Accueil > Contrôle, évaluation, information > Les comptes rendus de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques
Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

Mercredi 8 mars 2017

Séance de 15 heures

Compte rendu n° 87

Présidence de M. Jean-Yves Le Déaut, député, Président

– Examen du rapport présenté par M. Christian Bataille, député, et M. Christian Namy, sénateur, sur « L’évaluation du plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR) » 2

– Présentation des conclusions relatives à l’audition ouverte à la presse du 25 octobre 2016 sur « La sûreté des équipements sous pression nucléaires », organisée à la suite de l’audition publique du 25 juin 2015, par M. Jean-Yves
Le Déaut, député 13

Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

Mercredi 8 mars 2017

Présidence de M. Jean-Yves Le Déaut, député, président

La séance est ouverte à 15 h 05

– Examen du rapport présenté par M. Christian Bataille, député, et M. Christian Namy, sénateur, sur « L’évaluation du plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR) »

M. Jean-Yves Le Déaut, député, président. Nous poursuivons la série de réunions de l’Office parlementaire qui auront permis d’examiner cinq rapports qui marqueront la fin de nos travaux de cette XIVe législature.

Je rappelle que la réunion de la semaine prochaine au Sénat se terminera par un cocktail marquant la fin de la législature et divers départs au sein du secrétariat. Nous y avons invité les membres de notre Conseil scientifique.

Après l’examen, le 22 février 2017, des rapports sur l’évaluation de la stratégie nationale de recherche et sur le volet « énergie » de celle-ci, et avant l’examen des rapports sur l’intelligence artificielle, la semaine prochaine, et sur les biotechnologies, à la fin du mois, notre ordre du jour comporte aujourd’hui deux points, qui ont en commun de concerner la filière nucléaire : d’abord, l’examen du rapport présenté par MM. Christian Bataille, député, et Christian Namy, sénateur, sur « L’évaluation du plan national de gestion des matières et déchets radioactifs 2016-2018 » ; puis la présentation des conclusions relatives à l’audition ouverte à la presse du 25 octobre 2016, sur « La sûreté des équipements sous pression nucléaires », organisée à la suite de l’audition publique du 25 juin 2015.

Je donne la parole à nos collègues Christian Bataille et Christian Namy.

– Examen du projet de rapport sur « L’évaluation du Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs 2016-2018 », présenté par MM. Christian Bataille, député, et Christian Namy, sénateur.

M. Christian Namy, sénateur, vice-président. Avec mon co-rapporteur, Christian Bataille, nous allons vous présenter aujourd’hui le rapport d’évaluation du Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR) 2016-2018, 4e édition de ce document.

Tout d’abord, je voudrais dire quelques mots sur les conditions dans lesquelles s’est déroulée notre étude.

Le Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs 2016-2018 a été transmis au Parlement le 17 février 2017 et publié cinq jours plus tard. L’article 6 de la loi du 28 juin 2006, à l’origine de la création de ce plan, prévoit qu’il fasse l’objet d’une évaluation par le Parlement. Celle-ci est confiée à notre Office parlementaire.

Compte tenu du calendrier parlementaire, qui prévoyait de longue date un arrêt des travaux de l’Assemblée nationale à la fin février 2017, l’OPECST a décidé d’anticiper sur la publication de ce nouveau PNGMDR en nous désignant, Christian Bataille et moi-même, rapporteurs de cette évaluation.

Malgré l’incertitude existant quant à la date de publication du PNGMDR, cette solution nous semblait préférable à un report de l’évaluation à l’automne prochain, les travaux sur un nouveau plan commençant, en principe, dès la publication du précédent. Une saisine tardive, comme celle intervenue pour l’évaluation du plan précédent, peut rendre difficile la prise en compte de certaines recommandations.

Ce document faisant l’objet, pour la première fois, d’un avis de l’Autorité environnementale et d’une consultation par le public, préalables à sa publication, il nous a été, malgré tout, possible de travailler, depuis plusieurs mois, sur la base d’une version quasi-définitive.

Conformément à la démarche d’évaluation de notre Office, nous avons tenu à entendre les principaux acteurs de la gestion des déchets nucléaires dans notre pays, dans le cadre d’auditions individuelles et d’une visite du site industriel de La Hague.

Nous avions également prévu d’organiser, avec les participants au groupe de travail qui élabore le PNGMDR, une audition publique, après la publication de ce document, notamment pour recueillir leur avis sur la version définitive et sur le fonctionnement du groupe de travail tout au long de son élaboration. Compte tenu des circonstances, cela n’a pas été possible, ce que nous regrettons vivement. À défaut, nous espérons pouvoir leur présenter, en début de la prochaine législature, les conclusions de notre rapport, et échanger avec eux à cette occasion.

Enfin, nous avons souhaité prendre connaissance de la façon dont la question de la gestion des déchets radioactifs était prise en compte à l’étranger, en Allemagne et aux États-Unis. Ces comparaisons internationales sont fondamentales, pour bénéficier de l’expérience acquise par les autres pays. Elles peuvent éviter de s’orienter vers des impasses ayant déjà montré leurs limites, ou, au contraire, de passer à côté de solutions à l’utilité avérée. Nous y reviendrons au cours de cet exposé.

Je vais commencer par aborder le Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs sous l’angle de sa présentation et de son contenu, en illustrant également les conséquences de l’évaluation environnementale qui en a été faite pour la première fois. Christian Bataille reviendra ensuite sur les enjeux du retraitement des combustibles usés, qui constitue l’un des principaux piliers de la gestion des déchets radioactifs dans notre pays. Je reprendrai alors la parole pour traiter de la question complexe des déchets très faiblement radioactifs. Christian Bataille terminera son intervention en faisant un point sur le projet de stockage géologique des déchets de forte et moyenne activité à vie longue, notamment à partir des conclusions de notre précédente évaluation. Enfin, je conclurai nos propos.

Je vais donc d’abord présenter, en quelques mots, nos réflexions sur la forme et le fond du dernier PNGMDR ainsi que sur les conditions de son élaboration, puis je m’attarderai plus longuement sur les implications de la première évaluation environnementale de ce document.

Comme vous le savez, le Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs a été instauré par la loi du 28 juin 2006 de programme relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs. Cette même loi prévoit que ce plan soit établi et mis à jour tous les trois ans par le Gouvernement, puis transmis au Parlement, qui en saisit pour évaluation notre Office. L’article 6 de cette loi de 2006 définit très précisément les objectifs de ce document et les orientations qu’il doit respecter.

Au-delà de ces objectifs et orientations, le PNGMDR doit, bien entendu, également s’inscrire dans le cadre défini par les trois lois successives du 30 décembre 1991, du 25 juin 2006 et du 25 juillet 2016, relatives à la gestion des matières et déchets radioactifs. Je rappelle que Christian Bataille est à l’origine de la première d’entre elles et, qu’avec notre collègue sénateur Gérard Longuet, je suis à l’origine de la dernière.

Il serait difficile d’émettre un avis motivé sur la pertinence de chacune des orientations retenues dans le dernier PNGMDR. Mais la comparaison des versions successives montre que le travail réalisé par le groupe de travail pluraliste, a permis, au fur et à mesure des éditions, des avancées sur les différentes filières de gestion des matières et déchets radioactifs, ainsi que sur la prise en compte de types de déchets supplémentaires.

La relative stabilité de la composition du groupe de travail à l’origine du PNGMDR permet, en effet, d’assurer une bonne continuité dans le suivi des différents sujets, souvent complexes, touchant à la gestion des déchets radioactifs.

Conformément à la volonté du législateur, la démarche d’élaboration du PNGMDR constitue donc un outil de pilotage efficace de la gestion des matières et déchets radioactifs qui permet, en toute transparence, d’orienter les études et réalisations, d’identifier les écarts éventuels et de demander les mesures correctives nécessaires.

Le processus d’élaboration du PNGMDR 2016-2018 comporte une innovation majeure : il s’accompagne, en effet, d’une évaluation par l’Autorité environnementale du Conseil général de l’environnement et du développement durable, le CGEDD.

Ni cette évaluation, ni le rapport associé, n’entrent, à proprement parler, dans le périmètre de l’évaluation de l’Office parlementaire. Néanmoins, cette nouvelle approche du PNGMDR conduit à modifier à la fois son contenu et les décisions prises dans le cadre de son processus d’élaboration. Il semble donc important d’en examiner les implications.

Dans son avis, l’Autorité environnementale du CGEDD émet une vingtaine de recommandations. La plupart d’entre elles sont destinées à une meilleure prise en compte des impacts sur l’environnement de la gestion des déchets radioactifs et à une meilleure information du public sur ceux-ci. Toutefois, quelques recommandations méritent une attention particulière, car elles impliquent une intervention du législateur. Faute de temps, je n’en donnerai qu’un seul exemple.

Dans son avis, l’Autorité environnementale relève, à juste titre, la possibilité d’une contradiction entre deux principes applicables à la gestion des déchets radioactifs. L’un, issu de la loi de 2006, préconise la réduction de la quantité et de la nocivité des déchets radioactifs, notamment par le traitement des combustibles usés. L’autre, introduit par la loi sur la transition énergétique de 2015, établit, pour tous types de déchets, une hiérarchie des modes de gestion, privilégiant le traitement, en vue d’une réutilisation, et le recyclage. En effet, la réutilisation ou le recyclage peuvent, en certaines circonstances, accroître l’impact environnemental des déchets.

Les informations recueillies lors de la mission que nous avons effectuée en Allemagne me conduisent à considérer que cette contradiction peut être en partie résolue, notamment par l’introduction des « seuils de libération » qui permettent de décider dans quelles conditions un déchet de très faible activité peut être réutilisé ou recyclé sans présenter de risque pour l’environnement et la population.

Toutefois, ces deux principes de gestion des déchets radioactifs ayant été introduits dans la loi par le législateur, nous considérons qu’il lui revient d’assumer cette clarification. C’est en effet au législateur de définir les grands principes qui conditionnent les activités économiques du pays, en recherchant, dans l’intérêt commun, le meilleur équilibre. Toute activité humaine a, en effet, un impact sur l’environnement et présente des risques. Mais l’absence d’activité a aussi des conséquences néfastes pour la société.

Pour résumer notre position, la démarche d’évaluation environnementale engagée pour la première fois dans le cadre du PNGMDR 2016-2018 nous apparaît, sans conteste, utile. Elle permet de mieux prendre en compte les impacts de la gestion des matières et déchets radioactifs sur l’environnement et de mieux en informer le public. Mais il faut que nous soyons vigilants sur les implications législatives de certaines des recommandations formulées.

Je cède la parole à Christian Bataille, qui va évoquer le retraitement et le recyclage des déchets radioactifs.

M. Christian Bataille, député, vice-président. Je vais à présent en venir au sujet du retraitement et du recyclage des combustibles usés.

Voici plus d’un demi-siècle, la France a fait le choix de se doter d’un outil industriel lui permettant de retraiter les combustibles usés. L’adaptation de l’usine de La Hague aux nouveaux réacteurs nucléaires de production d’électricité a été décidée, voici plus de quarante ans, en 1976, alors que commençait leur déploiement. Ces deux démarches parallèles ont été engagées pour atteindre un objectif stratégique majeur : accroître l’indépendance énergétique du pays.

En effet, le retraitement vise à récupérer des matières énergétiques encore présentes en grande quantité dans des combustibles usés. Il s’agit de l’uranium et du plutonium. Pour mesurer l’intérêt de cet effort, il convient d’avoir en tête une comparaison simple : cent grammes d’uranium, ou encore un gramme de plutonium, fournissent plus d’énergie qu’une tonne de pétrole.

Il est difficile de se faire à l’idée, alors que l’humanité est confrontée à des défis climatique et énergétique majeurs, qu’une telle ressource puisse être, volontairement et froidement abandonnée, à tout jamais, comme le suggèrent certains.

Indubitablement, l’industrie nucléaire a donc été pionnière en matière d’économie circulaire et de développement durable, pour employer les termes à la mode. Le principe d’une telle économie est précisément un fonctionnement en boucle, visant, autant que faire se peut, à réutiliser des ressources encore présentes dans les déchets, afin de limiter la consommation et le gaspillage des matières premières.

En retirant les actinides majeurs que sont le plutonium ainsi que l’uranium, des déchets à stocker, le retraitement des combustibles usés permet d’atteindre également un objectif secondaire important : la réduction de leur toxicité, notamment radiologique, et de leur volume. Mais il s’agit là d’une conséquence avantageuse du retraitement, non de sa principale justification.

Cet atout, en termes d’entreposage et de stockage des déchets, doit être mis en balance avec la production de déchets et d’effluents, tout au long du cycle de retraitement du combustible. Comme tout processus industriel, le retraitement induit, en effet, une certaine forme de pollution.

Il apparaît donc pertinent de s’interroger sur son impact environnemental, ce qui implique de réaliser une analyse des conséquences pour l'environnement d'une stratégie de retraitement des combustibles usés, en comparaison de celles qui résulteraient de l’absence de retraitement. Cette analyse devrait prendre en considération l’ensemble du cycle de vie du combustible, depuis l’extraction de l’uranium, jusqu’au stockage des déchets induits.

D’autres pays, dotés d’un haut niveau de maîtrise scientifique, ont fait le choix d’un stockage direct de leurs combustibles usés. C’est notamment le cas des États-Unis, dont l’exemple illustre la difficulté et les incertitudes de la gestion des combustibles usés non retraités, pour un parc important de réacteurs nucléaires – quatre-vingt-dix-neuf pour les Etats-Unis, contre cinquante-huit en France – alors même que cette solution peut apparaître a priori techniquement plus simple à maîtriser et plus séduisante que celle du retraitement.

Récupérer les matières énergétiques présentes dans les combustibles usés n’a, évidemment de sens que si celles-ci peuvent effectivement être réutilisées, à court ou à long terme, pour produire plus d’électricité. À court terme, cette réutilisation est possible, sous forme de combustible MOX (plutonium et uranium appauvri), dans les réacteurs à eau pressurisée (REP) du parc nucléaire actuel. À plus long terme, elle nécessite de développer, puis de déployer, un nouveau type de réacteurs, dits à neutrons rapides.

En prévision de l’arrêt de certains réacteurs autorisés à consommer des combustibles MOX, nous préconisons que soit étudiée dès aujourd’hui la possibilité d’étendre cette capacité aux réacteurs nucléaires les plus récents.

La France dispose aujourd’hui d’une position dominante au niveau mondial dans le domaine du retraitement et du recyclage, à la fois par la taille de ses installations et par la maîtrise de l’ensemble des technologies nécessaires.

Les pays qui développent aujourd’hui, principalement en Asie, leur parc de production nucléaire, envisagent, ou envisageront nécessairement, de se doter de capacités de retraitement et de recyclage propres. La Chine a d’ores et déjà entamé des négociations avec AREVA, à cette fin. Même les États-Unis ne semblent plus écarter tout à fait la possibilité d’un retour à cette option, écartée par la présidence Carter.

Il serait paradoxal que notre pays renonce, après plus de quarante années d’investissements, à l’avantage procuré par sa position dominante dans ce domaine. Aussi pensons-nous que, non seulement le retraitement et le recyclage des combustibles usés doivent être poursuivis, mais qu’il convient, plus que jamais, de renforcer l’effort de recherche, aussi bien sur le cycle du combustible nucléaire, que sur le développement d’une nouvelle génération de réacteurs à neutrons rapides, plus sûrs, qui permettront de le compléter.

Je laisse donc Christian Namy poursuivre sur les déchets TFA et les seuils de libération.

M. Christian Namy. L’approche française de gestion des déchets radioactifs privilégie des solutions centralisées de stockage, permettant de disposer des meilleures mesures de protection de la population, tout en optimisant les coûts. Ainsi, l’ensemble des déchets de très faible activité, les fameux TFA, produits dans les prochaines années devrait être réuni au Centre industriel de regroupement, d'entreposage et de stockage, le CIRES, d’une capacité de 650 000 mètres cubes, dont 328 000 mètres cubes sont déjà utilisés.

Avec la progression des premières opérations de démantèlement d’installations nucléaires, il est très vite apparu qu’à raison d’un flux annuel de l’ordre de 25 000 à 30 000 mètres cubes, la capacité résiduelle du CIRES ne permettrait pas de faire face aux besoins de gestion des déchets TFA au-delà d’une dizaine d’années. Une extension des capacités du CIRES à 900 000 mètres cubes est effectivement envisagée. Mais cela restera insuffisant pour faire face à l’inflation prévisionnelle des volumes de production de déchets TFA, qui ont doublé depuis la création du CIRES, pour atteindre 2 200 000 mètres cubes, à terme.

Même si la capacité de stockage du CIRES s’avérait suffisante, il resterait, par ailleurs, à évaluer l’impact sur l’environnement et sur la santé du transport de millions de tonnes de déchets à travers la France.

Lors de leur audition, les producteurs de déchets radioactifs, tout comme l’Autorité de sûreté nucléaire et l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA), se sont montrés ouverts à l’exploration de solutions alternatives au stockage. Faute de temps, je n’en citerai que trois :

- la première consiste à maintenir, sur les sites industriels pérennes, des bâtiments qui n’ont fait l’objet, dans le passé, d’aucun incident de contamination, et pourraient donc être réutilisés ;

- la deuxième a trait à la création de stockages locaux simplifiés, destinés aux déchets TFA les moins radioactifs. ;

- la troisième solution concerne la valorisation des déchets métalliques, à l’exemple de ce qui se pratique en Allemagne ou en Suède. Cette valorisation porterait, au départ, sur des lots homogènes comme les métaux issus du démantèlement de l’usine Georges-Besse I et des générateurs de vapeur, avec un flux annuel de 15 000 à 20 000 tonnes d’aciers de très faible activité. Les métaux seraient fondus dans une installation dédiée. Cette opération permet en effet de récupérer l’essentiel des radionucléides dans le laitier, qui devient un déchet radioactif.

L’une des inconnues de cette dernière solution concerne la réutilisation des métaux ainsi décontaminés, les possibilités étant limitées dans l’industrie nucléaire. Il resterait à déterminer si d’autres industries, par exemple la fabrication de pipeline pour l’exploitation pétrolière, accepteraient de réutiliser ces métaux.

Plusieurs pays du nord de l’Europe, tels que l’Allemagne ou la Suède, a priori peu suspects de négligence en matière environnementale, ont mis en place, à partir de la fin des années 1990, des seuils de libération permettant à certains déchets très faiblement radioactifs d’être réutilisés, recyclés ou simplement stockés en dehors de la filière nucléaire.

Ces seuils de libération s’appuient notamment sur des recommandations de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) publiées en 1996, et une directive européenne.

Pour les matériaux ferreux, l’AIEA préconise un seuil d’activité d’un becquerel par kilogramme. À titre de comparaison, l’eau présente en moyenne une activité de six becquerels par kilogramme, et le lait de soixante à quatre-vingt becquerels par kilogramme. Mais les radionucléides artificiels ne présentent pas exactement les mêmes problématiques que les radionucléides naturels. J’ai rencontré dernièrement la société AREVA et des fondeurs au sujet de la possibilité d’un recyclage des déchets métalliques très faiblement contaminés. Une fois ceux-ci traités, l’une des utilisations pourrait concerner le renforcement des galeries de stockage de l’installation CIGEO.

Compte tenu du scepticisme de nos interlocuteurs sur la pertinence d’un tel dispositif, il a semblé utile de la vérifier sur place, en Allemagne. D’une part, l’utilité des seuils de libération est difficilement discutable, en l’absence dans ce pays, depuis 1998 et jusqu’en 2022, de stockage opérationnel pour les déchets radioactifs. D’autre part, les résultats obtenus sont probants, puisque seulement 2,4 % des déchets de très faible activité sortant des zones contrôlées des installations nucléaires allemandes sont, au final, considérés et traités comme des déchets radioactifs.

Toutefois, l’acceptation sociale de ce dispositif apparaît encore fragile, d’où sans doute la relative discrétion de nos interlocuteurs allemands sur les destinations finales des déchets libérés. Néanmoins, celles-ci existent bien, où qu’elles soient situées, éventuellement hors d’Allemagne, rien n’interdisant à des déchets libérés de traverser les frontières.

De toute évidence, la situation est différente en France, où l’existence du CIRES permet encore, au moins pour quelques années, de stocker de façon sûre et à un coût modéré ce type de déchets.

L’adéquation du principe des seuils de libération à la gestion des déchets radioactifs français resterait à évaluer, notamment du point de vue de l’acceptation sociale. Aussi l’OPECST a-t-il saisi, en novembre 2016, le Haut Comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire (HCTISN) de cette question.

En tout état de cause, à partir du moment où de nouveaux exutoires sont envisagés pour la gestion de certaines catégories de déchets très faiblement radioactifs, la notion de seuils de libération pourrait trouver une utilité, en tant que référentiel permettant de justifier de façon transparente l’agrément de solutions spécifiques.

Je vais redonner la parole à Christian Bataille qui va revenir à la question du stockage géologique profond.

M. Christian Bataille. Je vais commencer par un rappel historique. Mon premier contact avec la question des déchets de haute activité remonte à la fin des années 1980, lorsque Michel Rocard et son gouvernement m’ont confié, à travers l’Office parlementaire, une mission sur la gestion des déchets radioactifs, dans la perspective de la création d’un laboratoire en site géologique profond, qui est devenu le laboratoire de Bure.

À la fin de l’année 1991, j’ai été le rapporteur de la loi cadrant les recherches sur la gestion des déchets radioactifs de haute activité. Cette loi a été votée à l’unanimité du Parlement de l’époque. Elle a défini 3 axes de recherche – je les résume mais nous pourrons y revenir lors des questions – correspondant à trois modes de gestion des déchets radioactifs de haute activité : le stockage géologique profond, qui est dans l’actualité scientifique et politique, la réduction de la radioactivité à long terme par un processus de séparation-transmutation, dont on devrait sans doute parler davantage car il mobilise les moyens de recherche du CEA et des universités, et, enfin, l’entreposage de long terme, dans l’attente d’une solution définitive.

La loi a aussi, à cette époque, transformé la direction du CEA chargée de la gestion des déchets radioactifs en un établissement public indépendant : l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA).

Enfin, cette loi, qui s’inscrivait dans une perspective de moyen terme, a prévu un nouveau rendez-vous législatif, quinze ans plus tard, en 2006, pour faire le point sur l’avancement des recherches et décider des conditions de la mise en œuvre des solutions identifiées au cours de cette période.

L’ANDRA a remis, en 2005, un dossier concluant à la faisabilité d’un stockage géologique profond en Meuse, qui a fait l’objet d’un examen par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), par la Commission nationale d’évaluation des études et recherches sur la gestion des déchets radioactifs (CNE) et par l’Office parlementaire.

La même année, un débat public sur la gestion des déchets radioactifs a été organisé.

À partir de tous ces éléments, le Parlement a décidé, à travers de la loi du 28 juin 2006, votée elle aussi à l’unanimité, sous réserve de quelques abstentions, la construction d’un centre de stockage géologique profond, réversible sur une période d’au moins cent années.

Comme la loi précédente, celle de 2006 a prévu un nouveau rendez-vous législatif, destiné à définir la notion de réversibilité du futur stockage.

En 2012, l’ANDRA a préparé un nouveau dossier, présentant les grandes lignes du futur centre de stockage. Sur la base de ce dossier, un deuxième débat public consacré à ce projet a été organisé en 2013 par la Commission nationale du débat public (CNDP), en 2013.

Notre rapport d’évaluation du précédent PNGMDR appelait au vote d’une nouvelle loi sur le projet de stockage géologique CIGEO, destinée à lever les derniers obstacles à sa construction et à prendre en compte les résultats du débat public.

Cette loi a été votée, à l’initiative des membres de l’Office, par les parlementaires de la majorité et de l’opposition, au Sénat puis à l’Assemblée nationale. Il s’agit de la loi du 25 juillet 2016 qui définit la réversibilité, comme le demandait la loi de 2006, et prévoit en début de construction de la future installation, une phase industrielle pilote, destinée à expérimenter, en vraie grandeur, les solutions mises au point en laboratoire.

Un nouveau rendez-vous parlementaire est prévu, à l’issue de cette phase pilote, sur la base d’une évaluation de ses résultats par l’ASN, la CNE et l’OPECST, vers 2035.

Si je rappelle tout cela d’une façon un peu fastidieuse, c’est parce qu’on peut considérer qu’aucune décision de construction d’une grande installation n’a fait l’objet d’autant de précautions et de consultations : du Parlement, de la population, de l’autorité de sûreté et des autres parties prenantes. Il est par conséquent vraiment fallacieux de dire que cette décision a été prise dans la précipitation. Elle a été prise, au contraire, dans la durée, par étapes, avec prudence, et dans la raison.

Les conditions sont donc réunies pour que le projet de stockage géologique puisse entrer dans sa phase de réalisation, – nous y sommes – la prochaine étape concernant le dépôt par l’ANDRA de la demande d’autorisation de création de la future installation. La prochaine Assemblée nationale et le Sénat se pencheront encore sur le sujet en 2018. Les travaux de recherche vont également se poursuivre, afin de trouver les meilleures solutions pour la réalisation du stockage.

L’actuel directeur général de l’ANDRA, M. Pierre-Marie Abadie, a déclaré lors de son audition dans le cadre de nos travaux : « le rendez-vous de mi-2018 est celui, important, de la remise formelle de la demande d’autorisation de création de CIGEO. Conformément au calendrier, nous y mettrons toutes les informations qui sont nécessaires pour pouvoir statuer en termes de sûreté. Mais, bien évidemment, nous ne prétendons pas avoir répondu à toutes les questions scientifiques et toutes les questions de connaissances qui vont continuer à s’accumuler, pendant les décennies de fonctionnement. »

Je ne veux rajouter que quelques mots après ces considérations. Ce qui est en jeu, c’est une installation unique au monde et qui a fait l’objet d’une concertation politique et sociale sans égal. Par conséquent, je pense, comme beaucoup de membres de l’Office parlementaire qui s’appuient sur des principes rationnels, qu’on ne peut être qu’ulcéré et agacé des commentaires mal informés qui sont faits dans la presse, dans les milieux politiques, dans certains programmes politiques, et qui aboutissent à des considérations dénuées de fondement.

Je passe maintenant la parole à Christian Namy pour la conclusion.

M. Christian Namy. Je voudrais simplement ajouter, si Christian Bataille me le permet, que je me suis rendu récemment en Australie, à la demande du ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, dans le cadre de la vente de sous-marins. Le ministre de l’Industrie australien ne m’a parlé que du laboratoire de Bure et du stockage géologique, en disant qu’il s’agit là d’une réalisation extraordinaire. Lorsque nous nous sommes rendus aux États-Unis et avons été reçus par les membres du Congrès américains, ils ont également considéré le laboratoire de Bure, ainsi que le projet CIGEO, comme des opérations remarquables. Ils vont d’ailleurs prochainement se rendre en Meuse, à mon invitation. Je ne suis pas certain qu’en France – je rejoins sur ce point les propos de Christian Bataille – on ait réalisé l’importance, à tous points de vue, de ce dossier, qui place la France dans une position internationale assez exceptionnelle en matière nucléaire.

J’en reviens à la conclusion. Au terme de cette évaluation, nous nous félicitons des progrès réalisés par le groupe de travail pluraliste du Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs. Le PNGMDR 2016-2018 est plus facilement accessible que le précédent et plus complet.

Je voudrais, avec Christian Bataille, saluer ici la pertinence de cette nouvelle édition, ainsi que l’investissement de l’ensemble des participants au groupe de travail du PNGMDR : les représentants des associations, les industriels et les administrations.

S’agissant de la deuxième partie de notre évaluation, nous estimons que l’effort de recherche sur le retraitement des combustibles usés et le réacteur à neutrons rapide ASTRID, qui en constitue le complément indispensable, doit être non seulement poursuivi, mais même accéléré, si la France veut conserver sa position dominante dans ce domaine.

Concernant le problème de la gestion des grands volumes de déchets très faiblement radioactifs issus des démantèlements, nous encourageons les membres du groupe de travail du PNGMDR à poursuivre les travaux entrepris pour la recherche d’alternatives au stockage centralisé. Nous appelons l’ASN et le HCTISN à réévaluer la pertinence, dans le contexte français, d’une première approche des seuils de libération.

Enfin, nous constatons avec satisfaction, après vingt-cinq années d’étude et de recherches et après le vote, par le Parlement, de la loi du 25 juillet 2016 définissant la réversibilité, que le projet de stockage géologique profond des déchets de haute et moyenne activité à vie longue se concrétise.

Indépendamment de l’opinion de chacun sur l’énergie nucléaire, les déchets radioactifs sont, aujourd’hui, une réalité dans notre pays, qu’il est impossible de nier. Il revient à notre génération, bénéficiaire de l’électricité d’origine nucléaire, de mettre en œuvre la gestion de ces déchets, et d’assurer son financement.

Voilà, Monsieur le Président, les conclusions du rapport d’évaluation que Christian Bataille et moi-même vous présentons.

Mme Delphine Bataille, sénatrice. Dans la première partie relative à l’élaboration du PNGMDR, vous avez fait référence au travail de l’Autorité environnementale du Conseil général de l’environnement et du développement durable, en mentionnant une vingtaine de recommandations émises. Vous en avez souligné une, en particulier, qui fait état d’une contradiction entre les deux principes applicables à la gestion des déchets radioactifs. Je voudrais savoir si d’autres recommandations mériteraient d’être mises en évidence, ou si vous ne souscrivez pas à certaines d’entre elles.

Par ailleurs, vous avez évoqué des inquiétudes concernant le programme présidentiel de certains candidats, qui, si je comprends bien, constitue une forme de déni du travail mené depuis près de trente ans, dont vous avez rappelé l’historique, ainsi que de décisions prises par le Parlement, à la quasi-unanimité, qui ont également fait l’objet de débats publics. Si ces programmes venaient à s’appliquer, pourraient-ils avoir des conséquences graves et, si oui, lesquelles ?

M. Christian Namy. Nous avons relevé dans notre rapport les éventuelles contradictions des recommandations avec le cadre législatif, pour encourager l’Autorité environnementale à mieux prendre en compte celui-ci.

Concernant la contradiction que j’ai mentionnée, elle se retrouve dans les propos des interlocuteurs rencontrés, certains étant fermés à toute possibilité de recyclage, d’autres se montrant ouverts. Sur ce point, le rôle de l’OPECST sera d’obliger les différents acteurs à clarifier leurs positions, sachant que les choses évoluent sur ce plan à l’étranger, en Allemagne et en Suède – où EDF vient de racheter l’activité de fonderie de la société Studsvik – mais aussi en France avec les réflexions en cours. Des fondeurs, que j’ai rencontrés à l’occasion d’une réunion du Groupement d'intérêt public (GIP) Meuse, ont indiqué qu’ils seraient intéressés, si des débouchés pouvaient être trouvés, par exemple dans le cadre du projet CIGEO. Il faut sortir du système consistant à considérer tout matériau qui provient de la filière nucléaire comme un déchet à stocker.

Je rejoins ce qui a été dit sur l’importance du secteur nucléaire en France, qu’on ne peut effacer d’un coup de crayon.

M. Christian Bataille. Ce que dit Christian Namy est pertinent. Je voudrais ajouter une remarque : nous importons d’Allemagne des équipements fabriqués à partir de métaux recyclés. Chez nous, les seuils de libération sont inexistants, en Allemagne ils existent, si bien que nous importons des produits fabriqués avec des métaux recyclés.

Mme Catherine Procaccia. C’est la même chose dans le domaine agricole, où nous importons des produits issus de productions basées sur des procédés interdits en Europe. Pourriez-vous nous indiquer quelles sont vos inquiétudes sur le projet ASTRID ?

M. Christian Namy. Plus qu’une inquiétude, il s’agit d’une incitation à poursuivre le projet.

M. Christian Bataille. Il faut soutenir les efforts du CEA sur cet outil de recherche essentiel qui avance à pas comptés. ASTRID aura besoin, à l’avenir d’un soutien important du pouvoir politique. On est aujourd’hui dans une phase d’expectative par rapport à ASTRID, qui constitue un élément clef pour le développement des réacteurs du futur, dans les vingt prochaines années. Les études et recherches continuent, mais ASTRID mériterait sans doute plus de moyens. Il faudra probablement interroger le Haut-commissaire à l’énergie atomique à ce sujet.

M. Christian Namy. Les crédits pour ASTRID ne sont programmés que jusqu’en 2019 seulement.

M. Jean-Yves Le Déaut. Je voudrais suggérer deux recommandations supplémentaires, correspondant totalement à ce que vous avez dit, mais que je n’ai pas retrouvées dans la liste actuelle : une sur les seuils de libération et l’autre sur le projet CIGEO. Je les ai rédigées au pied levé, mais vous avez bien entendu la latitude de les réexaminer. Le nombre des recommandations passerait donc de huit à dix.

Avant la sixième recommandation concernant la lettre de saisine, écrite en votre nom, du Haut comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire (HCTISN), en date du 16 novembre 2016, demandant comment associer la société civile, j’ajouterais la recommandation suivante : « L’OPECST est favorable au principe d’introduction de seuils de libération conditionnels et à la définition d’une spécification d’acceptation dans les centres de stockage, conformément à la règlementation européenne. »

En septième ou huitième position, je propose cette recommandation : « L’OPECST réaffirme son soutien à la mise en œuvre, dans les délais fixés par les lois du 28 juin 2006 et 25 juillet 2016, de l’installation CIGEO. Il estime que le stockage géologique profond est la meilleure option pour les déchets ultimes de haute et de moyenne activité à vie longue. Le projet CIGEO est la seule option pour assurer la sûreté passive à long terme. Une phase industrielle pilote a, pour l’OPECST, l’objectif de permettre à l’ANDRA de démontrer qu’elle maîtrise la gestion industrielle. La récupérabilité est préservée pour les générations futures. Le stockage réversible est destiné ensuite à être fermé. Cette option assure la sûreté du stockage et la sécurité de nos concitoyens. »

Vous pouvez, bien entendu, améliorer cette recommandation qui reprend votre argumentation. Le seul élément nouveau concerne le rappel au respect des délais fixés par les lois de 2006 et de 2016.

M. Christian Bataille. Nous sommes d’accord sur ces deux recommandations et vous remercions de les avoir rédigées.

M. Jean-Yves Le Déaut. Je remercie les rapporteurs pour l’étude qu’ils ont réalisée. Comme cela a été dit, l’excellence du travail mené sur ces questions depuis trente ans est reconnue à l’étranger, il serait dommage qu’elle ne le soit pas en France.

À l’unanimité, l’OPECST a adopté le rapport ainsi que ses recommandations et autorisé sa publication.

– Présentation des conclusions relatives à l’audition ouverte à la presse du 25 octobre 2016 sur « La sûreté des équipements sous pression nucléaires », organisée à la suite de l’audition publique du 25 juin 2015, par M. Jean-Yves Le Déaut, député.

M. Jean-Yves Le Déaut. Le 25 octobre 2016, l’Office parlementaire a organisé une audition ouverte à la presse destinée à faire le point sur les défauts affectant un certain nombre d’équipements sous pression nucléaires installés dans les centrales françaises. L’organisation de cette audition était motivée à la fois par un souci de réactivité, ces défaut ayant directement entraîné, à l’approche de l’hiver, la mise à l’arrêt d’une douzaine de réacteurs, et de suivi de long terme des questions de sûreté nucléaire, cette initiative s'inscrivant dans le prolongement de l’audition publique du 25 juin 2015, consacrée aux ségrégations positives de carbone identifiées sur la cuve du réacteur EPR de Flamanville 3.

C’est d’ailleurs ce même souci de concilier suivi de long terme et réactivité qui nous avait conduits à considérer, lors de cette dernière audition, que le défaut rencontré sur la cuve de ce réacteur posait plus généralement la question des conditions dans lesquelles la sûreté des équipements sous pression nucléaires était assurée. L’audition du 25 octobre 2016 a montré la pertinence de cette approche, puisque des anomalies de concentration de carbone ont, depuis, été mises en évidence pour d’autres équipements sous pression, notamment des fonds de générateurs de vapeur, dont quarante fabriqués au Creusot et quarante-six au Japon. Ces derniers présentent des concentrations en carbone nettement plus élevées que celles identifiées pour les équipements fabriqués au Creusot : zéro virgule quatre pour cent, contre zéro virgule trois pour cent, la valeur de référence étant de l’ordre de zéro virgule deux pour cent. La concentration était donc deux fois plus grande pour les pièces fabriquées au Japon.

Mais cette audition a également révélé l’ampleur des pratiques anciennes de falsification des procès-verbaux de contrôle des pièces produites à Creusot Forge. Celles-ci ont initialement été identifiées sur plusieurs centaines de dossiers de fabrication dit barrés, mais elles concernent, potentiellement, plusieurs milliers d’autres dossiers, remontant pour certains aux années 1970. Comme l’a annoncé M. Pierre-Franck Chevet, président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), leur vérification systématique nécessitera environ deux ans et conduira nécessairement à identifier d’autres défauts de fabrication, qui devront être traités dans les années à venir.

À ce jour, quatre-vingt-huit des défauts ainsi mis en évidence concernent des réacteurs en exploitation et dix-neuf le réacteur EPR de Flamanville 3. Ces anomalies ont donné lieu à une évaluation, puis à une justification, soumise à l’ASN et à l’IRSN. Le redémarrage des réacteurs concernés, après arrêt pour maintenance, a pu se faire à chaque fois, à deux exceptions près : d’une part, Fessenheim 2, dont l’une des viroles basses de générateur de vapeur n’a pas fait l’objet d’un « chutage », opération indispensable consistant à découper la partie d’une pièce concentrant le plus d’impuretés, et, d’autre part, Graveline 5, en attente d’un nouveau générateur de vapeur aux caractéristiques mécaniques conformes aux seuils réglementaires. L’un des générateurs de vapeur destinés à Flamanville 3 se trouve dans le même cas. Compte tenu de la gravité des pratiques mises en évidence, le président de l’ASN a annoncé, à l’occasion de cette audition, qu’un signalement au procureur de la République allait être effectué.

Quels enseignements convient-il de tirer de cette audition publique ? Elle a d’abord confirmé l’utilité, sur le plan de la transparence et du fonctionnement de la démocratie, des auditions publiques, en tant qu’exercices de confrontation contradictoire. Ces auditions constituent l’une des modalités importantes de travail de l’OPECST, au côté d’autres, comme les contrôles sur pièces et sur place, tels que ceux réalisés dans des centrales nucléaires après Fukushima, ou encore les comités de pilotage des études, constitués de représentants de la société civile, d’experts et de scientifiques, à même d’apporter aux parlementaires des compétences que ceux-ci n’ont pas toujours, s’agissant de sujets souvent complexes et techniques.

Plus généralement, ces problèmes confirment, comme l’a souligné Mme Monique Sené, vice-présidente de l’Association nationale des comités et commissions locales d’information (ANCCLI), l’importance d’un renforcement permanent de la transparence dans le domaine nucléaire. À cet égard, il conviendra de poursuivre le processus engagé par la loi du 13 juin 2006, relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire, qui a permis une montée en puissance des Comités locaux d’information et des associations, ainsi qu’une plus grande ouverture de l’ASN et de l’IRSN au public. L’intervention du Haut Comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire a aussi notablement contribué à cette évolution. Il conviendra également de s’interroger sur le rôle des lanceurs d’alertes, puisqu’il semblerait que des employés aient alerté sur les pratiques au Creusot. Rien n’est jamais complètement acquis en matière de sûreté nucléaire, mais il faut continuer à renforcer cette transparence, notamment en donnant plus de moyens d’intervention à ces différentes instances.

Je retiens une autre idée soulignée par MM. Yves Marignac, président de Wise-Paris, et Bernard Fontana, CEO d’AREVA NP : le système de surveillance de la fabrication, basé sur la confiance, est améliorable. AREVA, tout comme EDF et l’ASN, viennent juste de détecter des anomalies survenues au Creusot durant quarante-sept années de fabrications, de 1965 à 2012. Cela signifie qu’il faut réorganiser le système de contrôle, en consolidant les processus de contrôle internes des fabricants, en réalisant des vérifications sur pièces et sur place, et en menant des audits plus approfondis, comme le pratiquent d’autres secteurs industriels. Sans doute conviendrait-il aussi de prévoir une intervention plus systématique de laboratoires agréés indépendants, pour vérifier les résultats de mesures des fabricants, et de la tierce partie (APAVE...). Fin janvier 2017, à la suite d’une inspection multinationale à l’usine du Creusot, réunissant des représentants des autorités de sûreté française, américaine, britannique, canadienne, chinoise et finlandaise, l’ASN a d’ailleurs formulé trente-deux recommandations relatives, notamment, à l’amélioration du contrôle qualité au sein d’AREVA NP.

D’autre part, même si ce n’est pas le seul facteur dans une industrie très technique telle que le nucléaire, il existe incontestablement des phénomènes de pertes de mémoire. Il n’est pas bon, en termes politiques, de ne pas afficher de stratégie, car les industriels ont besoin d’une visibilité à long terme. Le problème était exactement le même dans le cas d’AZF. Même si la métallurgie et les matériaux métalliques ont pu sembler à certains passés de mode, il faut continuer à investir dans la formation et la recherche dans ce domaine important pour notre industrie. Autrement, nous n’aurons plus d’expertise, et cela conduira à des erreurs. Je rappelle que l’Académie des technologies a publié un rapport sur l’importance du soutien aux recherches sur les matériaux métalliques.

Par ailleurs, cette audition confirme que le contrôle de la sûreté nucléaire et la radioprotection nécessitent une coopération internationale, d’ores et déjà effective, comme le montre l’inspection à l’usine du Creusot que je viens de mentionner. Aujourd'hui, nous avons l’avantage, sur d’autres pays, d’avoir identifié et traité ces anomalies, ce qui nous permet d’affirmer qu’il faut en tirer des enseignements communs. Il est, en effet, vraisemblable que des problèmes identiques existent au niveau international. Plusieurs autorités de sûreté étrangères – dont celles des États-Unis et du Japon – se sont d’ailleurs prononcées, depuis cette audition, sur la poursuite de l’exploitation de réacteurs équipés de pièces forgées au Creusot ou au Japon, susceptibles de présenter les mêmes ségrégations de carbone. L’ASN a, pour sa part, annoncé qu’elle se rapprocherait de son homologue sud-coréen qui a été lui aussi confronté, voici quelques années, à des cas de falsifications.

Le 1er mars 2017, Civaux 1, le dernier des réacteurs arrêtés spécifiquement pour des contrôles liés au problème de ségrégation de carbone, a été remis en service. Quant à Fessenheim 2, son arrêt, lié à l’irrégularité dans la fabrication d’un des générateurs de vapeur, a été prolongé jusqu’au 31 juillet 2017. Il n’en reste pas moins, comme l’avait souligné dès 2014 M. Pierre-Franck Chevet, à l’occasion de la présentation du rapport annuel de l’ASN devant l’OPECST, que nous ne sommes pas à l’abri d’un défaut conduisant à nouveau à l’arrêt simultané, dans un temps court, d’une dizaine de réacteurs. Il revient au Gouvernement de mettre en place un plan d’action permettant d’assurer l’approvisionnement électrique du pays dans une telle configuration, d’autant que notre système de production électrique est structurellement sous-dimensionné pour faire face aux périodes de pointe de consommation, au contraire d’autres pays qui, comme l’Allemagne, disposent de surcapacités en moyens pilotables. Contrairement à ce qui a pu être écrit, y compris dans des documents publiés par RTE, le développement de la puissance éolienne et photovoltaïque installée ne contribue pas à assurer la sécurité d’approvisionnement, en tout cas pas dans la période de pointe la plus critique, celle du soir. En effet, durant les épisodes de grand froid, lorsqu’un anticyclone couvre la quasi-totalité de l’Europe, avec des vents très faibles, et que les journées sont courtes, de toute évidence l’éolien et le solaire ne peuvent participer que marginalement à la production électrique durant les pointes de consommation. Entretenir de telles illusions peut s’avérer dommageable pour le pays, d’autant qu’elles ne font que reculer les décisions nécessaires pour assurer la sécurité d’approvisionnement, par exemple en développant l’effacement, le stockage ou les moyens de production pilotables.

Enfin, les raisons pour lesquelles un changement de mode de fabrication est intervenu restent à expliciter. Dans une autre audition récente sur les tests de performance des moteurs de véhicules, nous avions également fait le constat qu’en France, pays d’ingénieurs, on invente des solutions techniques, mais on hésite à mesurer si les résultats obtenus correspondent bien aux attentes. Aussi, de telles modifications devraient-elles systématiquement conduire à des vérifications plus poussées et à des contrôles renforcés, pour confirmer leur validité.

En conclusion, cette audition publique illustre bien l’utilité d’une instance telle que notre Office parlementaire, à même de suivre, sur le long terme, des questions d’ordre scientifique et technologique sensibles pour la société, tout en faisant preuve de réactivité, à chaque fois que l’actualité le justifie. Les réflexions des parlementaires sur cette question du contrôle des défauts de fabrication dans le secteur nucléaire devront nécessairement être poursuivies dans les années qui viennent, tout comme sur l’amélioration de la transparence, au travers, notamment, du renforcement des moyens d’intervention des instances qui en sont chargées de par la loi, et plus largement d’une plus grande implication de la société civile.

Voilà la conclusion que nous vous proposons d’adopter, pour l’annexer au compte rendu de l’audition du 25 octobre 2016.

M. Christian Namy. Je suis tout à fait d’accord avec ces conclusions, mais je m’interroge sur la dimension prise par ce problème. J’ai eu l’occasion d’interroger des fondeurs travaillant dans le domaine nucléaire en Allemagne. Ils m’ont indiqué, d’une part, que la teneur en carbone varie nécessairement sur la longueur d’une pièce, par exemple, elle peut-être plus importante à une extrémité qu’au centre, et, d’autre part, que ces variations n’avaient pas forcément des conséquences très sérieuses. J’ai eu le sentiment qu’ils n’étaient pas aussi sensibles que nous aux conséquences de ces ségrégations de carbone, qui ont causé, au travers des décisions de fermeture de centrales, de réels problèmes et des surcoûts considérables. Je me demande s’il n’y a pas eu un peu de précipitation dans la décision d’arrêt des centrales et s’il n’aurait pas été possible d’étaler un peu plus les arrêts dans le temps.

Mme Catherine Procaccia. Lors de l’audition, l’ASN semblait convaincue de la gravité de la situation.

M. Christian Namy. Je ne fais que répéter ce qui m’a été dit.

M. Jean-Yves Le Déaut. Les normes sont édictées par le Gouvernement. À partir du moment où elles ont été fixées, il faut les respecter. La vraie question concerne donc la fixation des normes. On le voit également avec le problème des seuils de libération, qui est de même nature. Une norme doit correspondre à un degré de sûreté. Si elle n’est que la conséquence de l’état de l’art en matière de mesure d’une concentration, elle n’est pas satisfaisante. Je crois qu’il faut s’interroger sur les raisons qui ont conduit à adopter ces normes qui ont été dépassées. Il aurait fallu se poser la question avant, et surtout ne pas falsifier.

M. Christian Namy. Je me demande s’il n’aurait pas été préférable que l’ASN prenne le temps de la réflexion, un ou deux mois, avant de décider l’arrêt des réacteurs, comme elle l’a fait une fois ces derniers mis à l’arrêt.

M. Christian Bataille. Comme Jean-Yves Le Déaut, je pense qu’il faut gérer ces difficultés de manière rigoureuse, afin d’être crédible vis-à-vis du public. Le vrai problème concerne l’exploitation politique de défauts techniques réels, qui n'induisent sans doute pas les dangers suggérés, pour évoquer, en se référant à Fukushima, des risques d'accident nucléaires, ou pour accréditer une erreur justifiant la remise en cause du choix de la filière nucléaire par la France. Je pense que l’ASN a géré les choses au mieux, mais qu’elle n’est pas à même de maîtriser l’exploitation politique de cette affaire. De ce point de vue, on a peut-être communiqué sans précaution, dans la presse et les médias, en quelque sorte, des secrets industriels.

Jean-Yves Le Déaut a aussi évoqué la difficulté que nous avons à faire face à des arrêts massifs de centrales nucléaires, tels que ceux de cet hiver. L’intérêt du relais constitué par les centrales au gaz n’a pas été mentionné. Dans ma circonscription, à Pont-sur-Sandre, une centrale au gaz a rétabli sa situation, cet hiver, grâce aux arrêts de tranches nucléaires. Ces centrales en réserve se sont avérées bien utiles, en tournant à plein régime pendant ces périodes difficiles. Il faut interroger EDF et les autres producteurs d’électricité pour savoir s’ils ont bien prévu des technologies sérieuses pour prendre le relais des centrales nucléaires. Jean-Yves Le Déaut a été suffisamment explicite sur le photovoltaïque et l’éolien. On ne peut pas compter sur des énergies le plus souvent déficientes au moment même où on en a le plus besoin. La ressource gazière, actuellement d’un coût modéré, s’avère plus utile, en complément de l’électricité nucléaire, mais les capacités actuellement en réserve s’avèrent insuffisantes.

Les conclusions présentées sont adoptées à l’unanimité et la publication du rapport autorisée.

La séance est levée à 16 h 15

Membres présents ou excusés

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Réunion du mercredi 8 mars 2017 à 15 heures

Députés

Présents. - M. Christian Bataille, M. Jean-Yves Le Déaut

Excusés. - Mme Anne-Yvonne Le Dain, M. Alain Marty, Mme Maud Olivier, Mme Dominique Orliac, M. Jean-Sébastien Vialatte

Sénateurs

Présents. - Mme Delphine Bataille, M. Christian Namy, Mme Catherine Procaccia

Excusés. - M. François Commeinhes, Mme Dominique Gillot, M. Jean-Pierre Leleux, M. Bruno Sido