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Mercredi 26 février 2014

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 18

Présidence M. Jean-Paul Chanteguet, Président

– Audition, ouverte à la presse, de la Confédération française du commerce interentreprises 2

Mission d’information
sur l’écotaxe poids lourds

M. le président et rapporteur Jean-Paul Chanteguet. Nous recevons ce matin M. Marc Hervouët, président de la Confédération française du commerce interentreprises, accompagné de plusieurs membres de la « Commission Transport » créée au sein de son organisation.

La Confédération française du commerce interentreprises, souvent désignée sous l’acronyme CGI, regroupe 56 fédérations professionnelles.

La notion de commerce interentreprises, anciennement commerce de gros, n’est pas immédiatement perçue dans l’opinion. Elle intègre le « B to B » (Business to Business), des activités qui ont enregistré une croissance soutenue du fait de l’élargissement des prestations proposées, comme la maintenance, les livraisons, les services de l’après-vente ou la récupération de produits en fin de vie.

Comme le commerce traditionnel, qui concerne principalement l’achat et la revente de biens en l’état, le commerce interentreprises reste néanmoins très dépendant de la conjoncture économique – 95 % des grossistes-distributeurs sont des PME de moins de 50 salariés. Au total, le commerce interentreprises représente plus de 120 000 entreprises.

Les grossistes-distributeurs possèdent un parc important de véhicules : 50 000 camions de plus de 3,5 tonnes, soit près de 10 % des véhicules assujettis à l’écotaxe. De ce fait, le transport pour compte propre est particulièrement développé dans ces activités.

Monsieur le président, au nom de votre organisation, vous avez assimilé l’écotaxe à une « taxe sur les livraisons » qui viendrait grever vos marges qui, d’ailleurs, seraient déjà particulièrement faibles.

Nous avons connaissance d’un travail d’évaluation, réalisé par la mission ministérielle de tarification, concernant précisément le commerce interentreprises.

Ce document date de janvier 2012. Mais nous savons par ailleurs que votre organisation a pris très tôt contact avec l’administration sur l’écotaxe, dès l’automne 2008. Pour vous, quelle est la valeur de ce travail ? Qu’avez-vous retenu de tels échanges ? Devons-nous vous ranger parmi les opposants irréductibles à l’écotaxe ? Récusez-vous ainsi totalement son principe et ses modalités, ou considérez-vous qu’elle pourrait faire l’objet d’aménagements ? Vos réponses et vos éventuelles propositions intéressent notre mission, d’autant plus si elles traduisent une synthèse actualisée des remontées de terrain émanant des acteurs économiques que vous représentez.

M. Marc Hervouët, président de la Confédération française du commerce interentreprises (CGI). Je vous remercie, monsieur le président, de nous donner l’occasion d’exposer les inquiétudes très profondes que suscite l’écotaxe poids lourds – actuellement suspendue – pour les entreprises que nous représentons.

Ces inquiétudes, nous les avons fait valoir à chacune des étapes du très long historique de cette taxe, y compris lors de la discussion, au printemps dernier, de la majoration forfaitaire de plein droit. Ces inquiétudes tiennent bien sûr à l’impact prévisible de l’écotaxe sur le modèle économique de nos entreprises, mais également à la persistance d’incertitudes à la fois juridiques et techniques. Elles tiennent aussi à un contexte économique particulièrement difficile et à un niveau global de pression fiscale et de charges administratives qui, sur le terrain, a atteint les limites de l’acceptable.

À cet égard, nous estimons que les réflexions en cours sur le devenir de l’écotaxe ne peuvent être disjointes de celles conduites sur la remise à plat de notre fiscalité et la compétitivité du site France.

Pour caractériser le métier de grossiste-distributeur que je représente, je dirai que nos entreprises assurent la logistique du dernier kilomètre. Elles collectent, vendent et acheminent sur le site d’utilisation finale les produits et marchandises nécessaires à l’activité d’entreprises ou d’établissements publics intervenant dans les champs industriel, alimentaire et non-alimentaire. À titre d’exemple, nous livrons la restauration, individuelle et collective, les cantines scolaires et hospitalières, les crèches, les commerces de proximité, les chantiers du BTP.

La position d’intermédiaire de nos entreprises les rend redevables de l’écotaxe, directement et indirectement, tant sur la partie approvisionnement de leur activité que sur la partie livraison. Je précise, comme beaucoup d’autres l’ont fait avant moi, qu’elles n’ont pas d’autre option que la route pour faire leur métier.

Les livraisons sont réalisées soit en compte propre – la profession compte effectivement 50 000 véhicules de plus de 3,5 tonnes, donc 10 % du parc concerné par l’écotaxe – soit en recourant au service d’un transporteur, parfois les deux. Nos professionnels sont donc également concernés par la majoration forfaitaire de plein droit votée au printemps dernier.

Je précise que nos entreprises n’ont pas attendu l’écotaxe pour optimiser leur modèle logistique, grâce notamment à des logiciels informatiques qui leur permettent au jour le jour d’organiser leurs tournées, ou pour utiliser des camions de plus en plus propres. J’ai d’ailleurs signé avec l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), au début de l’année dernière, une charte comprenant des engagements très précis en ce sens.

Sur le plan comptable, nos entreprises se caractérisent par un chiffre d’affaires très élevé, lié à l’importance des volumes de marchandises échangées, et par un très faible résultat net, lié à la modestie de leurs marges. Dans nos professions, chaque centime compte, ce qui les rend particulièrement sensibles à toute évolution, même marginale, de nature à peser sur les prix. Ces professionnels évoluent par ailleurs dans un environnement concurrentiel que le contexte économique a considérablement tendu et qui les met au contact direct avec des opérateurs vendant les mêmes marchandises sans en assurer la livraison.

Pour toutes ces raisons, nous nous sommes très tôt inquiétés des conséquences qu’aurait pour notre profession la mise en place de l’écotaxe. Malgré la forte pression du terrain en faveur de mouvements plus musclés, nous avons toujours privilégié le dialogue avec les pouvoirs publics.

Ainsi, en 2011, face aux inquiétudes de nos professions, nous avons demandé aux services du ministère des transports de nous aider à cerner de façon plus précise l’impact qu’aurait l’écotaxe sur nos opérations de livraison de proximité.

Il résulte de l’étude d’impact, que nous avons réalisée en partenariat avec la Direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM), qu’à défaut de répercussion, l’incidence de l’écotaxe sur le bilan de nos entreprises pourrait représenter, sur la seule partie aval de leur activité, jusqu’à 15 % de leur résultat. Or rien ne garantit que nos entreprises soient en mesure d’assurer cette répercussion. C’est la première des inquiétudes exprimées par nos professionnels.

Apprécier a priori la charge qui résultera de l’utilisation du réseau taxé relèvera, pour les entreprises comme pour les transporteurs, du casse-tête. Et ce casse-tête est aggravé par le modèle logistique de ces entreprises qui est fondé sur une tournée regroupant 15 à 25 clients, ce qui rend impossible l’individualisation de la répercussion.

Autre facteur aggravant, notre activité s’inscrit bien souvent dans le cadre de contrats pluriannuels ou de marchés publics pour lesquels un prix ferme est exigé. Rien n’est prévu dans le code des marchés publics pour assurer la prise en compte de l’écotaxe.

Je rappelle à cet égard que nos entreprises n’ont pas été admises à faire jouer la majoration forfaitaire de plein droit ou à isoler, sur leurs factures, la composante écotaxe. Pour elles, pas de possibilité de « signal-prix » à l’endroit du bénéficiaire de l’opération de livraison, mais un simple « signal-coût » pour l’entreprise la réalisant ou la déléguant.

Au final, le niveau de répercussion de l’écotaxe constituera nécessairement un élément de « compétitivité-prix » et de positionnement concurrentiel dont nos entreprises les plus fragiles seront les premières victimes.

Autre facteur d’incompréhension sur le terrain : la consistance du réseau taxé. Alors que chez la plupart de nos partenaires européens, ce réseau est essentiellement composé d’autoroutes afin de cibler le transport à longue distance, la France a fait le choix, les autoroutes ayant été concédées, d’appliquer la taxe au réseau secondaire, au risque de pénaliser la distribution locale et l’économie de proximité. Dans le même temps, les véhicules étrangers qui traverseront la France en utilisant le réseau autoroutier n’auront pas à acquitter l’écotaxe.

En outre, l’écotaxe n’est pas indexée sur la valeur du chargement, ce qui est un facteur majeur d’inquiétude. Son impact sera d’autant plus élevé que les marchandises transportées auront une faible valeur – denrées alimentaires, matériaux de construction. Au niveau des relations interentreprises, compte tenu des volumes de produits échangés, l’impact de l’écotaxe, même marginal, aura des conséquences significatives. Dans le cas d’un contrat d’approvisionnement récurrent portant sur des milliers d’unités, le surcoût induit sera loin d’être neutre.

Dernier facteur d’inquiétude : la lourdeur et la complexité technique du dispositif, dont je rappelle, comme d’autres avant moi, que la fiabilité opérationnelle soulève toujours des interrogations. Cette lourdeur occasionnera pour nos entreprises le même surcroît de charges administratives que pour le transport routier, mais ce surcroît ne fera pas l’objet d’une prise en compte légale ! Je rappelle que nous parlons d’un dispositif fiscal qui, pour être opérationnel, coûtera d’emblée plus de 10 millions d’euros à la profession au titre de l’enregistrement des camions auprès d’Ecomouv’.

S’agissant de la majoration de plein droit, les facteurs d’inquiétude ne sont pas moindres. L’extrême variabilité des taux entre régions n’est pas comprise sur le terrain. Pourquoi 7 % en Ile-de-France, quand le taux interrégional est fixé à 5,2 % et que le taux s’établit à 3,6 % dans la région Centre qui est voisine ? Alors que les taux applicables en région PACA et Languedoc-Roussillon sont respectivement de 2,7 % et de 2,1 %, comment justifier que le simple fait de franchir la frontière entre ces deux régions, dans le cadre d’une opération de proximité, entraîne l’application du taux interrégional de 5,2 % ?

Je rappelle que ces taux ont déjà varié à la hausse au moins deux fois depuis le vote de la loi. Nous ne mésestimons pas les difficultés particulières rencontrées par le transport routier, mais nos entreprises n’ont pas vocation à en être la variable d’ajustement, alors même que leur capacité à répercuter à leur tour la majoration n’est pas garantie.

À cet égard, si nous avons pris acte de la décision du Conseil constitutionnel, le caractère forfaitaire de la majoration, qui jouera que le transporteur ait ou non utilisé le réseau taxé, fait l’objet sur le terrain d’une incompréhension majeure. Je précise que cette majoration automatique, à la différence de l’écotaxe, n’est en rien fonction de la qualité environnementale du véhicule.

Une autre difficulté tient aux conditions dans lesquelles la majoration peut être admise à jouer. Le Conseil constitutionnel est venu rappeler qu’il fallait, pour cela, que le véhicule pèse plus de 3,5 tonnes. Or, dès l’été dernier, nombre de nos entreprises ont été saisies de demandes de la part de transporteurs tendant à appliquer la majoration à l’ensemble de leurs opérations de transport, qu’elles soient ou non réalisées avec des véhicules de plus de 3,5 tonnes !

Je rappelle par ailleurs que la loi impose, sous peine de sanctions pénales, la mention de la majoration sur la facture. Selon quelles modalités pratiques distinguerons-nous les cas où la prestation est réalisée avec un véhicule de plus de 3,5 tonnes ? En cas de contrôle a posteriori, l’enjeu sera loin d’être neutre compte tenu des sanctions financières prévues.

Enfin, l’assiette même sur laquelle la majoration devra être appliquée nous paraît contestable compte tenu du périmètre très large que le ministère des transports a entendu donner à la notion de « prix de la prestation de transport ».

Pour conclure, je veux redire notre conviction que la fiscalité environnementale ne peut constituer une couche supplémentaire du « millefeuille fiscal » auquel nos entreprises sont déjà soumises. Lors du Grenelle de l’environnement, il avait été convenu que la mise en œuvre de l’écotaxe se ferait à pression fiscale constante. C’est pour nous un élément déterminant de l’acceptabilité de cette taxe. Nous considérons que l’écotaxe doit constituer un élément à part entière des discussions en cours sur la remise à plat de la fiscalité des entreprises. Nous regrettons à cet égard que les pouvoirs publics aient fait le choix d’un dispositif aussi lourd. Le fait qu’il ait fallu cinq années pour le mettre en place et que son coût de fonctionnement représente un sixième du produit de la taxe ne joue pas en faveur de son acceptabilité. Des solutions plus simples auraient dû être privilégiées.

Il nous semble par ailleurs que l’écotaxe devrait mieux cibler le transport sur longue distance afin de ne pas pénaliser la distribution locale. Je rappelle que nos véhicules sont déjà lourdement taxés et qu’ils paient la taxe à l’essieu au titre de leur contribution à l’entretien des infrastructures de transport. D’autres pistes devraient être envisagées, comme l’exonération de la distribution de proximité ou le relèvement du seuil de déclenchement de l’écotaxe pour l’aligner sur celui de nos voisins allemands ou britanniques.

En tout état de cause, ne serait-ce que pour des raisons de cohérence et d’égalité devant l’impôt, le transport pour compte propre doit, à l’instar du transport pour compte d’autrui, être autorisé à adresser un signal-prix à raison du paiement de l’écotaxe, par exemple à travers une mention en pied de facture.

Pour ce qui est de la majoration, la distinction doit être mieux assurée entre ce qui relève objectivement du transport longue distance, avec franchissement de plusieurs frontières interrégionales, et ce qui relève de la distribution locale. Par ailleurs, les conditions d’application de la majoration doivent être clarifiées.

On peut au demeurant s’interroger sur son efficience même. Soyons clairs, de même que pour le compte propre le niveau de répercussion de l’écotaxe constituera un élément de « compétitivité-prix » et de positionnement concurrentiel, rien n’empêchera dans les faits des comportements de même nature du côté des transporteurs. Dans un cas comme dans l’autre, ce sont les acteurs les plus faibles qui en feront les frais.

Quitte à neutraliser l’effet de l’écotaxe sur le transport routier, un mécanisme de type TVA aurait été plus simple et plus compréhensible. Il aurait, en outre, permis de donner corps au signal-prix voulu par le législateur, et ce tout au long de la chaîne de production et de commercialisation.

Je terminerai en insistant sur l’obligation, plus que jamais impérieuse pour les pouvoirs publics, de faire preuve de sincérité compte tenu des crispations suscitées par l’écotaxe sur le terrain.

Justifier l’écotaxe poids lourds par des objectifs de report modal, dont les expériences étrangères démontrent qu’ils sont vains, est une erreur.

Justifier l’écotaxe poids lourds par le financement d’infrastructures alternatives à la route, alors qu’il s’agit surtout d’entretenir des infrastructures existantes et de financer des infrastructures nouvelles, dont beaucoup n’ont rien à voir avec le transport de marchandises, est une erreur.

Justifier la majoration de plein droit par le principe « utilisateur-pollueur », tout en la refusant au transport pour compte propre, est une erreur.

Sans sincérité, pas d’acceptabilité.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Je vous remercie pour le bilan précis que vous avez dressé de la situation de vos entreprises, ainsi que pour les propositions et suggestions que vous avez formulées.

S’agissant du transport pour compte propre, vous souhaitez pouvoir faire apparaître l’écotaxe en pied de facture : nous pouvons entendre cette demande, qui nous a d’ailleurs été présentée par d’autres professionnels.

Quant à la majoration forfaitaire, elle est souhaitée par les organisations professionnelles comme la Fédération nationale des transports routiers (FNTR), mais il s’agit d’un mécanisme complexe du fait de la coexistence d’un taux de majoration forfaitaire propre à chaque région et d’un taux interrégional. Elle est en outre difficilement compréhensible dans la mesure où elle s’applique que le camion ait emprunté un réseau taxé ou un réseau non taxé. Nous considérons que la disposition serait plus lisible avec un taux unique, mais à ce jour nous n’avons guère convaincu…

Concernant les charges supportées par les entreprises, je rappelle qu’il a été décidé que la taxe à l’essieu – dont le rendement est stabilisé à environ 172 millions d’euros – rapporterait 50 millions d’euros de moins en prévision de la mise en place de l’écotaxe.

Enfin, vous avez évoqué le transport de proximité. À combien de kilomètres par jour évaluez-vous cette proximité ?

M. Marc Hervouët. Une tournée regroupant 25 destinataires est réalisée dans un périmètre de 80 à 100 kilomètres.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. L’instauration d’une franchise journalière est-elle, selon vous, une idée intéressante ?

M. Marc Hervouët. Elle est intéressante en aval pour ce qui a trait à la distribution, mais nous subirons l’écotaxe pour tous nos approvisionnements.

M. Marc Le Fur. Je vous remercie, monsieur Hervouët, pour la clarté de vos explications. Elles démontrent clairement votre opposition à l’écotaxe. Celle-ci frappera spécifiquement le transport de biens de faible valeur – les pondéreux seront les premières victimes d’un impôt forfaitisé sur le transport. Chacun mesure les contraintes qui en résulteront pour les secteurs du bâtiment et de l’alimentation.

Vous soulignez par ailleurs que le système, tel qu’il a été conçu puis renforcé par la loi Cuvillier, crée un clivage aberrant entre le transport pour compte propre et le transport faisant appel à des prestataires extérieurs.

D’autres modes de transport existent pour les distances de plus de 300 kilomètres, mais la distance moyenne des transports en France étant de 115 kilomètres, on ne peut raisonnablement envisager un transfert sur le rail pour vos métiers. Si nous voulons être efficaces et promouvoir d’autres types de transport, il faut donc réserver la pénalisation au transport routier à longue distance, c’est-à-dire à partir de 300 ou 400 kilomètres.

Vous évoquez la mention en pied de facture, c’est-à-dire une répercussion de la taxe sur l’aval, mais pourquoi ne pas utiliser une partie du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), dont profite essentiellement la grande distribution, afin de financer nos infrastructures ? Cette solution est envisagée par plusieurs groupes politiques et je souhaite, monsieur le président, qu’elle soit étudiée.

Mme Éva Sas. Vous dressez un constat bien noir de l’efficacité de la taxe kilométrique poids lourds, mais les expériences menées en Allemagne et en Suisse en matière de report modal ont donné des résultats intéressants.

Si j’ai bien compris, vous souhaitez un dispositif « répercutable » en pied de facture pour les grossistes-distributeurs, un taux uniforme pour les régions, une exonération des premiers kilomètres et un renchérissement du coût du transport à longue distance. Si tel était le cas, pourriez-vous adhérer à l’écotaxe poids lourds ?

M. Éric Straumann. Je n’ai pas tout à fait compris votre métier : êtes-vous des affréteurs ou des grossistes ? Représentez-vous les centrales d’achat ? Je ne comprends pas non plus pourquoi la majoration forfaitaire, dans le cas du transport en compte propre, vous pose un problème puisque le coût du transport, en fin de compte, est intégré au coût final.

L’idée d’une franchise journalière me paraît séduisante, mais si on fixe la limite à 200 kilomètres, cela ne réglera pas le problème de l’Alsace où les poids lourds allemands circulent sur une centaine de kilomètres.

Enfin, quel sera l’impact de l’écotaxe sur le panier de la ménagère ?

M. Gilles Savary. Je vous remercie, monsieur le président, pour la précision de votre témoignage.

Je peux comprendre votre souhait d’une mention en pied de facture, mais je décèle par ailleurs une contradiction dans vos propos. Vous dites en effet que la majoration forfaitaire est un sujet majeur d’incompréhension pour votre profession, mais vous soulignez aussi qu’il serait impossible d’individualiser la répercussion de la taxe pour les vingt-cinq clients pouvant être concernés par une même tournée. Si nous avons envisagé la majoration forfaitaire, c’est justement pour que le système soit mieux adapté à votre modèle logistique.

S’agissant des seuils, il est extrêmement tentant de vouloir exonérer les petits trajets. Comme M. Le Fur, sans toutefois en tirer les mêmes conclusions que lui, je ne pense pas que l’écotaxe pourra favoriser un report modal. En effet, dans une large majorité des endroits où elle s’appliquera, il n’existe pas de mode de transport alternatif.

Pour des raisons diverses, le rail ne marche pas dans notre pays, et cette situation n’est pas près de changer. En dépit des sommes considérables qui y ont été investies et du volontarisme dont on a fait preuve, en France et en Europe, rien ne s’est amélioré depuis vingt ans. On observe même une dégradation au profit de la route.

Si on a institué l’écotaxe, c’est pour trouver des ressources nouvelles afin de financer les infrastructures de manière pérenne et avec assez de visibilité, dans un contexte de désengagement budgétaire de l’État. L’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) est un outil fragile. Afin de sécuriser le financement des infrastructures, on a souhaité substituer une taxe utilisateur-payeur à son mode de financement actuel par des recettes affectées, hétérodoxes aux yeux de Bercy. Si l’écotaxe ne devait s’appliquer que sur les longs parcours, les recettes seraient bien moindres. Par ailleurs, le transport routier, très sensible aux effets de seuil, sait comment contourner ces seuils, comme on le voit actuellement dans le domaine du cabotage, aujourd’hui totalement dérégulé en France, les véhicules de moins de 3,5 tonnes n’étant pas concernés par la directive sur le sujet. Si le seuil d’application de l’écotaxe est fixé à 3,5 tonnes, les transporteurs s’équiperont de véhicules utilitaires légers.

Le trajet moyen d’un poids lourd en France, tous types de transport inclus, y compris international, est effectivement de 115 kilomètres. Imaginez quelle serait la perte de recettes si l’écotaxe n’était due que pour les trajets supérieurs à 120 kilomètres par exemple ! Celle-ci n’aurait alors pas grande utilité, car le transport international sur les longues distances ne représente qu’une faible part du transport.

Si l’on exonère de surcroît les trajets inférieurs à 50 kilomètres, on risque de multiplier les effets de seuil. Les transporteurs s’équiperont de véhicules utilitaires d’un tonnage inférieur à 3,5 tonnes et leur feront faire des relais de moins de 50 kilomètres, de façon à échapper à l’écotaxe. Ce double effet de seuil aboutirait paradoxalement à générer du trafic supplémentaire.

M. Jean Grellier. Les secteurs d’activité que vous représentez, messieurs, ont-ils l’expérience des dispositifs similaires ou approchants, aujourd’hui en vigueur en Allemagne, en Autriche ou encore en Suisse ? Si oui, quelles leçons en tirez-vous ?

M. Hugues Pouzin, directeur général de la Confédération française du commerce interentreprises. Madame Sas, on invoque souvent l’expérience allemande. Mais qu’en est-il exactement ? En Allemagne, l’écotaxe s’applique sur les autoroutes, si bien que les usagers concernés ne sont pas du tout les mêmes qu’ils le seraient dans notre pays. Avec le système tel que prévu aujourd’hui, un camion traversant la France pour se rendre de Belgique en Espagne n’acquitterait pas d’un seul centime d’écotaxe. L’objectif parfois invoqué de faire payer les camions étrangers ne serait donc pas atteint.

Parmi les trois principaux objectifs avancés pour justifier l’écotaxe, il y a tout d’abord un argument écologique. Ensuite, a-t-on dit, la taxe devrait favoriser le report modal, mais celui-ci n’a de sens que pour des trajets supérieurs à 300 kilomètres. Or, comme cela vient d’être justement rappelé, le trajet moyen d’un poids lourd en France ne dépasse pas 120 kilomètres. Un dernier argument est que la taxe éviterait que les camions ne circulent à vide. Mais soyez assurés que les professions que nous représentons ont déjà le souci que leurs camions ne roulent pas à vide, car cela coûte cher.

Je laisse Philippe Barbier vous parler plus en détail du commerce B to B.

M. Philippe Barbier, président du directoire du groupe Pomona. En quoi consiste exactement notre métier ? Un grossiste-distributeur est un négociant, qui achète des produits qu’il revend et souvent livre à ses clients. Nous intervenons donc de professionnel à professionnel, B to B. C’est d’ailleurs pourquoi nous ne pouvons évaluer l’impact de l’écotaxe sur le panier de la ménagère. Nous livrons des cantines scolaires, des maisons de retraite, des prisons, des unités de l’armée, des restaurants, des brasseries…

Parce qu’ils achètent pour revendre, nos professionnels sont concernés à double titre. D’une part, en amont, en tant qu’acheteurs qui font appel à des transporteurs. À ce titre-là, leurs réactions se rapprochent de celles des chargeurs et ils ne comprennent pas la majoration qui sera applicable. D’autre part, en aval, et c’est là une particularité de notre profession que nous avons eu beaucoup de mal à faire comprendre, ils assurent du transport pour compte propre en livrant à leurs clients les marchandises achetées. Une des caractéristiques de notre profession est l’atomisation de ses clients. Pomona, qui réalise 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires, compte 125 000 clients : ce matin, 1 600 camions Pomona de 16 ou 19 tonnes sont partis pour livrer chacun une quinzaine de clients au cours leur tournée, soit quelque 25 000 à 26 000 livraisons. Il faudrait que nous répercutions autant que possible l’écotaxe payée en amont sur le prix de nos produits, ce qui impacterait non pas le panier de la ménagère, mais nos clients finaux, comme les restaurants ou les cantines – dans ce dernier cas, pour autant que les dispositions du code des marchés publics le permettent, ce qui n’est pas le cas actuellement. Pour l’aval, la difficulté est que notre profession n’ayant pas été considérée comme transporteur, elle n’aurait pas le droit de répercuter l’écotaxe, quand bien même nous trouverions le moyen pratique de le faire. L’individualisation serait en effet un casse-tête insoluble, vu que chacun de nos camions transporte des marchandises destinées à être livrées à une quinzaine de clients différents, le poids livré n’étant bien sûr pas le même pour chacun d’entre eux.

Notre profession, sans doute parce qu’elle est méconnue, a été l’oubliée en cette affaire. Sa position a été comprise lorsque nous l’avons exposée dans les différents ministères, mais on a nous a, hélas, répondu que nous étions une innocente victime collatérale. On nous a même dit une fois que nous avions la malchance d’être « un effet de bord » (side effect) !

M. Philippe Gruat, directeur général adjoint du groupe Point P. Le secteur de la distribution des produits du bâtiment et des travaux publics représente environ 70 milliards d’euros. Notre métier va de la livraison de granulats coûtant trois à quatre euros la tonne jusqu’à celle de produits finaux comme les papiers peints et les peintures. Le groupe Point P, assez caractéristique des métiers du secteur, vend pour un peu plus de 7 milliards d’euros de marchandises, dont la moitié seulement est livrée, l’autre moitié étant enlevée directement par les clients dans les points de vente Point P, mais aussi Cedeo, Brossette, Dispano, Pum Plastiques … Les marchandises livrées sur les chantiers le sont soit par des camions circulant pour notre compte propre – c’est de plus en plus rare –, soit par des transporteurs externes, dont les camions peuvent d’ailleurs porter notre enseigne, mais qui nous facturent la prestation du transport.

Dans les marchés publics ou avec les grandes entreprises, nos prix s’entendent nets, « franco de port ». Il ne nous est pas possible de répercuter les frais de transport de manière séparée, sans compter que nos engagements nous interdisent de les augmenter en cours d’année.

À côté de cette activité « aval », nous avons une logistique « amont » considérable. Nous nous approvisionnons en effet directement auprès des usines pour mettre ensuite à disposition des entreprises de bâtiment et de travaux publics la gamme la plus large possible de produits.

Pour avoir, au cours de ma carrière, travaillé dans d’autres pays d’Europe, notamment en Suisse, je puis témoigner que ce pays a la chance de disposer d’un réseau ferroviaire adapté à proximité des villes, ce qui permet, d’une part d’approvisionner par le rail les chantiers en matériaux lourds, d’autre part de récupérer par ce même moyen de transport les déchets secondaires du bâtiment, et ce avec une remarquable efficacité sur de très courtes distances. En France, lorsque je travaillais pour le groupe Lafarge, 400 péniches naviguaient sur la Seine afin de livrer des granulats pour le compte du groupe. Si ce transport par voie d’eau a rencontré un grand succès en région parisienne, le succès a été moindre en Rhône-Alpes et dans l’Est. Lorsque les infrastructures et le contexte social le permettent, le transport fluvial et le transport ferroviaire peuvent être remarquablement efficaces.

M. Marc Hervouët. À côté des grossistes de l’agro-alimentaire et du bâtiment, il y a aussi des grossistes en produits chimiques ou encore en produits pharmaceutiques, qui doivent répondre au mieux aux attentes de leurs clients. Nous assurons aujourd’hui des services qui étaient autrefois assurés par les services centraux des hôpitaux. Aujourd’hui, un grossiste peut être amené à livrer trois fois dans la même journée des médicaments ou du matériel opératoire à la demande d’un hôpital. En effet, pour les raisons que vous savez, il n’y a plus de stocks dans ces établissements. Et pour que soit garantie la continuité des soins, celui qui désormais effectue le service au moment nécessaire, c’est le grossiste – tout cela bien sûr au détriment du bilan carbone.

Par ailleurs, dans nos métiers, il est exclu qu’un camion de 19 tonnes soit remplacé par six ou sept camions de 3,5 tonnes, car cela aurait un coût exorbitant. Notre intérêt économique est que nos camions soient le plus remplis possible au début de leur tournée.

On ne pourra pas éluder la question de l’objectif véritable de l’écotaxe. Au départ, il devait s’agir d’une taxe écologique. Or, on nous dit aujourd’hui qu’elle est destinée à financer des infrastructures.

M. Gilles Savary.  Cela n’engage que moi.

M. Marc Hervouët. À lire la presse, j’ai cru comprendre que non. Si l’objectif de cette taxe n’est pas clair, l’image en sera nécessairement brouillée pour ceux qui y seront assujettis en même temps que le dispositif sera plus complexe. Sans doute existe-t-il d’autres moyens de financer les infrastructures de transport. Comment ne serait-on pas, en tant que professionnel et en tant que citoyen, perplexe à l’égard d’une taxe destinée à financer les infrastructures et dénommée « écotaxe » ?

M. Gilles Savary. Comment pouvez-vous à la fois expliquer combien il serait difficile, voire impossible, de répercuter la taxe pour un trajet comportant 20 ou 25 arrêts correspondant à des livraisons et dire ne pas comprendre le choix qui a été fait de la majoration forfaitaire ? On ne comprend pas bien votre raisonnement.

M. Marc Hervouët. Le plus souvent, nous répondons à des appels d’offre. Nous fournissons des hôpitaux, des cantines scolaires, des bâtiments officiels comme l’Elysée, etc. Les bordereaux de prix unitaire (BPU) des appels d’offre nous lient pour trois ans pendant lesquels il nous est impossible de modifier nos prix. Nous ne pourrions donc pas répercuter l’écotaxe. Par ailleurs, il serait sans doute possible d’en individualiser le coût par quantité fournie à chaque livraison pour les grands groupes, mais cela serait beaucoup plus difficile pour les petites entreprises qui, je le répète, font du commerce et pas du transport, et cela serait beaucoup de travail pour elles. Ce serait indirectement donner une prime aux plus gros.

M. Gilles Savary. C’est pourquoi ce n’est pas l’option qui a été choisie.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Nous avions cru déceler une contradiction dans votre intervention, monsieur Hervouët.

Si je comprends bien, en matière de transport pour compte propre, certaines entreprises pensent être en mesure d’individualiser le montant que représente l’écotaxe pour certains clients et souhaiteraient pouvoir l’indiquer en pied de facture. Pour d’autres, cela paraît difficile. Est-ce bien cela ?

M. Philippe Barbier. Il n’est pas possible sur le plan technique de l’individualiser. Chez tous les grossistes et dans tous les secteurs, le prix du transport est inclus dans le prix du produit.

Encore plus que les transporteurs, qui ont plaidé pour une répercussion forfaitaire, les grossistes auraient du mal à procéder à une individualisation, puisqu’ils cherchent à optimiser le chargement de leurs camions, ce qui préserve d’ailleurs l’environnement. Lorsqu’ils disent leur incompréhension de la répercussion forfaitaire prévue par la loi Cuvillier, ils se placent en amont, en tant que chargeurs ayant recours à des transporteurs. En revanche, lorsqu’ils se placent en aval, en tant que transporteurs pour compte propre, ils souhaiteraient pouvoir répercuter la taxe, si l’on parvenait à trouver un moyen le permettant. Mais hélas, la majoration là encore ne pourrait être que forfaitaire.

Au départ, les pouvoirs publics ont expliqué que l’écotaxe visait à favoriser le report modal. Mais pour les 1 600 camions de Pomona, qui ont quitté ce matin quelque 50 entrepôts dans des villes moyennes de province, pour faire chacun une tournée de 70-80 kilomètres, aucun report modal n’est possible. Pas de tramway, pas de train, pas de péniche de substitution !

M. Marc Le Fur. C’est à la demande de la Fédération nationale du transport routier (FNTR) que le forfait a été imaginé. Mais la FNTR ne demande plus de forfaitisation, puisqu’elle refuse maintenant le principe même de l’écotaxe, comme certaines de ses fédérations régionales l’ont déjà fait.

Votre profession, messieurs, est doublement victime. Elle ne peut pas forfaitiser. Son métier est pour l’essentiel de la logistique, sans qu’il y ait assimilation aux transporteurs. Il n’existe pas de mode de transport alternatif pour certains produits du bâtiment, notamment ceux vendus quelques euros la tonne. A-t-on observé ces dernières années une augmentation du fret pour ces pondéreux ?

M. Gilles Savary.  Ce n’est pas le sujet !

M. Marc Le Fur. Si. C’en est au contraire le cœur, car on nous a « vendu » l’écotaxe comme le moyen de favoriser les modes de transport alternatifs à la route. Or, le report modal n’est envisageable que pour des trajets dépassant 300 ou 400 kilomètres. Le transport de pondéreux par voie ferroviaire ou fluviale a-t-il progressé ces dernières années ?

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. J’admire l’agilité intellectuelle de notre collègue Marc Le Fur !

M. Gilles Savary. Je suis d’accord avec lui sur le report modal. Comment imaginer que des trains pourraient livrer jusqu’au dernier kilomètre ? Seul M. Borloo, lequel soit dit au passage était fort croyant et très peu pratiquant en matière de transports, pouvait y croire.

Mais le problème est financier. Toutes tendances politiques confondues, on s’est félicité en 2004 de la création de l’AFITF, dotée de ressources affectées pérennes pour financer les infrastructures routières, ferroviaires et de transports collectifs.

C’est l’appellation inappropriée d’ « écotaxe » qui est source de confusion. L’État étant conduit à se désengager de manière massive, afin de réaliser les économies budgétaires nécessaires, il faut bien compenser les recettes qu’il n’apportera plus. Tel est l’objectif de cette taxe « utilisateur-payeur ».

M. Marc Le Fur. Les professions que nous auditionnons aujourd’hui n’utilisent pas les tramways. Et pourtant, elles paieront pour !

M. Gilles Savary. L’AFITF finance également des infrastructures routières, comme aujourd’hui la rocade de Marseille.

Si je vous ai bien compris, messieurs, vous êtes défavorables à l’écotaxe, mais si celle-ci était maintenue, vous souhaiteriez que votre profession puisse la répercuter de manière forfaitaire, adaptée à vos contraintes mais sans les lourdeurs bureaucratiques. J’ai entendu vos difficultés à la répercuter dans le cadre de contrats pluriannuels où les prix ne peuvent être modifiés. Nous regarderons si plus de souplesse ne serait pas possible : mise en œuvre progressive de la taxe dans le transport pour compte propre, adaptation des dispositions du code des marchés publics.

M. Hugues Pouzin. Nous serions favorables à une majoration forfaitaire. Mais cela n’est pas possible dans le dispositif tel qu’il est conçu aujourd’hui. Et cette profonde injustice est très mal ressentie. Alors que 90% des entreprises de commerce de gros comptent moins de vingt salariés, imaginez la complexité administrative qui résulterait de tout cela pour ces PME et les investissements informatiques qu’elles seraient obligées de faire ! Dans notre secteur, les mini-taxes ne cessent de s’accumuler. À chaque fois, nos entreprises doivent revoir tous leurs logiciels, ce qui coûte cher, et adapter leur organisation interne, comme après l’instauration de la contribution écologique sur le mobilier, dite taxe sur les meubles, chaque meuble devant maintenant être pesé. Elles n’en peuvent plus ! Pour que l’écotaxe soit acceptable, il faut revenir à un dispositif plus simple avec, comme certains l’ont proposé, une contribution assise sur une base suffisamment large.

M. Gilles Lurton. Une répercussion forfaitaire est-elle possible pour les produits livrés « franco de port » ?

M. Marc Hervouët. En l’état actuel des textes, non. Il faudrait donc trouver des aménagements.

M. Jean Grellier. Vous n’avez pas répondu à ma question sur votre expérience éventuelle dans les pays voisins où des dispositifs similaires à l’écotaxe sont en vigueur.

M. Marc Hervouët. En tant qu’opérateurs, nous n’avons pas d’expérience à l’international. À l’exception de quelques grands groupes, au demeurant nationaux, la majorité de nos entreprises sont des TPE.

M. Philippe Barbier. Dans les pays voisions où nous intervenons, comme en Suisse et en Espagne, il n’existe pas de taxe analogue sur la distribution de proximité. En Allemagne, ce sont les transports longue distance qui sont taxés. Pour nos professions, la difficulté est triple, parce que nous effectuons pour compte propre de courts trajets de 70 à 80 kilomètres, et pour l’essentiel sans emprunter les autoroutes.

La taxation des trajets sur le périphérique parisien est un exemple de fausse bonne idée. L’effet pervers en sera que les camions auront intérêt à traverser Paris pour ne pas payer l’écotaxe !

M. Gilles Savary. Si le ministère des transports n’a pas accepté que vous puissiez répercuter l’écotaxe, c’est vraisemblablement parce que vous n’êtes pas prestataires de transport et que le prix du transport n’est pas dissociable du prix des produits. L’écotaxe ne pourrait pas figurer en pied de vos factures parce que vous ne facturez pas le transport. Mais ne pourriez-vous pas la répercuter, de manière furtive dirais-je, dans le prix des produits que vous livrez ?

M. Marc Le Fur. Si on se place dans une optique de facturation vers l’aval, pourquoi ne pas imaginer d’autres recettes en aval, comme les 2,5 milliards d’euros de CICE versés à la grande distribution ? Je souhaiterais que notre mission d’information étudie le sujet.

M. Hugues Pouzin. Nos marchés sont très concurrentiels. Notre principale concurrence vient du cash and carry. Le propriétaire d’une brasserie va, par exemple, chercher lui-même ses caisses de boissons. Et, lui, parce qu’il utilisera un véhicule personnel léger, ne paiera pas l’écotaxe. Nous en sommes vraiment au centime près sur le prix final des produits –on nous appelle d’ailleurs les « centimiers » ! Quand bien même nous aurions le droit de répercuter l’écotaxe, les clients le refuseraient. C’est bien pourquoi notre situation est intenable. Et nous ne pouvons pas rogner sur nos marges, déjà très faibles.

M. Gilles Savary. Les utilitaires de moins de 3,5 tonnes de vos clients peuvent en effet faire concurrence à vos camions.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Les livraisons par tournée que votre profession assure sont plus vertueuses sur le plan environnemental que le cash and carry. Cela doit nous faire réfléchir.

Comme je l’ai dit au début des travaux de notre mission, pour redonner du sens à l’écotaxe, il faut savoir très précisément quels sont ses objectifs. Il est vrai que si l’objectif était unique, le dispositif serait plus lisible. Mais il y en a plusieurs. Et sur ce point, je partage votre avis : on a trop « vendu » l’écotaxe en expliquant qu’elle visait à favoriser le report modal. C’est une erreur de communication.

Messieurs, nous vous remercions pour la qualité de cette audition qui enrichira nos réflexions sur le sujet.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur l'écotaxe poids lourds

Réunion du mercredi 26 février 2014 à 11 heures

Présents. - Mme Sylviane Alaux, M. Jean-Paul Chanteguet, Mme Françoise Dubois, M. Jean Grellier, M. François-Michel Lambert, Mme Viviane Le Dissez, M. Marc Le Fur, M. Gilles Lurton, M. Olivier Marleix, M. Yannick Moreau, Mme Eva Sas, M. Gilles Savary, M. Jean-Marie Sermier, M. Éric Straumann

Excusés. - M. Joël Giraud, M. Jean-Pierre Gorges, M. Hervé Pellois