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Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

Mardi 11 octobre 2016

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 79

Présidence de M. Bruno Sido, sénateur, Premier vice-président

– Examen du projet de rapport sur « Les enjeux et les perspectives de l’épigénétique dans le domaine de la santé », présenté par MM. Alain Claeys et Jean-Sébastien Vialatte, députés

Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

Mardi 11 octobre 2016

Présidence de M. Bruno Sido, sénateur, premier vice-président

La séance est ouverte à 17 h 10

– Examen du projet de rapport sur « Les enjeux et les perspectives de l’épigénétique dans le domaine de la santé », présenté par MM. Alain Claeys et Jean-Sébastien Vialatte, députés.

M. Bruno Sido, sénateur, premier vice-président de l’OPECST. En l’absence du président Jean-Yves Le Déaut, j’ouvre cette réunion dont l’unique point de l’ordre du jour va nous conduire à entendre le rapport de nos collègues députés Alain Claeys et Jean-Sébastien Vialatte sur les enjeux et les perspectives de l’épigénétique.

Je salue la présence de M. Robert Barouki, professeur de biochimie à la faculté de médecine de Paris-Descartes, qui a participé au comité de pilotage de l’étude et est venu, à titre exceptionnel, assister à cette présentation.

Concernant le rapport lui-même, je me contenterai de souligner son importance et sa complexité.

Son importance, car l’épigénétique constitue une dimension nouvelle de la recherche médicale, une manière nouvelle de voir le patrimoine génétique non plus comme immuable mais comme interagissant avec son environnement, qui doit permettre de donner un nouvel élan aux recherches sur les moyens de maîtriser les grandes maladies en expansion dans nos sociétés au tournant des XXe et XXIe siècles, à savoir le cancer, les maladies métaboliques comme l’obésité, les maladies auto-immunes comme le lupus érythémateux, et les maladies neurodégénératives comme les maladies d’Alzheimer et de Parkinson.

Quant à la complexité de la matière abordée, il suffit de se plonger dans la lecture de ce rapport très dense pour en prendre conscience. Il met en évidence tous les canaux complexes par lesquels le patrimoine génétique peut se trouver activé ou, au contraire, inhibé, par de nombreux mécanismes, dont la méthylation de l’ADN. Dès lors le génome ne suffit plus à décrire les potentialités d’un être vivant, car il n’exprime ces potentialités qu’en interaction avec tous les mécanismes qui peuvent moduler l’activation de ses différentes composantes. D’où le concept essentiel d’épigénome, qui englobe tous les processus en jeu au cœur de l’épigénétique.

Je laisse maintenant la parole à nos rapporteurs pour qu’ils nous aident un peu à progresser dans ce savoir nouveau puis nous indiquent les enseignements qu’ils ont tirés de leur étude.

M. Jean-Sébastien Vialatte, député, vice-président de l’OPECST, co-rapporteur. Épigénétique veut dire, selon les traductions du grec, au-dessus ou au-delà de la génétique.

Ce terme a été inventé, en 1942, par l’embryologiste britannique Conrad Waddington, afin d’étudier les mécanismes par lesquels les interactions entre les gènes et l’environnement donnent naissance au phénotype, c’est-à-dire aux caractères physiologiques et morphologiques de l’individu.

Près de quatre-vingt ans plus tard, ce terme a suscité une inflation de définitions et de controverses. Une de ces définitions, celle d'un généticien britannique, Robin Holliday, semble toutefois inspirer un grand nombre de chercheurs. Selon cette définition, l’épigénétique est l’étude des changements d’expression des gènes transmissibles au travers des divisions cellulaires, voire des générations, sans changement de la séquence d’ADN.

Derrière cette formulation apparemment complexe sont en jeu des aspects vitaux du fonctionnement du corps humain puisqu’il s’agit, par exemple, de voir quand et comment des gènes codant pour des protéines ayant une fonction spécifique dans le foie doivent être actifs uniquement dans le foie, bien qu’ils soient présents dans chacune de nos cellules. En effet, si toutes les cellules ont le même ADN et les mêmes gènes, les gènes doivent être activés pour permettre le développement, c’est-à-dire la différenciation et l’identité cellulaires.

L’établissement de ce lien entre l’activité des gènes et ces problématiques du développement est-il le seul fait de l’épigénétique ? Et suffit-il à lui conférer une originalité au regard de la génétique ? Sur ces questionnements, qui ont dominé nos travaux, Alain Claeys et moi-même estimons que l’épigénétique est une nouvelle approche du vivant qui s’inscrit dans l’évolution de la génétique.

Cette approche connaît un incontestable essor depuis plus de vingt ans en raison, diront certains, des résultats limités ou, même, décevants du séquençage du génome humain et du « tout génétique ».

Cet essor, que j’analyserai dans une première partie, touche tous les domaines : la science fondamentale, les applications cliniques et l’organisation de l’enseignement et de la recherche.

Alain Claeys, dans la seconde partie de cet exposé, traitera des conditions dans lesquelles, grâce aux résultats des recherches, l’épigénétique peut être un instrument susceptible de contribuer à la modernisation des politiques publiques de santé mais qu’il conviendra, toutefois, de concilier avec le respect des normes éthiques et juridiques, du fait des informations considérables que l’épigénétique peut fournir sur les individus.

Rien ne résume mieux les rapports entre génétique et épigénétique que ce propos de M. Timothy Spector, professeur d’épidémiologie génétique au King’s College de Londres, selon lequel « l’âge du gène est loin d’avoir pris fin, il a simplement progressé dans l’âge de l’épigénétique ». En d’autres termes, bien que l’épigénétique ait sa propre logique, elle n’en est pas moins tributaire des connaissances qui ont été accumulées par la génétique, lesquelles touchent à la science fondamentale et au domaine des applications cliniques.

Au plan de la science fondamentale, notamment, les progrès de la connaissance sur la régulation génique ont préparé le terrain de l’épigénétique. Il en est ainsi des travaux de François Jacob et de Jacques Monod sur l’opéron, grâce auxquels ils ont tenté de répondre à la question centrale posée par l’épigénétique, à savoir comment les cellules – que ce soit celles d’une bactérie ou d’un eucaryote – peuvent, à l’aide d’un ensemble de gènes, exprimer d’autres gènes, acquérant ainsi différentes propriétés stables.

Une autre avancée majeure est issue des travaux de John Gurdon et de Shinaiya Yamanaka sur la reprogrammation des cellules souches ou cellules souches pluripotentes, lesquels travaux leur ont valu le prix Nobel de médecine en 2012. Ils ont permis de révéler que la spécialisation des cellules était un phénomène réversible. Or, une telle découverte, non seulement va à l’encontre d’un des dogmes de la biologie mais met en évidence une des caractéristiques essentielles des mécanismes de l’épigénétique, qui est précisément leur réversibilité.

Au plan clinique, comme nous l’avons déjà indiqué dans notre précédente étude pour l’OPECST sur la médecine de précision, les travaux du professeur Yamanaka jouent également un rôle important dans le domaine de la thérapie cellulaire, du fait du potentiel thérapeutique des cellules souches pluripotentes pour la médecine régénérative.

Mais nous évoquons aussi, dans le rapport, les potentialités thérapeutiques du CRISPR-Cas9, technique que beaucoup qualifient de révolutionnaire. Je n’y insiste pas puisque, comme vous le savez, une étude sur cette question a été confiée à notre collègue sénateur Catherine Procaccia et au président Jean-Yves Le Déaut.

Si, donc, la génétique a déjà abordé certaines problématiques de l’épigénétique, en quoi consiste la nouveauté de son approche du vivant ?

Elle apporte un niveau supplémentaire d’informations sur la régulation des gènes à travers un réseau très complexe de mécanismes dont l’ensemble constitue l’épigénome. Les trois principaux mécanismes sont :

˗ la méthylation de l’ADN ;

˗ la modification des histones ;

˗ les ARN non codants : qu’il s’agisse des petits ARN interférents ou des longs ARN non codants, ils jouent un rôle important dans le contrôle de l’expression des gènes ou dans la régulation épigénétique de leur expression.

Ces mécanismes épigénétiques ont d’abord pour objet de contribuer au développement et à la différenciation cellulaires, c’est-à-dire de maintenir une certaine stabilité au cours de la vie afin qu’une cellule du foie reste une cellule du foie. Mais, dans le même temps, ces différents mécanismes épigénétiques doivent permettre, au moment du développement, une flexibilité importante pour que chaque cellule trouve sa place et sa fonction spécifique.

Le deuxième objet de ces mécanismes épigénétiques est d’être une interface entre les gènes et l’environnement. C’est à travers la réversibilité et la transmissibilité des marques épigénétiques que les facteurs environnementaux influent sur l’épigénome.

La réversibilité est le trait qui distingue les marques épigénétiques des marques génétiques. Les facteurs environnementaux contribuent en effet au développement des phénotypes anormaux et à des réponses physiologiques normales à certains stimuli environnementaux.

Quant à la transmissibilité, largement discutée, cette caractéristique vient de ce qu’une minorité de marques ne s’efface pas lors de la différenciation des gonades, c’est-à-dire des glandes sexuelles mâles ou femelles. C’est ainsi que s’effectue la transmission, non pas génétique mais, éventuellement, épigénétique.

Cet apport d’informations supplémentaires sur la régulation génique a permis, au plan clinique, de renouveler l’étiologie de plusieurs maladies. Car du fait de l’action des mécanismes épigénétiques, des maladies génétiques comme le cancer, par exemple, doivent désormais être considérées comme génétiques et épigénétiques. À ce renouvellement de l’étiologie des maladies, l’épigénétique environnementale et la DOHaD (acronyme anglais pour origines développementales de la santé et des maladies) ont apporté une contribution importante. C’est un chercheur américain, Michael Skinner, qui, dans une étude de 2010, a indiqué que les facteurs environnementaux étaient décisifs dans l’étiologie des maladies. Quant à la DOHaD, l’hypothèse des origines développementales de la santé et des maladies est apparue dans les années 1980 et postule que l’environnement, au cours de la période de développement, qu’il s’agisse des phases de développement précoce ou de la période post-natale, peut conduire un individu à être atteint de pathologies chroniques à l’âge adulte. Cela a été popularisé sous le nom d’« hypothèse de Barker » et confirmé expérimentalement par l’étude de modèles animaux.

Ce double apport original de l’épigénétique dans le domaine de la recherche fondamentale et celui des applications cliniques est à l’origine de l’essor incontestable qu’elle connaît depuis plus de vingt ans.

Cinq facteurs, liés intimement les uns aux autres, ont contribué au progrès continu dans la connaissance de l’épigénome :

1) le perfectionnement des outils d’analyse grâce, notamment, aux cartographies de l’épigénome réalisées par les deux grands projets : le Road Map Epigenomics Program, dirigé par le National Institutes of Health (NIH), et le projet Blueprint financé par l’Union européenne ;

2) l’exploration de nouveaux domaines de recherche : au sein de l’épigénétique, non seulement le rôle des mécanismes épigénétiques a été de mieux en mieux identifié mais, en outre, le développement des études en matière d’épigénétique environnementale a donné naissance à de nouveaux champs de recherche, tels que l’exposomique.

L’interaction entre l’épigénétique et d’autres disciplines scientifiques a également contribué à son essor. Il en est ainsi de la génétique puisque CRPR-Cas9 est également appliqué en épigénétique, comme on a pu le voir à l’Institut de recherche en cancérologie à Montpellier ;

3) l’expansion de l’épigénétique dans les institutions académiques : elle a été encouragée par le double fait que l’épigénétique est facteur d’interdisciplinarité et source de spécialisation académique ;

4) le rythme soutenu des colloques. Leur nombre atteint plusieurs dizaines et leurs thèmes qu’ils soient généralistes ou spécialisés illustrent en tout état de cause la vitalité de la recherche ;

5) enfin, la croissance exponentielle du nombre de publications est également un indicateur de l’essor de l’épigénétique.

Cet essor de la recherche fondamentale est à la base de l’intensité de la recherche translationnelle, qu’illustre la diversité des thérapies épigénétiques. Car, en la matière, les chercheurs ont su exploiter toutes les voies, qu’il s’agisse de la réversibilité des mécanismes épigénétiques, pour mieux soigner les cancers, par exemple, qu’il s’agisse encore de médicaments multi-pathologies capables de soigner plusieurs types de cancers ou qu’il s’agisse, enfin, de l’utilisation de produits naturels tels que le curcumin.

Pourtant, cet essor ne doit pas dissimuler les importants défis auxquels l’épigénétique est confrontée.

Une première catégorie de défis touche au statut scientifique de l’épigénétique ainsi qu’aux limites du savoir fondamental. L’audition publique de l’OPECST du 16 juin 2015, consacrée aux enjeux scientifiques et technologiques de l’épigénétique, a montré clairement la diversité des thèses, certains y voyant un nouveau paradigme, d’autres, au contraire, la continuité de l’épigénétique, d’autres encore souhaitant une synthèse.

Quant au savoir fondamental, il doit affronter les inconnues persistantes ayant trait au mode d’action des mécanismes épigénétiques, dont la connaissance demeure partielle. S’y ajoutent les difficultés à apprécier les effets de l’environnement, d’autant que ceux-ci changent d’un individu à l’autre en fonction de son âge et de son état physiopathologique.

Une seconde catégorie de défis concerne les thérapies épigénétiques, dont l’efficacité reste à améliorer. Par exemple, en ce qui concerne les épimédicaments anticancéreux, leur combinaison avec d’autres thérapies peut relever ou restaurer la sensibilité à de telles thérapies. Pour autant, il ressort de certaines évaluations que seulement 3 % des patients répondent aux épimédicaments utilisés en monothérapie, ce taux s’élevant à 20 % en cas de combinaison de thérapies.

Ces imperfections devraient inciter toutefois les acteurs concernés, pouvoirs publics, chercheurs et industries pharmaceutiques, à continuer de soutenir la recherche ; en effet, la recherche peut jouer un rôle catalyseur dans l’amélioration de l’efficacité des systèmes de santé, en particulier en contribuant à baisser le coût des médicaments et des traitements.

M. Alain Claeys, député, co-rapporteur. Deux grands problèmes concernant les enjeux éthiques et sociétaux ont dominé nos travaux : comment les pouvoirs publics peuvent-ils tirer profit, de façon optimale, de l’essor de l’épigénétique ? Comment, ensuite, concilier ce même essor avec le respect des normes juridiques et éthiques ?

À l’heure où tous les États sont à la recherche de moyens permettant de réduire les dépenses de santé, tout en tentant de préserver la qualité de soins, l’exploitation des résultats de la recherche en épigénétique peut aider les autorités politiques et sanitaires à poursuivre ces objectifs.

Tout d’abord, force est de constater l’adéquation de la recherche aux objectifs de la médecine des 4P – l’acronyme 4P signifiant prédictive, préventive, personnalisée et participative. Cette notion, considérée comme le paradigme de ce siècle, a été forgée, il y a près d’une quinzaine d’années, par le chercheur américain Leroy Hood. Son ambition a été de maximiser l’efficacité de la médecine des systèmes en étendant son application hors de l’hôpital et des cliniques à l‘ensemble de la société.

C’est parce qu’elle épouse aussi la même conception intégrative da la santé que la recherche en épigénétique – malgré toutes les imperfections dont Jean-Sébastien Vialatte a parlé – décline les différents aspects de cette médecine des 4P et plaide en faveur du développement durable de la santé.

L’épigénétique est, en effet, un outil de la médecine prédictive. Dans le domaine du cancer, par exemple, les modifications épigénétiques jouent le rôle de biomarqueur, permettant un diagnostic précoce du développement des tumeurs ou encore de fournir une base à la prise de décision clinique, une fois la tumeur identifiée.

L’épigénétique est, en deuxième lieu, un outil de la médecine préventive. Ainsi
a-t-on pu dire du concept de la DOHaD qu’il offre des possibilités de prévention parce qu’il s’intéresse aux origines des pathologies observées chez l’adulte – en général des pathologies chroniques.

L’épigénétique est, en troisième lieu, un outil de la médecine personnalisée. C’est ce qu’illustre la cartographie épigénétique qui repose sur la même logique que la médecine de précision. Car, pour mieux soigner les patients atteints du cancer, on va séquencer le génome tumoral, déterminer les mutations dont il est porteur, trouver une mutation précise et cibler cette mutation avec les molécules pharmaceutiques qui en sont spécifiques.

L’épigénétique est, enfin, un outil de la médecine participative. Sur ce point, nous citons, dans le rapport, un exemple – qui, bien qu’hypothétique, n’en est pas moins éclairant – dans lequel l’adaptation à l’ensemble d’une population des principes de la médecine personnalisée permet de revoir le projet prévu par un plan d’urbanisme local de construire une école à proximité d’une route à grand trafic.

L’idée de développement durable de la santé a été évoquée lors de l’audition publique de l’OPECST du 29 novembre 2015 consacrée aux enjeux éthiques et sociétaux de l’épigénétique. Cette notion permet de souligner que l’épigénétique inscrit les politiques de santé dans le temps long. Une étude américaine rappelle que cette notion est le fruit de la synthèse des travaux issus de la DOHaD, de l’épidémiologie tout au long de la vie, des maladies chroniques et du développement neuronal. Quant à la synergie entre la politique de la santé et les autres politiques sectorielles, elle est un autre thème majeur de la recherche.

Ainsi, je retiendrai la forte remarque que le Pr Jean-Claude Ameisen, président du Comité consultatif national d’éthique, a formulée lors de l’audition publique de l’OPECST du 25 novembre 215 consacrée aux enjeux éthiques et sociétaux de l’épigénétique, selon laquelle l’un des apports de l’épigénétique réside dans le fait de focaliser l’attention dans notre pays sur l’environnement humain et social, afin qu’il soit le plus favorable pour chacun et pas seulement pour les populations vulnérables. Car est en jeu l’application, dans les faits, du préambule de la Constitution de 1946, qui garantit à tous la protection de la santé.

Prolongeant cette réflexion, nos collègues Dominique Gillot, sénatrice, et Gérard Bapt, député, ont, quant à eux, invoqué la notion de démocratie sanitaire consacrée par la loi de modernisation de notre système de santé du 26 janvier 2016.

S’interrogeant ensuite sur la démarche holistique qui devrait être menée, les intervenants ont évoqué plusieurs domaines d’action touchant aux politiques de l’enfance, aux mesures à prendre par le système éducatif et à la formation des acteurs médicaux. Par ailleurs, les intervenants se sont attachés à trouver un point d’équilibre entre responsabilité individuelle et responsabilité collective, refusant toute stigmatisation des individus du fait de comportements qui pourraient être jugés contraires à une bonne hygiène de vie.

À l’étranger, aux États-Unis notamment, le rôle prépondérant accordé par certains chercheurs aux facteurs socio-économiques dans les déterminants de santé les conduit à préconiser la prise en compte de la santé dans toutes les politiques.

Ils soutiennent, en effet, que les solutions apportées aux inégalités de santé intervenues hors du système de santé peuvent réduire les coûts de santé et les disparités.

La portée réelle de ces résultats de la recherche sur la conduite des politiques publiques de santé n’est pas négligeable, sans toutefois porter tous ses fruits du fait d’obstacles de nature diverse.

Au sein des États, les autorités politiques ont, en effet, repris dans des textes les idées avancées par la recherche. En France, par exemple, suivant la voie ouverte par le 3e plan national Santé-environnement, qui couvre la période 2014-2019, la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé a ainsi consacré la notion d’exposome. Cette notion résulte d’un amendement qui a été déposé à l’initiative de notre collègue Gérard Bapt. Aux termes de l’article premier de la loi du 26 janvier 2016, l’exposome est défini comme l’intégration, au cours de la vie entière, de l’ensemble des expositions qui peuvent influencer la santé humaine. C’est sur la base de ce concept d’exposome que, toujours aux termes de cet article premier, s’apprécie l’identification des principaux déterminants de la santé, notamment ceux liés à l’éducation et aux conditions de vie et de travail. Cette démarche holistique de la politique de santé est également affirmée par une autre disposition figurant notamment à l’article premier. Elle prévoit expressément que les actions de promotion de la santé reposent sur la concertation et la coordination de l’ensemble des politiques publiques pour favoriser à la fois le développement des compétences individuelles et la création d’environnements physiques, sociaux et économiques favorables à la santé.

Aux États-Unis, la loi du 23 mars 2010, également appelée Obama Care, poursuit des objectifs identifiés par la recherche, à travers l’accent mis sur la prévention et le bien-être, l’amélioration de la qualité de la santé et la performance du système de santé, ou encore le développement de la santé au travail.

S’agissant du Canada, nous avons choisi, dans le rapport, d’illustrer la prise en compte des objectifs de la recherche en évoquant les divers dispositifs consacrés au développement de la recherche en épigénétique.

Enfin, pour la Suisse, nous faisons état d’initiatives concernant la médecine de précision et citons également les projets ou études lancés par l’Union européenne ou l’ONU et qui touchent à des domaines explorés par la recherche.

La prise en compte des travaux de la recherche ne produit toutefois que des effets limités. Ainsi, partout, la prévention – sur l’importance de laquelle insiste la DOHaD – demeure le parent pauvre des politiques de santé.

En outre, la question de l’adéquation des dépenses de prévention à leurs objectifs se pose. C’est ainsi, par exemple, qu’en 2010, une étude d’une revue américaine a calculé que, si 90 % de la population des États-Unis recourait davantage à des soins de prévention, cela ne permettrait d’économiser que 0,2 % des dépenses de santé.

La défaillance des dispositifs institutionnels a également pour effet de limiter l’efficacité des politiques de santé, qu’il s’agisse de la question récurrente de l’insuffisante coordination des politiques de santé ou encore de l’absence de politiques publiques dans certains domaines comme, par exemple, le retard apporté par l’Union européenne à définir la notion de perturbateurs endocriniens, alors même que l’impact global de ces perturbateurs endocriniens en Europe a été évalué, l’an dernier, à 175 milliards d’euros par des chercheurs.

Les comportements des personnes privées ne sont pas plus vertueux que ceux des États car ils vont aussi à l’encontre des politiques de santé efficaces. S’agissant des individus, nous avons déjà relevé, dans notre étude sur la médecine de précision, que les Français étaient moins réceptifs que d’autres Européens aux objectifs de la prévention par l’éducation à la santé, comme le montre, par exemple, le taux de prévalence du tabagisme, qui s’établir à 33 % en France alors que, au Royaume-Uni, il est inférieur à 20 %. En outre, ce taux ne baisse pas, contrairement à ce qui se passe dans les pays voisins.

La stratégie, très coûteuse, de l’industrie pharmaceutique ne peut pas non plus être considérée comme responsable, ainsi que l’a montré le cycle d’auditions organisé sur le prix du médicament au mois de juin 2016 par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale. Comme l’ont dit, à cette occasion, certains professeurs de cancérologie, la fixation, par l’industrie pharmaceutique, du prix des médicaments anticancéreux à des niveaux toujours plus élevés risque de mettre en péril notre système de sécurité sociale même si, pour le moment, à la différence de certains autres pays, personne, en France, n’a encore été exclu de l’accès aux médicaments du fait de leur prix.

Le dernier volet du rapport est consacré aux conditions dans lesquelles l’essor de l’épigénétique pourrait se concilier avec le respect des normes éthiques et juridiques. Cette problématique recouvre deux questions principales : celle de l’opportunité de définir l’information épigénétique et celle, ensuite, d’éventuelles modifications législatives à introduire. Sur le premier point, les réponses sont diverses, que ce soit en France ou à l’étranger.

En France, lors de l’audition publique de l’OPECST du 25 novembre 2015, certains intervenants ont soutenu la nécessité de définir l’information épigénétique pour tenir compte de ses spécificités au regard de l’information génétique, tout en étant conscients des difficultés juridiques de l’élaboration d’une telle définition.

En revanche, la majorité des intervenants s’est déclaré réservée quant à l’opportunité d’une telle définition pour des motifs d’ordre juridique, tenant notamment aux inconnues entourant la nature des données ou des informations épigénétiques. S’agissant des motifs de nature scientifique, Mme Béatrice de Montera, maître de conférence à l’Université catholique de Lyon, a déclaré qu’il était difficile de réduire le savoir sur l’épigénétique à des catégories figées, qu’elles soient philosophiques, scientifiques ou juridiques.

À l’étranger, des positions contrastées ont également été exprimées. Aux États-Unis, le Pr Marc Rothstein, directeur de l’Institut de bioéthique de l’université de Louisville, a indiqué, dans l’une de ses célèbres publications, que bien que l’information épigénétique et l’information génétique aient de nombreuses caractéristiques communes, elles ne sont pas identiques. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, lors de notre déplacement aux États-Unis, il nous a déclaré, notamment, que l’épigénétique appelait, selon lui, un nouveau mode de protection, en raison du fait qu’elle met en relief la diversité biologique des individus.

C’est pourquoi il a plaidé en faveur d’un modèle qui tendrait précisément à promouvoir la diversité et à améliorer la santé des individus en assurant leur accès au système de santé, ce qui permettrait de garantir le respect des droits de l’Homme. Il nous a toutefois précisé qu’une telle vision ne recueillait aucun consensus aux États-Unis.

Au Royaume-Uni, des juristes considèrent que bien que l’épigénétique accroisse le volume d’informations concernant les individus, cette circonstance ne signifie toutefois pas que l’épigénétique pose de nouveaux problèmes éthiques. En revanche, un professeur de droit espagnol évoque, dans une étude, les nouveaux défis soulevés par l’épigénétique dans le domaine des droits fondamentaux. Il insiste, en effet, sur le fait que les normes nationales, communautaires et internationales ne prennent pas suffisamment en compte de tels défis, ce qui l’amène à proposer l’établissement d’un cadre juridique renforcé sur la base de dispositions que le droit français ou le droit communautaire a adoptées récemment.

Dans ce contexte, la question des modifications éventuelles à apporter à la législation peut être envisagée selon deux situations différentes. Dans la première, les législations existantes seraient étendues à l’épigénétique. C’est le cas de la protection des données à caractère personnel. En effet, cet objectif est impérieux compte tenu, notamment, de l’intervention accrue de ce que l’on appelle désormais les GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon) dans le domaine de la santé. Mais la difficulté en ce domaine réside dans la nécessité de tenir compte, également, des droits des chercheurs. La législation française récente tente de concilier ces exigences à travers les dispositions de la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé sur le dossier médical partagé et le droit des chercheurs d’accéder aux données du système national des données de santé.

Quant à la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique modifiant l’article premier de la loi Informatique et libertés, elle consacre le droit à l’autodétermination informationnelle, c’est-à-dire la nécessaire maîtrise par l’individu de ses données.

Le législateur français anticipe, de cette façon, l’incorporation en droit interne des dispositions du règlement général sur la protection des données du 27 avril 2016, qui a considérablement renforcé les droits des individus, en particulier en ce qui concerne le respect du consentement éclairé.

Le droit des brevets est un autre domaine dans lequel le droit existant pourrait être également étendu, sans changement, à l’épigénétique.

Dans un second cas de figure, l’épigénétique pourrait appeler des dispositions particulières que nous évoquons et qui, d’ailleurs, font l’objet de recommandations. Elles visent soit à renforcer la garantie des droits fondamentaux, soit à demander à la Commission européenne de réexaminer l’adéquation du règlement REACH à la prise en compte des effets épigénétiques de produits toxiques.

En conclusion, je voudrais insister sur deux questions qui ont été évoquées tout au long de nos travaux.

Première question : l’épigénétique est-elle une nouvelle logique du vivant ?

Nous considérons que l’épigénétique et la génétique doivent s’enrichir de leurs apports et progrès respectifs. C’est d’ailleurs ce que font certains chercheurs en épigénétique en utilisant CRISPR-Cas9.

Deuxième question : cette réflexion sur l’épigénétique était-elle prématurée, comme on a pu l’écrire dans la presse récemment, ou inutile comme un professeur de médecine a pu nous le faire remarquer pour refuser une invitation à être auditionné ? Ce n’est pas parce que l’épigénétique doit encore affronter de nombreuses imperfections ou inconnues que l’OPECST devait s’interdire une telle démarche. Car cette étude nous a renforcés dans la conviction, qui nous a guidés dans nos rapports précédents, de la nécessité de satisfaire à une double ardente obligation. Celle, d’abord, de soutenir résolument la recherche, non seulement parce qu’elle est l’un des facteurs essentiels de la compétitivité de notre pays mais aussi parce qu’elle est un catalyseur du développement durable de notre système de protection sociale, sans lequel il n’existe pas de démocratie sanitaire. Celle, ensuite, de garantir en toute circonstance le respect des principes éthiques.

Les recommandations que nous proposons sont assorties d’un exposé des motifs.

Par ailleurs, je signale que le président Jean-Yves Le Déaut nous a fait parvenir des amendements de nature rédactionnelle.

M. Bruno Sido. On a l’impression que, depuis le débat qui a opposé Aristote aux préformationnistes, les connaissances étaient acquises. Les agronomes ou d’autres scientifiques connaissaient, depuis longtemps, la différence entre phénotype et génotype, ou encore le fait que les gènes des animaux et des plantes s’expriment différemment en fonction des lieux où ils se trouvent.

En soulignant le rôle de l’influence de l’environnement sur l’expression des gènes, l’épigénétique permettrait d’expliquer différemment les phénomènes, ce qui pose la question de savoir si elle est une nouvelle science, qui remet en cause la génétique moléculaire, ou si elle la complète.

S’agissant des sujets éthiques et sociétaux abordés dans le rapport, j’ai été immédiatement frappé par le constat que l’environnement humain et social influe sur les individus, ce qui soulève la question du déterminisme social. Il s’agit là d’un fléau, comme le montre la prévalence de l’obésité dans les classes défavorisées des États-Unis. Quel est le rôle de l’épigénétique en la circonstance ?

Pour ce qui est des recommandations soumises à l’Office, il y a, en effet, beaucoup à faire dans l’enseignement et la recherche.

La recommandation n° 7 propose que tout texte soit accompagné d’une étude d’impact sur ses incidences dans le domaine de la santé. Toutefois, on peut regretter que les études d’impact tendent à se raréfier, quel qu’en soit le secteur.

Par ailleurs, il est vrai que l’éducation à la santé et les interventions non médicamenteuses jouent un rôle fondamental dans la prévention.

En revanche, je m’interroge sur le lien pouvant exister entre l’épigénétique et la proposition de recommandation sur le prix des médicaments.

En somme, l’épigénétique introduit-elle – même si comparaison n’est pas raison – un changement de paradigme analogue à la physique quantique au regard de la physique newtonienne ? Il serait prématuré de conclure.

Est-ce une nouvelle logique du vivant ou plutôt une autre façon de voir les choses ? En tout cas, je ne dirai certainement pas, comme tel professeur de médecine, que cette étude était inutile.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l’OPECST. S’agissant de CRISPR-Cas9, je souhaiterais signaler que, a priori, il semblerait que les premiers essais sur l’homme concernant certaines maladies monogéniques soient effectués aux États-Unis en 2017 et que les essais sur les animaux aient lieu en Argentine dans cinq mois.

M. Patrick Abate, sénateur. Les rapporteurs ont effectué un travail monumental sur un sujet particulièrement difficile. Vos recommandations apparaissent de bon sens. Il m’intéresserait de savoir comment une politique publique peut contribuer à ce que l’épigénétique soit un outil de la médecine des 4P.

Par ailleurs, je m’interroge sur le sens de la question du président Bruno Sido concernant la recommandation sur le prix des médicaments et son lien avec l’épigénétique.

M. Alain Claeys. J’ai indiqué, dans mon exposé, que la stratégie des entreprises pharmaceutiques favorisait l’explosion du prix des médicaments. Il me semble qu’une réflexion sur une telle situation doit être menée dans le cadre de la médecine des 4P.

De façon plus générale, j’ai commencé mes travaux à l’OPECST, il y a vingt ans, conjointement avec le Pr Claude Huriet alors sénateur, à l’ère du décryptage du génome. Or, lors de nos déplacements aux États-Unis, sur la côte Est comme sur la côte Ouest, nous avons constaté que les start-up déposaient des brevets très larges qui pouvaient porter sur le gène lui-même afin d’obtenir des financements. Aujourd’hui, l’épigénétique succède au tout génomique. À cet égard, j’estime qu’il serait erroné d’y voir une rupture. Je vois simplement que, à l’époque du décryptage du génome, on avait estimé que l’on pourrait résoudre toute une série de questions. Mais, comme l’a rappelé Jean-Sébastien Vialatte, l’épigénétique est une notion ancienne, qui nous ramène à un univers scientifiquement plus large permettant d’aborder des sujets tels que la médecine des 4P.

Les brevets sont également un sujet important.

Quant au point de savoir si l’épigénétique va entraîner un bouleversement de la législation bioéthique, nous ne le pensons pas, car de nombreuses dispositions existantes lui sont adaptées.

En revanche, la protection des données est une question centrale du fait de leur multiplication, avec cette contradiction entre l’accès des patients aux données du dossier médical et la protection de ces données. Quant au consentement éclairé, qui est également une question importante, il est dénaturé, devenant davantage une protection du médecin que du patient.

Enfin, comme l’a souligné le président Bruno Sido, un équilibre est à trouver entre responsabilité individuelle et responsabilité collective, ce qui est un sujet extrêmement important pour nos sociétés.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Nous avons été appelés à évoquer le prix des médicaments, car apparaissent des médicaments anticancéreux issus des thérapies épigénétiques pour lesquels se pose précisément la question de leur prix, lequel n’est lié ni aux dépenses de recherche, ni aux coûts de fabrication mais à la capacité des systèmes de santé à les payer. Ce qui explique les disparités considérables de prix du même médicament entre les États-Unis, l’Europe et l’Afrique, sans que, pour autant, cela soulage les systèmes de santé des pays pauvres puisque le nombre de patients atteints de l’hépatite C en Égypte, par exemple, est infiniment plus élevé que dans les pays développés. Il faut donc que les États parviennent à une harmonisation, en accord avec les laboratoires, afin que le prix des médicaments puisse être raisonnable et soutenable. Faute de quoi on risque d’être confronté à une situation analogue à celle du Royaume-Uni, où seule la frange des malades la plus fortunée peut payer un médicament soignant la maladie de Hodgkin, qui coûte 60 000 livres (soit plus de 70 000 euros) mais qui n’est plus remboursé.

M. Bruno Sido. Je comprends maintenant mieux le lien établi entre le prix du médicament et l’épigénétique. Pour autant, n’existe-t-il pas de régulation économique car, si le médicament coûte trop cher, peut-il encore être acheté ?

M. Jean-Sébastien Vialatte. Comment expliquer aux citoyens d’un État comme le nôtre qu’il existe une molécule efficace pouvant soigner tel ou tel cancer mais au financement de laquelle on renoncera faute de moyens ? Tout cela pose la question du prix du médicament et de ce qui peut être réellement pris en charge par les systèmes de santé.

M. Bruno Sido. Cette problématique n’a-t-elle pas qu’une durée limitée puisque, au bout de dix ans, le brevet tombe dans le domaine public ?

M. Alain Claeys. La phase de commercialisation des brevets sur un médicament est brève. En revanche, une longue durée sépare le moment où le brevet est déposé et celui où le médicament est commercialisé. Il en résulte qu’une partie de la vie des brevets ne donne pas lieu à rémunération.

M. Jean-Sébastien Vialatte. C’est le cas de la phase des essais cliniques. Donc, il est erroné d’invoquer la durée de dix ans.

Mme Catherine Procaccia. La période de dix ans ne doit-elle pas s’entendre à partir de la mise sur le marché du médicament ?

M. Alain Claeys. Le brevet ne prend pas effet au moment de la mise sur le marché mais avant.

M. Bruno Sido. Il est scandaleux de ne pas utiliser une molécule dont on connaît la parfaite efficacité. Quoi qu’il en soit, lorsqu’une molécule est brevetée, elle l’est pour un certain nombre d’années, la période avant laquelle elle tombe dans le domaine public – nous en sommes d’accord – étant très brève.

M. Alain Claeys. Les propos tenus par Jean-Sébastien Vialatte sur les disparités de prix de la même molécule confirment qu’il y a là un sujet de réflexion sur les critères de détermination du prix des médicaments, sur lequel il convient de n’instaurer aucun doute. Est aussi en cause la nouveauté du modèle économique puisque, antérieurement au développement de la médecine de précision, un laboratoire pharmaceutique réalisait son chiffre d’affaires sur la fabrication d’un grand nombre de molécules alors que, maintenant, il s’agit de molécules ciblées qui s’adressent à de petites cohortes.

M. Bruno Sido. Je voudrais connaître la raison d’être de votre dernière proposition de recommandation sur la nécessité de mieux prendre en compte la valorisation des innovations dans l’évaluation des chercheurs et les unités de recherche.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Il s’agit du rappel d’une disposition qui n’est pas propre à notre étude mais que bien d’autres rapports ont déjà formulée.

M. Alain Claeys. Cette disposition, récurrente à l’Assemblée nationale et au Sénat, est une invitation à passer à l’action.

M. Bruno Sido. Monsieur le Professeur Barouki, peut-être souhaiteriez-vous nous apporter des éclaircissements sur ces différents sujets ?

Pr Robert Barouki, professeur de biochimie à la faculté de médecine de Paris Descartes. Je suis très fier que, dans mon pays, un rapport sur l’épigénétique ait été établi en cette période. Toutes les conclusions n’y figurent certes pas, ce qui, en science, est impossible. Mais c’est le moment opportun pour s’y intéresser et avoir une réflexion aussi complète.

En effet, l’épigénétique est un domaine extrêmement important qui va nous expliquer, d’une part, comment s’organisent les différentes cellules d’un organisme et, d’autre part, l’épigénétique permet de voir comment un phénomène, qui apparaît au moment de la vie utérine et de la petite enfance, ne se traduira que plus tard par un diabète ou une obésité.

L’épigénétique n’apporte, certes, pas toutes les explications mais elle nous fournit des moyens prometteurs, comme le fait de coupler l’épigénétique à la notion d’exposome. Là encore, on peut s’en féliciter, d’autant que mes collègues étrangers sont très jaloux de ce que la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé consacre cette notion qui est encore plus récente que celle d’épigénétique. Elle y est très liée puisque, si des molécules sont ajoutées à un organisme vivant, des modifications apparaissent, qui sont des marqueurs génétiques. Des études effectuées chez l’homme montrent que des personnes ayant subi des actes de maltraitance durant leur enfance ont des profils épigénétiques qui en sont les témoins. Cela signifie qu’il existe des expositions chimiques, physiques, psychologiques ou sociologiques qui vont se traduire physiquement sur l’ADN et l’expression des gènes, ce qui nous interpelle parce que, comme l’a dit le président Bruno Sido, se pose la question des déterminismes sociaux.

Les phénomènes épigénétiques s’inscrivent dans la durée mais sont, dans le même temps, potentiellement réversibles parce que les marqueurs épigénétiques interprètent l’influence de l’environnement sur l’expression de nos gènes. Mais comme l’environnement peut changer, il existe une possibilité de réversion, même si elle n’est pas rapide. Ce qui permet d’espérer dans la possibilité d’un changement des comportements, d’une façon ciblée, alors que les médicaments peuvent s’opposer aux marqueurs épigénétiques de façon générale, ce qui induit des effets secondaires. L’épigénétique connaît ainsi un réel essor avec un potentiel de diverses applications.

S’agissant de l’évaluation des chercheurs, je conviens que ces derniers sont évalués sur la base de leurs publications par les commissions des organismes de recherche. Toutefois, celles-ci oublient parfois que les chercheurs ont participé à l’innovation en déposant des brevets ou ont pu fournir leur expertise à des organes politiques. C’est pourquoi il importe effectivement d’encourager la valorisation, d’autant qu’il y a des pays où celle-ci est plus facile et plus rapide qu’en France.

M. Bruno Sido. Le projet de rapport évoque-t-il le lien entre épigénétique et maladies psychiatriques ?

M. Jean-Sébastien Vialatte. Le contexte social du développement peut avoir un impact sur les individus, comme le montre le lien entre consommation de cannabis chez les jeunes et la schizophrénie. Dans ce cas, si l’on effectue une étude épigénétique ciblée, on constatera l’existence de marqueurs épigénétiques. À cet égard, on a évoqué, jusqu’à présent, des prédispositions génétiques alors que, vraisemblablement, il s’agit de méthylation ou de déméthylation.

Pr Robert Barouki. Il s’avère que, récemment, j’ai pris part à un congrès qui a évoqué cette question des maladies psychiatriques. On imagine que le cerveau en est le siège. Or, il est difficile d’accéder à notre ADN cérébral dans les populations humaines. En revanche, des études fondées sur l’analyse épigénétique des cellules sanguines sont plus aisées, car elles ont permis d’établir des corrélations qui ne concernent pas la schizophrénie mais d’autres maladies neurologiques. Mais, s’agissant de l’autisme et des maladies du développement et du comportement – telles que l’hyper-agitation des enfants, et parfois des problèmes de langage –, on a trouvé des corrélations entre certaines expositions prénatales, à des produits chimiques notamment, et le retard du développement des enfants, lesquelles peuvent aboutir à des maladies, même si les études ne sont pas, sur ce point, conclusives.

Dans une population humaine, on peut établir une corrélation entre l’exposition à des pesticides et un retard dans le développement de l’enfant ainsi qu’une relation entre cette exposition et la modification des marqueurs épigénétiques. La grande difficulté, au plan expérimental, est de montrer que c’est la modification de ces marqueurs qui est à l’origine du retard. Peut-être des techniques telles que CRISPR nous aideront-elles à surmonter une telle difficulté ?

M. Patrick Abate. Le développement des connaissances a montré, de façon plus efficace, l’ensemble des risques de santé et soulevé les problèmes de responsabilité.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Dans le cadre de la transmission du génome, vous ne pouvez modifier ce que vous transmettez. En revanche, en ce qui concerne les marques épigénétiques, leur transmission peut soulever un problème de responsabilité si le comportement de la mère, par exemple, peut induire des marques épigénétique via les ovules, qui peuvent être transmises ainsi à leur descendance.

Il en résulte que la responsabilité de la mère pourrait s’en trouver éventuellement engagée, dans le cas où serait rapportée la preuve formelle qu’elle ne s’est pas soustraite à une exposition qui est à l’origine du dommage épigénétique.

M. Bruno Sido. C’est pourquoi j’ai souligné l’importance de la question du déterminisme social.

M. Alain Claeys. Les sujets de responsabilité individuelle et de responsabilité collective sont les plus difficiles auxquels sont confrontées nos sociétés.

M. Patrick Abate. Il s’agit là d’un enjeu d’une importance incontestable.

Pr Robert Barouki. Ces questions de responsabilité ne sont pas nouvelles puisque l’on sait que la consommation d’alcool par la mère durant la grossesse peut induire des effets sur le développement de l’enfant, de telle sorte que l’on puisse imaginer également la mise en cause de la responsabilité de la mère. Mais les mêmes problèmes se posent aussi en cas de consommation de cocaïne. Dans tous ces cas, l’épigénétique apportera des éléments supplémentaires.

M. Jean-Sébastien Vialatte. L’épigénétique va apporter des preuves formelles. Ainsi peut-on imaginer que la responsabilité des autorités publiques puisse être engagée en raison de l’impact épigénétique sur les riverains des particules fines émises depuis le boulevard du périphérique de Paris.

M. Bruno Sido. Comme on le voit, de nombreux contentieux se profilent.

L’OPECST a ensuite adopté le présent rapport et autorisé sa publication.

La séance est levée à 18 h 20