l’ai d’ailleurs écrit récemment au Premier ministre.

M. Philippe Houillon. Quelle est sa réponse ?

M. le président Richard Ferrand, rapporteur. Laissez-lui le temps de répondre ! Le ministre pourra éventuellement revenir sur ce point.

Mme Cécile Untermaier. Je tiens à vous remercier, monsieur le ministre, pour votre présence à cette réunion de notre mission d’information, dont le rôle est extrêmement important. Je salue aussi l’immense travail réalisé par les administrations sur les projets de décrets.

Je suis d’accord avec vous, monsieur Houillon : la réunion que nous avons tenue hier avec le président du CSN n’était pas d’un intérêt majeur. Toutefois, celui-ci nous a affirmé d’emblée qu’il était favorable à une application de la loi aussi rapide que possible, sans la dénaturer. Recueillir cette conviction valait bien une demi-heure de présence à cette audition ! D’autant que j’étais très inquiète, car j’ai reçu de nombreux messages électroniques alarmants – que je tiens à votre disposition –, notamment une lettre des notaires de la cour d’appel de Besançon, qui s’organisent, de manière très cynique selon moi, dans le seul but de peser sur l’application de la loi et le contenu des décrets. Il était donc important d’avoir cet échange : le CSN a pu mesurer la détermination des députés à ce que la loi ne soit pas dénaturée dans son application.

Je constate avec beaucoup de satisfaction que les décrets sont vraiment en préparation. Certes, comme mes collègues, j’aurais souhaité en avoir connaissance plus tôt. Mais ce qui s’est fait peut peut-être se défaire, si nous faisons valoir des arguments pertinents.

Sur les 84 décrets que le Gouvernement doit élaborer, 20 % concernent les professions réglementées, ce qui est considérable. Or aucun d’entre eux n’a encore été publié. D’où l’inquiétude que nous avions : allait-on pouvoir tenir les délais ? En consultant l’ensemble des administrations qui ont travaillé sur ces projets de décret, j’ai pu constater ce que vous nous avez annoncé, monsieur le ministre, à savoir que les textes d’application seraient publiés au premier trimestre 2016, notamment la carte des zones de libre installation. Quant aux textes fixant les tarifs, ils doivent en effet absolument être publiés avant la fin du mois de février 2016, car les anciens tarifs n’auraient plus, sinon, de base légale. Nous sommes donc rassurés sur ce point.

Notre mission d’information, c’est l’un de ses intérêts, permet de répondre non seulement à l’inquiétude fondée des professionnels, qui attendent désormais l’application de la loi, notamment l’entrée en vigueur des nouveaux tarifs, mais aussi à l’attente des jeunes diplômés, qui s’inquiètent du fait que l’installation dans les zones carencées ne serait pas si facile que cela – nombre d’entre eux nous écrivent sur ce point, s’appuyant sur des propos dont je n’ai pas vérifié la teneur. Nous sommes vigilants sur ces dispositions, car il s’agit d’un aspect essentiel de l’adaptation de la profession à la justice du XXIe siècle.

Ma dernière question porte sur un texte de nature non pas réglementaire, mais législative : compte tenu de la censure du Conseil constitutionnel pour incompétence négative, nous sommes obligés de préciser dans la loi les règles concernant l’assiette de la contribution qui doit alimenter le fonds interprofessionnel de l’accès au droit et à la justice. Notre volonté est, bien sûr, que le dispositif soit mis en place. Or nous avons entendu dire que le mode de calcul de la contribution serait un peu différent de celui qui était envisagé initialement. Qu’en est-il ? À ce stade de l’analyse, nous sommes favorables au maintien d’une contribution portant sur les actes qui font l’objet d’une tarification proportionnelle. À l’issue de la réflexion que nous avions menée, sachant par ailleurs que la grille tarifaire devait être révisée, nous avions en effet considéré qu’il fallait lever une contribution sans pour autant léser la profession ni, in fine, le consommateur, pour des raisons de justice sociale. C’est une question urgente : nous devons la régler dans le cadre du projet de loi de finances rectificative pour 2016, si nous voulons que ce fonds soit créé – pour ma part, je le souhaite – avant la fin de l’année.

M. Sébastien Huyghe. Je partage l’inquiétude de mon collègue Philippe Houillon quant à l’utilité de cette mission : nous n’avons eu communication d’aucun projet, avant-projet ou document d’orientation qui nous permette de travailler sérieusement. Nous parlons donc un peu dans le vide !

Lorsque nous avons auditionné les administrations, nous avons appris qu’une réunion interministérielle se tiendrait ce soir à 18 heures pour trancher un certain nombre de points. Pouvez-vous nous en dire plus, monsieur le ministre, notamment sur deux points qui inquiètent particulièrement les professionnels du droit, surtout les notaires, qui sont concernés au premier chef ?

Premier point : quels sont exactement les critères qui permettront d’établir la carte des zones carencées ? Au cours des auditions, des critères assez généraux ont été évoqués : la population, le nombre de professionnels – il y a d’ailleurs une confusion avec le nombre d’études. Or, ces deux critères ne sont pas suffisants. En effet, beaucoup d’autres éléments peuvent entrer en ligne de compte pour déterminer si une zone est carencée ou non, notamment l’activité économique et le nombre de transactions.

Deuxième point : les tarifs. Au cours de l’examen du projet de loi, vous avez abondamment parlé de votre volonté d’instaurer la transparence des tarifs. Or, en auditionnant la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), nous avons appris que l’objectif était clairement de faire baisser les chiffres d’affaires tant des notaires que des autres professions concernées par ces tarifs, et que Bercy avait d’ailleurs travaillé à partir des liasses fiscales des professionnels. Je voudrais que vous nous éclairiez parfaitement sur ce point : la modification des tarifs vise-t-elle réellement à faire baisser de manière drastique les chiffres d’affaires de ces professionnels ?

Mme Véronique Louwagie. Vous avez évoqué, monsieur le ministre, 84 décrets. Or dans une note qui nous a été remise lors de la première réunion de cette mission d’information, il est fait état de 99 décrets – 60 décrets en Conseil d’État et 39 décrets simples. Comment cette différence s’explique-t-elle ?

Dans le cadre de cette mission, nous avons auditionné Mme Virginie Beaumeunier, rapporteure générale de l’Autorité de la concurrence, qui a estimé nécessaire de renforcer les moyens de celle-ci pour qu’elle puisse travailler sur la carte et sur les tarifs. Pouvez-vous nous confirmer, monsieur le ministre, qu’il est prévu d’affecter des crédits supplémentaires à l’Autorité de la concurrence dans le budget pour 2016 ?

S’agissant du travail le dimanche, vous avez évoqué l’arrêté concernant les ZTI et fait allusion au référendum organisé au BHV Marais, filiale du groupe Lafayette. Le projet a finalement été rejeté par 640 voix contre 627, c’est-à-dire avec 13 voix d’écart, situation que chacun qualifie de regrettable. Par ailleurs, la réunion qui était prévue hier entre le patronat et les syndicats en vue de parvenir à un accord de branche a été reportée. Selon la presse, un accord global valant pour toutes les enseignes paraît, à ce stade, peu probable. D’où une inquiétude des grands magasins, encore accrue au vu des perspectives du commerce dans les grandes villes à la suite des attentats qui ont frappé notre pays. Quel est votre sentiment à propos de l’ouverture des grands magasins le dimanche ? Le référendum n’est-il pas un piège ?

M. le président Richard Ferrand, rapporteur. S’agissant du décompte des décrets, la note qui vous a été remise recensait le nombre d’articles de la loi qui appelaient une mesure réglementaire. Or il arrive qu’un même décret concerne plusieurs articles, ce qui est manifestement le cas de certains des décrets que le ministre a évoqués. D’où la différence que vous avez relevée, qui ne change rien sur le fond.

Mme Véronique Louwagie. Merci pour cette précision.

M. le ministre. Je commence par la question du modus operandi pour les projets de décret. Nous avançons en marchant. Il faut s’inscrire dans le cadre des pouvoirs respectifs du législateur et du Gouvernement, mais le faire en bonne intelligence.

Dans une première phase, l’administration compétente prépare le texte. Elle consulte alors immanquablement les professionnels concernés. C’est ce qu’a fait le ministère de la justice avec les notaires ou mon ministère avec d’autres professions. Cette pratique est tout à fait normale, et il n’y a pas de raison d’y mettre fin. Au cours de cette phase, rien n’empêche les parlementaires d’auditionner les professionnels pour savoir où ils en sont. Mais il ne serait pas de bonne pratique de diffuser les avant-projets de décrets élaborés par chaque ministère. Car, compte tenu du caractère interministériel de nombreux textes, vous organiseriez alors des auditions sur la base de textes qui seraient modifiés ultérieurement par le Gouvernement. Vous perdriez tout autant votre temps et nous ne ferions, je le crains, qu’ajouter à la cacophonie.

L’étape suivante est celle de l’arbitrage interministériel. On arrête alors la position du Gouvernement. Pour prendre un exemple, nous ne sommes pas d’accord avec les projets de texte élaborés par le ministère de la justice concernant l’installation, qui ont circulé et sur lesquels les professionnels ont réagi. Nous allons donc nous y opposer. Dès lors, ce qui compte, c’est le texte qui sortira de la réunion interministérielle, après l’arbitrage du Premier ministre. Il faut donc attendre que la position interministérielle soit arrêtée pour échanger avec les parlementaires. Ainsi en a décidé le Premier ministre, et cela me semble de bonne pratique.

Lorsque les textes ont été arrêtés par une réunion interministérielle, cela ne signifie pas pour autant qu’ils ne sont plus modifiables. Votre travail conserve donc toute son utilité. Je propose que ces textes soient communiqués à votre mission en même temps qu’ils seront transmis au Conseil d’État. Celui-ci prend en moyenne six semaines pour rendre son avis. Pendant ce délai, nous procédons régulièrement à des saisines rectificatives. Une telle saisine permettra, le cas échéant, de prendre en compte les observations de votre mission.

Quant à la réunion interministérielle de ce soir, elle portera sur neuf sujets importants : les petites créances ; les tarifs ; l’installation – qui fait l’objet de quatre projets de décret ; les administrateurs judiciaires et les mandataires judiciaires ; la diffusion des données contenues dans le registre national du commerce et des sociétés (RNCS) par l’Institut national de la propriété industrielle (INPI) ; les derniers points relatifs aux tribunaux de commerce spécialisés ; les gages sur stock ; la réforme de la justice prud’homale ; le concours de greffier des tribunaux de commerce. Ainsi que je l’ai indiqué, je proposerai au Premier ministre que tous ces projets de décrets vous soient communiqués au moment où ils seront transmis au Conseil d’État, c’est-à-dire demain ou après-demain.

Les administrations ont fourni un très gros travail, qui a pris du temps. Les projets de texte ayant parfois beaucoup évolué, c’est une bonne chose qu’ils n’aient pas été diffusés largement et qu’ils n’aient pas fait l’objet d’échanges plus formels. Cette phase était nécessaire. Une fois qu’ils seront finalisés, nous disposerons d’un délai de six à huit semaines avant qu’ils ne reviennent du Conseil d’État. Je propose que nous l’utilisions à plein pour échanger sur ces textes. Ainsi, votre mission pourra conduire son travail et apporter son éclairage.

M. le président Richard Ferrand, rapporteur. Je propose que nous retenions cette méthode, qui paraît répondre aux attentes des uns et des autres. Les quelques textes, qui ont déjà fait l’objet d’une réunion interministérielle et qui nous ont été transmis, seront diffusés à l’ensemble des membres de la mission. Je propose que nous procédions de la sorte au fur et à mesure des réunions interministérielles. Ainsi, notre mission pourra se réunir pour approfondir sa réflexion, voire auditionner d’autres personnes, et transmettre, le cas échéant, ses observations.

M. le ministre. S’agissant des critères qui présideront à l’établissement de la carte des zones de libre installation, vous avez raison de dire, monsieur Huyghe, qu’il existe plusieurs possibilités. Ils seront arrêtés ce soir lors de la réunion interministérielle et vous seront communiqués dès demain. Il est important d’attendre la décision du Premier ministre sur ce point. En tout cas, les règles seront très claires, et nous restons extrêmement vigilants pour que les textes correspondent bien à la volonté du législateur en matière d’installation des jeunes professionnels.

Au-delà de ces critères et des zones qu’ils permettront de définir, le législateur a souhaité que l’installation des professionnels soit fluide et organisée. Le système retenu devra être transparent et équitable. D’une part, il faut éviter de recréer de la rigidité. Ainsi, un dispositif de stage supplémentaire ou un concours organisé par les professionnels ne permettraient pas d’atteindre le résultat voulu par le législateur, les mêmes causes produisant les mêmes effets. Vous avez été saisis sur ce point, je le sais, par de nombreux jeunes notaires.

D’autre part, il ne faut pas non plus que le système soit dépourvu de toute règle, car cela conduirait à ce que le premier arrivé soit le premier servi. Il existe des mécanismes qui permettent d’organiser l’installation en fonction de critères de compétence ou d’ancienneté de la demande. Par exemple, il est possible d’organiser un tour entre différentes catégories – jeunes notaires, notaires déjà associés, notaires salariés – à l’image de ce qui se fait pour le tour extérieur ou la promotion interne dans la fonction publique. Il convient d’éviter au maximum les pratiques malthusiennes et de permettre un accès méritocratique.

Les textes devront aussi apporter toute la visibilité nécessaire aux professionnels. Je me suis moi-même rendu devant le CSN il y a quelques semaines pour expliquer la philosophie de la réforme et marquer ma préoccupation. Ainsi que vous l’avez relevé, madame Untermaier, le président du CSN a montré sa volonté de travailler en bonne intelligence avec nous sur ce dossier. Il souhaite s’assurer qu’il y aura de nouvelles installations et que celles-ci se feront en bon ordre. La profession est pleinement consciente des défis qui se présentent à elle et a l’intention d’accompagner la réforme.

Concernant les tarifs, le texte auquel vous avez fait référence, monsieur Huyghe, est celui qui définit la rémunération raisonnable. Un très gros travail a été fait pour objectiver cette rémunération. C’est sur cette base que seront pris, ensuite, les arrêtés qui fixent les tarifs.

Quels principes avons-nous retenus ? Il faut d’abord définir une référence. À cet égard, nous n’avons pas opté pour la méthodologie proposée par l’Autorité de la concurrence et par le premier rapport de l’Inspection générale des finances, laquelle consistait à définir un point de référence moyen interprofessionnel. En effet, il nous a semblé que comparer des professions très différentes n’avait pas beaucoup de sens. Nous avons donc souhaité définir la rémunération de référence catégorie par catégorie. Nous l’avons fait en liaison avec les professionnels, et ce travail sera affiné dans le cadre de la consultation en cours.

L’objectif est, d’une part, d’encadrer les rémunérations dans un corridor, afin d’éviter qu’elles soient décorrelées des prestations réelles. C’est précisément ce que nous avons voulu corriger avec cette réforme. Il est, d’autre part, de faire baisser les prix de certains actes, sans déstabiliser les offices existants, en particulier les plus petits d’entre eux. Une baisse des prix homothétique pour toutes les catégories d’acte n’aurait pas eu de sens, car elle aurait fragilisé les offices les moins rentables et favorisé ceux qui réalisent beaucoup d’actes à la limite du coût réel. La difficulté de l’exercice, c’est justement de mettre davantage à contribution les offices qui ont multiplié les actes avec une tarification proportionnelle au-delà d’un certain niveau.

Les arrêtés garantiront la pleine transparence de tous les tarifs, avec un mécanisme de révision régulière. Un délai sera donné aux professionnels pour s’adapter, conformément au souhait qui a été exprimé.

Pour ce qui est du fonds interprofessionnel de l’accès au droit et à la justice, le Conseil constitutionnel a invalidé les règles concernant l’assiette de la contribution qui doit le financer. Il était prévu que cette taxe concerne uniquement les actes qui font l’objet d’une tarification proportionnelle, au-delà d’un seuil fixé par la loi. Il revenait au règlement d’apporter un certain nombre de précisions. Or, le Conseil constitutionnel a considéré que cela ne respectait pas la compétence fiscale du Parlement.

Nous sommes en train de travailler sur ce problème, afin de parvenir à alimenter le fonds. Notre difficulté, vous le savez, est de financer l’aide juridictionnelle, après les décisions qui ont été prises concernant la profession d’avocat. La réflexion porte actuellement sur la définition complète dans la loi – il ne faut pas renvoyer à nouveau à des arrêtés – d’une base taxable intangible, qui serait le chiffre d’affaires. Cela fait l’objet d’un débat, car il est difficile de déterminer une base taxable de manière homogène pour tous les professionnels concernés, avec un plancher et un taux. Il faut que cette base taxable soit incontestable et, bien évidemment, réaliste et supportable.

Les réunions interministérielles sont en cours sur ce sujet. Nous devons créer un mécanisme qui permette d’abonder le fonds à plein pour tous les professionnels. Notre objectif est qu’il entre en vigueur en 2017.

L’audition, suspendue à quatorze heures cinquante-cinq, est reprise à seize heures vingt-cinq.

M. le ministre. L’assiette de la taxe interprofessionnelle doit être modifiée. La question du financement de l’aide juridictionnelle, réglée pour 2016, se posera à nouveau pour 2017. Le Premier ministre a décidé hier d’attendre l’entrée en vigueur de toute la réforme – tarifs, remises, liberté d’installation et interprofessionnalité – au printemps 2016 avant de déterminer le plancher et le taux de la taxe. Le texte sera donc intégré à la loi de finances initiale pour 2017.

En ce qui concerne le travail du dimanche, le texte de loi offre aux entreprises de moins de cinquante salariés la possibilité de procéder à un référendum ; pour les autres, c’est un accord d’entreprise, de branche, de territoire ou de groupe qui est la règle, le référendum n’ayant qu’une valeur consultative. Les syndicats du BHV souhaitaient recueillir l’avis des salariés sur les propositions de la direction ; celles-ci ont été rejetées à une faible majorité, mais les négociations ne sont pas terminées, et un accord reste possible. Tout d’abord, le référendum a fait l’objet d’une polémique, car on a fait voter les démonstratrices qui n’étaient pas concernées par la mesure. Ensuite, les compensations indiquées étaient inférieures à celles qui étaient débattues au niveau de la branche. Les négociations de branche se poursuivent, même si celle d’hier a été reportée. Elles sont par nature complexes, car les situations d’entreprise sont très spécifiques, mais l’accord de branche évitera des différences entre entreprises voisines et donnera le cadre le plus stable possible. L’important est de trouver un accord sur les mesures de compensation pour les salariés. Certains acteurs considéraient que les mesures proposées par d’autres étaient trop généreuses ; un alignement est aujourd’hui en cours, laissant de bons espoirs pour trouver un accord. Les conséquences des attentats sur l’activité des centres commerciaux ne sont pas de nature à remettre en cause cette perspective : s’il est beaucoup trop tôt pour tirer des conclusions définitives, la fréquentation a diminué de 30 % la première semaine, et de 13 à 15 % la deuxième, soit des baisses comparables à celles qu’on avait constatées après les attentats de janvier. Les acteurs restent mobilisés, et nonobstant le résultat de ce référendum particulier, on peut espérer que les négociations aboutissent d’ici la fin de l’année.

Dans le budget pour 2016, l’Autorité de la concurrence bénéficie de quinze équivalents temps plein (ETP) supplémentaires qui lui permettront d’assumer ses nouvelles responsabilités, notamment en matière d’avis sur les professions réglementées. Par ailleurs, nous libérons de l’activité à d’autres endroits.

Mme Bernadette Laclais. Monsieur le ministre, cet échange nous permet, en tant que parlementaires, de vous poser des questions sur des sujets qui préoccupent nos concitoyens.

Les clercs habilités non diplômés notaires – environ 1 100 personnes – sont inquiets quant à l’avenir de leur profession et à leur situation personnelle. N’ayant pas de diplôme de notaire, ils risquent de voir leurs postes supprimés et d’éprouver des difficultés à retrouver une activité dans un autre cabinet. Il a été question d’autoriser la validation des acquis de l’expérience (VAE) ; les décrets que vous avez évoqués dans votre propos liminaire ont-ils intégré cette possibilité ? Sinon, peut-on faire un appel à décret complémentaire pour trouver une solution à la situation de ces personnes ? Les clercs non diplômés ont besoin de formation complémentaire et sont prêts, si nécessaire, à intégrer la dernière année d’écoles de notariat.

Mme Cécile Untermaier. Je voudrais vous interroger sur le fonds interprofessionnel. Le Premier ministre considère qu’il faut asseoir la réforme des tarifs et de la liberté d’installation avant de créer le fonds ; mais celui-ci devait s’articuler aux nouveaux tarifs proportionnels, pour lesquels il fallait définir de nouveaux barèmes de taux pour chaque acte. Soyons vigilants sur cette question. Il ne faudrait pas, si l’on institue le fonds en 2017, se retrouver dans l’obligation de retravailler les tarifs pour le financement du fonds.

Autre urgence : j’entends l’avis des avocats sur l’aide juridictionnelle, mais ce fonds que nous avions imaginé avec le Gouvernement n’a pas pour seul objectif de venir au secours des avocats ; il doit aussi servir la solidarité entre les différentes professions réglementées et favoriser l’accès au droit – un vrai besoin dans certains territoires, y compris urbains, malgré les efforts importants faits par le Gouvernement depuis 2012. En reporter la création à fin 2017, c’est perdre encore une année. On avait pourtant trouvé un dispositif intéressant, moins pénalisant qu’une contribution assise sur le chiffre d’affaires ; je souhaiterais donc que la haute administration de Bercy nous démontre en quoi le système que nous avions imaginé est irréalisable. Je ne suis pas spécialiste des tarifs proportionnels, mais il me semble qu’il est possible de travailler d’une façon empirique, pour identifier une liste de tarifs proportionnels correspondant à chacune des professions, qui viendraient alimenter ce fonds de solidarité. À l’heure où l’on parle de sociétés pluridisciplinaires et où l’on développe, au travers des ordonnances, une nouvelle méthode de travail, ce fonds prend tout son sens. Cette disposition devrait donc être traitée avec l’exigence que vous avez toujours manifestée à son encontre.

M. Denys Robiliard. Deux points me donnent satisfaction, et tout d’abord la méthode. Je trouve dommage que le Gouvernement s’abstienne parfois, lors de l’application d’un texte, de consulter les parlementaires qui y ont travaillé. Il ne s’agit pas pour nous d’empiéter sur les prérogatives confiées au Gouvernement par l’article 37 de la Constitution ; mais pourquoi se priver d’un regard intéressant ? J’approuve donc la méthode, qui mérite d’être approfondie et systématisée.

Je me réjouis ensuite de voir que le Sénat a adopté, à une très forte majorité, dans le cadre du « projet de loi santé », l’amendement relatif à la modification de la « loi Évin ». Le Gouvernement l’avait déposé dans le cadre de la loi pour la croissance et l’activité, mais le Conseil constitutionnel l’avait considéré comme un cavalier législatif. Cet amendement réformant le code de la santé publique, le Conseil constitutionnel ne pourra pas, cette fois, émettre le même avis ; s’il le faisait, je me demanderais dans quel véhicule législatif on pourrait présenter cette disposition.

Vous avez indiqué que ce soir, se tiendrait une réunion interministérielle portant notamment sur la procédure prud’homale. Le sujet relevant essentiellement de la Chancellerie et sans doute du ministère du travail, vous ne pourrez pas forcément me répondre ; mais la réforme de la procédure prud’homale que nous avons votée dans le cadre de votre loi doit réellement s’efforcer de réduire les délais de procédure, sous peine de rester sans effet. Il faut notamment se pencher sur les conditions de saisine : une saisine formalisée ferait gagner un temps important puisque, les termes de la discussion ayant été précisés, l’audience de conciliation se déroulerait dans de bonnes conditions. Le demandeur ayant suffisamment identifié sa demande pour qu’on puisse immédiatement demander au défendeur de répondre, on gagnerait plusieurs mois. Les syndicats y sont opposés car ils estiment qu’on doit pouvoir saisir le conseil des prud’hommes seul, sans assistance. Légalement, on peut le faire, mais étant donné la complexité du droit du travail, il s’agit d’un très mauvais conseil à donner aux salariés. On ne peut pas à la fois dire que ce droit est complexe pour les chefs d’entreprise et suggérer que les salariés pourraient saisir cette juridiction de façon aussi informelle.

Je voulais également attirer votre attention sur la question des moyens, même si elle ne relève pas de votre ministère. Dans la loi, nous avons voté qu’une formation restreinte à deux juges – un conseiller employeur et un conseiller salarié – pourrait traiter les affaires dès lors que le bureau de conciliation et d’orientation, ainsi que les parties, seraient d’accord. Avec deux juges, il est possible de tenir deux audiences en parallèle. Cependant, cela suppose également de disposer de deux salles et de deux greffiers, donc de moyens supplémentaires, au moins le temps de réduire le stock des dossiers. Pour assurer le suivi de votre loi, il faut que les décrets soient pris dans les temps, mais surtout qu’ils soient courageux, car pour réduire les délais de la procédure prud’homale, il faut trancher avec les pratiques actuelles. Les problèmes sont identifiés, les solutions, connues ; il faut désormais les mettre en œuvre.

M. Gilles Lurton. Je voudrais revenir sur la méthode d’élaboration des décrets d’application. Il y a quelques jours, vous avez réuni à Bercy l’ensemble des parlementaires membres de la commission spéciale pour les informer de l’avancement de la mise en application de la loi pour la croissance et l’activité. À cette occasion, je vous ai remercié d’avoir adopté cette méthode, qui a été unanimement saluée. Je vous ai également interrogé sur la procédure de consultation qui serait mise en place pour l’élaboration des décrets, notamment pour les professions réglementées du droit. Vous m’avez répondu qu’il n’était évidemment pas question de revenir sur le fond de la loi : pour résumer, vous avez dit oui à la consultation, non à la co-construction.

Or, les auditions menées par Cécile Untermaier – auxquelles je la remercie de nous avoir associés – montrent que ces professions expriment un réel besoin de concertation et s’inquiètent du contenu des décrets sur lequel elles seraient consultées, mais sans avoir leur mot à dire, alors que de véritables questions de fond peuvent se poser. Vous souhaitez par exemple rapprocher les tarifs des notaires des coûts réels ; mais comment ce coût réel serait-il défini ? Si l’on prend en compte la valeur locative des bureaux d’une étude notariale, il risque d’être très différent en province et à Paris. Autre exemple : la limite d’âge d’exercice de la profession de notaire. D’après la loi, les notaires ayant atteint soixante-dix ans devront arrêter d’exercer leur profession au 1er août 2017, sans forcément avoir eu le temps de trouver un remplaçant, les délais pour en faire nommer un par Mme la garde des Sceaux étant très longs. Bien d’autres points cités dans les auditions posent problème. Les membres de ces professions ont l’impression qu’au moment où ils seront consultés, les décrets auront déjà été élaborés, sans que l’on ait recueilli leur avis préalable.

M. Yves Blein. Monsieur le ministre, où en sont les projets de privatisation des aéroports de Lyon et de Nice ? Tient-on compte des difficultés que rencontre la privatisation de l’aéroport de Toulouse, marquée par le défaut d’un actionnaire ? Il faut également valoriser ces deux aéroports ; envisage-t-on d’y ouvrir de nouvelles lignes ?

M. le ministre. En ce qui concerne les clercs habilités, la reconnaissance de l’expérience est impossible dans le cadre juridique actuel, mais le décret relatif à la liberté d’installation supprimera ces barrières. Il revient ensuite à la profession de s’organiser pour proposer des modalités pratiques et pour fournir des formations. Nous avons engagé un dialogue sur ce point avec le CSN, tout à fait favorable à cette mesure. Les clercs diplômés qui remplissant tous les critères deviendront salariés ; les clercs non diplômés pourront désormais bénéficier d’une reconnaissance des acquis de l’expérience. Le CSN souhaite le passage au statut de notaire salarié de la plus grande partie des clercs. Nous clarifions le droit ; il travaille de son côté à apporter de la visibilité aux mesures. Il est important d’accompagner cette transition ensemble, afin de ne pas créer d’incertitudes.

Madame Untermaier, ce fonds répondait à une double préoccupation : instaurer une péréquation au sein de la profession, entre les différents types d’offices, et créer un mode de financement de l’aide juridictionnelle. L’entrée en vigueur de la réforme conduira à ce rééquilibrage, en particulier grâce à la structure même des tarifs. Néanmoins, il faut considérer la structuration économique des offices pour mettre en place cette péréquation financière et cette solidarité. Je voulais simplement souligner que la part la plus urgente d’affectation de la taxe – l’aide juridictionnelle – a été traitée budgétairement sur l’année 2016 et peut donc attendre 2017. J’entends votre souhait de parvenir au système le plus efficace et le plus juste possible ; il est également important d’avoir une visibilité complète sur la réforme tarifaire et ses conséquences. Utilisons donc le temps disponible pour créer un groupe de travail, composé de parlementaires volontaires de cette mission, pour traiter les choses en amont. L’administration pourra ainsi travailler avec vous sur les modalités, la structure et les conséquences de la réforme tarifaire, qui serait alors bien préparée et concertée. Comme il s’agit d’une modification législative sur laquelle nous avons déjà beaucoup travaillé, nous pouvons commencer le travail dès maintenant, dans cet esprit, afin de construire ensemble une voie qui corresponde à la volonté initiale du législateur.

Monsieur Robiliard, vos deux points de satisfaction illustrent bien votre première remarque : votre compétence et le suivi que vous avez effectué de la réforme sont particulièrement utiles pour surveiller les vicissitudes de son application, dont les modalités peuvent annihiler les effets souhaités.

Votre remarque sur le fonctionnement de la justice prud’homale montre votre souhait d’offrir une meilleure défense aux salariés. À ce stade, le non-respect des mentions prescrites par l’article 58 du code de procédure civile entraînerait l’annulation de la saisine ; vous nous avez alertés sur ce point qu’il convient de préciser, et nous porterons cette préoccupation ce soir dans la réunion interministérielle, dans l’espoir de la voir reflétée dans le décret. Au cours des discussions, nous serons également attentifs au second point que vous avez soulevé : le juge de la mise en état doit pouvoir prononcer la clôture de l’instruction pour prévenir les comportements dilatoires. Trouver les moyens nécessaires pour réduire le stock des dossiers représente un objectif important, que la rédaction du décret permet, me semble-t-il, d’atteindre. La réunion interministérielle devrait donc vous donner satisfaction sur les deux sujets. Lorsque le texte vous sera transmis vous pourrez voir s’il correspond à l’esprit de la loi et s’il respecte les deux exigences que vous avez pointées, afin que nous puissions y apporter les rectifications nécessaires dans les prochaines semaines. Il s’agit d’une réforme importante, dont l’efficacité dépend des modalités d’application.

Monsieur Lurton, les échanges avec les notaires sont nourris – je me suis rendu moi-même au CSN – et les professionnels seront consultés tant sur le texte relatif à la liberté d’installation que sur celui relatif aux tarifs. Le second décret a déjà été modifié pour tenir compte d’une première consultation, et la nouvelle architecture leur a été transmise. L’inquiétude dont vous vous faites l’écho concerne plus largement les arrêtés qui seront pris sur la base de ces décrets. Nous y travaillerons à la fin de l’année et au début de l’année prochaine : les décrets arrêteront la structure tarifaire, en définissant en particulier la « rémunération raisonnable » ; les arrêtés viendront ensuite décliner, catégorie de tarifs par catégorie de tarifs, les nouveaux mécanismes. Les arrêtés seront pris en janvier, à l’issue d’une concertation, mais les principes proposés aux professionnels sont d’ores et déjà clairs : pas de baisse générale des tarifs – engagement susceptible de rassurer – et ciblage des tarifs où il existe une marge par rapport aux coûts. Pour définir la « rémunération raisonnable », la loi prévoit que l’on regarde la rémunération moyenne du professionnel ; la référence choisie est celle d’une société unipersonnelle, où les coûts fixes sont les plus élevés. C’est par rapport à cette référence qu’on a identifié, acte par acte, ceux qui génèrent des revenus suffisants, pour lesquelles les tarifs peuvent évoluer. C’est dans cet esprit que nous préparerons les arrêtés. Je vous transmettrai l’ensemble des textes, qui pourront ainsi être discutés et éclairés par nos échanges.

S’agissant de la privatisation des aéroports de Lyon et de Nice, des consultations préalables ont eu lieu avec les collectivités locales. J’ai moi-même réuni l’ensemble des collectivités publiques coactionnaires des deux sociétés en question, et un cahier des charges leur a été envoyé pour recueillir leurs observations. Cela permettra de lancer l’opération formellement fin 2015 ou début 2016. Nous souhaitons refléter les demandes des collectivités partenaires exprimées dans le cahier des charges, à la condition expresse que ces collectivités ne se portent pas acquéreurs ou ne participent pas d’un consortium qui serait acquéreur des sociétés.

Quant à l’ouverture des lignes aériennes, cinq liaisons supplémentaires ont été accordées à Qatar Airways pour la desserte de Nice et cinq le seront également, en 2016, à la même compagnie, pour celle de Lyon. Les accords correspondants ont été signés par le Président de la République il y a plusieurs mois. Le cahier des charges de la privatisation, en cours de rédaction avec la direction générale de l’aviation civile (DGAC), ne prévoit pas l’ouverture d’autres lignes. Étant donné son impact potentiel sur la compagnie Air France, ce sujet – à séparer de la privatisation des aéroports – fait à chaque fois l’objet de discussions ad hoc avec la DGAC.

Enfin, les polémiques dont a fait l’objet la privatisation de l’aéroport de Toulouse ne sont pas de nature à remettre en cause l’opération. La société qui a acquis la majeure partie du capital paie ses impôts en France ; ses partenaires sont connus. La disparition momentanée d’un des acteurs chinois ne peut en rien déstabiliser le processus. Je connais la sensibilité du dossier, mais la privatisation est, à mes yeux, contestée pour de mauvaises raisons. Les garanties ont été apportées sur le plan fiscal, le dispositif est sécurisé et la pérennité de l’aéroport de Toulouse est assurée. Les opérations de privatisation des aéroports de Lyon et de Nice seront lancées début 2016 ; nous recueillerons d’abord les offres informelles, puis formelles. Une grande variété d’acteurs ont déjà manifesté leur intérêt auprès des collectivités concernées ou de l’État.

M. Gilles Savary. Monsieur le ministre, je me réjouis de constater que sur bien des chapitres emblématiques – comme celui concernant les autocars ou le permis de conduire –, les choses avancent gaillardement. Des décrets importants sur les modalités du service régulier d’autocars ont été publiés. Les règles d’ouverture de ces services sont désormais bien encadrées. En cas de contestation du service régulier, si l’on soupçonne que celui-ci pourrait affecter sérieusement l’économie d’un service public de trains ou de cars, l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ARAFER) devrait apporter son appréciation. Si son avis est favorable et que le service privé se substitue au service public, quid des obligations tarifaires qui lient les services publics, mais non les services privés ? Comment s’assurer qu’un ancien combattant pourra monter gratuitement dans un bus privé ? Il faut assurer la continuité des tarifs sociaux.

Il faut également considérer le cas où la mise en place d’un service privé affecte la clientèle d’un service public conventionné. Ainsi, si l’ARAFER considère qu’elle n’aura pas d’impact significatif, une ligne de cars privés peut venir concurrencer le service régulier de TER de la SNCF. Mais un impact – fût-il non significatif – reste toujours possible, l’entrée en jeu du nouvel acteur pouvant amener une baisse de clientèle du service public, qui perturbe le contrat initial. Comme il s’agirait d’un fait extérieur qui ne serait dû ni à l’autorité organisatrice des transports (AOT), ni à une moindre compétence ou efficacité de l’exploitant public, celui-ci risquerait alors de refuser d’assurer le service aux mêmes conditions tarifaires ou de demander une subvention supplémentaire pour combler le déficit d’exploitation. Afin d’éviter les contentieux complexes entre deux acteurs étrangers à l’arrivée de l’acteur privé – l’AOT et son délégataire de service public –, il faut déterminer qui devra compenser cette perte de clientèle. Est-ce à l’exploitant seul – la SNCF – qu’incombera cette responsabilité ?

M. le ministre. Dans les zones où existent des lignes compensées pouvant donner lieu à des tarifs privilégiés ou à des gratuités, les lignes libres ont peu de chance de se développer. En effet, par définition, quand les lignes sont compensées par les collectivités, c’est que la rentabilité est faible – soit en raison du remplissage, soit en raison de l’aide accordée à la population. Par conséquent, je ne crois pas que ce problème risque de se poser. En revanche, si l’offre privée devient structurante sur un territoire, il faut proposer une politique tarifaire. La question se posera alors de savoir comment et dans quel cadre compenser le manque à gagner pour les opérateurs privés. Il faudra considérer la question ad hoc ; comme il ne s’agit pas d’une délégation, l’amélioration de l’offre tarifaire passera par une négociation entre les collectivités et les compagnies.

Le deuxième cas que vous évoquez – l’atteinte, de proche en proche, à l’équilibre économique d’une ligne subventionnée de service public – est plus complexe que celui directement prévu par la loi. L’ouverture de nombreuses nouvelles lignes peut, en effet, remettre en cause la viabilité d’une ligne conventionnée. L’ARAFER devra surveiller cet équilibre, en lien avec l’AOT. D’une part, à chaque renouvellement de l’autorisation de la ligne conventionnée, l’on tiendra compte des nouveaux équilibres ; d’autre part, à chaque ouverture d’une nouvelle ligne privée de moins de 100 kilomètres, l’ARAFER en évaluera l’impact sur les lignes existantes, et pourra la bloquer, son avis étant conforme. Le seul cas qui ne serait pas couvert est celui où l’on n’aurait pas vu, ex ante, la conséquence de l’énième ouverture de ligne à proximité, qui viendrait déstabiliser l’opérateur public. Le seul mécanisme de correction consisterait alors, au moment du renouvellement de la convention de la ligne, à revoir sa subvention pour refléter les écarts. Il faudra peut-être conférer à l’ARAFER la compétence d’éclairer l’AOT sur ce sujet.

Aujourd’hui, il faut laisser l’offre se développer – ce qu’elle fait actuellement de manière équilibrée et non disproportionnée. Les prix d’attaque du marché sont très bas ; non soutenables dans la durée, ils sont appelés à augmenter. À ce stade, nous n’avons pas la preuve qu’ils viennent déstabiliser telle ou telle zone ; mais je voudrais que l’on regarde, en lien avec vous, comment couvrir, à travers les pouvoirs de l’ARAFER, le dernier point que vous évoquez.

M. Gilles Savary. Les cars sont partis vite, et c’est un beau succès ; mais les gares routières n’ont pas suivi. Le sujet est complexe. Les nouvelles régions devront mettre en place un schéma régional de l’intermodalité, qui concernera beaucoup d’acteurs : collectivités territoriales – communes, métropoles, communautés de communes –, la SNCF, les emprises aéroportuaires. Où en est-on de la réflexion dans ce domaine ? À l’époque, j’avais émis le souhait de mettre d’emblée l’intermodalité au cœur du dispositif : la loi aurait dû dès le départ imposer de construire des gares routières à côté des gares ferroviaires et maritimes, et des aéroports, pour mettre un terme à la malédiction française des modes de transport en silos. Notre pays a un grand retard en matière d’intermodalité : on pensait que mettre une gare routière près d’une gare SNCF, c’était amener le concurrent dans la bergerie, alors que l’intermodalité est un jeu à somme exponentielle puisque les deux modes impliqués en profitent. Il faudrait que les cars que l’on met en place puissent immédiatement desservir les aéroports et les gares ferroviaires et maritimes, dans une logique de complémentarité qui décuplerait l’efficacité du système. Par ailleurs, nos villes ne pourront pas supporter longtemps le développement des cars si les voyageurs sont embarqués et débarqués sur la chaussée. Où en sont vos réflexions et quelles sont les échéances pour ce texte d’application ?

M. le ministre. Le texte doit entrer en vigueur au début de l’année prochaine. Il est en cours de préparation ; la première réunion s’est tenue avec votre représentant et Mme la sénatrice Fabienne Keller, la deuxième se tiendra en décembre. Le principe est celui de la mobilisation des collectivités locales ; on a recensé toutes les gares existantes, avec une attention particulière au cas d’Île-de-France, où le préfet de région a réuni les acteurs intéressés. L’ordonnance partira au Conseil d’État d’ici une quinzaine de jours et distinguera – comme vous l’avez souhaité dès le début – les gares routières et les arrêts routiers. L’idée est de favoriser l’intermodalité à travers les différentes conditions d’installation et de positionnement des gares. C’est cet esprit qui a d’ailleurs inspiré toute cette réforme.

L’un des points difficiles que l’ordonnance devra traiter est celui où les gares appartiennent à l’un des opérateurs ou sont gérées par lui et qu’il faut en organiser l’utilisation par les autres opérateurs. La SNCF en possède beaucoup, parfois en lien avec des collectivités territoriales, et nous souhaitons éviter la multiplication de gares et d’arrêts routiers concurrents. Sous huit jours, vous disposerez, pour consultation, d’un projet de texte qui reflète ces différents points. Vos remarques nous aideront à le finaliser.

M. Gilles Savary. Avez-vous consulté le travail que mène la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM), qui doit nous fournir, l’année prochaine, un rapport sur la situation des gares ?

M. le ministre. Bien sûr.

M. Gilles Savary. C’était un des angles morts de la loi de réforme ferroviaire, qu’on n’a pas voulu traiter à cause de sa complexité.

M. le président Richard Ferrand. Monsieur le ministre, merci d’avoir répondu à nos questions. En matière de méthode, nous avons bien compris que si les consultations ne peuvent être aussi précoces que nous l’aurions souhaité, nous ne serons pas condamnés au silence une fois que les textes nous parviennent après arbitrage interministériel. Nous vivrons ces transmissions comme une invitation à l’action.

Je vous propose de nous revoir avant la fin de l’année, vers le 15 décembre. D’ici là, nous continuerons les auditions afin d’enrichir les textes qui nous ont déjà été transmis ou qui le seront prochainement.

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Membres présents ou excusés

Mission d'information commune sur l'application de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques

Réunion du mercredi 25 novembre 2015 à 14 heures

Présents. - M. Yves Blein, M. Jean-Yves Caullet, Mme Corinne Erhel, M. Richard Ferrand, M. Laurent Grandguillaume, M. Philippe Houillon, M. Sébastien Huyghe, Mme Bernadette Laclais, Mme Véronique Louwagie, M. Gilles Lurton, M. Denys Robiliard, M. Gilles Savary, Mme Cécile Untermaier

Excusé. - M. Stéphane Travert

Assistaient également à la réunion. - M. Jean-Louis Bricout, M. Jean-Jacques Bridey, Mme Anne-Christine Lang

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