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Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

Jeudi 29 novembre 2016

Séance de 18 heures

Compte rendu n° 83

Présidence de M. Jean-Yves Le Déaut, député, Président

Présentation, par le Pr Pierre Corvol, de son rapport au Gouvernement sur « La mise en œuvre de la charte nationale d’intégrité scientifique » 2

Discussion à propos des études en cours 21

Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

Jeudi 29 novembre 2016

Présidence de M. Jean-Yves Le Déaut, député, président

La séance est ouverte à 18 h 10

– Présentation, par le Pr Pierre Corvol, de son rapport au Gouvernement sur « La mise en œuvre de la charte nationale d’intégrité scientifique »

M. Jean-Yves Le Déaut, président de l’OPECST. – Mesdames, Messieurs les membres du Conseil scientifique, Chers Collègues de l’OPECST, avec Bruno Sido, premier vice-président, je vous souhaite la bienvenue à cette réunion conjointe des anciens et des nouveaux membres marquant la reconstitution du Conseil scientifique.

Le Conseil scientifique est renouvelé tous les trois ans et c’est l’occasion pour l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques de développer des liens avec des personnalités nouvelles de la communauté scientifique.

Nos relations avec la communauté scientifique n’ont cessé de se resserrer depuis la création de l’OPECST. Un des éléments de crédibilité des travaux de l’OPECST consiste à s’appuyer sur des échanges avec les personnalités scientifiques les plus compétentes dans les domaines abordés.

Au niveau de chaque rapport, ces relations s’organisent dans le cadre d’un dialogue avec un comité de pilotage ou groupe de travail, qui participe aux auditions et dispose ainsi de multiples occasions de faire profiter les rapporteurs de son analyse.

La fonction du Conseil scientifique dans sa formation collégiale est plus institutionnelle mais pas moins importante. Elle prend deux formes.

D’abord, à l’occasion de ces réunions conjointes – entre les parlementaires et les membres du Conseil scientifique – qui interviennent au moins une fois par an, nous pouvons aborder des thèmes transversaux qui nous permettent de profiter au mieux de votre expérience.

Aujourd’hui, nous avons souhaité d’abord donner la parole au Pr Pierre Corvol sur le thème de l’intégrité scientifique. Nous avons eu nous-mêmes une discussion avec vous à ce sujet depuis environ deux ans, dont le secrétariat de l’Office a d’ailleurs rédigé un compte rendu d’excellente facture. Nous attendions l’occasion d’une autre audition sur ce thème pour envisager de le publier avec votre accord. Nous allons vous entendre.

Aujourd’hui, nous lancerons un échange sur trois thèmes. Un thème obligatoire car la loi nous le demande : que pensez-vous de la stratégie nationale de recherche ? Quel est votre avis sur son application, deux ans après les travaux de la stratégie nationale de recherche, un an après que le Premier ministre l’ait présentée ?

Nous allons rendre un rapport à ce sujet, sachant que nous avons déjà organisé deux auditions publiques auxquelles certains d’entre vous ont participé.

Une première audition sur la chaîne de l’innovation, c’est-à-dire le lien entre enseignement supérieur, recherche et innovation, avec notamment le Commissariat général à l’investissement (CGI), où nous avons réfléchi sur les investissements d’avenir.

Une deuxième audition sur la formation des ingénieurs et des scientifiques en France. Certains d’entre vous nous avaient alertés sur cette question.

Une troisième audition aura lieu le 8 décembre 2016, où ceux qui le souhaitent, anciens et nouveaux membres, sont conviés – à condition de communiquer vos noms et dates de naissance au préalable en raison des nouvelles contraintes en matière de sécurité. Elle concernera Les axes et les thématiques retenus dans la stratégie nationale de recherche ; nous y aborderons également la question des docteurs, qui est importante. Nous rendrons ensuite un premier rapport d’évaluation comme la loi nous le prescrit.

Nous vous demanderons également de nous donner votre avis sur l’intelligence artificielle, puisque deux de nos collègues ont entamé un rapport sur ce thème, et sur les nouvelles possibilités ouvertes en biotechnologie dans le domaine de la modification ciblée du génome (genome editing) – ce rapport est en cours de préparation par Mme Catherine Proccacia, sénateur, et moi-même.

Mais votre second rôle en tant que membre du Conseil scientifique est encore plus important. Il s’agit de jouer le rôle de relais de confiance auprès de la communauté scientifique pour nous aider à trouver les bons interlocuteurs, en France ou à l’étranger, sur les sujets que nous sommes amenés à traiter. Par exemple, pour identifier des participants pertinents aux auditions publiques, collectives et contradictoires que nous organisons environ une fois par mois. Évidemment, on ne vous sollicite à ce titre que dans votre domaine de compétence.

À ce sujet, je voudrais remercier au moins trois institutions : l’Académie des sciences, l’Académie des technologies avec lesquelles nous avons d’étroites relations et l’Académie de médecine qui est représentée ce soir pour la première fois. Je remercie également les autres académies, avec lesquelles nous avons peut-être moins de relations, mais qui sont également très importantes puisqu’elles nous permettent de jouer ce rôle de passerelle entre le monde parlementaire et la communauté scientifique.

Votre rôle de relais de confiance se poursuit d’ailleurs au-delà de votre mandat à l’OPECST et, lorsque nous procédons à un renouvellement du Conseil scientifique, nous expliquons aux membres sortants – il y en a ici ce soir, que je remercie beaucoup d’avoir été actifs et de nous avoir aidés – que nous comptons encore sur eux pour qu’ils continuent à remplir cette fonction d’ambassadeur de l’OPECST dans leur milieu scientifique respectif.

Cette continuité du rôle d’interface de confiance, par-delà l’appartenance formelle en tant que membre du Conseil scientifique, est illustrée symboliquement par le fait que nous invitons aujourd’hui les sortants et les entrants.

Quelques mots sur le renouvellement avant de laisser la parole au Premier vice-président Bruno Sido. Le renouvellement d’aujourd’hui est assez important car nous considérons, à une ou deux exceptions près, qu’après deux mandats de trois ans, un membre du Conseil scientifique doit être renouvelé. Et, en raison également de la démission de certains membres, quinze membres sur vingt-quatre sont concernés. Ce fut compliqué de sélectionner de nouveaux membres, Bruno Sido et moi nous sommes vus plusieurs fois à ce sujet.

Quatre principes nous ont guidés dans cet exercice :

- d’abord, la volonté d’une féminisation croissante du Conseil scientifique, et nous nous sommes rapprochés un peu plus de la parité en passant de huit à dix membres femmes. C’est mieux que cela était. Nos successeurs feront sans doute mieux encore que nous-mêmes. Nous sommes donc à dix femmes et quatorze hommes. Ce n’est pas parfait.

- ensuite, la représentation des régions. On a des parlementaires de toutes les régions. Nombre d’entre vous nous indiquaient, il y a quelques années, et c’est vrai, que la science se situait surtout à Paris et peu de représentants venaient des autres universités et d’autres régions françaises.

Nous sommes passés de cinq à neuf membres établis en dehors de Paris et venant d’un plus grand nombre de villes différentes : ils viennent notamment de Marseille, Montpellier, Nancy, Strasbourg et Toulouse. Cela montre l’ancrage du Parlement dans les régions françaises.

De même, l’OPECST a souhaité que la Conférence des présidents d’université (CPU) soit représentée afin qu’il y ait, à la fois, des universitaires et des chercheurs.

- et, surtout, notre troisième préoccupation est la représentation de la diversité des disciplines. Comme nous avons organisé récemment une audition publique sur « L’apport des sciences humaines et sociales aux sciences technologiques », nous avons augmenté de 50 % la représentation des sciences humaines et sociales (SHS), dont les représentants sont passés de deux à trois. C’est un signe au niveau du Conseil scientifique.

- enfin, vous êtes des chercheurs confirmés. C’est d’ailleurs pour cela que nous vous avons retenu. Néanmoins, nous avons souhaité la présence de quelques plus jeunes figures montantes dans des disciplines. Pour cela, nous n’avions pas d’autres critères que de voir les prix qui avaient été décernés par des organismes de recherche ou des académies, et c’est sur cette base que certains d’entre vous ont été choisis.

Toute la communauté scientifique n’est pas représentée. Nous aurions pu pondérer davantage mais nous avions déjà respecté les quatre critères et cela a été compliqué. Les uns et les autres se reconnaîtront.

Après l’intervention de Bruno Sido, il serait bien que les quinze nouveaux membres présentent rapidement leur parcours.

Bruno, tu as la parole.

M. Bruno Sido, premier vice-président de l’OPECST. – Merci Monsieur le président, je voudrais saluer mes collègues, Mesdames et Messieurs les vice-présidents, Mesdames et Messieurs les députés, Mesdames et Messieurs les sénateurs et, naturellement, vous toutes et vous tous. Je voudrais vous saluer parce que, pour nous, le Conseil scientifique est très important.

Permettez-moi, tout d’abord, de m’associer aux paroles de notre président, Jean-Yves Le Déaut, pour féliciter les nouveaux membres et dire aux membres du Conseil scientifique dont le mandat se termine, que leur contribution a été très précieuse pour l’Office, qu’il s’agisse de leur participation aux réunions du Conseil scientifique, des conseils prodigués ou des contacts procurés – et c’est très important – d’auditions animées par tel ou tel d’entre eux ou encore de leur présence dans des groupes de travail auprès des rapporteurs. Un grand merci donc.

Je ne peux citer chacun, mais j’ai une pensée particulière pour M. Jean-François Minster qui, dès 2001, en sa qualité de président de l’IFREMER, a fait partie du groupe de travail placé auprès du sénateur Marcel Deneux pour le rapport sur « Les changements climatiques en 2025, 2050, 2100 ». M. Michel Petit faisait également partie de cette équipe. Il s’agissait alors du premier rapport parlementaire sur ce thème cher à Mme Valérie Masson-Delmotte ou à M. Jean-Pierre Gattuso. Je dois dire que ce rapport a marqué une étape importante.

Une pensée particulière également pour les membres du Conseil scientifique, anciens ou nouveaux qui, en 2014, ont aidé Mme Anne-Yvonne Le Dain, députée, et moi-même, à l’occasion du rapport intitulé : « Sécurité numérique et risques : enjeux et chances pour les entreprises ». Je pense tout particulièrement à MM. Gérard Berry, Michel Cosnard, Antoine Petit et Daniel Kofman.

Je me réjouis en particulier de voir que le Conseil scientifique renouvelé compte encore des personnalités éminentes aptes à nous aider à approfondir les questions liées au numérique et, tout particulièrement, à sa sécurité, qui constituera très probablement, de plus en plus, la fragilité majeure de nos sociétés contemporaines.

Merci donc à tous et croyez bien que, à mes yeux, les membres sortants du Conseil scientifique restent totalement dans le champ d’action de l’Office, car il connaît leur efficacité et ne manquera donc pas de les solliciter en tant que de besoin, s’ils l’acceptent, bien entendu. Je serais donc heureux qu’ils ne se considèrent pas comme des sortes de retraités de l’Office, mais qu’ils consentent plutôt à mettre à profit leur expérience parmi nous pour développer de nouveaux potentiels de coopération.

Comme l’ont déjà fait cette année MM. Bruno Revellin-Falcoz et Gérard Roucairol, en approfondissant les relations avec l’Académie des technologies qui leur est chère, tout en s’inspirant d’ailleurs en partie du partenariat qui existe depuis une dizaine d’années avec l’Académie des sciences – dont l’OPECST a été l’invité d’honneur la semaine dernière à l’occasion du 350e anniversaire de la création de cette académie – sous l’impulsion énergique, vous la connaissez, du Pr Dominique Meyer, membre du Conseil scientifique.

Il pourrait s’agir, par exemple, pour ces anciens membres du Conseil scientifique – ce qui, à ma connaissance n’a pas été vraiment fait jusqu’alors – d’évaluer a posteriori les auditions publiques et les rapports d’étude de l’OPECST, à la lumière notamment des réactions des milieux concernés, afin que nous puissions améliorer les méthodes de l’Office. Ce peut-être en particulier le cas de nos méthodes d’évaluation quand il s’agit pour nous, comme la loi en fait l’obligation, d’évaluer périodiquement la stratégie nationale de recherche.

Je n’y insiste pas davantage car je voudrais surtout vous dire quelques mots pour introduire la présentation du rapport du M. Pierre Corvol sur l’intégrité scientifique – un sujet qui m’est cher.

Dès le dernier renouvellement du Conseil scientifique intervenu en juillet 2013, j’avais souhaité que celui-ci soit plus étroitement associé non seulement au traditionnel tour de table approfondi sur la recherche de nouveaux thèmes d’investigation pour des rapports d’étude de l’Office et sur les études en cours, mais également que le Conseil conduise une réflexion de fond sur le thème de l’intégrité scientifique.

Pourquoi ?

La problématique de l’intégrité scientifique, en général, et ses relations avec l’OPECST, en particulier, c’est l’histoire d’une pyramide inversée, c’est-à-dire en équilibre précaire sur sa pointe. Celle-ci symbolise les découvertes des chercheurs les plus éclairés dont les avancées sont ensuite reprises par d’autres chercheurs, des experts, des politiques, des entrepreneurs, des enseignants, des journalistes, puis par la société tout entière. Les uns et les autres en tirent des conclusions, de nouvelles pistes de recherche, des motifs et des modalités d’action et traduisent, pour et dans la société, ce que les chercheurs les plus éminents ont découvert les premiers, non sans étonnement parfois.

Cette image de la pyramide aide à comprendre que c’est seulement de l’inaltérable exigence d’intégrité scientifique que la pointe de la pyramide inversée tire sa solidité et sa stabilité. Sans cette intégrité, c’est l’ensemble de l’édifice de la recherche et de ses ramifications dans la société qui s’effondre.

Or, vous l’avez compris, la démarche militante de l’OPECST en faveur du respect de l’intégrité scientifique est très intéressée car, quelque part entre la pointe et la base de la pyramide, se situe l’interface constituée par l’Office.

C’est sur la base d’une centaine d’auditions d’experts par rapport que l’Office tente la vulgarisation des connaissances les plus actuelles pour éclairer les parlementaires – c’est notre rôle – et, d’ailleurs, tout citoyen curieux sur les nouvelles problématiques scientifiques et technologiques, afin que les lois puissent bénéficier d’avis et de documents sur les évaluations et les choix scientifiques et technologiques à opérer.

Fort opportunément, certains membres de ce conseil, Mme Claudie Haigneré, M. Hervé Chneiweiss et M. Cédric Villani notamment, ont tout de suite été très impliqués dans le groupe de travail sur l’intégrité scientifique rattaché au Mouvement universel de la responsabilité scientifique (MURS), organisation indépendante créée en 1974.

La démarche de l’Office a donc rencontré celle de ce groupe. De ce fait, l’Office et son secrétariat ont pu participer à plusieurs réunions en 2014, 2015 et 2016, dont celle du 19 mai 2015, à l’Institut Henri Poincaré, sous la présidence de M. Jean Jouzel, à laquelle participait notamment M. Claude Huriet, ancien sénateur et ancien membre de l’OPECST et, évidemment, M. Pierre Corvol, que je remercie d’être présent parmi nous ce soir.

À l’occasion de ces réunions, j’ai appris qu’existait, depuis 2010, un rapport, excellent et fort complet, de M. Jean-Pierre Alix, chercheur au CNRS, intitulé : « Renforcer l’intégrité de la recherche en France », qui débouchait sur huit recommandations opérationnelles de qualité. Malheureusement, encore en 2015, le ministère de la Recherche, à l’origine de cette commande, ne s’était guère empressé d’y donner suite.

C’est pourquoi, en juillet 2015, j’ai posé au ministre chargé de la recherche une question orale sans débat pour tenter de comprendre les raisons de l’inaction ministérielle alors que l’intégrité scientifique connaissait des reculs, hélas. Cette question est venue en séance plénière du Sénat le 27 janvier 2016. La réponse gouvernementale fut peu convaincante.

En 2016, le thème de l’intégrité scientifique est toujours d’actualité, plus que jamais même car nombre d’incidents ont montré qu’il s’agissait d’une préoccupation de premier ordre, en France comme à l’étranger : larges plagiats dans des thèses, manipulation des illustrations, erreurs statistiques grossières… si tant est que ce soient des erreurs, d’ailleurs.

Or, même un soupçon de manquement à l’intégrité peut porter atteinte à la réputation nationale et internationale, d’un chercheur, voire de la recherche de son pays. Face à cette situation, il convient à la fois de réagir rapidement et de garantir les droits de la défense du chercheur.

Les travaux du groupe de travail du MURS sont donc particulièrement bienvenus. Permettez-moi de rappeler, à ce propos, la tenue le 29 janvier 2016, du colloque de Bordeaux intitulé : « L’intégrité scientifique : parlons-en ! ».

Car il n’a pas été évident de briser le silence et de s’interroger sur les causes qui conduisent, dans le monde entier, des chercheurs, parfois d’excellente réputation, à finir par commettre des entorses, semble-t-il de plus en plus fréquentes et graves, au respect scrupuleux de l’intégrité scientifique.

À la suite de ce colloque bordelais, le nouveau secrétaire d’État chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche a demandé à M. Pierre Corvol, professeur émérite au Collège de France, ici présent, de bien vouloir élaborer un nouveau rapport sur ce thème. Ce travail a été remis au ministre en juin 2016 et son auteur a fort aimablement accepté de venir vous le présenter aujourd’hui, ce dont je le remercie très vivement.

Ce rapport, intitulé « Bilan et propositions de mise en œuvre de la charte nationale d'intégrité scientifique » a été commenté par son auteur de nombreuses fois depuis cet été dans différentes enceintes et c’est pourquoi, à l’occasion de la réunion du Conseil scientifique de ce jour, qui est marquée par le renouvellement d’une large partie de ses membres, il paraissait indispensable d’approfondir sur cette base la réflexion entamée en 2013.

À noter que, à titre personnel, je reste convaincu qu’aucun rapport et aucun organe de discipline interne à un organisme de recherche ou à une université ne pourront suffire seuls à endiguer totalement le flot montant des mauvaises habitudes qui ont maintenant cours dans la recherche, cet état de fait résultant en partie des facilités techniques procurées par la numérisation des outils de recherche.

Depuis 2013, donc, le Conseil scientifique a fait le point sur l’avancée de cette question lors de chacune de ses réunions.

Parallèlement, de nombreuses initiatives concrètes ont été prises, notamment par les grands organismes de recherche et les universités pour mieux cerner les manquements à l’intégrité scientifique et leur donner la suite qu’il convient. C’est ainsi que le CNRS dispose maintenant d’une charte d’expertise, de même que les instituts de recherche et les universités.

Souhaitons au passage que le monde de la recherche universitaire n’oublie pas d’honorer ses engagements face à ses doctorants en cessant de fermer les yeux sur la facilité consistant à confier l’encadrement de travaux de thèse à des universitaires non titulaires de l’habilitation à diriger des recherches (HDR).

Plus largement et plus positivement, chacun a maintenant admis que la formation des étudiants – peut-être même des élèves dès le lycée, voire avant – devait inclure une réflexion sur l’intégrité scientifique et sur les moyens de la faire primer sur d’autres considérations. Cela concerne tant les jeunes que les plus anciens. Cela rejoint également le thème de l’indépendance de l’expertise traité, pour ce qui concerne la santé et l’environnement et les lanceurs d’alerte, par la loi du 16 avril 2013. Cela a été pris en compte par les grandes institutions de formation et de recherche qui ont souhaité approfondir les exigences de l’intégrité scientifique.

Des chartes de l’expertise ont vu le jour à l’initiative des cinq académies, de la Conférence des présidents d’université ou de grands organismes de recherche. Cela est très prometteur. Des conférences internationales sur l’intégrité scientifique se multiplient. Faut-il aller plus loin ? Je le crois et peut-être le Pr Pierre Corvol va-t-il nous expliquer de quelle manière.

Voilà, Monsieur le président, ce que je voulais dire en préambule.

M. Jean-Yves Le Déaut. – Merci beaucoup. Comme le premier vice-président a introduit cette première question, nous aurons en tout quatre questions. Après l’intégrité scientifique, nous traiterons de la stratégie nationale de recherche, de l’intelligence artificielle et de la modification ciblée du génome, pour embrasser un champ plus global.

Les nouveaux membres se présenteront après l’intervention du Pr Pierre Corvol et le débat.

Avant de vous donner la parole, je voudrais saluer ceux qui nous quittent aujourd’hui et qui sont présents.

D’abord, Étienne Klein, que l’on remercie pour tout le travail accompli en soutien à l’Office et qui a toujours été présent quand on le lui a demandé.

Jean-Marc Egly, à qui s’applique exactement ce que je viens de dire pour Étienne Klein, mais sur un autre sujet. Il a effectué un travail de fond pendant très longtemps avec l’Office.

Laurent Gouzennes, qui a suivi des rapports, qui a été très souvent présent aux auditions et qui a conseillé les rapporteurs.

Jean-François Minster, cela a été dit dans l’exposé du premier vice-président, qui a évolué au cours de son passage à l’Office. Il est parti d’un établissement public pour arriver directeur de la recherche dans une grande société française. On le remercie d’avoir travaillé avec nous.

Jean-Pierre Finance a aussi évolué. Il a même été président de la Conférence des présidents d’université pendant cette période et était un de nos conseillers, notamment sur la partie européenne du travail de l’Office. Je voudrais l’en remercier.

Deux anciens présidents de l’Académie des technologies sont ici présents : Bruno Revellin-Falcoz et Gérard Roucairol. Là aussi, des relations étroites. Bruno vient de nous signaler que la proposition de résolution sur les sciences et le progrès dans la République, déposée conjointement par plusieurs groupes politiques, doit être corrigée sur ce point. L’erreur en question a échappé à notre œil vigilant mais on amendera le texte, bien sûr. Une proposition doit être discutée avant d’être adoptée. Cela sera fait.

Enfin, Daniel Kofman, qui vient de nous rejoindre dans cette réunion, et que je remercie également. Il nous a aidés sur d’autres types de sujets, notamment les télécommunications sur lesquels nous avons beaucoup travaillé ensemble.

Je voudrais tous vous remercier pour ce travail en commun, y compris les absents, dont Cédric Villani.

Certains nous quittent : Catherine Bréchignac, Bernadette Charleux, qui a changé de fonction ; elle était médaille d’argent du CNRS en arrivant et elle occupe maintenant un poste important à Saint-Gobain et n’a plus de temps disponible. Pour les mêmes raisons, Michel Cosnard, qui s’excuse de n’avoir pu être présent ce soir car il est en Espagne ; il est devenu le président du Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (HCERES). Edith Heard, qui est professeur au Collège de France, n’a plus de temps à nous consacrer, ainsi que Marie-Christine Lemardeley, anciennement présidente de l’université Sorbonne Nouvelle Paris 3 et aujourd’hui adjointe à la mairie de Paris.

Vous avez la parole Monsieur le Professeur.

Pr Pierre Corvol. – Merci Monsieur le président. Merci beaucoup de l’intérêt que vous portez – vous l’avez très bien dit aussi Monsieur Sido – à l’intégrité scientifique. En établissant ce rapport, j’avais regardé de près vos propositions et je connais l’intérêt de l’Office pour cette question.

Je suis heureux de rapporter devant vous la mission qui m’a été demandée par le secrétaire d’État chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche. J’ai été aidé en cela par M. Rémy Gicquel, d’une part et, d’autre part, j’ai interrogé environ soixante à soixante-dix personnes. J’ai effectué une mission auprès du Club des organismes de recherche associés (CLORA) à Bruxelles pour savoir comment cela se passe au niveau de la Communauté européenne.

Par ailleurs, j’ai conduit une mission particulièrement intéressante aux États-Unis au National Institute of Health car c’est là qu’a été créé, en 1992, un Office of Research Integrity. Si on veut regarder depuis quand l’intégrité scientifique a été prise en compte sur le plan administratif, et je dirai même sur le plan pénal, c’est aux États-Unis qu’il faut aller.

Voici quelques propos que vous connaissez bien sur la fraude en science ou l’arrangement des données. C’est un problème qui existe depuis toujours. Il a simplement connu une amplification considérable, d’abord parce qu’il y a beaucoup plus de chercheurs qui deviennent de vrais professionnels avec, en même temps, toutes les dérives que cela peut entraîner. Ensuite, parce que la fraude, le plagiat, peuvent être plus facilement repérés par les outils numériques.

Il faut savoir que, à l’heure actuelle, la plupart des écoles doctorales passent les thèses au logiciel Compilatio pour repérer les plagiats. Il en est de même maintenant pour la plupart des mémoires – donc plus facilement repérés, mais aussi plus facilement médiatisés. Malheureusement, j’ai bien vu qu’un certain nombre de journalistes, notamment de la grande presse, s’emparent avec beaucoup d’intérêt des affaires de fraude, et je pense que la communauté doit aussi autoréguler cette question.

Enfin, le manquement à l’intégrité scientifique est préjudiciable dans la mesure où, largement diffusé, il peut avoir des conséquences extraordinairement fâcheuses.

Je ne prends qu’un exemple qui m’a frappé, que je n’avais pas repéré antérieurement : l’affaire Wakefield. Wakefield était un chirurgien digestif anglais qui a faussement associé des cas d’autisme à la triple vaccination rougeole-oreillons-rubéole. Bien que ses articles aient été publiés, il a été exclu du corps médical anglais. Vous savez comme moi que persiste à l’heure actuelle dans le grand public l’idée que la vaccination peut avoir des conséquences désastreuses, notamment la triple vaccination.

Le point intéressant de ce rapport est qu’il met en évidence que c’est, bien sûr, une responsabilité individuelle du chercheur mais que la communauté doit considérer que c’est aussi, pour une part, de sa responsabilité, et tout particulièrement celle du chef d’établissement. Les présidents d’université doivent assumer une politique d’intégrité scientifique au même titre qu’une politique d’éthique, les deux n’étant pas équivalentes.

J’y reviendrai dans une minute.

Chronologiquement, c’est en 1992 que l’Office of Research Integrity a été créé au National Institute of Health. C’est à l’INSERM que la première délégation à l’intégrité scientifique dans la communauté française a été créée à la suite, d’ailleurs, d’un manquement à l’intégrité scientifique. Puis, un certain nombre de chartes et de codes ont été proposés et mis en application, notamment par l’intermédiaire d’une charte nationale de déontologie des métiers de la recherche, qui a été signée par la Conférence des présidents d’université et par un grand nombre d’organismes de recherche. C’est, en quelque sorte, un socle. Mais, au-delà de la charte, il faut aller plus loin.

Il m’a été demandé par le secrétaire d’État de faire un bilan de la mise en œuvre de cette charte nationale, qui a été signée en janvier 2015. Donc, en 2016, nous avons remis ce rapport en à peine six mois. Pour cette raison, il peut souffrir d’imperfections – je pensais qu’il fallait aller vite mais je préfère assumer, en l’occurrence, mes responsabilités. Ce rapport est disponible sur le site du ministère, pour répondre à une critique antérieure. Il y est toujours, je m’en suis assuré.

La charte de déontologie des métiers de la recherche dit en substance qu’il faut expliciter les critères d’une démarche scientifique rigoureuse et intègre. On peut parler de démarche responsable de recherche, qui est une présentation plus positive que de parler d’intégrité scientifique, formulation parfois un peu austère pour les chercheurs.

La charte met en avant la responsabilité de chaque organisme de recherche. Autrement dit, elle ne prétend pas empiéter sur la spécificité de chacun de ces organismes et de chacune de ces universités. Elle met en place des procédures claires pour prévenir et traiter les éventuels écarts par rapport aux règles déontologiques.

Comme il a été dit à l’instant, la charte s’inscrit également dans le cadre de la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et aux obligations des fonctionnaires qui traite, entre autres, des conflits d’intérêts, des cumuls d’activité des fonctionnaires mais qui introduit aussi la notion de référent déontologue dans les cas difficiles à traiter.

Enfin, la charte s’inscrit dans un grand mouvement européen puisque le Conseil européen de la recherche et de l’innovation attire l’attention de la communauté scientifique au sens large du terme, c’est-à-dire depuis le chercheur jusqu’au président d’université ou le directeur d’organisme, en passant par les organismes qui sont les pourvoyeurs des fonds, pour appliquer une politique d’intégrité scientifique et de responsabilité.

L’enquête a été menée auprès de huit grands organismes de recherche signataires de la charte. J’ai interrogé moi-même les responsables présidents directeurs généraux de ces grands organismes de recherche, qui répondaient en même temps à un questionnaire que nous avons adressé à ces présidents, aux grands établissements de recherche et aux universités.

Nous avons envoyé le questionnaire à soixante-douze universités. Malgré nos relances, nous n’avons eu que vingt-sept réponses d’universités, soit un taux de réponse de 37 % que, personnellement, j’estime franchement insuffisant, même si mes collègues des sciences humaines et sociales tempéraient mon ardeur belliqueuse en disant que ce n’était finalement pas si mal. Je pense qu’il y a des manières différentes de voir les choses suivant les disciplines.

La première question consistait à savoir si les établissements de recherche ou les universités avaient mis en place un dispositif spécifique pour traiter l’intégrité scientifique.

Un tiers des organismes de recherche l’ont fait – comme l’INSERM, mais pas le CNRS, ce dont je me suis entretenu avec son président Alain Fuchs – et sept universités sur vingt-sept. Il y a donc un déficit si on pense que le fait d’avoir une structure spécialisée souple, légère, est souhaitable. On y reviendra.

Deuxième question : dans le traitement des manquements à l’intégrité scientifique, comment la fraude peut-elle être saisie, quelle est l’instruction menée, quelle décision sera prise et quel est le nombre de cas signalés ?

Nous nous sommes tout de suite heurtés au problème que, en France, nous nous reposons sur la typologie américaine, anglo-saxonne ou européenne mais nous n’avons pas notre propre typologie avec nos propres mots. Nous nous sommes fondés dans le questionnaire sur ce que préconisent l’Office of Research Integrity et les institutions européennes, à savoir une distinction forte entre, d’une part, les fautes lourdes (fabrication, falsification de données et plagiat) et, d’autre part, les fautes dites plus vénielles, mais qui ne le sont peut-être pas réellement, notamment lorsqu’elles sont répétées. Ce sont les pratiques douteuses répréhensibles de recherche, ce que l’on appelle la zone grise. Puis, il y a les conflits d’intérêts non déclarés qui sont certainement un point important à traiter.

Si je me réfère au résultat de l’enquête sur les organismes et les universités que je vous ai indiqués, pour la période 2010-2015, il y a tout de même un nombre non négligeable de falsifications et un nombre relativement important de plagiats. Les conflits sur les signatures sont fréquents mais peuvent être traités par un médiateur. Les conflits d’intérêts non déclarés sont certainement sous-estimés. D’autres points sont traités.

J’insiste sur le fait que c’est certainement une sous-estimation grossière, notamment parce que certaines universités n’ont pas répondu et parce que, en l’absence de données prospectives, d’observatoires mis dans chacun de ces organismes ou universités, il est difficile de s’assurer que nous avons une vision complète. Ce n’est donc pas exhaustif.

D’ailleurs, vous-même aviez signalé en 2015 que, sans doute, 1 % à 2 % des articles publiés annuellement dans le monde seraient frauduleux et deux-tiers des chercheurs, dit-on, acceptent de reconnaître des pratiques douteuses de recherche.

Tous ces chiffres sont très discutables car ce sont des auto-déclarations de chercheurs qui, d’ailleurs, ne sont pas français. Il n’y a pratiquement aucune étude française dans le domaine. Ce serait certainement, à mon avis, à engager un jour, car nous savons très bien que les chercheurs peuvent être tentés de lisser leur présentation, de raconter une histoire ; d’ailleurs on leur demande la plupart du temps, dans les revues, d’arriver à une surinterprétation des résultats, à biaiser une littérature. Ils ont parfois l’intime conviction que ce qu’ils ont trouvé une fois va se retrouver, et donc influencent en quelque sorte leurs étudiants, doctorants ou post-doctorants, quand il s’agit de chefs de laboratoire. Finalement, ils en arrivent à une sélection des expériences et à un biais dans la réalité des résultats. Et cela aboutit à biaiser la confiance que le public nous fait, à nous chercheurs.

Je n’insiste pas sur le traitement. Lorsque le traitement a été mis en place dans les différentes institutions, il se fait bien sûr en interne, habituellement de façon confidentielle mais non anonyme. Il faut savoir quelle est la personne qui dénonce de façon à pouvoir traiter la délation. La confidentialité sera naturellement respectée. Habituellement, un comité ad hoc est désigné et, ensuite, si besoin est, une instance disciplinaire qui dépendra de l’établissement et aboutira à une proposition de sanction qui, in fine, appartiendra au chef d’établissement ou au président directeur de l’organisme.

Il faut savoir que, à l’heure actuelle, les réseaux sociaux jouent un rôle extrêmement important. L’affaire au CNRS qui, je le crois, a fait en même temps progresser – felix culpa – notre réflexion sur l’intégrité scientifique, a été très fortement relayée par le groupe PEER (Public Employees for Environmental Responsibility) qu’on ne peut plus ignorer, pas plus que le blog Retraction Watch, qui suit le devenir des articles rétractés.

Les suites à donner sont non seulement la rectification des résultats – et le nombre d’articles rétractés dans la littérature croît, notamment dans les grandes revues scientifiques Cell, Nature et Science – et, dans le cas qui nous intéresse en France, vous le voyez, des sanctions et des non-lieux interviennent à peu près à parts égales.

Dans son rapport, le Pr Jean-Pierre Alix avait fait huit recommandations, nous en faisons seize. Entre autres, il faut établir une typologie des inconduites.

Il convient d’élaborer et de mettre à disposition un vade-mecum juridique. C’était d’ailleurs demandé par Jean-Pierre Alix. C’est difficile dans la mesure où, encore une fois, les situations sont différentes selon les institutions. Mais il est important d’avoir une jurisprudence partagée en la matière, dans la mesure où il faut tout de même un traitement équitable entre les organismes ou entre les institutions.

Nous avons recensé les outils d’information et de formation. À l’heure actuelle, on peut dire que la plupart des grands organismes de recherche ont réellement déjà mis en place des formations tout à fait satisfaisantes même si on peut toujours faire mieux, à l’occasion d’une journée d’intégration. Vous avez indiqué notamment ce qui nous a été présenté par l’INSERM, le CIRAD, etc.

En revanche, on peut mieux faire pour les universités. Je dois dire que le fait que, dans le contrat doctoral, nous ayons un peu changé la formation à l’intégrité scientifique en la rendant obligatoire, a eu pour conséquence d’induire très rapidement un changement de comportement. J’y reviendrai.

Une absence de formation des habilitations à diriger des recherches (HDR) et des séniors référents se révèle malheureusement un peu partout. Or, l’intégrité scientifique, c’est d’être exemplaire. Je pense qu’il est important de pouvoir, à un moment donné, ne pas s’intéresser qu’aux doctorants qui focalisent l’attention, mais aussi aux post-doctorants et à ceux qui les encadrent.

L’élaboration de l’arrêté du mois de mai 2016 sur les écoles doctorales nous a permis d’intervenir pour qu’elles veillent à ce que chaque doctorant reçoive une formation à l’éthique de la recherche et à l’intégrité scientifique. Pour avoir prêché la bonne parole dans plusieurs universités et écoles doctorales, je vois que les choses se mettent en place. En fait, cela répond à une demande, critique quelquefois mais maintenant exprimée, de la part des doctorants qui se demandent comment ils vont s’en sortir : « Si on ne publie pas dans la "Sainte Trinité", comment va-t-on faire ? ».

Pour eux, la Sainte Trinité, c’est Cell, Nature, Science. Ils se disent qu’à ce moment-là l’affaire est réglée, qu’ils ont un poste, je dirai même plus, qu’ils ont éventuellement la possibilité d’une jeune pousse (start-up). Vous voyez la perversion qui peut exister. Je suis le premier à avoir été heureux de publier dans la Sainte Trinité mais les doctorants se disent que c’est vital.

Il va falloir réfléchir, notamment à l’Académie des sciences, sur la manière d’évaluer, de reprendre ces sujets, de valoriser, de récompenser la recherche.

Il faudra mettre en place un espace numérique national numérisé sur un site de type recherche.gouv.fr, de façon à pouvoir mutualiser au maximum, afin que les différentes institutions puissent bénéficier du travail des autres et des outils disponibles, notamment d’un outil de cours en ligne Massive Open Online Course (MOOC), qui est pratiquement en fin d’élaboration à l’université de Bordeaux.

Enfin, dans le questionnaire, nous leur demandions de réfléchir et de mettre en œuvre une politique scientifique ouverte open data-open access. Là, il y a deux mondes, c’est une distribution bimodale ferme. D’un côté, vous avez le monde des grands organismes de recherche (CNRS, INSERM…) qui se posent la question, ont travaillé la question et déjà mis en place des outils et, de l’autre, les universités, qui ont répondu très sympathiquement en disant « on y pense, cela frémit, il faudra qu’on le fasse, on réfléchit, on prend contact… ». C’est-à-dire qu’il n’y a rien. Or, la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique fait obligation de partager la science. À partir du moment où des données publiques sont financées par le public, elles doivent être accessibles à tous. C’est l’open science.

L’open data, c’est aller encore au-delà, c’est-à-dire donner des données brutes pour qu’elles puissent être ré-exploitées à un moment donné. Au passage, la France suit – ce que j’ai appris aux États-Unis – un statement de Barak Obama datant de 2009 qui disait exactement la même chose. C’est un des points importants qui peut aussi aider au traitement de l’intégrité scientifique.

Open data-open access, différents moyens techniques existent que je n’ai pas le temps de développer.

À l’issue de cette enquête, de ce rapport et des discussions que j’ai pu avoir, je me dis que le souhait qu’exprimaient mes interlocuteurs était d’avoir un cadrage national et juridique. Dans une seconde mission que m’a confiée le secrétaire d’État Thierry Mandon, il m’est demandé d’établir un texte national structurant pour qu’il soit distribué aux universités et à l’ensemble des organismes de recherche.

Par ailleurs, la mise en place de référents intégrité scientifique au niveau des différentes institutions me semble indispensable. Au niveau de la CPU, il y a déjà une quinzaine de référents intégrité scientifique, mais nous sommes loin de soixante-douze. Je pense que c’est indispensable. Cela fera partie du texte national en cadrant l’intégrité scientifique pour les organismes et les universités.

J’ai parlé du développement de l’information, de l’harmonisation et de la mutualisation des moyens. L’un des points importants de ce rapport, auquel je tiens – il y a une réflexion à laquelle il me semble indispensable d’associer le niveau politique, et notamment l’OPECST, qui me paraît être l’organe idoine pour cela –, c’est la création d’une structure nationale transverse. Pas une structure de plus pour simplement créer une structure de plus, bien entendu. Je vois ce qu’il se passe en Europe, je vous ai dit ce qu’il se passait aux États-Unis, il en est de même au Québec ou au Canada.

Je vous précise quelques-uns des critères à observer par cette structure qui, à mon avis, doit être transversale, non seulement transversale dans le sens d’une prise en compte à la fois de l’université et des organismes de recherche mais, en même temps, s’intéressant à la recherche scientifique pouvant émaner des ministères de la recherche, de l’agriculture, de l’industrie, etc. De même que cette structure peut bénéficier de la réflexion des différentes académies, Académie des sciences, certes, mais aussi des technologies ou de l’agriculture. Je suis d’ailleurs allé à l’Académie des technologies prêcher cette idée.

Je pense que cette structure doit être indépendante, ce qui pose une question. Je sais que, à l’heure actuelle, une réflexion est menée au Sénat et à l’Assemblée nationale, où une proposition de loi est discutée sur les autorités administratives indépendantes et autres autorités publiques indépendantes. Nous n’arrivons peut-être pas au bon moment alors qu’il s’agit de simplifier la vie administrative du pays mais c’est une vraie question qui nécessite un concours de l’OPECST et, d’une manière générale, une intervention du niveau politique.

Cet office, cet observatoire, pourrait être un lieu qui rassemblerait une expertise, une source de conseils et d’avis et qui assurerait l’établissement d’un lien institutionnel avec le niveau européen. J’ai rendez-vous prochainement avec le commissaire européen à la recherche et à l’innovation. Il est donc important que je n’y aille pas en tant que petit missionnaire mais que, un jour, un office puisse déléguer quelqu’un qui établirait un rapport régulier avec nos collègues européens, notamment au niveau de la Commission européenne.

Se pose aussi la question des recours éventuels, ainsi que d’autres questions du même type.

J’ai peut-être été un peu trop long, Monsieur le président, mais quand je me lance sur ce sujet, il est difficile de m’arrêter, comme vous le voyez…

M. Jean-Yves Le Déaut. – Merci beaucoup Pr Pierre Corvol. Ce que vous venez de dire correspond à la réflexion que nous avons eue ensemble le 9 juillet 2014, ici-même, où plusieurs d’entre vous s’étaient déjà exprimés.

Nous vous laissons réagir, sachant que, pendant la seconde heure de réunion, les nouveaux membres se présenteront, ce qui prendra quelques minutes, même si chacun est concis. Par la suite, nous aborderons de manière globale les trois sujets déjà évoqués pour faire jouer le rôle collectif du Conseil scientifique.

Donc, quelques réactions sachant que nous avons déjà eu cette discussion pendant plus d’une heure, ici, ensemble, le 9 juillet 2014. Nous nous retrouvons totalement dans les conclusions du Pr Pierre Corvol. Je proposerai au bureau de l’OPECST, puisque c’est lui qui en décidera, d’envisager d’associer le compte rendu de notre réunion de 2014 à celui de la réunion d’aujourd’hui consacrée à l’intégrité scientifique, pour en faire un document dans lequel nous reprendrions votre souhait que le rôle de l’Office parlementaire soit accru sur ce sujet.

Merci de nous faire part brièvement de vos remarques pour que l’on puisse ensuite aborder le reste des sujets.

M. Alain Aspect. – J’ai été un peu choqué, le mot est peut-être un peu fort, mais au moins titillé par l’affirmation qu’il y a un flot montant d’impostures scientifiques ou de manquements à l’intégrité scientifique. Ce n’est pas du tout le sentiment que j’ai. Je sais bien qu’il ne faut pas faire de sa propre discipline quelque chose de général mais en tant que physicien, je ne ressens pas du tout un flot montant, et je pense qu’il faut faire très attention à ne pas alimenter cette croisade des médias qui laisserait entendre que tous les scientifiques sont corrompus et commettent des manquements. Je veux dire que de tels mots peuvent, à mon avis, être dangereux. Je m’inscris personnellement en faux contre l’expression « flot montant des manquements aux règles d’éthique scientifique ».

Parmi tout ce qui a été dit, qui est excellent, je voudrais traiter en particulier le point de la « Sainte Trinité ». D’abord, mon expérience personnelle : je suis régulièrement referee pour Nature, encore que souvent je refuse, mais j’ai des expériences personnelles montrant que les éditeurs de Nature, eux, ne respectent pas l’éthique scientifique.

Je peux vous citer un cas. Nous étions trois referees à avoir dit : l’expérience présentée est excellente, il faut la publier, c’est un point de départ pour une nouvelle technique. En revanche, je ne sais pas comment le dire en français, la revendication (claim) qui est faite est beaucoup trop forte. Pour ceux qui savent ces choses-là, deux écarts type, ce n’est pas significatif. Le CERN annonce la découverte d’une nouvelle particule quand il y a trois écarts type. À trois, ils commencent à en parler et à cinq, ils le revendiquent. À trois, il y a des fuites. Or là, il y avait deux écarts type. Je le sais, j’ai vu les trois rapports, nous étions trois. C’était la violation des inégalités de Bell. On dit qu’à deux écarts type, on ne revendique pas si fort. En revanche, la « manip » est magnifique. Or, Nature n’a rien à faire des avis des lecteurs spécialisés (referees), ils ont maintenu le claim parce qu’ils voulaient être les premiers.

C’est un vrai sujet qui ne peut être traité que par l’association de plusieurs organismes dans divers pays. En ce qui concerne ma discipline, la physique, si le CNRS, Max Planck, la National Science Foundation (NSF) aux États-Unis, etc., décidaient de taper du poing sur la table en disant que ces évaluations font porter un poids excessif sur ces revues, on pourrait peut-être en venir à bout. Sinon, cela relève d’actions individuelles. Dans mon groupe de recherche, je freine des quatre fers, mais je suis de temps en temps obligé d’accepter de publier un article dans Nature parce que les post-docs et les thésards le veulent.

Je suis dans un conseil d’évaluation à l’École polytechnique fédérale de Zurich (ETH). J’ai été obligé de mettre les choses au point en disant : je ne veux plus qu’on me présente les articles comme cela en donnant l’impression que Nature est forcément meilleur que Physical Review Letters. Je suis désolé, Physical Review Letters c’est très bon même s’il y a aussi du moins bon. Enfin, au bout de deux ou trois ans, on sait bien si les articles ont été cités ou pas.

Je veux dire que c’est un problème grave auquel seuls les grands organismes (CNRS, Max Planck, etc.) peuvent répondre.

Il n’y a pas de solution simple au problème de la « Sainte Trinité ».

M. Jean-Yves Le Déaut. – Ces remarques nous éclairent effectivement, même s’il n’y a pas de solution simple.

Mme Valérie Masson-Delmotte. – Je vous remercie de cette présentation qui montre l’avancement de la réflexion avec un certain nombre de pistes qui répondent, pour moi, à des attentes que je ressentais, compte tenu de la situation que j’ai connue au Danemark ou en Suisse, avec des instances de ce type qui n’existent pas en France.

J’ai trois commentaires à vous présenter.

Premièrement, la question du plagiat. Il me semble essentiel qu’on apprenne aux élèves, dès le secondaire et dans le supérieur, à ne pas plagier. Une manière de faire, c’est de doter les enseignants de logiciels anti-plagiat qui permettent de repérer facilement les copies mot à mot de morceaux entiers de sources diverses et variées ; personnellement, je les utilise comme relecteur (reviewer) et comme éditeur. Je vois un nombre hallucinant de rapports, y compris au niveau du master 2 (M2), où des pans entiers sont copiés. Après, pour les étudiants qui arrivent en thèse, ils considèrent cela comme normal. Il faut donc que ce soit traité très en amont.

Deuxièmement, aujourd’hui notre système de publication scientifique commercial se répand. Donc, je l’ai vu à plusieurs reprises, n’importe quel article scientifique, même mauvais, avec des failles, finit par être publié pour un peu que les auteurs soient persévérants et aient les moyens de payer. Comment lutter contre cela ? C’est une question de fond et il me semble que si on ne l’aborde pas, l’ensemble de la rigueur scientifique en pâtira.

Troisièmement, à mon sens, le seul moyen d’améliorer la rigueur des publications scientifiques est la transparence sur le nom des éditeurs, le nom des reviewers, le processus de relecture.

Je partage les réserves exprimées pour Nature et Science et je voulais signaler les initiatives qui ont été prises par la société européenne de géosciences (EGU), qui est éditrice d’un certain nombre de journaux pour lesquels tout est transparent. L’article initial est en ligne ainsi que les commentaires des reviewers, les réponses et l’article accepté dans la version finale. Je pense que c’est avec des approches de ce type que l’on peut augmenter le niveau de rigueur.

M. Jean-François Minster. – Merci pour ce rapport qui est très bien construit.

Je voulais faire une double remarque. En France, plus de la moitié des chercheurs sont dans l’industrie ; tel qu’il est conçu, ce rapport est clairement orienté vers les chercheurs du monde de la recherche publique. Donc, il y a une question complémentaire à soulever.

En revanche, il faut réaliser que les manquements à l’intégrité que vous décrivez mutatis mutandis sont, à peu de chose près, les mêmes dans l’activité industrielle ou le milieu des affaires et que, dans l’industrie se sont développés depuis un certain nombre d’années des processus, des outils de formation. Je peux vous dire que, dans mon groupe, la formation à l’éthique et à l’intégrité est obligatoire. Il n’y avait pas le choix, tout le monde devait la suivre.

Les processus sont validés par des intervenants externes. Pour les entreprises qui travaillent aux États-Unis, ces intervenants sont nommés par le ministère de la Justice de ce pays et ils travaillent à l’échelle mondiale.

Quand la question a été posée chez nous de savoir ce que nous faisions sur l’intégrité scientifique, la réponse a été : non, il existe une intégrité pour le groupe. Elle se décline avec des mots et des conditions particulières pour la science, mais ce sont les mêmes enjeux utilisant les mêmes outils. Et ces outils existent et fonctionnent.

Il y a, d’une part, une vraie logique à veiller à ce que la recherche prise en compte ne soit pas uniquement la recherche publique et, d’autre part, une utilité de conduire certaines expériences qui pourraient être bénéfiques.

M. Jean-Marc Egly. C’est un excellent travail qu’a fait le Pr Pierre Corvol, c’est un travail absolument monumental.

J’ai une ou deux questions. Je pense qu’il faut distinguer entre fraude et mauvaise interprétation, car on a tendance maintenant à les confondre. Par ailleurs, il faudrait s’attaquer un peu plus à la source. Les méthodes d’évaluation, dans le public comme dans le privé, reposent sur le nombre de publications. En France, même les enseignants sont évalués en fonction du nombre de publications qu’ils réalisent.

Des travaux ont été faits aux États-Unis. Un article est récemment paru dans Nature ou dans Science où sont énumérés quatre ou cinq critères équivalents pour évaluer quelqu’un : les publications, les contrats et la façon de les obtenir, le comportement, l’éducation vis-à-vis des étudiants, les compétences en ce qui concerne le management des équipes, les activités administratives, etc.

Ces critères sont pris en compte pour évaluer toutes les personnes candidates à des tenures aux États-Unis, ce qui n’est pas du tout le cas en France.

Je m’étais déjà insurgé, en 2014, lorsqu’on a commencé à dire que les étudiants sont les premiers responsables. Il faut faire attention à ce que l’on fait, et je rejoins mes collègues, car si l’on continue ainsi, plus aucun étudiant ne voudra faire de la recherche. Il faut être très prudent.

Il faut dire aussi que les étudiants veulent plaire au prince : Messieurs les députés, Messieurs les sénateurs, vous avez autour de vous beaucoup de personnes qui veulent vous plaire et qui font tout ce que vous voulez. C’est la même chose dans les équipes de recherche. Si certains étudiants ne plaisent pas au prince, cela revient à retourner dans les bidonvilles de New Dehli, de Shanghai ou au fin fond d’une province française ou européenne.

Il faut donc tenir compte de tous ces critères.

M. Jean-Yves Le Déaut. – Nous avons une contrainte de temps. Nous souhaitons maintenant que les nouveaux membres se présentent. M. Marcel Van de Voorde, nous émettrons encore une remarque sur l’intégrité scientifique à la fin de la réunion si nous sommes dans les temps.

Je pense qu’il convient que chacun se présente et expose succinctement ses domaines d’activité.

M. Stéphane Mangin. – Je suis professeur à l’université de Lorraine et fondateur d’un laboratoire avec l’université de San Diego (UCSD).

M. Étienne Klein. – Directeur de recherche au CEA. Je suis sortant. Je suis président de l’Institut des hautes études pour la science et la technologie (IHEST) depuis quelque temps.

Mme Claudie Haigneré. – Aujourd’hui de retour à l’Agence spatiale européenne (ESA).

M. Jean-Marc Egly. – Directeur de recherche faisant toujours de la recherche et professeur à Taipei.

M. Antoine Petit. – Informaticien, je suis professeur à l’École normale supérieure de Cachan qui s’appelle depuis peu l’École normale supérieure Paris-Saclay. Je suis ici parce que je suis président-directeur général de l’INRIA qui est un institut chargé des sciences du numérique, plus particulièrement des volets mathématique et informatique – et je ne suis pas là par népotisme bien qu’étant le fils de Michel Petit qui a été évoqué tout à l’heure !

M. Jean-Yves Le Déaut. – Et pas son neveu ?

M. Alain Aspect. – Je suis directeur de recherche émérite, pas de mon plein gré, à l’Institut d’optique. Je suis encore professeur à l’École polytechnique et à l’Institut d’optique. Je fais de la physique quantique.

M. Gérard Berry. – Informaticien, je suis professeur au Collège de France. J’étais avant chercheur à l’École des mines et j’ai été industriel pendant neuf ans dans une société qui s’appelait et s’appelle toujours Esterel Technologies, mais qui est devenue américaine… pour cause de succès.

M. Guy Vallancien. – Je suis chirurgien, ex-universitaire, membre de l’Académie de médecine. J’ai travaillé depuis des années sur la robotique chirurgicale et je travaille aujourd’hui sur l’interface homme machine.

Mme Valérie Masson-Delmotte. – Je suis directrice de recherche au CEA. Mes recherches portent sur les sciences du climat et je suis également coprésidente du groupe de travail du GIEC sur les bases physiques du changement climatique.

M. Jean-François Minster. – J’ai été océanographe et professeur à l’école Paul Sabatier ; depuis vingt ans dans la gestion de la recherche. Je suis maintenant retraité.

M. Bruno Revellin-Falcoz. – Quarante-cinq ans dans l’aéronautique chez Dassault Aviation, membre de l’Académie des technologies et aujourd’hui vice-président de l’Institut européen d’innovation et de technologie.

M. Jean-Pierre Gattuso. – Je suis océanographe CNRS, UPMC et je travaille à Villefranche-sur-Mer.

M. Gérard Roucairol. – Membre sortant. J’ai été universitaire pendant quinze ans, responsable de recherche du groupe Bull pendant vingt-cinq ans, ensuite président puis ancien président de l’Académie des technologies et je reste encore président du conseil scientifique de l’Institut Mines-Télécom.

M. Gérard Bronner. – Professeur de sociologie à l’université Paris-Diderot et membre de l’Académie des technologies.

Mme Sophie Ugolini. – Je suis directrice de recherche INSERM. Je travaille à Marseille au Centre d’immunologie de Marseille-Luminy. Je suis immunologiste, membre du Conseil scientifique de l’INSERM.

M. Monsef Benkirane. – Je suis directeur de recherche au CNRS et directeur de l’institut de génétique humaine où j’anime un groupe de recherche qui s’intéresse à la virologie moléculaire et en particulier au virus du sida. Je suis également président de la commission de l’Agence nationale de recherche (ANR) contre le sida à Montpellier.

Mme Astrid Lambrecht. – Je suis directrice de recherche au CNRS au laboratoire Kastler-Brossel à Paris. Je travaille en physique quantique. J’ai été également éditeur pendant sept ans d’un journal européen de physique où j’ai pu constater un certain nombre de plagiats. Depuis un an, j’occupe également la fonction de directrice adjointe scientifique à l’Institut de physique du CNRS, où je me consacre aux chercheurs et aux laboratoires en physique atomique et moléculaire, optique laser et plasma chaud.

M. Marc Sciamanna. – Je suis professeur à Centrale-Supélec qui est née en 2015 de l’École Centrale Paris et de Supélec. Je travaille sur le campus de Metz, puisque l’école est partagée en trois campus, à Paris, à Rennes et à Metz. Je suis titulaire d’une chaire qui commencera son enseignement en janvier 2017 sur l’exploitation des technologies optiques pour le traitement de l’information. Ma spécialisation est à la fois l’information, la physique et l’exploitation des lasers. Je remercie les membres de l’OPECST pour ma nomination au Conseil scientifique.

M. Marcel Van de Voorde. – Je suis Belge. Membre du conseil du CERN, à Genève, membre du groupe de conseillers de la Commission européenne. Concernant la recherche, je suis toujours à l’Institut Max Planck en Allemagne. Je donne, de temps en temps, des cours dans les grandes écoles à l’université de Tsinghua à Pékin, l’université de Tokyo et à Caltech aux États-Unis.

M. Jean-Pierre Finance. – J’étais professeur d’informatique. J’ai été assez longtemps président de l’université à Nancy, président de la CPU comme l’a dit le président Le Déaut tout à l’heure. J’ai représenté la CPU à Bruxelles et j’ai terminé ma responsabilité de président d’université à Nancy en la « tuant », puisque nous en avons fait l’une des composantes de l’université de Lorraine en 2011-2012. Je continue à travailler – c’est pour Pierre Corvol – sur les questions d’open science à l’échelle européenne au niveau de l’association des universités européennes.

Mme Christine Clerici. Professeur de médecine, présidente de l’université Paris-Diderot et vice-présidente de la commission recherche de la conférence des présidents d’université.

Mme Madeleine Akrich. – Je suis directrice de recherche à l’École des mines, au centre de sociologie de l’innovation. Je suis tout à fait passionnée par le travail de l’OPECST puisque je m’intéresse beaucoup, pour dire vite, aux implications politiques du développement scientifique et technique et je fais amplement travailler mes étudiants sur l’analyse de controverses.

M. Daniel Kofman. – Professeur à Télécom-ParisTech, membre sortant.

Mme Hélène Bergès. – Je dirige une unité de l’INRA basée à Toulouse où l’on travaille sur le génome des plantes en termes d’évolution et d’adaptation. J’ai la chance d’être une femme et d’habiter en région, ce qui, pour une fois, constitue des avantages !

M. Jean-Yves Le Déaut. – Tu pourrais aussi mentionner la médaille que tu as obtenue et qui n’est pas due à ces critères.

M. Laurent Gouzenes. – Je suis informaticien. J’ai travaillé au CNRS, à l’ONERA, et souvent en entreprise dans des grands groupes. Je remonte aujourd’hui une jeune pousse (start-up) centrée sur la gestion de connaissances.

Je travaille également beaucoup avec le MEDEF puisque j’y suis président de la commission innovation, et notamment sur tout ce qui est relation au MEDEF avec les entreprises, laboratoires, docteurs, pôles de compétitivité, institut Carnot et formation. Le sujet qui me préoccupe actuellement est lié à cette réunion de l’Office sur la formation des ingénieurs qui a eu lieu dernièrement. Je pense que nous aurons le soutien du MEDEF sur la problématique de la réforme du lycée, qui est un sujet très important pour former nos futurs scientifiques.

M. Patrick Netter. – Je suis professeur des universités et praticien hospitalier à l’université de Lorraine, depuis le départ très impliqué dans la recherche, en particulier dans le domaine de la bioingénierie moléculaire, cellulaire et thérapeutique.

J’ai été directeur d’UMR, doyen de la faculté de médecine de Nancy, puis directeur de l’Institut des sciences biologiques (INSB) du CNRS sous la direction de André Syrota, qui a contribué à la mise en place de l’alliance Aviesan. À la suite de mon mandat de directeur d’INSB, j’ai participé à la politique européenne du CNRS pour le programme ERC (European research Council). Actuellement, je m’implique beaucoup en tant que responsable d’un pôle de biologie médecine à l’université de Lorraine et, au niveau de l’Académie de médecine, dans les interfaces avec les autres académies, ainsi que dans les expertises dans le domaine des politiques publiques.

Mme Virginie Tournay. – Je suis politologue, directrice de recherche au CNRS, basée au centre de recherches politiques de Sciences Po. Je ne suis pas un véritable chercheur en sciences humaines et sociales, puisqu’il y a une vingtaine d’années, donc dans une autre vie, j’ai passé un diplôme d’études approfondies en biologie moléculaire et cellulaire. Je garde donc un intérêt particulier pour le rapport science-société et pour tout ce qui concerne les biotechnologies. Je m’intéresse plus particulièrement aux politiques du vivant, c’est-à-dire à tout ce qui touche l’encadrement, la régulation et la mise en catégorie administrative de la matière vivante, depuis les biotechnologies rouges, vertes, jusqu’à l’administration du corps biologique à travers, par exemple, les controverses autour de la fin de vie.

M. Jean-Yves Le Déaut. – Merci à toutes et à tous d’avoir accepté de nous aider. Vous voyez qu’il y a de grandes différences de parcours entre vous, puisque c’est ce que l’on souhaite. À chaque rapport de l’Office, ce ne sont pas uniquement des membres du Conseil scientifique qui sont consultés ; vous nous indiquerez donc quelles sont, à votre avis, les meilleures personnes pouvant aider les rapporteurs sur des thèmes qui établissent de plus en plus le lien entre le Parlement et le monde de la science.

– Discussion à propos des études en cours

M. Jean-Yves Le Déaut. – Nous allons maintenant passer à la seconde partie de notre ordre du jour. Je serai bref et ne reviendrai pas sur tout ce qui a été dit puisque je vous ai déjà dit de quoi il s’agissait.

La loi du 8 juillet 1983 qui a créé l’OPECST dit que l’Office « recueille des informations, met en œuvre des programmes d’études et procède à des évaluations ». Nous travaillons en amont de la loi. Nous participons à la fabrication de la loi grâce à vous.

Je salue le Pr Sahel qui arrive, c’est un nouveau membre qui va se présenter tout à l’heure.

L’OPECST « met en œuvre des programmes d’études », dit la loi, quand il est saisi par une commission de l’Assemblée nationale ou du Sénat. Il y a bientôt deux ans, le Premier vice-président Bruno Sido a rendu un rapport important sur la sécurité du numérique. Comme je l’ai déjà dit, je travaille actuellement avec Mme Catherine Procaccia sur la modification ciblée du génome et toutes les conséquences de cette révolution dans le monde de la biologie ; nos collègues, malheureusement absents, M. Claude de Ganay, député, et Mme Dominique Gillot, sénatrice, travaillent sur l’intelligence artificielle et le « deep learning ». Une ou deux personnes parmi vous viennent de parler de cette question.

L’OPECST « procède à des évaluations ». La loi nous demande d’évaluer un certain nombre de points, par exemple, le programme de gestion des matières et déchets radioactifs, la stratégie nationale de recherche et à chaque révision de la loi bioéthique, de donner notre avis sur les consultations publiques organisées par le Comité consultatif national d’éthique (CCNE).

Nos deux rapporteurs sur les questions d’éthique, les députés Alain Claeys et Jean-Sébastien Vialatte ont rendu un récent rapport sur l’épigénétique. Mme Maud Olivier, qui était là tout à l’heure, a rendu un rapport, avec le sénateur Jean-Pierre Leleux, sur la diffusion de la culture scientifique et technique. Voilà pour les rapports et les évaluations.

Enfin, l’OPECST « recueille des informations ». Dès qu’un problème se pose – j’en profite pour saluer les sénateurs François Commeinhes et Roland Courteau qui travaillent sur les épidémies vectorielles comme le virus Zika – le survol des centrales nucléaires par des drones ou des concentrations de ségrégation de carbone dans les cuves des réacteurs nucléaires de l’EPR, par exemple, nous organisons une journée d’étude selon les méthodes mises en place par l’Office pour suivre des sujets d’actualité.

Voilà la manière dont nous fonctionnons. Vous êtes, anciens et nouveaux membres du Conseil scientifique, à chaque fois les bienvenus si vous souhaitez participer à ces études, si le sujet vous intéresse dans un comité de pilotage ou pour nous indiquer, évidemment, les meilleures personnes pouvant nous apporter le maximum de conseils sur ces sujets.

Pour revenir à l’évaluation de la stratégie nationale de recherche, nous avons déjà réalisé des auditions et en organisons une autre le 8 décembre prochain. Les principaux points vous en ont déjà été indiqués. Le point principal est que cela ne va pas forcément se diffuser facilement du haut vers le bas. J’ai interrogé des chercheurs dans des universités sur ce qu’ils pensent de la stratégie nationale de recherche et ils m’ont répondu qu’ils ne savent pas ce que c’est. Ils ne savent pas que, à un moment donné, une stratégie a été élaborée. Mme Valérie Masson-Delmotte fait partie du Conseil stratégique de la recherche, je ne sais pas si c’est le cas d’autres personnes autour de la table. Il y en a au moins une présente parmi les vingt-quatre.

À mon avis, il y a un travail très important de diffusion de l’information à conduire, y compris dans ce domaine, et peut-être de réflexion sur les points indiqués comme des points forts, pour voir si l’on se donne les moyens de nos ambitions. Ce sera l’évaluation que nous ferons dans quelques jours.

Sur l’intelligence artificielle : quelles seront les conséquences de l’effacement des frontières entre l’homme et la machine et quels secteurs seront les plus concernés ? Comment voyez-vous cette question ?

Enfin, je vous ai déjà parlé de la modification ciblée du génome. Depuis un an, j’ai beaucoup travaillé sur ce sujet. J’ai vu avec Mme Catherine Procaccia tous ceux qui ont travaillé dans le monde entier sur ce sujet : Mmes Emmanuelle Charpentier à Berlin, Jennifer Doudna à San Franciso, M. Ethan Bier sur le guidage de gènes (gene drive) à San Diego. Nous sommes allés en Argentine et au Brésil, où nous avons vu ce qui s’y fait dans le domaine de l’agriculture. Nous suivons les discussions européennes sur le thème : s’agit-il d’OGM cachés ? Nous avons déjà bien abordé toutes ces questions, nous les connaissons mais nous sommes preneurs de vos remarques aujourd’hui.

Qui souhaite intervenir sur ces trois thèmes, sachant que, dans vingt minutes, nous partagerons un moment plus convivial pour vous remercier et remercier le Pr Pierre Corvol d’avoir présenté devant nous le rapport qu’il a rendu au ministre ?

M. Gérard Roucairol. – J’avais une question à cheval sur l’intelligence artificielle et la modification ciblée du génome, parce que, d’une certaine manière, si l’on sait cartographier le génome de toutes parties vivantes sur cette terre, en accumulant beaucoup de génomes, on arrive aussi à prédire en utilisant en particulier la technique de « deep learning ».

Cela me semble plutôt intéressant dans l’articulation des deux. Je ne sais pas si cela est abordé dans chacun des sujets, mais comme cette question me préoccupe, je me permets de la poser. Si l’on veut le faire, cela me semble relever d’un travail parlementaire ; pour l’encadrer nous disposons en France de la loi « Informatique et Libertés ».

Il me semble que, si l’on veut aller assez loin dans les conséquences que l’on peut traiter, notamment par les techniques dites d’intelligence artificielle, pour essayer de prédire des comportements, des maladies, etc., d’après l’expérience qu’on peut en avoir, il existe des traitements qui justifient de faire évoluer cette loi « Informatique et Libertés ». Autrement dit, pour exploiter certains aspects de l’intelligence artificielle appliqués notamment à la modification ciblée du génome, et tout ce que l’on peut en faire, il me semble qu’il y a un sérieux peignage de la loi « Informatique et Libertés » à effectuer. Je m’arrêterai là sur le sujet.

L’informaticien que j’ai été pendant plus de 45 ans a vu assez régulièrement des pics d’intérêt autour de l’intelligence artificielle, dans les années 1960 et 1970, c’était la traduction automatique. On allait tout traduire automatiquement et cela ne commence à se faire que maintenant avec des techniques très différentes de celles de l’époque.

Ensuite, dans les années 1980, on a vu sortir sur toute la planète la cinquième génération d’ordinateurs qui étaient supposés devenir complètement intelligents, il n’y aurait plus rien à faire, etc. Certes, il y a eu des retombées intéressantes mais, à chaque fois, l’expression « intelligence artificielle » fait rêver et génère des fantasmes ainsi que toute une problématique qui n’a souvent pas lieu d’être car bâtie sur des extrapolations non vérifiées. C’est un point important.

Ce qui me semble intéressant dans ce que l’on vit actuellement avec cette troisième génération de retour sur l’intelligence artificielle, c’est que, lorsque John McCarthy a inventé le terme d’intelligence artificielle dans les années 1960, j’ai le sentiment qu’il a utilisé le mot « intelligence » à l’anglaise dans le sens « Intelligence Service » (service de renseignement), ce qui n’était pas tout à fait la même chose que la connotation d’intelligence qu’on lui donne maintenant.

Ce qui me semble important et ce qui fait que nous en parlons, c’est précisément ce que vous avez dit : grâce à l’évolution de l’informatique et à la puissance de calcul, nous avons montré que des mécanismes que l’on connaissait depuis les années 1990, comme les réseaux de neurones, peuvent fonctionner et aboutir à des résultats.

Je crois que c’est cela la rupture, mais restons sur l’analyse de ce phénomène et circonscrivons toute étude sur l’intelligence artificielle à l’étude de ce phénomène. Et ne commençons pas à extrapoler dans le sens du mythe, ce qui est facile mais générateur de déceptions, car ce qui s’est passé dans les années 1980 sur la cinquième génération a conduit à quinze ans de non-intérêt de la planète entière pour l’intelligence artificielle. Ceux qui l’avaient promise à l’époque s’en sont mordu les doigts dans les quinze ans qui ont suivi.

M. Laurent Gouzenes. – Je profite de cette intervention sur l’intelligence artificielle pour dire que j’organise au MEDEF, le 23 janvier 2017, une réunion et je voudrais te convier à intervenir, si tu veux bien, pour présenter les résultats de ces études et travaux. C’est une petite parenthèse sur le sujet.

Je voulais surtout parler du système français de recherche et d’innovation (SFRI), et d’un exercice parallèle fait à la direction générale des entreprises (DGE) qui s’appelle les « technologies clés ». Ce sont deux exercices de prospective qui ne discutent pas beaucoup entre eux. On n’a pas beaucoup vu la SFRI, pour ne pas dire pas du tout, et je la vois plutôt comme un exercice universitaire plutôt que comme un exercice commun réalisé par l’ensemble de la recherche pour l’ensemble de la recherche. C’est dommage. Il faut faire encore des efforts de prospective commune entre les laboratoires publics et les laboratoires privés.

M. Antoine Petit. – Deux remarques rapides,. La première sur la SNR est un peu iconoclaste. Pourquoi cela n’intéresse-t-il pas les chercheurs ? Parce que je vous mets au défi de trouver quelque chose qui n’est pas dans la SNR. Donc, à partir du moment où tout sujet est dans la SNR, les chercheurs se disent : « Très bien, mon sujet est dans la SNR, cela me va bien » et, pour le reste, passons à autre chose. Tant que nous ne serons pas capables d’effectuer de vrais choix, vous aurez cette réaction de la communauté scientifique.

En ce qui concerne les vrais choix dont celui de l’intelligence artificielle, je n’adhère pas totalement à ce qu’a dit Gérard Roucairol, même si j’ai le plus profond respect pour ce qu’il dit de façon générale.

Il faut s’interroger sur le fait que l’intelligence artificielle est aujourd’hui source de nombreuses réflexions dans divers pays et de succès spectaculaires pour lesquels il n’y a jamais eu l’équivalent. Cela constitue un enjeu industriel et économique majeur et pose des questions d’éthique et d’intégrité qu’il faut traiter.

D’un autre côté, je pense qu’il serait souhaitable que la France ne se contente pas d’être championne du monde de l’intelligence artificielle sur les questions d’éthique et d’intégrité, laissant aux autres – les Américains, les Japonais, les Coréens – le soin de faire de l’argent, des affaires, de créer des emplois et de la valeur.

Sur le sujet de l’apprentissage artificiel, j’emploie ce mot parce qu’il est précis, il faudra examiner des questions bien avant qu’elles ne se posent, ce qui, malheureusement, n’a pas été souvent le cas en informatique jusqu’à maintenant.

Je prends un exemple très simple : les questions de responsabilité et les questions de législation. À l’heure actuelle, des constructeurs prévoient de faire rouler des voitures avec des systèmes de reconnaissance d’images fondées sur des réseaux de neurones. Cela produit des choses étonnantes. On a tout de même un petit problème : on ne comprend pas comment cela fonctionne et on n’a pas d’idée sur la manière de qualifier les résultats. Cela pose donc le problème assez sérieux d’avoir à donner le permis de conduire à une voiture conduite par un programme qui, en plus, va changer sans arrêt. Non seulement le programme va apprendre sans arrêt, mais les constructeurs ont l’intention de changer le logiciel de ce programme sans arrêt. Donc, la notion de permis de conduire et d’identification du responsable en cas d’accident doit être traitée avant que les problèmes ne se manifestent dans la rue. Il faut au moins les étudier parce que les traiter n’est pas simple.

M. Gérard Berry. – Je poserai deux questions. La première est destinée aux éminents physiciens qui sont autour de nous.

On parle d’apprentissage de l’intelligence artificielle qui est très lié à la capacité de calcul. On a lu récemment que l’informatique quantique serait en train d’avancer avec la capacité de produire, de manière massive, des photons intriqués. Pensez-vous que cela reste une idée pour le très long terme ou est-ce que l’on serait prêt à multiplier par plusieurs facteurs notre capacité de calcul ?

M. Alain Aspect. – Voici la réponse que je donne officiellement, y compris au Parlement européen, y compris devant les commissaires européens à la recherche et à l’économie numérique. Je me sens devant l’ordinateur quantique universel dans la même situation que celle dans laquelle j’étais il y a trente ans quand on parlait de détection des ondes gravitationnelles. À savoir : aucune loi physique fondamentale ne l’interdit mais le fossé technologique apparaît extraordinairement difficile à franchir. Il n’empêche que dans le cas des ondes gravitationnelles, trente ans plus tard, on vient effectivement de les détecter.

Je ne peux pas en dire plus. En revanche, je suis persuadé qu’il y aura de nombreux domaines où l’information quantique jouera un rôle. On pourra, par exemple, avoir des microprocesseurs quantiques pour répondre à un problème particulier que l’on intégrera sur une carte d’un ordinateur classique. S’agissant de l’ordinateur quantique universel, personne n’a la moindre idée de la manière dont on va arriver à en franchir toutes les étapes. En revanche, encore une fois, aucune loi fondamentale de la physique ne l’interdit.

M. Daniel Kofman. – Dans l’apprentissage de l’intelligence artificielle, en reprenant ce que disait M. Gérard Roucairol, dans le domaine de la génomique de la santé en particulier, il existe des entreprises très avancées. L’apprentissage prend du temps et ces entreprises sont en train d’apprendre. Je pense en particulier au programme Watson, mais ce n’est pas le seul. Je voudrais soulever la question d’une politique publique pour des machines qui apprendraient dans des domaines comme ceux de la santé, de l’enseignement ou de la sécurité, qui restent essentiels au secteur public.

Mme Claudie Haigneré. – C’est simplement une remarque sur la constitution du Conseil scientifique. Cela me permet de remercier tous ceux qui s’y associent maintenant et ceux qui ont travaillé depuis quelques années à vos côtés.

Vous avez insisté sur la diversité des régions, la diversité des genres, la diversité des disciplines. Je pense qu’il pourrait être utile d’avoir un regard autre que strictement français. M. Marcel Van de Voorde est avec nous. Pouvoir intégrer à l’avenir un regard de ce type sera important parce qu’on voit bien que les sujets d’open access, open data, open cloud se traitent à l’échelle européenne. Sur des sujets de modification ciblée du génome, on peut éventuellement avoir un regard européen avec nos traditions qui n’est pas le même que celui d’une culture asiatique ou d’autre nature. Je pense que cette diversité est également à prendre en compte.

M. Stéphane Mangin. – Je reviens sur l’intelligence artificielle avec des besoins de plus en plus importants d’ordinateurs et d’objets connectés. Je crois que l’ensemble de ces objets connectés, en termes de consommation énergétique, représente 7 % de l’énergie disponible aujourd’hui, et les projections sont que, en 2040, cela représenterait 100 % de l’énergie. Il y a donc une obligation de modifier le cours des choses et de prendre en compte l’importance d’aller vers ce qui est le « bioinspiré ». C’était ma remarque.

M. Marc Sciamanna. – Deux remarques sur deux sujets : la stratégie nationale pour la recherche et l’innovation et l’intelligence artificielle.

Sur la stratégie nationale pour la recherche et l’innovation, j’ai l’impression que cela circule aussi au niveau des ministères. Il deviendra de plus en plus indispensable, même essentiel, de coupler l’aspect recherche et innovation à l’aspect enseignement, qui est une grosse préoccupation.

Nous avons, par exemple, à Centrale-Supélec une préoccupation qui rejoint aussi celle sur l’éthique. Sur l’intégrité scientifique, nous avons une adéquation à trouver entre une stratégie de la France par rapport à un positionnement recherche et développement, l’innovation des entreprises avec une préoccupation essentielle de l’enseignement. Je pense que cela devrait être un élément à prendre en compte lors de l’évaluation. J’ai l’impression que ce message commence à circuler dans les cabinets ministériels, puisque j’ai entendu dire qu’une fusion des directions générales de l’enseignement et de la recherche et innovation se préparait. Je pense que tout cela se dessine.

La seconde remarque porte sur l’intelligence artificielle. Plusieurs personnes autour de la table ont manifesté de l’intérêt pour ce sujet. J’ai été, non pas consterné mais assez préoccupé, en allant aux Rencontres du numérique de l’ANR, comme d’autres, du constat que la France commence à se dessiner comme un pays du logiciel et met de plus en plus de côté l’aspect matériel, l’aspect hardware.

Certains ont dit, autour de la table, que si l’on veut investir de façon assez massive dans la compréhension du logiciel et dans le contrôle de ce que le logiciel est capable de faire par rapport à l’être humain, on va certainement devoir se préoccuper également de la façon dont la France investit dans les changements de paradigmes que la physique va devoir produire.

Il faut savoir qu’au moment où on se parle, on a l’impression que des grands groupes comme Intel travaillent essentiellement sur l’électronique. En fait, Intel développe aujourd’hui surtout l’utilisation de l’optique pour réaliser des fonctions cognitives. Nous avons réalisé, au sein du laboratoire, un calcul neuromorphique à partir de cellules entièrement optiques passives, qui permet de réaliser une fonction très simple du cerveau, qui est de séparer la gauche de la droite ou des images de couleurs différentes.

Je veux dire que l’aspect matériel (hardware) ne doit pas être dissocié de l’aspect logiciel. J’ai trouvé assez consternantes les Rencontres du numérique de l’ANR. Il existe une grosse préoccupation autour du logiciel et je pense que le sujet de l’intelligence artificielle dans les grands pays englobe celui d’être maître, en France, de l’aspect matériel.

M. Monsef Benkirane. – Je voudrais intervenir sur la stratégie nationale de recherche et d’innovation. Je vais parler d’un projet que j’essaie de faire aboutir aujourd’hui. Nous sommes à Montpellier sur un site qui s’appelle le site Arnaud de Villeneuve, regroupant la recherche fondamentale, la faculté de médecine, un centre (hub) de communication, la recherche clinique et un centre d’investigation clinique. L’idée était de créer au sein de ce campus, tout proche de la recherche fondamentale, un bâtiment réservé à l’incubation et à l’innovation.

Je pense que cela rejoint le premier sujet que l’on a traité, l’intégrité scientifique, car nos étudiants n’ont qu’une seule idée en tête, celle d’intégrer le CNRS, l’INSERM ou un organisme public de recherche. Ils n’ont pas cette vision de la recherche différente qui conduit ver l’innovation : avoir une idée, la faire incuber et émerger. C’est fou, car les collectivités territoriales ont suivi ce projet avec un enthousiasme énorme, mais on a eu un problème d’absence de suivi par le CNRS, qui est la tutelle.

Il faudrait faire cohabiter tout ce monde. On a tous intérêt à apprendre des entreprises et les entreprises à apprendre de nous, afin de mutualiser nos moyens à la fois intellectuels et techniques. C’est quelque chose d’extraordinaire à pousser pour donner une autre chance à nos étudiants car, encore une fois, pour être recruté par le CNRS, il faut être trois fois plus excellent qu’excellent. C’est impressionnant.

M. Bruno Revellin-Falcoz. – Je vois dans le programme de l’OPECST du mois de décembre 2016 que la première table ronde s’intitule « De la SNRI (c’est-à-dire recherche innovation) à la SNR (Stratégie nationale de recherche) ».

Je fais part d’une petite expérience que je vis depuis maintenant cinq ans à Budapest, dans le cadre de l’Institut européen d’innovation et de technologie. L’idée générale est de dire : c’est bien de faire de la recherche et de faire quelques découvertes, mais c’est aussi important de passer à l’application, à la création de produits, de valeurs, etc.

Parmi les formations dispensées, on s’efforce de défendre l’idée que l’entrepreneuriat et l’esprit d’entreprise sont quelque chose d’important qui ne doit pas être négligée. Je ne sais la signification qu’il faut donner au fait qu’on va débattre du passage de la SNRI à la SNR, ce qui laisserait supposer que l’aspect innovation a disparu de la cible… Je comprends que cela n’est effectivement pas le cas mais je voudrais souligner cet aspect très important.

Former des personnes à l’entrepreneuriat, notamment des chercheurs, des doctorants, des post-docs, représente une de nos activités dans le cadre de cet institut auquel le Parlement européen, dans le cadre d’Horizon 2020, consacre un peu plus de 2,5 milliards d’euros. Les fonds d’amorçage n’en représentent qu’un quart.

L’activité que nous allons avoir jusqu’à la fin de l’année 2020 permettra que 10 milliards d’euros seront consacrés par le Parlement européen à aider des personnes à se former, à expliquer pourquoi il est important d’avoir l’esprit d’entreprise. C’est important : comment cela se fait, comment on se casse la figure au début, comment on passe par la vallée de la mort, d’où, quelquefois, on ne sort pas ? Pour moi, l’innovation est indissociable de tous les efforts qui sont faits pour valoriser la recherche.

Mme Hélène Bergès. – Je voudrais parler du sujet en cours de traitement par l’OPECST sur les biotechnologies et pointer la modification ciblée du génome qui devient un outil très puissant, ainsi que l’explosion des connaissances et des données liées à l’étude des génomes.

J’aimerais que l’on ait conscience, sans porter de jugement de valeur, que ces outils vont conduire à des applications déjà mises en place dans des pays où la réglementation n’est pas la même qu’en Europe. Il faudrait donc prendre conscience que nous avons un souci en Europe, car même la recherche ne peut pas être faite correctement par rapport à certaines approches qui font peur au public. Je dirai qu’il est temps que cela avance dans ce domaine, pour qu’on puisse savoir si c’est bien ou mal, pour autant qu’on puisse juger de cette façon. En tout cas, il ne faut pas s’empêcher de faire avancer la science. Les autres pays avancent à une vitesse différente de l’Europe.

M. Alain Houpert, sénateur. – Je suis d’accord avec l’orateur précédent. La science va très vite. Merci, c’est grâce à vous. La science est un terrain de jeu magnifique. En tant que médecin – je suis sénateur mais aussi médecin radiologue –, j’ai une spécialité qui va très vite et qui nous oblige à nous former régulièrement. C’est passionnant, cela fait s’entrechoquer nos neurones.

Comme vous l’avez dit, Madame, la science et la médecine vont très vite. À propos du séquençage du génome, je pense que l’OPECST est un lieu où on peut discuter entre scientifiques et parlementaires, car nous sommes sans cesse questionnés et on se questionne sur des questions d’éthique et de morale.

Jusqu’où peut-on aller dans la médecine, dans le transhumanisme, comme le dit le philosophe Luc Ferry ? Où doit-on s’arrêter ? Quelles règles peut-on imposer ? Est-ce qu’on peut imposer à un pays, à une dictature, de s’arrêter parce que la médecine et la science sont faites pour apporter du confort aux patients, à l’humanité, mais ne risque-t-on pas d’aller vers une sorte d’eugénisme ?

Je pense que l’Office est important pour nous aider à réfléchir et nous aider à légiférer.

M. Jean-Yves Le Déaut. – Je vous remercie beaucoup de ces suggestions. J’en ai noté un certain nombre. Si vous souhaitez les préciser par une petite note écrite, ce serait mieux. M. Gérard Roucairol, par exemple, dit qu’il faut toiletter la loi « Informatique et Libertés », qu’il faut aller plus loin, c’est-à-dire voir en quel point aujourd’hui le développement de certaines technologies nécessite ce toilettage.

Vous avez insisté sur les convergences technologiques. On le voit aujourd’hui dans les sujets que nous traitons : les convergences entre les nano, les bio, l’info, le cognitif, sont de plus en plus fortes. C’est d’ailleurs là le sujet de l’intelligence artificielle. Je partage assez l’avis qui a été donné ensuite. Même si on a quelquefois l’impression que c’est de la science-fiction, il y a tout de même des incidences sur les droits de l’Homme, notamment dans le domaine des données informatiques et des big data, où le profilage qui est rendu possible à travers la totalité de ce que vous publiez permet, de manière assez simple, de connaître votre couleur, votre race, votre orientation sexuelle et beaucoup d’autres choses. À mon avis, il y a des problèmes éthiques découlant des données, notamment dans ce domaine.

Qu’il faille faire des vrais choix sur la stratégie nationale de recherche, oui, tout comme les ordinateurs quantiques, c’est du grand avenir, c’est-à-dire l’avenir qui n’est pas forcément pour demain, mais que néanmoins il faut travailler.

Ce que plusieurs d’entre vous ont dit aujourd’hui sur les objets connectés pose beaucoup de questions, surtout quand les connexions se font avec des appareils fabriqués dans des pays autres que ceux qui les utilisent. Nous ne sommes peut-être pas suffisamment rigoureux dans le domaine de la réglementation de la collecte de ces données que les sociétés de services utilisent, dans l’agriculture mais également dans d’autres domaines, puis revendent alors qu’on les leur a fournies gratuitement. Il y a à réfléchir à ces différentes questions.

Enfin, il est évident qu’il faut coupler enseignement supérieur, recherche et innovation. Vous parlez d’une restructuration possible au ministère. Nous avons organisé une audition sur ce thème. Nous ferons effectivement le choix d’indiquer qu’il faut les coupler.

Nous avons d’ailleurs organisé une audition publique, le 6 octobre 2016, sur la formation des ingénieurs et des scientifiques, où nous avons entendu un certain nombre de remarques.

Je voudrais terminer en disant que j’ai repris quelques remarques et celle de Mme Hélène Bergès sur le fait qu’on doit toujours permettre la recherche. Bien sûr, tout le monde dit que la recherche doit être permise. La seule chose qui doit interdire la recherche, c’est la loi. C’est-à-dire qu’on peut dire, à un moment donné, qu’on ne travaille pas sur le clonage humain mais il faut, bien sûr, permettre la recherche car, à mon avis, il n’y aurait rien de pire que d’assigner des limites à la recherche. En revanche, le lien entre recherche et application est un autre sujet que nous n’allons pas traiter aujourd’hui.

Je vous remercie. Je vous le répète, transmettez-nous des notes quand vous le souhaitez et si, à un moment donné, un sujet vous préoccupe, transmettez-le à l’Office, cela nous permet de nourrir notre réflexion au fur et à mesure.

Anne-Yvonne Le Dain qui nous a rejoints veut dire un tout petit mot pendant quelques secondes qui pourraient devenir quelques minutes.

Mme Anne-Yvonne Le Dain, députée. – J’étais dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale pour la discussion de la proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères à l’égard de leurs sous-traitants, qui est une manière française de répondre à la catastrophe du Rana Plaza, qui pose la question de la responsabilité morale et, désormais, pénale des grandes entreprises quand elles ne prennent pas garde à la manière dont leurs fournisseurs travaillent, qui peut aboutir à des catastrophes humaines ou environnementales. Au Rana Plaza, ce sont 1 300 personnes qui sont mortes. Je suis venue ici aussitôt après le vote.

Je voulais dire que puisque la loi « Informatique et Libertés » est en révision, car les normes européennes sont en train de changer, il faut l’adapter de manière homogène dans tous les pays européens. Une audition de la présidente de la CNIL a eu lieu la semaine dernière au Sénat. Nous démarrons une mission parlementaire à ce sujet très bientôt à l’Assemblée nationale, sachant que c’est essentiel puisque nous présenterons notre rapport avant la fin du mois de février 2017, pour préparer une loi future qui devra être mise en œuvre. La France est assez novatrice en la matière. Que tous ceux qui ont évoqué ces points n’hésitent pas à nous contacter car c’est maintenant qu’il faut le faire, et non plus tard ; c’est dans les trois mois à venir.

Je voudrais dire également qu’il y a une alliance à construire en ce qui concerne l’avenir. Je vais avoir recours à une métaphore un peu stupide, vous me pardonnerez.

Au XVIIIe siècle, il y avait la noblesse, l’Église et le tiers-état. Au XXIe siècle, il y a les médias, la très haute administration et le politique, mais nous sommes à nouveau trois. Je pense que les scientifiques sont en position 92.b. Ce que je viens de dire est horrible. Le monde scientifique, avec les présidents qui sont ici, tente de restaurer cette idée de prestige et non pas seulement d’importance du mot scientifique ; car tout le monde dit que c’est important, mais tout le monde s’en mêle pour dire ce qui est bien, ce qui est mal, ce qui est interdit, ce qui est faisable, ce qui ne l’est pas, pour aboutir à des textes extrêmement compliqués. On l’a vu dans le débat sur les OGM. De nombreux débats ont impacté des questions scientifiques soit directement dans l’hémicycle, soit par des biais variés qui peuvent être la manière dont le droit construit le droit et la manière dont la technique construit le droit.

J’attire l’attention des scientifiques que vous êtes sur le fait que le droit échappe parfois à tout le monde, il se passe des choses dans des instances indépendantes pouvant aboutir au fait d’empêcher la pensée d’exister, d’empêcher la science d’avancer, alors que la vitesse est déjà différente entre la France et l’Europe, entre cette partie ouest du continent européen et l’autre côté de l’Atlantique. Je pense aussi à l’Inde et à la Chine, qui vont très vite, au Brésil, qui ne va pas si lentement, et au Japon.

Il y a, je pense, une alliance objective à mettre en place pour cette compétition et l’OPECST est un lieu pour le faire de manière à rappeler que la science va vite et que les scientifiques pensent, qu’ils ont une pensée, qu’ils ne sont pas décérébrés. Je vous invite, et je nous invite aussi, à avoir une pensée construite, morale – ce que je viens de dire est horrible – qui peut aider le législateur.

Ce que je viens de dire est un peu philosophique, mais on a tendance à considérer les scientifiques comme des techniciens et qu’ils n’ont qu’à faire. Ce n’est qu’une question de temps ou d’échelle de valeur. C’est une question profondément ontologique, profondément philosophique – et donc politique.

N’oubliez pas que, aujourd’hui, les plus importants sont les médias, ensuite la très haute administration, qui a passé des concours à dix-huit ans et qui sait tout et, ensuite, éventuellement, le politique. Mais, en réalité, c’est vous qui êtes les premiers.

M. Jean-Yves Le Déaut. – Merci beaucoup, Anne-Yvonne.

Pour terminer, je demande au Pr José-Alain Sahel de se présenter à son tour comme les autres l’ont fait. Il nous a rejoints plus tard, mais il avait de bonnes raisons pour cela. Merci d’être venu nous rejoindre au Conseil scientifique de l’OPECST.

M. José-Alain Sahel. – Je suis désolé du retard que je ne pouvais éviter. Je suis directeur de l’Institut de la vision, institut de recherche qui appartient à l’université Pierre et Marie Curie, à l’INSERM et au CNRS au sein de l’hôpital des Quinze-Vingts. Je suis professeur à l’UPMC, ainsi qu’à l’université de Pittsburg où je dirige aussi un institut de recherche.

M. Jean-Yves Le Déaut. – Merci à tous pour ces échanges.

La séance est levée à 20 h 05

Membres présents ou excusés

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Réunion du mardi 29 novembre 2016 à 18 heures

Députés

Présents. - Mme Anne-Yvonne Le Dain, M. Jean-Yves Le Déaut, Mme Maud Olivier

Excusés. - M. Christian Bataille, M. Patrick Hetzel, M. Alain Marty

Sénateurs

Présents. - M. François Commeinhes, M. Roland Courteau, M. Alain Houpert, M. Franck Montaugé, M. Bruno Sido

Excusés. - M. Patrick Abate, M. Gilbert Barbier, Mme Delphine Bataille, Mme Catherine Génisson, Mme Dominique Gillot, Mme Fabienne Keller, M. Jean-Pierre Leleux, M. Gérard Longuet, M. Christian Namy, Mme Catherine Procaccia