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Commission des affaires sociales

Mercredi 9 juillet 2013

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 75

Présidence de Mme Catherine Lemorton, Présidente

– – Audition, ouverte à la presse, du professeur Michel Reynaud, chef du service d’addictologie de l’hôpital Paul Brousse, sur le rapport « les dommages liés aux addictions et les stratégies validées pour réduire ces dommages » qu’il a remis à la présidente de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT)

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mardi 9 juillet 2013

La séance est ouverte à neuf heures quinze.

(Présidence de Mme Catherine Lemorton, présidente de la Commission)

La Commission entend le professeur Michel Reynaud, chef du service d’addictologie de l’hôpital Paul Brousse, sur le rapport « les dommages liés aux addictions et les stratégies validées pour réduire ces dommages » qu’il a remis à la présidente de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT).

Mme Catherine Lemorton, présidente de la Commission. Nous recevons ce matin le professeur Michel Reynaud, chef du service de psychiatrie et d’addictologie de l’hôpital Paul-Brousse.

À la demande de Mme Jourdain-Menninger, présidente de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT), le professeur Reynaud a coordonné un important travail de réflexion sur les orientations à retenir pour bâtir une politique rénovée de réduction des risques et des conséquences des addictions. Il a rendu son rapport, intitulé Les dommages liés aux addictions et les stratégies validées pour réduire ces dommages, il y a un mois. Sous la forme de trente et une fiches thématiques claires et pédagogiques, il s’agit d’un précieux outil de réflexion, particulièrement intéressant.

Monsieur le professeur, en demandant que les politiques idéologiques prohibitionnistes, que vous jugez coûteuses, peu efficaces, voire contre-productives, soient remplacées par une politique de réduction pragmatique des dommages liés aux drogues, vous prônez un véritable changement de paradigme. Ainsi, vous préconisez une meilleure cohérence de la législation contre les drogues licites et illicites, la tendance à focaliser l’attention sur la pénalisation du cannabis entraînant la sous-évaluation des dommages de l’alcool chez les jeunes.

Je vous laisserai évoquer la piste d’intervention privilégiée que constitue la fiscalité sur ces drogues licites – c’est-à-dire permises – que sont le tabac et l’alcool. Vous êtes également favorable à un meilleur contrôle du marketing, et la majorité est également convaincue de son utilité.

Nous vivons au sein d’une société addictogène et anxiogène. Les addictions naissent de la rencontre singulière d’un individu et d’une substance psychoactive, l’effet d’une telle rencontre variant d’un individu à un autre. Une substance n’est pas moins dangereuse parce qu’elle est culturelle ni plus dangereuse parce qu’elle est illicite. Mes propos reposent sur l’expérience de terrain.

J’espère que, lors de nos réflexions relatives à une prochaine loi, la santé publique primera sur tout autre intérêt, fût-il économique.

M. Michel Reynaud, chef du service de psychiatrie et d’addictologie de l’hôpital Paul-Brousse. La cinquantaine d’experts qui composaient le groupe que j’ai animé m’ont remis leurs conclusions en fonction de leurs spécialisations. Le groupe de pilotage, quant à lui, comprenait des épidémiologistes, un juriste, un économiste, une sociologue, des représentants de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES) et de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), une spécialiste du marketing.

Notre objectif était de repérer et de définir les possibilités de réduire les dommages liés aux addictions. Il est temps, en effet, de sortir des incantations. C’est pourquoi nous ne nous sommes appuyés que sur des données validées dans le domaine médical comme au plan juridique, économique ou épidémiologique, de façon à dégager des pistes de réussite.

Nous avons refusé de censurer nos conclusions, tout en sachant que les arbitrages prendront en considération d’autres considérations que sanitaires. L’addiction est la rencontre, dans un contexte précis, d’un individu vulnérable et d’un produit. Or c’est sur le contexte que vous, législateurs, avez la possibilité d’agir, en modifiant la disponibilité des produits et leur représentation pour les rendre moins incitatifs, l’action sur les individus étant du ressort des praticiens.

Ces cinq dernières années a été conduite une politique aussi répressive que possible en matière de drogues illicites : or nous avons assisté parallèlement à une augmentation des consommations de tabac et d’alcool, notamment chez les jeunes, voire les jeunes femmes. Le phénomène étant récent, nous ne disposons que de rares données épidémiologiques, en provenance des services d’urgences. Cette alcoolisation constituera le prochain gros problème de santé publique, comme l’augmentation de la consommation de tabac chez les jeunes femmes entraîne aujourd’hui des conséquences importantes en termes cardio-vasculaires ou pulmonaires. De même que nous avions prévu que le cancer du poumon deviendrait le premier cancer chez la femme, nous avons prédit l’augmentation des consommations nocives d’alcool chez les jeunes : je le répète, elle entraînera à plus ou moins long terme une catastrophe de santé publique. Je ne fais qu’aligner des faits.

La répression de la consommation du cannabis n’a pas empêché son augmentation, la France étant le premier consommateur d’Europe. Il convient aussi de noter la croissance exponentielle des drogues de synthèse proposées sur Internet – il ne se passe plus de semaine sans qu’une nouvelle drogue surgisse, puisqu’il est très facile à la fois d’en fabriquer et de s’en procurer. Les dommages ne sont pas prévisibles, compte tenu des changements incessants de molécules.

Le tabac provoque chaque année 70 000 décès et est une des premières causes de mortalité. Quant aux dommages dus à l’alcool, les travaux de Catherine Hill concluent à 48 000 morts par an. La direction générale de l’offre de soins du ministère de la santé et l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation (ATIH) reprennent les conclusions de nos travaux, selon lesquels l’alcool est l’une des premières causes d’hospitalisation. Or moins de 10 % des patients connaissant des problèmes d’alcool sont correctement pris en charge dans les hôpitaux. Le Plan addiction avait pourtant mis en place des équipes de liaison, mais, faute de moyens, elles ne peuvent se rendre dans les différents services. Six ans après une première entrée pour alcoolisation aiguë, un patient revient pour dépendance et, six ans plus tard, pour complications : 50 % de ceux qui viennent consulter pour dépendance ne restent que deux jours à l’hôpital et ne sont pas pris en charge à leur sortie.

Il est par ailleurs très difficile de disposer de données relatives aux dommages sociaux liés à l’alcool. Nous en avons trouvé dans deux rapports parlementaires, dont un qui porte sur les violences familiales. Il n’existe aucun observatoire de l’ensemble de ces dommages, alors que la moitié du travail des juridictions concerne des infractions routières dont 50 % sont liés à l’alcool, ce qui représente 25 % des procédures. Un autre quart est lié aux infractions aux législations sur les stupéfiants. Il convient également, pour les 50 % restants, de faire la part des dommages dont l’alcool est un facteur déclenchant : entre 30 % et 50 % des violences faites aux femmes et aux enfants, des rixes et des agressions. La masse des dommages sociaux liés à l’alcool est donc très difficilement repérable. L’OFDT aurait pu assumer la fonction de cet observatoire des dommages sociaux liés à l’alcool : malheureusement, il n’a pas été organisé à cette fin.

Les dommages liés au cannabis sont bien connus. La consommation chronique entraîne, notamment chez les jeunes, des troubles de la concentration et donc de l’insertion sociale et scolaire, voire une dépendance chez certains sujets, et, pour quelques rares cas, une facilitation de l’entrée dans la schizophrénie.

Plus importants que les dommages sanitaires me paraissent être les dommages sociaux liés à la vente et au trafic de cannabis, en termes d’économie parallèle et de développement de circuits mafieux. Le problème majeur du cannabis relève de la sécurité publique.

Tous les experts internationaux s’entendent pour reconnaître la gradation de la dangerosité des produits, en fonction de leurs dommages sociaux et individuels. Le pharmacologue David Nutt, ancien président de l’équivalent britannique de la MILDT, a été mis à l’écart après avoir soutenu que l’alcool était la substance entraînant les dommages les plus graves, ce qui l’a conduit à affiner encore sa méthode en reprenant des modèles mathématiques développés pour l’analyse des risques nucléaires : il est arrivé aux mêmes conclusions. Des travaux semblables ont été conduits en France et aux Pays-Bas, et la branche européenne de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) est arrivée aux mêmes conclusions. Après l’alcool, les produits les plus dangereux sont, par ordre décroissant, l’héroïne, la cocaïne, le tabac et le cannabis. Il ne s’agit évidemment pas d’interdire ou de stigmatiser la consommation d’alcool. Ce produit est à la fois celui qui procure le plus de plaisir et de bien-être et le plus dangereux : c’est cette polarité, qui n’est pas encore perçue par les consommateurs, qui devrait faire l’objet d’une information de santé publique.

Quant au tabac, il est évidemment un facteur de mortalité, alors que le cannabis, je le répète, entraîne surtout des dommages sociaux.

La perception de la dangerosité des produits par les professionnels ne correspond donc pas à celle de la population qui, tout en ayant une surreprésentation de la dangerosité de l’héroïne, de la cocaïne et du cannabis, sous-évalue celle de l’alcool, qui est classée au même niveau que le cannabis pour les dommages individuels et après la cocaïne et le cannabis en termes de dommages sociaux.

Une politique de santé publique efficace ne devrait pas s’appuyer sur les représentations mais sur la réalité. C’est pourquoi nous proposons un changement de paradigme. Depuis vingt ans, les représentations de la toxicomanie ont évolué. Dans les années 1990, l’alcoolisme et la toxicomanie étaient avant tout considérés comme des fléaux sociaux et non médicaux. Aussi la lutte était-elle confiée à des structures médico-sociales et non pas médicales ou scientifiques. Dans les années 2000, l’apparition de la notion d’addiction, qui s’appuie sur des données scientifiques, a entraîné la médicalisation du regard, les addictions étant traitées à l’hôpital dans des services spécialisés. Les années 2010 et suivantes devraient être celles de la réduction des dommages. La notion d’addiction, en établissant des liens entre l’alcoolisme, la toxicomanie et le tabagisme, en tant que comportements humains problématiques, et en donnant une place plus importante à la notion de vulnérabilité, a permis de rompre avec les politiques d’abstinence qui étaient prônées dans les années 1990, au profit d’une pratique, dispensée de manière plus précoce, de réduction des dommages via une réduction des consommations, quel que soit le produit.

La lutte contre les fléaux sociaux s’est révélée à la fois coûteuse et peu efficace. Les États-Unis commencent eux aussi à s’interroger sur l’efficacité de la guerre contre la drogue, qui a vu se développer une criminalité importante.

À la perception exacerbée de la dangerosité des produits illicites, correspondent donc une sous-évaluation relative de celle des produits licites et une concentration des moyens sur la répression et non sur l’intervention précoce.

Il faut en effet savoir que la consommation de produits psychoactifs est inhérente à la condition humaine. Les humains recherchent leur plaisir, même au prix d’une modification de leur fonctionnement psychique – le tabac est apaisant, l’alcool et le cannabis sont euphorisants. Toutes les cultures et toutes les époques ont recouru à de tels produits : le tout est d’en maîtriser la consommation pour la rendre la moins nocive possible. Ce sont les abus et les dommages entraînés par ces pratiques et les conditions de leur développement qu’il faut viser, d’autant que la réduction des dommages est une donnée objective : son efficacité peut être chiffrée. Une politique de santé publique peut se donner des objectifs quantifiés de consommation.

On peut agir sur les trois déterminants des addictions, en diminuant la dangerosité des différents produits ou les comportements addictifs, en agissant sur les situations à risque et les populations les plus vulnérables – les enfants, les femmes, les précaires et les détenus – et en jouant sur les déterminants sociaux, culturels et économiques.

La réduction des dommages implique un nouveau référentiel de santé publique et conduit à une nouvelle façon de soigner. Pour être efficace, il faut partir de la demande de l’usager et l’accompagner dans une approche graduée : chaque petit pas est un progrès puisqu’il réduit les dommages. À l’heure actuelle, l’entrée dans le processus de soins est difficile, l’hôpital remplissant mal cette fonction et le patient devant se rendre dans des centres spécialisés.

L’abstinence a été longtemps prescrite en matière de tabac, d’alcool et d’héroïne. Pour l’héroïne, les traitements de substitution ont permis de changer la vie des toxicomanes. Recourir à des stratégies plus subtiles est un grand progrès, notamment dans le traitement de l’alcoolisme pour lequel l’abstinence était souvent vécue de manière dramatique. L’enjeu de l’organisation des soins est d’offrir désormais un éventail gradué de réponses coordonnées et articulées.

La réduction des dommages implique également de mieux cibler la prévention sur les populations à risque, notamment les jeunes, sur lesquels la majorité des actions devrait porter. C’est à l’adolescence, période où mûrissent les circuits cérébraux qui sont ceux de l’addiction – circuits du plaisir, de la gestion de l’autonomie et de l’apprentissage du contrôle – que le cerveau est le plus vulnérable, et c’est pourquoi elle est l’âge privilégié de la consommation de drogue ou d’alcool.

Il convient aussi de faciliter l’accès aux soins, notamment dans les services hospitaliers et dans les dispositifs médico-sociaux, afin que les patients accèdent le plus tôt possible aux soins et soient bien orientés.

La réduction des dommages implique également un développement de la formation, de l’enseignement et de la recherche : l’addictologie n’a qu’une dizaine d’années. Le Plan addiction voulu par le président Chirac, qui en avait fait une priorité, a permis, en 2007, d’ouvrir quelques postes. Malheureusement, le président Sarkozy n’a pas repris ce plan et les doyens d’universités n’ont pas reçu la manne attendue. Aussi la situation universitaire a-t-elle peu évolué entre 2007 et 2012, alors que les services hospitaliers ont connu une légère amélioration. Or c’est à l’université que les médecins peuvent apprendre une culture scientifique et non idéologique des addictions. Les politiques publiques commencent à le comprendre : il faut encourager le mouvement, afin de généraliser cette culture dans toutes les facultés françaises.

La réduction des dommages implique enfin un renforcement de la réglementation, de la législation et de la fiscalité, qui a été le point le plus médiatisé du rapport alors qu’il n’en représente qu’un des trois volets, avec l’accès aux soins et l’évaluation systématique des comportements addictifs par la police et la justice – ces trois volets sont à mes yeux indissociables.

Le rapport propose l’instauration d’une taxation au prorata du degré d’alcool. En France, le vin est peu taxé, pour des raisons historiques et culturelles : alors qu’il représente entre 50 % et 60 % de la consommation d’alcool, il rapporte moins de 5 % des taxes. Certes, les choix seront difficiles, mais il conviendra de privilégier les priorités de santé publique. Il en est ainsi de la nécessité de réguler le marketing. Nous avions annoncé, lorsque la publicité pour l’alcool a été autorisée sur Internet, que ce cavalier législatif de la loi « Hôpital, patients, santé et territoires » (HPST) que Mme Bachelot a fait adopter conduirait à la catastrophe. Nous y sommes : les consommations aiguës d’alcool chez les jeunes sont liées à un marketing très subtil, diffusé notamment par le biais des réseaux sociaux. On ne peut pas à la fois se plaindre de la consommation excessive d’alcool chez les jeunes, qui provoque des accidents mortels sur la route ou des comportements sexuels problématiques, et s’en laver les mains. La publicité sur Internet pour l’alcool, qui envahit les sites festifs, musicaux ou sportifs, et qui est démultipliée par les réseaux sociaux, fait consommer. Internet mettant à disposition tous les produits de plaisir – le sexe, les jeux d’argent, l’alcool et les achats –, il est nécessaire d’instaurer une forme de régulation.

Le rapport propose également une législation comparable pour tous les délits liés à la consommation de drogues, qu’elles soient licites ou illicites, dans le cadre d’une évaluation de l’état addictologique de chaque personne qui a conduit ou a commis un délit sous l’emprise d’une substance. Les ivresses aiguës manifestes sont actuellement très peu évaluées sur le plan clinique, alors qu’une majorité des personnes qui ont conduit sous l’emprise de l’alcool ou ont été verbalisées pour ivresse aiguë sont des consommateurs réguliers et problématiques d’alcool. On les laisse récidiver jusqu’à la catastrophe, alors que la prévention de la dépendance est un élément important de la prévention de la récidive. Une meilleure évaluation permettrait de traiter de manière précoce un grand nombre de personnes et de faire baisser la récidive.

Il convient par ailleurs de modifier les interactions entre les services de santé, la police et la justice pour permettre aux actions sanitaires et policières de se compléter en orientant la justice vers le soin et le sanitaire vers la prévention des récidives.

Les dommages étant gravissimes, la lutte contre les addictions doit devenir une priorité nationale, portée non pas par le Premier ministre mais par le Président de la République lui-même. Ce sera la seule façon de vaincre les blocages auxquels nous sommes confrontés depuis de trop nombreuses années, notamment ceux des lobbies viticoles, des alcooliers ou de Bercy, sans oublier la pesanteur des systèmes médicaux et universitaires. Comme il n’existe plus de plan addiction depuis 2012, nous espérons beaucoup du prochain plan gouvernemental après cette année blanche – à son installation, le nouveau gouvernement n’avait aucune politique en matière d’addiction.

Il est enfin nécessaire de modifier la représentation des populations grâce à des états généraux sur les addictions.

M. Jean-Pierre Barbier. Votre démarche est idéologique ! Les conclusions sont connues d’avance !

M. Michel Reynaud. J’essaie de ne pas être idéologique, mais on ne peut pas s’occuper d’addiction sans s’intéresser au contexte de consommation.

Je le répète : il convient de modifier la représentation des pathologies addictives, de soutenir les familles, de reconnaître ces pathologies comme des pathologies de longue durée, de diminuer les dommages chez les simples consommateurs en développant l’éducation par les pairs et les compétences des acteurs sur Internet, de soutenir le développement des associations de patients et de développer l’éducation thérapeutique du patient, comme cela se fait déjà par exemple pour les diabétiques.

Il faut aussi améliorer le repérage et l’intervention précoce avant l’installation des dommages, en faisant des addictions un volet obligatoire des réseaux territoriaux de santé, qui devraient disposer de structures médico-sociales, de services de soins résidentiels et de dispositifs innovants – je pense notamment aux salles de consommation.

Pour améliorer le dispositif sanitaire général, il faut adapter l’addictologie hospitalière aux besoins et l’inscrire dans les critères d’accréditation, le projet d’établissement et le contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens – 20 % des patients des hôpitaux ont des problèmes d’addiction. Un médecin et un directeur devraient être chargés de présenter leur plan addiction devant le conseil d’administration et devant la commission médicale d’établissement. Il faut renforcer, outre les unités d’enseignement et de recherche, les unités de soins – les équipes de liaison, mises en place dans le plan addiction 2007-2012, rencontrant à l’heure actuelle beaucoup de difficultés pour répondre à la demande.

Pour réduire les dommages liés à l’alcool, il faut adopter des stratégies thérapeutiques, notamment de réduction de la consommation, modifier la fiscalité des boissons alcooliques, affecter les nouvelles recettes à l’assurance maladie et à la prévention au prorata des coûts de marketing, expérimenter des éthylomètres non pas punitifs, qui empêchent le démarrage, mais éducatifs et préventifs dans les véhicules, et mettre en place une politique de prévention de la récidive.

Pour réduire les dommages liés au tabac, il faut rembourser les traitements de la dépendance tabagique – l’argent investi dans le traitement de la dépendance est rentabilisé par la diminution des pathologies –, éviter les petites augmentations du prix du tabac, qui ne servent à rien si ce n’est à augmenter les ressources de l’État – Bercy constitue un des blocages majeurs de la lutte contre le tabac – et mettre fin au plan d’avenir des buralistes, qui n’a plus d’objet.

Pour réduire les dommages chez les jeunes, il faut se donner les moyens d’une intervention précoce, renforcer le dispositif « jeunes consommateurs », le service d’urgences et les équipes de liaison, et établir un référentiel de prise en charge déclinant les modalités d’intervention adaptées.

En matière de stratégies sur le marketing de l’alcool et du tabac, il convient de contrôler les actions publicitaires et de revenir à l’essence même de la loi Évin : la publicité pour l’alcool sur Internet doit être limitée aux sites des viticulteurs, des producteurs et des distributeurs. Il faut également faire financer la prévention par les industriels, créer un observatoire du marketing de l’alcool et du tabac et élargir les missions du Comité pour la modération à toute l’évaluation de la communication sur l’alcool, de façon que les publicités pour l’alcool ne soient pas contradictoires avec les intérêts de la santé publique.

Il est également nécessaire d’analyser les législations afin de rapprocher au maximum la lutte contre les différentes addictions, d’évaluer systématiquement le statut addictologique et de contraventionnaliser l’usage illicite de cannabis.

Mme la présidente Catherine Lemorton. La vérité m’oblige à rappeler que Mme Bachelot n’est pas la seule responsable de l’adoption de l’amendement à la « loi HPST » autorisant la publicité pour l’alcool sur Internet : cet amendement a été voté à la fois par des députés de droite et de gauche – des députés de droite et de gauche y étant également hostiles.

J’ai quelques questions à vous poser.

Le binge drinking, qui frappe les jeunes, est-il essentiellement pratiqué avec des alcools forts ou met-il également en cause le vin ?

Envisagez-vous, afin de diminuer les risques, des échanges de seringues en prison, comme cela se pratique légalement en dehors des prisons ?

Pensez-vous qu’il serait utile d’autoriser le traitement à la méthadone en soins de ville ? Alors que tout médecin peut prescrire de la buprénorphine, comme substitut aux opiacées, il faut, pour la méthadone, aller dans des centres qui n’existent pas sur tout le territoire : aussi certains toxicomanes ne peuvent-ils pas bénéficier de traitement méthadone en initiation.

Monsieur Barbier, les conclusions du plan gouvernemental ne sont pas connues d’avance, contrairement à celles de la mission d’information bicamérale – Sénat, Assemblée nationale – sur la mise en place des salles de consommation, à laquelle j’ai appartenu. Nous ne faisons aujourd’hui que prendre connaissance d’un rapport : le plan gouvernemental sera présenté par Mme Jourdain-Menninger, une fois les arbitrages rendus en haut lieu.

M. Jean-Louis Touraine. Je tiens, au nom du groupe SRC, à vous féliciter, monsieur le professeur, pour la qualité et la pertinence de votre rapport, qui réjouit tous ceux qui militent, ici même, depuis de nombreuses années, pour une politique de santé publique rénovée et ambitieuse alliant prévention et accompagnement.

Vous insistez sur l’importance qu’il y a à dépasser la barrière traditionnelle entre addictions licites et illicites afin d’étudier les dommages importants qu’elles causent ensemble en termes de santé publique. Vous avez raison de qualifier l’alcoolisme et le tabagisme de fléaux sociaux.

Votre rapport met également en évidence l’échec des politiques de prévention menées jusqu’à aujourd’hui et leur inefficacité auprès des publics les plus touchés et les plus vulnérables – les jeunes, notamment les étudiants soumis à des pressions diverses, les femmes, de plus en plus concernées par les addictions, les chômeurs et les personnes touchées par la précarité sociale.

Je rappellerai aux députés de l’ancienne majorité que, entre 2005 et 2010, le nombre de fumeurs a connu sa première hausse importante depuis la mise en œuvre de la loi Évin en 1991. Le rapport nous alerte également sur la modification des comportements liés à la consommation d’alcool, avec une consommation particulièrement importante chez les jeunes – le binge drinking –, dont nous évaluons encore mal les conséquences sanitaires.

L’alcool et le tabac sont les deux premières causes de mortalité évitable, une mortalité qui touche parfois des sujets relativement jeunes. Vous soulignez l’inadaptation de notre offre de soins face à ce fléau. En 2011, le nombre de séjours hospitaliers liés à l’alcool s’élevait à quelque 800 000, pour plus de 400 000 patients.

Non seulement la moitié de ces personnes dépendantes ne restent environ que deux jours à l’hôpital, mais, le plus souvent, ressortent sans avoir été prises en charge pour leur addiction ni intégrées à une filière de soins, ce qui conduit à des récidives systématiques. Alors que ces personnes auraient besoin d’une prise en charge adaptée, elles se retrouvent dans des services d’urgence surchargés et incapables de leur apporter la réponse médicale qui convient. Quelles mesures préconisez-vous pour faire évoluer les services d’addictologie mis en place depuis quelques années dans les hôpitaux et favoriser le traitement des personnes dépendantes ?

Denis Jacquat et moi-même ne pouvons que nous féliciter de voir votre rapport réitérer certaines des propositions que nous avions formulées dans un rapport d’évaluation des politiques de lutte contre le tabagisme, en particulier le remboursement intégral des produits d’aide à l’arrêt du tabac. Convaincu que cette mesure est la plus à même de réduire efficacement le nombre de fumeurs en organisant un véritable parcours d’aide au sevrage, j’espère que le projet de loi de financement de la sécurité sociale vous entendra sur ce point. La dépendance au tabac a été biologiquement analysée comme telle. Son sevrage demandant des efforts souvent réitérés, il est nécessaire que la prise en charge porte non pas sur une seule tentative mais sur toutes les tentatives nécessaires à un arrêt définitif.

Vous évoquez également le respect insuffisant de la législation sur la publicité, qui est contournée quotidiennement. Il est donc nécessaire de renforcer, notamment sur Internet, la lutte contre cette publicité néfaste.

Il est important de considérer les pathologies liées aux addictions comme des maladies chroniques, de longue durée, nécessitant une éducation thérapeutique organisée et prolongée.

La taxe doit être uniforme pour tous les produits du tabac – cigarettes, cigares, tabac à rouler – et il serait logique que les produits de cette fiscalité soient reversés à la prévention, aux soins et à la recherche.

Avez-vous des informations à nous transmettre sur le calendrier de la mise en place de vos propositions ?

M. Bernard Perrut. Nous sommes tous conscients des dommages causés par les addictions pour soi-même, pour autrui et pour la société – maladies, vies perdues, comportements dangereux –, la consommation pouvant conduire du plaisir à la dépendance. Nous vous rejoignons s’il s’agit de diminuer la dangerosité de certains produits et d’agir sur les populations les plus vulnérables et les situations à risque dans le cadre d’une véritable politique de santé publique qui passe par la prévention, l’accès aux soins et le soutien aux personnes concernées et à leurs proches.

Toutefois, on peut s’interroger sur la présentation globale de tous ces produits dans le rapport. Pour vous, l’alcool devient le produit le plus dangereux devant l’héroïne, la cocaïne et le tabac, en raison du nombre élevé de consommateurs et de l’importance de l’alcoolisation ponctuelle des jeunes, alors même que la consommation quotidienne diminue. Ne faut-il pas distinguer les alcools forts du vin ?

La filière viticole est particulièrement responsabilisée : elle a engagé depuis plusieurs années des actions concrètes de prévention, d’éducation et de communication responsable. Elle a d’ailleurs sollicité au mois de février dernier la ministre de la santé sur le travail du Conseil de la modération et de la prévention, qui ne s’est toujours pas réuni depuis la mise en place du nouveau gouvernement. La filière viticole a également demandé à la ministre une campagne d’information nationale sur les repères de la modération par l’intermédiaire de l’INPES – toutes demandes qui sont demeurées sans réponse.

La lutte contre l’alcoolisme portait jusqu’à présent essentiellement sur les comportements abusifs : or les mesures proposées ne laissent pas d’interroger la profession. S’il s’agit de faire diminuer la consommation globale, faut-il y arriver en culpabilisant tous les consommateurs, y compris ceux qui consomment de manière responsable ? Vos propositions pourraient conduire à infantiliser les citoyens en privilégiant des mesures d’interdiction au détriment de messages de responsabilité. Certaines mesures peuvent paraître simplistes, comme l’augmentation de la fiscalité qui est considérée comme la solution aux maux de la société. D’autres sont choquantes, lorsqu’elles présentent l’alcool comme le produit le plus dangereux alors qu’il s’agit du deuxième secteur exportateur français, qui est un patrimoine non seulement économique mais également culturel et gastronomique. N’oublions pas que ce secteur, ce sont 500 000 hommes et femmes, qui travaillent dur et avec fierté sur les territoires au sein de 87 000 exploitations. On ne saurait les ignorer.

Vos propositions fiscales auraient pour effet d’augmenter de 30 à 60 centimes d’euro le prix d’une bouteille – une augmentation insupportable pour la profession. Vous proposez également de revenir sur la publicité sur Internet. Il faut savoir que les messages publicitaires de la profession sont responsables et que celle-ci s’est engagée dans des actions, je pense notamment à celles menées dans le cadre de Vin et Société, qui permettent d’associer des professionnels de la viticulture, des hommes de santé et des élus des territoires.

Mon point de vue n’est pas uniquement partagé par les députés de l’actuelle opposition, puisque la présidente du groupe d’études sur la viticulture, Catherine Quéré, députée socialiste de la troisième circonscription de la Charente-Maritime, vient d’adresser au Premier ministre une lettre dans laquelle elle évoque le « caractère caricatural » des arguments développés dans le rapport du professeur Reynaud, ajoutant que ses mesures sont « culpabilisatrices », « infantilisantes », « simplistes » et « choquantes ». Des représentants de la majorité considèrent donc eux aussi que les propositions du rapport sont « inconcevables » et demandent : « Veut-on tuer la filière vin ? »

Monsieur le professeur, nous sommes à vos côtés pour toutes les mesures nécessaires à la santé et à la modération. En revanche, nous nous opposons aux mesures simplistes qui conduiraient à nuire à une filière qui constitue une activité économique et un patrimoine. N’agissons pas n’importe comment : c’est ainsi que nous réussirons.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Monsieur Perrut, je n’ai jamais prétendu que c’était le propre de l’opposition de défendre les régions viticoles. J’ai même rappelé que la généralisation de la publicité pour l’alcool sur Internet avait été votée par des députés de droite et de gauche qui voulaient sauver des pieds de vigne – c’est tout à leur honneur –, pendant que d’autres cherchaient à éviter que des adolescents n’aillent s’écraser contre des platanes le samedi soir.

M. Francis Vercamer. Ce rapport m’a fort intéressé, les addictions étant de véritables fléaux sociaux. Vous avez oublié d’évoquer la progression des addictions au travail, qui présentent des risques au sein des entreprises ou sur la route – c’est le thème de l’avis budgétaire que je présenterai à la rentrée.

Depuis longtemps, nous attendons une véritable politique de santé publique, mais son coût est le principal obstacle à sa mise en place. Je crains fort que le Gouvernement ne retienne de votre rapport que la partie fiscale tout en en oubliant la partie « santé publique » – c’est souvent hélas le cas, quel que soit le gouvernement en place.

J’ai remarqué que les diapositives qui accompagnaient votre présentation ne correspondaient pas toujours au rapport qui nous a été remis. Est-ce pour éviter de nous braquer ?

J’ai l’impression que votre rapport minimise les dommages liés au cannabis par rapport à ceux qui sont causés par l’alcool. Les deux problèmes sont prégnants à mes yeux, d’autant que le cannabis est une étape vers des drogues plus dures. Aussi convient-il de continuer de lutter contre la consommation de cannabis, alors que votre rapport laisse penser qu’il faudrait substituer la lutte contre l’alcool à celle contre le cannabis. Du reste, vous êtes favorable à la dépénalisation de cette drogue : c’est un vrai sujet de société, car si la consommation de cannabis ne faisait plus l’objet que d’une contravention, ses consommateurs en concluraient que sa dangerosité n’est pas si importante qu’on le dit – c’est le sentiment qui se répand chaque fois qu’un membre du Gouvernement ou une quelconque autorité évoque une dépénalisation.

La partie « éducation » du volet « prévention » est absente du rapport, alors que la plupart des changements de comportements se font par le biais des enfants. L’Éducation nationale ne pourrait-elle pas enseigner aux jeunes les méfaits des usages des drogues licites et illicites ? Dûment renseignés sur les véritables dommages causés par les différents types d’addictions, les jeunes pourraient intervenir auprès de leur famille. Il n’est pas vrai, par exemple, que les effets du cannabis sont largement connus : nombreux sont ceux qui pensent encore que sa consommation ne présente aucun danger.

Le rapport souligne que, à l’heure actuelle, la fiscalité comportementale n’est pas cohérente puisqu’elle ne prend en compte ni les vraies addictions ni les problèmes de santé induits, mais dépend de la puissance ou du manque de puissance des groupes de pression. J’avais déposé, l’année dernière, un amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 visant à demander une étude d’impact sur les taxes comportementales – le Conseil constitutionnel a invalidé l’amendement. Rien n’empêcherait toutefois la remise d’un tel rapport ! Pourriez-vous ajouter cette proposition à votre propre rapport, monsieur le professeur ? Venant de vous, elle aura plus de poids que venant d’un député de l’opposition.

Comme elles ne sauraient être soumises à des taxes comportementales, que proposez-vous pour lutter contre les drogues illicites ?

M. Jean-Louis Roumegas. Il faut dépasser les débats idéologiques pour faire preuve de pragmatisme. Les blocages existent de part et d’autre.

Il est à mes yeux essentiel que le rapport confirme la politique de réduction des risques comme la vraie piste de lutte contre les addictions, avec une prise en charge à la fois sanitaire et sociale. La politique de réduction des risques est en effet loin d’être acquise dans le milieu médical et fait encore l’objet de controverses dans le milieu scientifique : les professionnels de santé ont parfois subi l’ostracisme de leurs ordres quand ils pratiquaient des politiques de réduction des risques. Des pharmaciens ont ainsi subi les foudres de leur ordre lorsqu’ils distribuaient des produits de substitution.

La contrepartie évidente de cette politique doit être la dépénalisation de l’usage : on ne saurait en effet considérer celui qui est victime d’une addiction à la fois comme un malade et comme un criminel. Il faut être cohérent : il convient de dépénaliser l’usage sans pour autant abandonner la lutte contre les trafics. Les comportements addictifs ne doivent plus être criminalisés. Le public ne comprendrait pas qu’on n’aille pas jusqu’au bout de cette logique.

Si je ne suis pas opposé par principe aux taxes comportementales, chacun sait que leur effet dépend de leur importance : une taxe supplémentaire de 30 à 60 centimes d’euro sur une bouteille de vin de dix euros n’aura aucun effet sur le comportement des consommateurs. Alors que je proposais des taxes comportementales sur d’autres produits que l’alcool ou les drogues licites, comme les produits sucrés ou les boissons énergisantes, Mme la présidente m’a répondu que les Français n’y verraient qu’un moyen de créer de nouvelles taxes. Comme on ne peut se permettre de doubler ou de tripler le prix de certains produits, pourquoi créer des taxes symboliques qui sont sans effet ?

Mme la présidente Catherine Lemorton. Si l’adoption de nouvelles taxes légères sur l’alcool ne modifie pas les comportements, alors la filière n’est pas en danger.

M. Jean-Louis Roumegas. Ce qui est important à mes yeux, c’est qu’elles ne modifieront pas les comportements : mon propos est d’ordre sanitaire.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Ces taxes serviront à remplir les caisses de l’État.

Mme Jacqueline Fraysse. Je tiens à souligner la qualité de ce rapport, qui contribue à mieux analyser les raisons pour lesquelles les politiques de prévention n’ont pas jusqu’à présent porté tous leurs fruits. Il doit nous permettre de dégager des propositions visant à surmonter la situation.

Mes chers collègues, il ne faudrait pas confondre, au nom de la défense des productions alcooliques en France, une consommation équilibrée et l’addiction. Personne ici ne veut détruire la filière vinicole ou celle des boissons alcoolisées.

Nous sommes dans le registre de l’inadaptation de l’offre de soins, voire de sa méconnaissance, y compris par les soignants eux-mêmes, alors même que les moyens qui permettraient de surmonter ces fléaux, dont le coût économique et humain est très élevé, sont insuffisants. De trop nombreux jeunes sont victimes d’addictions, dont ils garderont des séquelles toute leur vie.

Je suis intéressée par votre réponse à la question de notre présidente sur la méthadone : c’est un sujet qui nous est souvent posé.

Je suis sensible à votre approche de l’addiction qui consiste à partir de la demande et de la situation de l’intéressé, à l’écouter et à favoriser la politique des petits pas, et non plus à se contenter de proposer le sevrage. Je suivrai avec beaucoup d’attention le plan gouvernemental, dont nous ignorons encore le contenu. Une véritable politique en la matière exigera des moyens financiers dont nous aurons à débattre dans le cadre des prochains projets de loi de financement de la sécurité sociale et projets de loi de finances : il s’agit en effet de développer la prévention, les soins et le suivi – les addictions devant être suivies, pour la plupart d’entre elles, tout au long de la vie.

Mme la présidente Catherine Lemorton. C’est d’autant plus vrai qu’une personne confrontée à l’addiction conserve en elle des marqueurs gardant la mémoire de celle-ci.

Mme Chaynesse Khirouni. Vous prenez position en faveur des salles de consommation à moindre risque, dites « salles de shoot », et montrez que la stigmatisation des usagers et le tout répressif à l’encontre des pratiques addictives sont inutiles et même contre-productives pour la santé publique, dans la mesure où ils favorisent la prise de risque des usagers et la survenue des maladies. Pourtant, l’annonce de l’ouverture d’une salle de ce type dans le Xe arrondissement de Paris a suscité beaucoup de réticences. Quelles mesures préconisez-vous pour convaincre l’opinion publique que ces salles sont bénéfiques aux usagers et à la société dans son ensemble ?

M. Élie Aboud. L’esprit de la « loi HPST » de 2009 était de définir des sites pour l’œnotourisme, les producteurs et les marchands en ligne, car nous étions confrontés à des intégristes de l’administration sanitaire qui voulaient tout interdire. Je ne subis pas la pression des lobbies du Midi rouge. Mais, selon un rapport de l’Agence française de l’ingénierie touristique (AFIT) – organisme objectif et indépendant des lobbies –, un touriste sur deux vient dans ma région pour la qualité de son vin.

Par ailleurs, comment demander aux industriels du tabac ou de l’alcool de participer au financement des structures préventives, associatives ou publiques, sans en être partenaires ?

Enfin, s’agissant des « salles de shoot », on connaît l’effet délétère des drogues sur les jeunes : comment dès lors opérer une dépénalisation dans ce domaine ?

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je voudrais rappeler à nos collègues qui n’étaient pas présents lors de l’examen de la « loi HPST » les deux amendements qui nous avaient été présentés : le premier tendait à interdire toute publicité d’alcool sur Internet, sauf sur les sites dédiés cités par le professeur Reynaud ; le second – qui a été finalement adopté, par des députés de droite comme de gauche – autorisait la publicité pour l’alcool sauf pour les sites dédiés à la jeunesse et aux sports. Or le premier encadrait davantage la publicité dans ce domaine.

M. Michel Liebgott. Monsieur le professeur, votre exposé a le mérite de la clarté, mais on aurait pu aussi mentionner le café et la boulimie.

S’agissant de l’alcool, boire plus de trois verres pour les hommes ou plus de deux verres pour les femmes constitue en effet un danger. Ne faudrait-il pas interdire purement et simplement ce qui est nocif pour la santé ou crée une addiction ? On sait bien, par exemple, que l’économie liée au Tour de France induit certaines conduites de dopage. Plus généralement, la création de richesses tend à maintenir certaines autorisations de substances susceptibles de créer des addictions.

Au-delà de la définition de seuils, faut-il aller jusqu’à l’interdiction totale ? Je suis, pour ma part, plus favorable à une politique graduée, sachant que les gens doivent être informés et responsabilisés.

Mme Isabelle Le Callennec. La déclaration du ministre de l’éducation nationale sur la dépénalisation du cannabis me gêne, de même que la création des « salles de shoot » ou la suppression de l’obligation de disposer d’éthylotests dans les véhicules. Ce ne sont pas des signaux positifs envoyés aux familles qui doivent se battre contre les addictions.

Vous préconisez une prévention et une action ciblées notamment sur les jeunes ainsi que sur les patients atteints de troubles mentaux. Que fait-on dans les hôpitaux psychiatriques pour lutter contre les dommages des addictions ?

Les centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) sont efficaces. Or, pour que le plan gouvernemental annoncé réussisse et corresponde aux objectifs de la MILDT en matière de prévention, de répression et de soins, il faudra des moyens. À cet égard, les équipes pluridisciplinaires travaillant dans ces centres, qui sont plus de 800 en France, font part de multiples besoins et les actions de ceux-ci ne sont pas toujours pérennisées. Proposez-vous de renforcer ces organismes ?

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je rappelle que, au cours de la précédente législature, l’opposition avait proposé par amendement que ces CSAPA sortent du statut spécifique conduisant à les remettre en cause tous les trois ans.

M. Olivier Véran. Quand j’entends certains collègues intervenir sur le problème de l’addiction en se livrant à une promotion de la filière viticole ou de la consommation d’alcool, j’en tire deux conclusions : d’une part, on doit se réjouir que la France ne soit pas un pays producteur d’héroïne et, d’autre part, le métier d’addictologue a probablement de beaux jours devant lui !

Toutes les campagnes de prévention auprès du grand public sont par essence inégalitaires, dans la mesure où elles touchent moins les populations les plus précaires. S’agissant de la prévention ciblée, quels vecteurs préconisez-vous ? À quel âge devrait-on concentrer l’effort en matière d’information, d’éducation et de prévention, et quel rôle souhaitez-vous conférer aux familles dans ce dernier domaine ?

Depuis un an, le Parlement a traité du décrochage scolaire, de l’éloignement de l’emploi des jeunes sans qualification, de l’accès au logement social ou aux soins et de la sécurité, mais il faut également faire porter notre effort sur l’éducation à la santé, sur la prévention et la prise en charge des addictions, notamment dans les milieux sociaux les plus défavorisés. Vous parlez de dispositifs sociaux peu ou pas équipés pour dépister et suivre les addictions et vous appelez à mettre en place des centres ressources. Les moyens sont-ils à la hauteur de l’enjeu ? Avez-vous des propositions à faire en matière de réglementation pour vous permettre d’être plus efficaces et opérationnels dans vos différentes missions ?

M. Rémi Delatte. Parmi les actions à mettre en œuvre pour lutter contre l’addiction, la formation a une dimension importante. À cet égard, les interactions entre la santé, la police et la justice que vous exposez à la page 26 du rapport sont pertinentes. Une expérimentation a été conduite dans ce domaine dans un territoire urbain de ma circonscription : alors que les jeunes arrêtés sur la voie publique en état d’ivresse sont normalement verbalisés, voire mis en cellule de dégrisement, on leur propose une alternative pédagogique, à condition qu’ils s’engagent à consulter à leurs frais un médecin généraliste spécialisé dans les problèmes addictifs afin de faire le point sur leur consommation d’alcool et autres produits toxiques. Un tel dispositif gagnerait-il selon vous à être généralisé ?

Par ailleurs, de plus en plus de bars à narguilé s’installent dans les villes : quel regard scientifique portez-vous sur ce phénomène de mode et quels risques présente-t-il en termes d’addictologie ?

Mme Martine Carrillon-Couvreur. Nous nous interrogeons depuis plusieurs années sur la consommation excessive de certains produits et les effets des addictions. Or les campagnes d’information ont montré leurs limites.

S’agissant des interventions précoces, notamment auprès des jeunes, quelles seraient les actions prioritaires à mener ? À partir de quel âge ? Qu’en est-il s’agissant des étudiants, qui peuvent rencontrer des difficultés particulières ?

Pour réduire les consommations, il faut bien sûr éduquer et accompagner, mais aussi responsabiliser les personnes : comment améliorer l’action dans ce domaine, que ce soit auprès des publics vulnérables ou du grand public ?

À cet égard, le secteur viticole doit notamment être pris en considération : avez-vous recueilli l’avis des producteurs ou des associations travaillant sur ces questions ?

Mme Véronique Louwagie. Vous avez indiqué que l’alcool est le produit le plus dangereux, entraînant des dommages sanitaires et sociaux majeurs. Mais son usage modéré est admis et ne procure pas de tels dommages. Ne faut-il pas lutter contre l’abus et non contre l’usage ? Si tel est le cas, je regrette cette absence de nuance dans votre rapport.

Selon un tableau sur l’efficacité des politiques publiques évaluées et validées figurant à la page 56 de celui-ci, tout ce qui ne relèverait pas de la réglementation ou du traitement médical serait d’une efficacité moindre, voire nulle. Il en est ainsi de la formation des serveurs, de l’éducation en classe ou de la régulation des contenus de la publicité. Finalement, vous contestez l’efficacité de la prévention, alors que beaucoup de nos collègues l’appellent de leurs vœux. Pensez-vous qu’un usage excessif de celle-ci soit inutile ?

Enfin, vous préconisez de mettre fin au plan d’avenir des buralistes. Cette proposition ne me paraît pas pertinente, car elle n’a pas de lien avec l’addiction ou l’évolution des consommations : le plan tend seulement à soutenir économiquement une filière.

M. Gérard Sebaoun. Je voudrais vous interroger sur les addictions liées aux jeux de hasard, où l’État est pourtant, dans sa mission de collecteur d’impôts, le principal acteur. Un basculement s’est opéré entre les jeux à l’ancienne – tels que la fréquentation des hippodromes et des casinos – et les nouveaux jeux, qui entraînent un isolement immédiat et touchent l’ensemble de la population : ainsi, nombre de joueurs ne fréquentent plus les hippodromes mais jouent devant leur téléviseur en regardant la chaîne spécialisée Equidia. Une telle distinction est-elle licite ? Je ne crois pas que l’Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL) puisse beaucoup agir en la matière et suis donc, à titre personnel, favorable à l’interdiction de ces jeux.

Mme Bérengère Poletti. Vous écrivez que « l’augmentation des alcoolisations aiguës chez les jeunes, la stabilisation à un haut niveau de l’usage du cannabis […] devraient amener notre société à regarder les choses autrement » : nous sommes en effet confrontés tous les jours dans nos permanences à ces sujets. La consommation excessive d’alcool est terriblement délétère et nous devons en comprendre les causes. Malheureusement, la dépénalisation du cannabis serait un mauvais signe donné au regard du combat que nous devons mener contre l’alcoolisme.

Il est vrai aussi que « les consommations de produits psychoactifs et les pratiques liées à des recherches de satisfaction immédiate sont inhérentes à la condition humaine ». S’il convient de réduire les abus dans ce domaine, s’agit-il seulement de « satisfaction immédiate » ou bien, plutôt, de comportements de fuite dans une société devenue difficile, notamment pour les jeunes ? L’éducation par la famille ne doit-elle pas avoir un rôle essentiel ? N’est-il pas illusoire de vouloir réduire la consommation excessive de produits psychoactifs sans en combattre les raisons ?

Que recommandez-vous en matière d’alcoologie fœtale, notamment s’agissant de la formation des personnels médicaux ?

Enfin, la fiscalité peut être un outil dangereux sur le plan économique : en région frontalière et du fait d’Internet, il donne lieu à des trafics. Qu’en pensez-vous ?

Mme Hélène Geoffroy. Je voudrais vous remercier pour la qualité pédagogique de votre exposé.

Les travailleurs sociaux et professionnels et les élus locaux sont souvent confrontés à des situations de précarité forte, auxquelles s’ajoutent ces phénomènes d’addiction. Or une dynamique d’insertion peut être envisagée lorsque est traitée l’addiction, alors que la tendance naturelle est de renvoyer les personnes concernées vers les dispositifs liés aux handicaps. Quelles sont vos préconisations pour mieux articuler le travail d’insertion socioprofessionnelle et le soin ?

Par ailleurs, les cités connaissent une plus forte précarité et des inégalités plus importantes : quelles mesures recommandez-vous dans ces endroits où le soin apporté est peut-être moins important en raison d’un moindre nombre de médecins, notamment envers les publics les plus jeunes confrontés à des situations d’errance ?

M. Arnaud Robinet. J’ai été stupéfait, madame la présidente, de vous entendre dire que certains d’entre nous préféraient sauver des pieds de vigne plutôt que les jeunes qui risquent de se tuer contre des platanes après des soirées arrosées !

Monsieur Véran, je suis fier de défendre et de promouvoir notre filière viticole, qui est importante dans notre économie, notre tradition et notre histoire.

Votre rapport, monsieur le professeur, n’est pas la première tentative de promouvoir la dépénalisation de l’usage du cannabis. Il se fonde sur un réquisitoire peu équilibré et sans nuance contre l’alcool et les producteurs de boissons alcoolisées. S’il comprend de nombreuses propositions positives, telles que celles concernant le développement de la prévention ciblée, elles ne semblent pas concerner l’alcool ; ce produit doit, selon vous, faire avant tout l’objet d’un renforcement tous azimuts des mesures existantes, qu’il s’agisse de la réglementation ou du niveau de fiscalité.

En fait, ce rapport présente deux faiblesses principales : d’une part, il ne reconnaît pas la spécificité de l’alcool par rapport aux autres produits – nous devons, à cet égard, responsabiliser ceux de nos concitoyens qui présentent une forme d’addiction et être intransigeants vis-à-vis de ceux qui sont à l’origine d’infractions ou d’accidents – et, d’autre part, il développe un discours très complaisant sur le cannabis et plutôt néo-prohibitionniste sur l’alcool.

Quel est l’impact de la hausse de la fiscalité en la matière ? Est-il vraiment positif, notamment dans les régions frontalières, compte tenu de la difficulté des contrôles et des risques de contrebande et de commerce de produits encore plus nocifs ?

Enfin, quel est votre avis sur l’ouverture des « salles de shoot » ainsi que sur les cigarettes électroniques, qui ont récemment fait l’objet de mesures préventives ?

M. Gérard Bapt. En ce qui concerne l’alcool, il ne faut pas tomber dans la caricature, comme l’a fait Bernard Perrut. Je ne suis pas un ennemi du vin et de la viticulture, mais la modération de la consommation d’alcool est un réel enjeu de santé publique.

S’agissant de la prévention, j’ai apprécié ce que vous avez proposé, monsieur le professeur, sur le ciblage des populations à risque, chez lesquelles on peut développer le goût de telle ou telle consommation. On peut noter à cet égard combien il est scandaleux que des fabricants de cigarettes introduisent des saveurs particulières pour attirer les jeunes : des mesures réglementaires fortes doivent être prises à cet égard.

Au sujet du sevrage, des études récentes ont montré que la prise en charge à 100 % de l’aide au sevrage tabagique présentait un bénéfice social et économique considérable pour l’assurance maladie. Cette mesure devrait notamment être proposée à l’occasion d’une prochaine loi de santé publique.

Enfin, la France est caractérisée par un record de consommation des psychotropes, notamment des benzodiazépines. Cela tient à un problème de formation hospitalo-universitaire et au fait que les prescriptions relèvent du mésusage. Des mesures plus directives peuvent-elles être prises en la matière ?

M. Jean-Pierre Barbier. J’ai été un peu surpris par l’exposé médico-politique que vous avez fait, monsieur le professeur, sur ce qu’a réalisé la précédente majorité, d’autant que vous avez indiqué, en préambule, avoir une approche objective, reposant sur des faits. J’ai dit que les conclusions étaient déjà écrites, car elles risquent d’être plus politiques qu’objectives.

Si je suis préoccupé, comme tous ici, par les phénomènes d’addiction, je crois qu’il s’agit plus d’un problème sociétal que d’un problème médical. Dans la fiche 9 de votre rapport, vous considérez que la solution réside dans les structures et l’hospitalisation. Or, quand on connaît le nombre de rechutes, on peut se demander ce qui se passe dans le cadre ambulatoire, alors que la tentation est dans la rue : rien ne semble être proposé à cet égard, notamment sur le suivi des patients. L’augmentation de la fiscalité, qui est la mesure phare proposée en matière de prévention, a des effets limités. Elle a été largement utilisée pour le tabac : or la consommation dans ce domaine a encore augmenté.

M. Denys Robiliard. Il faut en effet continuer à lutter contre l’alcoolisme. Vous dites que l’assiette des taxes sur les alcools devrait être fixée par rapport au degré ou à la quantité d’alcool. On observe en effet un fort écart dans la taxation des différents produits en fonction de leur degré : le vin serait ainsi taxé à 0,35 euro par litre, contre 15 euros par litre pour le whisky ou les alcools à 40 degrés. Un alignement sur le taux le plus important conduirait donc à taxer le vin à ce dernier montant.

Dans le même temps, vous expliquez dans les fiches 1 et 11 que la consommation d’alcool en France a diminué, principalement en raison d’une réduction de la consommation quotidienne de vin. Le problème actuel tiendrait à une consommation ponctuelle par des jeunes et à une augmentation de la consommation des femmes, qui ne concernent pas a priori le vin. Comment expliquez-vous cette réduction de la consommation de vin alors qu’il est moins taxé ? La généralisation de la taxation en fonction du degré d’alcool permettrait-elle de se concentrer sur les cibles spécifiques que vous jugez préoccupantes ?

M. Gilles Lurton. Le travail des associations qui prennent le relais des hospitalisations de plus ou moins courte durée et suivent les malades dans le temps a permis a beaucoup d’entre eux de s’en sortir et de retrouver une vie sociale et familiale normale.

Je ne voudrais pas que nos observations sur l’unification de la taxation sur les vins et les autres alcools fassent l’objet de railleries, car nous devons préserver un patrimoine culturel dans ce domaine, d’autant que le secteur vinicole représente 8 milliards d’euros d’excédents dans la balance commerciale française.

Il faut faire une différence entre le vin et les alcools forts. J’ai organisé dans ma ville une opération de ramassage des bouteilles à la suite des soirées de jeunes pendant l’été : il ne s’agissait jamais de bouteilles de vin, mais de vodka ou d’alcool mélangé – une consommation qui provoque des désastres.

Mme la présidente Catherine Lemorton. On y trouve aussi des bouteilles de bière…

Mme Bernadette Laclais. Votre rapport est très riche. J’ai été étonnée par les conséquences de l’association de l’alcool à d’autres types de drogue sur les accidents de la route. Selon certains médecins toxicologues, on rencontre de fait de plus en plus de mélanges inédits très forts, touchant aussi bien des garçons que des filles et ayant des effets très graves. Faites-vous des recommandations particulières au sujet de ces formes de multi-addictions ?

Face à l’ivresse publique, les collectivités territoriales sont désarmées : s’il est possible de sanctionner l’infraction, de soumettre les personnes concernées à une visite médicale et de recourir à une cellule de dégrisement, cela ne conduit pas pour autant à une prise en charge des malades ; ceux-ci n’ont d’ailleurs souvent pas les moyens de payer les amendes. Il serait intéressant de réfléchir à une adaptation de la législation, car ce problème a des conséquences extrêmement difficiles à gérer pour les responsables des collectivités.

M. Pierre Morange. Concernant les évaluations des politiques publiques évoquées aux pages 56 et 57 du rapport, les références internationales citées me semblent douteuses. En effet, la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) que je copréside avait, lors de la précédente législature, traité de l’évaluation en matière de santé publique et de prévention. Au-delà des constats classiques sur la gouvernance, la rationalisation de l’argent public et la diversité des objectifs retenus, nous avions conclu, en nous appuyant sur une riche documentation internationale et diverses expérimentations, à l’intérêt incontestable de l’éducation sanitaire obligatoire. Or vous indiquez que l’éducation en classe a une efficacité nulle : cela me paraît être une totale contrevérité scientifique.

M. le Professeur. Le débat a un peu progressé : même si l’on retrouve certains blocages habituels, les questions ont pris une tournure différente, ce qui me réjouit.

Madame la présidente, dans le « binge drinking », on trouve majoritairement des alcools industriels, notamment de la bière. Il peut y avoir aussi du vin, mais il ne s’agit pas du produit principal.

L’alcool et le cannabis représentent les deux problèmes les plus graves. Ils entraînent peu d’addictions : moins de 5 % des consommateurs sont dépendants, mais l’alcool étant très consommé, il provoque des dommages relativement importants. Il faut apprendre aux consommateurs à faire la distinction entre consommation et addiction et à savoir à partir de quand ils doivent essayer de modifier leur comportement.

Quant à la prise en charge des seringues en prison, nous l’avons évoquée avec les spécialistes de la justice et de la police et elle a suscité de vastes débats ; nous l’avons proposée de façon expérimentale. Si tous les acteurs considèrent qu’elle conduit à une diminution des infections dans le milieu pénitentiaire, elle suscite des inquiétudes importantes chez les gardiens de prison : il faut donc procéder prudemment.

Par ailleurs, l’expérience a montré que la délivrance de la méthadone en ville serait utile sous certaines conditions de formation et de contrôle des médecins amenés à la prescrire. Cela étant, une politique de réduction des risques peut toujours être perçue comme une autorisation à consommer ou une forme de laxisme, alors que les acteurs de soins constatent au contraire que, globalement, quelles que soient les mesures prises, une telle politique diminue les dommages.

Monsieur Touraine, si l’approche sur les addictions date des années 2000, elle a été reprise par les gouvernements successifs. Cependant, le plan addiction élaboré sous le Président Chirac n’a pas figuré parmi les priorités du Président Sarkozy, et nous avons vu sur le terrain que cela s’est traduit par une diminution notable des investissements. Si ce plan n’est pas repris au plus haut niveau, les mêmes mécanismes de blocage, notamment sur la fiscalité ou le coût des soins, réapparaîtront.

Pour la prévention et l’action précoce, il faut développer les soins aux urgences, dans les hôpitaux avec les équipes de liaison, dans les CSAPA et par les médecins généralistes dans le cadre de réseaux de soins comportant obligatoirement un volet addictions. Sur les 450 questions de l’internat, une seule portait sur l’ensemble des addictions, ce qui montre que les médecins ne sont guère formés à ce sujet. Cela étant, petit à petit, leur entrée à l’hôpital et à l’université leur permet d’être plus compétents sur ces pathologies, de s’y intéresser et de considérer qu’elles font partie de leurs pratiques. Mais à Lyon, par exemple, il n’y a pas de service d’addictologie à l’université, faute de culture universitaire dans ce domaine.

S’agissant du calendrier, Mme Jourdain-Menninger devrait rendre public son plan début septembre.

Monsieur Perrut, je suis parfaitement conscient de la richesse du patrimoine vini-viticole et je sais combien il attire les touristes. J’ai moi-même plaisir à consommer du vin. Toutefois, l’approche binaire, schizophrénique, consistant à dire que c’est excellent, mais que certains en souffrent et doivent être soignés, n’est pas cohérente. Si l’on souhaite que la consommation d’alcool soit moins nocive, il faut faire prendre conscience que ce produit est globalement dangereux. Même les consommations limitées doivent susciter l’attention, de façon à éviter toute banalisation – nous avons un large débat avec la filière vini-viticole sur la modération, sur lequel nous pourrons revenir. En effet, le risque augmente même avec des petites quantités – c’est le cas pour l’alcoolisme fœtal –, et ce, de façon exponentielle. Au-delà de cinq à dix verres, le danger devient important.

Cela pose la question du rapport entre les bénéfices et les risques – entre le plaisir pris à consommer et le risque acceptable pour un individu et la société. J’ai essayé de ne pas être culpabilisant, infantilisant ni trop coercitif.

S’agissant de l’éducation et de la prévention, les données dont nous faisons état ont été élaborées par des spécialistes pour l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui montrent que l’information n’apparaît pas comme ayant une efficacité directe, ce qui ne veut pas dire qu’elle n’est pas nécessaire pour créer un fond de compréhension sociale. Les mesures enregistrant la plus grande efficacité sont celles tenant aux soins et aux restrictions de l’offre. Je rappelle que 90 à 95 % de consommateurs d’alcool et de cannabis ne subissent pas de dommage.

En ce qui concerne la fiscalité, j’ai repris les analyses des spécialistes. Pour le tabac, son augmentation entraîne une diminution de la consommation, mais pas telle qu’elle est conçue : une hausse de la fiscalité de 1 % n’aura jamais d’effet, contrairement à celle de 10 à 15 % réalisée en 2007. Cela étant, elle pose en effet d’autres problèmes, tels que le développement des trafics, la possibilité de se fournir sur Internet et le fait que cela met les plus pauvres en difficulté.

Ces questions se poseraient de la même façon pour l’alcool si l’on augmentait la fiscalité qui le frappe.

Reste que, selon les études, l’augmentation du prix entraîne une diminution de la consommation. Si ce n’était pas le cas, la filière viticole ne serait pas inquiète.

M. Jean-Louis Roumegas. La question est de savoir si cela permet de modifier les comportements.

M. le Professeur. Cela permet en effet de les modifier un peu.

M. Gérard Bapt. C’est surtout le cas chez les jeunes.

M. le Professeur. Oui, surtout ceux qui ont moins d’argent. L’effort doit d’ailleurs porter prioritairement sur les jeunes, notamment les moins de 18 ans, ce qui est compliqué car il est difficile d’interdire la vente et la consommation d’alcool et de tabac à cet âge. Une proposition tend à demander aux acheteurs de moins de 25 ans de montrer leur carte d’identité, comme cela s’est fait dans les pays d’Europe du Nord, notamment en Finlande.

Il n’y a pas de réponse simple et univoque : il faut recourir à une série de mesures complémentaires, dont on peut espérer qu’elles feront diminuer petit à petit un certain nombre de dommages.

La réduction considérable de la consommation d’alcool, notamment de vin, en France depuis une dizaine d’années a permis de réduire les complications liées aux consommations régulières, telles que la cirrhose ou l’encéphalopathie alcoolique. Deux tiers de l’alcool consommé étant constitués par le vin, un certain nombre de complications est encore lié à celui-ci, y compris pour des consommations aiguës.

On voit par ailleurs apparaître des alcoolisations industrielles, qui font l’objet de promotion sur Internet. Nous proposons de limiter celle-ci aux sites autorisés. Si l’on maintenait la promotion sur Internet pour les alcools forts et industriels, on ne pourrait s’exonérer d’une responsabilité à l’égard des jeunes de 15 à 30 ans qui sont victimes d’alcoolisme.

Au sujet de la critique qui m’est faite d’attaquer le vin en banalisant la consommation de cannabis, je dirais que le premier fait partie de notre culture et que le second y est entré. Si la contraventionnalisation de l’usage du cannabis que nous proposons – qui implique une modification de la loi – peut être perçue par certains comme une dépénalisation et une forme de laxisme, elle aura l’avantage d’offrir une sanction applicable et de permettre de sensibiliser davantage les familles et les jeunes sur les dangers de ce produit. En effet, aujourd’hui, moins de 10 % des consommateurs de cette drogue sont interpellés et un tout petit nombre d’entre eux se voit réellement infliger une peine. Dans la plupart des cas, ces affaires, qui permettent aux policiers de « faire du chiffre », se terminent par un rappel à la loi, dont on sait qu’il n’a aucun effet : cela n’empêche pas la consommation d’augmenter ni la criminalité de se répandre.

Cela étant, notre société n’est pas prête à une dépénalisation dans ce domaine, même si la question d’une régulation par l’État, comme c’est le cas pour le tabac, l’alcool ou les jeux, devra peut-être se poser un jour.

Si, globalement, l’effort doit porter en priorité sur les jeunes de moins de 18  ans, ce sera plus difficile pour les étudiants, auxquels il n’est pas aussi aisé d’imposer des interdictions, même s’il s’agit d’un public à risques.

Quant aux bars à chicha, ils renvoient à la modification de notre culture. La consommation de chicha pose globalement les mêmes problèmes que le tabac. On pourrait d’ailleurs imaginer d’interdire celui-ci, qui est le produit le plus nocif et apportant le moins de plaisir individuel. Certains pays se sont donné comme objectif de l’éradiquer à un horizon de vingt ou trente ans : je ne sais cependant si c’est raisonnable.

Concernant les jeux d’argent, on constate une évolution des jeux traditionnels vers les jeux en ligne, qui sont plus nocifs et de plus en plus addictogènes – dans la mesure où ils sont faciles et où l’on y joue seul. De plus, on peut faire confiance aux fabricants pour proposer des produits qui séduisent et ne pas se donner les moyens de repérer les personnes consommant trop ! Par ailleurs, si la Française des jeux a un beau site de prévention, il n’est consulté que par moins de 0,5 % des joueurs. Il faudrait en fait pouvoir repérer les gens qui se mettent en danger sur les sites de jeux.

Je rappelle que l’État met des loteries en place lorsqu’il rencontre des difficultés budgétaires : ce fut le cas pour l’ouverture des jeux en ligne. L’inquiétude qu’ils ont suscitée a conduit à la création de l’ARJEL et d’une taxe censée servir à la prévention et aux soins. Mais cette taxe, qui a été instaurée il y a trois ou quatre ans, a été détournée : l’INPES en a été privée et aucune stratégie de prévention n’a été mise en œuvre. Quant aux dispositifs de soins, ils ont été mis en place il y a un an, pour des raisons aisées à comprendre, et seulement de façon partielle. L’idée est que le payeur est celui qui crée des dommages : ce qui a été mis en place pour les jeux pourrait être utilisé pour les autres produits légaux susceptibles de provoquer des addictions.

Si je ne peux être que d’accord avec M. Aboud sur la place de l’alcool, notamment le vin, dans notre économie, cela ne doit pas empêcher de se donner les moyens de se protéger. On pourrait à cet égard limiter la promotion aux sites de production et d’œnotourisme.

Je rappelle que l’alcool est le produit qui détruit le plus les cellules cérébrales – ce qui n’est pas le cas du cannabis, de l’héroïne ou de la cocaïne, qui ne modifient que les récepteurs et les circuits.

Les moyens dont nous disposons reposent sur les CSAPA et les services hospitaliers. Mais il est presque plus facile d’augmenter les moyens des services de soins et médico-sociaux que d’avoir une action sur la législation ou la fiscalité.

J’ai consacré une fiche aux psychotropes, mais il est très difficile d’agir sur leur surconsommation.

Par ailleurs, je ne pense pas avoir une approche hospitalo-centrée, car j’insiste sur le médico-social, sur les acteurs de première ligne, sur la formation dans les facultés de médecine, de pharmacie et pour les infirmières, sur la nécessité, pour les professionnels de santé, de prendre les addictions en compte.

En ce qui concerne les ivresses publiques, nous souhaitons qu’elles donnent lieu à une évaluation addictologique par un médecin ou un psychologue ayant reçu une formation adéquate.

Enfin, s’agissant des salles de consommation supervisée à moindre risque – je n’aime pas le terme « salle de shoot » –, les données scientifiques montrent qu’elles réduisent les dommages chez les consommateurs et permettent d’accéder aux soins à plus ou moins long terme. Lorsqu’elles sont conçues avec les précautions nécessaires et en collaboration avec la police, elles n’entraînent pas d’augmentation de la délinquance et de la criminalité dans leurs environs, et ne font pas venir plus de toxicomanes qu’auparavant. Mais l’idée que l’on donne une autorisation de consommation suscite des blocages.

Je pense que cet outil aurait dû être présenté dans le cadre d’une palette plus générale de mesures, parmi lesquelles les salles de consommation en milieu médical, qui sont beaucoup plus faciles à contrôler et efficaces, mais nécessitent que les gens veuillent se soigner.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Le tabac est le produit addictogène le plus vicieux, car il est le seul qui ne désocialise pas, contrairement à la consommation abusive d’alcool. Par ailleurs, quand un jeune de 13 ans a fumé sa première cigarette devant le bus scolaire, lorsqu’il rentre en classe, l’enseignant ne peut le savoir, ce qui n’est pas le cas s’il a bu trop d’alcool.

Votre rapport, monsieur le professeur, a le mérite de corriger certaines approches, qui empêchent parfois de progresser en matière de politiques de prévention. Il reviendra au Gouvernement de prendre les décisions qu’il juge nécessaires et au législateur d’améliorer, au besoin, la loi en vigueur.

Bien entendu, Mme Jourdain-Menninger sera auditionnée au moment de l’élaboration de la stratégie voulue par le Gouvernement.

M. le Professeur. Elle sera obligée d’être plus prudente que moi.

Mme la présidente Catherine Lemorton. En tout cas, la lutte contre la toxicomanie appelle des réponses multiples : il faut toutes les essayer pour aider les malades à rompre avec les comportements désocialisants.

Je vous remercie.

La séance est levée à onze heures trente.

——fpfp——

Présences en réunion

Réunion du mercredi 10 juillet 2013 à 9 heures

Présents. – M. Élie Aboud, M. Gérard Bapt, M. Jean-Pierre Barbier, Mme Gisèle Biémouret, Mme Kheira Bouziane, Mme Valérie Boyer, Mme Sylviane Bulteau, M. Jean-Noël Carpentier, Mme Fanélie Carrey-Conte, Mme Martine Carrillon-Couvreur, M. Christophe Cavard, M. Gérard Cherpion, Mme Marie-Françoise Clergeau, M. Rémi Delatte, M. Jean-Pierre Door, M. Dominique Dord, M. Richard Ferrand, Mme Jacqueline Fraysse, Mme Hélène Geoffroy, M. Jean-Marc Germain, M. Jean-Patrick Gille, Mme Linda Gourjade, M. Henri Guaino, Mme Chaynesse Khirouni, Mme Bernadette Laclais, Mme Isabelle Le Callennec, Mme Catherine Lemorton, M. Jean Leonetti, M. Céleste Lett, Mme Geneviève Levy, M. Michel Liebgott, Mme Véronique Louwagie, M. Gilles Lurton, Mme Véronique Massonneau, M. Pierre Morange, Mme Ségolène Neuville, Mme Dominique Orliac, Mme Luce Pane, M. Bernard Perrut, Mme Bérengère Poletti, M. Denys Robiliard, M. Arnaud Robinet, M. Jean-Louis Roumegas, M. Gérard Sebaoun, M. Dominique Tian, M. Jean-Louis Touraine, M. Olivier Véran, M. Francis Vercamer, M. Jean-Sébastien Vialatte

Excusés. – M. Bernard Accoyer, Mme Gabrielle Louis-Carabin, M. Laurent Marcangeli, M. Jean-Philippe Nilor, Mme Monique Orphé, Mme Martine Pinville, M. Christophe Sirugue, M. Jonas Tahuaitu