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Commission des affaires sociales

Mercredi 25 juillet 2012

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 06

Présidence de Mme Catherine Lemorton, Présidente

– Audition, ouverte à la presse, de M. Michel Sapin, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, sur le bilan de la conférence sociale

– Informations relatives à la Commission

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mercredi 25 juillet 2012

La séance est ouverte à seize heures vingt.

(Présidence de Mme Catherine Lemorton, présidente de la Commission)

La commission des affaires sociales procède à l’audition, ouverte à la presse, de M. Michel Sapin, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, sur le bilan de la conférence sociale.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Mes chers collègues, si M. Didier Migaud, premier président de la Cour des comptes, n’a pas abordé ce matin la question de l’emploi, préférant se concentrer sur l’état de nos finances publiques, la Cour des comptes en traite dans un autre rapport consacré à la politique de la ville. L’audition de M. Michel Sapin nous fournit l’occasion d’y revenir.

La grande conférence sociale, qui s’est tenue les 9 et 10 juillet et à laquelle, monsieur le ministre, vous avez activement participé, a été une réussite. Elle a permis de rétablir le dialogue avec l’ensemble des partenaires sociaux sur l’emploi et le travail.

Les annonces faites par le Président de la République et par le Premier ministre constituent une feuille de route ambitieuse, englobant aussi bien l’avenir de notre protection sociale que l’approfondissement de la politique de l’emploi. Le chômage constitue la première ou la deuxième préoccupation de nos concitoyens, selon leur catégorie sociale. Près de 80 % des Français interrogés pensent que leurs enfants connaîtront dans leur vie un moment de précarité. Même s’il ne s’agit là que d’une appréciation subjective, il n’est pas anodin que des parents aient l’impression que leurs enfants vivront moins bien qu’eux.

Notre pays présente la particularité peu glorieuse d’avoir les taux de chômage les plus élevés à la fois chez les jeunes et chez les seniors, c’est-à-dire aux deux extrémités de la pyramide des âges. Cela est vrai d’abord dans les quartiers dits prioritaires, et la Cour des comptes dresse un véritable constat d’échec de la politique de l’emploi qui y est menée, particulièrement depuis dix ans. Un chiffre en témoigne : les jeunes qui ont fait des études et qui habitent dans ces quartiers dits sensibles ont, à diplôme égal, entre 1,7 et 1,8 fois moins de chances de trouver un emploi que les jeunes qui résident ailleurs.

Le fléau du chômage n’est pas une spécificité de notre pays : il ne s’explique pas seulement, comme certains propos tenus par l’opposition le laisseraient croire, par les rigidités de notre marché du travail ou par un coût du travail dû au manque de compétitivité de notre économie. Un récent rapport de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) souligne la dégradation du marché du travail dans l’ensemble de la zone OCDE et appelle à une mobilisation urgente des États pour endiguer la hausse du chômage. Elle énumère d’ailleurs quatre priorités qui me semblent en phase avec les propositions du Président de la République.

Elle préconise d’abord de lever les barrières pesant sur la création d’emplois, et la majorité a récemment agi en ce sens en votant l’abrogation de la plupart des exonérations pour les heures supplémentaires. Elle propose ensuite de lutter contre la progression du chômage de longue durée ; d’améliorer les perspectives d’emploi des jeunes, en investissant dans leur formation et leurs compétences – proposition qui coïncide avec la volonté du Président de la République de faire de l’éducation une priorité ; et de limiter au maximum le nombre de chômeurs qui quittent définitivement la vie active en s’éloignant inexorablement de l’emploi.

Les recommandations de l’OCDE étonneront certains. Elle propose ainsi d’activer les emplois subventionnés par l’État, estimant que « des incitations ciblées à l’embauche peuvent se révéler plus efficaces qu’une baisse généralisée des charges sociales ». S’agissant du service public de l’emploi, l’OCDE insiste sur la nécessité de mettre l’accent sur les programmes d’accompagnement personnalisé des chômeurs, et je salue à cet égard la création par le Gouvernement, dans un contexte financier difficile, de 2 000 postes à Pôle Emploi. Certaines de ces recommandations rejoignent les engagements de campagne du Président de la République, ainsi que ses priorités, sur lesquelles nous sommes pressés, monsieur le ministre, de vous entendre.

M. Michel Sapin, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Chacun, ici, le sait et le ressent : la question de l’emploi et du chômage est la première préoccupation des Français. C’est à la fois une traduction concrète de la crise et une de ses causes. En effet, le sous-emploi entraîne la faiblesse des revenus qui, en creusant le déséquilibre économique, peut enclencher le cercle vicieux de la faible croissance, elle-même porteuse de chômage. La lutte contre ce fléau est une priorité absolue du Gouvernement. Il n’est pas besoin de le préciser.

Dans quelques heures, nous connaîtrons les derniers chiffres du chômage. Je crains qu’ils ne contrediront pas l’analyse que je vais faire. Ceux dont nous disposons déjà font apparaître une augmentation globale du nombre des chômeurs – qui approche trois millions – et une augmentation plus importante encore parmi les moins de 25 ans. Le chômage des jeunes est proche des records atteints dans les pires moments des crises de ces dernières années. En même temps, le chômage des plus de 55 ans ne cesse d’augmenter. Quelles que soient les politiques menées, cette manie de pousser les gens de 55 ans hors de l’entreprise a continué à perdurer et avoir ses effets désastreux. Dernier constat, peut-être le plus grave : jamais la France n’a connu autant de chômeurs et de chômeuses de longue durée, c’està-dire de plus d’un an. Or, cela a des conséquences sur le budget de l’État par le biais de l’allocation de solidarité spécifique (ASS) – et sur celui des collectivités locales. Plus grave encore, il a des conséquences en termes de marginalisation sociale, rendant difficile aux jeunes ou aux plus âgés, premières victimes du chômage de longue durée, de retrouver du travail.

Cette situation ne s’améliorera pas d’elle-même. Le Gouvernement doit donc ouvrir deux fronts à la fois, et d’abord celui de l’urgence immédiate. Pôle Emploi a vu ses effectifs diminuer au cours des dernières années, alors que le nombre des chômeurs augmentait. Les mille emplois en contrat à durée déterminée (CDD) qui y ont été créés pour cette année ne sont qu’un renfort momentané. Il y avait d’ailleurs quelque contradiction à ce que ceux qui sont amenés à trouver des emplois durables pour les demandeurs d’emploi soient eux-mêmes en situation de précarité. Il fallait donc renforcer les effectifs, et en particulier ceux des personnels qui sont au contact avec les chômeurs, et qui doivent analyser les situations individuelles. Deux mille emplois passent du « back office » au « front office », effort interne à Pôle Emploi ; et malgré le contexte budgétaire difficile, deux mille emplois supplémentaires sont créés, qui seront tous affectés au contact et à la gestion des dossiers des chômeurs.

La deuxième urgence concerne les contrats aidés. Je ne veux faire aucune polémique, mais les chiffres sont éloquents : 34 000 emplois aidés non marchands ont été créés dans le budget 2012, avec une durée moyenne affichée de huit mois ; parmi eux, 250 000 ont, étonnamment, été conclus dans les quatre premiers mois de cette année, avec une durée moyenne de trois à quatre mois. L’État avait donc utilisé, en l’espace de quelques mois, les deux tiers de ses moyens annuels, ce qui a contribué certes à ralentir l’augmentation des chiffres du chômage au début de l’année, mais aussi à l’accélérer sitôt après, car à partir d’avril, ces contrats ont fait défaut. Or, un contrat aidé en moins, c’est presque mécaniquement un chômeur en plus, en l’espace de quelques semaines. Il fallait là aussi rétablir l’équilibre, dans un contexte budgétaire difficile : c’est pourquoi 80 000 emplois aidés supplémentaires ont été annoncés, et sont mis en œuvre dans les régions.

Le second front que nous ouvrons est celui de la mise en œuvre de nouveaux outils et d’une nouvelle méthode. Le premier outil, ce seront les « emplois d’avenir », qui feront l’objet d’un des tout premiers textes examinés à la rentrée. Ils seront 100 000 l’année prochaine – créations confirmées au niveau budgétaire –et 50 000 l’année suivante, soit 150 000 au total, destinés essentiellement aux jeunes les plus éloignés de l’emploi, noyau dur du chômage des jeunes. Sur les quelque 400 000 jeunes qui n’ont aucune qualification et qui sont sans emploi – qui « galèrent », comme on dit dans le langage courant – nous cherchons à en toucher 130 000 à 150 000. Il s’agira de contrats stables, pour une durée de l’ordre de trois ans, avec les formations et les accompagnements nécessaires, principalement – sinon exclusivement – dans le secteur non marchand, avec pour employeurs les collectivités territoriales, les maisons de retraite, les hôpitaux ou le secteur associatif, notamment celui de l’économie sociale et solidaire.

Un autre outil vous sera proposé un peu plus tard, les « contrats de génération » qui concernent exclusivement les entreprises du secteur marchand. Ces contrats doivent permettre à la fois l’embauche d’un jeune – dont ce doit être le premier emploi en contrat à durée indéterminée (CDI) – et le maintien en emploi d’un salarié plus âgé, et instaurer entre eux un lien de tutorat, d’accompagnement et de transfert de compétences. Parce qu’on ne peut pas mettre en œuvre des contrats de cette nature de la même manière dans toutes les entreprises – chez un artisan et dans une très grande entreprise, dans le secteur industriel et dans celui des services – une adaptation par secteur et par entreprise sera nécessaire. Elle fera l’objet d’une négociation entre partenaires sociaux qui devront conclure un accord national interprofessionnel (ANI), à décliner par branche. Comme ils l’ont souhaité lors de la grande conférence sociale, nous les saisirons en septembre, en application de la « loi Larcher », d’un document d’orientation sur la définition des contrats de génération ; ils devront négocier au cours des deux ou trois mois qui suivront, et à l’issue de cette négociation, un texte de loi sera déposé, avec l’objectif d’une entrée en application au cours de l’année 2013 et d’une montée en puissance rapide du dispositif.

Ces deux nouveaux outils ne relèvent pas d’une urgence immédiate ; leur élaboration demande du temps – nous discuterons notamment des crédits à leur consacrer au moment du débat budgétaire –, mais une fois votés, ils permettront de répondre à une partie des questions posées par la montée du chômage.

Au-delà de l’urgence immédiate, nous souhaitons mettre en place une nouvelle méthode de négociation et de prise de décision dans tous les domaines qui concernent les partenaires sociaux, et en particulier dans celui du fonctionnement des entreprises privées. C’est ainsi que la grande conférence sociale a abordé tous les sujets qui relèvent du monde du travail : le redressement productif, et notamment la question des outils qui permettraient, dans les entreprises, des adaptations plus rapides aux évolutions techniques ; la formation professionnelle tout au long de la vie ; l’évolution des revenus. Aujourd’hui, dans une grande majorité des branches, les minima salariaux sont en effet inférieurs au niveau du SMIC ; il y a donc une obligation légale de négociation pour remettre de l’ordre dans la hiérarchie des salaires. Mais la rémunération des dirigeants doit elle aussi être encadrée, et il faudra mettre en place des procédures de transparence et de régulation qui permettront de limiter des salaires dont chacun – sauf peut-être les bénéficiaires eux-mêmes – conviendra qu’ils sont anormalement élevés dans les conditions d’aujourd’hui.

Les différentes tables rondes ont abordé les questions touchant au développement de l’emploi, à l’égalité professionnelle et salariale, à l’amélioration de la qualité de vie au travail. Sur tous ces points, c’est l’ensemble des partenaires sociaux – organisations représentatives, mais aussi non représentatives – qui ont travaillé en commun. Du côté syndical, étaient ainsi présentes des organisations comme l’Union nationale des syndicats autonomes (UNSA) ou les syndicats Solidaires Unitaires Démocratiques (SUD) ; du côté patronal, à côté des trois organisations représentatives – le MEDEF, l’UPA et la CGPME –, il y avait l’Union nationale des professions libérales (UNAPL), ainsi que des représentants de l’économie sociale et solidaire.

Les collectivités territoriales étaient également représentées, et elles ont activement participé à la conférence. Dans beaucoup de domaines, en effet – l’emploi, la formation, la réindustrialisation – la présence de ces collectivités est fondamentale. Les régions jouent un rôle crucial dans le domaine de la formation, mais aussi, à côté des grandes agglomérations et des départements, dans celui de l’orientation, de l’insertion ou de l’aide au développement économique. Et les communes sont toujours concernées par les politiques de l’emploi.

De ces deux jours de travaux introduits par le Président de la République et conclus par le Premier ministre, est sortie une feuille de route sociale dont chacun de vous a pu prendre connaissance. Elle est le résultat des discussions, des confrontations, et parfois des désaccords qui se sont exprimés.

Notre méthode consiste à privilégier le dialogue social, la concertation et la recherche des compromis, afin de mettre en œuvre des adaptations en amont des crises, pour les éviter ; mais aussi, en cas de crise, afin de la résoudre autrement que par le seul licenciement. Ce dernier présente en effet des inconvénients non seulement pour les licenciés, mais aussi, bien souvent, pour les entreprises qui se séparent de collaborateurs compétents qu’ils risquent de ne pas retrouver le jour où, la conjoncture étant meilleure, il faut réembaucher.

La négociation est un mécanisme fondamental dont il importe de définir les modalités. Nous disposerons bientôt de la nouvelle liste des organisations syndicales représentatives ; mais comme le MEDEF l’a déclaré lors de la grande conférence sociale, la question de la représentativité se pose également du côté patronal. Or, la constitutionnalisation du dialogue social, qui fait partie des engagements du Président de la République, suppose que cette question soit réglée d’un côté comme de l’autre. À défaut, la validité des accords risque d’être contestée.

Les critiques émises à l’encontre des résultats de la conférence procèdent pour partie d’une méconnaissance du contenu de la feuille de route. Qu’on ne dise pas qu’elle n’aborde pas les questions concrètes : tous les grands sujets, y compris les plus délicats, seront abordés. L’avenir des retraites au-delà de 2015 sera examiné bien plus tôt que ne le prévoyaient les dernières réformes : les négociations devaient ouvrir fin 2013, elles commenceront dès cet automne, en vue de décisions à la mi-2013.

Autre sujet délicat, celui de la meilleure assiette pour les cotisations destinées à assurer la pérennité du système de solidarité pour les familles ou pour la maladie. La CSG pourrait en être une, mais elle n’est pas la seule envisagée. Il s’agit de sujets difficiles mais importants pour la compétitivité de notre entreprise – mot qui ne nous fait pas peur. La discussion commencera à l’automne, et à mi-2013, des décisions devront être prises.

Nous nous attacherons enfin à la lutte contre la précarité dans l’entreprise. Sachez que 93 % des nouveaux chômeurs entrent à Pôle Emploi pour des raisons autres que la rupture d’un CDI – fin d’une mission d’intérim, fin d’un CDD, entrée sur le marché de l’emploi, fin d’un stage – et seuls 7 % à la suite d’une telle rupture. Autre chiffre : 75 % des premiers emplois pour les jeunes ne sont pas des CDI. Les chefs d’entreprises sont les premiers à le reconnaître : le CDI est aujourd’hui devenu l’exception, cela est anormal et contreproductif, même du point de vue de l’entreprise.

Il faut donc négocier sur toutes les questions, de l’adaptation des entreprises au licenciement dont la procédure est aujourd’hui critiquée par les deux parties. Ainsi, lorsqu’un salarié conteste le motif économique invoqué à propos d’un plan de licenciement, la justice peut considérer le licenciement comme abusif – mais sa décision interviendra au bout de trois, cinq ou dix ans. Et la traduction juridique de cette décision – le paiement d’une indemnité – ne correspond évidemment pas au souhait initial du salarié, qui était de garder son emploi au sein d’une entreprise pérenne. Mais du côté de l’entreprise, beaucoup de chefs d’entreprise sincères, dont l’objectif n’est pas de licencier mais qui sont parfois obligés de le faire, se plaignent de la longueur et de l’incertitude des procédures. D’un côté comme de l’autre, il y a donc nécessité de négocier pour rendre la procédure de licenciement plus protectrice des uns et des autres. Ce sera l’objet de la négociation sur la sécurisation de l’emploi, qui viendra remplacer celles qui ont avorté, en particulier celle, lancée fin janvier dernier, que le Président de la République de l’époque voulait voir conclue en trois semaines mais que les partenaires sociaux ont eu la sagesse de suspendre dans l’attente du résultat des élections. Une nouvelle négociation est aujourd’hui nécessaire, à laquelle la feuille de route sociale donne une nouvelle base. Elle associera tous les partenaires sociaux, du côté patronal comme du côté syndical, et s’ouvrira dès septembre, à partir d’un document d’orientation présenté par le Gouvernement, en vue de se conclure au premier trimestre 2013.

Notre démarche est donc très concrète, y compris sur les sujets les plus difficiles, et nous entendons agir rapidement. Le dialogue social demande certes un peu de temps, mais nous le prenons afin de mieux résoudre les problèmes qui n’ont pas été résolus jusqu’à présent. La conférence sociale n’était pas un moment – fût-il productif et salué comme tel par l’ensemble des partenaires sociaux – mais le début d’un processus. Mon ambition, en tant que ministre du travail, serait d’avoir fondé un vrai dialogue social à la française. Nous n’avons pas à copier les autres ; la France n’est pas l’Allemagne, nos habitudes ne sont pas les mêmes. Nous devons donc inventer notre propre système, et c’est tout l’objet de cette grande conférence. Par conséquent, votre Commission sera souvent saisie : tout de suite pour la question des emplois d’avenir, très vite pour les contrats de génération. Plus généralement, les négociations engagées – et particulièrement celle sur la sécurisation de l’emploi – ont vocation à recevoir des traductions législatives en matière de droit du licenciement et de droit du travail. Et quelle que soit la place que l’on veut légitimement faire en France à la démocratie sociale, y compris en la couronnant d’une reconnaissance constitutionnelle, c’est bien sûr au Parlement qu’il revient de légiférer.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je vous remercie, monsieur le ministre, de cet exposé clair, qui a permis de bien dégager les orientations du Gouvernement.

Vous avez évoqué la nécessité de réévaluer la protection des droits de l’employeur et du salarié lors de la rupture du contrat. Le cadre offert par la rupture conventionnelle n’offrirait-il pas les garanties suffisantes ?

On entend souvent dire que les Français travailleraient moins que les autres, que le coût du travail en France serait plus élevé qu’ailleurs et que cela expliquerait les difficultés traversées par notre pays. L’OCDE ne paraît pas le confirmer. Qu’en pensez-vous ?

M. Jean-Marc Germain. L'emploi est la priorité des Français, du Gouvernement et des parlementaires : c'est dire si la responsabilité qui pèse sur vos épaules est grande, monsieur le ministre. Vous pourrez compter sur notre entier soutien dans votre mission, ô combien importante.

Vous avez commencé à agir en débloquant 80 000 emplois aidés et en portant à 4 000 personnes les effectifs de Pôle emploi. Vous avez aussi ôté, dans le cadre du projet de loi de finances rectificative, cet obstacle à l’embauche en France que constituaient les subventions aux heures supplémentaires, mesure absurde puisqu’elle encourageait les employeurs à ne pas embaucher. Le ministre du redressement productif et vous-même avez par ailleurs engagé un premier plan sectoriel en faveur de l’automobile, pour des « voitures propres et populaires », selon l’expression de M. Montebourg. Espérons qu’une telle mutation technologique, écologique et économique, s’étendra à d’autres secteurs de l’économie.

Le quinquennat précédent a consacré peu d’énergie à la baisse du chômage. Alors que l’Allemagne a fait le choix de l’emploi, notamment à travers le chômage partiel, la France a fait le choix inverse, en subventionnant les heures supplémentaires : les résultats sont là, hélas.

Monsieur le ministre, l'avenir seul nous permettra de connaître les fruits du processus que vous avez engagé mais nous sommes convaincus que la grande conférence sociale fera date. Son premier mérite est d'avoir ouvert avec les partenaires sociaux tous les chantiers du quinquennat. On sort de la politique au coup par coup, des réunions convoquées en urgence et souvent bâclées, pour aborder les questions fondamentales que notre pays doit régler en vue de se redresser.

Son deuxième mérite est de ne pas arriver avec des réponses toutes faites : cela ne vous interdit pas d’avoir un cap clair, mais vous faites confiance à l'intelligence collective pour trouver les meilleures solutions. Nous sommes désormais loin du « j'écoute mais je ne tiens pas compte » du quinquennat précédent : vous écoutez, vous débattez, vous négociez et vous tenez compte.

Son troisième mérite est d’avoir élaboré une feuille de route claire, avec un agenda précis et resserré, qui est une subtile alchimie entre le volontarisme d'État et la place accordée au dialogue. Vous avez évoqué « un vrai dialogue social à la française » : tantôt la loi après consultation, quand l'urgence commandera d'agir vite, comme dans le cas des emplois d'avenir ; tantôt une fenêtre de concertation avant la loi, comme pour les contrats de génération, dès lors que les partenaires sociaux ont décidé de se saisir de la question – on les comprend puisque ce contrat s'adressera aux entreprises et à leurs salariés ; tantôt, enfin, le renvoi à un accord national interprofessionnel, à partir d'un cadrage gouvernemental sur des questions plus lourdes : tel sera le cas de la sécurisation de l'emploi.

Je vous poserai trois questions.

S’agissant d’abord du plan automobile annoncé ce matin par le Gouvernement, je tiens à rappeler que le défaut majeur des plans précédents tenait à l’absence de contreparties. Quelles contreparties comptez-vous négocier avec l’industrie automobile, notamment en termes de maintien de l’activité et de politique sociale ?

Vous avez également évoqué la question des rémunérations : la campagne électorale a révélé un besoin profond de justice dans le pays, notamment en matière d’égalité salariale entre les femmes et les hommes. Vous avez rappelé qu’il ne s’agissait pas tant de légiférer que d’appliquer les textes existants : pouvez-vous préciser votre pensée ? Qu’en est-il par ailleurs de la question des hautes rémunérations ? Un décret devrait bientôt paraître, mais il concernera les seules entreprises publiques. Compte tenu des échanges que vous avez eus avec les partenaires sociaux, que peut-on envisager dans le secteur privé ?

Enfin, vous avez évoqué les licenciements abusifs et la sécurisation de l’emploi. Comment intervenir en amont des licenciements ? Est-il possible de donner aux salariés les moyens de mettre un terme à des situations comme celle de Molex, qui a donné lieu au pillage organisé de l’entreprise ? La négociation interprofessionnelle permettra-t-elle de trouver des solutions ?

M. Arnaud Robinet. Monsieur le ministre, nous l’avons compris, l’emploi est une priorité affichée du Gouvernement. Pourtant, depuis son arrivée, il n’a pris que des mesures contraires à la compétitivité, et donc défavorables à l’emploi – la hausse des cotisations patronales pour la retraite, l’enterrement de la TVA-compétitivité ou TVA-emploi, l’interruption brutale de la négociation des accords compétitivité-emploi.

S’agissant des jeunes, vous préférez les emplois subventionnés à la formation, notamment dans le cadre du contrat de génération. Quelles en seront les conséquences, pour les entreprises, mais également en termes d’emploi et de recettes fiscales ? Par ailleurs, quelle politique comptez-vous suivre en matière d’alternance et d’apprentissage ? Respecterez-vous les objectifs du gouvernement précédent : 800 000 jeunes en alternance en 2015 ?

Vous annoncez une loi sur les licenciements économiques : est-elle nécessaire ? Est-elle même possible ? Quelle signification aurait l’alourdissement des conditions de licenciement ?

La réforme des retraites de 2010 avait prévu un point d’étape en 2013 : vous dirigerez-vous vers une réforme systémique ou paramétrique ?

Le plan pour la formation professionnelle consistera-t-il à donner plus de pouvoirs aux régions, alors qu’il faudrait remettre à plat l’ensemble du financement et garantir l’accès des chômeurs à la formation ?

S’agissant de la suppression de la défiscalisation des heures supplémentaires, j’ai lu récemment que vous en constatiez les dégâts sur le pouvoir d’achat des salariés les plus modestes. Vous avez évoqué une hausse de la rémunération des heures supplémentaires à titre compensatoire : sera-ce la double peine pour les entreprises ?

Le ministre du redressement productif a présenté aujourd'hui son plan automobile : quel rôle joue votre ministère dans le volet emploi de ce dossier ? Un plan d’action est-il prévu pour sauver les 8 000 emplois menacés ?

Le Premier ministre a annoncé une réforme du SMIC : quelle en sera la teneur ? Votre « coup de pouce » ne représente finalement que 0,6 %, autant dire un écran de fumée, puisque vous avez, dans le même temps, augmenté les cotisations salariales pour financer les retraites et supprimé la défiscalisation des heures supplémentaires.

Je m’interroge enfin sur le financement de la protection sociale. Les négociations qui feront suite à la grande conférence sociale permettront-elles d’envisager d’autres pistes que l’augmentation de la CSG dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2013, en vue de compenser la suppression de la TVA-emploi ou TVA compétitivité ?

Les mesures que vous avez annoncées à l’issue des tables rondes de la grande conférence sociale sont empreintes du flou le plus complet. Vous voulez prendre le temps de la négociation avant d’adopter certaines mesures : l’urgence de la situation le permet-elle ? « Quand il y a un flou, c’est qu’il y a un loup », soulignait une responsable politique : je crains que les entreprises et les salariés français n’en fassent les frais.

M. Arnaud Richard. La question de la représentativité des syndicats et du dialogue social était au menu de la grande conférence sociale. C’est un sujet fondamental qui met en regard une situation économique très tendue, aux conséquences sociales lourdes, et un système qui date. Plus que jamais, comme le montre l’actualité des pays voisins, le dialogue social doit être modernisé. Cette réflexion avait été engagée à l’initiative des précédents gouvernements au travers de deux lois. La loi de modernisation du dialogue social de janvier 2007 prévoit que le Gouvernement doit soumettre ses projets de réforme à une concertation préalable avec les organisations salariales et d’employeurs, représentatives au niveau national et interprofessionnel, en vue de l’ouverture éventuelle d’une négociation entre partenaires sociaux. La loi de 2010 complète celle de 2007 en matière de représentativité.

Ces sujets méritent des efforts constants et renouvelés : c’est pourquoi je conçois tout à fait que vous remettiez l’ouvrage sur le métier.

Le problème central est celui de la confiance, qui pose à son tour trois questions : la constitutionnalisation de la démocratie sociale, la représentativité et la transparence.

La constitutionnalisation de la démocratie sociale est pavée de bonnes intentions. Il n’est pas certain toutefois qu’elle permette de renouveler la confiance entre les salariés et les syndicats qui ne représentent que 8 % d’entre eux. J’en suis d’autant moins convaincu que la confiance n’est pas une valeur constitutionnelle. Par ailleurs, n’est-ce pas une autre façon de détourner la vocation profonde de ce texte fondamental qu’est la Constitution ? Le dialogue social est par nature mouvant dans ses formes, ses contenus, ses outils ou ses acteurs. Il dépend également de la situation. De quelle manière la Constitution pourra-t-elle garantir un dialogue social de qualité dans la mesure où ce dialogue ne relève pas du rôle de celle-ci ? Il me semble du reste présomptueux, voire risqué, de graver dans le marbre constitutionnel une nouvelle orthodoxie alors qu’il faut faire confiance tant aux acteurs de la vie syndicale qu’à la représentation nationale. Cette intention risque de plus de conduire à un véritable enfer juridique. Qu’arrivera-t-il lorsque le choix du législateur ne suivra pas les recommandations des partenaires sociaux préalablement saisis ? Quel sera le statut de ce corpus juridique qui devra animer la démocratie sociale tout en respectant le principe fondateur de la démocratie représentative ?

Je n’ai aucune remarque particulière à faire sur la représentativité : je suis d’accord avec vous sur le sujet.

Enfin, la feuille de route sociale aborde de façon liminaire la transparence des comptes des organisations syndicales et professionnelles, qui est une des clés essentielles de la confiance des salariés et des employeurs à l’égard de leurs représentants, car c’est la source réelle de la légitimité de la démocratie sociale que nous appelons tous de nos vœux.

Il me semble indispensable, notamment à l’intention des nouveaux commissaires, de rappeler les mécanismes de financement de ces organisations. C’est ce qu’a fait avec une grande rigueur notre ancien collègue Nicolas Perruchot, dans un rapport de commission d’enquête que j’ai personnellement approuvé mais qui a été enterré : c’est une première sous la Ve République ! Animés de la même conviction républicaine que nous, nos nouveaux collègues seront convaincus de la nécessité de traiter ce problème : l’espérance qu’ils incarnent ne saurait en effet cohabiter avec une forme de magma juridique et financier dont le moins qu’on puisse dire est qu’il manque de clarté.

Ce rapport avait eu le mérite de montrer que les financements des organisations syndicales et professionnelles restent structurellement opaques, alors que des sommes très importantes sont en jeu, en raison du nombre et de la diversité des canaux de financement – une vraie liste à la Prévert ! La situation est donc très complexe. Les ressources des organisations syndicales sont du reste si nombreuses que les cotisations n’en constituent qu’une part complémentaire. C’est une exception française. Le poids financier total s’élève à quelque 5 milliards d’euros par an – 1 milliard pour les organisations patronales et 3,9 pour les organisations de salariés –, alors même que la France connaît un des plus faibles taux de syndicalisation d’Europe. Cette question ne devra pas être écartée du dialogue que vous aurez avec les partenaires sociaux à la suite de la grande conférence sociale.

M. Christophe Cavard. Monsieur le ministre, le groupe Écolo se réjouit de la tenue de la grande conférence sociale qui a permis de s’attaquer sérieusement aux défis sociaux des années à venir. Il convient de renouer la confiance, perdue ces dernières années, entre les partenaires sociaux et les décideurs que nous sommes. Cette conférence doit permettre également de parvenir à une meilleure reconnaissance du rôle et de la fonction des syndicats en France. C’est pourquoi nous ne saurions nous réjouir du taux très bas de syndicalisation en France, qui a été rappelé à l’instant : je souhaite que la reconnaissance de la démocratie sociale, dans le cadre de la grande conférence sociale, relance la question du syndicalisme en France et de sa fonction.

Vous avez abordé la question des contrats aidés en soulignant qu’il ne saurait y avoir de chemin direct entre le contrat aidé et le chômage. Se pose dès lors la question de la formation. Je m’étonne d’autant plus qu’Arnaud Robinet y ait fait allusion, que c’est sous le gouvernement précédent que les contrats aidés ont fondu comme neige au soleil, en étant renvoyés à la bonne volonté des collectivités locales. Le partenariat des collectivités sera, je le suppose, un des prochains sujets de débat du dialogue social.

Les emplois d’avenir sont chers aux écologistes, notamment dans le cadre de l’économie sociale et solidaire – je pense en particulier aux coopératives –, secteur auquel il est d’autant plus important de donner la priorité qu’il est moins gourmand en subventions que d’autres de l’économie libérale qui ne cessent d’appeler au secours la puissance publique. Il ne faut pas non plus oublier les filières nouvelles, qui tournent autour de l’habitat et de l’énergie : elles sont appelées à se développer et seront donc créatrices d’emplois.

Enfin, nous aurons à débatte de l’acte III de la décentralisation dans les mois à venir, ce qui suppose l’émergence d’un réel partenariat, alors qu’à l’acte II, on a vu l’État se délester de ses obligations sociales sur les collectivités territoriales. Ce partenariat est la condition sine qua non de résultats effectifs, notamment au profit des personnes les plus fragiles. L’ouverture de Pôle emploi à la libéralisation a été catastrophique. Il faudra revenir sur les relations entre Pôle emploi et les collectivités locales dans le cadre de la décentralisation.

Le groupe Écolo sera, monsieur le ministre, avec le reste de la majorité et, je l’espère, les éléments les plus constructifs de l’opposition, à vos côtés pour surmonter les défis qui nous attendent.

M. Jean-Noël Carpentier. Monsieur le ministre, le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste se félicite de cette nouvelle méthode, qui rompt avec la précédente. Elle apporte l’apaisement et suscite l’espoir. Il faut traiter les questions urgentes avant de construire un avenir plus souriant. Nos concitoyens ont été satisfaits de la tenue de la grande conférence sociale.

Toutefois, les attentes sont fortes, notamment en matière d’emploi, question qui fracture la société, qu’il s’agisse non seulement du taux d’emploi mais aussi de la précarité ou de la qualité de celui-ci. Des milliers de Français souffrent dans leur chair.

Nous sommes prêts à appuyer votre méthode qui vise à renouer avec le dialogue social.

Le concept de la main invisible régulant le marché, y compris celui de l’emploi, ne peut plus fonctionner. Une intervention de l’État est nécessaire pour permettre l’établissement de règles plus humaines. La crise mondiale est profonde. Le taux moyen de chômage en France est similaire au taux européen : il tourne autour de 10 %. Nous assistons à une financiarisation de l’économie planétaire. Le candidat Hollande, devenu Président de la République, affirmait que son adversaire n’avait pas de visage mais il a un nom : c’est la finance. Évitons les slogans en matière d’emploi. En économie, il faut faire preuve de pragmatisme. Un grand nombre de nos concitoyens attendent de l’État qu’il les protège par l’établissement de nouvelles règles. Le code du travail doit y contribuer : c’est une question urgente en cette période de crise.

Il conviendra par ailleurs de donner une définition précise du coût du travail car ce qui est en jeu, notamment par le biais de la question des salaires, c’est le pouvoir d’achat des Français. Qu’envisagez-vous pour que son amélioration ne se réduise pas à un simple mot d’ordre électoral ?

M. Rémi Delatte. En me limitant au chapitre intitulé : « Réunir les conditions du redressement productif » de la feuille de route sociale, j’ai le sentiment d’un immense décalage entre les bonnes intentions et certaines des mesures annoncées. Je ne doute pas de votre volonté de limiter le chômage : mais, vous en donnez-vous vraiment les moyens ?

Il est ainsi écrit, à la page 20 du document : « un prix modéré de l’énergie est un avantage comparatif de la base industrielle France et cet avantage doit être conservé ». C’est bien de le reconnaître. Mais comment concilier cet atout français avec les accords que vous avez passés avec les écologistes, qui menacent l’avenir de la filière nucléaire ?

Le document précise également, page 21 : « la réflexion sur le mode de financement de la protection sociale doit prendre en compte son impact sur le dynamisme de l’économie ». Nous en sommes tous convaincus mais n’est-ce pas reconnaître que la TVA-emploi était une bonne mesure, sur laquelle vous êtes revenus un peu vite, non sans une certaine obstination dogmatique ?

Enfin, vous souhaitez – page 20 – « promouvoir auprès des instances européennes et internationales des propositions fortes permettant de mettre en œuvre une véritable politique industrielle européenne et d’assurer une juste réciprocité dans les échanges commerciaux » : cela consistera-t-il notamment à remettre au goût du jour la préférence communautaire ? On ne saurait trop vous y encourager.

M. Michel Liebgott. Il est indispensable de sortir du stop and go permanent que la droite nous imposait il y a encore quelques mois. Il faut également doter les emplois aidés d’une durée minimale afin de construire un vrai parcours de formation.

Le social et l’économique doivent pouvoir converger, notamment au travers des actions menées, dans les quartiers, dans le cadre des entreprises d’insertion, de l’aide au poste et des régies de quartiers. Ce sont des sujets essentiels.

Mme Isabelle Le Callennec. Ce matin, M. Migaud, premier président de la Cour des comptes, nous a rappelé l’impérieuse nécessité de maîtriser la dépense publique. Or, monsieur le ministre, vous nous annoncez des contrats aidés supplémentaires ainsi que 100 000 emplois d’avenir en 2013 et 50 000 en 2014 : est-ce conciliable avec cette impérieuse nécessité ?

La conférence sociale a confirmé deux dispositifs phares du candidat Hollande : les emplois d’avenir et les contrats de génération. Ce que j’observe, c’est que, dans le même temps, le nouveau gouvernement a abrogé un grand nombre des mesures adoptées sous la précédente législature. Or, certaines de celles-ci ont fait leur preuve sur le terrain.

S’agissant du chômage des jeunes, la feuille de route précise, page 7, que « le sujet de l’orientation doit être ouvert à nouveau ». Or, il l’est déjà, et nous avons commencé, dans les régions, à travailler à un pilotage de l’orientation des jeunes.

En matière de chômage partiel, les entreprises bénéficient jusqu’à présent, en cas de difficultés ponctuelles, de dispositifs d’indemnisation, qui prévoient également une formation possible pour les salariés durant cette période. Ces dispositifs seront-ils reconduits ?

Je suis d’autant plus favorable à l’amélioration de la qualité de la vie au travail que je suis élue dans une circonscription où sont installées des industries agroalimentaires : le travail y est parfois difficile. Un fonds de pénibilité de 20 millions a été créé lors de la réforme des retraites, afin de financer des travaux d’amélioration de la qualité de la vie dans les entreprises. Ce fonds est-il pérenne ?

Les maisons de l’emploi rendent un grand service dans de nombreuses régions : or, en 2014, leur deuxième cahier des charges prendra fin. Continueront-elles d’être dotées de moyens suffisants ?

Enfin, nous avons tous à cœur la sécurisation des parcours professionnels. Le contrat de transition professionnelle – CTP – a été créé en 2006. En 2011, le contrat de sécurisation professionnelle – CSP – a pris la suite du CTP et de la convention de reclassement personnalisée – CRP. Prévoyez-vous de le proroger ? Il rend un vrai service aux demandeurs d’emploi.

M. Jean-Patrick Gille. Monsieur le ministre, je tiens à saluer la priorité que vous donnez à l’emploi des jeunes, notamment avec la création des emplois d’avenir, qui sont une nouvelle forme de contrats aidés, à temps plein et pour une durée de trois ans. Pourriez-vous préciser les possibilités d’accompagnement et de formation dont ils bénéficieront ?

Je tiens également à appeler votre attention sur la formation des demandeurs d’emploi. Réaffirmer la mission de service public de l’Association pour la formation professionnelle des adultes (AFPA), qui est en grande difficulté, en la mobilisant sur la formation au premier niveau de qualification, permettrait de la sauver.

Il convient également de repenser les dispositifs de reconversion des demandeurs d’emploi de longue durée, ainsi que la question des allocations de fin de formation, qui permettent à des personnes de s’engager dans des formations longues. Certes, ces dispositifs coûteux ont été remis en cause. Toutefois, le chômage de longue durée des seniors, confronté au fait que certains secteurs manquent de main-d’œuvre, devrait nous inviter à y recourir de nouveau.

Enfin, ne pensez-vous pas qu’une plus grande territorialisation des politiques publiques serait plus efficace que leur limitation à l’échelon régional ?

Vous êtes le ministre du dialogue social. Il était important de rétablir la confiance avec les partenaires sociaux – l’annonce, par le Premier ministre, de l’arrêt des ponctions sur le fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP) y a également contribué. Quel sera, selon vous, le rôle des parlementaires dans la démocratie sociale à la française ? S’agit-il de rester dans le cadre d’un système de négociation collective entre partenaires sociaux, ratifiées par les parlementaires, ou pensez-vous qu’il faille se diriger vers une coproduction ?

Mme Véronique Louwagie. La feuille de route sociale m’a profondément déçue. Dans son discours d’ouverture de la grande conférence sociale, le Président de la République a indiqué que tous les sujets, sans exclusion, seraient abordés. En fait, si les sept tables rondes ont porté sur des thèmes intéressants, aucune n’a permis d’engager une réflexion approfondie ou un véritable débat sur le coût du travail, alors que cette question aurait pu être traitée dans le cadre de la table ronde numéro 5 intitulée : « Réunir les conditions du redressement productif ». Elle ne l’a pas été, alors que d’autres points plus périphériques l’ont été, comme si le sujet était tabou.

Certes, monsieur le ministre, vous l’avez discrètement abordée dans votre propos liminaire en évoquant la recherche de nouveaux financements de la branche famille, mais je demeure dubitative. Je fais le vœu que la question essentielle du coût du travail, qui a un impact sur la compétitivité des entreprises, sur la création de richesse et donc sur l’emploi, soit abordée dans le rapport sur la compétitivité de l’industrie confié à M. Louis Gallois. Est-ce rationnel que cette question ne soit pas traitée de manière forte ?

M. Gérard Sébaoun. La feuille de route sociale a fixé comme objectif l’amélioration de l’égalité professionnelle et de la qualité de vie au travail. Cette dernière comprend de multiples éléments, tels que la sécurité de l’emploi, le niveau et l’évolution du salaire, la charge de travail, la pénibilité de la tâche, l’organisation de l’entreprise, les méthodes managériales ou le temps de transport - notamment en Ile-de-France. Lorsque l’on interroge les salariés, la plupart des réponses laissent poindre un certain mal-être au travail.

Monsieur le ministre, au cœur de la politique de santé au travail - dont vous souhaitez renforcer la gouvernance nationale et régionale tout en menant des négociations sur la question de la pénibilité - se situe la médecine du travail qui voit la population de ses praticiens vieillir et qui connaît des difficultés de recrutement. Comment comptez-vous la soutenir alors que le nombre de ses missions s’accroît, comme l’illustre le vote hier soir par notre assemblée de la loi contre le harcèlement moral et sexuel ?

M. Jérôme Guedj. Tout d’abord, je souhaiterais souligner l’esprit de disponibilité des participants à la conférence sociale à laquelle j’ai assisté au titre de l’Assemblée des départements de France. Je forme des vœux pour que cette dynamique se poursuive jusqu’à notre prochain rendez-vous dans un an.

S’agissant des emplois d’avenir, vous avez indiqué, monsieur le ministre, qu’une concertation avec les partenaires sociaux et les collectivités locales allait débuter rapidement. Vous nous avez également précisé que ces emplois allaient être créés dans les collectivités locales, les associations et les hôpitaux. Ne pensez-vous pas que la fonction publique d’État, notamment dans l’éducation nationale, tentera également de bénéficier de ces emplois, réduisant ainsi les possibilités offertes aux autres secteurs publics et parapublics ? Par ailleurs, ces emplois d’avenir ne pourraient-ils pas être concentrés dans quelques domaines emblématiques de la mandature – transition énergétique et diagnostic thermique dans le logement, ou soutien à l’aide à domicile des personnes dépendantes et dans les territoires éligibles à la politique de la ville ?

Mme Fanélie Carrey-Conte. Parmi les très nombreuses questions abordées au cours de la conférence sociale, l’emploi des personnes handicapées soulève des difficultés spécifiques. Les partenaires sociaux ont indiqué vouloir engager un processus de négociation avant le premier trimestre 2013. Qu’en est-il précisément, monsieur le ministre, et quelle fut la teneur des échanges sur ce sujet lors de la conférence sociale ?

Mme Chaynesse Khirouni. Les politiques publiques en matière d’insertion professionnelle des jeunes doivent s’appuyer sur la capacité d’initiative de cette population. Or, cette dernière est trop souvent cantonnée dans un rôle d’objet plutôt que dans celui d’acteur. Dans les quartiers urbains pauvres, le chômage des jeunes est très important, alors que beaucoup d’entreprises sont créées – mais elles pâtissent d’une déficience d’accompagnement en termes de financement et de locaux. Quelles mesures de soutien à ces initiatives comptez-vous mettre en œuvre, monsieur le ministre ?

La recherche de stage est également rendue complexe par l’absence de réseaux permettant l’accès aux entreprises. Un partenariat avec les régions pourrait-il être établi afin de faciliter l’accueil par les entreprises de stagiaires provenant de ces quartiers ?

Mme Annie Le Houérou. Nombreux sont ceux, notamment dans les territoires ruraux et dans un contexte de chômage élevé, à créer leur propre emploi. Je souhaiterais donc, monsieur le ministre, connaître votre réflexion sur le statut d’auto-entrepreneur qui soulève un certain nombre de questions.

Les associations d’aide aux personnes handicapées ou en difficulté d’insertion connaissent une situation de grande précarité. En liaison avec les collectivités locales, un travail de simplification des procédures devrait être conduit afin de permettre à ces associations de mieux accomplir leur tâche.

Quant aux emplois d’avenir, ils devraient offrir une véritable formation professionnelle et déboucher sur des métiers pérennes.

M. le ministre. Les emplois d’avenir constitueront le premier sujet soumis à votre examen. Dans la sphère non marchande, des emplois pourront être créés dans les hôpitaux, les maisons de retraite ou les associations d’aide à domicile, secteurs accessibles à des jeunes de faible formation et où l’encadrement existe déjà, ce qui n’est pas le cas de l’ensemble du tissu associatif. La comparaison avec les emplois jeunes a ses vertus mais également ses limites : beaucoup d’emplois jeunes furent octroyés à des personnes diplômées de l’enseignement supérieur qui occupaient souvent des postes d’animateur, de dirigeant ou de permanent dans les associations et qui prenaient en charge des jeunes se trouvant en situation plus difficile.

Avec le nouveau dispositif, l’objectif sera de s’attaquer au noyau dur du chômage des jeunes. Il s’agit d’un dessein ambitieux, qui requiert de la formation, de l’encadrement et, de la part des employeurs, la connaissance du but poursuivi. Certes, notre intention est de créer 100 000 postes l’année prochaine mais nous ne souhaitons pas faire du chiffre pour faire du chiffre mais bien de permettre à une catégorie de la population très éloignée du marché du travail d’y avoir accès. Il n’est pas exclu que des personnes ayant un niveau d’étude supérieur au baccalauréat puissent décrocher un emploi d’avenir. Dans certains quartiers de nos villes ou dans des zones rurales éloignées d’un bassin d’activité, certains jeunes diplômés sont toujours au chômage au bout d’un an de recherche du fait de leur prénom ou de l’adresse de leur logement. L’idée du tremplin et celle de l’accès au premier emploi, à un poste pérenne ou à une formation, se situent au cœur de notre conception de ces emplois d’avenir.

Ce dispositif aura un coût mais le budget de l’emploi a été déclaré prioritaire. J’adhère au souci de rétablir l’équilibre budgétaire, car c’est l’intérêt de la France, et mon budget devra participer à l’effort commun, mais nous veillerons à ce que les crédits ne concernant pas directement les politiques de l’emploi ne soient pas amputés au-delà du raisonnable.

Le plan automobile repose sur deux piliers. Le premier, c’est l’urgence et la situation du groupe PSA. Il est heureux que le Président de la République, le Premier ministre, le ministre du redressement productif et moi-même ayons été sévères pour les premières propositions du plan social émises par la direction de PSA comme avec les responsables de l’ancienne majorité qui ont œuvré pour que la prise des décisions indispensables soit repoussée. Dès lors, les positions ont commencé à se modifier, et M. Philippe Varin, le président du directoire de PSA, a pris des engagements nouveaux devant le Premier ministre. S’ouvre maintenant la négociation entre partenaires sociaux. Le respect et la confiance qui leur sont dus doivent nous inciter à laisser le dialogue social – au sein des établissements comme du groupe – permettre à la situation d’évoluer afin que moins de postes soient supprimés, que davantage d’activité soit maintenue – notamment à Aulnay – et que l’accompagnement personnel de ceux qui perdront leur emploi soit plus efficace.

Les « coups de boutoir » assénés par le Gouvernement ont ouvert un champ au dialogue social resté jusque-là fermé. La négociation s’est ouverte ce matin avec le comité central d’entreprise, et elle reprendra en septembre ; elle devra se conclure dans les semaines qui suivront afin que PSA puisse rééquilibrer sa situation sans que les dégâts sociaux et territoriaux soient de trop grande ampleur.

Le second fondement du plan automobile repose sur l’anticipation. Il faut éviter de se trouver confronté à des plans de licenciement immédiats. La voiture de demain sera différente de celle d’aujourd’hui ; sa fabrication requerra des compétences et des mécanismes de production nouveaux. Notre devoir est de prévoir ces changements et de les accompagner, notamment par le dialogue social. M. Montebourg, ministre du redressement productif, et moi-même avons annoncé ce matin lors d’une conférence de presse que les partenaires sociaux de l’ensemble de la filière automobile se réuniront en septembre prochain afin de préparer l’avenir. Notre rôle sera d’accompagner les procédures concertées qui seront mises en œuvre, notamment dans les domaines de la formation et du chômage partiel – on utilise trop peu ce dernier en France. Quant à la formation, elle bénéficie beaucoup moins aux chômeurs qu’aux personnes possédant déjà un emploi – et, au sein de cette population, à celles disposant déjà de nombreuses compétences. Une réorientation est donc indispensable.

Les représentants des salariés et des entrepreneurs dressent le même constat : le droit des procédures de licenciement doit être réformé car la situation actuelle est source d’insécurités. Certains chefs d’entreprise, au vu de la difficulté d’anticiper la longueur et le coût de la procédure, me confient même regretter l’autorisation administrative de licenciement. Je vous rassure, nous ne vous proposerons pas de la rétablir. Mais ne pourrait-on pas trancher certaines questions en amont de la saisine du juge ? S’agissant du motif du licenciement, par exemple, une information loyale des représentants des salariés permettrait peut-être de régler ce problème sans attendre des années, quand on ne peut plus apporter comme solution qu’un versement financier. Cela permettrait de se concentrer sur les moyens d’accompagner la transition de l’activité de l’entreprise.

La réforme de la procédure de licenciement passera par une loi, mais ce sujet est déjà inscrit à l’agenda de la négociation sociale portant sur les mutations et la sécurisation de l’emploi. À l’issue de ces discussions, un projet de loi vous sera présenté.

Ce sujet me donne l’occasion de préciser ma conception de l’articulation entre la démocratie sociale et la démocratie politique. Nous n’avons pas de tradition en France pour la première, alors que notre conception, légitime aux yeux du député que j’ai été pendant des années, de la seconde, reposant sur la souveraineté du peuple, est très forte. Or, les deux peuvent être conciliées, voire renforcées l’une par l’autre. D’où l’idée de reconnaître la place de la démocratie sociale en l’insérant dans la constitution. Il ne s’agit pas de conférer à un accord entre partenaires sociaux une valeur supérieure à la loi – une telle hiérarchie des normes existe dans certains pays mais ne serait pas adaptée au nôtre - mais de reconnaître l’importance de la démocratie sociale et de veiller à son bon fonctionnement. Notre ambition est de réconcilier la démocratie sociale avec la démocratie politique en renforçant la première sans affaiblir la seconde.

Les améliorations à apporter au système de formation professionnelle devraient, à moyens financiers constants, permettre d’atteindre de bien meilleurs résultats. La nouvelle phase de décentralisation devrait clarifier les responsabilités. Quant à la gestion par les partenaires sociaux de crédits dans ce domaine, elle est souvent satisfaisante mais pourrait, elle aussi, être plus efficace.

Des opacités ont été relevées dans le financement de certaines organisations patronales et salariales. Les partenaires sociaux sont conscients du travail qu’il convient de mener. Ils vont d’ailleurs être consultés avant que ne soit déposé, au début de l’année prochaine, un projet de loi sur la transparence de la gestion des comités d’entreprise.

Dans l’opposition, nous n’avons jamais contesté le principe de la création de Pôle emploi. Cependant, la fusion de l’Agence nationale pour l’emploi (ANPE) et des Assedic dans cette nouvelle structure s’est opérée dans le but de réaliser des économies. Alors même que le nombre de chômeurs augmentait considérablement, 1 800 emplois ont été supprimés, ce qui a désorganisé Pôle emploi. Ainsi, le recrutement de 2 000 nouveaux agents s’apparente donc davantage à des rétablissements de postes plutôt qu’à des créations. La réorganisation de Pôle emploi s’effectue par l’octroi de moyens supplémentaires, par la rationalisation du travail, par une territorialisation des missions et par la recherche d’une plus grande efficacité dans l’orientation des chômeurs afin que l’offre et la demande d’emploi puissent se rencontrer.

Pour conclure, je souhaiterais partager avec vous la conviction de l’utilité du temps de la négociation, y compris, et même surtout, dans l’urgence. Cela permet ensuite aux décisions d’être prises plus rapidement et appliquées plus efficacement. Tel est l’état d’esprit qui anime le Gouvernement et les partenaires sociaux.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Merci beaucoup, monsieur le ministre. Votre intervention a mis en lumière la cohérence entre le projet présidentiel qu’a défendu le candidat François Hollande et l’action du Président de la République et du Gouvernement dont le fil conducteur commun est de placer le travail et l’emploi au cœur des facteurs de la croissance économique.

La séance est levée à dix-huit heures.

——fpfp——

Informations relatives à la Commission

La commission des affaires sociales a désigné :

– M. Patrick Bloche pour siéger au conseil de surveillance du Centre hospitalier national des Quinze-Vingts ;

– M. Régis Juanico pour siéger au conseil d’administration de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail ;

– Mme Fanélie Carrey-Conte (titulaire) et Mme Bérengère Poletti (suppléante) pour siéger au Comité national de l’organisation sanitaire et sociale.

Présences en réunion

Réunion du mercredi 25 juillet 2012 à 16 h 15

Présents. – M. Pierre Aylagas, M. Gérard Bapt, Mme Kheira Bouziane, M. Jean-Noël Carpentier, Mme Fanélie Carrey-Conte, M. Christophe Cavard, M. Rémi Delatte, Mme Hélène Geoffroy, M. Jean-Marc Germain, M. Jean-Patrick Gille, M. Jérôme Guedj, Mme Joëlle Huillier, M. Denis Jacquat, Mme Chaynesse Khirouni, Mme Bernadette Laclais, Mme Isabelle Le Callennec, Mme Annie Le Houerou, Mme Catherine Lemorton, M. Michel Liebgott, Mme Véronique Louwagie, M. Gilles Lurton, Mme Véronique Massonneau, M. Jean-Luc Moudenc, Mme Ségolène Neuville, Mme Luce Pane, Mme Bérengère Poletti, M. Arnaud Richard, M. Denys Robiliard, M. Arnaud Robinet, M. Jean-Louis Roumegas, M. Gérard Sebaoun, M. Jean-Louis Touraine, M. Olivier Veran

Excusés. – Mme Marie-Françoise Clergeau, M. Guy Delcourt, Mme Dominique Orliac

Assistaient également à la réunion. – M. Christophe Castaner, M. Régis Juanico, M. Christophe Léonard