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Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

Mardi 23 avril 2013

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 29

Présidence de M. Bruno Sido, sénateur, Président

Dans le cadre du débat sur la transition énergétique : auditions consacrées aux énergies de la mer de :

– M. Frédéric Le Lidec, directeur délégué de l’Unité énergies marines renouvelables du groupe DCNS

– M. Daniel Averbuch, responsable de programme à l’IFP Énergies nouvelles (IFPEN)

Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

Mardi 23 avril 2013

Présidence de M. Bruno Sido, Sénateur, Président

La séance est ouverte à 17 heures

Dans le cadre du débat sur la transition énergétique : auditions consacrées aux énergies de la mer de :

– M. Frédéric Le Lidec, directeur délégué de l’Unité énergies marines renouvelables du groupe DCNS

– M. Daniel Averbuch, responsable de programme à l’IFP Énergies nouvelles (IFPEN)

M. Bruno Sido, sénateur, président. – Je suis heureux d’accueillir MM. Frédéric Le Lidec et Daniel Averbuch. Dans le cadre de sa participation au débat national sur la transition énergétique, l’Office, qui mène régulièrement des études sur les diverses sources d’énergie renouvelables, a souhaité faire un point sur les énergies renouvelables de la mer (énergie hydromarine, énergie houlomotrice et énergie thermomotrice - qui peut avoir des applications dans nos territoires ultramarins).

C’est un domaine assez prometteur puisque l’on estime que, pour s’en tenir aux seules hydroliennes, la puissance installée dans le monde serait de l’ordre de 2-3 gigawatts en 2020 et entre 20 et 30 gigawatts en 2030.

Pour notre seul pays, le potentiel d’exploitation est de l’ordre de 2,5 gigawatts (c’est le second en Europe, après celui des îles Britanniques), correspondant à un chiffre d’affaires de 2,5 milliards d’euros en 2020 et de 10 milliards d’euros en 2030. Les énergies marines renouvelables pourraient ainsi permettre de créer 80 000 emplois directs et indirects en 2030.

Comme assez souvent, nous avons été en avance en France – que l’on se souvienne de l’usine marémotrice de La Rance inaugurée en novembre 1966 par le général de Gaulle et qui est restée pendant 45 ans la plus puissante au monde. Mais depuis nous avons pris du retard, que nous commençons à combler.

M. Averbuch va nous parler de l’état du développement technologique des filières énergies marines renouvelables. Puis M. Le Lidec évoquera les aspects économiques et industriels associés à leur développement.

M. Daniel Averbuch, responsable de programme à l’IFP Énergies nouvelles (IFPEN). – Je vous remercie de me permettre de m’exprimer lors de cette audition. Je procèderai à une revue de l’état d’avancement des différentes sources d’énergie marine renouvelable, avec les enjeux correspondants.

On distingue traditionnellement quatre filières : l’éolien offshore (en mer) flottant, l’énergie des courants (hydrolien), l’énergie thermique des mers (ETM) et l’énergie des vagues (houlomoteur). Je ne parlerai pas des autres énergies renouvelables marines : énergie marémotrice (principe du barrage alimenté par les marées), énergie déjà mature mais possédant peu de perspectives de croissance ; éolien offshore posé (exploitation par faible profondeur d’eau de l’énergie cinétique du vent), technologie en cours de déploiement industriel ; et les gradients de salinité (exploitation de la différence de concentration en sel entre l’eau douce et l’eau de mer), technologie pour le très long terme.

L’offshore flottant exploite l’énergie cinétique du vent au-delà des profondeurs accessibles par l’éolien offshore posé ; elle est une source variable en fonction du vent et non prédictible. L’hydrolien exploite l’énergie cinétique des courants de marée ; il s’agit d’une source d’énergie variable mais très prédictible. L’énergie thermique des mers (ETM) exploite la différence de température entre eaux de surface et de profondeur ; c’est une source d’énergie stable. L’houlomoteur exploite l’énergie cinétique et potentielle des vagues ; c’est une source variable dans le temps.

Ces ressources sont d’ampleur et de répartition spatiale variées. L’éolien offshore flottant exploite des vents plus forts et plus réguliers loin des côtes. La France dispose d’avantages certains dans ce domaine avec ses façades atlantique et méditerranéenne. Le potentiel mondial est estimé à plus de 10 000 térawatts-heure par an (TWh/an). L’hydrolien exploite des courants de marée de vitesse supérieure à 2-3 m/s, situés dans des zones très localisées. Le potentiel mondial est estimé à 500-700 TWh/an. L’énergie thermique des mers nécessite des différences de température de plus de 20 °C et est localisée dans les zones tropicales. Les DOM-COM français sont bien placés. Le potentiel mondial est estimé à plus de 10 000 TWh/an. L’houlomoteur exploite des zones à forte densité d’énergie incidente. La façade atlantique française est favorablement positionnée, avec une puissance transportée par mètre de front – c’est-à-dire par mètre perpendiculaire à la direction de propagation des vagues – de 45 kW/m. Le potentiel mondial est estimé entre 700 et 2 000 TWh/an.

Ces quatre grandes filières sont également très diverses en termes de technologies et de degré de maturité. Les éoliennes offshore flottantes font l’objet de nombreux projets
(20-30), avec un fort effet post-Fukushima. Deux machines de démonstration de puissance 2 MW sont installées. La puissance des machines à échelle industrielle devrait s’établir entre 2 et 5 MW, voire plus. Aucun consensus n’existe sur les technologies, tant au niveau des éoliennes que des flotteurs, avec une première génération visant l’adaptation d’éoliennes conventionnelles au positionnement flottant. Des entreprises françaises sont actives dans ce secteur, avec par exemple DCNS, Technip et Nenuphar. L’énergie des courants fait également l’objet de nombreux projets (plus de 50). Plusieurs sont parvenus au stade de démonstration pré-commercial. La puissance des machines devrait s’établir entre 500 kW et 2 MW. Les technologies convergent plutôt vers des machines à flux axial, aujourd’hui à un stade pré-commercial.

Les acteurs de la filière de l’énergie thermique des mers sont beaucoup moins nombreux, avec notamment DCNS et Lockheed Martin. Les quelques projets actifs en sont encore au stade de pilote. La puissance unitaire devrait être de l’ordre de 10 MW. Il s’agit donc d’une technologie utilisant divers cycles thermodynamiques, qui n’a pas encore atteint le stade de la maturité et qui serait adaptée à des marchés à coût local élevé de l’énergie. La quatrième filière représentée par l’énergie des vagues a connu de très nombreux projets (plus de 200) depuis les années 1970. En raison de la complexité de l’exploitation de cette forme d’énergie, quelques projets seulement sont à un stade pré-industriel, essentiellement près des côtes (near-shore). La puissance des machines devrait être entre 100 kW et 1 MW. Les concepts sont nombreux et très différents mais se ramènent tous à des oscillateurs mécaniques excités par les vagues.

Les enjeux de ces quatre filières en termes de recherche et développement (R&D) sont spécifiques. L’éolien offshore flottant repose sur la conception d’un ensemble turbine / flotteur / ancrage optimisé et sur une simulation multi-physique couplée (aéroélastique, hydrodynamique, électrique, mécanique…). L’énergie des courants est tributaire des structures de maintien (fondations) et de la maintenance des hydroliennes ; les interactions entre les effets du courant et de la houle doivent être prises en compte. L’énergie thermique des mers (ETM) suppose la conception et la tenue de la conduite d’amenée d’eau froide de quelques mètres de diamètre, sans commune mesure avec ce que connaît l’industrie pétrolière. Elle repose sur des échangeurs thermiques résistants à l’encrassement (fooling) et une efficacité du cycle thermodynamique. L’énergie des vagues nécessite une robustesse des systèmes de récupération de l’énergie, une capacité de production optimisée par des systèmes de contrôle actif adaptés et des outils d’analyse technico-économiques permettant d’identifier les concepts les plus prometteurs.

Les enjeux transverses sont multiples : l’évaluation et la caractérisation adaptée de la ressource (vent, houle, courant et interactions), la simulation du comportement à l’échelle de la machine et du parc, le raccordement électrique, la validation par l’institut d’excellence en énergies décarbonnées (IEED) « France énergies marines » au moyen d’essais en mer (démonstrateur, puis ferme pilote), l’évaluation des conséquences environnementales et enfin l’acceptation sociétale.

Les niveaux de maturité des quatre filières sont très divers. L’éolien offshore posé domine le marché et le dominera encore plusieurs décennies. Dans 10 ans, l’ensemble des autres technologies pourraient représenter la même ampleur que l’éolien offshore posé. Dans l’ordre de vitesse de croissance, on devrait trouver l’éolien offshore flottant, ensuite l’houlomoteur et l’hydrolien, puis loin derrière les ETM (sauf accélération résultant d’une rupture technologique).

En conclusion, nous sommes en présence de technologies très diverses permettant d’exploiter les ressources associées aux énergies marines. Les filières associées à chaque ressource sont à des degrés de maturité différents. L’intégration sur le réseau de certaines filières (hydrolien, ETM) peut être facilitée par une production prédictible ou stable. Les enjeux industriels et énergétiques en métropole et en outre-mer sont importants. La France possède des atouts propres : ressources énergétiques, expérience industrielle dans des domaines connexes (offshore pétrolier, construction navale, énergéticiens…), des infrastructures portuaires et un tissu de R&D. Un effort de R&D est encore nécessaire pour faire de la France un leader dans le domaine.

M. Frédéric Le Lidec, directeur délégué de l’Unité énergies marines renouvelables du groupe DCNS. – DCNS est une entreprise française publique vieille de 400 ans, elle a été créée par Richelieu pour construire des bateaux militaires. Société anonyme depuis 2003, elle est détenue depuis 2007 par Thales à hauteur de 35 %. Elle emploie environ 12 000 personnes et son chiffre d’affaire s’élève à environ 4 milliards d’euros. Actuellement ce chiffre d’affaire résulte quasi exclusivement de l’industrie navale militaire ; à échéance de 2020 le chiffre d’affaire devrait s’élever à 5 milliards d’euros, avec un tiers dans l’industrie navale nationale, un autre tiers dans l’industrie navale exportée et un tiers produit dans le secteur de l’énergie. La mer est en effet l’avenir de la planète.

Nous sortons actuellement de la phase de laboratoire pour entrer dans celle de la maturité, qui dépend des différentes technologies. Pour ce qui est de l’hydrolien, nous commençons à sortir de la phase de R&D pour nous mettre en situation de capacité de développement commercial. La France fait la course en tête, avec plusieurs acteurs de poids, les industriels de DCNS étant les seuls à développer de front les quatre grandes filières technologiques.

Le développement de ces technologies se fera en trois étapes avec des enjeux différents. Le premier enjeu est d’ordre purement technologique, pour faire des démonstrations à l’échelle unitaire dans les quatre filières ; c’est fait. Le deuxième enjeu est industriel, celui de la ferme pilote, pour faire marcher toutes ces machines ensemble avec un coût de l’énergie pertinent et un développement commercial. Il s’agira ainsi de produire à Cherbourg 100 hydroliennes par an, donc tous les deux jours une machine de la taille d’un immeuble de 7 étages.

Une nouvelle industrie va naître d’ici à quelques années. Le stade de la commercialisation est prévu entre 2016 et 2018. La France est le seul pays avec les États-Unis à être présent dans tous les segments ; elle est l’actuel leader mondial, avec plus de 500 millions d’euros d’investissement par an. Les industriels français occupent la première place mondiale sur l’énergie thermique des mers. Sur l’éolien flottant, la France a 3 projets parmi les 5 premiers au monde. Pour l’hydrolien, la France a 2 projets parmi les 5 premiers, qui ont été rachetés à des entreprises étrangères. La France est également bien placée pour l’houlomoteur, avec 2 projets parmi les 10 premiers. Il n’est donc pas vrai de dire que nous marquons le pas. L’effort de développement technologique, public et privé, est conséquent. Nous attirerons l’industrie en France si nous avons un minimum de visibilité sur un marché de démonstration, puis sur le marché national.

Nous avons le sentiment que le marché sera très international, tourné vers l’exportation, mais il faudra au préalable faire ses preuves en France sur des fermes pilote, au plan industriel et commercial. Nous créons ainsi de nouvelles industries de « cols bleus » avec deux caractéristiques à prendre en compte en considérant que seuls les premiers sur le marché gagneront : les clients énergéticiens sont des investisseurs financiers, par nature conservateurs, et auront confiance dans les premières machines en fonctionnement ; le fait d’avoir une ferme commerciale donne une visibilité suffisante pour investir dans une usine, avec une production en série nécessitée par la taille des engins et un atout économique à produire près de la ressource. La courbe d’apprentissage fait que plus on produit, plus on est compétitif et plus on gagne des marchés.

La carte de la planche n° 3 représente en bleu marine les pays qui ont investi dans des projets à un stade commercial et en bleu clair ceux qui ont investi dans des projets pilote en R&D, sur les quatre filières. Nous voyons que les expressions d’intérêt se multiplient à l’échelle de la planète. Les développements à l’exportation seraient grandement facilités par une démarche de diplomatie des énergies marines. Rares sont les pays (moins de 10) capables de simultanément mener les études d’acceptabilité, mettre en place les financements, identifier les ressources et mener les opérations de concertation publique. Moins de 10 % du potentiel mondial a fait l’objet d’études détaillées. Or nous avons identifié plus de 150 pays qui mériteraient d’être aidés par la France pour accompagner leur développement.

La France dispose de compétences scientifiques, techniques et industrielles sur toute la chaîne de la valeur. Nous disposons en France d’une capacité très étendue pour offrir clé en main des solutions pour des parcs sur toute la planète. Nous sommes capables de construire ensemble, avec le soutien de l’État, une offre française à l’international, permettant de faire la course en tête.

En conclusion, je redirais que nous ne sommes pas en retard et que nous pouvons être optimistes. Le Royaume-Uni a donné un peu plus de visibilité aux industriels, avec des concessions, des ressources et un marché accessible. Mais la course reste ouverte pour le développement de vraies filières industrielles exportatrices, avec des usines implantées sur notre sol. Nous devons nous donner la possibilité de nous développer, en commençant par le marché national de démonstration.

M. Bruno Sido, sénateur, président. – Je vous remercie pour vos présentations. Je lancerai le débat par deux questions. Est-ce que le développement de la filière pourrait être freiné par des concurrences d’usage – en particulier avec la pêche ? L’expérience acquise par l’exploration pétrolière en mer (offshore) peut-elle être mise à profit aussi bien en termes de maintenance des installations que de résistances aux agressions de l’environnement marin ?

M. Roland Courteau, sénateur. – Je voudrais savoir pourquoi, quand on parle d’hydroliennes, on ne cite jamais la mer Méditerranée, alors qu’elle dispose de très forts courants. Toujours dans la mer Méditerranée, on parle d’éoliennes flottantes dans le golfe du Lion, mais pourquoi pas d’éolien posé ? Enfin je rappellerai que la récente modification de la « loi littoral » du 3 janvier 1986 par loi du 15 avril 2013 visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l'eau et sur les éoliennes, issue d’une proposition de loi, permet le branchement de l’éolien offshore en ligne directe, sans prolongement ni contournement.

M. Marcel Deneux, sénateur. – Pourriez-vous nous dire pourquoi on ne va pas plus vite, y a-t-il un goulet d’étranglement ? Qui est venu dans le capital de DCNS et à quelle hauteur ?

M. Frédéric Le Lidec. – Il y a potentiellement trois freins environnementaux. Il faut travailler avec un énergéticien, sinon il n’y aura pas de marché. Il faut travailler avec les autorités nationales, locales et européennes pour que l’ensemble des règles nous permettent de déployer les machines. Enfin il faut, outre la rentabilité économique et la création d’emplois, que le projet présente un bilan environnemental positif. Nous prenons en compte l’acceptabilité sociétale dès l’origine des projets. Nous nous lançons dans les éoliennes flottantes car au grand large les vents sont plus forts et nous réduisons les conflits d’usage avec les pêcheurs, les zones Natura 2000 et militaires, les radars d’aéroports, etc.

M. Daniel Averbuch. – L’expérience de l’offshore pétrolier, datant de plus de 50 ans, est utile pour l’offshore flottant. La problématique de l’éolien flottant est d’empêcher que le flotteur ne bascule sous l’effet de la poussée du vent. Nous utilisons trois grandes familles de techniques qui viennent de l’exploitation pétrolière : plateformes à lignes tendues (ancrage) ; systèmes « spare » avec des masses déposées à une grande profondeur ; et plateformes semi-submersibles, de plus grande ampleur, qui sont plus polyvalentes (versatile) et ont d’autres avantages. Il faut donc des systèmes d’ancrages par câble. L’arsenal des solutions techniques existe déjà, avec les technologies et les méthodes pour les concevoir, il suffit de l’adapter. Il en est de même du corpus normatif, qui existe et qu’il faut adapter. Il y a donc une valorisation de ce que l’on sait déjà faire dans le domaine de l’offshore pétrolier. Un développement pétrolier est un système sur mesure, de grande taille et conçu pour le champ pétrolier. Avec l’offshore flottant, nous sommes en présence de développements de grande ampleur avec un grand nombre de machines, donc avec une certaine standardisation qui est moins présente dans le domaine pétrolier.

M. Frédéric Le Lidec. – Concernant l’hydrolien en mer Méditerranée, nous travaillons sur les courants de marée. Peu de personnes travaillent sur les courants permanents car ils participent à l’équilibre de la planète. Nous ne savons pas quels seraient les impacts environnementaux de leur exploitation et nous ne voulons pas causer de perturbation.

M. Roland Courteau, sénateur. – Je suis étonné que vous puissiez penser qu’installer des hydroliennes dans les courants de la mer Méditerranée pourrait perturber les courants.

M. Frédéric Le Lidec. – Dans tous les cas, il faudra démontrer qu’on ne perturbe pas. Ce ne sera pas aisé, cette démonstration nécessite des travaux qui devront être engagés par des spécialistes scientifiques et présentés à toutes les parties prenantes.

M. Daniel Averbuch. – Je précise que plus on ira chercher au large les courants océaniques, plus les coûts de raccordement seront élevés. Concernant l’éolien en mer Méditerranée, l’installation d’éoliennes posées au sol est possible jusqu’à une profondeur qui dépend d’un optimum économique, qui se situe à environ 50 mètres. La question est alors de savoir à quelle distance de la côte on est, pour ne pas créer de conflits d’usage, notamment avec le tourisme. En France, la profondeur d’eau évolue assez vite et on a rapidement tendance à se tourner vers l’éolien flottant. L’installation d’éoliennes posées dépendra alors du degré d’acceptation.

M. Frédéric Le Lidec. – S’agissant de la question sur les goulets d’étranglement, deux freins sont identifiables : l’absence de visibilité sur le marché en termes d’industrie et de technologie mature et le délai de raccordement au réseau et ses adaptations. Le délai de raccordement est actuellement de 69 mois en France, RTE annonçant des mesures de simplification, pour se rapprocher de délais de l’ordre de 1 ou 2 ans tels que constatés au Royaume-Uni.

Le capital de DCNS est détenu à 64 % par l’État, 35 % par Thales et 1 % par les salariés.

M. Jean-Yves Le Déaut, député, premier vice-président. – J’aurai deux questions. Vous estimez que nous ne sommes pas en retard, alors que, pour l’éolien offshore flottant, nous ne vendons pas une seule machine, selon les statistiques qui nous sont données par l’IFP Énergies nouvelles. Vous indiquez sur toutes les nouvelles techniques d’énergies marines renouvelables les efforts d’innovation et de R&D – ce que l’Office a demandé depuis longtemps –, est-ce que vous pensez que, dans les futurs appels d’offre, nous aurons plus de succès pour l’éolien offshore que pour l’éolien ou le solaire ? Vous nous avez montré que les marchés s’annoncent importants, certaines technologies rattrapant celle de l’éolien offshore. Est-ce que les investissements d’avenir vous ont apporté des financements et si oui combien ? Mêmes questions pour la Banque publique d’investissement (BPI), OSEO, l’État, la Caisse de dépôts, les banques privées.

Quand on voit la manière dont on mène, depuis longtemps, la politique industrielle, je suis très inquiet sur nos chances de développement de technologies qu’on pourra vendre, car si on ne les vend pas, on les achètera aux autres, comme cela s’est produit pour le solaire.

Enfin sur la question de l’acceptation sociale, avez-vous rencontré des contestations fortes et, si oui, sur quelles bases ?

M. Daniel Averbuch. – Les industriels français positionnés sur le marché de l’éolien offshore posé, qui ne sont que deux, Areva et Alstom, ont, dans une certaine mesure, suivi la même approche. Ils ont investi en achetant, le premier la société allemande Multibrides, le second la société espagnole Ecotecnica.

M. Jean-Yves Le Déaut, député, premier vice-président. – Mais alors, quand on achète une technologie qui se développe à l’étranger, combien d’emplois sont créés en France ?

M. Daniel Averbuch. – S’agissant de l’éolien offshore posé, nous n’avons pas remporté de marché. En revanche, dans le cadre des appels d’offre, des implantations d’usines sont prévues par ces deux sociétés pour construire les turbines. Il faut prendre l’image du turbinier en tant qu’ensemblier, la chaîne des sous-traitants étant relativement bien positionnée en France. On dit régulièrement que la moitié de la valeur ajoutée se crée dans le pays de la ressource, parce qu’il faudra fabriquer des fondations, l’autre moitié représentant la valeur de la turbine elle-même. Il y a un enjeu à ce qu’une industrie française prenne à bras le corps ces technologies. Sur l’éolien offshore, on est dans une dynamique d’acquisition de technologies, avec mise en place d’infrastructures industrielles en France.

M. Jean-Yves Le Déaut, député, premier vice-président. – Qu’est-ce qui manque dans notre pays pour que des grands groupes français en soient réduits à acquérir des entreprises innovantes étrangères ? Un financement adéquat ?

M. Daniel Averbuch. – Le financement est effectivement l’un des leviers, mais il y a aussi l’existence de marchés et filières nationales, qui constituent des incitations à investir en R&D puis exporter.

M. Frédéric Le Lidec. – Deux niveaux sont à distinguer, le financement et les emplois en France.

S’agissant du financement par le Grand emprunt, le projet Winflo a été lauréat du Commissariat général à l’investissement (CGI) : sur un projet d’environ 40 millions d’euros, 8 millions ont été subventionnés et 8 autres millions ont fait l’objet d’avances remboursables. DCNS travaille en consortium avec de toutes petites entreprises. L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) nous a accordé nos premières subventions en 2011 alors que les demandes avaient été faites en 2008, 2009 et 2010 lors d’un appel à manifestation d’intérêt (AMI). Le groupe DCNS a donc autofinancé l’effort de recherche sur ces trois années, effort que n’aurait pas pu faire la plupart des PME. Le projet Sabella d’hydrolienne française a gagné l’AMI de l’ADEME, mais a connu ensuite un problème de tour de table de financement.

En ce qui concerne la garantie d’avoir des emplois en France, notre pays a de beaux projets de développement technologique. Pour l’énergie thermique des mers (ETM), on a vu que DCNS est la seule en course avec un bon degré de maturité. Sur l’éolien flottant, les Français font clairement la course en tête, mais les Japonais, avec l’effet post-Fukushima, lancent une offensive de 400 millions de dollars ; Mitsubishi a pris 20 % du Danois Vestas. Sur l’hydrolien, il est vrai que DCNS a racheté une société irlandaise ; mais les usines, et donc les emplois, seront positionnés près des marées, nous espérons en France, à Cherbourg, et non au Royaume-Uni, où se situent les deux principaux sites potentiels. Les premiers emplois et la première filière exportatrice se situeront là où se situeront les fermes pilotes et les fermes commerciales, avec la visibilité d’usines de fabrication en série.

M. Jean-Yves Le Déaut, député, premier vice-président. – Comment les Ecossais réussissent-ils : un pari ? Une vraie politique industrielle avec financement de l’innovation ? Votre constat est terrible car il semble que nous ne sommes pas les mieux placés ; nous avons l’analyse du marché, les technologies, des entreprises qui ont les savoir-faire et les compétences, mais nous ne décrochons pas les marchés.

M. Roland Courteau, sénateur. – Les collectivités territoriales perçoivent une partie de la contribution économique territoriale, qui a remplacé la taxe professionnelle. En quoi les collectivités pourraient-elles être intéressées par des retombées fiscales des installations en mer ?

M. Bruno Sido, sénateur, président. – La mer c’est l’État, les collectivités sont concernées quand l’électricité arrive sur la terre.

M. Marcel Deneux, sénateur. – Sur les derniers appels d’offre, les collectivités intéressées sont effectivement celles où rentre le câble. Mais il n’y a pas encore de définition administrative ni de jurisprudence.

M. Bruno Sido, sénateur, président. – On sait la différence de prix de revient entre l’éolien terrestre et offshore. Pour cette raison, à mon avis il ne devrait pas y avoir de fiscalité sur l’éolien offshore.

M. Daniel Averbuch. – L’éolien offshore est en effet plus cher d’un facteur de deux à trois, tant pour le coût du kilowatt-heure que pour l’investissement. C’est très variable en fonction de la distance à la côte et de la profondeur. Les premières fermes d’éolien offshore au Danemark produisent le kilowatt-heure à peu de choses près au même coût que l’éolien terrestre en France (entre 6 et 8 centimes). Les taux de charge sont de 3 500 à 4 000 heures, à comparer à la moyenne de 2 500 heures constatées pour l’éolien terrestre. L’investissement est donc plus élevé mais, avec un taux de charge plus élevé, le kilowatt-heure revient à peu près au même coût.

Aux États-Unis, le ministère fédéral de l’énergie (Department of Energy – DOE) a publié un rapport sur son plan stratégique de développement de l’éolien en mer, avec des objectifs très ambitieux et un certain nombre de leviers identifiés. Dans leur vision, l’éolien offshore devrait produire à un coût d’électricité comparable à celui de l’éolien terrestre.

Pour compléter sur l’éolien offshore posé, 5 GW sont installés dans le monde et il s’en installe 1 GW par an. Les grandes machines que l’on installe aujourd’hui, de 5 à 6 MW, n’ont rien à voir avec celles que l’on installait il y a dix ans. On est encore sur la courbe d’apprentissage d’un marché qui est déjà important. Les coûts sont encore élevés.

M. Frédéric Le Lidec. – L’Écosse a une vraie politique, menée par le Domaine de la couronne (Crown Estate), de reconversion du tissu industriel du pétrole de la mer du Nord via des aides à l’industrie : distribution de concessions, tarifs de rachat intéressants. Mais ce pays ne fait pas partie des cinq les plus avancés du point de vue de la position commerciale ou de la maturité technologique (puissance et raccordement). Siemens et Alstom ont connecté un mégawatt d’hydroliennes en Écosse récemment. Derrière, il a notre turbine OpenHydro, qui produit 0,5 MW, mais qui pourrait développer 2 MW dans le futur. OpenHydro devrait être l’une des premières firmes d’hydroliennes au monde ; elle fait actuellement la course en tête, en ayant convaincu des clients français, écossais, canadiens ou américains.

M. Marcel Deneux, sénateur. – Quels progrès peut-on encore attendre de l’éolien terrestre, au niveau mécanique : suppression des engrenages, gains sur la maintenance ?

M. Daniel Averbuch. – Un des axes de développement est effectivement l’entraînement direct, permettant ainsi de se passer de la boîte de vitesse, jugée faible et peu fiable. Un autre axe est constitué par le contrôle de ces machines complexes, avec l’orientation des nacelles et des pales, pour capter le plus possible d’énergie et se mettre en sécurité quand les vents deviennent trop forts. Des travaux sont en cours, notamment chez des acteurs français assez bien positionnés, avec des technologies comme le lidar (radar laser), qui voit le vent à plusieurs centaines de mètres avant qu’il ne touche l’éolienne. Cela permet d’optimiser à la fois l’énergie qu’on produit et la fiabilité des machines. Le troisième axe de développement concerne les éoliennes par vent faible, utilisant les mêmes génératrices mais avec des rotors différents, permettant l’ouverture de nouveaux marchés.

M. Marcel Deneux, sénateur. – Les éoliennes qui seront installées dans le futur seront donc plus performantes que les existantes…

M. Daniel Averbuch. – Des opérations de « repowering » (remplacement) permettent de réinstaller de nouvelles machines sur des fermes anciennes pour lesquelles on sait qu’il y a un bon potentiel de vent, au bout de 20 ou 30 ans d’exploitation.

M. Frédéric Le Lidec. – Concernant l’acceptabilité sociale, les projets ont des impacts qui sont jugés plutôt positivement sur l’économie d’ensemble. Les hydroliennes totalement immergées connaissent un taux d’acceptation des pêcheurs d’environ 90 %, constaté à l’issue d’une grande opération de concertation. L’acceptation est équivalente pour les ETM et les éoliennes flottantes. Notre hydrolienne est la seule ayant un trou en son centre, avec un choix de vitesse de rotation faible, pour laisser passer les poissons et ne pas agresser la faune et la flore. On n’a jamais vu un poisson s’aventurer dans le trou central ou dans les pales des hydroliennes qui tournent en Ecosse depuis 2006 et qui sont sous vidéosurveillance. C’est une dimension à prendre en compte dès la conception des machines.

Nous avons ainsi choisi de faire des moteurs complètement immergés. Un des grands axes de la R&D est la robustesse de ces engins. En comparaison, un moteur flottant doit être dimensionné pour la plus grosse vague, même si elle ne passe que tous les 100 ans.

M. Marcel Deneux, sénateur. – Je voudrais tirer une conclusion par rapport à tout ce que nous avons évoqué ; est-ce que je me trompe en disant que l’avenir est l’éolien terrestre et l’éolien offshore, les autres technologies étant pour nos petits enfants ?

M. Frédéric Le Lidec. – Je suis obligé de réagir en citant deux types d’énergie sur lesquels on peut s’engager avec un coût pertinent : l’ETM, pour des îles où le coût de l’énergie est très important, et les hydroliennes, qui seront au prix de parité du réseau avant 2025.

M. Bruno Sido, sénateur, président. – Messieurs, je vous remercie.

*

La séance est levée à 18 h 30

Membres présents ou excusés

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Réunion du mardi 23 avril 2013 à 17 heures

Députés

Présents. - M. Claude de Ganay, M. Jean-Yves Le Déaut

Excusés. - M. Christian Bataille, Mme Anne Grommerch, M. Alain Marty, Mme Dominique Orliac, M. Jean-Sébastien Vialatte

Sénateurs

Présents. - Mme Delphine Bataille, M. Roland Courteau, M. Marcel Deneux, M. Bruno Sido

Excusés. - Mme Fabienne Keller, M. Jean-Claude Lenoir