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Mercredi 9 avril 2014

Séance de 11 heures 30

Compte rendu n° 20

Présidence M. Jean-Paul Chanteguet, Président

– Audition, ouverte à la presse, du Collectif des acteurs économiques bretons, représentés par MM. Joël Chéritel, chef de file, président du MEDEF Bretagne, Frédéric Duval, délégué général du MEDEF Bretagne, Thierry Coué, président de la FRSEA, Vincent Frostin, vice-président de la FNTR Bretagne, Jean Bernard Solliec, vice-président de l’Association bretonne des entreprises agroalimentaires et Xavier Roux, administrateur de Nutrinoë (nutrition animale) chargé de la logistique et directeur logistique du Gouessant 2

Mission d’information
sur l’écotaxe poids lourds

M. Marc Le Fur. Monsieur le président, quatre mois après le début de nos travaux, je me réjouis de voir enfin auditionnés les représentants économiques d’une région particulièrement concernée par l’objet de notre mission d’information.

Un nouveau gouvernement a par ailleurs été constitué, et je comprends parfaitement que cet élément puisse avoir des incidences sur le calendrier de nos travaux. Mais en tout état de cause, il me paraît indispensable d’entendre rapidement la nouvelle ministre de l’écologie, Mme Royal, dont les propos récents sur l’écotaxe poids lourds peuvent être jugés encourageants.

M. le président et rapporteur Jean-Paul Chanteguet, Je rappelle que l’Assemblée nationale a suspendu ses travaux pour cinq semaines, pendant lesquelles notre mission n’a pas pu tenir de réunion publique. Pour autant, le calendrier de nos travaux n’est pas du tout modifié par la nomination d’un nouveau gouvernement : le rapport sera comme prévu présenté avant la fin du mois d’avril.

Nous accueillons aujourd’hui une délégation du Collectif des acteurs économiques bretons, conduite par M. Joël Chéritel, le président du MEDEF-Bretagne.

Comme l’indique l’appellation que vous avez choisie, messieurs, le Collectif fédère des organisations professionnelles et syndicales de différents secteurs. Par cette initiative, elles entendent faire valoir auprès des pouvoirs publics les revendications des milieux économiques au sein d’un territoire qui a une forte tradition d’expression publique.

Historiquement, on rappellera qu’au niveau national votre région a déjà su exprimer ses revendications, au travers d’un véritable lobby breton – sans qu’il me vienne à l’idée de donner à cette expression la moindre connotation péjorative.

En effet, à partir de 1950 et durant trois décennies, des responsables économiques et sociaux ont animé, avec des élus, le Comité d’étude et de liaison des intérêts bretons, le CELIB. Celui-ci a joué un grand rôle pour faire avancer l’idée de régionalisation en France, mais aussi pour améliorer l’équipement de votre région, et notamment son réseau routier.

Ce dernier point me permet de faire le lien avec le thème des réflexions de notre mission : l’écotaxe. Je rappelle que le produit de l’écotaxe doit principalement abonder le budget de l’AFITF, l’Agence de financement des infrastructures de transport de France, le reste devant être partagé entre les départements. En effet, la modernisation du réseau routier s’inscrit au cœur des missions de cet établissement public national et de ces collectivités territoriales.

Aujourd’hui, de nombreux projets, parfois urgents, sont reportés en raison de la suspension de l’écotaxe qui devait entrer en vigueur au 1er janvier 2014.

Dans un communiqué de presse du 5 février dernier, votre collectif a tenu à réaffirmer sa « totale opposition à toute mise en œuvre de l’écotaxe ».

À notre connaissance, votre région a pourtant fait l’objet d’une attention particulière de la part des pouvoirs publics. Ainsi, des études consacrées aux impacts de l’écotaxe sur l’économie bretonne ont été conduites par les ministères. De plus, un rabais progressivement porté à 50 % a été consenti à la Bretagne. En conséquence, alors que de premières études évaluaient à 112 millions d’euros le prélèvement annuel sur le réseau taxable breton, il ne serait plus que de 42 millions d’euros dans le cadre réglementaire actuel.

Sans tenter ici d’opposer les régions françaises entre elles, d’autres parties de notre territoire auraient sans doute apprécié de pouvoir bénéficier d’un traitement analogue, au demeurant rare en matière de fiscalité.

Je précise que j’ai rencontré, il y a quinze jours, le président du conseil régional, Pierrick Massiot, et son vice-président en charge des transports, Gérard Lahellec. Il était donc nécessaire d’entendre aussi vos arguments, plus particulièrement ceux concernant une élévation des coûts de commercialisation qui pénaliserait tout spécialement la compétitivité des entreprises bretonnes.

Certains observateurs pensent que l’écotaxe n’a été que le révélateur des difficultés de certaines entreprises, notamment dans l’agroalimentaire, qui représente une part importante de l’économie bretonne. Cette situation s’est conjuguée avec le malaise perceptible depuis plusieurs années chez de nombreux transporteurs au sein d’entreprises familiales, voire de PME.

Votre audition doit permettre de dépasser une présentation des faits qui, nous pouvons le dire, a pu parfois paraître caricaturale ou excessive à certains.

Pour lever les incompréhensions et récuser toute polémique qui n’a pas lieu d’être sur un tel sujet, il nous faut comprendre les causes de votre mécontentement, que nous savons profond, et dont nous ne mettons pas en doute la sincérité.

M. Joël Chéritel, président du MEDEF-Bretagne. Je tiens à vous remercier d’avoir accepté de recevoir le Collectif des acteurs économiques bretons qui, depuis sa création, le 12 janvier 2009, se mobilise sans relâche sur la question cruciale de l’écotaxe.

Permettez-moi de présenter la genèse de ce collectif et de revenir sur ce qui a motivé les événements de l’automne dernier, afin de mieux vous faire comprendre les raisons de notre opposition à l’écotaxe. J’espère que vous percevrez dans mes propos la sincérité, l’expertise, et le respect de nos institutions, à commencer par celle que vous représentez. Nous savons que vous avez débattu de l’opportunité de nous recevoir. Je tiens à préciser que nous avons toujours inscrit notre action dans le cadre des lois de la République. Nous pensons que notre analyse du sujet peut utilement compléter votre connaissance et votre appréciation du dossier : à nous de faire en sorte qu’à la fin de cette audition, vous ne regrettiez pas de l’avoir organisée…

Notre action sur l’écotaxe a débuté à la mi-2008, lorsque nous avons compris qu’une nouvelle taxe poids lourds allait être créée qui aurait pour effet de pénaliser notre économie. En septembre, le MEDEF-Bretagne a écrit au ministre d’État en charge du dossier, sans recevoir de réponse. Nous avons ensuite été reçus, ici même, par plusieurs députés, puis par des sénateurs. Grâce à la mobilisation de plusieurs parlementaires de la majorité et de l’opposition, le ministère a commencé à nous entendre. Et, à force de combativité, nous avons obtenu quelques aménagements, dont la minoration de 25 % de l’écotaxe sur les routes finistériennes.

Estimant que cela n’était pas suffisant, nous avons décidé de réunir, le 12 janvier 2009, les présidents des organisations de représentation économique en Bretagne. Notre logistique s’est retrouvée dépassée par le succès : étaient présents tout ce que la région compte de présidents d’organisations professionnelles – représentants du monde agricole, de la pêche, des transporteurs, des entreprises de la métallurgie, présidents des chambres de commerce et d’industrie ou de chambres d’agriculture.

Ce jour-là, nous avons pris trois décisions : créer le Collectif des acteurs économiques bretons contre l’écotaxe ; recourir à une liberté publique, le droit de manifester
– d’où la manifestation à La Gravelle, là où les routes cessent d’être payantes ; appeler cette taxe du nom du ministre qui nous avait jusqu’alors traités avec indifférence.

Puis, le 4 février, alors que la Bretagne était sous la neige et le verglas, nous avons maintenu avec succès notre manifestation, qui a réuni environ 2 000 chefs d’entreprise, mais aussi des agriculteurs, des salariés, au point de nous valoir les honneurs de la presse étrangère.

Devant la réussite de cette manifestation, Jean-Louis Borloo s’est dit disposé à discuter. Je dois d’ailleurs souligner qu’il a fait alors preuve d’une grande compréhension et d’une réelle capacité d’ouverture et d’écoute. Grâce à nous, il a en effet véritablement découvert certains aspects de la future taxe.

Le 6 mars, nous avons été reçus à Matignon. Il a ainsi été décidé d’« objectiver » l’impact d’une mise en œuvre de l’écotaxe sur l’économie bretonne, sachant que nous restions totalement opposés à une telle initiative. Un cycle de réunions techniques s’est déroulé au ministère de mars à la fin du mois d’avril, avec une dernière réunion de négociations avec le ministre d’État, le 14 mai 2009.

Nous sommes alors convenus des aménagements suivants : 40 % de minoration de l’écotaxe sur les routes bretonnes – et non pas seulement celles du Finistère ; pas d’écotaxe sur les routes dont le trafic était inférieur à 800 poids lourds par jour avant l’entrée en vigueur ; exonération pour la collecte de lait ; minoration pour abonnement.

Notre collectif a validé ces aménagements, ce qui ne signifie pas qu’il acceptait le principe même de l’écotaxe. En effet, dans le contexte de l’époque, ce compromis paraissait constituer une première reconnaissance de la légitimité de notre combat, le temps que les agriculteurs, les pêcheurs, les chefs d’entreprise prennent conscience du caractère préjudiciable du projet pour notre économie. Les jeux étaient donc loin d’être faits, mais, à ce stade, ce qui était à prendre devait être pris !

Cela m’amène à la raison principale qui a motivé les manifestations de l’automne dernier en Bretagne. Elle tient au fait que cette taxe est avant tout un surcoût, via la majoration forfaitaire obligatoire – sous peine de 15 000 euros d’amende –, pour nos activités de production : agriculture, agroalimentaire, industrie, bâtiment, etc. Or nos agriculteurs, nos artisans, nos chefs d’entreprise perçoivent bien à quel point notre économie de production a perdu en compétitivité, à quel point elle a perdu des parts de marché, à quel point elle se meurt.

L’arrivée de l’écotaxe a coïncidé avec la perte de plusieurs centaines d’emplois dans notre industrie agroalimentaire, particulièrement dans le Finistère. N’est-elle pas le reflet de la perte de compétitivité de l’appareil productif national ?

Le rapport Gallois du 5 novembre 2012 contient à cet égard des phrases très fortes : « Toutes les analyses récentes convergent vers un même constat : l’industrie française atteint aujourd’hui un seuil critique au-delà duquel elle est menacée de déstructuration » ; « L’affaiblissement de l’industrie française se traduit par des pertes de parts de marché considérables à l’exportation » ; « Les drames industriels, que la presse évoque tous les jours, émeuvent à juste titre l’opinion publique et lui donnent le sentiment que l’industrie “fout le camp” et, pire, que c’est irrémédiable ». M. Louis Gallois rappelle d’ailleurs que la France a perdu 2 millions d’emplois en trente ans, c’est-à-dire 700 000 tous les dix ans.

Cette perte est d’autant plus accentuée que nous ne pouvons plus procéder aux dévaluations compétitives depuis que la France a décidé de ratifier le Traité de Maastricht portant création de l’euro.

Notre pays a-t-il pris, à l’instar d’autres comme l’Allemagne, les dispositions nécessaires pour rendre ses entreprises compétitives et leur permettre d’aborder dans des conditions satisfaisantes la concurrence liée à la monnaie unique ? La réponse est non. Comme l’écrit Monsieur Gallois, nos coûts de production ont augmenté plus rapidement que ceux de nos concurrents qui vendent avec la même monnaie. Les prélèvements obligatoires qui pèsent sur les entreprises françaises sont de 300 milliards d’euros, contre 200 milliards pour les entreprises allemandes ! C’est une situation intenable dans la mesure où nous sommes en concurrence frontale sur 85 % de nos produits.

C’est pour cette raison que le Président de la République a proposé le Pacte de responsabilité, fondé sur un principe simple, celui d’alléger les charges des entreprises, de réduire les contraintes sur leurs activités. « Pourquoi ce pacte ? », demandait-il. « Parce que le temps est venu de régler le principal problème de la France : sa production. Oui, je dis bien sa production. Il nous faut produire plus, il nous faut produire mieux. » De toute évidence, l’écotaxe est incompatible avec de tels propos empreints de réalisme.

Nos marges sont aujourd’hui de 40 % inférieures à celles des entreprises allemandes. Pour compenser, nos entreprises se sont lourdement endettées : leur taux d’endettement moyen est de 140 %, contre 80 % en Allemagne. En outre, l’excédent commercial allemand est de 190 milliards d’euros, tandis que notre déficit commercial est de 69 milliards d’euros. Nous pourrions continuer à aligner ainsi les statistiques. Et c’est dans un tel contexte qu’il faudrait infliger aux entreprises l’écotaxe et la majoration de prix qu’elle entraîne ?

Nos chefs d’entreprise, nos agriculteurs perçoivent chaque jour que nos lois et règlements ne leur permettent plus de lutter à armes égales : excès d’impôts, de taxes, de cotisations sociales, de contraintes administratives etc. L’écotaxe concentre tous ces travers, jusque dans la comparaison avec l’Allemagne. Avant que nos autoroutes soient privatisées, il existait en effet en France une écotaxe comparable à celle qui est appliquée en Allemagne, puisque le produit des péages payés par les poids lourds était alors affecté à l’AFITF. Faute d’avoir réclamé le versement d’une redevance annuelle à l’Agence, le gouvernement de l’époque a privé cette dernière de ressources pérennes.

Il a ensuite été décidé de créer une taxe sur le réseau infra-autoroutier non concédé. Si elle était mise en œuvre, le linéaire français à péage poids lourds, cumulant péages autoroutiers et écotaxe, aurait une longueur sans précédent et sans équivalent, bien supérieur au réseau taxable allemand.

Entre 1980 et 2013, notre endettement public est passé de 20 % à 93,5 % du PIB
– de 70 milliards à 1 925 milliards d’euros en valeur. Dans le contexte de l’euro, et compte tenu du mandat de la BCE, Banque centrale européenne, notre perte de compétitivité, doublée de déficits structurels excessifs et d’un endettement public abyssal, place la France dans une situation grave et dangereuse. Voilà ce que ressentent pleinement ceux qui se sont mobilisés en Bretagne à l’automne. L’écotaxe est au confluent de ces échecs collectifs, à la fois économiques et sociaux. Comme l’a dit un intervenant au cours d’une audition précédente, « le plus grave, dans l’écotaxe, c’est qu’elle décourage la production en France ».

Les transporteurs français perdent sans cesse des parts de marché sur leurs concurrents. Leur résultat représente au mieux 1 % de leur chiffre d’affaires, contre 5 % pour l’écotaxe. On comprend dès lors le danger qu’elle constitue pour eux. Ils ont l’obligation de la répercuter, sous peine d’une amende de 15 000 euros, ce qui signifie majorer le prix de leur facture de 5,2 % pour tout transport interrégional et de 2,1 à 7 % pour les transports intrarégionaux. Dès lors, le prix de tout transport, qu’il transite ou non par une route soumise à la taxe, sera majoré de 5,2 % en moyenne.

En ce qui concerne la Bretagne, le linéaire routier taxable représente 10 % du réseau national, alors que la région ne réalise que 4,3 % du PIB français. En ce sens, la minoration de 50 % ne fait que ramener la Bretagne dans la moyenne.

Nous avons par ailleurs été très surpris de constater une forte augmentation entre les taux de majoration forfaitaire annexés au projet de loi du printemps 2013 et ceux fixés par le décret de fin juillet 2013. Cette hausse concerne toutes les régions : le taux applicable à la région de Champagne-Ardenne est passé de 3,7 % à 5,1 %, celui de la Basse-Normandie de 3,2 à 4,3 %, et celui des Pays-de-la-Loire de 2,6 à 3,6 %. En moyenne, l’augmentation va de 34 à 38 % ! Alors que le ministère nous avait assuré que les taux avaient été calculés avec justesse, nous ne comprenons pas qu’ils aient pu connaître un tel bond en quelques mois. Il ne s’agit pas ici de contester la demande d’équivalence écotaxe, majoration dont les transporteurs ont besoin, mais la variabilité d’un calcul annoncé d’abord comme juste avant d’être substantiellement modifié par la suite.

Au passage, vous observerez qu’avec un taux de majoration de 3,7 %, la Bretagne est loin d’être la mieux lotie : elle paye même 80 % de plus que la région la moins pénalisée. Son taux de majoration se situe entre ceux des régions Centre et Auvergne : est-ce juste, compte tenu du caractère périphérique de notre région, en l’espèce reconnu par la loi ?

Un autre point capital est le coût que représente l’écotaxe pour notre économie de production. Elle est censée rapporter 800 millions d’euros à l’AFITF et 130 millions aux collectivités locales, soit un total de 930 millions d’euros. Comme cela a été indiqué lors d’auditions précédentes, il est attendu un report de trafic vers les autoroutes à péage estimé par l’État à au moins 300 millions d’euros. Une majoration forfaitaire de 0,3 point – soit 70 milliards d’euros – doit compenser les lourdeurs et les complications administratives qui pèseront sur les transporteurs du fait de l’application de l’écotaxe. Le montant de la rémunération annuelle d’Écomouv’ est de 240 millions d’euros. Enfin, il convient d’ajouter à tout cela les 130 agents publics qui ont rejoint l’administration des douanes et seront affectés au traitement de l’écotaxe, ainsi que les 170 agents destinés à contrôler les véhicules taxés : ils coûteraient 18 millions d’euros.

Au total, l’écotaxe conduit donc à un surcoût de 1,558 milliard d’euros pour notre économie de production, pour seulement 930 millions de recettes. Cela représente un rendement de l’ordre de 60 %, quand la plupart des impôts français atteignent 97 % ! Dans un contexte de faible compétitivité de nos activités de production, une telle mesure apparaît suicidaire.

Lors de sa conférence de presse du 14 janvier sur le Pacte de responsabilité, le Président de la République disait ceci : « Ma volonté, c’est une modernisation de la fiscalité sur les sociétés et une diminution du nombre des taxes – qui coûtent d’ailleurs parfois plus cher à être recouvrées que ce qu’elles peuvent rapporter –, avec deux exigences : l’investissement et l’emploi. » J’en déduis que le Président condamnerait lui-même l’écotaxe s’il en connaissait tous les aspects. Cette taxe est d’autant plus mal vécue dans une région périphérique où elle tendrait à dégrader la compétitivité des productions excentrées.

Courant 2013, nous avons présenté le dispositif dans nos quatre départements bretons. Nous l’avons fait de façon objective, descriptive, factuelle. Les agriculteurs, artisans, chefs d’entreprise que nous avons rencontrés étaient dépités par le surcoût de production induit par la taxe, la complexité du système – avec portiques, bornes mobiles et pistolets de contrôle –, la redevance versée par Ecomouv’, le recrutement par ce dernier de 300 personnes pour gérer le dispositif – sans parler des agents publics précédemment évoqués –, le faible rendement de la taxe. Nous assistions ainsi à l’opposition de deux France : l’une qui produit, mais se sent incomprise et menacée ; l’autre capable d’inventer un système menaçant l’emploi, complexe et d’un coût exorbitant.

Nous avons écouté toutes les auditions précédentes. À plusieurs reprises, il a été dit qu’aucun report modal n’était attendu, compte tenu de l’expérience des pays étrangers. Rappelons que la performance économique – et donc sociale – de notre économie repose sur la rapidité, la réactivité, l’absence de stocks. Ainsi, la grande distribution commande le matin pour une livraison le soir. Même Hénaff, fabricant du célèbre pâté, dont la durée de conservation est d’environ neuf mois, doit livrer des points de vente de la grande distribution six fois par semaine ! De même, les usines de l’industrie automobile fonctionnent en flux tendus. Les sièges des Peugeot 508 sont acheminés à Rennes une heure avant d’être installés dans les véhicules en fabrication. Le camion permet cette souplesse, et l’économie profite de sa capacité à livrer à l’adresse souhaitée.

Pourtant, les entreprises bretonnes n’ont pas attendu le projet d’écotaxe pour développer les modes de transport alternatifs à la route. Depuis 15 ans, notamment, les entreprises bretonnes spécialisées dans la nutrition animale – dont le représentant, Xavier Roux, fait partie de notre délégation – acheminent plus de la moitié de leurs besoins extérieurs en céréales par le transport ferroviaire. Les transporteurs routiers, avec quelques chargeurs, ont créé en Bretagne la société Combiwest pour développer le transport ferroviaire des produits de leurs clients. Un intervenant a d’ailleurs rappelé qu’en 1975, le rail représentait 60 % du fret, contre seulement 11 % aujourd’hui – un résultat qu’il attribuait aux défaillances de l’opérateur historique.

Certains vont nous rétorquer que ces camions dégradent les routes et qu’ils doivent payer. Mais le transport routier est un service groupé et mutualisé qui profite à tous, y compris aux consommateurs et aux salariés. Ne détruisons pas cet atout. En outre, une étude d’un célèbre économiste des transports, Rémy Prud’homme, démontre que les entreprises génèrent des coûts d’usure des routes et de pollution bien inférieurs à ce qu’elles paient en impôts spécifiques liés à l’activité de transport. Plutôt donc que de mettre en place une écotaxe qui réduirait une fois de plus les marges des entreprises et empêcherait tout nouvel investissement, y compris dans la logistique alternative à la route, il serait préférable d’améliorer la performance du transport ferroviaire.

D’autres veulent taxer le transit et faire contribuer ces camions étrangers qui ne paieraient rien en France – telle était d’ailleurs la préoccupation à l’origine de l’idée d’écotaxe. Alors que nous avons construit l’Union européenne pour faciliter la circulation des personnes et des biens, une telle stigmatisation de l’étranger peut paraître quelque peu surprenante. Soyons cohérents : lorsque nous avons fait entrer dans l’Europe des pays tels que l’Espagne et le Portugal, nous savions que leurs marchandises circuleraient sur les routes de France.

Faut-il par ailleurs taxer 15 000 kilomètres de routes françaises et accroître nos coûts de production de plus d’un milliard et demi d’euros pour répondre au problème posé par le passage des camions étrangers en Alsace ? Ne vaudrait-il pas mieux imaginer un système de péage dans cette région, victime sans doute plus que d’autres de reports de trafic ?

En ce qui concerne l’environnement, nous avons été sensibles aux propos des professionnels de la construction automobile. La solution, en matière de pollution, nous semble résider dans la norme Euro 6, laquelle conduit les véhicules neufs à polluer 95 fois moins, en termes de particules émises, que ceux des années 1990 – au point que certaines voitures de cette époque polluent plus que des camions respectant la nouvelle norme.

Les professionnels vous l’ont dit : le barème de l’écotaxe n’est pas suffisant pour passer à l’acte, si bien que le renouvellement du parc de véhicules passe par l’adoption de mesures d’accompagnement. Celles-ci pourraient être prises sans que la nouvelle taxe ne soit appliquée.

Les auditions ont par ailleurs révélé à ceux qui en doutaient l’extrême fragilité économique de nos entreprises de transport. Or, contrairement à ce qu’affirment certains, l’écotaxe n’aurait pas un effet neutre selon qu’elle s’appliquerait aux entreprises françaises ou étrangères. En effet, la situation de ces dernières est bien meilleure. Leurs marges sont nettement supérieures. Elles pourront donc facilement neutraliser la majoration forfaitaire en réduisant le prix de base du transport, contrairement à leurs concurrentes françaises. L’écotaxe portera ainsi le coup de grâce au pavillon français, déjà dans une situation critique.

Selon un autre raisonnement largement diffusé, l’augmentation de coût induite par l’écotaxe sur le produit final sera faible, et donc sans conséquence. L’affirmation paraît séduisante mais manque cruellement de réalisme économique. En effet, nos entreprises sont soumises d’une part aux contraintes du pouvoir d’achat des consommateurs et, d’autre part, à une concurrence mondiale forte. Qui peut penser que l’augmentation des coûts de production sera répercutée sans difficulté sur la grande distribution ? Que les acheteurs finaux ou intermédiaires privilégieront un produit français rendu encore plus cher ? Personne. Tout coût supplémentaire, même minime, encourage l’achat de produits concurrents. Le nier, c’est nier tout raisonnement économique.

Concernant le renouvellement des infrastructures et leur financement, il manquerait donc 800 millions d’euros pour l’AFITF. Or la dépense publique a atteint en France un record de 57 % du PIB – 11 % et 220 milliards d’euros de plus qu’en Allemagne –, alors que nous sommes en concurrence frontale avec ce pays qui est à la fois notre premier fournisseur et notre premier client. Ne conviendrait-il pas de réaliser de vraies réformes structurelles pour trouver l’argent nécessaire au financement des infrastructures de transport ?

Nous avons procédé à un calcul très simple, consistant à majorer, pour les entreprises n’ayant pas de véhicule en propre, de 5,2 % leur facture de transport interrégional et de 3,7 % celle de transport intrarégional. Je signale au passage que les producteurs de produits agricoles et agroalimentaires transportés tous les jours vers Rungis vont payer une majoration forfaitaire sur l’intégralité du parcours. Ils cumuleront donc le péage autoroutier et la majoration obligatoire du prix de transport.

Nous avons sollicité une dizaine d’entreprises de l’industrie métallurgique et de l’agroalimentaire, sans effectuer un tri destiné à mettre en évidence les cas les plus extrêmes. Force est de constater que leurs chiffres sont cohérents, convergents et surtout éloquents. En effet, selon les cas, l’écotaxe ou la majoration de prix représente entre 30 et 100 % du montant du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi – CICE – qui leur est attribué. Ainsi, la mesure majeure de reconquête de la compétitivité de notre industrie serait amputée en moyenne de 50 % de ses effets. C’est un paradoxe, alors que le rapport Gallois, qui a inspiré la création du CICE, portait justement sur l’industrie.

L’écotaxe est véritablement un condensé de ce qu’il ne faut pas faire : renoncer à des recettes récurrentes en privatisant les autoroutes ; accroître, pour obtenir de faibles gains, les coûts de production d’un appareil productif déjà très dégradé ; créer une taxe au profit d’infrastructures que l’on est désormais incapable de financer – malgré les 1 150 milliards d’euros de dépenses publiques ; créer un système d’une complexité inouïe, requérant 300 agents publics dédiés pour un rendement de seulement 60 %.

L’un d’entre vous, lors d’une audition, a d’ailleurs prononcé les mots suivants : « Plus je vous entends, plus je me demande dans quels draps nous nous sommes mis. J’ai un peu honte d’avoir voté la taxe ».

Avant d’être une mesure environnementale, l’écotaxe est une mesure récessive : elle augmente les coûts de production de plus de 1,5 milliard d’euros. Notre nouvelle ministre de l’environnement l’a quant à elle qualifiée, il y a seulement quelques jours, de « punitive ». Nous nous demandons combien d’emplois elle nous fera perdre …

Par écotaxe, il ne faut donc pas entendre « taxe pour l’écologie », mais bien « taxe contre l’économie ».

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. En vous écoutant, ce que j’ai fait avec beaucoup d’intérêt, je me suis demandé si vous exprimiez la position des transporteurs routiers, celle des chargeurs, ou celle du secteur agroalimentaire, voire celle des consommateurs. Ce n’est ni le lieu ni le moment pour le faire, mais, si l’on devait reprendre votre argumentaire point par point, on pourrait certes tomber d’accord sur certains aspects, mais aussi montrer en quoi certaines de vos analyses ne sont pas nécessairement justes. En tout état de cause, je suis un peu surpris par le contenu de votre intervention car, pour l’essentiel, elle relevait du discours politique, comparable à celui qu’un élu aurait pu tenir.

Mme Isabelle Le Callennec. Je n’ai pas la même lecture que notre président des propos que nous venons d’entendre, et dont la conclusion pourrait être : CQFD. M. Chéritel nous a présenté dans le détail les arguments du collectif, appuyés par des chiffres. J’apprécie de le voir proposer des pistes alternatives, et je constate qu’il a suivi attentivement les travaux de notre mission d’information, ce qui lui permet de répondre point par point aux arguments présentés lors des réunions précédentes.

Vous avez bien montré, Monsieur Chéritel, le drame que représenterait pour la Bretagne la mise en œuvre de l’écotaxe. En préambule, le président a affirmé que le prélèvement, dans cette région, serait de 42 millions d’euros. Que pensez-vous de ce chiffre ? Pour ma part, j’ai le sentiment qu’il reste sous-évalué.

En ce qui concerne le report modal, et malgré les initiatives de Combiwest, vous avez insisté sur la nécessité d’améliorer la performance du fret ferroviaire, dont la place s’est réduite dans notre pays. Je ne suis pas certaine que l’écotaxe soit en mesure de changer la situation.

Vous avez aussi rappelé les raisons de la création de votre collectif, dont je suis les activités depuis le début. Vous avez d’abord accepté de travailler sur des aménagements au dispositif, mais aujourd’hui, vous réclamez l’abrogation pure et simple de l’écotaxe. Je peux le comprendre, mais le Pacte d’avenir pour la Bretagne, présenté par le préfet de la région, ne contient-il pas des éléments qui pourraient vous satisfaire ?

Monsieur le président, nous avons appris que vous aviez organisé des rencontres non publiques pendant la suspension des travaux de notre assemblée, recevant notamment le président du conseil régional de Bretagne, M. Massiot, et le vice-président chargé des transports, M. Lahellec. Nous aurions aimé les entendre également. Que pensez-vous des propositions formulées par le président de la région ? Figureront-elles dans le rapport de la mission d’information ? Pourrons-nous entendre la nouvelle ministre de l’environnement et, le cas échéant, le ministre délégué ou le secrétaire d’État chargé des transports dont la nomination pourrait être annoncée cet après-midi même ?

M. François André. Selon vous, monsieur Chéritel, l’objectivation des effets de l’écotaxe sur l’économie bretonne a conduit à appliquer un abattement spécifique au bénéfice de la région, fixé d’abord à 40 %, puis porté à 50 % après une discussion avec un certain nombre de parlementaires de la majorité. Or, s’agissant de l’écotaxe, on cite souvent des chiffres globaux. Sauf erreur de ma part, il n’existe pas de simulation permettant d’en apprécier les effets par branche, voire par type de production. Les chiffres que vous avez mentionnés – entre 30 et 100 % du CICE – ne concernent qu’un échantillon d’entreprises. Ils ne manquent d’ailleurs pas de surprendre, même si je ne les conteste pas. Le CICE représente 20 milliards d’euros en année pleine, l’écotaxe seulement un milliard : les proportions ne sont donc pas du tout les mêmes. Quoi qu’il en soit, disposez-vous d’études permettant de mesurer l’effet de la taxe sur les coûts par type de production ?

Par ailleurs, le président du conseil régional M. Pierrick Massiot a en effet formulé des propositions alternatives à l’écotaxe pour financer les infrastructures régionales de transport – comme la majoration de certaines taxes pétrolières. Quelle est la position du Collectif à ce sujet ?

M. Jean-Pierre Gorges. À l’instar de notre président, j’ai été surpris par votre intervention. Pour une fois, nous étions parvenus à nous mettre d’accord sur la création d’une taxe destinée à financer les infrastructures. Et il faudrait l’appliquer différemment dans une partie de la France ?

J’ai moi-même des origines bretonnes, que j’assume. Mais, avant d’être breton, je suis député de la Nation. J’observe au passage que la région est en effet dans une situation anormale : elle a bénéficié d’infrastructures que d’autres n’ont pas. Mon département est loin de disposer d’équipements comparables, et risque de ne rien obtenir, faute d’argent.

Le principe de l’écotaxe, c’est que c’est l’utilisateur qui paie, ce qui devrait la norme. Je pense d’ailleurs que la gauche a eu du mal à l’accepter, même si l’initiative tend à transcender les clivages politiques.

La solution technique n’est peut-être pas adaptée, et il reste sûrement des choses à améliorer. Mais il est nécessaire de trouver le moyen de financer les infrastructures afin de permettre à notre pays de poursuivre son développement. Et je ne crois pas souhaitable qu’une région puisse à elle seule remettre tout le système en question, sous peine de graves conséquences. Après la Bretagne, d’autres régions pourraient réclamer un traitement exceptionnel.

Dans ma ville, j’ai fait construire un parc de stationnement. Mais les commerçants, qui le réclamaient, se plaignent parce qu’il est payant. Or il a coûté 30 millions d’euros ! Qui doit payer ? Ni les communes, ni le département, ni la région ne peuvent financer de tels équipements. Il me paraît donc normal que les utilisateurs le fassent. À cet égard, le principe de l’écotaxe relève de la justice sociale.

Certes, l’économie doit fonctionner. Mais en définitive, il faut bien quelqu’un pour financer ces routes. Quelqu’un sera privé d’une partie de son pouvoir d’achat pour cette raison. L’économie ne peut pas être vue par ce que j’appelle « le petit bout de la lorgnette ».

L’agglomération que je préside est traversée par une nationale empruntée par de nombreux poids lourds. Régulièrement, il y a de la casse. Et qui paye ?

Je m’étonne de vos propos. On ne peut accepter qu’une région refuse d’apporter sa contribution, faute de quoi elle devrait fonctionner de manière autarcique et renoncer à tout ce que lui apporte le reste du pays. Cela étant, je veux bien reconnaître que le système n’a pas été très bien conçu et que l’on aurait pu faire des choix très différents.

De toute façon, à terme, les outils tels que l’écotaxe devraient conduire les régions – et particulièrement la Bretagne – à organiser différemment l’économie. Quand la distance entre le producteur et le consommateur est excessive, il faut se poser des questions, organiser les choses autrement. Une fiscalité intelligente peut avoir cet effet. Beaucoup de marchandises, en effet, n’ont rien à faire sur les routes.

Pour toutes ces raisons, je n’entends pas bien votre discours.

M. Gilles Lurton. Pour ma part, je souscris aux propos de Mme Le Callennec. Et je ne crois pas que la Bretagne cherche à imposer sa position au reste de la France. Certes, cette région a exprimé très fortement ses revendications, mais elle a été suivie dans une bonne partie du pays.

L’écotaxe a été instituée en 2008 et appliquée en 2013. Or, en cinq ans, la situation économique s’est fortement dégradée. Le rapport Gallois, qui a été cité, le montre bien : la création d’une nouvelle taxe, en augmentant la charge des entreprises – et notamment des entreprises de transport –, risque de compromettre gravement leur santé.

En évoquant une remise à plat de l’écotaxe et en affirmant que l’écologie ne devait pas avoir un caractère punitif, la nouvelle ministre semble appuyer les propos tenus par les représentants du Collectif des entrepreneurs bretons. « On ne doit pas taxer des gens qui n’ont pas la possibilité de choisir des transports propres », dit-elle. Il me semble que c’est précisément le cas de la Bretagne.

Enfin, monsieur le président, comme ma collègue, j’aimerais prendre connaissance du compte rendu de l’audition du président du conseil régional de Bretagne. Je crois d’ailleurs savoir qu’il s’est lui-même prononcé contre l’écotaxe et a proposé des solutions alternatives.

M. Éric Straumann. Il est vrai que l’idée de cette taxe est née vers 2004 en Alsace, car la mise en place de la LKW Maut en Allemagne a entraîné un report de trafic très important sur le fossé rhénan. C’est pourquoi les déclarations de la ministre de l’écologie nous laissent dubitatifs, la perspective d’abandonner cette taxe étant très mal perçue dans la région. La solution du péage physique que vous suggérez me semble compliquée à mettre en place. Pour répondre à un problème particulièrement aigu au niveau local, il serait préférable d’en revenir à la proposition lancée il y a une dizaine d’années : étendre vers l’Alsace le système allemand et reverser aux collectivités locales alsaciennes la redevance ainsi collectée.

M. Marc Le Fur. Comme mes collègues, monsieur le président, j’ai du mal à comprendre que vous ayez pu aborder avec le président de la région Bretagne le sujet qui nous intéresse tous sans que cette rencontre ne soit publique. Il convient d’en finir avec l’ambiguïté et de le recevoir collectivement afin de connaître le point de vue de la majorité régionale.

Quant aux propos de M. Chéritel, je les ai trouvés remarquables. Nous aurions d’ailleurs dû l’auditionner bien plus tôt. Comme vous, monsieur le président, notre collègue André, partisan reconnu de l’écotaxe, affirme que ses propos contiennent des éléments erronés. Mais quels sont-ils ? Tout me semble parfaitement précis et argumenté !

L’intérêt de l’intervention du président Chéritel est d’avoir posé les problèmes sous l’angle économique, en s’intéressant aux effets de l’écotaxe à l’échelle nationale, et non pas seulement à la situation spécifique de la Bretagne.

Monsieur André juge non pertinente la comparaison entre l’écotaxe et le CICE en raison du décalage entre les ordres de grandeur. C’est oublier que, sur les 20 milliards d’euros du CICE, un milliard va aux banques et aux assurances, qui ne sont pas concernées par l’écotaxe, et 2,5 milliards d’euros à la grande distribution – je sais que la majorité n’aime pas m’entendre répéter ce chiffre –, qui n’est concernée que marginalement. En outre, le secteur agroalimentaire, principale filière concernée par l’écotaxe, ne se voit attribuer que 700 millions d’euros, d’autant que les coopératives, en dépit de nos efforts, ne bénéficient toujours pas du CICE, alors qu’elles ont perdu l’équivalent de 4 % de leur masse salariale l’an dernier et de 6 % cette année, et qu’elles vont être directement frappées par l’écotaxe. Les sommes prises d’un côté et soi-disant données de l’autre sont donc comparables.

Par ailleurs, on fait constamment à la Bretagne le même procès, en affirmant que la région aurait été gâtée, que la construction de son réseau routier a été aidée par le reste de la Nation. Je regrette, monsieur le président, que vous ayez d’emblée présenté les choses sous cet angle. En effet, la forte densité de la région – plus de 100 habitants au kilomètre carré, soit bien plus que l’Indre – justifie l’aménagement de ces routes. Et s’il est vrai que la Nation, il y a longtemps – à l’époque du général de Gaulle et du président Georges Pompidou –, a consenti un effort en faveur de leur financement, ces routes sont aujourd’hui payées pour moitié par le contribuable breton depuis l’invention des contrats de plan, soit depuis les années 1980.

M. le Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Monsieur Le Fur, je n’ai jamais évoqué ce point. Je vous prie donc de vous abstenir d’évoquer l’Indre, même si je suis attaché à ce département.

M. Jean-Pierre Gorges. Vous avez confondu avec mon intervention.

M. Marc Le Fur.  Monsieur le président, pardonnez-moi.

En tout état de cause, ces routes sont déjà globalement payées par les Bretons. Je ne vois donc pas pourquoi il faudrait les faire payer une deuxième fois, fût-ce au nom du principe pollueur-payeur. Celui-ci ne peut s’appliquer qu’à des ouvrages nouveaux, pas aux routes existantes ! Quant à l’entretien, il n’exige pas des sommes aussi élevées que celles qui ont été évoquées.

Le vrai problème est que notre économie est dans une situation hautement concurrentielle. Le transport de biens physiques, en particulier, est dans une situation délicate par rapport à d’autres secteurs économiques plus abstraits comme la banque ou l’assurance. Or c’est sur cette économie très concrète que l’on veut faire peser l’écotaxe. Et, au-delà de l’économie, c’est l’emploi qui est menacé, non seulement pour cette région particulièrement atteinte, mais aussi dans toutes les autres.

M. Philippe Duron. Dans le cadre de la commission « Mobilité 21 », nous avons auditionné l’ensemble des grandes organisations patronales : le MEDEF, la Fédération nationale des travaux publics, etc. Toutes ont souligné à quel point notre pays avait besoin d’infrastructures afin d’améliorer et de renforcer sa compétitivité économique. Nous avons également reçu les élus bretons de toutes les sensibilités. Ils ont rappelé que la région n’avait pas achevé son équipement : prolongation de la ligne à grande vitesse jusqu’à Brest, nouvelles lignes ferroviaires, infrastructures routières renforcées, etc. Ils ont appelé à ce que la Nation fasse les efforts nécessaires pour compenser les effets du caractère périphérique de la Bretagne.

C’est pourquoi vos propos suscitent mon inquiétude. Certes, nous rencontrons des problèmes économiques que vous avez eu raison de souligner. Et il est vrai que le poids de la fiscalité est important : le Premier ministre l’a d’ailleurs admis lors de son discours d’investiture. Mais nous connaissons aussi un problème de répartition de l’effort demandé entre le contribuable et l’usager. Or nos besoins en équipements ne pourront être satisfaits que si nous parvenons à trouver un bon équilibre entre ces deux catégories.

Pensez-vous, Messieurs, qu’il sera durablement possible que la Bretagne s’exonère d’une participation équitable – je souligne le mot, car je suis conscient de sa situation périphérique – au financement de ses infrastructures ? Peut-il y avoir, dans le cadre de la République, une exception bretonne dans ce domaine ? C’est une question importante, même si on peut reconnaître la nécessité d’adapter le dispositif de l’écotaxe.

M. Joël Chéritel. La délégation ici présente n’a pas vocation à défendre l’une ou l’autre catégorie d’acteurs économiques ; elle représente l’ensemble des activités qui existent en Bretagne comme sans doute dans toutes les régions de France. Nous sommes seulement venus rappeler la nécessité d’évaluer les effets sur l’économie de cet impôt nouveau.

Depuis le début, nous sommes opposés à l’écotaxe. Si, dans un premier temps, nous avons accepté certains aménagements, c’est parce que nos interlocuteurs au gouvernement nous ont clairement fait comprendre que l’abandon de ce projet n’était pas une option. Nous avons dû rechercher des compromis, mais notre position a toujours été de considérer l’écotaxe comme une taxe de trop, proposée au pire moment. C’était déjà vrai dès 2009, et la suite l’a confirmé. Un ministre n’a-t-il pas lui-même parlé de « ras-le-bol fiscal » ?

M. André est étonné d’entendre que 30 à 50 % du bénéfice du CICE pourrait être annulé par l’application de l’écotaxe. Cette estimation est le fruit de calculs effectués au sein des entreprises elles-mêmes. Il n’existe pas d’étude macroéconomique permettant d’évaluer, dans une région et par branche d’activité, l’impact de la taxe au regard du CICE. Mais lorsque nous avons demandé aux entrepreneurs de calculer l’effet d’une majoration de leurs frais de transport, et de le comparer avec le bénéfice attendu du CICE, certains, devant les résultats obtenus, nous ont fait part de leur incrédulité : ils ne pouvaient croire qu’on leur réclamerait une telle somme. C’est pourtant une réalité.

Le président de l’AFITF a rappelé le souci du MEDEF de voir la France se doter de nouvelles infrastructures, ce que je veux bien croire. Mais je doute qu’il en ait conclu à la nécessité de créer une écotaxe pour les financer !

M. Philippe Duron. À l’époque, Pierre Gattaz n’était pas encore élu à la présidence du MEDEF, mais telle était bien la logique défendue par votre organisation.

M. Joël Chéritel. Pour en avoir parlé récemment avec Pierre Gattaz, je peux vous assurer qu’il ne croit pas du tout à la nécessité d’instituer cette taxe pour financer les infrastructures !

M. Philippe Duron. Cela signifie que la position de l’organisation a changé.

M. Joël Chéritel. D’ailleurs, quelles infrastructures serait-on capable de financer grâce aux 800 millions d’euros attendus de l’écotaxe ? L’AFITF ne finance en effet qu’une petite partie des besoins, le reste étant apporté par les collectivités locales ou par l’État.

Un grand quotidien national a publié la carte des projets qui ne seraient pas réalisés faute d’appliquer l’écotaxe. Mais pensez-vous que le projet de téléphérique destiné à relier Recouvrance à la rue de Siam soit vraiment utile à l’économie brestoise ? Pour ma part, j’en doute. De toute façon, si les Brestois pensent le contraire, et s’il ne manque que 10 % pour boucler le financement, ils sauront où bien trouver l’argent. Il faut donc relativiser les conséquences du manque à gagner résultant de l’abandon de cette taxe, surtout lorsque l’on considère la faiblesse de son rendement.

M. Frédéric Duval, délégué général du MEDEF-Bretagne. Nous souhaitons apporter le témoignage des « vrais gens », c’est-à-dire de personnes en prise directe avec l’économie, confrontées aux aléas de l’économie de marché et à la dureté de la concurrence au sein de la zone euro.

Cette concurrence est d’autant plus rude qu’elle est inéquitable pour nos entreprises : les prélèvements obligatoires qui pèsent sur elles atteignent 300 milliards d’euros, contre 200 milliards pour les entreprises allemandes. Le CICE permet de compenser partiellement cet écart, mais ne faisons pas machine arrière !

Monsieur André, vous n’avez pas bien compris notre affirmation selon laquelle, en moyenne, 50 % du bénéfice du CICE est annulé par l’effet de l’écotaxe. Mais comme vous le savez, l’industrie représente 12 % du PIB, et l’agriculture 3 %. Seuls 15 % du bénéfice du CICE est donc affecté à l’économie de production, soit environ 3 milliards d’euros, ce qui est environ le double du surcoût que représente pour l’économie l’application de l’écotaxe. Les chiffres macroéconomiques et microéconomiques semblent donc converger.

Il est vrai que la Bretagne est en première ligne sur ce dossier. Pour autant, elle ne plaide pas pour elle-même, mais pour la production française tout entière. Nous considérons que le travail d’expertise sur l’écotaxe a été insuffisamment réalisé dans les autres régions. Les industriels ont-ils vraiment conscience du fait que leurs factures de transport seront majorées de 5,2 %, voire de 6,9 % pour le fret intrarégional ?

J’en viens au financement des infrastructures. Les gens qui se battent tous les jours pour créer de la valeur et maintenir l’emploi ne comprennent pas que la réponse à tout problème de financement public soit la création d’une taxe. Nous connaissons un niveau record de dépenses publiques : 57 % du PIB, soit 1 150 milliards d’euros, 220 milliards de plus qu’en Allemagne. N’est-il pas possible de réaliser 800 millions d’euros d’économies pour financer les routes ?

Monsieur Gorges, j’ai lu, dans le compte rendu d’une audition, qu’une route de votre circonscription et les canalisations qu’elle recouvre étaient régulièrement abîmées par le passage des poids lourds, et que l’on vous avait promis le concours de l’État pour financer de nouvelles infrastructures dans le cas où l’écotaxe permettrait d’abonder le budget de l’AFITF. On peut donc comprendre que vous soyez préoccupé par la suspension du projet.

Mais nous tenons un discours économique d’intérêt général. Dans la ligne du rapport Gallois, nous estimons que, si la chute de la production française se poursuit, notre modèle social s’effondrera. En outre, l’existence de l’euro rend nécessaire une convergence des prélèvements obligatoires, et donc des dépenses publiques. Faute de réaliser des réformes structurelles fondamentales, notre économie va continuer de diverger par rapport à celle de nos voisins, comme c’est le cas depuis l’introduction de l’euro.

L’été dernier, j’ai été amené à présenter le projet de l’écotaxe à des responsables d’entreprises. Ils ont été sidérés par sa complexité. Et encore, nous n’avions pas connaissance du rôle joué par les 300 agents publics, que, comme vous, nous avons découvert à la faveur de l’audition de la directrice générale des douanes.

Il existe un véritable fossé culturel au sein de la société française qui ne doit pas nous laisser indifférents. C’est pourquoi nous sommes venus porter une parole d’intérêt général – et pas seulement d’intérêt régional – en demandant l’abrogation de l’écotaxe.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Je ne veux pas me lancer dans une bataille de chiffres, mais les douanes n’ont recruté que 132 salariés.

M. Frédéric Duval. Il faut y ajouter les 170 agents chargés des contrôles.

M. Jean-Pierre Gorges. Lorsque je siège à l’Assemblée nationale, je ne raisonne jamais en termes locaux. Je suis député-maire, mais je sais faire la différence entre ces deux fonctions. Mais il est vrai que l’exemple que j’ai cité lors d’une précédente réunion est intéressant.

M. Chéritel laisse entendre que 800 millions d’euros ne sont qu’une goutte d’eau dans le budget de l’État. Mais un pays connaissant un déficit structurel de 80 milliards d’euros et une dette de 2 000 milliards ne peut plus investir un euro, puisqu’il ne parvient pas à financer son fonctionnement. Dans ces conditions, 800 millions d’euros représentent une somme énorme si elle est affectée.

La subvention d’équilibre accordée par l’État permet de financer la moitié du coût d’une autoroute. Le reste est apporté par les collectivités locales : départements, régions, agglomérations. Mais en définitive, qui va payer ? Les entreprises, via leur cotisation foncière. En tant que responsable d’agglomération, je ne dispose d’aucun autre outil. Si bien que ce que vous vous refusez à payer d’un côté, d’une façon ou d’une autre, on vous le prendra de l’autre. L’économie est un jeu à somme nulle. Or, aujourd’hui, les entreprises qui ne sont pas implantées sur notre territoire peuvent bénéficier des infrastructures françaises sans participer à leur financement.

Si l’écotaxe est nuisible à l’économie, comment comprendre qu’un pays comme l’Allemagne, qui a aujourd’hui la meilleure économie d’Europe, l’ait instituée depuis si longtemps – comme d’ailleurs l’Autriche et d’autres pays dont l’économie fonctionne de façon tout à fait satisfaisante ? C’est une question de juste équilibre. Certes, il faut trouver des solutions pour soutenir l’économie bretonne, mais pas en s’en prenant à cet outil. Les chiffres vont contre vous : ce que vous ne payez pas aujourd’hui, un autre impôt vous le prendra. La France n’étant plus en mesure de financer ses équipements, le principe utilisateur-payeur paraît le meilleur moyen de lui permettre de poursuivre son développement.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Je tiens à le rappeler : le projet dont nous parlons n’est pas une taxe, mais un droit d’usage de la route. À cet égard, la dénomination retenue est mauvaise : nous proposerons de ne plus parler d’écotaxe, mais d’écoredevance poids lourds.

En outre, sur les 1,2 milliard d’euros que rapportera l’écotaxe, on estime à 350 millions d’euros la part qui sera payée par les transporteurs étrangers.

Par ailleurs, on a l’impression, à vous entendre, que le coût de l’écoredevance poids lourds serait supporté soit par le transporteur, soit par le chargeur. Je considère que c’est une erreur d’interprétation. En réalité, nous le savons bien, c’est le consommateur qui paiera.

Cela étant, je vous remercie d’avoir accepté notre invitation. Vous avez voulu faire porter cet échange sur des problèmes dépassant le seul cas de la Bretagne, car votre argumentation se veut valable pour l’ensemble du territoire national. C’est un choix que je respecte, mais il fallait le souligner.

M. Frédéric Duval. Permettez-moi de vous répondre sur un point. Vous affirmez qu’en dernier ressort, c’est le consommateur qui paiera. Ce serait vrai si nos entreprises n’étaient pas en concurrence avec les entreprises étrangères. Mais nous ne sommes pas dans un système fermé. Les agriculteurs le disent : si l’écotaxe est appliquée, nous perdrons des parts de marché, car les entreprises étrangères disposent de meilleures marges et seront en mesure d’assumer le surcoût.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. C’est votre analyse, et je la respecte. Mais cette concurrence existe déjà.

En tout état de cause, les propositions qui seront présentées dans le rapport de la mission d’information prendront en compte certaines des analyses exprimées au cours des auditions.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur l'écotaxe poids lourds

Réunion du mercredi 9 avril 2014 à 11 h 30

Présents. - Mme Sylviane Alaux, M. François André, Mme Catherine Beaubatie, M. Jean-Paul Chanteguet, Mme Françoise Dubois, M. Philippe Duron, Mme Corinne Erhel, Mme Sophie Errante, M. Jean-Pierre Gorges, M. Jean Grellier, Mme Joëlle Huillier, Mme Isabelle Le Callennec, Mme Viviane Le Dissez, M. Marc Le Fur, M. Jean-Pierre Le Roch, M. Gilles Lurton, M. Hervé Pellois, Mme Émilienne Poumirol, M. Éric Straumann

Assistaient également à la réunion. - M. Jean-Luc Bleunven, Mme Annick Le Loch