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Commission des affaires sociales

Mercredi 13 mars 2013

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 40

Présidence de Mme Catherine Lemorton, Présidente

–  Audition, ouverte à la presse, des représentants des organisations syndicales de salariés signataires de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 sur le projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi (n° 774)

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mercredi 13 mars 2013

La séance est ouverte à neuf heures dix.

(Présidence de Mme Catherine Lemorton, présidente de la Commission)

La Commission entend Mme Marie-Françoise Leflon, secrétaire nationale de la CFE-CGC, M. Patrick Pierron, secrétaire national de la CFDT et M. Joseph Thouvenel, vice-président de la CFTC, représentants des organisations syndicales de salariés signataires de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013, sur le projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi (n° 774).

Mme la présidente Catherine Lemorton. Nous recevons ce matin les représentants des organisations syndicales de salariés signataires de l’accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2013 : Mme Marie Françoise Leflon, secrétaire nationale de la CFE-CGC, M. Patrick Pierron, secrétaire national de la CFDT, et M. Joseph Thouvenel, vice-président de la CFTC.

Madame et messieurs, vous nous direz votre vision globale de cet accord, vos points de satisfaction mais aussi, le cas échéant, vos regrets. Vous nous donnerez aussi votre lecture du projet de loi qui nous est soumis, qui retranscrit l’accord et le complète là où il était ambigu, incomplet, voire contradictoire.

En tout cas, le Gouvernement a réussi à mettre tout le monde autour de la table, et les partenaires sociaux ont su dialoguer : c’est assurément très positif.

Mme Marie-Françoise Leflon, secrétaire nationale de la CFE-CGC. La signature de cet accord marque pour la CFE-CGC un moment important : c’est un moyen de prouver que le dialogue social peut contribuer à l’amélioration de la vie économique et sociale de notre pays, qui traverse les difficultés que vous connaissez tous. La négociation a duré quatre mois : le champ ouvert par la feuille de route était immense, et nous obligeait à prendre en considération des données tant conjoncturelles que structurelles.

Pour la CFE-CGC, cet accord est à la fois novateur, équilibré et responsable : il ouvre de nouveaux droits pour les salariés, et sécurise leur parcours professionnel, tout en permettant aux entreprises de faire face aux difficultés qu’elles rencontrent. Les chefs d’entreprise estimaient nécessaire pour eux une plus grande flexibilité ; la sécurisation des salariés et le renforcement du dialogue social en constituent la contrepartie.

De nouveaux droits sont ouverts, notamment le droit à la mutuelle pour tous ; d’autres sont améliorés, avec par exemple l’allongement de la portabilité de la couverture « frais de santé et prévoyance », qui est crucial quand, comme aujourd’hui, les durées de chômage s’allongent. L’établissement de certaines règles, notamment sur le temps partiel, est confié aux branches professionnelles ; mais, à défaut d’accord de branche, il y aura une sorte d’accord minimal. Le compte personnel de formation permettra de mieux penser les ruptures du parcours professionnel, et donc d’améliorer l’employabilité.

L’accord prévoit également une incitation financière nouvelle à l’embauche de jeunes, dont la situation est aujourd’hui inacceptable, et sécurise la mobilité externe, ce qui était particulièrement important pour les cadres et donc pour la CFE-CGC.

L’attente des entreprises en matière de flexibilité était forte. À chaque phase, les difficultés de l’entreprise seront traitées par le dialogue social : sont ainsi mis en place des plans de mobilité interne, dont la loi devra peut-être préciser les modalités, et des accords de maintien de l’emploi, pour lesquels des garanties solides ont été négociées, ce qui les rend plus acceptables pour les salariés. Enfin, la négociation des plans sociaux se fera désormais sous le regard de l’autorité administrative.

Ces mesures sont rendues possibles par un renforcement du dialogue social. Il y aura en effet désormais un échange entre les institutions représentantes du personnel et les entreprises sur la stratégie de celles-ci : jusqu’ici, sous couvert de confidentialité mais pas seulement, les entreprises ne souhaitaient en général pas la faire connaître. Cela améliorera grandement la compréhension mutuelle et la recherche de solutions. Ce dialogue sera de plus facilité par la refonte des procédures de consultation, qui était fortement demandée par le patronat. Ce point pourrait toutefois être affiné dans le projet de loi.

Il y aura enfin systématiquement un représentant des salariés au sein des instances de gouvernance : c’était une condition nécessaire pour que la CFE-CGC signe cet accord.

C’est donc un accord à nos yeux équilibré, qui apportera plus de sécurité aux salariés, tout en permettant aux entreprises d’affronter les difficultés qu’elles rencontrent. Nous approuvons également sa retranscription législative.

M. Joseph Thouvenel, vice-président de la CFTC. Sur la forme, je souligne que cet accord marque le retour à une bonne méthode : on a laissé agir les corps intermédiaires. Sur le fond, nous sommes très fiers de cet accord : il n’est pas gagnant-gagnant – ce qui marquerait une sorte de transaction commerciale – mais il est gagnant tout court. Dans une situation très difficile, il faut prendre des décisions très difficiles ; les partenaires sociaux ont pris leurs responsabilités.

Le point dont nous sommes le plus satisfaits est peut-être celui qui provoque le plus de controverses : ce sont les accords de maintien dans l’emploi. Aujourd’hui, les entreprises peuvent, de façon unilatérale, baisser les rémunérations ou jouer sur la durée du temps de travail ; nous en avons de nombreux exemples – le premier que j’aie trouvé remonte à 2004.

Cet accord fait le pari du maintien dans l’emploi lorsque l’entreprise connaît une période de difficultés ; il sécurise les salariés et renforce le rôle des organisations syndicales. Nous faisons le pari que, par la discussion, on peut arriver à faire des efforts, et que tel est même l’intérêt convergent des salariés, de l’entreprise, des dirigeants et des actionnaires. Capital et force de travail doivent marcher ensemble ; finissons-en avec les affrontements stériles qui nous tuent.

Avec un accord de maintien dans l’emploi, nous prenons ensemble nos responsabilités : si personne ne veut y aller, il n’y aura pas d’accord. Mais s’il y a accord, il devra être respecté : les situations comme celle de Continental, où l’employeur n’a pas tenu ses promesses sans grandes conséquences pour lui, ne pourront pas se reproduire.

Une fois l’accord signé, il revient aux équipes de l’entreprise de mesurer leurs marges de manœuvre. C’est une grande responsabilité confiée aux délégués syndicaux – mais je m’étonne des réticences d’organisations syndicales plus importantes que la mienne vis-à-vis de ces négociations menées au sein des entreprises : ne font-ils pas confiance à leurs propres délégués syndicaux pour négocier et signer des accords ?

Les salariés sont responsables ; ils peuvent et doivent réfléchir, avec les dirigeants et les actionnaires, à l’avenir commun. Reconnaître que les salariés ont le droit, avec d’autres, de réfléchir à la stratégie de l’entreprise, c’est essentiel ! C’est une vieille revendication d’un gauchiste appelé Charles de Gaulle, et qui est portée depuis plusieurs décennies par la CFTC. C’est une révolution culturelle pour le patronat, et elle va enfin être inscrite dans la loi : tant mieux !

M. Patrick Pierron, secrétaire national de la CFDT. Le titre de cet accord est important : « pour un nouveau modèle économique et social au service de la compétitivité des entreprises et de la sécurisation de l’emploi et des parcours professionnels des salariés ». Il ne s’agit pas de troc ou d’un donnant-donnant, mais de construire une vision globale du monde de l’entreprise pour une France plus compétitive.

Nous disons nous aussi haut et fort que nous nous retrouvons dans cet accord, comme dans le projet de loi du Gouvernement.

Cet accord prévoit des droits nouveaux pour ceux qui, aujourd’hui, en ont le moins, pour ceux qui vivent dans la précarité. Ce n’est pas commun, car, reconnaissons-le, dans les entreprises où les syndicats sont forts, ces avancées ont souvent déjà été obtenues par la négociation. Cela passe notamment par des droits rattachés à la personne.

La sécurisation des parcours professionnels est tout à fait nécessaire dans un monde où l’on ne fait plus toute sa carrière dans la même entreprise, où l’on alterne périodes de travail et périodes de chômage. Il faut faire reculer la précarité : il n’est pas normal que l’on travaille sans pouvoir vivre du fruit de son travail. L’accord comprend donc notamment des mesures pour encadrer le temps partiel subi.

La réaffirmation de la place du dialogue social comme élément de performance des entreprises et de compétitivité est un choc culturel majeur pour notre pays : cela n’allait nullement de soi, pour les syndicats comme pour le patronat. Cet accord renforce donc les institutions représentatives du personnel, et améliore la transparence ; il assure la participation des salariés à la gouvernance des entreprises. Ainsi, les salariés seront associés aux choix faits pour l’avenir des entreprises.

L’accord établit une distinction entre les entreprises qui créent des emplois et celles qui préfèrent la précarité et le chômage, entre celles qui forment leurs salariés et celles qui ne les forment pas, entre celles qui jouent le jeu du dialogue social et de la transparence et celles qui le refusent. Cette différence faite entre les comportements, par des sanctions différentes, est une grande première : elle permettra de créer une dynamique de coopération, plutôt que de confrontation, pour que la France soit demain plus compétitive. Voilà l’esprit dans lequel nous avons négocié.

Nous avons recensé dix nouveaux droits dans cet accord, au premier rang desquels le droit à une complémentaire santé financée à 50 % par les salariés et à 50 % par les employeurs : cela concerne 4 millions de salariés et permettra de réduire les inégalités et la précarité. L’accord met aussi en place des droits rechargeables, c’est-à-dire rattachés à la personne. Ainsi, la peur de perdre des droits en acceptant un emploi pour un temps court – qui est aujourd’hui un frein à la reprise d’un emploi – disparaît. C’est un élément de grande sécurité pour tous.

L’accord prévoit une taxation des contrats courts. Il ne s’agit pas de les faire disparaître, mais de rappeler que des tels contrats ne peuvent pas être la règle. Or, en 2011, 86 % des contrats étaient de moins de trois mois, moins d’un mois, et moins d’une semaine ; dans de telles conditions, un salarié ne peut pas obtenir de prêt, ni se loger ou fonder une famille. Il faut donc aller vers des contrats de longue durée, même si ces contrats demeurent des contrats à durée déterminée (CDD) ou des contrats d’intérim – les contrats de moins d’une semaine sont des CDI qui s’arrêtent pendant la période d’essai, et je ne parle donc pas ici de la nature du contrat.

Les droits rechargeables et la taxation des contrats courts sont deux modalités de la sécurisation : les premiers pour la sortie de l’emploi, les seconds pour l’entrée dans l’emploi.

Nous souhaitons également encadrer le temps partiel subi, mais il faut reconnaître humblement que c’est très compliqué : c’est pourquoi nous renvoyons à des accords de branche. En effet, nous avons tous en tête la caissière de la grande distribution – le temps partiel subi concerne en effet essentiellement les femmes, et beaucoup de foyers monoparentaux – dont les horaires, éclatés sur cinq jours et tout au long de la journée, l’obligent à demeurer à proximité de son lieu de travail. Nous avons donc voulu mieux encadrer ces emplois à temps partiel, afin que ces salariés puissent, soit travailler plus longtemps au sein de la même entreprise, soit trouver un deuxième employeur. Il s’agirait donc d’inciter les employeurs à compléter les temps partiels, ou au moins de regrouper les heures par journée ou par demi-journée.

Toutefois, entre la grande distribution et le monde des services à la personne ou des associations, les disparités sont immenses, ce qui rend très difficile l’établissement d’une règle unique : voilà l’esprit dans lequel nous avons travaillé, et que l’on retrouve d’ailleurs très bien dans le projet de loi.

Il faut donc promouvoir une organisation du travail qui permette de chercher un deuxième employeur, en incitant à regrouper les horaires par journée ou par demi-journée et en imposant un socle d’heures, ce qui déclenche les indemnités journalières pour les congés maladie ou maternité – les vingt-quatre heures autorisent l’accès aux nouveaux droits. Mais en raison de l’immense diversité des situations de temps partiel, nous proposons que toutes les dérogations relèvent des partenaires sociaux et d’accords de branches étendus : il peut y avoir des dérogations. L’accord ne valide cependant pas comme une norme la situation de salariés aux horaires éclatés et dont les salaires ne permettent pas de vivre correctement.

Les accords de maintien dans l’emploi constituent à nos yeux une avancée considérable. Il faut encadrer ces négociations pour qu’elles ne deviennent pas un marché de dupes, pour que les salariés d’un site ne négocient pas avec le pistolet sur la tempe – ce qui est la réalité aujourd’hui. Certains points peuvent donc être négociés au sein de l’entreprise, mais pas tous : il est impossible de baisser les salaires en dessous de 1,2 SMIC, aucune embauche ne peut être faite sur les bases de la dérogation au contrat de travail… De plus, nous soulageons les délégués syndicaux d’une partie de la pression qu’ils subissent en prévoyant une expertise des éléments fournis par l’employeur.

Ce sont des accords donnant-donnant : les salariés font des efforts, en échange d’un maintien des effectifs ; des sanctions doivent être prévues au cas où les engagements de l’employeur ne seraient pas respectés. Chaque partie s’engage pour sauver la boîte, le site, l’emploi. C’est là une mesure de sécurisation des parcours mais aussi de compétitivité à laquelle nous tenons beaucoup.

L’accord réaffirme la place du dialogue social, notamment pour négocier un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE). Négocier un tel plan, c’est quelque chose qui se fait déjà tous les jours ; mais cela n’est pas contractualisé. Ici, il y a une formalisation ; dans les périodes difficiles, les partenaires sociaux doivent pouvoir s’engager et coopérer.

L’homologation est un point important : l’État et ses services ne doivent pas rester hors du jeu ; ils ne doivent pas non plus fuir leurs responsabilités, notamment au cas où un plan de sauvegarde de l’emploi ne serait pas conforme à la législation. Les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE) doivent jouer un rôle de contrôle et d’investigation.

Le compte personnel de formation constitue un réceptacle nouveau, qui pourra être utilisé par la future loi sur la formation professionnelle. Il faut l’associer au conseil en évolution professionnelle mis en œuvre sur les territoires. Le salarié doit pouvoir être acteur de son propre parcours tout au long de sa vie professionnelle.

Cet accord, et le projet de loi qui en est la transcription, nous conviennent donc, même si nous avons quelques petites observations à faire : le passage de l’accord à la loi est un exercice difficile. L’esprit de l’accord est bien respecté, mais certains points doivent être précisés ou complétés : c’est votre rôle. C’est pourquoi nous vous remercions de nous auditionner aujourd’hui.

Les partenaires sociaux doivent prendre leurs responsabilités et s’engager, dans les périodes fastes mais aussi dans les périodes difficiles, pour créer de la compétitivité et de la performance dans les entreprises.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Merci : vous êtes très convaincants lorsque vous expliquez les raisons qui vous ont amenés à signer cet accord.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Je commence par remercier les intervenants, qui ont montré une grande disponibilité.

C’est à un exercice quelque peu nouveau de la démocratie sociale que vous vous êtes livrés, en négociant scrupuleusement à partir de la feuille de route que vous avait donnée le Gouvernement. Je revendique pour ma part la souveraineté du Parlement, mais aussi le respect du travail des partenaires sociaux.

Du camp syndical, comme d’ailleurs du camp patronal, se font entendre de profondes divergences d’appréciation sur ce que produira cet accord, alors que les objectifs sont communs à tous. Vous nous avez parlé de protections collectives renforcées, mais d’autres craignent que celles-ci ne se révèlent illusoires, parce que le chômage déséquilibre totalement le rapport de forces entre employeurs et salariés, et redoutent une banalisation d’accords ou de pratiques qui existent déjà sur le terrain. Cela trouble les Français. Qu’en dites-vous ?

Tout accord est un compromis : quelles concessions avez-vous faites ? Si vous aviez pu tenir la plume d’un bout à l’autre, quels articles n’auriez-vous pas écrits ?

La nouvelle procédure de licenciement économique rétablit une forme d’autorisation administrative, modernisée en ce qu’elle repose sur la négociation et les accords majoritaires, et à défaut sur une homologation. Toutefois, lors des auditions que nous avons réalisées, les places respectives de la négociation et de l’homologation paraissaient floues, et nos interlocuteurs souhaitaient de façon assez unanime que la négociation passe avant l’homologation. Le projet de loi est hésitant sur ce point. Quelle est votre position sur ce sujet ?

Dans une interview aux Échos, M. Laurent Berger s’est dit favorable à l’examen par l’administration de la réalité du motif économique de licenciement – étant entendu que si l’administration ne se prononce pas, il reviendra, au juge, administratif puis judiciaire, de le faire. Mais des divergences se sont fait entendre sur ce point. Quelle est votre analyse ? Le ministre disait hier que le retour de l’État dans l’examen des plans sociaux était une révolution. D’après votre expérience, l’administration a-t-elle les moyens de remplir cette nouvelle mission ?

Nous avons également entendu beaucoup d’inquiétudes sur la question de la mobilité. Vous avez renoncé à la limiter, par exemple en kilomètres : le texte autorise donc aujourd’hui, en théorie, des mobilités d’un bout à l’autre de la France. Pouvez-vous approfondir ce point ?

L’accord présente des avancées sur certains points importants en ce qui concerne la formation, notamment le compte personnel de formation. Toutefois, sur ce sujet essentiel, nous restons quelque peu sur notre faim : pensez-vous qu’il serait possible d’amender le texte pour progresser un peu plus ?

Nous entendons également que la taxation des contrats courts, telle qu’elle est prévue, ne suffira pas à freiner la précarité, et qu’elle risque de provoquer une fuite vers l’intérim et les CDD d’usage ou de plus de trois mois. Qu’en pensez-vous ?

M. Denys Robiliard. Conserver un équilibre entre démocratie sociale et démocratie parlementaire est toujours un exercice délicat : il y a eu le temps des négociations entre les partenaires sociaux, il y a eu le temps du Gouvernement, nous en arrivons maintenant au temps du Parlement. Nous sommes souverains tout en respectant votre travail.

Il était important de vous auditionner pour que vous nous expliquiez quels sont les points forts de cet accord, ceux qui expliquent votre signature, mais aussi quelles sont les concessions que vous avez faites. Ainsi, le raccourcissement des délais de prescription ne paraît pas pouvoir être favorable aux salariés. Le projet de loi a d’ailleurs clarifié ce point.

L’accord comporte évidemment des avancées très importantes – complémentaire santé, compte personnel de formation, encadrement du temps partiel…

La taxation des contrats courts ne risque-t-elle pas d’être contournée par le recours à l’intérim ? Pourquoi les contrats d’intérim ne sont-ils pas visés par le système de bonus-malus ?

La place désormais accordée aux salariés dans le conseil d’administration des plus grandes entreprises est un symbole très fort. Plus généralement, les salariés seront mieux associés à la définition de la stratégie de l’entreprise. La définition des informations données au comité d’entreprise est modernisée, ce qui est très intéressant.

Le projet de loi modifie l’accord de façon non négligeable, par exemple sur la prescription ou sur le barème établi pour les indemnités. Ce barème sera-t-il indicatif ? Nous avons entendu plusieurs réponses différentes sur ce point. Le projet de loi introduit aussi des modifications sensibles sur la question de la mobilité, puisqu’un salarié qui refuserait une mobilité autorisée par un accord collectif serait licencié pour motif économique et non pour motif personnel. Quelle est votre analyse ? Pourquoi ne prévoyez-vous pas un accord majoritaire en la matière, comme pour les accords de maintien dans l’emploi ?

M. Dominique Dord. Je voudrais d’abord vous dire mon respect : la signature d’un tel accord, en pleine crise économique, est une petite révolution. Je dirai d’ailleurs la même chose aux représentants du patronat. Si un gouvernement de droite, ou même de gauche, avait déposé un tel projet sans accord préalable des partenaires sociaux, l’affrontement aurait été terrible ; cet accord sera, au contraire, un facteur essentiel de stabilité juridique. Le droit du travail ne doit pas changer à chaque alternance !

Il me semble donc que nul ne peut prendre le risque de trahir l’équilibre que vous avez trouvé : ce serait donner raison à ceux qui ne signent jamais rien et préfèrent l’affrontement.

J’ai particulièrement apprécié votre formule, monsieur Thouvenel : « ce n’est pas un accord gagnant-gagnant, mais un accord gagnant tout court ». Le ministre l’a dit hier : depuis quarante ans, la France a préféré le chômage. Essayer de changer de logique et favoriser l’emploi, c’est formidable ! Les droits rechargeables, par exemple, c’est une excellente chose, car cela incitera les salariés à retrouver du travail le plus vite possible.

L’inquiétude est grande, en revanche, que cet accord ne soit plutôt favorable aux grandes entreprises et extrêmement complexe à mettre en œuvre pour les plus petites, notamment celles du secteur des services à la personne. Jusqu’où estimez-vous que nous pourrions aller pour amender le texte tout en respectant l’équilibre de cet accord ?

Mme la présidente Catherine Lemorton. On reconnaît dans vos paroles le président de la mission d’information sur Pôle emploi et le service public de l’emploi…

M. Jean-Louis Roumegas. Le groupe écologiste est favorable à la démarche engagée pour renforcer le dialogue social. Alors que le rapport de forces est déjà très défavorable aux salariés, estimez-vous que le dialogue social se déroule dans de bonnes conditions ? Pourquoi observe-t-on une telle division des forces syndicales dans l’appréciation de cet accord, et, dans ce contexte, les organisations favorables à l’accord peuvent-elles le signer dans des conditions satisfaisantes ?

En ce qui concerne la complémentaire santé, la réintroduction de la clause de désignation au niveau des branches n’est-elle pas de nature à créer des monopoles ? Cela ne risque-t-il pas de se faire au détriment de la liberté de choix des entreprises ?

En matière de formation, de nouveaux droits sont ouverts, mais ne faut-il pas aussi revoir la qualité et la pertinence de l’offre ? L’accès des salariés à la formation professionnelle est-il satisfaisant ?

Sur les contrats courts, les mesures envisagées seront-elles suffisantes ? Ne risque-t-on pas de favoriser l’intérim ? Le taux reste à fixer : quel niveau de taxation vous paraîtrait efficace ?

M. Jean-Noël Carpentier. Le groupe RRDP est également favorable à cette démarche de dialogue social, née de la volonté de l’exécutif.

Vous dites que nous sortons d’une logique de confrontation au profit d’une logique de coopération et d’accord gagnant : mais il y a, et il y aura, des divergences, et même des antagonismes, entre le salariat et le patronat, que la loi a d’ailleurs pour rôle de réguler ces relations. Comment, selon vous, entre-t-on dans cette nouvelle ère de coopération que vous évoquez ?

Cette logique de coopération a abouti à plusieurs succès depuis le début du quinquennat, mais ce n’est pas le cas ici : deux syndicats importants n’ont pas signé cet accord, pire ils s’y opposent et le qualifient même de régression. De mon point de vue, il n’y a pas de bons ou de mauvais syndicats : tous ont la volonté de défendre les intérêts des salariés et d’améliorer les conditions de vie et de travail. Or ces désaccords publics troublent nos concitoyens. Comment expliquez-vous ces grandes divergences ? Peut-on imaginer les dépasser à terme ?

Le motif économique du licenciement n’est pas défini par le projet de loi ; il y a un vide juridique, notamment pour les plans de sauvegarde de l’emploi. Pourrions-nous utilement définir cette notion dans la loi ?

Des auditions, il ressort que le raccourcissement de la prescription n’est pas forcément à l’avantage des salariés. Quel est votre point de vue ?

Que pensez-vous de la barémisation prévue dans la procédure de conciliation ?

Enfin, certains font remarquer que vos syndicats ne sont pas représentatifs et qu’ils représentent moins de 50 % des salariés au niveau national. Que répondez-vous à cette objection ?

Mme la présidente Catherine Lemorton. Il me paraît tout à fait inopportun, voire irrespectueux, de parler de petits et de grands syndicats : il y a des syndicats représentatifs, habilités à signer un accord, au sens de la loi.

M. Jean-Noël Carpentier. Je n’ai pas dit cela, madame la présidente.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je suis dans mon rôle en rappelant l’état actuel de la loi.

M. Jean-Noël Carpentier. Mais vous déformez mes propos !

Mme Chaynesse Khirouni. Nous sommes tous d’accord pour réaffirmer la place que doit tenir le dialogue social. La CGT a toutefois soulevé un problème fondamental : il semble que les négociations s’engagent toujours sur la base des propositions du MEDEF ; ne faudrait-il pas revenir sur ce point ?

En matière de sécurisation des parcours professionnels, il existe déjà des dispositifs de financement de la formation, mais ils ne fonctionnent pas bien ; et cela fait une bonne vingtaine d’années que l’on parle de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC), sans que les entreprises la mettent vraiment en place. En quoi l’accord, et la loi, permettront-ils d’avancer sur ces points ?

M. Fernand Siré. L’accord prévoit que tous les salariés disposent d’une assurance complémentaire : ce contrat global supprimera des contrats existants. Il faudra, pour mettre en œuvre cette disposition, des appels d’offres, auxquels tous les Européens pourront concourir : certains organismes étrangers risquent donc d’être choisis. De plus, il faudra prendre en considération les changements d’entreprise, les personnes déjà retraitées… Cela ne risque-t-il pas d’aboutir à créer des problèmes d’emploi dans le secteur des assurances et des mutuelles ? Combien de licenciements y aura-t-il ?

Mme Joëlle Huillier. Aujourd’hui, des accords collectifs en matière de mutuelle santé sont déjà possibles, et ils sont moins onéreux que les contrats individuels. Avez-vous envisagé le cas des retraités qui bénéficient de ces accords de groupe ? Pourront-ils continuer de bénéficier du même régime complémentaire dans des conditions privilégiées, même sans participation de l’employeur ?

Mme Isabelle Le Callennec. Nous avons salué cet accord et le discours très responsable des organisations syndicales signataires.

En matière de contrats, le modèle idéal demeure le CDI – qui, et il faudrait faire œuvre de pédagogie sur ce point, n’est toutefois pas un contrat à vie. Avez-vous débattu d’un contrat unique, ce qui serait plus simple et plus lisible ?

Les DIRECCTE détiendront un pouvoir important ; or, on sait que la définition du motif économique est souvent un sujet d’affrontements. Ce poids qui leur est accordé vous rassure-t-il, ou au contraire vous inquiète-t-il ? Ne risque-t-on pas de créer de fortes disparités régionales ?

Sur les droits rechargeables et sur le compte personnel de formation, par pitié, pensez aux petites et aux très petites entreprises : faites simple et lisible, ne multipliez pas les dispositifs !

Comment sera-t-il possible de mettre en place les droits rechargeables sans creuser le déficit de l’UNEDIC ?

M. Gérard Sébaoun. L’accord définit un « panier de soins », quand le projet de loi renvoie cette définition à un décret. Comment comprenez-vous cette différence ?

Les salariés s’inquiètent des dispositions sur la mobilité. La gestion prévisionnelle des emplois et des compétences ne concerne que les entreprises de plus de 300 salariés, or le projet de loi semble faire référence à l’ensemble des entreprises. Qu’en pensez-vous ?

Enfin, en matière de portabilité de la complémentaire santé, vous faites référence à l’accord national interprofessionnel de 2008, et vous prévoyez une différence d’un an entre les frais de santé d’un côté et les garanties de prévoyance de l’autre. Le projet de loi reprend cette clause. Pourquoi ne pas prévoir un délai unique ?

M. Gérard Cherpion. La clause de désignation, qui n’apparaissait pas dans l’accord, figure en revanche dans le projet de loi. Comment faut-il le comprendre ?

La volonté de renforcer le rôle des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) est louable, mais l’expertise unique ne risque-t-elle pas de poser problème ?

Il reviendra effectivement à la convention UNEDIC de trouver un équilibre pour mettre en place les droits rechargeables, qui sont une avancée considérable.

Le problème du temps partiel imposé subsiste, mais il n’est pas sûr que la loi puisse lui apporter une solution.

M. Michel Issindou. Merci de votre enthousiasme. Un si grand écart d’appréciation entre les organisations syndicales est pour nous troublant. Le dialogue social réussi, l’ouverture de droits nouveaux, la volonté de maintien dans l’emploi quand la conjoncture est difficile sont des points très nouveaux et très positifs. Toutefois, M. Pierron a lui-même parlé de « marché de dupes » à propos de certaines négociations. Vous faites confiance au dialogue social et l’on ne peut que s’en féliciter, mais vous sentez-vous armés pour les négociations qui vont devoir se dérouler ?

Quelles seraient pour vous les pistes d’améliorations acceptables du projet de loi ?

Mme Véronique Louwagie. On ne peut que se réjouir de la vigueur du dialogue social et du fait que tous les syndicats n’adoptent pas une démarche de pure opposition. Toutefois, si cet accord est un atout, il ne suffira pas à régler tous les problèmes : les choix du Gouvernement jouent un rôle. Il serait dangereux de présenter cet accord comme la réponse à tous nos problèmes de compétitivité.

Je suis très inquiète des risques que cet accord fait courir aux petites et très petites entreprises. Que leur apporte-t-il ?

Monsieur Pierron, vous avez parlé du rôle d’« investigation » des DIRECCTE : ce terme me gêne ; ne vaudrait-il pas mieux parler d’accompagnement et de contrôle ?

M. Jérôme Guedj. En matière d’encadrement du temps partiel, le plancher fixé à vingt-quatre heures est bien sûr une bonne chose, mais les contreparties sont nombreuses : avenants nombreux, majoration des heures supplémentaires de 10 % seulement même si c’est dès la première heure, définition des horaires réguliers… Ce dispositif vous paraît-il satisfaisant ?

Il est également prévu d’expérimenter, dans trois branches, le CDI intermittent. Les risques sont importants, car un tel contrat, qui n’offre que de très faibles garanties, pourrait devenir une norme : c’est ce que vous redoutiez, monsieur Pierron, dans les colonnes du Nouvel Observateur du 9 janvier dernier, en vous opposant fermement à la création de tels contrats. En quoi ne serait-ce pas là une nouvelle forme de précarité ?

M. Gilles Lurton. Aux termes de cet accord, les petites mutuelles – qui emploient bien des salariés – pourraient perdre des contrats. Qu’en pensez-vous ?

Le dispositif des droits rechargeables représente une avancée considérable. Trop souvent, des personnes n’acceptent pas un contrat de travail de peur de perdre leurs droits à l’assurance chômage. Cette mesure leur permettra de reprendre le chemin de l’emploi.

Dans les régions touristiques, comme la mienne, les emplois saisonniers sont irremplaçables pour les entreprises et les collectivités locales. Quelle position faut-il adopter à en matière de taxation des contrats courts ?

M. Bernard Perrut. Si la réduction du chômage et de la précarité constitue un objectif indiscuté, cet accord ne fait pas l’unanimité, loin de la démocratie sociale apaisée souhaitée par le Président de la République. Que pensez-vous des syndicats – CGT et FO – qui y voient l’expression d’une politique sociale à rebours des promesses gouvernementales ou de ceux – comme Solidaires et FSU – qui parlent de régression sociale ?

Certains députés de la majorité souhaitent amender le texte, notamment pour revenir sur la simplification des procédures de licenciement, ou renforcer la taxation des contrats d’intérim ; souhaitez-vous que le texte puisse évoluer ?

Mme Bérengère Poletti. L’accord risque de mettre en difficulté les entreprises et les associations de services à la personne, qui viennent de signer une nouvelle convention collective et qui augmentent leur masse salariale de quelque 5 %. Ces entreprises auront notamment du mal à faire face aux mesures, par ailleurs salutaires, relatives au temps partiel – qui constitue un véritable problème, notamment pour les femmes – et aux contrats collectifs de complémentaire santé.

Tous les députés qui ne cumulent pas plusieurs mandats sont de fait employeurs de personnel à temps partiel – à mi-temps, voire moins encore. Aussi les questions auxquelles nous faisons face doivent-elles également être considérées pour les autres employeurs.

Mme Catherine Coutelle. En tant que présidente de la délégation aux droits des femmes, je me félicite de l’accord sur le temps partiel. Nous demandons depuis longtemps de renforcer la taxation de ces contrats, pour en limiter l’utilisation.

Existe-t-il des salariés qui ne seraient couverts par aucune convention collective, ni aucun accord professionnel ? Que se passe-t-il dans ce cas ? Beaucoup de négociations étant dévolues aux délégués syndicaux, seront-ils formés à lutter contre la précarité et l’inégalité professionnelle ? La négociation salariale sur l’égalité professionnelle a, en effet, très peu avancé ; l’échéance du 8 mars n’a pas été respectée, et il sera difficile de respecter celle de fin juin, l’ordre du jour n’étant pas encore réellement fixé.

L’effort pour aménager un temps de travail moins éclaté pour les contrats à temps partiel de moins de 24 heures doit être salué ; mais pour les contrats qui excèdent cette durée, les dérogations permettront-elles à nouveau d’organiser des coupures plus longues dans la journée de travail ? Ce problème est particulièrement prégnant dans la grande distribution ; les femmes représentant 80 % des temps partiels, c’est à elles que s’appliquent toutes les dérogations prévues dans le code du travail.

Le paiement des heures complémentaires pose également problème. La majoration de salaire dès la première heure représente un progrès, mais celle-là reste fixe, à 10 %, alors qu’auparavant, si les premières heures complémentaires ne donnaient lieu à aucune majoration, celle-ci s’élevait à 25 % pour les suivantes. Les salariés n’y gagnent donc pas forcément. Enfin, lorsqu’un avenant au contrat augmente la durée du travail, les heures effectuées en plus ne sont pas majorées.

M. Rémi Delatte. Ce projet de loi représente des avancées réelles en termes de flexibilité – gage de la compétitivité de nos entreprises – et de sécurisation des parcours professionnels. Pour autant, pour certaines entreprises – comme celles de services à la personne –, il faudra en appliquer les dispositions avec discernement. Ces entreprises tiennent une place importante dans l’économie de notre pays et jouent un rôle humain inestimable auprès des personnes âgées. Fragilisé notamment par l’évolution annoncée de la TVA, ce secteur sera incapable d’assumer certaines mesures du texte, comme la généralisation de la complémentaire santé ou le minimum des 24 heures hebdomadaires de travail.

Pourrait-on aménager une dérogation pour ce secteur, en y étendant par exemple le régime dérogatoire que le texte prévoit pour les employeurs particuliers ? Si l’on ne fait rien, on verra le recours au travail illégal augmenter. Par ailleurs, beaucoup d’entreprises se retrouveront en cessation d’activité, sauf à répercuter le coût de la mesure sur le prix de leurs services, alors que leurs clients âgés ne disposent souvent que de revenus très faibles.

Mme Hélène Geoffroy. La progression de la participation des salariés pourrait-elle améliorer la représentativité des syndicats et remédier à la défiance réciproque entre les chefs d’entreprise et les salariés ? Les outils prévus par le texte sont-ils suffisants pour associer les salariés à la stratégie de l’entreprise – quelle qu’en soit la taille –, notamment en matière de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) ?

Enfin, les auditions ont fait apparaître les inquiétudes sur la fragilisation des salariés et la possibilité d’augmentation des contentieux, notamment sur la question de la mobilité, mais également des procédures de licenciement et du barème des indemnités. Ces processus sont-ils suffisamment sécurisants pour les salariés ? Peuvent-ils améliorer le dialogue ?

M. le vice-président de la CFTC. La pluralité syndicale est aussi normale que la pluralité politique ; il ne faut donc pas s’étonner des divergences d’analyse entre les différents syndicats. Durant les dernières décennies, la CGT a rarement signé un texte majeur, bien qu’elle en ait souvent revendiqué la paternité et qu’elle l’ait défendu corps et âme par la suite. Il en va ainsi des comités d’entreprise – lieu de concertation entre le patronat et les représentants des salariés –, qui n’existeraient pas si on l’avait suivie.

Nos divergences renvoient aux différentes formes de syndicalisme : loin de l’opposition systématique, la CFTC défend un syndicalisme d’engagement. Hommes et femmes, dans toute leur complexité, les patrons ou les ouvriers ne sont pas uniformément bons ou mauvais. La pâte humaine est plus complexe, et s’il se trouve toujours des personnes pour essayer de contourner les textes, l’on ne saurait s’y arrêter, sous peine de voir la société se figer, se scléroser et mourir. Nous faisons donc le pari d’avancer avec tous les gens de bonne volonté ; les autres ont le droit de faire d’autres choix.

Cette négociation a pourtant montré que malgré nos différences, le camp syndical était plus uni que son homologue patronal, dont nous avons observé les conflits. Le rapport de forces n’épouse pas le clivage entre les syndicats d’un côté et le patronat de l’autre ; la réalité est plus complexe.

Nos efforts nous ont permis d’aboutir à un accord. Pourtant, sur certains points – comme les droits rechargeables –, celui-ci entraîne d’autres négociations ; à nous de le porter et de le faire vivre. Parmi les points auxquels nous étions opposés figure le titre V qui porte sur la rationalisation des procédures de contentieux judiciaires. Mais le patronat y tenait absolument, notamment les petites entreprises regroupées au sein de l’UPA – dont la signature de l’accord prouve d’ailleurs que les très petites entreprises (TPE) et les PME y trouvent leur compte. Certes, on peut regretter que le délai de prescription pour les réclamations liées au contrat de travail, auparavant de cinq ans, ait été diminué. Pourtant, ayant obtenu par ailleurs des avancées substantielles, nous devions faire une concession, afin d’arriver à faire vivre un accord qui servira à tout le monde. La réaction positive des agences de notation atteste qu’il est bon pour notre pays, et donc également pour les entreprises et pour les salariés.

S’agissant du choix entre l’accord majoritaire et l’homologation dans la procédure de licenciement, nous penchions pour la première solution, qui constitue un engagement. Certes, il est plus difficile de signer un accord dans un contexte morose que dans une conjoncture favorable ; mais nous devons assumer notre rôle quel que soit le moment. Le patronat a avancé – non sans raison – que dans certains cas, les salariés ne voudront rien céder. Pourtant, l’homologation n’équivaut-elle pas à l’autorisation administrative de licenciement ? Il est, à cet égard, étonnant que ceux qui réclament le retour à cette autorisation n’y voient pas une avancée : l’homologation redonne une place aux pouvoirs publics, et puisque les licenciements sont en partie supportés par la communauté nationale, il est logique que ses représentants aient un droit de regard sur la procédure, afin d’éviter les excès et les abus. Il est enfin normal que l’administration puisse examiner la réalité du motif économique, et il serait faux de l’imaginer en monstre souhaitant la mort des entreprises. Le dispositif final me semble donc assez équilibré.

Les moyens humains de la DIRECCTE doivent être renforcés, sous peine de la voir privilégier quelques dossiers essentiels, laissant de côté d’autres tâches. Il faudrait assurer à ses personnels une solide formation économique et pratique, afin qu’ils disposent d’une connaissance fine de la vie de l’entreprise. C’est là qu’il faut chercher les réponses à vos questions : certes, certains patrons feront tout pour ne pas respecter l’esprit et la lettre du texte ; mais des centaines de milliers d’autres feront les choses correctement. Ayant commencé à travailler à l’âge de 16 ans et demi, j’ai connu des patrons exécrables comme excellents ; les enfermer dans une case idéologique constituerait une erreur profonde. Faisons confiance à la pâte humaine !

La mobilité représente un point essentiel et difficile de l’accord. J’ai travaillé pendant un temps dans une entreprise qui fabriquait des cartes perforées ; le jour où celles-ci n’existaient plus, tous les salariés auraient pu se retrouver au chômage, sans autres compétences. La mobilité professionnelle consiste à prendre le problème en amont, en formant les salariés pour leur permettre d’évoluer vers d’autres activités, sauvant ainsi leurs emplois. La mobilité géographique peut se révéler nécessaire, mais l’approche doit être équilibrée : transférer des salariés d’un site à un autre, distant de trois kilomètres, ne paraît pas outrancier ; les déplacer de Strasbourg à Marseille l’est beaucoup plus. Mais l’on ne peut pas entrer dans ces détails dans un accord interprofessionnel national ; c’est pourquoi celui-ci est rédigé de façon à laisser aux équipes de terrain la capacité d’apprécier ce qui est juste et raisonnable.

La taxation des contrats courts concerne les contrats de confort et non ceux de bon sens comme les remplacements pour congés maternité ou congés d’absence pour maladie, ou encore les vendanges. Ne seront taxés que des CDD abusifs où un poste fixe voit se succéder des salariés en contrat court, comme souvent à La Poste. Nous souhaitons renchérir le coût du travail pour ce type de CDD, afin de permettre à davantage de salariés de bénéficier d’un CDI qui constitue une sécurisation importante dans la mesure où il permet, par exemple, de bénéficier plus facilement d’un crédit ou de louer un appartement. L’accord prévoit également de baisser le coût du travail en cas d’embauche d’un jeune de moins de 26 ans en CDI. Il n’y a pas là d’incohérence, car le but n’est pas de renchérir le coût du travail, mais de diminuer la précarité. On peut donc très bien augmenter le coût des contrats courts pour les rendre moins attractifs, tout en diminuant celui des CDI. S’il existe un volant incompressible de précarité utile à la société comme aux personnes qui en font le choix, le volume actuel relève clairement d’un excès.

L’intérim – qui fait actuellement l’objet d’une négociation – n’a pas été traité dans l’accord, suivant le souhait de la partie patronale. L’intérim représente pourtant un surcoût, ce qui devrait inciter les chefs d’entreprise à l’éviter ; ce pari me semble fondé.

En ce qui concerne le barème des prud’hommes, je vous invite à bien lire le texte de l’accord, qui précise que les parties « peuvent » y avoir recours, là où le patronat voulait écrire « doivent ». Le barème est donc indicatif et non obligatoire : en cas de contentieux, on peut se mettre d’accord – ou non – sur ses montants ; on peut opter pour un tarif supérieur ou inférieur. Si l’accord ne mentionne pas explicitement le caractère indicatif du barème, c’est que dans une négociation, il ne faut pas faire perdre la face à son partenaire. Ayant vidé une disposition de sa substance – comme c’est le cas pour le barème –, nous nous sommes abstenus d’y insister. J’espère que dans le projet de loi, le terme « peuvent » sera conservé, afin de garder l’esprit de l’accord.

Cet accord constitue un facteur de stabilité dans le long terme. Il est favorable aux grandes entreprises, sans être défavorable aux petites. Vous avez été plusieurs à évoquer le cas des personnels de services à la personne ; mais il faut également tenir compte des 4 millions de salariés qui ne sont pas couverts par une complémentaire santé et qui, sans pouvoir aller chez le dentiste, finissent par se faire arracher des dents à l’hôpital – ce qui ne les favorise évidemment pas ensuite dans leur recherche d’emploi. Une femme seule qui vit à Paris avec un salaire légèrement supérieur au salaire minimum ne peut pas se faire soigner aujourd’hui. Certes, toute réponse est imparfaite, mais les avantages de cet accord l’emportent largement sur ses effets néfastes – qu’il faut néanmoins regarder de près. Les entreprises de service à la personne – notamment aux personnes âgées – sont importantes, mais l’on ne peut pas laisser 4 millions de personnes dans une précarité de santé qui nuit à l’ensemble de la société ; il s’agit d’un véritable choix social. De plus, l’augmentation des coûts des entreprises de service à la personne à la suite des mesures de ce texte devrait se révéler modérée.

S’agissant de notre représentativité, à la fin du mois, la CFTC sera sûrement toujours représentative du point de vue légal. On a essayé de nous tuer plus d’une fois depuis notre création en 1919, mais le syndicat chrétien est aussi celui de la résurrection. Quant à notre poids dans l’action, le texte de l’accord reprend des idées que l’on défend depuis des décennies. Ainsi, l’attachement des droits au salarié et non plus à l’entreprise est une revendication de la CFTC depuis plus de dix ans. Perdre tous ses droits en quittant une entreprise ne favorise pas une évolution professionnelle satisfaisante ; garder des droits permet une véritable mobilité, choisie et sécurisée. La participation représente une autre de nos revendications. Nous pesons donc, et continuerons à peser, dans le champ social.

Il faudra développer davantage la formation professionnelle et la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, sans doute en lien avec les régions. Nous sommes favorables à la territorialité, notamment dans les bassins d’emploi.

Entre la logique de la confrontation et celle de la coopération, chacun doit faire un choix. Plutôt que d’insister sur les divergences, je crois pour ma part à la prise de responsabilité commune. Certes, comme j’ai pu l’observer dans ma vie professionnelle, les salariés et les patrons peuvent avoir des intérêts divergents : le salarié veut obtenir une augmentation de salaire, là où le chef d’entreprise doit respecter les équilibres financiers. Mais la convergence – la volonté de faire vivre l’outil et la communauté de travail – est bien plus importante. Le rapport de forces peut exister, mais ne se réduit pas forcément à une opposition systématique ; nous souhaitons avancer sans nous situer dans le camp du « non » permanent, celui de la sclérose.

Les syndicats ont le droit de s’opposer à cet accord au nom de leur idéologie. Mais prenez l’exemple des deux usines de pneumatiques situées à côté d’Amiens, Goodyear et Dunlop, qui appartiennent au même groupe et se trouvent à quelques centaines de mètres l’une de l’autre. Dans la première, un syndicat majoritaire s’oppose depuis des années à tout accord ; cette usine est morte. Dans la seconde, c’est la CFTC qui est devenue majoritaire ; les salariés de cette usine ont accepté de faire des efforts en contrepartie d’investissements dans un bassin sinistré. Ils ont eu raison : mieux vaut sauver des milliers d’emplois plutôt que de mener les salariés et leurs familles dans le mur par idéologie. C’est la force de la négociation, de la concertation et de la responsabilité par rapport à la faiblesse du « non » systématique.

Même s’il n’est pas défini dans le projet de loi, le motif économique l’est dans le code du travail ; il n’y a donc pas de vide juridique. Contractualiser le plan social ne revient pas à contractualiser le motif économique.

La CGT considère que prendre les propositions patronales comme cadre constitue un problème ; mais elle était libre de venir avec son propre texte, comme l’ont fait la CFTC et la CFDT. Elle seule est responsable de sa méthode de négociation.

Certains dispositifs de financement des formations sont, en effet, mal ou pas utilisés, et il faudrait en améliorer la gestion.

Les dispositifs de la gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences (GPEC) sont parfois insuffisants, et l’accord cherche à les développer à l’aide de nouveaux outils, notamment en renforçant le poids des institutions représentatives du personnel. L’objectif est d’apporter des améliorations là où c’est nécessaire, car dans certaines entreprises, le système fonctionne plutôt bien.

La polémique sur les assureurs et la complémentaire santé soulève un point juste. Ne nous voilons pas la face : il s’agit d’un gros « business » qui met en jeu des intérêts puissants. Mais je souhaite, pour ma part, que les 4 millions de salariés, qui ne sont aujourd’hui pas couverts pas une complémentaire santé collective, le soient demain. Or, lors d’un accord à l’échelle d’une branche professionnelle, l’on obtient de meilleurs tarifs et de meilleures prestations que lors d’une démarche isolée. Certes, il faut veiller à ce que les appels d’offre soient transparents ; mais le choix individuel de la complémentaire serait insoutenable pour les PME, comme l’UPA l’a bien compris. Il faut simplement éviter que cette protection globale ne conduise pas au maintien ou à la mise en place de monopoles ; il s’agit, comme toujours, d’un équilibre à trouver.

Nous n’avons pas discuté d’un contrat unique ; le CDI doit rester la norme et le CDD, l’exception. Le CDI représente donc déjà un contrat unique, avec les exceptions que constituent les CDD de bon sens.

Enfin, les excès et les risques attachés à la notion de mobilité suscitent des inquiétudes ; mais la vie consiste à prendre des risques, en essayant de les encadrer au maximum.

Mme la secrétaire nationale de la CFE-CGC. Les raisons pour lesquelles nos collègues n’ont pas signé l’accord leur appartiennent ; nous essayons, pour notre part, de vous convaincre du bien-fondé de nos positions. Ce contexte nous amène à faire de nos relations avec les autres syndicats un éclairage particulier. Pourtant, en 2011, c’est tous ensemble que nous avons négocié l’accord relatif à l’UNEDIC ou les accords pour l’emploi des jeunes, sans problèmes de représentativité ni de majorité de signatures. Nous nous connaissons bien et sommes capables de travailler ensemble. Aussi ne critiquons-nous pas les positions de nos collègues qui n’ont pas signé l’accord.

Dans le cas présent, nous faisions face à une difficulté particulière, la feuille de route nous imposant de lutter contre la précarité, de renforcer le dialogue social et de sécuriser les procédures de licenciement. Si la croissance économique était au rendez-vous et le niveau du chômage, moindre, si nous ne devions pas travailler vite afin de pallier les difficultés tant conjoncturelles que structurelles des entreprises, nous aurions pu adopter une autre démarche, laissant aux autres partenaires sociaux le temps d’évoluer, pour parvenir, au bout d’un an de réflexion, à un compromis commun. Mais dans la situation économique tendue que nous connaissons, il nous fallait trouver, avec le MEDEF, la CGPME et l’UPA, des solutions urgentes. C’est pourquoi, même imparfait, cet accord pragmatique devait être signé, afin de donner lieu le plus vite possible à des effets concrets.

Certains de ces effets seront rapides, d’autres moins, car les branches s’empareront de l’accord pour en adapter les grands axes à leur situation qu’elles connaissent mieux que quiconque. Le respect des entreprises et des salariés exige, après l’étape de la vision interprofessionnelle, de passer le relais aux branches et de leur laisser le temps de bien appréhender chaque sujet : le temps partiel, les contrats intérimaires, etc. Rien ne se fera sur le terrain sans la signature d’un accord.

Au-delà de la professionnalisation, certes nécessaire, des élus – qui pourront au demeurant faire appel à des experts –, la base de données leur fournira des possibilités nouvelles, devenant l’outil de partage des informations entre l’entreprise et les salariés. Quand le chef d’entreprise affirmera subir une baisse de compétitivité ou ne pas retrouver un coefficient d’exploitation normal, le salarié pourra le faire vérifier par son expert-comptable. La force de cet accord réside dans le dialogue social et dans cette base de données.

Les mots et les articles ont un sens précis. S’agissant de la mobilité, nous avons d’abord discuté de kilomètres et de délais de déplacement ; si nous avons décidé d’abandonner ces notions, c’est que celle de « conciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale » nous est apparue plus à même d’assurer, au sein de l’entreprise, une définition judicieuse de la distance. Nous travaillons d’ailleurs actuellement, avec toutes les organisations syndicales, sur la qualité de vie au travail ; ce concept obéit donc à une vraie logique et possède une véritable transversalité. En l’absence d’un accord, c’est la loi existante sur la mobilité qui s’appliquera, les plans de départ volontaire, de mobilité et de compétitivité faisant déjà partie des pratiques. Il faudrait en revanche éviter de créer un effet d’aubaine, en rappelant que ce principe de mobilité interne caractérise des mesures « ne comportant pas de réduction d’effectifs » ; ces termes, plutôt que « sans projet de licenciement », sont fondamentaux. Cette phase de mobilité au moment de la modernisation de l’outil ne doit pas impliquer de licenciements, c’est pourquoi la CFE CGC, rejointe et soutenue par ses collègues, a insisté qu’en cas de refus du salarié, il s’agirait d’un licenciement économique individuel ouvrant le droit au contrat de sécurisation professionnelle (CSP), contrairement aux dispositions du projet initial tout comme aux accords de maintien dans l’emploi.

Nous touchons là au véritable avantage du dialogue social. Lorsque des organisations syndicales décident de réformer, cette prise des responsabilités demande du courage ; mais elles gagnent toujours plus que ne leur aurait apporté une simple loi ou le refus de négocier. Cet accord a été nourri de l’ensemble de nos contributions. Certes, le MEDEF a proposé un texte initial, mais sa première version a été rejetée en bloc. Lors de la négociation sur l’Association pour l’emploi des cadres (APEC), les cinq organisations syndicales avaient soumis à la discussion leur propre texte, considérant que celui du MEDEF était trop éloigné de leurs aspirations. Dans le cas présent, nous avons décidé de retravailler la seconde version du MEDEF. Nos contre-propositions l’ont profondément modifiée : l’article définitif sur les accords de maintien dans l’emploi ne ressemble absolument pas à sa version initiale. C’est donc aux organisations syndicales de remodeler le texte comme elles le souhaitent.

En matière de droits rechargeables, le déficit de l’UNEDIC a été évoqué dès la dernière négociation de la convention, lorsque nous avons mis en place la filière de quatre mois – qui s’est révélé un formidable soutien dans la crise économique de 2008-2010. Nous nous plaçons dans la logique de cette avancée des droits, en toute responsabilité. Tous négociateurs au sein de l’UNEDIC, nous savons que son déficit s’élèvera à 18 milliards d’euros fin 2013 ; le groupe paritaire déjà en place doit travailler sur la mise en œuvre du dispositif des droits rechargeables sans perdre ces chiffres de vue.

S’agissant du contrat unique, le rapport Cahuc est régulièrement ressorti des tiroirs. À l’époque de la croissance économique, un tel contrat était inutile ; aujourd’hui, le CDI doit rester la norme. La feuille de route initiale visait d’ailleurs à redonner au CDI sa véritable logique, et c’est ce que nous avons cherché à faire à travers cet accord.

M. le secrétaire national de la CFDT. Il nous faut articuler démocratie sociale et démocratie politique, dans le respect de la place et de la légitimité de chacune : c’est dans cet esprit que le débat parlementaire doit compléter et préciser cet accord. Ainsi, les partenaires sociaux n’ont pas la compétence de régler entièrement, par la négociation, la question de la reprise de sites ou celle des actionnaires salariés, ces mesures excédant le périmètre du code du travail. Mais même pour les dispositions relevant pleinement de ce code, les parlementaires doivent pouvoir largement amender le texte, du moment où, comme vous l’avez souligné, ils en respectent l’esprit. Le compromis obtenu, en effet, ne doit pas être remis en cause, sous peine de discréditer l’idée même de dialogue social, car si la loi abroge l’accord, les partenaires sociaux ne verront plus l’intérêt de s’engager dans la négociation à l’avenir.

Cet accord ne règle pas le problème de la compétitivité et de la performance de l’économie française ; il y participe seulement. C’est pourquoi nos trois organisations syndicales et les trois organisations patronales ont signé, en 2010, un texte sur la compétitivité aux propositions concrètes. Ces mêmes organisations signeront d’ici deux à trois mois une délibération économique sur la définition des moteurs de croissance du futur, capables de redresser l’industrie française. Ce texte contractualisé, qui se situera dans la perspective du pacte de compétitivité, rejoint les conclusions du rapport Gallois, tout en lui étant supérieur : plus précis, il s’appuie notamment sur des indicateurs comparatifs de compétitivité en Europe. La CGT et FO – dont je respecte le choix – refusent pour leur part de participer à la délibération économique, estimant qu’en tant qu’organisations syndicales, elles n’ont pas à considérer les aspects économiques, pourtant indissociables de l’aspect social dès lors que l’on aborde la question de la performance et de la compétitivité.

Il est par ailleurs regrettable que cet accord serve d’alibi au règlement des problèmes internes de certaines organisations, tant syndicales que patronales. Nous serons vigilants sur son instrumentalisation au service des luttes de pouvoir ou de succession, à la CGT comme au MEDEF.

Cet accord relève enfin d’un compromis entre les organisations patronales elle-mêmes : sur les clauses de désignation de la mutuelle, par exemple, il a fallu arbitrer entre le MEDEF et l’UPA, et entre le lobby des assurances et celui des mutualistes.

Il vous appartient de forger votre propre avis, mais contrairement à ce qu’affirment la CGT et FO, si vous transformez cet accord en une loi, il amènera immédiatement de nouveaux droits, alors que la flexibilité relèvera de la négociation et d’accords majoritaires. Le patronat souhaitait pour sa part l’inverse : la flexibilité tout de suite, et les nouveaux droits demain. Mais le dialogue social, le débat et l’articulation de la démocratie sociale et politique devraient rendre les nouveaux droits immédiatement effectifs, même si certaines dispositions devront encore être précisées.

Pour entrer dans le détail, l’article 1er portant sur la couverture complémentaire santé nous convient. Pour les salariés non couverts par des conventions collectives – dont la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) pourrait vous communiquer le nombre –, l’accord prévoit un panier minimum de soins qui devrait donner lieu à un décret. Nous n’avons pas abordé dans l’accord le problème du régime d’Alsace-Moselle, dont le règlement devra passer par des décrets d’exclusion ; nous vous en laissons la responsabilité. Je vous livre aussi une autre information : une lettre de patrons nous a également alertés sur la question de l’agriculture et de l’agroalimentaire : les salariés des petites entreprises et exploitations craignent d’être exclus de l’accord à cause des dispositions spécifiques du code rural sur la complémentaire santé.

Nous sommes très satisfaits du compte personnel de formation prévu à l’article 2 ; mais nous ne pouvions pas aller trop loin sur cette question car une négociation est en cours, qui doit déboucher sur un projet de loi sur la formation professionnelle. Ce sujet touche à l’évolution de l’école, à la décentralisation et à bien d’autres textes en cours de discussion au Parlement ; il nous est donc apparu raisonnable de préciser que le compte personnel de formation est un droit attaché à la personne, et que tout salarié doit avoir la possibilité de se former de la sortie de l’école à la retraite, sans entrer dans le détail des mécanismes de gouvernance et de financement.

L’article 3 sur la mobilité externe nous convient tout à fait. Quant à l’article 4, il est essentiel à l’accord : la base de données permettra aux salariés d’accéder non seulement aux éléments sociaux, mais également aux informations relatives à la stratégie, à l’investissement, et à l’utilisation par l’entreprise des crédits et des aides publiques – point particulièrement sensible, comme en atteste le débat sur le détournement possible des 20 milliards d’euros qui pourraient servir à rémunérer les dividendes et non à investir. Disposer de ces éléments en amont de toute décision permettra aux institutions représentatives du personnel de donner leur avis, créant une culture d’anticipation. Nos baromètres montrent que les fonctionnaires comme les salariés du privé s’inquiètent pour leur emploi. En donnant une perspective à trois ans, par rapport au territoire et aux concurrents de l’entreprise, ainsi qu’aux enjeux industriels et technologiques auxquels elle fait face, la base de données éclairera sur son orientation, ses choix d’investissement et sa politique. Pallier le manque de visibilité actuel permettra de rassurer les salariés. Il faudrait en revanche corriger une coquille : cette base de données devrait être ouverte non seulement aux élus des comités d’entreprise, mais également aux délégués du personnel.

Nous sommes d’accord avec les dispositions relatives à l’expertise. Quant au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), si l’avant-projet de loi allait trop loin en prévoyant une instance unique, le texte actuel revient à une conception plus modérée : sans remettre en cause le rôle des CHSCT locaux, il permet de recourir à une expertise unique au lieu d’en mener dix sur le même sujet. Cette version, qui reprend les termes de l’accord, nous convient parfaitement.

À l’article 5, nous souhaitions baser la participation des salariés aux conseils d’administration sur la représentativité, mais nous acceptons que la loi reprenne les trois possibilités actuelles – l’élection, la désignation par les institutions représentatives du personnel et le mandatement. Il faudrait en revanche préciser, si cela est possible juridiquement, que ces salariés – qui s’exprimeront sur des sujets sensibles – seront protégés. Nous voudrions également que l’assemblée générale des actionnaires, qui choisira ces modalités de désignation, dispose de l’avis du comité d’entreprise et décide en connaissance de cause. Notre amendement en ce sens n’avait pas été retenu, mais il serait préférable que cette décision ne relève pas du seul employeur, même si l’avis du comité d’entreprise reste purement indicatif.

Nous sommes satisfaits des articles 6 et 7. Les temps partiels directement reliés à un employeur individuel sont exclus du périmètre de l’article 8. Contrairement à une association, capable de trouver un deuxième emploi à son salarié – qui peut ainsi travailler à temps complet en cumulant plusieurs contrats à temps partiel –, un employeur qui a besoin d’un jardinier ou d’une aide à domicile ne pourra pas fournir ce socle de 24 heures de travail.

L’article 9 nous convient. L’article 10, en revanche, n’est pas conforme à l’esprit de l’accord. Privilégier la culture d’anticipation en matière de mobilité interne – en lien avec la gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences (GPEC) – consiste à organiser, tous les trois ans, à partir de la base de données, une négociation sur la politique sociale du groupe, et prévoir la mobilité géographique et technique à venir. Il est ainsi essentiel de préciser que cette mobilité doit s’effectuer sans baisse d’effectifs, et non en dehors de tout projet de licenciement, comme le stipule le texte actuel. Le récent accord conclu chez Renault prévoit, par exemple, des plans de départ volontaire, donc une diminution des effectifs. Si cet accord défensif visant à sauver l’entreprise est en l’occurrence nécessaire, il ne s’inscrit pas dans une politique sociale renégociée tous les trois ans. Laisser le texte en l’état, c’est prendre le risque de voir les effectifs fondre sans licenciements économiques, par le biais des départs volontaires ou des départs à la retraite. Les termes exacts de l’accord doivent donc être repris.

Nous n’avons rien à dire sur les articles 11 et 12. Quant à l’article 13, nous n’avons pas tranché la question de savoir si la négociation doit impérativement intervenir avant l’homologation. Le patronat peut être tenté de privilégier cette dernière, pariant sur le fait que les DIRECCTE, manquant de moyens, tamponneront automatiquement les formulaires. Or, aller directement vers une homologation serait contraire à l’esprit de l’accord qui cherche avant tout à renforcer le dialogue social et la négociation. Mais les DIRECCTE ne pourront pas assurer ces nouvelles tâches à effectifs constants et à compétences égales : leurs moyens doivent être augmentés si l’on veut que leur contrôle comprenne une forme d’investigation. La base de données comprenant des informations financières, les DIRECCTE, qui y auront accès, pourront moduler les plan de sauvegarde de l’emploi en fonction des moyens des groupes, ce qui coupera court aux licenciements boursiers.

Nous sommes d’accord avec la formulation des articles 14 et 15. Mes collègues ont déjà tout dit sur l’article 16, relatif au barème. S’agissant de l’article 17, la CGPME exige de différer d’un an la mise en œuvre des institutions représentatives du personnel dans les petites entreprises ; il faudra organiser une discussion tripartite pour essayer de définir le contenu d’un décret – tâche qui s’annonce difficile.

S’agissant de l’article 18, l’accord prévoit une évaluation du dispositif au bout de deux ans ; nous souhaitons qu’à cette fin, une commission paritaire soit mise en place dans chaque branche concernée. La CGPME souhaitait généraliser les CDI intermittents, tout comme le MEDEF, les CDI de projet. Or, ces derniers – qui existent depuis 2008 dans quelques secteurs travaillant à l’exportation – risquaient de générer une grande précarité. Actuellement, les entreprises de nettoyage de bureaux ou les sociétés d’informatique établissent un contrat commercial avec leur client ; lorsque ce contrat arrive à terme, l’entreprise retrouve pour ses salariés un nouveau chantier. Avec des contrats de projet, le terme du contrat commercial mettrait fin au contrat de travail des salariés, sans que ceux-ci bénéficient des droits afférents. Le MEDEF a fini par retirer ce dispositif. Nous ne souhaitions pas davantage généraliser les contrats intermittents, également générateurs de précarité. Pour garder la CGPME parmi les signataires, nous avons proposé d’organiser une expérimentation de deux ans dans trois branches, avec une évaluation à la clé, afin de continuer ou d’arrêter l’expérience en fonction du résultat. Alors que la CGPME voulait implanter le dispositif dans l’hôtellerie-restauration, la branche l’a refusé, ce type de contrat ne répondant pas à ses besoins. Parmi les branches retenues, les chocolatiers et le commerce d’articles de sports utilisent déjà des contrats intermittents par le biais des accords de branche. En revanche, nous accompagnerons et évaluerons leur mise en place dans la branche de la formation professionnelle hors langues, où ils représentent une nouveauté. En somme, il nous a été difficile de trouver des branches à la fois preneuses de ces contrats intermittents et adhérentes à la CGPME. Le texte résulte donc d’un compromis de bonne volonté des signataires.

En conclusion, j’insiste à nouveau sur la nécessité de donner à la gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences (GPEC) une dimension d’anticipation, en précisant que la mobilité interne doit se faire sans baisse d’effectifs. N’oubliez pas également qu’une négociation est en cours sur la qualité de vie au travail, l’égalité entre les hommes et les femmes et la conciliation des temps ; elle complétera utilement cet accord, tous deux étant sources d’avancées dans la sécurisation de l’emploi et le recul de la précarité dans l’entreprise.

Mme la secrétaire nationale de la CFE-CGC. Certains ont évoqué l’abandon que représenterait la réduction des délais de prescription, mais c’est le lot de toute négociation : on n’obtient pas tout ce que l’on rêvait d’avoir ; mais en même temps, on réussit à supprimer certains points dont on ne voulait pas. Nous avons ainsi réussi à faire retirer beaucoup de propositions initiales, notamment une partie du titre V comportant bien des libéralisations. Nous avions maintenu le blocage sur les délais de prescription le plus longtemps possible, car le MEDEF proposait à l’origine de les réduire à un an seulement. Notre idée de dissocier les motifs a permis d’obtenir un délai un peu plus court – deux ans – sur les motifs de rupture du contrat, et un peu plus long – trois ans – sur les salaires. Certes, c’est moins que ce qui existait auparavant, mais en fin de négociation, il faut savoir abandonner des revendications pour parvenir à un équilibre.

M. le vice-président de la CFTC. Comme vous pouvez le constater, nous sommes tous les trois d’accord sur l’essentiel.

L’article 12, relatif aux accords de maintien dans l’emploi, prévoit une clause pénale si l’employeur ne respecte pas ses engagements. Dans le projet de loi, tel qu’il est rédigé, cette clause se limite au non-respect du maintien des salariés dans l’emploi, donc au licenciement. Dans l’accord, en revanche, cette clause s’applique à tout manquement à l’accord de maintien dans l’emploi, par exemple à un changement d’horaires. Il faudrait corriger cet écart.

L’article 13, qui traite de l’homologation, fait également l’objet d’une confusion. Il prévoit ainsi, en cas d’annulation d’une décision de validation d’un plan de sauvegarde de l’emploi, que les salariés reçoivent une indemnité au moins égale à six mois de salaire, alors que cette indemnité s’élève aujourd’hui à douze mois, l’indemnité de six mois relevant pour sa part des licenciements sans cause réelle et sérieuse.

Quant aux contrats intermittents, la CGPME en a fait un point de blocage, alors même qu’il nous a été difficile de trouver trois branches intéressées. Le texte final est donc vidé de toute substance, les nouveautés qu’il introduit ne touchant quasiment personne.

M. le secrétaire national de la CFDT. Les salariés des très petites entreprises ont beaucoup à gagner avec cet accord. Ils bénéficieront, comme tous les autres, de l’attachement des droits à la personne et profiteront de la mutualisation entre les petites et les grandes entreprises, notamment en matière de couverture complémentaire santé.

À l’heure de la décentralisation, cet accord ouvre également la voie au dialogue social sur le renforcement de la place des territoires, qui prendront par exemple en charge la formation ou le conseil en évolution professionnelle.

La CFDT s’oppose à l’idée d’un contrat unique. L’activité connaît des périodes de surcroît, certains emplois sont saisonniers, et beaucoup de productions industrielles, cycliques. Ces différents moments d’activité nécessitent différents volumes de personnels, rendant plusieurs contrats – CDI, CDD, intérim – nécessaires. Un CDI unique devrait nécessairement tenir compte de la saisonnalité et des cycles, et donc comporter une part d’assouplissement ; une telle évolution serait pire que l’existence de trois contrats distincts.

Quant à ceux qui dénoncent l’accord comme minoritaire en pariant sur le fait que fin mars, certaines organisations ne seraient plus représentatives, ils ne s’appuient sur rien de réel. Signé par trois organisations sur cinq, l’accord est aujourd’hui légalement majoritaire ; à l’avenir, la représentativité procédera de la consolidation, au niveau national, des élections aux comités d’entreprise, et personne ne sait encore quelles organisations seront majoritaires. Ceux qui se risquent aux spéculations instrumentalisent l’enjeu, usant de l’ancienne grille pour parler de la représentativité de demain.

En revanche, les parlementaires devraient réfléchir à la question de la représentativité patronale !

Mme la présidente Catherine Lemorton. Les trois syndicats signataires – et représentatifs – ont accepté d’être auditionnés ensemble, alors que la CGT et FO font chacune l’objet d’une audition séparée. Il ne faut y voir aucune différence de traitement : il nous a simplement été impossible de trouver une date d’audition commune pour ces deux derniers syndicats.

En ce qui concerne la décentralisation et la formation professionnelle, notre Commission se saisira naturellement pour avis.

Je vous remercie, madame, messieurs, pour vos réponses.

La séance est levée à douze heures cinq.

——fpfp——

Présences en réunion

Réunion du mercredi 13 mars 2013 à 9 heures

Présents – M. Élie Aboud, M. Bernard Accoyer, Mme Véronique Besse, Mme Gisèle Biémouret, Mme Kheira Bouziane, Mme Sylviane Bulteau, M. Jean-Noël Carpentier, Mme Fanélie Carrey-Conte, Mme Martine Carrillon-Couvreur, M. Gérard Cherpion, Mme Marie-Françoise Clergeau, M. Rémi Delatte, M. Dominique Dord, Mme Hélène Geoffroy, M. Jean-Marc Germain, M. Jean-Patrick Gille, Mme Linda Gourjade, M. Henri Guaino, M. Jérôme Guedj, Mme Joëlle Huillier, Mme Sandrine Hurel, Mme Monique Iborra, M. Michel Issindou, M. Denis Jacquat, Mme Chaynesse Khirouni, Mme Bernadette Laclais, Mme Isabelle Le Callennec, Mme Annie Le Houerou, Mme Catherine Lemorton, M. Jean Leonetti, M. Céleste Lett, Mme Geneviève Levy, M. Michel Liebgott, Mme Véronique Louwagie, M. Gilles Lurton, Mme Véronique Massonneau, M. Hervé Morin, Mme Ségolène Neuville, Mme Dominique Orliac, Mme Monique Orphé, M. Bernard Perrut, Mme Martine Pinville, Mme Bérengère Poletti, M. Arnaud Richard, M. Denys Robiliard, Mme Barbara Romagnan, M. Jean-Louis Roumegas, M. Gérard Sebaoun, M. Fernand Siré, M. Jean-Louis Touraine, M. Olivier Véran, M. Jean-Sébastien Vialatte

Excusés – M. Jean-Pierre Barbier, Mme Valérie Boyer, M. Richard Ferrand, M. Christian Hutin, Mme Gabrielle Louis-Carabin, M. Laurent Marcangeli, M. Jean-Philippe Nilor, M. Christophe Sirugue, M. Jonas Tahuaitu, M. Francis Vercamer

Assistaient également à la réunion – M. Pierre Aylagas, Mme Catherine Coutelle, M. Lionel Tardy