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Mercredi 18 décembre 2013

Séance de 11 heures 15

Compte rendu n° 3

Présidence M. Jean-Paul Chanteguet, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Dominique Bussereau, ancien secrétaire d’État chargé des transports

Mission d’information
sur l’écotaxe poids lourds

La mission d’information a entendu M. Dominique Bussereau, ancien secrétaire d’État chargé des transports.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Nous devions initialement entendre aujourd’hui M. Bernard Cazeneuve, ministre du budget, qui est retenu toute la journée au Sénat par l’examen en nouvelle lecture du projet de loi de finances rectificative, et M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances, qui se trouve, quant à lui, à Bruxelles pour discuter de l’union bancaire avec ses homologues européens. Ces auditions sont donc reportées au début de l’année prochaine.

Je vous précise d’ores et déjà que nous entendrons M. Jean-Louis Borloo le mercredi 8 janvier à onze heures.

Nous avons donc décidé de procéder dès maintenant à l’audition de notre collègue Dominique Bussereau, secrétaire d’État aux transports de 2007 à 2010. Nous le remercions de s’être libéré dans des délais aussi brefs.

Votre audition nous a paru indispensable, cher collègue, en raison des responsabilités gouvernementales que vous assumiez au moment où a été débattu le Grenelle de l’environnement, mais aussi parce que votre position sur l’écotaxe est de longue date clairement affirmée.

Vous l’avez d’ailleurs qualifiée de « bon impôt » dans des déclarations récentes, en regrettant qu’elle serve aujourd’hui de « bouc émissaire ». Vous avez même estimé qu’il convenait « de lui redonner très vite vie ». Cet état d’esprit positif est celui qui m’apparaît propice à une bonne réflexion, sans pour autant préjuger du résultat des travaux de notre mission.

D’une certaine façon, vous êtes un précurseur en matière d’écotaxe. Bien avant le Grenelle, vous vous étiez prononcé, dès 2003, en faveur d’une « taxe à l’allemande » – qui n’est d’ailleurs entrée en vigueur dans ce pays qu’en 2005 – pour financer les travaux de modernisation du réseau routier.

Vous vous inquiétiez alors de la saturation de certains axes, notamment la RN 10 dans votre région. Vous présidez aujourd’hui le conseil général de la Charente-Maritime. À ce titre, vous pourrez nous préciser quel a été le rôle des départements dans la définition du réseau taxable à l’écotaxe, certaines critiques ayant été exprimées à ce sujet.

M. Dominique Bussereau, ancien secrétaire d’État chargé des transports. Votre président et rapporteur a bien résumé la situation. Nous réfléchissions en réalité depuis longtemps à l’écotaxe en France, d’abord à la demande de nos collègues alsaciens, qui ont vu l’autoroute entre Strasbourg et Mulhouse saturée par des camions venus de toute l’Europe à partir de la mise en service, en 2005, de la LKW-Maut – qui s’applique à l’autoroute de l’autre côté du Rhin.

Dans ma propre région, je constate depuis longtemps que, pour rejoindre Paris depuis Bordeaux, les poids lourds venus de la péninsule ibérique ou du Maroc empruntent la RN 10 à la queue leu leu, dans des conditions parfois dangereuses, de préférence à l’autoroute A 10 – qui lui est quasiment parallèle, mais est soumise à péage.

Lorsque les Allemands ont commencé à mettre en œuvre la LKW-Maut, j’ai donc souhaité rencontrer mon homologue allemand, et je me suis d’emblée intéressé à ce qui se passait de l’autre côté du Rhin. L’entrée en vigueur de la LKW-Maut a pris dix-huit mois : elle a même dû être reportée à cinq reprises. Lorsque nous sommes entrés dans les débats sur le Grenelle de l’environnement, nous avons décidé – notamment à l’instigation de nos collègues alsaciens – de mettre en œuvre l’écotaxe.

Bien des questions se posaient. Quel réseau routier soumettre à la taxe ? Comment ? Avec quelles dérogations ? Comment l’exploiter ?

En ce qui concerne le réseau taxable, nous avons d’emblée éliminé le réseau autoroutier, déjà soumis à péage, d’autant que l’État perçoit une redevance domaniale sur les péages ; vous savez d’ailleurs que le décret augmentant cette redevance a fait l’objet d’un recours des sociétés d’autoroutes devant le Conseil d’État. Restaient donc les rares parties d’autoroutes gratuites – qui desservent notamment le Massif central et l’Alsace –, les routes nationales et d’autres ouvrages comme les périphériques des grandes villes. Nous avons donc défini un petit réseau taxable de 15 000 kilomètres. Les départements nous ont alertés sur les risques de report du trafic sur la voirie départementale, par exemple la route départementale 137, ancienne RN 137, qui permet d’effectuer le même trajet que l’A 10 et la RN 10 au nord de Bordeaux. Après en avoir parlé avec M. Claudy Lebreton, le président de l’Assemblée des départements de France (ADF), nous avons décidé d’inclure dans le réseau taxable une partie du réseau routier départemental – inférieure, néanmoins, à ce que souhaitaient les départements. Moi-même, qui venais d’être élu président de conseil général alors que je siégeais encore au Gouvernement, je n’ai pas obtenu tout ce que j’aurais voulu de mon administration ! Les services du ministère ont été très prudents, mais près de 5 000 kilomètres de routes départementales ont tout de même été intégrés dans ce réseau taxable.

Le Grenelle de l’environnement a été voté presque à l’unanimité. Ceux qui étaient opposés à l’écotaxe à l’époque le sont toujours ; il faut ici rendre hommage à Marc Le Fur, dont la position est restée constante.

Très vite, en effet, s’est posé le problème des régions dites périphériques. La Bretagne a fait valoir qu’elle n’était pas une terre de transit, n’étant pas concernée par le poids lourd espagnol qui traverse la France à partir de Perpignan ou Hendaye sans mettre un centime dans l’économie française. Nous avons donc accepté une réduction de 50 % au bénéfice de cette région. Cela n’a pas été sans mal, nombre de parlementaires faisant valoir qu’elle était déjà la seule région à posséder un réseau gratuit de routes à quatre voies. Je n’étais moi-même pas partisan d’accepter une telle réduction, mais le Premier ministre a arbitré en ce sens. D’autres régions – l’Aquitaine et la région Midi-Pyrénées – ont alors emboîté le pas à la Bretagne, et obtenu des abattements de 25 % à 30 %.

La profession routière n’était bien sûr pas favorable à l’écotaxe, bien que celle-ci soit entrée en vigueur en Allemagne, en Slovaquie, en République tchèque et en Autriche, et envisagée au Royaume-Uni. Elle a donc négocié – ce qu’elle oublie parfois de rappeler – des contreparties : la quasi-disparition de la taxe à l’essieu, vieille revendication de la Fédération nationale des transports routiers (FNTR) et d’autres organisations professionnelles, et l’ouverture du réseau routier à la circulation des 44 tonnes, à laquelle j’étais personnellement opposé, mais qui était déjà autorisée pour la desserte des hinterlands - des ports maritimes et, plus récemment, fluviaux, avec des dérogations préfectorales, par exemple pour le transport des céréales. La quasi-totalité de notre réseau routier se trouve désormais ouvert aux 44 tonnes. Le monde agricole n’a que peu réagi à l’époque.

Par ailleurs, nous avons décidé que l’écotaxe figurerait en pied de facture du donneur d’ordres. Autrement dit, ce n’est ni le transporteur routier ni le producteur qui paye, mais celui qui expédie sa marchandise à travers la France autrement que par le train. Je reconnais que cela donne lieu à un calcul complexe, mais le principe est là. Lorsque certains viennent nous expliquer aujourd’hui que ce sont eux qui vont payer, c’est donc de la pure escroquerie intellectuelle – et je regrette parfois que le Gouvernement reste sans réponse.

Pourquoi avons-nous fait le choix d’un partenariat public-privé (PPP) ? Il fallait trouver un opérateur capable de gérer un système fondé sur des appareils embarqués dans les poids lourds, qui transmet directement l’information au satellite et qui se devait d’être compatible avec les autres systèmes européens ; les fameux portiques qui ont donné lieu à tant de débats ne servant qu’à contrôler la présence des appareils embarqués. L’opérateur en question devait être compétent en matière de gestion des réseaux, de gestion satellitaire et de gestion des systèmes, car – à moins d’accepter de former des agents sur une longue période – nous ne disposions pas de ces capacités dans l’administration française. Jean-Louis Borloo et moi-même avons donc pris la décision de recourir à un PPP, en désignant l’administration des douanes – qui a l’habitude de la gestion économique de la fraude et avait besoin de diversifier ses missions – comme administration de contrôle.

La décision de recourir à un PPP a été prise en 2009. Jean-Louis Borloo et moi-même avons quitté le Gouvernement le 13 novembre 2010, au moment où la commission chargée de donner un avis sur le choix du candidat entamait ses travaux. Le choix qui a été fait est celui d’un PPP sur une très courte période, à savoir treize ans, ce qui concourt à expliquer un coût annuel de perception qui peut paraître exorbitant par rapport au produit perçu – soit de l’ordre de 1,2 milliard d’euros. Les investissements à réaliser s’élevaient à 800 millions d’euros, et les frais mensuels entre 15 et 20 millions, sachant qu’il fallait rémunérer 250 collaborateurs directs ou indirects, que le réseau taxable était réduit, et le taux kilométrique restait bien inférieur à celui en vigueur en Allemagne. Avec un réseau taxable et un taux kilométrique plus importants, nous n’aurions pas une telle dichotomie entre le coût de la collecte de l’écotaxe et son produit. En Allemagne, le coût de la collecte s’élève à environ 510 millions par an, pour un produit qui atteindra 4,5 milliards. L’ensemble des autoroutes allemandes est en effet soumis à la LKW-Maut, si bien que le rapport entre le coût de gestion et le produit de la taxe est sans commune mesure avec ce qui était prévu en France.

Après avoir quitté le Gouvernement, nous avons continué à suivre le dossier, mais à travers la presse. C’est donc l’offre d’Ecomouv’ qui a été choisie le 14 janvier 2011 ; nous avons suivi le contentieux devant le tribunal administratif de Pontoise, puis au Conseil d’État.

Je comprends les difficultés auxquelles s’est heurté le Gouvernement. Nous savons tous à quelles extrémités peuvent conduire les crises bretonnes, de l’incendie du Parlement de Bretagne à Rennes à la mise à sac d’une sous-préfecture et au grand mouvement agricole breton, qui a d’ailleurs conduit son meneur à créer la compagnie Brittany Ferries, belle réussite économique de la région. Néanmoins, il faut en sortir, et si possible par le haut. Pour ma part, je souhaite le retour de l’écotaxe. Peut-être faut-il revoir les tarifs, le réseau taxable, la part des départements, le tonnage minimum des poids lourds concernés – aujourd’hui fixé à 3,5 tonnes. Trois grands chantiers de lignes à grande vitesse (LGV) sont en cours – Tours-Bordeaux, Le Mans-Rennes et la fin du TGV Est –, auxquels s’ajoute la ligne à grande vitesse Montpellier-Nîmes, et les discussions sur les prochains contrats de plan État-région (CPER) sont plutôt de bon augure pour ce qui concerne le volet mobilité. Il faudra bien financer tout cela, et reprendre des chantiers comme celui de la ligne à grande vitesse Bordeaux-Toulouse. Le ministre des transports annonce que nous le ferons sans recourir à un PPP ou à une concession. C’est un choix politique. Il est respectable, mais il pose la question du financement. Bref, il faut de l’argent pour nos infrastructures : le jour où nous sortirons de la crise, leur compétitivité sera déterminante pour le pays, qu’il s’agisse du haut débit, du très haut débit ou des canaux. La qualité de nos infrastructures figure d’ailleurs au nombre des points forts de notre pays constamment cités par les investisseurs étrangers. Les Allemands ont laissé se détériorer leur réseau autoroutier et leur réseau ferroviaire ; ils sont très en retard en matière de grande vitesse. Nous devons donc préserver nos atouts, et c’est pourquoi nous avons besoin de l’écotaxe, qui n’est pas un impôt, mais une une redevance, puisqu’elle est la contrepartie d’un service.

Dans l’intérêt général, il me semble donc souhaitable que nous aboutissions – de la manière la plus consensuelle possible – à une écotaxe rénovée, sans perdre trop de temps et en veillant à assurer l’information de nos concitoyens, qui ont entendu les rumeurs les plus contradictoires sur le sujet. Nous avions calculé qu’il en coûterait, avec l’écotaxe, 1 centime de plus sur un kilo de tomates de Bretagne, et entre 0,4 % et 1 % de plus sur un produit acheté dans un commerce ou en grande surface.

J’ajoute, et peut-être aurais-je dû commencer par là, que l’écotaxe a aussi des objectifs environnementaux : nous souhaitions encourager le report modal en finançant le fret ferroviaire, les canaux et les autoroutes de la mer, des objectif, me semble-t-il, partagés sur tous les bancs de notre assemblée.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Outre M. Bernard Cazeneuve, M. Pierre Moscovici et M. Jean-Louis Borloo, nous recevrons également dès le début de l’année prochaine les représentants de la FNTR et d’Ecomouv’, ainsi que M. Daniel Bursaux, directeur général des infrastructures, des transports et de la mer, et la directrice générale des douanes et droits indirects.

Nous faisons preuve de cohérence dans notre réflexion, puisque la réunion de la commission du développement durable que je présidais tout à l’heure était consacrée au rapport de notre collègue Rémi Pauvros sur la refondation du canal Seine-Nord-Europe, et que nous évoquons maintenant l’écotaxe ; il s’agit en effet de deux projets qui peuvent permettre de porter demain une politique durable de transport des marchandises.

M. Philippe Duron. Nous sommes nombreux à partager votre conviction sur l’écotaxe, cher Dominique Bussereau : s’il est difficile de la remettre en œuvre, il reste nécessaire de le faire. Trois problèmes se posent aujourd’hui. Le premier est celui de l’acceptabilité, qui est lié à la crise bretonne. Comment discuter avec les Bretons pour relégitimer l’écotaxe ? Cette discussion devra aussi avoir lieu avec les transporteurs routiers, dont certains, notamment les plus modestes, sont dans une situation objectivement fragile – c’est le deuxième problème. La compétitivité du transport routier français s’est dégradée ; il a perdu des parts de marché considérables en Europe. Quelles compensations proposer aux transporteurs routiers pour qu’ils reprennent confiance et acceptent un dispositif auquel ils ne sont en fait pas vraiment opposés ?

Enfin, il va falloir réceptionner – sans doute en janvier – le dispositif Ecomouv’. Si vous étiez ministre des transports, le feriez-vous, ou négocieriez-vous un report de la date de réception – puisque le dispositif ne peut être mis en œuvre – ou un allongement du contrat, pour faire en sorte que ce qui heurte aujourd’hui – à savoir le prélèvement lié à la gestion – soit plus supportable pour le système de transport français ?

M. Xavier Breton. Je remercie notre invité pour sa cohérence dans ses positions : c’est un témoignage qui fait honneur à la fonction politique.

J’aimerais savoir s’il a été envisagé d’affecter une partie du produit de l’écotaxe au renouvellement du parc de véhicules industriels. Si la modernisation des infrastructures est utile, les transporteurs ont aussi consenti de gros efforts pour lutter contre la pollution et devront poursuivre dans cette voie, notamment avec les nouvelles normes Euro 5 et Euro 6. Selon vous, cela peut-il constituer une piste intéressante compte tenu de la situation des transporteurs ?

M. Jean-Yves Caullet. La cohérence du réseau taxable vous paraît-elle facile à défendre devant les citoyens et ses utilisateurs ? Vous l’aurez compris, ce n’est pas mon impression. Le choix qui a été fait en Allemagne est cohérent, puisque tout le réseau autoroutier est soumis à la LKW-Maut. Nous aurions pu choisir des axes qui permettent d’encourager le report modal sur la traversée de notre pays, ou sur les grands franchissements. Il semble que l’on ait péché par excès de pointillisme, ce qui nuit à la cohérence du dispositif. Ce peut être une piste de réflexion.

Nous avons évoqué les tarifs et la demande des élus alsaciens. Quelles sont selon vous les marges d’appréciation qui pourraient être concédées au niveau local, que ce soit en termes de mise en œuvre, de calendrier, de taux ou de partage ?

Enfin, comment prendre en compte l’existence ou l’absence de report modal ? Je pense aux grumiers, qui demandent à pouvoir faire circuler des véhicules de 50 tonnes, voire de 72 tonnes ou même davantage, dans des sites où il n’y a pas de report modal.

M. Thierry Benoit. Je suis comme vous convaincu que l’écotaxe est un élément de conversion écologique de la fiscalité, laquelle ne peut être sérieusement refusée en bloc. Philippe Duron a évoqué la notion d’acceptabilité. Il importe que l’écotaxe soit comprise. Pouvons-nous, avec le recul, proposer un dispositif plus simple et plus compréhensible ? Par ailleurs, vous avez parlé d’une répercussion de 1 centime par kilo de tomates sur la facture finale, mais ce n’est pas ce que nous expliquent les transporteurs et les producteurs de Bretagne.

Disposez-vous d’éléments de comparaison avec nos voisins européens qui permettraient d’assurer à nos transporteurs et à nos producteurs que l’instauration de l’écotaxe en France ne créera pas de nouvelles distorsions de concurrence ? L’écotaxe qui devait être mise en œuvre s’est en effet apparentée à la taxe de trop. Comme le vase était plein, ceux qui étaient pressentis pour la payer s’y sont opposés.

Vous avez évoqué les spécificités régionales. L’écotaxe étant censée taxer le transit international, auquel toutes les régions ne sont pas exposées de la même manière, pouvons-nous aller plus loin que le précédent gouvernement en matière d’allègements – voire d’exonérations – pour les régions qui ne sont pas concernées par le transit international ?

M. Patrice Carvalho. L’idée de départ était bien de faire payer l’utilisateur des routes – pour ne pas dire le démolisseur. En effet, les camions sont de plus en plus chargés. Un élu de droite m’a dit un jour que 100 tonnes de plumes n’étaient pas plus lourdes que 100 tonnes de verre ; mais, lorsque le chargement repose sur deux roues et non plus sur six, l’impact n’est pas du tout le même. Il est du reste aisé de constater les poinçonnements de la chaussée, notamment sur les autoroutes.

Pourquoi avoir fait le choix d’un PPP ? J’ai ma petite idée : après avoir fait disparaître les directions départementales de l’équipement (DDE) et renvoyé leurs compétences aux départements, après avoir réduit ses effectifs, l’État ne pouvait guère faire autrement. En revanche, il est exagéré de dire qu’il ne pouvait gérer le dispositif. Notre pays est à la pointe de la technologie ; il suffisait de s’en donner les moyens. De plus, nous avions la chance de bénéficier de l’expérience de nos voisins.

Reconnaissons que le contrat et les sommes à payer à Ecomouv’ étaient plutôt scandaleux. De quel poids le Président Sarkozy a-t-il donc pu peser dans cette décision, qui succédait à celle prise sur le canal Seine-Nord-Europe, à savoir encore un PPP – qui coûte cher au pays sur le long terme et s’apparente parfois à une fuite en avant ?

Enfin, je rejoins les propos de M. Caullet sur les grumiers – d’autant que, avant d’arriver sur les routes nationales, ils ont déjà « sabordé » toutes nos routes locales et départementales, et cela sans payer.

M. Richard Ferrand. Vous avez évoqué le problème de l’acceptabilité de l’écotaxe, notamment en Bretagne. Permettez-moi, en tant que député du Finistère, de rappeler un certain nombre de circonstances qui peuvent l’expliquer. Il y a d’abord la concentration dans le temps et dans l’espace de crises agro-alimentaires très difficiles, coïncidant avec l’arrivée d’une taxe supplémentaire, qui a donné le sentiment de frapper singulièrement nos productions agricoles et agro-alimentaires. Ensuite, l’argument du report modal ne tient guère dans notre région : le fret ferroviaire ne va guère au-delà de Rennes, et le port de Brest n’est pas utilisé autant qu’il le devrait faute d’aménagements – l’État y a très peu investi ces dernières années, de sorte qu’il faut aller au Havre. S’y ajoute le sentiment d’éloignement de la première région agricole française, qui estime qu’elle sera plus taxée que d’autres pour transporter ses marchandises – d’où la demande de « ristourne » qui avait été acceptée.

Par ailleurs, il faut dire clairement qu’il y a eu des manipulations politiques grossières autour de l’écotaxe. Par courtoisie, je ne citerai cependant pas le nom de mon collègue – qui est absent.

J’ajoute que la gratuité des routes en Bretagne est un principe acquis et ancré dans les esprits, depuis Anne de Bretagne jusqu’au discours du général de Gaulle à Quimper en février 1969, qui l’a réaffirmé sans ambiguïté.

Les Bretons ne sont pas de mauvais citoyens ; ils acquittent l’impôt comme tout le monde. Mais le sentiment qui prévaut aujourd’hui est que l’on réinvente le fermier général sous les traits d’Ecomouv’. Historiquement, les fermiers généraux ont toujours été bien rémunérés ... il semble que cela n’ait guère changé ! En outre, la répercussion de la taxe sur le chargeur, et donc le producteur, donne le sentiment qu’il s’agit non d’un impôt sur le transport, mais d’un impôt sur la production – puisque ce sont ceux qui produisent et qui chargent qui le payent ; les transporteurs n’ayant finalement qu’un rôle de collecteur. Il apparaît donc comme une taxe à la production, et cela au moment même où l’on appelle au redressement productif.

Il est vrai qu’il faut financer nos infrastructures – en Bretagne comme ailleurs. La question qui se pose est de savoir comment trouver des financements sans peser sur la production. Sans doute les gouvernements successifs ont-ils pensé qu’il serait plus aisé de répercuter la taxe sur les producteurs, qui n’ont pas les mêmes possibilités que les transporteurs pour bloquer le pays. C’est pourtant sur le transport que la taxe devait être perçue. Pour éviter la taxation des producteurs et des chargeurs, et compte tenu des difficultés d’un certain nombre d’entreprises de transport, pourquoi ne pas mettre à contribution la grande distribution, qui est à la fois l’un des grands utilisateurs de transports et l’un des secteurs les plus prospères du pays ?

M. Gilles Lurton. Il est vrai que la Bretagne bénéficie d’un réseau routier gratuit, mais les transporteurs bretons répercutent cette gratuité sur les prix qu’ils pratiquent, comme les transporteurs qui opèrent sur le réseau concédé répercutent le coût des péages sur leurs clients.

L’écotaxe avait pour but de favoriser le recours à des engins moins polluants et de participer à l’entretien du réseau de transports, principes que nous pouvons approuver. Mais pourquoi avoir choisi de confier la gestion du système à une société privée ? Comment la société Ecomouv’ a-t-elle été choisie ?

Ma deuxième question porte sur le coût de la rémunération d’Ecomouv’. Je rappelle que le contrat prévoit des recettes de l’ordre de 1,2 milliard d’euros par an pendant treize ans, et qu’Ecomouv’ doit toucher 230 millions d’euros, soit 22 % du montant total de la taxe.

Enfin, quelles seraient les conséquences de l’abandon de l’écotaxe ?

M. Philippe Bies. Vous avez évoqué à plusieurs reprises la complexité du dispositif. Ces difficultés avaient-elles été anticipées dans la définition du projet initial ? Il semble qu’elles aient été sous-estimées. Quelles en sont les raisons ? La question se pose d’autant plus que c’est sur cet argument que certains se sont fondés pour ralentir la mise en œuvre du dispositif, le revoir et finalement le rendre plus complexe. Aurait-il fallu lancer plus rapidement des expérimentations, notamment des expérimentations à blanc dans les régions volontaires, non seulement pour éprouver le dispositif, mais aussi pour installer ces portiques dans le paysage et leur donner la légitimité dont ils sont aujourd’hui dépourvus ? Cette hypothèse, qui aurait sans doute conduit à une instauration par régions de l’écotaxe et a été évoquée par le ministre la semaine dernière, vous apparaît-elle comme une possible solution pour relancer l’écotaxe, en commençant par les régions qui l’attendent – comme l’Alsace ?

Le report modal ne peut être l’unique objectif de cette écotaxe ou « pollutaxe ». J’emploie ce terme à dessein, car, si nous voulons travailler sur un nouvel outil, il faut que son objectif soit de faire payer ceux qui abîment les routes.

M. Éric Straumann. Vous dites que le taux kilométrique de la taxe est plus faible en France qu’en Allemagne. C’est bien là un problème pour l’Alsace, car les poids lourds resteront du côté français. Y aviez-vous pensé à l’époque ? Il serait souhaitable d’auditionner les autorités allemandes ou l’opérateur allemand pour bénéficier de leur retour d’expérience, sachant que les Allemands ont aussi choisi la voie du PPP. En ce qui concerne notre pays, j’imagine mal les services douaniers s’engager dans un processus technique aussi complexe : notre administration ne dispose sans doute pas des moyens nécessaires pour le mener à bien.

M. Gilles Savary. Il est de bon augure de vous entendre soutenir aussi fermement l’écotaxe. Puissiez-vous avoir quelque influence auprès de ceux de vos collègues qui l’ont fait sombrer en Bretagne, en particulier dans le monde agricole.

Que pensez-vous de l’idée d’une régionalisation partielle de l’écotaxe ? Nous aurions un taux régional, puisque les régions ont besoin de ressources propres pour financer leurs transports, et un taux d’État, tout cela étant bien sûr plafonné pour éviter l’inflation. Chaque région serait ainsi amener à prendre la responsabilité de financer ses transports par l’une des trois options possibles – l’écotaxe, le contribuable ou l’usager. Cela éviterait de devoir rendre des arbitrages au profit de telle ou telle région. Je dois dire que je n’ai pas bien compris le propos de M. Benoit sur la périphéricité de la Bretagne, qui ne serait pas concernée par le trafic de transit. Le sujet n’est pas là, puisque l’écotaxe sera une recette pour l’État : il est de savoir combien payent les Bretons et où ils livrent leurs marchandises. Leur cas est-il si différent de celui des producteurs de Bayonne, de Montpellier ou du Cantal ? En réalité, presque tous les transporteurs convergent vers le triangle Paris-Anvers-Rotterdam, dont la Bretagne n’est pas plus éloignée que les autres. En revanche, elle s’est habituée à la gratuité des infrastructures. Quoi qu’il en soit, la régionalisation partielle de l’écotaxe répondrait aux attentes des régions, qui réclament une évolution de la fiscalité pour assumer leurs compétences en matière de transports.

M. Thomas Thévenoud. Vous êtes venu à Paray-le-Monial, Monsieur Bussereau. Vous savez donc que la Saône-et-Loire a besoin de l’écotaxe, ne serait-ce que pour réaliser les aménagements routiers attendus sur la route Centre-Europe-Atlantique (RCEA). Je ne vous parlerai donc pas de report modal. Je me bornerai à dire que le conseil général de Saône-et-Loire avait prévu de reverser les 2,5 millions d’euros de recettes de l’écotaxe inscrites à son budget – soit 10 % du budget des routes du département – à l’aménagement de la RCEA. Souvenez-vous : vous étiez venu annoncer la privatisation de cette route, à laquelle nous étions opposés, et nous avons finalement obtenu que l’État mette de l’argent dans ce projet.

En tant que ministre, comment avez-vous conduit le dialogue avec les départements sur l’écotaxe, et notamment sur les itinéraires taxables ? On parle beaucoup des contributeurs à l’écotaxe, mais il y a aussi des bénéficiaires – dont les départements. C’est pourquoi il me semble important que la mission d’information reçoive l’ADF.

De même, quel dialogue avez-vous entretenu avec les sociétés autoroutières ? Lors des réunions précédentes, nous avons évoqué la perception de la taxe sur le réseau autoroutier comme une piste à explorer. Qu’en pensez-vous ?

Enfin, je rejoins M. Ferrand sur la possibilité de mettre à contribution la grande distribution, d’autant que cet échelon intermédiaire entre la production et la consommation bénéficie déjà d’un certain nombre de dispositifs fiscaux.

M. Olivier Faure. Je vous remercie pour la clarté de votre propos et pour le vœu que vous avez exprimé que la mission d’information se prononce en faveur d’un retour rapide d’une écotaxe poids lourds. Si nous partageons cet objectif, il importe de trancher au préalable sur le sort du PPP conclu avec Ecomouv’. La comparaison avec l’Allemagne serait plutôt flatteuse pour notre pays ; en tout cas, elle ne donne pas l’impression que l’État a négocié un trop mauvais partenariat. Cela étant, aviez-vous envisagé une alternative pour percevoir l’impôt, sachant que le fait que cette perception soit confiée à un partenaire privé a choqué ? L’État pouvait-il assumer le contrôle et la perception de cet impôt ? Pour quel coût et à quelles conditions ?

M. Dominique Bussereau. L’idée d’une régionalisation partielle de l’écotaxe peut être effectivement envisagée, Monsieur Savary, mais elle peut poser problème pour les instances de Bruxelles, ainsi que vis-à-vis des transporteurs étrangers. Nous visons un public de 1 million de camions, dont 800 000 Français et 200 000 étrangers. Il peut être compliqué d’expliquer au chauffeur de poids lourd espagnol qui transite par notre pays que le tarif va varier suivant les régions qu’il est amené à traverser. Cela poserait aussi des problèmes techniques et des problèmes de perception, alors que le dispositif est déjà très compliqué à mettre en œuvre, puisque tout le réseau n’est pas taxable. Sur le principe, je trouve l’idée astucieuse et intéressante. La réalisation technique paraît plus complexe, mais cela mérite en tout cas d’être regardé de plus près.

J’en viens aux questions de M. Duron. Je pense qu’il faut réceptionner le dispositif Ecomouv'. Cela permettrait d’abord de le tester à blanc, comme l’ont souhaité un certain nombre d’entre vous, donc d’éviter les difficultés auxquelles l’Allemagne a été confrontée – qui ont coûté leur tête à plusieurs ministres. Les cinq reports dont j’ai parlé étaient en effet dus à des problèmes techniques, et non d’ordre politique comme en France. Un contentieux est d’ailleurs toujours en cours entre les autorités allemandes et Toll Collect ; il porte sur près de 3,3 milliards d’euros.

Réceptionner le dispositif serait par ailleurs une manière de correction vis-à-vis des salariés de la société.

Les transporteurs routiers ont bien obtenu des compensations à l’instauration de l’écotaxe, avec l’ouverture de la quasi-totalité du réseau aux 44 tonnes et la quasi-disparition de la taxe à l’essieu. D’autres compensations peuvent être envisagées avec les trois principales organisations du secteur routier. J’observe simplement que la FNTR – qui reste la principale d’entre elles, même si elle a perdu de sa puissance – ne tient pas un discours responsable dans cette affaire. C’est finalement l’Organisation des transporteurs routiers européens (OTRE), donc la plus petite, qui est la plus active.

Le pavillon français a perdu beaucoup de parts de marché à l’international, ce qui explique la présence perpétuelle de ces 200 000 camions étrangers sur nos routes, qui assurent parfois des transports à l’intérieur même de notre pays. Bien que la route ait pris le pas sur le fer en matière de transports, les entreprises françaises de transport routier restent très fragiles. C’est une difficulté majeure pour notre système.

La discussion avec les Bretons interviendra nécessairement dans un contexte délicat. Personnellement, je ne suis pas partisan d’exempter la Bretagne de l’écotaxe. Elle bénéficie déjà d’un atout avec ce réseau gratuit que lui envient de nombreuses régions, quand bien même il n’est pas autoroutier. Le plan de 1969 appartient au passé, Monsieur Ferrand : la Bretagne a fait la preuve de son dynamisme économique, même si elle souffre aujourd’hui. Le Gouvernement doit certes aller plus loin sur ce point dans le dialogue avec les Bretons, mais une exemption complète poserait problème vis-à-vis de Bruxelles et ne serait pas comprise par les Français, quelles que puissent être l’admiration et la compassion qu’ils vouent à votre région.

L’affectation d’une partie de la taxe au renouvellement des véhicules peut faire partie de la discussion avec la profession routière, Monsieur Breton. Toutefois, il était déjà prévu que l’écotaxe s’applique de manière différenciée selon le poids et la taille des véhicules, mais aussi selon le degré des leurs émissions polluantes – le poids lourd le moins polluant paye moins que le plus polluant. Je rappelle également qu’il existe déjà une écotaxe – qui porte ce nom – sur certains ouvrages comme le pont de l’île de Ré. Une partie de son produit est affectée au département de la Charente-Maritime pour l’entretien de l’ouvrage, et l’autre au développement durable, à savoir le développement du transport public dans l’île et la protection des espaces naturels. La loi permettrait d’étendre cette écotaxe à d’autres ouvrages ou sites fragiles.

M. Caullet a évoqué la délicate question de la cohérence du réseau taxable. Dès lors que l’on a choisi d’exclure le réseau autoroutier à péage, ce dont rien n’interdit d’ailleurs de rediscuter, ce réseau est en effet constitué de différents tronçons. Lorsqu’il était ministre de l’équipement et du logement sous le général de Gaulle, Albin Chalandon fut un temps surnommé « Monsieur Tronçon » : faute de moyens, l’État était conduit à n’aménager que des tronçons d’autoroute. Quoi qu’il en soit, rien n’interdit aujourd’hui de rouvrir le dialogue avec les départements. L’audition du président Lebreton pourrait s’avérer utile à cet égard ; rappelons que l’État n’a pas inclus dans le réseau taxable autant de routes que les départements l’auraient souhaité.

Le report modal n’est certes pas aussi aisé dans le Morvan qu’ailleurs, cher collègue. Vous me permettrez néanmoins de rappeler, comme l’a fait le rapport Duron, que la construction de lignes à grande vitesse n’a pas seulement pour but de réduire les temps de parcours, mais aussi de dégager des sillons pour le fret et les TER sur les lignes classiques. Je le dis notamment pour nos amis bretons, car c’est le cas pour la ligne à grande vitesse Le Mans-Rennes. Je rappelle aussi que l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) avait la possibilité d’affecter une partie de l’écotaxe aux transports urbains.

L’écotaxe est bien le premier élément d’une fiscalité écologique, Monsieur Benoit. Il est certain qu’un dispositif plus simple aurait été préférable. Toute la question est de savoir lequel. Hormis quelques manifestations très marginales, ce choix n’avait fait l’objet d’aucun débat à l’époque. Tout comme en Allemagne, il a été très bien accepté par l’opinion publique. Réexpliquer les tenants et aboutissants du dispositif à nos compatriotes sera à coup sûr une difficulté si nous choisissons de le remettre en œuvre. Faut-il rappeler que les portiques qui ont cristallisé toute la colère ont pour seul objet d’identifier les fraudeurs, et au premier chef les fraudeurs étrangers, en vérifiant la présence à bord du boîtier électronique, qui communique directement avec le satellite ?

Vous souhaitez disposer d’éléments de comparaison avec nos partenaires européens. Il serait intéressant que votre mission d’information les reçoive, comme certains d’entre vous l’ont suggéré. L’Allemagne a choisi de taxer sur la totalité de son réseau autoroutier, ce qui a le mérite de la cohérence. En Autriche, le réseau est tout petit ; je ne parle pas de la Slovaquie ou de la Slovénie. Ces pays ont d’ailleurs adopté un système différent : le réseau autoroutier est si petit que les portiques permettent d’assurer à la fois le contrôle et la perception de la taxe.

Je ne suis guère favorable à de nouvelles exonérations. Le produit de l’écotaxe – 1,2 milliard – est déjà relativement faible au regard des 8 milliards que coûte la construction de la ligne à grande vitesse Tours-Bordeaux, par exemple. En outre, il faut en déduire la rémunération d’Ecomouv’. On risque donc d’arriver à un dispositif qui coûte plus cher en gestion qu’il ne rapporte.

Nous avons fait le choix d’un PPP parce qu’il s’agissait de métiers techniques très pointus, monsieur Carvalho. Du reste, ce sont des entreprises françaises – notamment Cofiroute, membre du consortium Toll Collect, pour l’Allemagne – qui gèrent les systèmes des autres pays européens. Nos entreprises ont donc une grande expertise. Plusieurs entreprises françaises détiennent d’ailleurs une participation dans le capital d’Ecomouv’, aux côtés d’Autostrade per l’Italia, et son vice-président, M. Michel Cornil, est un cadre détaché de la SNCF, spécialiste du transport urbain, qui a fait sa carrière chez Transdev.

Je précise que le décret du 30 mars 2009 avait pris soin d’encadrer rigoureusement la composition de la commission chargée de donner un avis sur le choix de l’entreprise : présidée par un membre du Conseil d’État, elle était composée du directeur général des infrastructures, des transports et de la mer, du directeur général des douanes et droits indirects, du directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, du directeur du budget, et enfin du président de la mission d’appui à la réalisation des contrats de partenariat. Le ministère des transports n’a donc pas décidé seul ; en outre, tout cela s’est fait sous le contrôle de Matignon. Bref, nous étions loin d’une commission d’initiés.

J’ai bien compris le propos de M. Ferrand sur la complexité de la crise bretonne. Néanmoins, on peut faire du report modal en Bretagne, comme l’illustre l’exemple de Brittany Ferries – nous avons bien là des autoroutes de la mer. Les Bretons doivent comprendre que beaucoup de Français s’interrogent sur les raisons de la gratuité du réseau routier en Bretagne. Certes, la Bretagne était en difficulté au moment du plan routier breton. L’État a donc massivement investi. Rien dans l’histoire de France n’autorise pour autant la Bretagne à estimer que le réseau devrait être gratuit en Bretagne et payant ailleurs, quelle que soit l’affection que nous portons à ses habitants.

J’ajoute que c’est le donneur d’ordres qui paye la taxe. Il ne s’agit pas nécessairement du producteur : cela peut être la plateforme de distribution d’une chaîne d’hypermarchés qui renvoie la marchandise vers ses magasins. Cela étant, peut-être faut-il mieux organiser la répartition entre distributeur et donneur d’ordres dans la facture finale.

J’ai bien pris note de la remarque de M. Lurton sur les spécificités bretonnes. Je crois lui avoir répondu sur le choix d’Ecomouv’. Quatre ou cinq consortiums avaient répondu à l’appel d’offres. Je n’étais plus au Gouvernement lorsque la commission a fait son choix. Je me souviens néanmoins qu’elle devait se prononcer en fonction d’un critère de rapidité, non seulement dans la délivrance des prestations, mais aussi dans l’appel d’offres et le dialogue compétitif.

J’en viens aux recettes d’Ecomouv’. Pour accroître les recettes et réduire le coût de la collecte, il faut étendre le réseau routier taxable au-delà des 15 000 kilomètres.

Je reconnais que nous avons sans doute un peu sous-estimé les difficultés en dépit de l’exemple allemand, Monsieur Bies. Mais il faut bien voir que le processus a été très lent. Sur le plan technique, le dispositif était compliqué à mettre en œuvre. Si nous ne l’avons pas fait avant l’élection présidentielle, c’est qu’il n’était pas prêt. Le décret du 6 mai 2012 était incompréhensible, et M. Cuvillier a eu raison de demander à son administration d’y revenir. Il est vrai que la tâche était particulièrement complexe. Treize arrêtés ou textes ont d’ailleurs été pris sur le sujet depuis le changement de gouvernement, et il n’est pas dit que nous ne puissions pas encore progresser. Encore une fois, tout cela est très compliqué. Un camion espagnol qui traverse la France pour rallier Anvers depuis Bayonne emprunte à la fois de l’autoroute à péage, de la route nationale et de la route départementale.

Il est possible d’aller plus vite si certaines régions acceptent de tester le dispositif. Nous avions prévu qu’il entrerait en vigueur six mois plus tôt en Alsace. M. Cuvillier a préféré que la date soit la même pour toutes les régions ; ce devait initialement être le 1er juillet, puis le 1er octobre, et enfin le 1er janvier 2014, avant la suspension de l’écotaxe par le Gouvernement. Si le processus redémarre, rien n’empêche de procéder d’abord à une expérimentation. C’est une bonne méthode, à laquelle nous n’avons pas suffisamment recours en France, et qui pourrait être mise en œuvre dans les régions de transit qui sont d’accord pour le faire, comme la Lorraine ou l’Alsace.

Nous avons fait le choix d’un taux kilométrique plus faible qu’en Allemagne, car nous avons déjà un réseau autoroutier payant, Monsieur Straumann. Si l’écotaxe s’appliquait à une partie du réseau autoroutier, ce qui suppose une discussion entre l’État et les sociétés d’autoroutes, nous pourrions mieux aligner le système français et le système allemand, et ainsi gérer la spécificité des itinéraires de détournement des camions allemands par la rive alsacienne du Rhin.

La suspension de l’écotaxe prive en effet les départements d’une ressource sur laquelle ils comptaient, Monsieur Thévenoud. Il manque 2,5 millions d’euros à la Saône-et-Loire, 2 millions à la Charente-Maritime. Le Gouvernement pourrait utilement rouvrir le dialogue avec les conseils généraux, dont les revendications n’ont pas été pleinement entendues.

Nous n’avons pas envisagé à l’origine d’inclure les autoroutes à péage dans le réseau taxable. Mais peut-être est-ce une erreur. Il doit être possible de discuter avec les sociétés autoroutières pour voir comment combiner péage et écotaxe. Techniquement, ce n’est pas inenvisageable.

Nous n’avions pas envisagé d’autres alternatives que le PPP, monsieur Faure, non par idéologie libérale, mais parce que nous ne savions pas faire autrement, y compris au regard de l’expérience des autres pays européens. Même si nous avions recruté des fonctionnaires supplémentaires, il aurait fallu les former. Nous avons préféré nous adresser à ceux qui savaient faire. Bref, c’était un choix de fonctionnement – qui n’interdit pas d’envisager autre chose aujourd’hui.

Je n’ai pas de conseils à donner au Gouvernement pour l’avenir. Il faut trouver un accord avec Ecomouv’ pour que la société puisse reprendre son travail dans un cadre rénové, que les travaux de votre mission d’information contribueront à tracer. Je suis conscient de la difficulté de la tâche, d’autant que l’on a raconté tout et son contraire à nos compatriotes. L’autre jour, un reportage diffusé sur LCI expliquait que le dispositif excluait les camions étrangers ! J’ai téléphoné au directeur de la chaîne ; il m’a répondu qu’elle ne le savait pas ! En réalité, nous aurions au contraire souhaité taxer les seuls camions étrangers, mais les règles européennes ne le permettent pas. Sur les transits longs, il y aura cependant, hélas – compte tenu des difficultés du pavillon routier français –, bien plus de camions étrangers que de camions français taxés.

M. Thierry Benoit. Il est vrai qu’il y a eu beaucoup de désinformation sur cette affaire. Ne serait-il pas opportun de rédiger un petit document précis reprenant les éléments techniques que vient de nous rappeler Dominique Bussereau ? Cela nous permettrait de rétablir certaines vérités dans nos territoires, car, pour le moment, la désinformation continue de sévir. C’est un dossier très technique, que la plupart des parlementaires – moi le premier – ne connaissent pas au fond. Être plus précis – comme l’a été M. Bussereau ce matin – devrait permettre à nos concitoyens de mieux comprendre et peut-être de mieux accepter l’écotaxe.

M. Richard Ferrand. Puis-je suggérer de le dédicacer à Marc Le Fur ?

Mme Catherine Beaubatie. Ce document existe. Il a été rédigé à l’issue du vote de la loi du 28 mai 2013 portant diverses dispositions en matière d’infrastructures et de services de transport, et peut être téléchargé sur le site du ministère des transports.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Il me reste à remercier M. Bussereau pour sa franchise, sa liberté de ton et la clarté de son propos. Il n’a pas changé, et je tiens à saluer, après M. Breton, son sens des responsabilités.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur l'Écotaxe poids lourds

Réunion du mercredi 18 décembre 2013 à 11 h 15

Présents. - Mme Sylviane Alaux, M. François André, Mme Catherine Beaubatie, M. Thierry Benoit, M. Philippe Bies, M. Xavier Breton, M. Patrice Carvalho, M. Jean-Yves Caullet, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Philippe Duron, Mme Corinne Erhel, Mme Sophie Errante, M. Olivier Faure, M. Richard Ferrand, M. Charles-Ange Ginesy, M. Jean Grellier, Mme Isabelle Le Callennec, Mme Viviane Le Dissez, M. Jean-Pierre Le Roch, M. Gilles Lurton, M. Hervé Pellois, M. Gilles Savary, M. Jean-Marie Sermier, M. Éric Straumann, M. Thomas Thévenoud, M. Fabrice Verdier

Excusés. - Mme Marie-Anne Chapdelaine, M. Joël Giraud, M. Jacques Krabal, M. Marc Le Fur

Assistaient également à la réunion. - Mme Geneviève Gaillard, M. Philippe Noguès, Mme Suzanne Tallard