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Mission d'information commune sur l’application de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques

Mardi 15 décembre 2015

Séance de 18 heures

Compte rendu n° 2

Présidence de M. Richard Ferrand, Président-rapporteur

– Audition de M. Emmanuel MACRON, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique 2

– Présences en réunion 17

La mission d’information commune entend M. Emmanuel MACRON, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique.

M. le président Richard Ferrand, rapporteur. Monsieur le ministre, vous avez bien voulu accepter la proposition que nous vous avions faite de tenir cette nouvelle réunion aujourd’hui, trois semaines après celle du 25 novembre dernier. À l’occasion de votre première audition, vous aviez dressé un premier bilan de la mise en œuvre de la loi du 6 août 2015. Depuis lors, les choses ont encore évolué puisque sept décrets ont été publiés, qui concernent l’épargne salariale, la lutte contre la prestation de services internationale illégale et l’amélioration du dispositif de sécurisation de l’emploi.

Surtout, un grand nombre de projets de décrets ont fait l’objet d’arbitrages interministériels et sont sans doute, vous nous le confirmerez, actuellement examinés par le Conseil d’État. Parmi ceux qui nous ont été transmis, plusieurs concernent la mise en œuvre des dispositions relatives aux professions réglementées, qu’il s’agisse des tarifs, de la nomination des officiers publics ministériels ou des critères d’établissement de la carte déterminant les zones dans lesquelles la création de nouveaux offices apparaît utile. Je précise à ce propos que, dès que les services de Matignon nous ont transmis les textes, ceux-ci ont été immédiatement communiqués aux membres de notre mission d’information.

Lors de votre première audition, nos rapporteurs thématiques, notamment Cécile Untermaier et Denys Robiliard, ont exprimé un certain nombre d’inquiétudes apparues au cours des auditions qu’ils avaient organisées. Force est de reconnaître que ces inquiétudes n’ont pas toutes été apaisées, et je dois souligner que la lecture attentive des textes qui nous ont été transmis en a suscité de nouvelles, dont nous souhaitons vous faire part aujourd’hui, et en a également confirmé d’anciennes.

Par ailleurs, j’informe nos collègues que nous auditionnerons Mme la garde des Sceaux le 20 janvier prochain, à 16h30. Je forme à cet égard le vœu que les différents décrets qui doivent faire l’objet de nos discussions ne soient pas publiés avant que nous ayons pu avoir ce dialogue complémentaire avec le Gouvernement. Sinon, nous n’aurions plus guère qu’à commenter le passage des trains, ce qui n’est pas l’objectif de notre mission d’information.

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique. Monsieur le président, je ne peux m’engager que pour moi-même, mais je ne saurais comprendre que les décrets ne puissent pas être publiés dans les délais prévus, pour des raisons d’agenda. Peut-être faudra-t-il donc, pour que vos échanges soient utiles, que l’audition de Mme la garde des Sceaux soit avancée. En effet, je ne vous cache pas – vous connaissez mon caractère direct parce qu’honnête – que notre objectif est que nombre de ces décrets soient publiés avant la fin du mois de janvier. Du reste, si je me suis, pour ma part, rendu disponible à deux reprises au cours des trois dernières semaines, c’est précisément parce que notre dialogue me paraît important.

Depuis notre dernière rencontre, il y a trois semaines, nous avons beaucoup avancé, puisque sept décrets ont été publiés. Au-delà, le travail interministériel a permis de faire converger un certain nombre de textes importants, sur lesquels je souhaite connaître vos remarques. Vous avez évoqué, monsieur le président, des incompréhensions ou des inquiétudes, et je suis tout à fait disposé à vous entendre, mesdames, messieurs les députés, pour dissiper ces incompréhensions ou prendre en compte vos éclairages afin d’enrichir le travail gouvernemental.

En ce qui concerne les professions réglementées du droit, le décret réformant le texte de 1944 sur les tarifs des actes et définissant notamment la rémunération raisonnable est au Conseil d’État, après la prise en compte des retours des professionnels ; les arrêtés suivront au tout début de l’année 2016. Les textes relatifs à l’installation seront transmis au Conseil d’État dans les prochains jours ; les professionnels nous ont adressé, ce matin, leurs retours sur les versions qui vous avaient été communiquées et qui ont été pilotées par la garde des Sceaux.

D’autres réformes concernant la justice vous ont été transmises. Je pense à la réforme des prud’hommes, sur laquelle vous avez pu avoir un échange technique avec les cabinets ministériels concernés. Le débat que nous avons eu à ce sujet, il y a trois semaines, a permis d’apporter un certain nombre d’éclairages, et je suis soucieux que nous puissions revenir sur les différents problèmes qui avaient été soulevés à cette occasion. Je pense également au décret organisant le transfert des données du Registre national du commerce et des sociétés (RNCS) à l’Institut national de la propriété industrielle (INPI), actuellement en consultation auprès du Conseil national des greffiers de tribunaux de commerce, à la réforme des conditions d’accès aux professions d’administrateur judiciaire et de mandataire judiciaire (AJMJ), au concours d’accès à la profession de greffier des tribunaux de commerce – une ordonnance et un décret – et à l’ordonnance relative aux gages sur stocks. Trois de ces textes sont déjà partis au Conseil d’État ; les huit autres décrets, ainsi que deux ordonnances, lui seront transmis cette semaine, après une ultime concertation avec les professionnels.

Les textes qui restent à prendre concernent les sociétés interprofessionnelles, les formes des sociétés et l’ajustement du code aux mesures concernant le capital. Les grandes orientations ont été validées, mais le travail technique se poursuit. Ces textes importants vous seront communiqués au début de l’année 2016.

J’en viens maintenant aux textes concernant les transports. S’agissant des gares routières, l’ordonnance a été communiquée hier à votre mission d’information et sera transmise au Conseil d’État dans les prochains jours. Pour ce qui est de l’open data, vous avez eu connaissance du texte il y a déjà un mois ; les discussions interministérielles sur ce sujet se terminent. Je précise que les codes de conduite, en cours de discussion avec les acteurs, sont d’application directe. Les mesures régulant les autoroutes vous ont été communiquées hier et seront transmises sous peu au Conseil d’État. Quant aux ordonnances relatives au projet du Charles-de-Gaulle Express et au Canal Seine-Nord, elles vous ont également été transmises.

Enfin, vous ont été transmis le décret concernant les seuils de chiffre d’affaires fixés pour l’information de l’Autorité de la concurrence en matière d’accords à l’achat, le décret concernant la publicité pour les conseils en propriété intellectuelle, qui est au Conseil d’État, le décret organisant l’externalisation de l’examen du code pour le permis de conduire et le décret autorisant les centres hospitaliers universitaires (CHU) à créer des filiales à l’international.

Au total, vous avez donc eu connaissance de plus du tiers des textes prévus pour l’application de la loi, conformément aux engagements que j’ai pris devant vous il y a trois semaines.

Sur tous ces aspects, je veux aujourd’hui avoir avec vous un échange précis, afin de répondre à vos questions et de bénéficier de vos retours, qu’il s’agisse de vos propres analyses des textes ou des observations qui ont pu vous être faites par les professionnels au cours des auditions que vous avez réalisées.

M. le président Richard Ferrand, rapporteur. Tout d’abord, je tiens à souligner que les engagements sont tenus : le rythme de la production des textes réglementaires est assez exemplaire. Nous avons coutume de dire que nous avons battu un certain nombre de records lors de l’examen du projet de loi ; il semblerait que nous restions sur cette lancée, et nous voulons vous en remercier, monsieur le ministre.

En ce qui concerne les décrets relatifs aux professions réglementées du droit, je souhaiterais vous faire part de quelques observations. On constate, tout d’abord, à la lecture des textes concernant les tarifs, que, dans la recherche de la rémunération raisonnable, l’approche se fait par profession, et non par acte. Or, il nous semble que l’enjeu était d’établir un lien direct entre le prix de l’acte et la prestation fournie, plutôt que de savoir quelle devait être la rémunération globale de telle ou telle profession.

Quant à la disposition concernant la remise qu’il est possible d’accorder pour certains actes, notamment notariés, elle s’éloigne de l’esprit du fameux corridor tarifaire, qui avait suscité tant de débats. En effet, une remise de 10 % serait autorisée pour un certain nombre d’actes, mais cette remise pourrait atteindre 40 % pour les actes les plus coûteux, ce qui est tout à fait nouveau par rapport à ce que nous avions évoqué lors de nos débats. De fait, je crois me souvenir que nous avions considéré non seulement que les actes afférents aux affaires ou aux transactions atteignant un certain niveau de prix ne devaient pas faire l’objet d’une remise – dans la mesure où les parties sont suffisamment aisées –, mais qu’ils devaient au contraire donner lieu à un prélèvement destiné à alimenter un fonds interprofessionnel d’accès à la justice et au droit, couvrant à la fois la solidarité avec les professions, l’aide juridictionnelle ou les maisons du droit. Or, à ce stade, cet élément ne figure nulle part – mais peut-être tous les textes ne nous sont-ils pas encore parvenus. Tel qu’il est prévu, l’abondement de ce fonds – dont on murmure, ici ou là, qu’il pourrait consister en une taxe sur le chiffre d’affaires – ne nous paraît donc pas conforme à l’esprit de la loi, dès lors que nous souhaitions que la péréquation s’exerce sur les honoraires des actes, d’avocat ou de notaire, relevant de l’immobilier.

Par ailleurs, la validation des acquis de l’expérience suscite quelques interrogations, car nous ne retrouvons pas les mesures qui devaient permettre l’évolution souhaitée, notamment pour les clercs d’huissier ou les clercs habilités. Ainsi, les quelques milliers de clercs habilités qui doivent être nommés notaires s’interrogent, compte tenu des délais appliqués dans l’administration, sur la capacité qu’aura le ministère de la justice de procéder à ces nominations en un semestre, alors que celles-ci se chiffrent actuellement à quelques dizaines par an.

Enfin, nous avons relevé qu’un stage de trois ans devrait être effectué pour accéder aux professions d’AJMJ. Or, si des universitaires enseignant en master considèrent qu’une période de stage peut suivre l’acquisition de ces qualifications, elle ne saurait durer pour autant trois années. Encore faudrait-il s’assurer, du reste, que l’obligation de prendre des stagiaires soit prévue dans les normes professionnelles, faute de quoi, la population de titulaires étant très réduite, le nombre des stagiaires risquerait de l’être également. Si nous voulons rester fidèles à la volonté qui a toujours été la nôtre d’ouvrir l’accès à ces professions, nous devons veiller à ce que des dispositions ne renouent pas avec l’esprit malthusien que nous voulons tous combattre.

M. Denys Robiliard. Tout d’abord, j’observe que les décrets d’application relatifs au licenciement économique, qui portent notamment sur le reclassement international et l’ordre des licenciements, ont été publiés au Journal officiel. Leurs dispositions sont claires et, je crois, fidèles à l’esprit de la loi. Elles contribueront à simplifier la tâche, et des employeurs et des salariés, car chacun connaîtra désormais exactement le droit applicable. Je me félicite donc de ces avancées. Quant à l’ordonnance relative à l’inspection du travail, je sais que son texte est prêt. Le ministère du travail a demandé à être auditionné par notre mission d’information à ce sujet et, si vous l’acceptez, monsieur le président, je souhaiterais que le rapporteur du Sénat assiste à cette audition.

S’agissant de la procédure prud’homale, il a notamment été tenu compte de la consultation du Conseil supérieur de la prud’homie ; le décret a été transmis au Conseil d’État. Il comprend une réforme supplémentaire, qui est celle de la procédure suivie devant la cour d’appel : la représentation par les avocats ou par les défenseurs syndicaux est désormais obligatoire et la procédure devient écrite, ce qui permettra peut-être de gagner du temps. Cette réforme, je le précise, est rendue possible par le fait que nous avons donné un statut légal aux défenseurs syndicaux. J’ajoute que, pour raccourcir effectivement les délais de procédure devant les chambres sociales des cours d’appel, il faudra peut-être allouer, au moins aux plus grandes d’entre elles, des moyens supplémentaires. Quoi qu’il en soit, sur cet aspect de la réforme, nous avançons et nous nous donnons les moyens de réduire les délais.

En revanche, les observations que j’avais formulées lors de votre première audition, monsieur le ministre, n’ont pas entraîné de modifications. Ainsi, si la saisine du conseil des prud’hommes est davantage formalisée qu’aujourd’hui, son non-respect n’est toujours passible d’aucune sanction. Dans une première version du décret, il avait été envisagé de prévoir une nullité, sanction au demeurant extrêmement souple en matière de procédure civile, puisqu’il suffit qu’une régularisation intervienne avant que le juge se soit prononcé pour que la nullité soit écartée. Quoi qu’il en soit, le texte ne fait même plus référence à une telle nullité. Or, la formalisation de la saisine est un moyen de réduire la durée des procédures. En effet, si le dossier présenté devant le juge de la conciliation a été suffisamment travaillé, l’audience de conciliation a davantage de chance d’aboutir. Or, de ce point de vue, aucune évolution n’est intervenue.

Par ailleurs, si la réforme prévoit incontestablement la mise en état des dossiers devant la juridiction prud’homale, elle le fait sans instituer une clôture de l’instruction, c’est-à-dire une date, antérieure à la date d’audience ou coïncidant avec celle-ci dans des cas exceptionnels, après laquelle il n’est plus possible d’adresser de nouvelles pièces ou de nouvelles conclusions. L’absence d’une telle ordonnance de clôture soulève un véritable problème, car si les renvois devant le conseil des prud’hommes sont si nombreux, c’est bien souvent parce que des pièces et des conclusions sont échangées la veille de l’audience. L’institution d’une telle ordonnance, même si elle n’est pas habituelle et ne participe pas de l’esprit de la procédure orale, est donc un des éléments susceptibles de réduire effectivement la durée des procédures devant les conseils des prud’hommes. C’est pourquoi je regrette qu’elle soit absente du projet de décret.

Enfin, le ministère de la justice s’est inspiré du rapport de M. Alain Lacabarats et de celui de M. Didier Marshall, premier président de la cour d’appel de Montpellier. Or, ce dernier préconise que soit développé, notamment en matière de mise en état, le rôle des greffiers. Ceux-ci, souvent titulaires d’un bac +5, sont en effet extrêmement bien formés et peuvent parfaitement prendre des décisions, sous le contrôle des juges, bien entendu, y compris des juges paritaires. Il est donc dommage que le rôle qui leur est confié soit réduit à la portion congrue, car, là encore, cela permettrait de réduire la durée des procédures devant les conseils de prud’hommes.

Mme Cécile Untermaier. Merci, monsieur le ministre, pour ce travail très conséquent accompli avec l’administration, qui représente la partie immergée de l’iceberg.

En ce qui concerne les tarifs, le décret apparaît comme assez « techno » aux professionnels et pourrait donc gagner en lisibilité. La question est certes technique, mais le texte est si complexe que certains des professionnels concernés ont compris qu’il visait à encadrer leur rémunération entre 75 000 et 130 000 euros... On leur a donc précisé qu’il s’agissait, dans le cadre d’une approche globale, de fixer les prix au regard d’une rémunération raisonnable. Néanmoins, le coefficient correcteur prévu à l’article R. 444-12 du code de commerce mériterait sans doute d’être davantage expliqué : que vient-il corriger ? Qui sera chargé de le calculer et selon quels critères ? Est-il amené à évoluer et à quelle fréquence ? Pourrait-il être inférieur à 1 ? En tout état de cause, la question des tarifs suscite de grandes inquiétudes chez les professionnels.

Les principales critiques adressées au dispositif sont les suivantes. Tout d’abord, rien ne garantit que l’objectif de rendre du pouvoir d’achat à nos concitoyens en créant un tarif clair, atténué sur les petits actes, soit atteint. Il semble en effet que le client aisé paiera proportionnellement moins cher que le client modeste, qui peine à trouver un financement, alors que la révision tarifaire avait notamment pour objectif de remédier à cette situation. Ensuite, beaucoup estiment que le notaire de base assume la charge financière du maillage territorial et que le mécanisme de compensation devrait concerner non seulement les professionnels mais aussi les actes. Par ailleurs, les bénéficiaires directs de la réforme semblent être davantage les gros offices et, à travers eux, les plus gros clients. Bien entendu, on ne peut oublier le prix raisonnable pour l’usager, appliqué aux actes d’effet modeste, mais les remises suscitent des interrogations dès lors qu’elles peuvent atteindre 40 %, au profit des clients les moins nécessiteux.

Par ailleurs, comment le fonds interprofessionnel de l’accès au droit et à la justice sera-t-il alimenté ? Nous sommes toujours très réticents à l’instauration d’une taxe sur le chiffre d’affaires, de même que l’ensemble des professions, qui lui préféreraient une ponction sur les tarifs proportionnels. Il serait tout de même dommage de faire un choix qui ne convient ni au législateur ni aux professionnels. Quant aux finalités du fonds, l’aide juridictionnelle en semble absente. Même s’il ne s’agit pas d’une priorité, il conviendrait qu’elle soit mentionnée dans le décret. Enfin, on observe que les avocats ne figurent plus parmi les personnes devant composer le fonds.

S’agissant des conditions d’installation, nous n’avons pas d’observations à formuler sur les critères retenus. En revanche, en ce qui concerne l’installation même de l’officier public ministériel, il est fait référence, dans le décret, à la règle du « premier arrivé, premier servi ». Or, il me semble, monsieur le ministre, que vous aviez envisagé, lors de votre première audition, la possibilité d’introduire des critères de compétence, d’acquis de l’expérience ou d’ancienneté.

En ce qui concerne, enfin, les AJMJ, il est vrai qu’un stage de trois ans après un master, qui serait dans la main de la profession, ne me paraît pas de nature à atteindre notre objectif, qui est de faciliter l’accès de ces professions aux jeunes. Nous serons donc extrêmement vigilants sur ce point. Nous veillerons également à ce que soit développée une approche homogène des professions, qu’il s’agisse du fonds interprofessionnel, des modes d’installation ou des conditions d’obtention des diplômes.

M. le président Richard Ferrand, rapporteur. J’ajoute que, dans le projet de décret, le transfert d’activité existante est largement facilité par rapport à la primo-installation. Or, l’enjeu est tout de même bien de faciliter la première installation, notamment de jeunes. Il faut donc prendre garde à ne pas permettre à ceux qui sont déjà installés de truster les possibilités d’installation grâce à un mode de transfert plus avantageux.

M. Alain Tourret. En ce qui concerne le traitement des affaires prud’homales, Denys Robiliard a raison : il faut éviter que l’affaire ne soit renvoyée six ou douze mois plus tard grâce aux manœuvres dilatoires d’avocats qui déposent au dernier moment de nouvelles pièces, voire de nouvelles conclusions. À cet égard, la mesure qu’il propose serait très utile, car l’ordonnance de clôture permettrait au président du conseil de prud’hommes de faire en sorte que l’affaire soit immédiatement plaidée.

Par ailleurs, j’ai été chagriné de me retrouver « mis en corner », c’est-à-dire écarté de la présentation de la carte des tribunaux de commerce spécialisés. L’établissement de cette carte est revendiqué par la Chancellerie, ce qui peut se comprendre, mais le ministère de l’économie a des propositions à faire en la matière. La garde des Sceaux a suspendu la publication du décret ; une nouvelle négociation doit intervenir sur trois points qui posent problème. Je souhaiterais que soit organisée à ce sujet une réunion commune entre la Chancellerie, le ministère de l’économie et moi-même.

M. Stéphane Travert. Monsieur le ministre, je souhaite quant à moi aborder trois points concernant l’ouverture dominicale des commerces de détail. Tout d’abord, pouvez-vous nous dire quand seront publiés les décrets relatifs aux commerces des gares et de leurs emprises ? Ensuite, que savez-vous des décisions qui ont été prises concernant les dimanches du maire ? Je constate, à ce jour dans mon département, qu’il n’y a pas d’écart important entre les décisions prises cette année et la situation qui prévalait l’année dernière. Ces décisions sont, de fait, adaptées à la vie des territoires, comme nous le souhaitions lorsque nous avons voté cette disposition. Enfin, il semble que la majoration de 30 % dont doivent bénéficier, le dimanche, les salariés des surfaces alimentaires de plus de 400 m2 rencontre quelques problèmes de mise en œuvre, certains employeurs estimant qu’elle ne s’applique qu’aux nouveaux contrats alors qu’elle doit, bien entendu, s’appliquer à tous. Avez-vous des retours des Direccte à ce sujet ?

M. Gilles Lurton. Je souscris aux observations de Cécile Untermaier et du président concernant les professions réglementées du droit. Je compléterai leurs propos par quelques remarques. La loi a fixé, pour l’exercice de la profession de notaire, un âge limite, qui est de 70 ans. Cette mesure doit s’appliquer au 1er août 2016, une prolongation de douze mois étant possible sur autorisation du ministre de la justice. Or, je crains que Mme Taubira ne doive se préparer à délivrer de nombreuses autorisations, car il sera difficile de nommer autant de notaires remplaçants dans un si bref délai. Quant aux clercs habilités, leurs habilitations cesseront au 1er août 2016, et je m’interroge sur ce que deviendront ceux qui ne souhaitent pas être notaires.

S’agissant des tarifs, monsieur le ministre, vous avez évoqué à plusieurs reprises la définition d’un tarif raisonnable. Je réitère la question que je vous ai posée il y a quelques semaines : un tel tarif comprend-il le coût du loyer des bureaux des notaires, auquel cas il sera très différent en fonction de la ville dans laquelle on se trouve ? Enfin, les autorisations d’ouverture dominicale que nous délivrons dans nos collectivités locales sont particulièrement complexes à établir, car la situation diffère selon qu’il s’agit de commerces alimentaires ou de commerces de voitures, par exemple.

M. le ministre. Je commencerai par répondre aux questions qui portent sur les tarifs. Ce sujet n’est pas aisé. Notre objectif est, tout d’abord, de fixer une méthode et un socle de base. À cet égard, l’approche par acte aurait été beaucoup trop complexe. Il est en effet impossible de définir une rémunération raisonnable, c’est-à-dire la juste rémunération du travail et du capital, pour chacun des 600 actes existants. Dès lors, nous sommes obligés de définir en quelque sorte un cas moyen, qui sera ensuite pondéré, afin d’aboutir à ce qu’est, dans chaque profession, la rémunération raisonnable que l’on est en droit d’attendre du capital et du travail, et de décliner ensuite celle-ci, par catégorie d’actes, dans les arrêtés. Telles sont, du reste, les préconisations émises par l’Autorité de la concurrence dans son avis de mars 2015. J’ajoute que passer en revue plus de 600 actes aurait fragilisé la péréquation.

Toutefois, nous avons décidé de ne pas retenir une approche aussi transversale que celle de l’Autorité de la concurrence, qui aurait consisté à retenir une référence moyenne interprofessionnelle, en prenant en compte des professions très différentes. Nous avons choisi de privilégier plutôt une approche profession par profession, qui a nécessité un travail très important, réalisé avec l’aide des professionnels qui, je dois le dire, ont fait œuvre de transparence sur les chiffres, ce qui nous a permis d’affiner les choses. Nous avons ainsi défini une structure de base inédite, qui permet d’assurer la transparence du système et de rapprocher les tarifs des coûts réels, ce qui, s’agissant de professions réglementées, me paraît naturel.

La refonte de ces textes requiert des travaux qui dépassent largement le cadre de l’article 50 de la loi. Le décret se limite, quant à lui, au toilettage de ce corpus juridique. Pour définir la rémunération raisonnable prévue dans la loi, on distingue ce qui relève, d’une part, de la rémunération du travail et, d’autre part, de celle du travail – ce premier élément est précisément détaillé dans le décret. En revanche, ce nouveau projet réaménage la méthode dans son application pratique, puisqu’il remplace par des comparaisons internes aux professions concernées le renvoi à des professions pertinentes. C’est là qu’intervient le coefficient correcteur.

Le point de référence qui a été pris profession par profession est le taux de résultat net observé dans les structures unipersonnelles. Ce choix s’explique par une raison simple : ces structures, qui sont réputées les plus fragiles, puisque c’est là que les coûts sont le moins mutualisés, dégagent un revenu suffisant pour garantir l’attractivité de la profession. Il s’agit en effet de ne pas léser chacune des professions dans la définition du poids moyen. Les structures unipersonnelles constituent donc un point de référence objectif qui permet de déterminer un niveau raisonnable d’évolution tarifaire à moyen terme. Toutefois, comme on s’est aperçu qu’il existait une grande dispersion au sein de certaines professions, nous avons défini un coefficient correcteur, différent selon les professions, afin d’éviter que les plus petits ne se retrouvent attirés, en cas de dispersion importante, par un référentiel qui pouvait les léser.

Ces deux éléments – le choix de la structure unipersonnelle, et non d’une structure moyenne, et la définition d’un coefficient corrigeant la dispersion au sein de chaque profession – permettent d’éviter la fragilisation des professionnels exerçant dans les zones les plus reculées ou dans les structures les moins riches. C’est un point important. Ils sont, certes, un peu techniques, mais ils offrent une garantie à cet égard.

Cette approche d’ensemble est complétée par un filet de sécurité puisqu’on vérifie que la rémunération moyenne par professionnel ainsi obtenue est comprise dans une fourchette de rémunération acceptable. Cette dernière comprend un montant de rémunération pour le travail, fixé en montant absolu dans le décret, auquel s’ajoutent 10 % du chiffre d’affaires moyen au titre de la rémunération du capital, ce chiffre étant choisi par référence aux modalités de calcul de l’assiette des cotisations sociales des travailleurs indépendants. Pour la première fois – et c’est ce qui déterminera la péréquation interprofessionnelle –, nous fixons un montant seuil qui, j’y insiste, permet de viabiliser les structures les plus petites et d’assurer ainsi le maillage du territoire ; il y va de la crédibilité de notre démarche. De fait, la péréquation n’était pas une réalité au sein de ces professions : elle existait à l’intérieur des structures, mais jamais entre l’office notarial du boulevard Saint-Germain et celui du fin fond de la Lozère.

Ce mécanisme permet donc de définir la rémunération raisonnable et sera ensuite décliné acte par acte dans les différents arrêtés. Nous poursuivons tous un double objectif : diminuer la rémunération des actes là où elle s’écartait trop du coût réel, sans pour autant fragiliser les structures les plus petites. C’est un point important. Chercher à diminuer le coût de certains actes qui sont parfois les plus courants, ce serait s’inscrire dans une logique de potentielle fragilisation des structures les plus précaires, car ce sont ces dernières qui réalisent surtout ces actes dont la rentabilité est très faible. Nous avons donc retenu une approche plus holistique.

Pour ce qui est des remises, la loi dispose que « des remises peuvent être consenties lorsqu’un tarif est déterminé proportionnellement à la valeur d’un bien ou d’un droit en application du deuxième alinéa du présent article et lorsque l’assiette de ce tarif est supérieure à un seuil défini par l’arrêté conjoint prévu à l’article L. 444-3. Le taux des remises octroyées par un professionnel est fixe, identique pour tous et compris dans les limites définies par voie réglementaire. » Cela permet de déterminer une catégorie à part, celle des transactions sur biens professionnels, pour laquelle la remise peut s’élever à 40 %. Dans ce domaine, en effet, plusieurs professionnels sont en concurrence, de sorte que si nous n’autorisions pas une telle remise, ces actes seraient tous réalisés – je vous le dis très franchement – par les avocats, et l’assiette de la taxe destinée à alimenter le fonds de péréquation se volatiliserait à la seconde. Dès lors que le législateur n’a pas décidé de réserver l’exclusivité de ces actes aux notaires, il nous fallait les autoriser à accorder une remise de 40 %.

En ce qui concerne le fonds interprofessionnel, je partage le souci qui a été exprimé. Ce fonds a une double finalité : assurer une péréquation au sein des professions et financer l’aide juridictionnelle – il avait été initialement prévu, dans les textes financiers de l’année, que cette dernière soit financée par les avocats, mais ce financement a ensuite été abandonné au profit d’autres voies budgétaires. Le Conseil constitutionnel a contesté la méthode que nous avions retenue et qui consistait à définir l’assiette dans un décret qui devait distinguer les tarifs proportionnels des tarifs forfaitaires. Cette disposition ayant été censurée, nous avons finalement retenu une autre méthode, juridiquement plus robuste. Toutefois, une telle mesure devant figurer dans une loi financière, je vous ai proposé que nous travaillions ensemble pour aboutir à une bonne définition de la base taxable et de la taxe qui alimentera le fonds. Il me semble néanmoins que la seule autre assiette qui puisse être définie au niveau législatif est celle du chiffre d'affaires – mais nous devons examiner ce point en détail. En effet, si l’on renvoie derechef aux tarifs proportionnels, c’est-à-dire à une base taxable de niveau décrétale, on s’expose au risque de voir la disposition censurée pour incompétence négative du législateur. À moins que l’on ne dresse une liste de tarifs dans la loi ; nous devons y réfléchir. À cet égard, je suis favorable à ce que, avec les équipes de Michel Sapin, de Christian Eckert et de Christiane Taubira et avec la représentation nationale, nous puissions avancer sur ce sujet important qui nous occupera encore quelques mois. En tout cas, cela me semble cohérent avec ce que nous avions évoqué et la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

En ce qui concerne la valorisation des acquis de l’expérience et la situation des clercs habilités, je partage le souci qui a été exprimé. Je crois qu’il faut être très vigilant sur ce sujet – je m’en suis d’ailleurs ouvert au Conseil supérieur du notariat (CSN) lorsque je suis intervenu devant lui. Les professions se sont engagées à procéder à l’avancement de tous les clercs comme notaires salariés avant la mise en œuvre de la loi, le 1er août. Il s’agit d’une forme de validation des acquis – sauf, bien entendu, pour celles et ceux qui ne seraient pas volontaires. Par ailleurs, je veux vous rassurer : le stage « jeunes notaires » en cas d’installation des professionnels titulaires des titres nécessaires ne concernera pas les professionnels déjà expérimentés, mais seulement les personnes suivant une formation diplômante. Il ne s’agit donc pas d’ajouter une condition supplémentaire à l’installation des professionnels expérimentés. Enfin, la Chancellerie prépare, en lien avec les professionnels, des textes réglementaires visant à élargir les valorisations des acquis de l’expérience existantes, afin que tous les voies et moyens soient prévus.

En ce qui concerne le stage des AJMJ, de nombreuses dérogations existent. Sont en effet dispensés de ce stage : les avocats et les membres des autres professions réglementées bénéficiant de dix ans d’ancienneté ainsi que les huissiers, les professionnels titulaires d’un master et ayant huit ans d’expérience, les collaborateurs ayant dix ans d’expérience et les personnes ayant fait de la restructuration pendant quinze ans. En tout état de cause, j’ai pris note de votre remarque et je vais demander à ce que l’on fasse en sorte de ne pas donner le sentiment que le stage de trois ans bloquerait le système. Il s’agit de prévoir un stage qualifiant pour les primo-arrivants, qui ont moins d’expérience, mais, pour tous les professionnels qui pourraient accéder à ces qualifications, il faut s’assurer que la liste des dispenses est solide.

Par ailleurs, la limite d’âge, fixée à 70 ans, a été validée par le Conseil constitutionnel ; elle est conforme à l’objectif d’intérêt général d’ouvrir les professions réglementées. Il s’agit, du reste, d’une initiative parlementaire qui a été soutenue par le CSN. La date de mise en œuvre de cette limite d’âge a été fixée à un an après l’entrée en vigueur de la loi, une prolongation d’une année supplémentaire étant possible. Cette mesure est considérée par tous comme supportable. Cent cinquante à deux cents offices sont concernés : sur une durée de deux ans, cela ne devrait pas provoquer d’engorgement, compte tenu des deux éléments qui seront examinés, c’est-à-dire la capacité et l’honorabilité.

J’en viens aux mesures relatives au droit du travail. En ce qui concerne le licenciement économique, les décrets ont été pris ; ils sont clairs et conformes à la volonté du législateur. Par ailleurs, je considère, comme vous, que la représentation obligatoire et le recours à l’écrit permettent d’avancer.

Sur les deux autres points que vous avez soulignés et auxquels je suis très sensible, monsieur Robiliard, je vais demander à ce que nous puissions avoir de nouveaux échanges avec mes collègues en charge du travail et de la justice. La possibilité de prononcer la nullité de la procédure a été évoquée suite à vos remarques, mais elle a été écartée, au motif que la saisine est plus formalisée, avec l’obligation de déposer par écrit un exposé sommaire des faits. La Chancellerie n’a pas choisi d’afficher la sanction de nullité pour éviter de créer des situations de départage. Sur le second point, des délais précis pour exiger la communication des pièces n’ont pas été proposés par la Chancellerie, qui estime que le texte va aussi loin que la loi le permet. Néanmoins, je suis sensible à votre argument, et je vais proposer que l’on réexamine cette question afin de s’assurer que le dispositif est suffisamment sécurisé. Notre volonté commune était en effet de fermer ces délais le plus possible et d’éviter les manœuvres dilatoires.

S’agissant des tribunaux de commerce spécialisés, monsieur Tourret, nous connaissons les difficultés rencontrées. La liste est en effet un peu plus longue que celle issue de la concertation avec les professionnels. Certaines régions se retrouvent ainsi avec deux tribunaux alors que l’activité économique ne le justifie pas toujours et qu’un ou deux manques ont été identifiés. Je suis donc à votre disposition pour que nous puissions réexaminer le texte avec la garde des Sceaux, qui a la main sur celui-ci, et l’amodier.

J’en viens aux questions relatives au travail dominical. En ce qui concerne les gares, une concertation est en cours : j’ai saisi, avec ma collègue en charge du travail, l’ensemble des collectivités territoriales et des organisations syndicales. Les arrêtés sont prêts et devraient être publiés à la fin de l’année ou au tout début de l’année prochaine. D’ultimes échanges portent sur des sites encore en travaux, mais l’ensemble des consultations ont été effectuées. Pour ce qui est des zones touristiques internationales de province, nous avons procédé à une nouvelle consultation des élus et des organisations syndicales pour Cannes, Nice et Deauville, à la suite des propositions complémentaires qui ont été faites par les élus de ces villes.

Sur les neuf dimanches du maire, en 2015 – ils seront au nombre de douze en 2016 –, la mesure a été appliquée, à Paris, par le préfet. Plusieurs territoires, notamment de grandes métropoles de province, s’en sont saisis, en fonction de leur situation, après consultation des conseils municipaux. Nous ne disposons pas encore d’un suivi global consolidé sur ce point mais, dès qu’il me sera transmis par la Direction générale des entreprises, je vous le communiquerai.

Pour ce qui est de la majoration de 30 % dont doivent bénéficier les salariés des commerces de plus de 400 m2, il revient aux organes de contrôle de garantir le respect de la loi. Cette disposition s’applique de manière générale, quelle que soit la date de signature du contrat de travail. Nous l’avons rappelé à toutes les Direccte, afin qu’elles s’assurent que les mesures sont mises en œuvre, ainsi qu’à l’ensemble des fédérations professionnelles que j’ai rencontrées ces dernières semaines dans le cadre de la cellule de continuité économique. Encore une fois, cette disposition est d’application directe et ne dépend d’aucune négociation. Les contrôles seront donc effectués, pour que les situations qui ne sont pas conformes à la loi soient rectifiées et que les sanctions nécessaires soient prononcées.

M. Gérard Cherpion. Monsieur le ministre, je n’ai pas très bien compris votre explication concernant la rémunération raisonnable. Vous indiquez en effet que celle-ci doit s’appuyer, non pas sur des actes, mais sur une valorisation globale de la rémunération de la structure concernée, mais vous ajoutez que cela sera ensuite décliné par acte. S’il n’est pas possible de le faire en amont, comment pourrait-on le faire en aval ? Ma seconde remarque est plutôt d’ordre sémantique. Aujourd’hui, le mot « stage » est connoté : la législation applicable aux stages est particulière et prévoit notamment que leur durée est limitée. En l’espèce, il ne s’agit pas d’un stage au sens où on l’entend habituellement. Peut-être serait-il bon, en conséquence, de changer la dénomination de ces stages.

Mme Corinne Erhel. Sur les articles 117 et 118 qui ont trait aux zones fibrées et aux pré-équipements d’immeubles neufs en fibre optique, les décrets étaient annoncés pour décembre. Ont-ils été pris ? Par ailleurs, qu’en est-il des décrets d’application de l’article 134 de la loi, qui a trait à la mise en relation par voie électronique de deux consommateurs, ce que l’on appelle les places de marché ? Je rappelle en effet que les articles 22 et 23 du projet de loi pour une République numérique prévoient une extension du champ des plateformes.

M. Denys Robiliard. Vous avez indiqué, monsieur le ministre, à propos de l’ordonnance de clôture de l’instruction, que la loi ne permettait pas d’aller plus loin. Or, de mémoire, la procédure prud’homale, qui relève de la procédure civile, est d’essence purement réglementaire. Je vois donc mal ce que la loi pourrait empêcher le Gouvernement de faire en la matière. Nous avons même empiété – délibérément, car nous voulions envoyer un signal au sujet de la mise en état – sur le domaine réglementaire, en indiquant que le bureau de conciliation et d’orientation serait juge de la mise en état et partagerait ce rôle avec le bureau de jugement lorsque l’affaire arrive devant celui-ci sans être en état. Pour autant, le pouvoir réglementaire a toute latitude dans la définition de la procédure. Néanmoins, je veux bien concevoir que la notion d’ordonnance de clôture fasse difficulté dans une procédure purement orale. Aussi la réflexion peut-elle se limiter à une clôture concernant uniquement l’échange de pièces.

Mme Cécile Untermaier. Monsieur le ministre, je vous remercie pour ces explications, qui apportent aux professionnels une clarification bienvenue. En ce qui concerne les greffiers des tribunaux de commerce, nous avons décidé ensemble d’un recrutement sur concours. Cependant, le décret n’envisagerait pas d’offrir aux greffiers la possibilité de choisir dans la liste des lauréats. Or, c’est une demande de leur part, liée au souci de ménager l’affectio societatis. Mais je crois que vous consultez actuellement les représentants de cette profession, qui vous en feront part.

Enfin, s’agissant des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation, le décret prévoit que les nominations aux offices seront faites par le garde des Sceaux après avis d’une commission composée notamment d’un conseiller d’État et d’un conseiller à la Cour de cassation. Je ne suis pas certaine que cette disposition soit fidèle à l’esprit de la loi.

M. le président Richard Ferrand, rapporteur. C’est une litote !

Mme Cécile Untermaier. Nous souhaitions en effet, non pas une carte, mais une liste des carences. Nous devons être cohérents. Si nous adoptons la règle du « premier arrivé, premier servi », peut-être faut-il envisager également, dès lors que les candidats satisfont aux conditions exigées pour être avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation, d’autres critères. J’ajoute qu’il ne me paraît pas utile de faire appel à une commission composée d’un conseiller d’État et d’un conseiller à la Cour de cassation, car ceux-ci se trouveraient, me semble-t-il, dans une situation de conflit d’intérêts.

M. le président Richard Ferrand, rapporteur. En résumé, monsieur le ministre, Gérard Cherpion vous demande une clarification, Corinne Erhel veut s’assurer que les immeubles fibrés ne s’enlisent pas dans les sables et Denys Robiliard vous demande plus de hardiesse en matière de droit du travail. En ce qui concerne les avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation, il me semble, comme l’a dit Cécile Untermaier, que le décret n’est pas tout à fait fidèle aux vœux du législateur. Par ailleurs, la notion de « premier arrivé, premier servi » semble avoir pris le pas sur ce que nous nous étions dit le 25 novembre. Enfin, qu’en est-il de la plus grande fluidité accordée à un transfert d’activités par rapport à la primo-installation ?

M. le ministre. Sur ce dernier point, monsieur le président, les transferts se font à l’intérieur des zones déterminées par l’Autorité de la concurrence. Il n’y a donc pas d’impact sur le nombre d’études dans la zone considérée ni, donc, sur les primo-installants. À ce propos, je souhaiterais apporter une clarification sur les règles d’installation des huissiers, des notaires et des commissaires-priseurs. Nous supprimons : les commissions ad hoc, notamment la Commission de localisation des huissiers de justice et la Commission de localisation des offices de notaires (CLON) ; l’autorisation des transferts d’office à l’intérieur des zones « vertes », puisqu’une simple déclaration suffit ; les avis des instances professionnelles sur les créations d’office, qui sont remplacés par des suggestions à l’Autorité de la concurrence et au ministère ; les dispositions relatives aux indemnisations entre professionnels, devenues obsolètes, et l’obligation pour les notaires de réaliser un stage post-formation, intégré à la formation initiale. À cet égard, vous avez raison, monsieur Cherpion : le mot « stage » est impropre, en l’espèce. La création d’un séminaire de gestion dans le cycle de formation initiale des notaires viendra d’ailleurs s’y substituer.

Par ailleurs, nous créons une télé-procédure pour les demandes de nomination et nous prévoyons : un engagement de démissionner pour les titulaires candidats à la nomination dans un autre office ; un classement des candidats par ordre d’enregistrement ; la suppression des dispositions relatives aux jurys de concours devenues obsolètes ; les modalités des appels à manifestation d’intérêt, avec une publication sur internet afin d’assurer la transparence, et la suppression du mécanisme de consultation des instances professionnelles pour la nomination du salarié.

M. le président Richard Ferrand, rapporteur. Si l’on établit une liste pour les demandes d’installation, il s’agit bien d’un système d’horodatage : celui qui s’inscrira le premier sera le premier servi.

M. le ministre. C’est en effet la règle qui ressort à ce stade.

En ce qui concerne le concours d’accès à la profession de greffier des tribunaux de commerce, tout le monde doit le passer. Les seules dispenses accordées le seront aux ressortissants communautaires qui ont des équivalences et sont inscrits directement sur la liste « hors classement ». Ce concours se substitue à l’examen professionnel ; il ne représente donc pas une charge supplémentaire, sauf pour ceux qui étaient dispensés de passer cet examen. On maintient le stage d’un an, qui peut être réduit à trois mois pour les personnes ayant déjà une expérience professionnelle, et les dispenses de stages actuelles sont maintenues. L’examen de sortie est remplacé par un entretien de validation du stage pour ceux qui en ont effectué un, qui ne sert qu’à filtrer les personnes dont le stage a permis de montrer qu’elles n’étaient manifestement pas aptes à exercer leurs futures fonctions. La commission de validation peut imposer un nouveau stage. Si, au terme de ce second stage, le candidat n’est toujours pas apte, il est exclu de la liste. La liste d’aptitude est établie en fonction des notes reçues au concours ; les lauréats gardant le bénéfice du concours pendant trois ans y sont classés en fonction de leur classement et de leur ancienneté dans le concours. L’office reste libre de recruter qui il veut, madame Untermaier, mais il doit examiner les candidatures dans l’ordre du classement. En outre, le greffier doit choisir dans un délai de six mois. Si ce délai n’est pas respecté, l’office est déclaré vacant, à moins que le greffier n’ait expressément notifié, dans ce délai, au Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce son intention de renoncer à céder l’office ou ses parts pour recruter le salarié.

Telles sont les règles que nous avons retenues après de longues concertations et études ; elles doivent être simples et transparentes. Le système parfait n’existe pas mais, instruit de ce que peut sécréter l’âme humaine, nous avons élaboré, pour l’ensemble de ces professions, des systèmes transparents et fluides dont les règles sont connues ab initio.

Pour ce qui est des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation, il revient à l’Autorité de la concurrence d’identifier le nombre de créations d’office d’avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation qui paraissent nécessaires pour assurer une offre de services satisfaisante au regard des critères suivants : le niveau et les perspectives d’évolution de la demande – l’évolution de l’activité de la Cour de cassation et de la section du contentieux du Conseil d’État au cours des cinq dernières années est examinée sur la base des rapports d’activité publiés annuellement par les deux juridictions – ; le niveau et les perspectives d’évolution de l’offre, établis en fonction de la tendance de l’activité économique, de l’évolution du nombre d’offices et d’avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation, qui exercent soit à titre individuel, soit dans le cadre d’une entité dotée de la personnalité morale, du nombre d’offices vacants et de personnes titulaires du certificat d’aptitude à la profession d’avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation ainsi que du chiffre d’affaires et du résultat net des offices. Dans ce domaine, je suis preneur de toutes vos remarques écrites, et je m’engage à les faire valoir dans le cadre de la discussion interministérielle si vous considérez que ces points sont de nature à fermer excessivement le dispositif que nous avions élaboré.

Monsieur Robiliard, vous m’avez convaincu, si tant est que j’avais besoin de l’être, n’ayant fait que rapporter fidèlement les éléments qui m’avaient été opposés.

M. Cherpion a souhaité que je revienne sur la question de la rémunération raisonnable. L’enjeu est de « substancier » cette dernière. Ne pouvant pas le faire ab initio par acte pour tous les professionnels, nous avons établi, profession par profession, la juste rémunération du travail et du capital, en retenant un point moyen et un coefficient correcteur. Nous avons ainsi fixé un montant en valeur absolue, selon ce qui a été observé profession par profession, puis appliqué un coefficient qui permet de corriger les effets de dispersion. On dispose ainsi d’une base de calcul de la rémunération raisonnable. Une fois le niveau moyen de rémunération déterminé, on répartit sur l’ensemble des actes réalisés pour la période considérée. Nous disposons d’une matrice de passage – car on connaît le nombre d’actes réalisés par les professionnels par catégorie – qui permet ensuite une déclinaison par arrêté pour définir la tarification moyenne recherchée compatible avec la structure qui nous a permis de définir la rémunération moyenne. C’est la seule manière de ne pas léser les structures les plus petites et les plus fragiles et d’avoir une juste rémunération du capital et du travail.

Si l’on avait retenu une approche par acte, non seulement on serait entré dans une logique économiquement insoutenable, puisqu’il aurait fallu déterminer le coût réel de l’acte – ce qui est impossible, puisque cela dépend du taux de concentration par professionnel – et ventiler les frais fixes par acte, mais on aurait injustement pénalisé les structures qui multiplient de petits actes, puisque ce sont ceux qui prennent en quelque sorte le moins leur quote-part des frais fixes. Si l’on a pris comme référence les sociétés unipersonnelles, c’est parce que ce sont celles qui ont les frais fixes de base ; ensuite les coûts sont beaucoup plus variables. Il faut donc partir d’une entité, le professionnel, qui permet d’obtenir une ventilation correcte entre frais fixes et frais variables. Ensuite, on peut le décliner par une quote-part, acte par acte, en fonction du nombre, qui est très différent selon les catégories d’actes et les professionnels. La clé de passage permet ainsi de décliner dans les arrêtés, la structure que l’on affiche dans le décret.

Nous rendons transparents, grâce au décret, ce qui était imparfaitement fait dans la pratique et qui était négocié avec les professionnels eux-mêmes et s’était donc progressivement déconnecté de la réalité des coûts. Nous parlons, je le rappelle, de professions réglementées, dont le législateur a voulu, à juste titre, définir la juste rémunération. J’ai moi-même défendu, par ailleurs, le fait que la latitude tarifaire soit plus grande pour les actes non réglementés ou soumis à concurrence. Le système retenu n’est donc pas la grande libéralisation dont on a souvent parlé ; il définit un encadrement. Notre modèle est une sorte de chauve-souris, si vous m’autorisez cette expression : les officiers publics ministériels sont également des professionnels libéraux. Il faut donc passer par le chas de l’aiguille, c’est-à-dire définir une rémunération juste et des règles, assurer un libre accès aux professions et un maillage territorial tout en conservant le caractère libéral de ces professions. Il nous fallait en tout état de cause, renforcer un peu plus l’encadrement qui prévalait jusqu’alors. Sinon, on a tous les avantages de la profession libérale sans les contraintes de l’officier public ministériel, qui, je le rappelle, détient l’exclusivité de certains actes.

Par ailleurs, Mme Erhel, notre objectif est que le décret prévu à l’article 117, qui a trait aux zones fibrées, soit pris au premier trimestre 2016 – le travail avec l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) est en cours. Deux approches sont possibles : la création d’un label, qui aurait une vocation de mise en valeur mais dont la portée serait limitée, ou un mécanisme plus ambitieux, efficace et contraignant, qui permettrait de faire du statut de « zone fibrée » le déclencheur d’opérations de migration des clients vers la fibre, tout en traitant la question de la tarification du cuivre. C’est cette seconde voie que nous avons suivie. L’article 118 prévoit, quant à lui, le fibrage des logements individuels et des lotissements neufs. La loi prévoit que la mesure entrera en vigueur au 1er juillet 2016. Les travaux sont en cours avec le ministère du logement pour préparer les décrets nécessaires, qui seront publiés d’ici au mois de mars 2016.

En ce qui concerne les places de marché, il convient d’attendre la discussion du projet de loi pour une République numérique pour finaliser le décret, qui fait l’objet d’une concertation avec le Conseil national de la consommation (CNC). J’ai donc suspendu sa publication afin de ne pas créer de l’instabilité. Il est important pour nous d’avoir des échanges complémentaires avec l’Autorité de la concurrence et les services de la Commission européenne. Puis, à la lumière du débat parlementaire qui se tiendra début 2016, soit nous compléterons le texte de loi dans ce cadre, soit nous prendrons les décrets s’il n’est pas nécessaire d’intervenir au niveau législatif.

M. le président Richard Ferrand, rapporteur. Merci beaucoup, monsieur le ministre, d’avoir, comme toujours, répondu avec clarté, précision et franchise aux questions que nous vous avons posées. Vous aurez compris que nous essaierons de faire prospérer certaines de nos propositions avant la publication des décrets. J’ajouterai une remarque personnelle : nous ne doutons pas que la mesure relative aux tarifs est juste, mais force est de constater que sa description est relativement complexe. Or, beaucoup de jeunes professionnels qui réfléchissent à leur installation sur la base d’un business plan souhaitent bénéficier d’une lisibilité plus concrète de ces questions tarifaires pour pouvoir anticiper la rentabilité de leur activité. Les candidats à l’installation sont nombreux, et ils attendent de voir clair sur les règles d’installation – cela vient – et de comprendre les futures règles tarifaires pour pouvoir réaliser des prévisions sérieuses sur leur activité future. Un travail de pédagogie supplémentaire est donc certainement nécessaire afin de rendre plus accessible la littérature décrétale et de permettre à chacun de se faire une idée précise de ce que sera son modèle économique.

M. le ministre. Un chiffre est de nature à rassurer les professionnels concernés : les baisses tarifaires n’excéderont pas 2,5 % sur deux ans. Des baisses, dont on veut qu’elles soient visibles, seront certes plus importantes pour certains actes, mais nous ne voulons pas déstabiliser les offices : les professionnels doivent pouvoir s’organiser. Il ne s’agit donc pas d’une baisse moyenne de 10 % à 20 % des tarifs. Cette précision me paraît importante.

M. le président Richard Ferrand, rapporteur. Nous verrons en début d’année où en est la parution des différents décrets. Nous retenons votre conseil : nous essaierons d’entendre Mme la garde des Sceaux au tout début de l’année afin de ne pas retarder les publications annoncées. Je vous proposerai ensuite, au cours du premier trimestre de l’année prochaine, que nous nous revoyions. J’émets également le vœu qu’il soit fait droit à la demande de notre collègue Tourret d’organiser une réunion tripartite sur les tribunaux de commerce.

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Membres présents ou excusés

Mission d'information commune sur l'application de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques

Réunion du mardi 15 décembre 2015 à 18 heures

Présents. - M. Jean-Yves Caullet, M. Gérard Cherpion, Mme Corinne Erhel, M. Richard Ferrand, M. Gilles Lurton, M. Denys Robiliard, M. Alain Tourret, M. Stéphane Travert, Mme Cécile Untermaier

Excusé. - M. Laurent Grandguillaume

Assistait également à la réunion. - Mme Anne-Yvonne Le Dain

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